Déchets nucléaires : pourquoi les communes disent non

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Déchets nucléaires : pourquoi les communes disent non
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3 mai 2010
Déchets nucléaires : pourquoi les communes
disent non
Prévus initialement pour fonctionner en 2019, les sites d’enfouissement de déchets nucléaires à vie
longue seront retardés de plusieurs années. Devant le refus de l’opinion, les communes sélectionnées
ont fait volte-face. Une situation qui conforte les opposants au nucléaire.
C’est une audience un peu particulière qui se déroule ce mercredi 7 avril au tribunal de Troyes.
Devant le bâtiment, un groupe vêtu de blanc est venu soutenir son héros, Michel Gueritte. Cet
antinucléaire est accusé d’avoir proféré des menaces de mort envers les maires de deux communes
de l’Aube, Auxon et Pars-lès-Chavanges. Leur faute à ses yeux : avoir fait acte de candidature pour
accueillir des investigations géologiques visant à installer un site d’enfouissement de déchets
nucléaires. Le prévenu à la carrure de rugbyman avance à la barre : « J’avoue avoir un peu organisé
l’animosité contre ce projet et il est vrai que mes formules sont celles d’un homme de communication
». C’est peu dire. « On peut s’exprimer, c’est le rôle de la démocratie, mais vous allez au-delà », lui
répond la présidente, Christine Simon-Rossenthal. Pour le représentant du ministère public, il n’y a
pas photo : Michel Gueritte est un « agitateur professionnel ». Il requiert un mois de prison avec sursis
et 300 euros d’amende. Le jugement sera rendu le 18 mai.
Né à 8 kilomètres du site de stockage de Soulaines, aussi situé dans l’Aube, Michel Gueritte refuse
que son département devienne « la poubelle nucléaire de la France ». Il affirme que les déchets sont
la cause de cancers de la thyroïde à répétition dans sa région. L’Institut national de veille sanitaire
(INVS) étudie d’ailleurs la question. Devant son opposition, soutenue par plusieurs associations, les
deux communes ont retiré leur candidature en juillet dernier. « La pression était tellement forte que
ce n’était plus possible », reconnaît Jean-Louis Caillet, l’ex-maire d’Auxon, qui a démissionné à la suite
des événements. « Il y avait des manifestations devant ma maison, les gens disaient, on va te faire ta
fête… » Joëlle Pesme, conseillère générale et maire de Pars-lès-Chavanges, a vécu les mêmes
tourments, mais elle n’a pas démissionné. Cependant, sa commune de 70 habitants a aussi fait
machine arrière. « Les conseillers m’ont dit : ça prend trop d’ampleur. » De fait, les choses auraient
pu tourner au drame, comme en 1994, lorsque le maire de Chatain, dans la Vienne, s’est suicidé
après l’émoi causé dans son village par sa candidature en faveur d’un laboratoire souterrain de
recherche sur les déchets nucléaires…
Pas de solution définitive
C’est le paradoxe de la France : avec une électricité produite à 80 % à base de nucléaire, elle se
présente volontiers comme le champion mondial de l’atome civil, mais elle peine à trouver des
solutions pour ses déchets. A tel point que le gouvernement prévoit en juin d’annoncer le report du
calendrier initial d’enfouissement des déchets de faible activité à vie longue, dits « FA-VL », alors que
la mise en service des premières installations était prévue en 2019. Cette date n’est plus d’actualité.
Certes, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) gère plusieurs centres de
stockage dans l’Aube et la Manche, mais elle ne dispose pas d’un arsenal complet. Faute de solution
définitive, les déchets les plus dangereux sont ainsi entreposés depuis des années chez Areva à la
Hague et Marcoule. Or la question des déchets est centrale pour l’acceptation du nucléaire. Selon un
sondage Eurobaromètre de juin 2008, plus de la moitié des Français qui sont opposés au nucléaire
changeraient d’avis s’il existait une solution permanente et sûre pour gérer les déchets radioactifs.
Inversement, les antinucléaires utilisent ce maillon faible de la filière pour demander un moratoire sur
l’atome, comme en Allemagne. Leur argument : les exploitants nucléaires font décoller des avions
sans avoir de pistes d’atterrissage. « On essaie justement de construire cette piste d’atterrissage »,
se défend un cadre de l’Andra.
À Auxon et à Pars-lès-Chavanges, tout avait pourtant bien commencé. En juin 2008, l’Andra lance un
appel à candidatures pour accueillir un centre d’enfouissement de déchets de faible activité à vie
longue, provenant notamment des toutes premières centrales nucléaires d’EDF. « Pour rechercher un
site, on avait proposé une méthode innovante, large et ouverte, basée sur le volontariat des
communes », explique Marie-Claude Dupuis, la directrice générale de l’agence. Plus de 3.000 maires
ont reçu un dossier d’information sur le projet. Au bout de cinq mois, une quarantaine s’étaient
déclarés candidats. « Nous étions plutôt contents. » Les deux villages de l’Aube sont sélectionnés en
juin 2009 pour réaliser des études de géologie et s’assurer que leur sous-sol sera bien imperméable.
Mais les conseils municipaux font volte-face et reviennent sur leur décision. « La solidité de leur
candidature n’était pas suffisante et cela n’a pas été appréhendé, reconnaît un fonctionnaire. En
même temps, ce n’est pas anormal de commencer à parler avec les maires. »
Pour Jérôme Rieu, directeur des installations de recherche et des déchets à l’Autorité de sûreté
nucléaire (ASN), il faut aussi s’interroger sur le bon échelon administratif : est-ce la ville, le canton,
l’intercommunalité ? Mais la question centrale est celle du temps : « Peut-être a-t-on eu tort de
précipiter les choses ? Il faut suffisamment de dialogue et savoir comment on réagit à ce type
d’opposition », estime-t-il. Hans Riotte, chef de la division de la protection radiologique et de la
gestion des déchets radioactifs à l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN), est du même avis : « On
parle de stockage pour des centaines de milliers d’années : les gens veulent être rassurés sur le
comportement futur du site d’enfouissement, sur la géologie et la robustesse de la technique. » Or, la
méfiance est parfois justifiée, selon Monique Séné. « Les gens ont appris, explique le chercheur au
CNRS. Pour le centre de stockage de Soulaines, l’Andra avait annoncé qu’il n’y aurait pas de rejets
radioactifs et quelques années plus tard, elle a demandé une autorisation de rejets… » Combien de
temps faut-il consacrer au dialogue ? Quel est le bon dosage entre démocratie et autorité ? « On ne
peut plus fonctionner de manière autoritaire, assure François-Michel Gonnot, le président de l’Andra.
Cela passe obligatoirement par l’acceptation locale, mais celle-ci ne signifie pas forcément unanimité.
» Mais l’expérience prouve que même en prenant son temps, les résistances demeurent. Exemple :
Bure, à la frontière entre la Meuse et la Haute-Marne. L’Andra veut y installer un site de stockage à
500 mètres de profondeur pour les déchets à vie longue, les 3 à 5 % du combustible usé dans les
centrales nucléaires qu’on ne peut pas recycler. En 1991, la loi Bataille avait décidé de poursuivre les
recherches pour déterminer le meilleur mode de stockage. Quinze ans plus tard, en 2006, la loi sur
les déchets choisit la technique du stockage géologique profond autour du laboratoire de Bure.
Objectif de mise en service : 2025.
Déni de démocratie
Mais les quatre communes qui ont été sélectionnées en novembre 2009 dans la zone d’intérêt pour la
reconnaissance approfondie (Zira) de 28 kilomètres carrés ne sont pas toutes au diapason. En janvier,
le maire de Bonnet, Jean-Pierre Remmelé, a convoqué son conseil municipal qui a délibéré à la
majorité contre le projet d’enfouissement. « Je ne suis pas contre le nucléaire, mais contre la façon de
gérer les déchets, c’est-à-dire à 99 % dans une commune », explique le maire de Bonnet. Il n’est pas
isolé. C’est aussi le cas du Comité local d’information et de suivi (CLIS) composé de 90 élus, membres
d’associations ou scientifiques. Lorsqu’il a eu connaissance de la fameuse Zira, ce comité a informé le
ministre de l’Ecologie Jean-Louis Borloo qu’il demandait une expertise indépendante et plus de temps
pour donner son avis. Le gouvernement a préféré ne pas attendre pour lancer les travaux de forage
sur la zone.
Pour le comité de suivi, on est en face d’un déni de démocratie. « Sommes-nous un comité fantoche
mis en place parce que c’est une obligation et dont les gentils membres, quel que soit leur avis,
peuvent toujours brailler dans le désert ? », s’interroge son président Jean-Louis Canova, dans les
colonnes de « L’Est républicain ». François-Michel Gonnot assure que la contre-expertise demandée
par le CLIS n’empêche pas de faire les travaux sismiques et sera utile pour le débat public en 2013.
Mais cet épisode est vécu à Bure comme un passage en force qui porte préjudice au projet. « Au bout
d’un moment, la lassitude s’installe et peut mener à des actions plus médiatiques et plus radicales
comme dans l’Aube », regrette un membre du CLIS. Pour Claire Mays, psychologue sociale et
consultante auprès de l’AEN, ceci n’est pourtant pas une fatalité. Elle rappelle qu’en Suède une
structure locale comparable avait demandé un délai d’un an pour se prononcer sur le projet de
stockage d’Oskarsham et l’avait obtenu. « Une telle formule de partenariat permet de réduire le
déficit démocratique car elle offre aux citoyens une réelle opportunité d’implication », selon elle.
Alors que Michel Gueritte a posé son nouveau camp de résistance à Bure, EDF préfère prendre ses
précautions. Pressé de démanteler ses premières centrales et de ne plus dépendre du site de la
Hague, géré par Areva, pour ses déchets ultimes, l’électricien a obtenu la semaine dernière un décret
du gouvernement l’autorisant à créer une installation de conditionnement et d’entreposage de
déchets sur son site nucléaire de Bugey, situé sur la commune de Saint-Vulbas, dans l’Ain. Les
travaux commenceront en juin. Ce site doit accueillir les déchets qui étaient prévus à Auxon et à Parslès-Chavanges, mais aussi à Bure. Une nouvelle solution provisoire, qui échappe à l’épreuve de la
démocratie, le temps que soit effectivement trouvé une solution définitive…
THIBAUT MADELIN, Les Echos

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