comprendre les lois du marché et les scandales financiers

Transcription

comprendre les lois du marché et les scandales financiers
Février 2003
Contes et comptes du prof Lauzon
COMPRENDRE LES LOIS DU MARCHÉ ET LES SCANDALES
FINANCIERS SANS SE FATIGUER
par Léo-Paul Lauzon
L’idée même de ce texte m’est tout bonnement venue à la lecture de mon abondant courrier reçu
de mes fidèles lecteurs. Il s’agit d’une lettre qui vient du Tibet, pardon de France. Je vous ferai
part des commentaires de mon fan, pour ne pas dire mon adepte, du Tibet dans une prochaine
chronique.
Je vous résume en gros le contenu de la lettre manuscrite de 26 pages, expurgé de plusieurs
passages de nature intimiste: "Cher Léo-Paul, je vous lis régulièrement avec passion. Vos textes
sont pour moi un délice à la fois intellectuel et charnel. Serait-il possible que, dans un prochain
article, vous puissiez m’expliquer les causes profondes des scandales financiers qui sévissent
actuellement aux États-Unis, pays de la liberté et de l’entrepreneurship?". C’est signé Emmanuelle
Béart, qui dit être comédienne de son métier et qui m’invite, tous frais payés, à son appartement
de Paris pour échanger de choses et d’autres. Une autre lectrice assidue qui veut échanger avec
moi. Je ne suis peut-être pas une 100 watts, mais je ne suis pas une veilleuse non plus. Entre
vous et moi, c’est écrit dans le ciel quel type d’échange elle a en tête. De toute façon, je ne
connais pas du tout madame Béart. Ah si, je me souviens, c’est dans le classique "Les Lavigueurs
déménagent" que je crois l’avoir vu!
Avant de vous expliquer sans douleur les causes véritables des scandales financiers qui pullulent
depuis plus d’un an aux États-Unis et qui sont des créatures directes du néolibéralisme ambiant
avec ses pseudo-lois du pseudo-marché, permettez-moi de vous brosser un tableau sommaire de
ces vols institutionnalisés concernant les plus importantes faillites USA, soit celles de WorldCom et
d’Enron.
Le titre de ces trois articles de journaux concernant le cas de WorldCom explique tout:
•
"WorldCom: une faillite de 107 milliards$ U.S." (Journal de Montréal, 23 juillet 2002);
•
WorldCom: les manipulations comptables grimpent à 7.1 milliards$ U.S." (Le Devoir, 9
août 2002);
•
"Les patrons de WorldCom ont empoché plusieurs millions lors de fraudes" (Journal de
Montréal, 10 août 2002). 104 millions U.S. arnaqués, selon le Financial Times, pour être
plus précis.
Selon le Wall Street Journal, WorldCom versera à son ancien p.d.g. une indemnité de 1.5
millions$ U.S. par année jusqu’à la fin de ses jours et 750 millions$ U.S. à son épouse s’il meurt
avant elle. Faut bien l’aider à faire son épicerie et à payer son loyer son loyer. S.V.P., faites pas
vos ingrats. Cherchez-la surtout pas chez Croteau ou au Village des valeurs. Si seulement j’avais
réaliser mon rêve de devenir p.d.g. Toutefois, j’y suis presque parvenu, je suis devenu p.d.
Quant à la retentissante faillite de 63.7 milliards$ U.S. survenue au mois de décembre 2001, de la
firme américaine Enron, spécialisée dans l’énergie et sûr laquelle s’appuyait les petits
opportunistes d’ici pour vanter les mérites du privé dans la production d’électricité et demander,
pardon, exiger la privatisation de notre joyau collectif Hydro-Québec, voici le titre révélateur de
certains articles de journaux qui démontrent sans l’ombre d’un doute le niveau de connivence
élevé entre les politiciens et les affairistes:
•
"Enron: 29 responsables auraient vendu leurs actions avant la faillite" (Journal de
Montréal, 14 janvier 2002). Selon le New-York Times, ils ont encaissé1.1 milliards$ U.S. en
cédant 17.3 millions d’actions entre 1999 et le milieu de 2001, soit juste avant que l’action
plonge à Wall Street. Alors que les dirigeants liquidaient leurs actions, ils interdisaient à
tous leurs employés de vendre les actions d’Enron qu’ils détenaient. Résultat, plus de la
moitié des salariés d’Enron ont perdu leurs fonds de retraite, soit quelque 1.2 milliards$
U.S.;
•
"Politique et énergie: du grand guignol aux États-Unis. Les magnats de l’énergie ont fait
élire Bush: l’un deux, Enron, pourrait le couler" (Réal Pelletier, La Presse, 13 janvier
2002);
•
"L’affaire Enron: Du scandale financier au bourbier politique" (La Presse, 14 janvier 2002).
"[...] Le Président Bush tente désespérément de minimiser ses relations avec le
PDG d’Enron et ami personnel Kenneth Lay";
•
"La Maison-Blanche refuse d’informer le Congrès de ses entretiens sur l’énergie avec
Enron" (La Presse, 28 janvier 2002);
•
"Pour destruction de documents d’Enron: Le cabinet Andersen mis en accusation" (Journal
de Montréal, 15 mars 2002);
•
"Enron a versé 745 millions$ U.S. à ses dirigeants en 2001" (Le Devoir, 19 juin 2002).
Tout ça pendant que les vérificateurs et les dirigeants fraudaient à tour de bras avec la
complicité des politiciens et que la compagnie déclare faillite le 2 décembre 2001;
•
"Scandale Enron: des banques auraient été complices". (Journal de Montréal, 24 juillet
2002). Faut-il vraiment s’en étonner?
•
"Enron: un ex-dirigeant plaiderait coupable" (Journal de Montréal, 22 août 2002).
Effectivement, Michael Kopper a plaidé coupable de blanchiment d’argent et incitation à la
fraude. Les paradis fiscaux et le blanchiment d’argent ne sont donc pas seulement l’affaire
d’Oussama Ben Laden et de ses talibans.
Tous ces scandales financiers, pas seulement ceux de WorldCom et d’Enron, ont fait perdre aux
petits investisseurs, aux caisses de retraite privées et publiques et aux employés (qui ont aussi
perdu leur emploi) plus de 6000 milliards$ U.S. ("Six mille milliards plus tard". Serge Truffaut, Le
Devoir, 16 juillet 2002). Et le pire dans tout ça, est qu’à ce jour aucun dirigeant, aucun
vérificateur, aucun banquier, aucun politicien, n’est actuellement en prison, et croyez-moi
qu’aucun en fera. Tout de même drôle, n’est-ce pas, vaut mieux en rire même si ce n’est pas du
tout comique. J’ai devant moi, deux articles de journaux récents qui font état que Ghislain Gagnon
a été sauvagement attaqué en prison. Cet honnête citoyen sans histoire fut incarcéré à la prison
de Bordeaux pour deux billets de stationnement non payés dont il ignorait l’existence (Jérôme
Dussault, Journal de Montréal, 6 mai 2001). Puis, cet autre article du journaliste Paul Roy paru
dans La Presse du 10 mai 2001 et intitulé: "Le cycliste qui a fait trois jours de prison pour une
facture de 7.48$ est libéré sans condition".
Vous voyez bien qu’il y a qu’une seule justice équitable pour tous devant la loi, comme c’est le cas
aussi face à la santé et l’éducation. Aux États-Unis et au Canada, pays de liberté et de démocratie
par excellence, tous sont égaux devant la loi et les services sociaux premiers. Même que souvent,
le fretin économique a préséance sur le gratin économique de la société. En tout cas, c’est ce qu’il
nous est dit par les grands bonzes du patronat, leurs politiciens et autres mascottes du genre.
Vous ne pouvez pas dire que l’on ne vit pas dans un système égalitaire, sur le plan économique,
dans notre beau modèle néolibéral fondé sur les pseudo-lois du pseudo-marché. C’est tout a fait
normal puisque l’application de ce système économique crée un ordre spontané. Ça ne peut pas
faire autrement que créer un ordre spontané, bande de petits mongols, puisque cela constitue une
loi fondamentale de l’économie de marché. Même les scandales financiers énumérés plus tôt font
partie intégrante de l’ordre spontané. Ils ont peut-être produit un petit soubresaut de rien du tout,
mais on ne fera pas tout un plat et même une assiette et un bol avec des pertes de 6000 milliards
de dollars U.S.. On me dit que le bel ordre spontané du marché est revenu. Après ces incidents
mineurs, le patronat a imploré le gouvernement de ne pas légiférer. Le nouveau capitalisme à
virage humain va s’auto-discipliner, parole de boy-scout. Faut s’en remettre à l’étique capitaliste
pour le plus grand bien de tous et principalement pour le mieux-être des travailleurs et des
démunis.
Une sorte de fatiguant à la Saint-Thomas me demande des preuves tangibles de notre beau
système égalitaire. Eh bien, en voici une qui va lui couper le caquet. Selon une enquête de la
revue américaine Business Week, aux États-Unis, un chef d’entreprise gagnait en moyenne 20 fois
le salaire d’un ouvrier en 1980, 85 fois en 1990 et 531 fois en 2000. Le patronat n’a de cesse de
nous répéter que cela est tout à fait normal puisque cela ne fait que respecter, le plus
naturellement du monde, les lois du marché. En passant, perdez pas votre temps à chercher les
dites lois, elles ne sont écrites nul part.
Il n’est pas nécessaire de les écrire, ça serait une perte de temps monumentale puisqu’elles sont
supposément "naturelles", c’est-à-dire inscrite dans la nature. Oui, l’économie fait partie de la
nature et les affairistes sont en quelque sorte un mélange d’écologistes et d’humanistes de la
nature économique. Avec eux, vous êtes entre bonnes mains. N’ayez crainte, vous pouvez dormir
tranquillement sur vos deux petites, moyennes ou grandes oreilles.
Un autre esprit tordu essaie de me prendre les culottes baissées en exhibant un article de JeanMichel Gauthier du Journal de Montréal daté du 2 mai 2002 intitulé: "Le salaire minimum passera
à 7.30$ de l’heure en 2003. Les chefs d’entreprises estiment que cette hausse est
catastrophique". Gilles Taillon, le suave président du Conseil du patronat, l’a très bien dit: "Cette
hausse fulgurante (sic) va se traduire par une baisse de la compétitivité, des pertes d’emplois et
même des faillites (sic)".
Fâchez-vous pas, même si ça peut vous paraître injuste et répugnant, l’écart qui existe entre le
salaire et la richesse des plus forts et celui des plus faibles. C’est ça la nature, il n’y a rien à faire.
Les inégalités économiques sont tout à fait normales et même nécessaires puisqu’elles obéissent à
un ordre tout à fait naturel des choses. Ce désordre économique relève en quelque sorte de
l’ordre naturel du marché. Dans la nature, il y a des forts et des gagnants et il y a des faibles et
des losers. Donc, la misère humaine d’ici et d’ailleurs est tout à fait naturelle et on n’y peut rien.
C’est incontournable. Pour vous changer les idées, écoutez donc des télé-romans, des quiz, des
films de cul ou du sport à la télé. Vous allez voir, ça va vous passer ces idées socialistes
angéliques de vouloir rétablir l’ordre des choses. Seul le néolibéralisme est naturel. Le socialisme
est, quant à lui, l’incarnation du diable en personne. God bless America qu’ils disent. Donc Dieu
doit-être néolibéral, américain et républicain en plus de ça.
Dans le prochain texte, je vous parlerai enfin des causes profondes qui sont à la base de ces
scandales financiers. Sur ce, je dois vous quitter, puisque je m’en vais jouer aux boules, à la
pétanque s’entend, avec mon vieux chum ronchonneux Michel.

Documents pareils