Battements d`ELLE - Editions Luigi Castelli

Transcription

Battements d`ELLE - Editions Luigi Castelli
« Entre sol natal et ciel d'accueil
Ton royaume unique : Ton propre cri »
François Cheng
Battements d'ELLE
ou
La Croisée des chemins
Texte de Brigitte Deruy
Parole de Sotigui Kouyaté
Battements d’ELLE a été créé
le samedi 22 janvier 2005
au Théâtre Montansier de Versailles
Musique : Mathilde Sternat
Mise en scène et éclairage : Jean Grison
Régie lumière : Noëlle Burr
Avec
Brigitte Deruy
Mathilde Sternat (violoncelle)
1
Battements d'ELLE
Ou La traversée d'émois qui disent JE
Nourrie par la Parole de celui qui sait qu’il ne sait pas.
ELLE chemine dans le labyrinthe
Des ténèbres vers la lumière
Des larmes ou sourire
Du désespoir à l'espoir
De la possession au lâcher prise
De la naissance à la mort répétée de chaque instant
De l'avoir à l'être
Jeux de la vie
D'échecs en métamorphoses...
À la croisée des chemins…
Le Sage parle, il est un guide.
ELLE témoigne.
Le Sage parle. La parole ne lui appartient pas.
Elle vient de la pensée des hommes.
Du début du commencement à la fin des temps.
Elle se nourrit pour grandir.
Le silence pour entendre.
Le violoncelle, musique d’une âme qui se cherche.
Le rythme pour la vie qui bat. Pour le corps qui se cabre et résiste et lâche.
Les aphorismes entre parenthèses sont les paroles de Sotigui Kouyaté
2
ELLE Ange déchu
Malgré ces bouts et ces bouts d'existence décalée
Ces heures ces minutes d'audace de renoncements de frustration
De mots délivrés retenus fouillés
Malgré des heures longues et des minutes longues
Heures sauvages et pesantes
Et le flot des mots dans la tête
En tous sens batifolant
Malgré des trous et des trous
A reboucher pour pouvoir avancer
Malgré ces fissures
Lézardes dans le mur de la vie
Poignées saillantes pour l'escalade du vide
Malgré cette tristesse longtemps rejetée
Hydre aux mille têtes
Lovée dans la mémoire des souvenirs
Malgré malgré malgré
Avec Toi et ces êtres rencontrés sur le chemin
Pour des coïts de pensées et de chair
Avec cette immensité de mer humaine
Dont la tempête déchaînée
Secoue secoue secoue
Secoue de mille sanglots
Trempe trempe trempe
Trempe la bulle du refuge
De paquets d'embruns vomis
Avec un amour différant et toujours le même
Qui active le désir
Étouffe les cris
Épuise la fusion stérile
Décuple la rage
Ravive la douleur des limites charnelles
Avec cette fleur d'Hibiscus
Apparue ce matin
Dans la bavure du soleil
Qui raconte la perfection du rouge
Et la sensualité du velours d'un cœur vierge
Avec cet enfant fragile
Abandonné sur son pouce
Tétant des rêves pour l'humanité à venir
3
Avec ce mendiant ulcéreux, aviné
Recroquevillé dans son duvet
Sous la pluie de boue
Des regards indifférents
Avec ces immeubles qui s'écroulent ébranlés
De la haine des pouvoirs et des humiliations répétées
Avec Toi cette main tendue
Qu'ELLE n'arrive pas à accrocher
Avant de dévisser dans le vide
Avec ce bourreau
Qui vrille ta chair tuméfiée
Rouvre ta plaie
Excité par ton sang
Remplissant les caniveaux de la haine ordinaire des temps de guerre
Avec avec avec
Avec et malgré Toi
Debout
ELLE
Ange déchu
Titube et avance
L'éclat de soleil dans l'œil
Impose la cécité des vérités
Et l'égarement des croyances.
« Quand tu sais que tu ne sais pas,
Alors tu sauras. »
« Nous sommes tous des apprentis.
Le maître présente son disciple en disant :
« Je vous présente mon maître ».
4
Battements d'ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
frissonne fragile
murmure la tendresse
hurle sa révolte
désire désespérément désire
rugit des tempêtes de colère
abrite la vie
tombe
se relève, les yeux mouillés
crée l'instant, avidement
écoute l'invisible
doute et avance
aime
accueille et console
lutte naturellement
vieillit évidemment
donne simplement
compatit reçoit sourit
renaît tant de fois
« Moi, je ne suis rien.
Je ne suis qu’un vent qui passe.
Je ne suis que l’enveloppe de la sagesse.
Je parle à tout le monde dans le cœur. »
5
Psyché
Toi
Psyché
Froid et doux reflet de cette écorce charnelle
Qui la tient prisonnière
À ton regard voyeur ELLE se soumet
Ses seins se gonflent
Ses reins se cabrent
Sa taille s'affine
Ses lèvres s'engourmandisent
ELLE se plait de te plaire
ELLE s'aime de t'aimer
ELLE se déteste de s'aimer
ELLE ne peut cesser de te plaire
Ses yeux cherchent en se perdant
Dans l'infinie profondeur de cette amante
Aimante de glace
Une réponse
À ses angoisses perpétuelles
Ces vies qu'ELLE a vécues
N'amoncellent que détresse et douleur
ELLE n'existe pas ELLE résulte
Attendra-t-elle le moment
Où tu choisiras de lui tendre la main
Pour se noyer dans tes eaux glacées du repos sans fin ?
Où lasse d'espérer de ses semblables l'insaisissable lueur
Réduira-t-elle en éclats ta frontière de raison
Et de ce puzzle refaçonnera-t-elle le monde ?
ELLE est femme
Amour lui donne des ailes
Psyché âme double
Fertilise-la de tes charmes divins.
6
Pourquoi
Pourquoi a-t-ELLE attendu tout ce temps
Petite voix de l'intérieur
Pour percevoir toutes ces mélopées aux fragments encore inaudibles
Pour écouter tous ces maux sortis en mots balbutiés chuchotés
Dont l'intensité résonne
Et secoue l'édifice
Et fissure les échafaudages nécessaires aux constructions
Fussent-elles faussées ?
Parole du dedans sourd en cascades.
Laisse le temps faire l'inventaire des dégâts salutaires
Laisse le temps détruire ce qui doit périr
Paroles du dehors
Féconde les germes du désir
Réchauffe les promesses de la terre
ELLE ne veut plus d'espaces encombrés
ELLE veut une maison sans murs,
Remplie des murmures de l'éphémère
Une maison volante tapissée de rêves
Une maison en partance vers l'infini pour se poser au-delà.
« Chacun invente son original et trouve son chemin.
Ce que l’on imite est une copie.
Personne n’a rien à prouver, ni à justifier.
Libérez-vous. Osez.
Prenez des risques. Proposez.
Chacun est unique.
C’est ta fierté.
Personne ne peut être toi. »
« Retrouve la naïveté de l’enfant qui est en toi. »
7
La danse
ELLE danse
La musique s'est emparée de son corps
Trépigne dans ses pieds et ses mains
Le rythme la possède
ELLE possède le rythme
ELLE s'allège
L'air la sculpte
Ses bras dessinent dans le vide
Ses gestes caressent l'espace
Arabesque de silence
ELLE se cambre
Se rétracte s'élance se retient se donne
Aux regards complices qui accrochent sa peau
ELLE se saoule de notes
Ivre de ce désir qui la secoue
ELLE s'offre à chacun
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
parle avec son corps le langage des sens
voit le mouvement
respire la cadence
entend l'invisible
palpe l'air
goûte les notes.
est la danse
« L’aspiration à la liberté est en nous.
Elle vient quand on élimine la peur. »
« Le bien suprême ?
Aller chaque jour vers le meilleur de soi-même. »
8
ELLE a peur
ELLE a peur
Du chant des sirènes qui l'attire vers les tréfonds marins
Du volcan de révolte accumulée en son ventre dont la lave jaillira
De la chaise blanche, dans la chambre blanche
où elle s'enfermera habillée de blanc
De la gravité qui terrasse au sol et fait baisser la tête
Des vers qui dévorent lentement les entrailles
Des ailes qui ne connaissent plus le chemin de la liberté le jour où...
De ton regard qui la voit flou
De son cœur trop petit pour contenir tous les amours
Des bébés aux dents de fer qui guettent l'heure de la conquête
De ta peur quand tu sens sa différence
Des masques qui tombent laissant place au squelette de la mort
De l'immense rideau de la vie qui s'ouvre au dernier acte sur le néant.
De la brûlure des solitudes qui recroqueville
De ton visage baigné de larmes qu'elle n'a pas vu
ELLE a peur
« La peur nous empêche de laisser venir
L’inconnu qui est en nous. »
9
Certitude et doute
Dans l’odeur de la nuit
Près de la piscine allongée
ELLE regarde les oliviers la lune pleine
Toute la réalité que ELLE perçoit effleure la surface de l’eau.
La lune si ronde si ferme dans le ciel
Devient dans son reflet si fragile si mouvante et dansante et légère
Caprice du petit vent moqueur brouilleur d’image
Il en est de même de toute vérité si ferme si ronde
Qu’une émotion indicible vient troubler
La certitude d’un jour bascule dans le doute du lendemain.
10
Écrire
Écrire
à l'encre des tripes
des mots
un sens
autre que le sens des sens
des maux
Mots décousus
à rapiécer
des
Mots lanternes tombaux
à éclairer
Mots pétales d'artichaut
à arracher
Mots gigognes
à compléter
Mots valises
à traîner
Mots chocs entrechocs
à exploser
Mots fléchés
à suivre...
des mots gloutons et voraces
irrespectueux et mal embouchés
Mots câlins
mots démaillotés,
mots d'ordre
mots de passe
gros mots mi-mots bas mots fin mot mot à mot
Dernier mot
11
Écoute
Les flots de mots
Écorchés oppressés
En cascades de sa bouche
Projetés vers l'extérieur
Construisent une muraille protectrice
Tombe de son enfermement
ELLE erre
Erre sans fin
Dans ce labyrinthe de hauts murs
Cherchant les portes cousues de fer barbelé
Observant terrifiée les ombres de sa folie
Les signaux de sa détresse
Comprimés dans les oreillers de la nuit
Hurlent ses cris muets aux vautours moqueurs
Dans la prison de ta chair
Écoute l'enfant
Que tu fus
Il connaît le chemin
« Ton devoir est d’aller chaque jour
à la découverte des personnes qui sont en toi.
Au lieu de te perdre dans les yeux de l’autre.
regarde bien et tu pourras t’y voir.
L’autre est un miroir qui t’aide à définir tes manques. »
12
Rêve pour un autre temps
ELLE aurait voulu lui dire
« Depuis un temps et des temps et la moitié d'un temps
Je t'ai attendu
Et tu es venu »
ELLE savait qu'elle ne prononcerait jamais ces mots
Celui auquel elle aurait pu les chuchoter
Vivaient dans les rêves de sa tête
Des rêves venus du livre des livres
Des mémoires de la mémoire.
Cet homme-là s'il avait connu son désir
Aurait compris sans mots son amour
Il aurait emboîté ses pas
Comme l'ombre de son cœur
Comme la force tapie dans son ventre
Comme le soleil caressant sa peau
Ils auraient pétri l'argile
Pour créer à l'image du bonheur
Ils auraient dessiné un monde d'harmonie
En mélangeant des hommes la couleur
Ils auraient caché l'utopie dans le parfum des fleurs
Pour que les effluves pénètrent à leur insu les cœurs
Ils auraient mélangé à la pluie
Des filtres qui dilatent des pensées l'étroitesse.
Leurs caresses à résonance cristalline
Auraient propagé dans les ondes l'équilibre des choses
ELLE savait que ce n'était qu'un rêve
Le rêve qui prend corps un instant
Avant d'être violé par la réalité
ELLE se réfugiait dans un coin de sa tête
Lovée dans un berceau d'enfance
ELLE pensait que cet homme existait ailleurs
ELLE et LUI s'étaient trompés de temps
Ils se cherchaient par-delà les vies
Dans l'existence prochaine ELLE pourrait lui dire :
« Par de-là un temps et des temps et la moitié d’un temps
Je t'ai attendu et tu es venu »
Et ne pas se réveiller.
13
« Être soi est une chose difficile
qui se réalise dans la complémentarité. »
Interrogation
Que faire de toutes ces pensées qui s’entrechoquent ?
Cette journée qui s’achève
A déposé en sa mémoire
Quelques fruits tombés de l’arbre de vie
Émotions pensées qu’ELLE aimerait partager
Pour retenir ?
Pour dire ?
À quoi ? à qui ?
Au vent ? à l’oreille ? à l’oreiller ?
À cette page qui se remplit
De signes et des ratures
Signes de vie
Ratures de vie
Vie en ratures
Vie raturée
Qui continue à s’écrire
Pour quoi ?
Pour qui ?
Pour cueillir ?
Pour L’accueillir ?
14
« Agir sans penser aux fruits de son action.
Fais ce que tu as à faire.
Une chose qui n’est pas faite n’est ni bonne, ni mauvaise.
Elle n’existe pas. »
ELLE ne veut pas
ELLE ne veut pas
Que les orgues de la barbarie crèvent la panse des étoiles
Que les fils de fer barbelés entourent les palais de l'imaginaire
ELLE ne veut pas
Que les bourreaux t'arrachent la peau
Que tu crèves sur un trottoir de solitude glacée
ELLE ne veut pas
Que tu l'emprisonnes dans le cachot de ton cœur
De ton sourire qui habille un visage en décomposition
ELLE ne veut pas
T'enfermer dans sa tête
En te coupant les ailes
ELLE ne veut pas
Et s'en veut de fermer les yeux
« Quand le mal est fait, on évite le pire. »
15
Recette de poussière d'étoile
Pour empêcher de se noyer dans le trou noir
des regards indifférents vide de nos ténèbres ?
Se souvenir de quelques sourires épars de l'enfant
qui ne savait pas encore
Pour éviter de sombrer dans l'appât compulsif
d'avoirs illusoires et insatisfaisants ?
Retrouver la trace de l'émotion partagée d'un instant de bien-être
pour encore croire en son possible
Pour surseoir à cette interrogation lancinante de la vanité
d'être à jamais cette coquille de noix sur l'océan des doutes ?
Éprouver la sensation qu'à un moment précis
deux paquebots de solitude ont ouvert les écoutilles
Pour croire que nous sommes autre que cet amoncellement
des lâchetés quotidiennes de notre finitude ?
Évoquer ces quelques nuits où deux corps éperdus de désir
ont cru que l'éternité leur appartenait
Dénicher
Cette certitude au cœur de l'iceberg
Que tu entends la détresse
Qu'impuissant tu l'écoutes
Bouleversé tu écoutes
Tu écoutes
Certitude alors
Que les poussières d'étoile d'un amour éparpillé en chacun
Sourient
« Confronte-toi à l’autre pour établir ton manque.
L’autre te permet de discerner ce que tu sais
ou ne sais pas sur toi
et prendre ce que tu n’as pas.
Alors tu trouves ta voie. »
16
Le Cœur Éclaté
Longtemps
Dans la forêt séculaire
Son cœur enchaîné
Battit à l'unisson
D'un grand chêne solitaire
Nulle vibration intempestive
Ne troublait ce rythme
Qui peu à peu se ralentissait
Devenant un condensé de cœur
Enkysté
Le jour des grandes tempêtes
Arriva
L'éclair illumina le ciel
Son trait strident
Visa le cœur tétanisé
Qui explosa en mille éclats
Un instant sidéré
ELLE considéra ce cœur éparpillé
Qui reflétait la lueur
D'une aube endeuillée
Depuis
Assise sur le grand chêne déraciné
ELLE distribue
Aux passants anonymes et énigmatiques
Les morceaux de son cœur rafraîchis
Par la rosée des matins renaissants
Les nuits noires de solitude profonde
Lorsque le silence se transforme
En CRI.
Son cœur éclaté
En chacun propage
La plainte des blessures lucides et nécessaires
Un grondement sourd se transmet
Une colère révoltée couve
ELLE ne renonce pas
17
« Tant que dans la vie
on sait que l’on ne sait pas
alors on avance.
Le bien faire n’est pas un oreiller pour se reposer. »
ELLE continue...
ELLE continue de marcher
Sur les routes encombrées de son cœur incertain
Battue à mort par les vents de la tempête
Remontant les sens interdits des émotions enfouies
Pour se sentir solidaire en solitude
ELLE continue de marcher
Les yeux embrumés des orages intérieurs
Vers cet horizon qui sans fin recule
Pour agrandir le temps et l'espace de la déraison
Pour visiter ces terres inconnues
Te trouver au détour du chemin
Et arriver un soir chez ELLE
ELLE continue de marcher
Vers cette étoile qui s'allume dans la nuit profonde
Maudissant les poings serrés l'indifférence ordinaire de la haine.
Pour sentir la pesanteur appuyer sur ses épaules
Etre debout rapproche du ciel
ELLE continue de marcher
Arrêter c'est mourir
18
Nostalgie
ELLE a la nostalgie des vêtements du passé
Écorces délaissées
Pelures négligées
Dépouilles d’un autre moi
Temps d’un autre temps
Délester pour s’alléger
Tailler pour grandir
Cicatriser pour continuer
Se souvenir pour ne pas recommencer
Se détourner pour ne pas revenir
Avancer pour ne pas s’engourdir
Mourir pour renaître
Mourir pour vivre
« Si tu apprends à nager
il faut accepter de plonger dans l’eau.
…Lâcher prise pour aller là
où l’on ne sait pas. »
19
Tenter le partage...
Promenade matutinale dans la rosée
Entre terre et ciel
Mouvement de la vie intérieur
Larmes le trop plein
Caresse du soleil sur la peau
Cigales stridentes trop stridentes
Bourdonnement des abeilles dans la lavande
Clapotis de l'eau
ELLE aspire les odeurs
Douleur dans le dos
Pieds nus dans l'herbe
Faire le vide
VIDE
ELLE écoute cette voix
Murmurermurmurermumurer
À l'intérieur
Émoi
En moi
Cette voix
Quelque chose d'un bien être
Peut-être ça le bonheur
Rien avant
Rien après
Pourtant... ces mots pour prolonger retenir
Un instant de présent à lâcher
Pour se remplir des autres moments
20
Moment désarmé
ELLE est toujours avec toi dans le trouble de la nuit
Dans la chaleur de ta voix
à son oreille
dans la saccade de ton souffle
en apnée
dans la convulsion de l'orgasme
à ton visage
dans les battements de ton cœur
en désordre
Dans l'infinie volupté de ce réveil
tendresse
Moment désarmé
Oubli
Oubli
Des corps
Trop petits pour contenir
le désir, la révolte, la souffrance
Trop petits pour habiter
des rêves trop grands
Et ce décalage à combler
À désespérément combler
Et cette lucidité lancinante
Qui regarde féroce et amusée
Et cet espoir d'être différent
Décalé nécessairement décalé
Et cette souffrance d'être différent
Dissemblable résolument dissemblable
Vivre
vivre avec
vivre sans
Vivre pour recommencer
Avec intensité
Cette émotion du ventre
Qui s'achève en détonations éructantes
21
dans le trouble de la nuit
dans la chaleur moite des peaux accolées.
Des corps présents trop présents
Absolu absolument palpable
Quelques secondes
Retenues
Fuyantes
Puis la trace
Quelques heures durant
D'une fragrance
Et se retrouver
Un
Un infirme
Mendiant de la part absente
Du bout du puzzle manquant
Un instant emboîté
Le temps d'un moment d'infini
Perdu
À retrouver
La prochaine fois
Si elle sera
Vivre
Le présent des secondes qui s'égrènent
Inexorablement
« Il n’y a pas de problème sans solution
Ou alors il n’y a pas de problème. »
22
Dubitative sur les significations cachées
Incertaine sur les effets inhalés
ELLE laissa les mots
Prendre leur envol
Sur les flots des ondes invisibles
Fausses notes
Dans la fusion des corps repus
Dans l'instant suspendu des cris qui s'apaisent
Dans le cognement violent des battements
du sang en tous sens bouleversés
Dans ces secondes désorientées
où les peaux redécouvrent les limites des chairs encastrées
Dans ce regard encore perdu
dans la tension de l'émotion à retenir
Dans ce moment où l'abandon offert
se réassure en une recherche complice
Dans ce temps de trouble infini et fragile des accords résonnant
d'une symphonie qui s'achève
À cet instant d'intensité inscrit indélébile dans la nuit de nos mémoires
ELLE a pleuré
Sanglots rauques jaillis d'un ventre secoué
décharge d'un indicible
succédant à celle d'un corps
ELLE a dit
Je t'aime
Puis a voulu
Gommer assourdir
ces quelques notes non prévues
dans les accords derniers de la partition.
Quelques notes échappées
Fausses notes
Fugue solitaire
libérée par effraction d'un piano désaccordé
Fugue solitaire
Elle enfle effrayée dans les grands vents de la tempête
23
« Bien sûr
Aimez-vous les uns les autres
Mais aussi
Acceptez-vous les uns les autres »
« Celui qui se respecte, respecte l’autre »
Énamourée de vous
Énamourée de vous, ELLE est
Ces quelques mots abandonnés
aux harmonies les plus tendres
aux images d'Épinal
aux colportages de fantasmes en bouton
Ces quelques mots
fredonnent l'épanchement à la rêverie à la moiteur des troubles
Ces quelques mots
cachent un détonateur de bombe à retardement
En amour de vous ELLE est
En amour de vous ELLE existe
ELLE prend chair corps
En amour de vous
ELLE justifie son ETRE
Amour délicieux qui l'emprisonne
Lien impérieux tyrannique de dépendance
ELLE te hait
24
« D’une balance juste
on dit qu’elle est sensible.
Quand on est sensible à l’autre
la justesse vient. »
Échec
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
ELLE
a
a
a
a
a
cogné de son amour les remparts de sa solitude
entouré de duvet son cœur gelé
soufflé tous les vents pour ouvrir les volets
murmuré toute la folie des mots pour ébranler la peur
convoqué toutes les mers pour noyer la culpabilité
ELLE a échoué
IL n’entend pas
IL ne voit pas
IL ne croit pas
IL s’est échoué
Que faire pour celui qui choisit la souffrance ?
Où va l’amour qui déborde d’un cœur ?
Où va l’amour qui s’effiloche au gré du temps ?
25
« L’inévitable, c’est la peur, il faut l’éloigner.
Elle vient souvent parce que l’on pense pour l’autre.
La peur est une protection.
Elle ne doit servir ni de refuge, ni du repli.
Refuge et repli empêchent d’avancer. »
Femme
Femme
Autre moi-même
Son
Écho
Ce sein qu'ELLE devine
Sous ton pull moulant et transparent
La bouleverse
Ce téton qui se dessine
Et pointe vers elle son désir
L'émeut
Petite femme semblable à ELLE
Ton sein réveille le sien
Le provoque
Il gonfle à son tour
Son envie de toucher le tien.
Ses lèvres volontiers s'entrouvriront
Pour moduler ton plaisir
Femme
ELLE t'a prise par la taille
Et a senti ton abandon.
26
Aimer
ELLE dit : Je t'aime
Je t’aime
C'est découvrir que le mot le plus usité
À encore et encore des parfums inconnus méconnus
C'est un soleil à l'horizon qui dit : Viens
C'est un brasier attisé par un souffle de vie
C'est une violette posée dans un écrin de feuilles d'automne
C'est la révolution qui hurle sa liberté
C'est son image dans tes yeux qui dessinent ses limites
C'est un goéland dans la tourmente des grands vents
C'est un trouble qui cherche des mots pour te surprendre
C'est la tendresse tricotée pour un manteau de survie
C'est un refrain qui tourne manège dans sa tête enfiévrée
C'est son sexe qui se mouille quand ton corps approche
C'est ton sexe qui la fouille pour la décalquer
C'est les cris mélangés qui n'épuisent pas les « je t'aime » des corps
27
Le jour se lève
Cette nuit-là ce fut la nuit
Une nuit profonde épaisse
Habitée de doutes d'abandons et de noyades
Une nuit de spirales descendantes dans un boyau gluant
Une nuit peuplée de spectres grimaçants et déliquescents
Une nuit en hurlements de silence
Une nuit autiste sans nom
Le jour se lève
Sois sereine
Des mots trou blanc avaleur de nuit
Ont lézardé l'obscurité
Des troublants mots venus d'ailleurs
D'une autre nuit peuplée de lueur
Le jour se lève
Sois sereine
De quelle source êtes-vous porteurs
Mots mangeurs de nuit ?
De quel espoir êtes-vous prometteurs
Mots effaceurs de peurs ?
Le jour se lève
Sois sereine
De quelle naïveté est ELLE aveuglée ?
De quelle illusion est ELLE bercée ?
Pour que ce refrain gonfle de désir ses rêves déballonnés ?
Le jour se lève
Sois sereine
Sur une autre planète un autre monde s'enfantait
28
« Si tu as confiance en toi
ton entreprise sera à l’image de ton désir et de ta volonté
donc de ton amour »
« Un échec n’est pas une fin.
C’est le commencement d’autre chose »
Réponse
ELLE avait dit : NON
Non à cet enfant qui germait dans son ventre
NON
Non petit d’homme
NON
Il
Il
Il
Il
est
est
est
est
des
des
des
des
ventres
ventres
ventres
ventres
sans fenêtres où le soleil ne pénètre pas
de nuit où l’herbe ne pousse pas
bunker où la tendresse se glace
sauvages où la peur se terre
ELLE a murmuré
Pardon petit d’homme
Tu es l’Absent
Tu es le rendez-vous avorté
Ton ombre a germé dans ma mémoire
Elle grandit prend sa place
toute sa place
Comme un grand vide
IL lui répondit :
OUI
ELLE avait dit OUI à la vie
Oui aux désirs quels qu’ils soient
OUI à l’ouverture de son cœur
Cette lointaine blessure comme une brèche laissait passer
L’Amour et le distillait comme cette aura qui l’accompagnait partout
ELLE sut alors que l’ombre son ombre était amour
Et qu’elle enrobait celui qui s’approchait…
29
Laisser le temps au temps...
Laisser le temps au temps
D'éroder les sentiments
De ternir les cœurs
De délaver les couleurs
Tu es là présent absent
Laisser le temps au temps
De ressentir l'éternité
En dispersant le sable
Dans le vent de l'oubli
Tu es là présent fuyant
Laisser le temps au temps
D'user les idées
De lasser les ardeurs
D'ensevelir la vie
Tu es là présent lointain
Laisser le temps au temps
De fabriquer le diamant
De construire l'utopie
De féconder la nuit
Tu es là avenir du présent
Laisser le temps au temps
De trouver
Le sens du chemin
Dans le vécu de l'instant
Es-tu là présent à venir ?
« Dieu nous a fait deux cadeaux : le sommeil et l’oubli
Développons deux qualités : la patience et l’humilité. »
30
Là en elle.
Ce fut
Sur le quai d’une gare dans un petit matin blafard
Par un après-midi d’été dans une forêt en feu
Sur cette bretelle de routes en points d’interrogations sans destination
Au bord d’un gouffre où hurle un torrent qui se noie
Au carrefour des treize vents aux confins des quatre mondes.
ELLE a été abandonnée
ELLE a été perdue
ELLE éperdue erre
Dans un labyrinthe de corridors aux murs troués de vide glacé
Enfermée dans une bouteille jetée au gré des flots
ELLE éperdue erre
ELLE abandonnée cherche
Dans le ciel derrière les nuages
cherche
Vers l’horizon au-delà le soleil couchant
cherche
Dans le trou noir du temps de la nuit
cherche
ELLE abandonnée qui erre
À l’aube du début d’un nouveau jour
ELLE s’est levée.
Abandonnant son abandon
ELLE lentement s’est retournée
Un silence déchira l’espace
Une lumière brisa la nuit
Dans un ralenti de temps sans horloge
ELLE a ouvert les yeux pour la première fois
ELLE connut ce qu’elle cherchait
Dans un labyrinthe de corridors aux murs troués de vide glacé
Enfermée dans une bouteille jetée au gré des flots
Dans le ciel derrière les nuages
Vers l’horizon au-delà le soleil couchant
Dans le trou noir du temps de la nuit
ELLE connut ce qu’elle cherchait
ELLE sut que cela s’appelait Amour
Que depuis le début du commencement Il était là
Là en elle
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« La vérité
Ça rougit les yeux
Ça ne les détruit pas. »
« Ce n’est pas parce que l’on ne connaît pas quelque chose
que cette chose n’existe pas »
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Mon amant
Ô mon amant
Égrène autour de mon cou
Un collier de mots du désir
Qui électrise ma peau
Murmure à mon oreille
Tous ces gestes délicieux
Qu'accompliront tes mains
Distille dans mes veines
Ce breuvage de sons
Qui enfle mon sexe
Pénètre à mon insu
La mémoire des sens
Qui ravive mes envies
Exorcise en jouissance
Ce désir longtemps en jachère
Qui bout dans mon ventre
Aime en mon corps
Ce temps fuyant
Qui paralyse nos vies
J'aspire dans ta verge
Cette part de moi
Qui échappe au destin
Ô mon amant
Laisse-moi anéantie
Sur le bord de la plage
Qui recueille ma dérive
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Si ELLE meurt ce jour
Si ELLE meurt ce jour
Dans un accident, dans un attentat
Ne pleurez pas
Ne la pleurez pas
ELLE est venue, a vu, a vécu
ELLE a essayé de comprendre
De prendre sa part
ELLE a aimé, été aimée
pas assez pas assez
ELLE s’est efforcée de trouver le sens du non-sens
De remonter le cours de son désir
ELLE a bu quelques gouttes à la source
Et s’est sentie un temps apaisée
Dans l’extase des paradis oubliés
Si ELLE meurt ce jour
Ne pleurez pas
Ne la pleurez pas
ELLE meurt contente de quitter la vie
ELLE vous a aimés
Pas assez pas assez
ELLE vous a retenus
Pas assez pas assez
La mort l’appelle
Ne pleurez pas
Ne la pleurez pas
ELLE l’a apprivoisée
Morte tant de fois
Tant de fois tombée dans les ornières et les trous noirs
Alors ne pleurez pas
Ne la pleurez pas
L’absurde a le sens de l’humour
D’ailleurs pourquoi cette pensée
Que vous la pleuriez ?
Ah ! c’est votre mort prochaine que vous pleurez !
Merci ELLE meurt
rassurée
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Par être
Dans paraître ELLE se pare de l’Etre
Vêtue de sa nudité ELLE avance paisible
Invisible à ceux qui ne savent pas voir
Fragile et assurée à ceux qui voient
ELLE chemine lentement
ELLE déleste peu à peu les fardeaux inutiles
Légère à elle-même ELLE affleure et rebondit sur le sol
ELLE se désaltère aux sourires des Etres qu'elle croise
Les mots partagés alimentent son esprit
Leurs caresses sculptent son corps
Le désir appelle ses pas
ELLE marche sereine
« Il y a ta vérité
ma vérité
la vérité. »
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Arrêt sur image
ELLE avait relu toutes ces crachoteries
Décapsulées par le tire-douleur
ELLE les considérait posées devant elle
Bien ordonnées sobrement habillées d’une police Times
Chic, BCBG
C’était une étape un domptage réussi pour un temps
Les doutes, les douleurs, les espoirs étaient
Mis en mots comme en conserves
Rangés sur l’étagère des lignes
Une échelle pour la pensée
Qui monte qui monte
Grimpe et se hisse en haut de la page sur la pointe des pieds
Et découvre aussi loin que portent ses yeux de pensée
D’autres bouts de néant à explorer
De terres vierges inexploitées
Comme une suite
ELLE qui regardait sa pensée en équilibre instable sur le haut de la dernière page
Sourit et écrivit
Fin momentanée
Arrêt sur image.
Brigitte Deruy
24, rue Jouffroy d'Abbans
75017 - PARIS
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