poïétique de la sculpture actuelle: la figure de l

Transcription

poïétique de la sculpture actuelle: la figure de l
POÏÉTIQUE DE LA
SCULPTURE ACTUELLE:
LA FIGURE DE L’OURS CHEZ
L’ARTISTE MICHEL SAULNIER’
.
.
.
.
.
Claude-Maurice Gagnon
historien et critique d’art
Centre d’exposition de Val d’Or
Là, je me jette dans le monde des choses
qui se jette en moi
Michel Serres
2
1.
LE CORPUS ET LA PROPOSITION D’ANALYSE
epuis 1982, les oeuvres visuelles de
Michel Saulnier traversent la scène de
l’art actuel québécois en proposant, au
spectateur, une réflexion critique sur la représen
tation du rapport nature/culture qui valorise,
dans la perspective postmoderne
3 de l’hétérogène,
du composite ou du disparate
, la construction de
4
formes iconographiques inusitées, engendrées
dans la logique de la pensée analogique et donnant
lieu à une interprétation au second degré de ce vi
sible organisé par la culture qu’on appelle la natu
re. L’investigation artistique de Saulnier se mani
feste telle une activité ludique, procédant, dans la
jouissance du faire, à des opérations de décons
truction/reconstruction du monde, lesquelles
opérations sont marquées par une intention poé
tique de réinvention subjective des signes que le
réel lui donne à penser et mettent en scène, dans
l’espace onirique de son art, son propre cogito.
D
© VISIO, 3, 3, automne 1998- hiver 1999, 119-139.
Dans ce corpus artistique, qui fait du bois son
matériau de choix, on retrouve principalement des
tableaux-objets et des sculptures par assemblage,
qui sont composés de formes figuratives, hybrides
et polysémiques occupant, souvent simultané
ment, le mur et le sol, et dont la construction nar
rative est fortement dirigée par la multiplicité des
références qui sous-tend l’intertextualité de l’oeu
vre. On peut mentionner des références à l’espace
de l’enfance, aux sens et aux sensations, à l’espace
intime et sensible du sujet, à l’érotisme et au jeu, à
l’espace imaginaire du rêve, à l’histoire des cul
tures, à l’histoire de l’art, à l’art populaire québé
cois, à la calligraphie japonaise, de même qu’à la
structure des haiku, mais aussi aux espaces du corps
humain et animal (etc.), lesquels espaces, à plu
sieurs reprises, sont déconstruits ou dé-totalisés par
la fragmentation, puis reconstruits ou re-totalisés,
autrement, par le métissage hétérogène qui ampli
fie la dimension théâtrale et symbolique de la
représentation.
Ma problématique
qui relève d’un champ
particulier de l’histoire de l’art, soit celui de la cri
tique artistique des oeuvres visuelles actuelles et
—
Frontières, tensions et signification
.
qui participe d’une ouverture à la poïétique
concerne l’interprétation de la figure de l’ours qui
occupe symboliquement l’imagination créatrice de
Michel Saulnier et qui, dans la réalité, constitue un
élément animal vivant dans la forêt. Ici, la repré
sentation artistique de l’ours, qui traverse la quasitotalité du corpus de Saulnier, est le plus souvent
juxtaposée à celles du paysage et du corps hu
main. À cet égard, le travail que je propose porte
une attention particulière aux transformations
syntaxiques/sémantiques de cette figure produite
en contextes québécois et japonais, lesquelles trans
formations participent, à travers l’art de Saulnier,
d’un questionnement sur la représentation du rap
port nature/culture, soit d’une quête de sens face
aux notions mouvantes d’identité et de différence
qui fondent l’ontologie même de l’être, dans sa
présence au monde, dans son essence.
Ainsi, dans un premier temps, je présenterai
théoriques et méthodologiques qui,
éléments
les
dans la perspective de la poïétique, guideront mon
analyse. J’exposerai ensuite les principales consti
tuantes de la formation sociale de Michel Saulnier
Suivra l’étude des oeuvres des séries Polyptyque
(1984), Mémoire (1987), Abécédaire (1992) et Les
Ursidés (1994), qui furent toutes réalisées au
Québec. Dans l’optique du métissage, du croise
ment et de l’hétérogénéité, j’essaierai de montrer
comment la partie québécoise de ce corpus s’inscrit
dans le contexte culturel du majeur tout en s’ou
vrant, très particulièrement, à l’altérité culturelle
, soit à la culture artisanale. Puis, je m’in
5
du mineur
téresserai aux oeuvres témoignant des contacts de
l’artiste avec la culture japonaise, soit les sculptures
de la série Contes de la pleine lune (1993), celles de la
série Vita Sexualis (1993-1995), ainsi que la sculpture
connue sous le titre d’Anatomia Lfrsus (1994). Du cô
té de cette production japonaise, je tenterai de cer
ner comment l’artiste a manifesté, dans son art, sur
les plans formel et symbolique, sa rencontre avec
cette altérité culturelle orientale. Cela dit, précisons,
enfin, que ma lecture des oeuvres québécoises et ja
ponaises de Saulnier fera aussi référence à certains
textes théoriques écrits par l’artiste dans le cadre
d’une réflexion poïétique sur sa propre création.
—,
2.
THÉORIE ET MÉTHODE
Pour mieux cerner le corpus et le discours
artistiques de Saulnier, et ainsi mieux comprendre
s..
le lieu théorique d’où il parle, de même que les
enjeux stratégiques comme philosophiques de sa
démarche créatrice et de sa vision du rapport
laquelle vision inclue, inévi
nature/culture
tablement, sa compréhension symbolique du rap
j’ai également ouvert
port homme/animal
mon propre discours de critique d’art s’intéressant
au phénomène de l’hétérogénéité, au champ de la
poïétique.
S’il est entendu que l’objet de la poïétique con
cerne l’étude du processus et de l’action du faire
qui orientent et participent de l’engendrement des
oeuvres, en général, et des oeuvres d’art, en parti
culier, depuis le début de la réflexion entreprise
par le créateur jusqu’à l’accomplissement de l’oeu
vre, mon intérêt pour cette approche théorique est
intimement lié à ma fascination pour la création
artistique en tant que manifestation identitaire du
sujet-artiste face au rapport philosophique et sym
bolique qu’il entretient, dans une attitude de dis
tanciation critique, avec l’altérité du monde qu’il
perçoit, ressent, interprète et représente, en le
trans-formant et en le renouvelant, inéluctable
ment, dans et par la conception et la réalisation de
l’oeuvre. Parmi les théoriciens définiteurs de la
poïétique, René Passeron a marqué, d’une façon
particulièrement importante, le développement de
cette approche. Je me propose de résumer ici les
idées maîtresses de sa réflexion poïétique.
—
—‘
L’APPORT THÉORIQUE 0E RENÉ PASSERON:
UNE RÉFÉRENCE CLÉ
A la suite des travaux de Paul Valéry et
d’Étienne Souriau, René Passeron reprend, dans
l’édification de sa pensée poïétique, l’idée d”acti
6 associée à la définition de l’art
vité instauratrice”
par Souriau. Partant de cette position philo
on le sait,
sophique traversée par l’esthétique
les travaux de Souriau s’inscrivent du côté de
Passeron considère la poïétique
l’esthétique
comme “l’ensemble des études qui portent sur
l’instauration de l’oeuvre, et notamment de l’oeu
7 et il la déclare “la science normative des
vre d’art”
critères de l’oeuvre et des opérations qui l’instau
. Pour Passeron, le champ des questionne
8
rent”
ments de l’esthétique renvoie à l’étude du goût, du
beau et des effets produits par l’oeuvre: consé
quemment, dit-il, son champ d’étude se rapporte à
la compréhension de “la perception émotionnelle,
—
—‘
Poïétique de la sculpture actuelle
quel que soit l’objet qui la frappe, l’art ou la
. Par suite, posant que “la poïétique est la
9
nature”
promotion philosophique des sciences de l’art qui
, il précise que “l’objet spécifique de la
10
se fait”
poïétique n’est pas l’artiste, mais le rapport dyna
mique qui l’unit à son oeuvre pendant qu’il est au
prise avec elle” et que, dans cette perspective, la
poïétique doit pouvoir rendre compte des rap
ports différenciels qui marquent “l’opposition en
tre la perception (la connaissance) et l’action (créa
, soit la différence qui existe entre la vision
00
trice)”
première et spontanée d’un phénomène ou l’épreu
ve d’une sensation expérimentée sur le vif et non
réfléchie et son interprétation dans le faire de l’oeu
vre. Poursuivant ce propos qui concerne directe
ment mes intentions de recherche dans le champ
de la poïétique, Passeron ajoute, dans son article
, que la poïétique doit réflé
2
“Poïétique et nature”
chir sur “l’expérience de l’extériorité”
3 qui définit
le rapport perceptuel que l’artiste entretient avec le
monde et qui traverse et singularise sa création:
“(...) le problème, dit Passeron, des rapports entre
l’activité créatrice de l’homme et la perception qu’il
a d’un monde extérieur à sa propre humanité est
un des chapitres difficiles de la poïétique comme
science de l’instauration des oeuvres”
.
4
Or, on comprendra que l’apport d’une telle
proposition théorique, conscientisée aux phéno
mènes perceptuels et cognitifs de la pensée et de
l’action créatrices qui se confrontent à l’altérité du
monde, est non seulement pertinente, mais fonda
mentale au renouvellement de la critique d’art. En
effet, un tel type de recherche peut nous éclairer
davantage sur la complexité des rapports qui lient
l’artiste à son environnement et à son oeuvre en
formation, et dont témoigne, telle une synthèse
critique, la représentation artistique en tant qu’in
terprétation symbolique et sémantique que celui-ci
se fait du monde. Dans ce contexte, le dévelop
pement de véritables relations interdisciplinaires
entre l’artiste et le critique d’art, qui sont guidées
par une référence aux champs d’investigation de
la poïétique, comme d’ailleurs l’analyse des écrits
d’artistes par ce critique, me paraît des plus
indiqués car il offre la possibffité d’une observation
mieux informée et plus adéquate du processus ar
tistique par lequel les oeuvres arrivent à l’existence
pour signifier. Évidemment, si Passeron a souligné
l’intérêt que constitue cette référence au discours
d’artiste pour la poïétique, il a également perçu
l’avantage qu’il y a pour celui qui analyse ces
propositions et qui cherche à rendre compte des
différentes étapes du processus artistique d’avoir
lui-même à son crédit une pratique artistique: à ce
propos, il rappelle la double pratique artistique et
poïétique de Paul Valéry”.
En bref, la réflexion théorique de Passeron
contribue à mieux distinguer les frontières de l’es
thétique et de la poïétique, de même qu’à ouvrir
celles de la poïétique à la diversité des savoirs et
des méthodes scientifiques qui, dans les sciences
humaines, sont préoccupés par les réalisations de
l’homo faber: “Il va de soi, affirme-t-il, que ce distin
go que nous venons de développer (entre les
sciences de l’art qui se fait et les sciences de l’art qui
se consomme) ne supprime en rien les relations, ni
même les glissements d’un secteur à l’autre”
.
6
Il est clair, me semble-t-il, que la contribution
scientifique de Passeron au développement de la
poïétique favorise, sur les plans théorique et mé
thodologique, les échanges interdisciplinaires,
d’une part, entre l’esthétique et la poïétique, et
d’autre part, entre l’esthétique, la poïétique et les
autres sciences de l’art, ce qui correspond à la posi
tion théorique nomade que j’envisage. Citons
Passeron à ce propos: “Au niveau d’une poïétique
positive, elle adopte les méthodes de toutes les
sciences humaines, appliquées concurremment
dans une sorte de pluralisme”
.
7
MICHEL SAULNIER: CRÉATION ARTISTIQUE
EF POÏETIQUE POSTMODERNES
Qui ne bouge n’apprend rien
Michel Serres’
.
8
Né dans les années cinquante dans le milieu
rural de Rimouski (Québec) bordé par le fleuve
Saint-Laurent où il passe son enfance, Michel
Saulnier étudie plus tard l’histoire de l’art en
milieu urbain. Il obtient d’abord, en 1980, un bac
calauréat en histoire de l’art de l’Université Laval
(Québec), puis il termine en 1987 des études de
maîtrise dans la même discipline à l’Université de
Montréal. C’est dans cette seconde institution qu’il
se livre, sous la direction du regretté René Payant,
à l’étude poïétique de sa sculpture sur bois’
.
9
Ceci l’amène à interroger d’un point de vue
théorique les principales stratégies de conception
171
Frontières, tensions et signification
et de construction artistiques qu’il a développé jus
que là et à mieux cerner les dimensions syntaxi
que, sémantique et symbolique de son propre
faire, démarche qu’il poursuit, simultanément, à la
réalisation d’une nouvelle oeuvre qu’il montre
l’année suivante, sous le titre Mémoire, dans l’ex
position Les Temps chauds, au Musée d’Art con
temporain de Montréal.
Récipiendaire de plusieurs bourses de pro
duction artistique, il revient en région après ses
études universitaires et s’installe dans le village de
Saint-Jean-Port-Joli, lieu reconnu pour sa sculp
ture populaire et aussi pour son centre de sculptu
re actuelle qui reçoit des artistes liés à la recherche.
Saint-Jean-Port-Joli constitue donc, pour Saulnier
un
et les autres artistes qui y séjournent
dans
retour à l’espace paysager de la campagne
ainsi
son cas: un retour aux sources identitaires
qu’un paysage culturel dynamique où se côtoient
la tradition et la novation artistiques, soit la cul
ture artisanale du mineur et la culture savante du
majeur et où, par conséquent, la conscience de
l’altérité traverse les rapports sociaux, comme elle
influe sur la définition de l’identité. De plus, de
puis quelques années, Saulnier produit, expose et
voyage en Asie, notamment au Japon et récemment
encore en Indonésie. À la suite de ces voyages en
continent asiatique, il a organisé, au printemps
1997, une exposition intitulée Effet d’utilitaire
(Rencontre Est-Ouest), pour le Centre d’exposition
de Baie-Saint-Paul, laquelle exposition a regroupé
6 artistes canadiens et 3 artistes japonais.
Ces informations esquissent, en quelques
lignes, un portrait sommaire de la formation socia
le de l’artiste. D’une part, elles pointent son appar
tenance originelle à la culture rurale et artisanale,
comme son intégration à la culture scientifique et
artistique postmoderne. Elles soulignent également
son ouverture à l’interdisciplinarité, soit à la com
binaison des savoirs et des applications qui décou
le de ce type de métissage. Ainsi, Saulnier est un
historien de l’art qui fait de la sculpture et qui
investit dans l’analyse théorique de sa propre pra
tique artistique par le biais de la poïétique. D’autre
part, elles révèlent qu’il est reconnu de ses pairs et
qu’il expose régulièrement ses oeuvres dans les
musées et dans les galeries du Québec et du
Canada, comme à l’étranger. Mais, plus que tout,
ces données biographiques rapides témoignent de
—,
—
—
—,
-J-)
l’engagement de Saulnier dans une production
artistique ouverte à différents types de croise
ments, se développant dans l’optique du mélange
des codes sous les signes manifestes du déplace
ment et de l’hétérogénéité culturelle. Elles mar
quent aussi son expérience sociale de l’extériorité,
traversent son imaginaire et son activité créatrice,
et participent encore de la représentation et du
sens global de son oeuvre visuelle.
Saulnier explique ainsi l’impact de cette réali
té dans le processus artistique:
L’artiste intègre dans le corps de son
oeuvre des aspects de son propre appareil
psychique. Ses réflexions s’exercent à par
tir de sa personnalité propre, réflexions
intimistes donc, s’exprimant à partir d’un
.
20
donné, d’une tradition
Partant de là, je pose, à la suite d’Achille
Bonito-Oliva, que la création artistique postmo
derne procède de références à l’histoire biographi
que du sujet, de même qu’à l’histoire de l’art et à
l’histoire de la culture, et que ces références inter
viennent incontestablement dans le faire et dans la
représentation de l’oeuvre. De fait, c’est dans la
mesure où ces références constituent la matière
même de son inspiration et de son énonciation que
l’artiste les redispose ou les recontextualise, tou
jours déjà, autrement, dans une oeuvre où la nova
tion s’affirme par le biais de procédés poïétiques
comme la citation, la fragmentation, la métaphore
et le métissage
.
21
Plus spécifiquement, les oeuvres de Saulnier
se distinguent par leur iconographie intimiste et
symbolique, ainsi que par leur forte présence
matérielle. Les objets artistiques qu’il crée n’ont
pas besoin de signature pour être identifiés à son
auteur: ici, le style personnalisé du faire et la cons
truction schématique des motifs iconographiques
sont des marques identitaires de sa production
plastique. Dit autrement, ces sculptures aux for
mes simples et souvent colorées, associées à la
représentation du monde de l’enfance (Figure 4)
et/ou des plaisirs amoureux, rejoignent spontané
ment, au moment de leur réception, l’expérience et
l’affect du consommateur, ce dernier reconnaissant
et retrouvant à travers ces oeuvres une page de sa
propre histoire, un rapport à ses souvenirs et à ses
Poïétique de la sculpture actuelle
désirs propres. Cette volonté de reconnaissance
immédiate des formes par le spectateur qui garan
tit sa communication avec l’oeuvre, est l’un des
objectifs visés par Saulnier, lequel s’inspire luimême de ses propres souvenirs.
Il l’explique ainsi:
(...) nous croyons que nos maisons,
paysages et ours sont à ce point schéma
tisés qu’il se produit ce (...) type de recon
naissance de la part de l’observateur (...)
Nos images sont “stéréotypées”, en ce
sens qu’elles évoqueront (...) des sou
venirs inconscients; (...) nos souvenirs
réveilleront cette “cosmicité de l’enfance”
dont Bachelard nous dit qu’elle est tou
jours en nous.
Dans le même sens, Saulnier explique com
ment son processus de création artistique s’inscrit
du côté de l’histoire (personnelle, sociale, et de
l’art) et comment il est guidé, dans la construction
de l’énonciation, par une intentionnalité narrative
et imaginative qui stimule les origines de la créa
tion de l’oeuvre et qui s’inscrit dans la dimension
symbolique de la représentation:
Les histoires que nous nous racontons au
moment du faire auront certainement très
peu de valeur aux yeux de l’esthétique,
mais nous croyons qu’elles ont une valeur
poïétique certaine. Non seulement ces his
toires servent-elles d’embrayeurs à notre
imagerie, mais l’oeuvre terminée en garde
fortement des traces. Un retour rétrospec
tif démontrera à quel point nos intentions
se confondent avec ce que nous imaginons
être notre “nature profonde”. Nous avons
besoin de notre mémoire et de nos sou
venirs pour donner forme. Comme l’écrit
Gilbert Lascault, nous pensons être des
artistes qui ne peuvent “séparer ce qu’on
appelle l’art de leur vie quotidienne”.
Nous retrouverons dans ces souvenirs une
part cachée de l’histoire des formes
.
23
L’OURS: UNE FIGURE DU MONDE ANIMAL COMME
SYMBOLISATION DU CORPS DE L’ENFANCE ET/OU
DE L’ESPRIT DE L’ANCÊTRE.
La présence de la figure de l’ours apparaît,
pour la première fois, dans le corpus artistique de
Saulnier dans la série Polyptyque (1984). Cette fi
gure devient par la suite une figure récurrente de
son système visuel narratif et polysémique. Dans
tout son oeuvre, la représentation de la figure de
l’ours témoigne d’une image doublement liée au
monde animal et à celui de l’enfance
on le verra
plus loin, l’artiste parle souvent de cette figure en
termes d’ourson ou de nounours
et provoque
ainsi l’irruption du souvenir d’un espace-temps
archaïque, mais toujours présent dans l’imaginaire
du spectateur. Comme le souligne Saulnier:
—
—
En utilisant accidentellement cette image
de l’ours en 1984, je me suis rendu compte
qu’elle touche à quelque chose de pro
fond en chacun de nous, qu’elle fait
référence à un paradis perdu, l’enfance
.
24
Or si, pour l’artiste, cette figure animale ren
voie aux premiers moments de l’existence humai
ne (paradis perdu et enfance), son propos n’est pas
sans rapport avec celui de Jean Chevalier et de
Alain Gheerbrant, qui associent, dans leur Diction
naire des symboles, l’ours à “l’ancêtre de l’espèce
humaine”. En ce sens, il y aurait dans la représen
tation de l’ours par Saulnier, comme dans le pro
pos anthropologique de Chevalier et Gheerbrait,
une référence suggérée à la question des origines,
soit à l’origine de la culture, ou, plus précisément,
au passage de la nature à la culture. Ainsi, cette
représentation de l’ours, chez Saulnier, faisant
souvent référence à la figure du teddy-bear, trans
porte le spectateur du côté onirique et mélancoli
que de l’univers premier et naturel de l’enfance,
celui de l’apprentissage des codes de la culture, de
même qu’elle propose une personnification mimé
tique et simulacrée de l’enfant qui observe le
monde (Polyptyque), joue (Mémoire et Prends-moi, la
nuit) et entre en relation intime ou sexuelle avec
l’Autre (Prends-moi, la nuit).
On verra maintenant comment se manifeste
cette représentation de la figure de l’ours chez Saul
nier, donnant lieu à la construction d’hybrides fan
tastiques qui fusionnent et opposent à la fois la re
présentation de l’homme et de l’animal pour mieux
marquer leur différence. À cet effet, le rapport sym
bolique à l’ours évoque également, chez Saulnier,
un rite de passage marquant, cette fois, la transition
...
1 2
Frontières, tensions et signification
FIGURE 1.A MICHELSAULNIER, MÉMOIRE, 1987,3 ÉLÉMENTS,
150 X 300 x 400cm (ENSEMBLE), TECHNIQUES MIXtES SUR
BOIS, COLL PRÊTS D’OEUVRES D’ART DU CÉGEP LA POCATIÈRE,
DÉTAI L
FIGURE 2
...
FIGURE 1.B MICHEL SAULNIER, MÉMOIRE, 1987, 3 ÉLÉMENTS,
150 x 300 x 400cm (ENSEMBLE), TECHNIQUES MIXtES SUR
BOIS, CQLL PRÊTS D’OEUVRES D’ART DU CÉGEP LA POCATIÈRE,
DÉTAI L.
MICHEL SAULNIER, PRENDS-MOI LA NUITI (ALPHA), 1992, 2 ÉLÉMENTS,
71 cm (HAUTEUR) X 102 cm (DIAMÈTRE), TECHNIQUES MIXtES SUR CÈDRE,
COLLECTION PRIVÉE, QUÉBEC.
Poïétque de la sculpture actuelle
entre le monde de l’enfance et celui de la vie adulte,
soit o fortiori le passage de la nature à la culture.
LES SCULPTURES QUÉBÉCOISES DE MICHEL SAULNIER
Polyptyque (1984)
C’est dans le cadre du Symposium de la jeune
peinture au Canada que Michel Saulnier réalise,
sous les yeux du public, l’oeuvre installative intitu
lée Polyptique. Celle-ci métisse, avec efficacité, les
codes de la peinture et de la sculpture dans une
construction artistique bigarrée et novatrice qui re
présente un espace paysager fragmenté et influen
cé, dans son processus même de création, par l’en
vironnement social et territorial de Baie-Saint-Paul
où se déroulait le symposium. D’une part, au mur
s’affirme un billot-paysage peint, dont la platitude
du support contraste avec le mouvement suggéré
des montagnes qui ont l’air aussi de vagues: le
spectateur reconnaît toujours les formes iconogra
phiques des motifs mais, comme par magie, cellesci en recèlent souvent d’autres qui leur ressem
blent et qui contribuent à déplacer le sens premier
de la représentation. Dit autrement, la polysémie
des motifs peints à l’intérieur du billot sur le mode
de l’analogie crée donc, sur le plan sémantique,
des tensions qui favorisent la naissance d’interpré
tations diverses dans l’esprit des spectateurs:
l’oeuvre est ainsi ouverte.
D’autre part, la bidimensionnalité de ce billotpaysage mural, aux couleurs trop vives, contraste
également avec la forme tridimensionnelle d’un
petit ours et d’une souche d’arbre aux branches
feuillues
cet objet tiré de la nature indique un
rapport à la saison de l’été: le symposium ayant
lieu pendant tout le mois d’août
qui sont placés
au sol, lesquels, dans leur relation au billotpaysage
et comme celui-ci d’ailleurs
simu
lent et ironisent le rapport à la nature, ainsi qu’ils
participent de la théâtralisation même de la repré
sentation, marquant sa nature factice et ses jeux
d’artifice. Conséquemment, l’interrelation des trois
éléments figuratifs et mimétiques oriente, sur le
plan sémantique, la trame narrative de l’oeuvre:
tel un métadiscours, celle-ci suggère une réflexion
sur nos perceptions culturelles de la nature,
comme sur la nature illusoire de l’art représentant
la nature, en peinture, et questionne notre rapport
mnémonique au monde originel de l’enfance, con
noté ici par la figure emblématique de l’ourson
—
—
—
—‘
renvoyant à la quotidienneté occidentale du
26 et au jeu magique de l’art. Car, pour
“teddy-bear”
reprendre les mots de Saulnier: “Associer l’oeuvre
d’art au jouet c’est, en ce sens, redonner une fonc
tion magique à l’art”
.
27
Saulnier raconte par contre qu’une telle figure
de l’ours n’avait pas été prévue initialement, mais
qu’elle est apparue, au fil de la création, à la suite
d’un échange avec un spectateur. Citons à cet
égard l’explication qu’il donne de l’apparition de
cette figure dans son travail, laquelle apparition
participe de la dimension aléatoire du processus
artistique:
À l’origine, le projet soumis au jury de
l’événement signalait que nous allions y
réaliser un billot-paysage et quelques pe
tites maisons sculptées dans un véritable
tronc d’arbre. Ce sont les pressions du
public, toujours présent au moment de la
réalisation de l’oeuvre, qui nous ont fait
déroger de notre plan de base. Nous
avons d’abord cherché à nous protéger
(symboliquement) de la foule en plaçant
le profil chien (de garde) entre le public et
notre mur de travail. Un spectateur nous
a ensuite dit reconnaître un ours dans ce
profil de chien! Etant donné le caractère
rural de Baie-Saint-Paul, cela ne nous a
pas déplu; d’autant plus que figurait une
montagne dans notre paysage-billot. Peu
de temps après, nous apprenions que les
ours vivent à l’occasion dans des arbres
creux, autrement dit, dans des billots. Tout
ceci a contribué à bousculer notre idée pre
mière. (...) Ce qui est certain, c’est que
nous n’aurions jamais réalisé d’ours si
nous n’avions pas participé au sympo
sium de Baie-Saint-Pau1
.
28
En plus d’indiquer que l’oeuvre en formation
doit rester à l’écoute de ce qui intervient par le
biais de l’imprévisible
le chien pouvait ressem
bler à un ours
ce propos, tenu par l’artiste,
témoigne ici d’une autre réalité inhérente au
processus créateur, c’est-à-dire ce qui intervient,
hors de soi, au moment de la création et qui, dans
l’exemple de Polyptyque, renvoie à la fonction so
ciologique et idéologique d’un symposium d’art,
—
—‘
...
Frontières, tensions et signification
I
FIGURE 3
MICHEL SAULNIER, L’ESPRIT 0ES OURS, VITA SEXUALIS, 1995,
3 ELEMENTS, URUSHI SUR PAPIER E BOIS, COLLECTION GUYASSELIN.
:
FIGURE S
FIGURE 4
MICHEL SAULNIER, COMPOSITION ENFANTINE, 1998,
CÈDRE, ÉRABLE E NOYER, COURTOISIE CHARLES ET
MARTIN GAUTHIER.
MICHEL SAULNIER, LES URSIOÉS, ANATOMIA URSUS, 1994,
7 ÉLÉMENTS COLORÉS, 12.5 X 17.5 cm CHAOUE ÉLÉMENT,
CIRE D’ABEILLE, BOIS ET CARTON, COLLECFION BANOUE
D’OEUVRES D’ART DU CONSEIL DES ARTS DU CANADA
Poïétque de la sculpture actuelle
ainsi qu’à la réception de l’oeuvre. Or, comme la
fonction d’un symposium d’art consiste à instau
rer des rapports d’échange et de communication
entre les artistes et le public, pendant que les pre
miers sont justement en plein effort de création, il
est inévitable que ce contexte ait des conséquences
sur le cheminement du faire et sur les décisions
prises par l’artiste, lequel, déplacé de l’intimité de
son atelier et recontextualisé, en plein symposium,
sur le terrain public, collectif et idéologique de
l’Autre, doit pouvoir négocier, au nom de l’oeuvre,
avec les interférences générées par cette présence.
Saulnier explique d’ailleurs, en ces mots, sa
compréhension sociologique de l’acte créateur, en
tant que phénomène ancré dans la réalité sociale,
traversé par le rapport à l’Autre:
Nous soutenons que l’oeuvre naît tout au
tant du sujet que hors de sa volonté.
Il précise aussi que:
c’est parce que le créateur intègre, cons
ciemment ou non, des pulsions sociales
(des aspects de son propre appareil psy
chique et, par le fait même, des appareils
psychiques des destinataires) que peut
s’établir une relation, un lien d’échange
entre l’observateur et l’oeuvre.
30
Mémoire (1987)
Étant donné ses préoccupations pour l’histoire
de l’art et, notamment, pour l’histoire de la sculp
ture contemporaine, Saulnier choisit, au début de
l’élaboration de Mémoire (Figures 1.A et 1.B), de
s’inspirer des propositions de la sculpture minima
liste des années 1960, comme du faire artisanal qui
distingue la sculpture populaire. Cette investigation
novatrice donne lieu à une démarche artistique
transculturelle qui réinterprète, dans une logique
combinatoire, deux modes distincts de savoir-faire
et d’expression artistique habituellement incompa
tibles. La dimension novatrice d’une telle entreprise
se manifeste dans la transformation des codes déjà
mis en place par les systèmes de références sélec
tionnés et dans leur actualisation dans le nouveau
système, ce qui constitue un travail de déconstruc
tion entraînant, avec lui, l’invention.
Dit autrement, si l’invention se concrétise
dans le pouvoir d’établir de nouvelles relations
et/ou de nouvelles permutations entre les signes,
il faut comprendre que ce qui revient par le biais
de la déconstruction ne revient jamais pareil, mais
toujours transformé, comme l’explique Saulnier:
La déconstruction est en réalité une stra
tégie de réévaluation. (...) C’est donc dire
que nous poursuivons, à notre manière,
ce projet de nouveauté qui est le propre
de toute production artistique. (...) Notre
projet est à regarder en fonction de l’éva
luation que nous faisons aujourd’hui de la
sculpture minimaliste, tout comme Carl
André est à analyser en fonction de
Newman, et ce dernier en fonction de
Pollock, etc.
31
J’ajouterais, de plus, en fonction des procédés
de la sculpture populaire dont Saulnier s’inspire
aussi.
Voyons comment s’opère, dans Mémoire, cette
déconstruction artistique novatrice procédant en
vertu de l’esprit d’ouverture du métissage. Dans la
conception et dans la construction hétérogène de
Mémoire, Saulnier reprend à son compte les straté
gies de mise en espace développées par la sculp
ture minimaliste sous le mode de l’installation.
Celle-ci se définit ici comme une sculpture élargie,
composée de trois fragments dépourvus de socle
et distribués répétitivement comme en interrela
tion dans l’espace, où peut circuler librement le
spectateur. De plus, Saulnier retient également du
legs minimaliste la schématisation, le rythme et la
sérialité des formes qu’il applique, de façon cri
tique, à la représentation figurative à laquelle la
sculpture minimaliste était tout à fait allergique:
Nous croyons que ce projet s’inscrit,
d’une certaine manière, dans les traces
de la sculpture minimaliste. Nous ne
croyons pas qu’il faille liquider tout l’ap
port de la modernité sous prétexte que
nous renouons avec la figuration. Nous
sommes sortis de l’avant-gardisme, ce qui
signifie de “l’ère des ruptures”
.
32
Saulnier citait là des propos de Guy Scarpetta.
Mais, en plus de son rapport critique à la figu
ration, Mémoire se distingue de la sculpture mini-
Frontières, tensions et signification
maliste par la présence, sur la surface des volumes,
des traces expressives du matériau et de celles du
faire de l’artiste, de même que par l’intervention,
même partielle, d’une picturalisation non-unifor
me qui amplifie la dimension subjective des objets
artistiques. Or, par l’application de ces procédés,
Saulnier rejoint délibérément, sans le reproduire
mimétiquement, le faire mis en scène et véhiculé
par la tradition de la sculpture populaire issue de
la culture du mineur, métissant ainsi, dans Mémoire,
deux ordres de savoir-faire artistiques en un sys
tème novateur:
Nous sommes ici à l’opposé des formes
aseptisées de certaines oeuvres minima
listes. Notre regard est d’autant plus irres
pectueux qu’il fait intervenir un genre
réputé “mineur” (des animaux de bois po
lychromes: la sculpture populaire) à des
fins qui ne le sont pas: l’installation. Nous
pensons que la distance entre le majeur
(l’installation) et le mineur (l’art popu
laire) n’est pas très importante. Peut-être
y voyons-nous une façon de ne pas
instaurer de séparation entre la “culture”
.
33
et notre quotidien
Ce faisant, Saulnier propose, en outre, par le
biais du métissage, un nouveau code de construc
tion syntaxique et de représentation sémantique!
symbolique qui, d’emblée, renouvelle et tranche
avec le radicalisme formel et idéologique de la
sculpture minimaliste qui, comme on le sait, impo
sait la neutralité des formes et le rejet de toutes
manifestations d’expressivité. De même que sa
référence à la sculpture populaire s’inscrit comme
une revalorisation du registre culturel du mineur.
En ce sens, une telle pratique, qui procède stratégi
quement d’un faire artistique combinatoire, per
met l’interpénétration dans une même oeuvre des
rapports du majeur et du mineur qui organisent
notre réel sociologique.
Revenons maintenant à la représentation de la
figure de l’ours dans Mémoire et à l’examen de ses
transformations. Ainsi, on remarque dans cette
sculpture élargie que les formes anthropomorphi
ques des nounours sont plus schématiques, soit
plus nettement découpées que celles de l’ourson
de Polyptyque. De fait, les figures répétées du
...
nounours dans Mémoire interviennent comme si
gnes plutôt qu’elles n’offrent à voir une démons
tration naturaliste, détaillée et appliquée, comme
dans la tradition classique. De plus, si la picturali
sation partielle de la surface des nounours accen
tue l’aspect non finito qui marque une nouveauté
dans le faire de l’oeuvre et accentue sa dimension
tactile, elle témoigne également d’une perception
dialogique du rapport nature!culture. Ici, pas de
ruptures entre la texture et la chair naturelles du
bois et sa picturalisation régionale, mais des dif
férences qui se rencontrent, qui cohabitent et qui
influent l’une sur l’autre. Quant au choix de la
couleur noire, il veut symboliser la profondeur de
la nuit et du rêve. Au moment de concevoir les
sculptures de Mémoire, Saulnier prévoyait aussi
ajouter à leur dimension picturale, dans la per
spective illusoire et séduisante de la théâtralité,
des jeux d’ombres et de lumières intervenant sur
l’affect du spectateur et contribuant à la significa
.
35
tion de l’espace
Cette préoccupation pour l’occupation et la
transformation systématiques du lieu d’exposition
par l’espace singulier de l’oeuvre constitue d’en
trée de jeu une problématique propre à la poïé
tique de l’installation, qui sera également reprise
lors de l’exposition Prends-moi, la nuit.
Connectée au monde de l’enfance, la repré
sentation de Mémoire procède à la mise en scène
des plaisirs que procure au corps le jeu innocent
des pirouettes exécutées par les figures des nou
nours et que les enfants font instinctivement. Elle
met l’accent sur l’échelle contrastante des corps,
leur enroulement suggérant un rapprochement
symbolique avec la “position foetale”, ainsi qu’elle
insinue, consciemment, à l’instar de la photogra
phie, l’idée d’un mouvement arrêté dans le temps
“comme dans les séquences de Muybridge”, pré
cise Sau1nier. Le faire se transforme et relance ici
mille et une questions au matériau, à l’espace com
, pour ainsi mieux les faire signifier
37
me au temps
et représenter autrement.
L’artiste opte pour le renversement des figu
res, déstabilisant, par ce choix stratégique relevant
de la mise en espace des formes, la perception du
corps des sculptures par le spectateur. Mimant
avec humour le jeu des pirouettes enfantines, ces
figures irrévérencieuses de nounours nous mon
trent leur derrière, tandis que leur tête s’appuie ou
Poïétique de la sculpture actuelle
se retourne contre le sol. Il nous faut donc suivre le
mouvement suggéré par les objets artistiques et se
rappeler, devant la représentation de cette nature
enjouée qui s’abandonne au plaisir du jeu, que le
temps qui passe se transforme, toujours déjà, en
Mémoire. Autant en jouir.
par le désir
comme le laissent croire les posi
tions de leurs corps
contraste avec le format
amplifié des sculptures des installations Alpha et
Bêta présentant deux couples de nounours en cè
dre ou en noyer, dont les corps ponctués de crevas
ses et de noeuds sont couchés amoureusement au
sol devant des murs bleu-nuit égalemenV’.
—
—,
Abécédaire (1992)
Dans l’exposition intitulée Prends-moi, la
nuit Saulnier présente les oeuvres de la série Abé
,
38
cédaire qui regroupe sept tableaux-objets conçus
sur le mode de la miniature et exposés au mur,
ainsi que deux installations réitérant, au mur et au
sol, dans un format amplifié, l’iconographique de
ces tableaux-objets. Dès le début du projet, la pro
duction de ces objets artistiques a été pensée, dans
la logique d’une installation in-situ, en fonction de
leur exposition dans une ancienne habitation do
mestique, transformée en galerie d’art actuel, ce
qui contribue à accentuer le caractère intimiste de
l’oeuvre, ainsi que l’aspect théâtral de sa présenta
tion. De plus, la charge érotique de cet ensemble
visuel, intégrant la présence et le parcours du visi
teur, est annoncée par le titre même de l’exposi
tion: Prends-moi, la nuit, lequel titre suggère un
propos rempli de tendresse et de complicité amou
reuses que ne peut pas feindre d’ignorer le specta
teur au cours de ses déplacements. Ici, la mise en
scène, la représentation et la répétition participent
du faire de cette installation et de sa poésie en tant
que procédés d’énonciation. Intéressons-nous de
plus près à sa mise en scène et à sa représentation
et voyons, aussi, comment elle s’organise sur le
mode de la répétition.
Abécédaire: MISE EN SCÈNE ET REPRÉSENTATION
D’une part, les tableaux-objets sont installés
sur le mur et montrent, sur un fond bleu-nuit, des
couples de nounours miniatures modelés en pâte
de bois par les manipulations sensuelles de la
main et du toucher, qui s’adonnent, avec humour
et dans des positions diverses, aux jeux érotiques
de l’amour. Sans se préoccuper des spectateurs, ils
exposent ainsi, occupés à leurs plaisirs, leurs for
mes schématiques rehaussées de textures et de co
loris vieillis qui leur donnent l’air de vieux jouets
sympathiques. Le faible relief de ces nounours,
fixés sur le contreplaqué, présentés comme en sus
pension dans un lieu nocture indéfini et traversés
Ni plus ni moins, devant tous ces corps d’ani
maux sculptés et installés dans les deux pièces de
la maison maintenant transformée en galerie, le
spectateur a l’impression de revivre l’expérience
de Boucles d’or et de se retrouver intrus, à son
tour, dans la maison des ours, au pays profond des
contes et des légendes de l’enfance.
M’inspirant des propos de Paul Ricoeur dans
La métaphore vive, il me semble que, du point de
vue sémantique/symbolique, cette oeuvre est mé
taphorique dans la mesure où elle procède, par
une mise en scène allusive de la ressemblance
iconique, à une succession de déplacements nova
teurs du sens qui contribuent à pointer des dif
férences et à provoquer des tensions sur le plan de
la signification. Ainsi, chacun des sept tableauxobjets et chacune des deux sculptures (Figure 2)
sont composés d’un couple de nounours qui,
d’une part, par leur positionnement spatial en
plusieurs séquences ludiques, évoquent les lettres
d’un alphabet imaginaire inspiré des possibilités
de permutations et d’imbrications qu’offrent cer
tains jeux de blocs d’enfants et qui, d’autre part,
suggèrent, simultanément, les gestes intimes et
érotiques de l’amour actualisés plus concrètement
dans la vie adulte et identifiables dans les
représentations de Saulnier parce qu’ils sont con
nus ou ont été expérimentés par la majorité des
sujets humains. La dynamique narrative et mimé
tique, intimiste et érotique de la représentation,
favorise donc ici la reconnaissance des jeux inter
prétés par les figures de nounours agissant comme
des êtres humains et nous replonge dès lors dans
les fondements de notre histoire personnelle et col
lective en nous questionnant sur notre rapport au
désir, à la séduction et aux plaisirs sexuels, c’est-à
dire quant au rapport du Même à l’Autre qui
fonde notre inscription dans le réel.
Depuis la fiction de la représentation qui agit
sur notre re-création de l’oeuvre, les images de la
série Abécédaire nous font conséquemment voya
Frontières, tensions et signification
ger intérieurement depuis le monde de l’enfance
jusqu’à la vie adulte et nous re-portent, du côté de
notre propre “expérience de l’extériorité”, dans
des espaces-temps où la perception du jeu, du
corps, des sens, de la sexualité, ainsi que celle du
en tant qu’espace global dans lequel le
monde
nous renvoie à des
“je” se présente à l’Autre
signification à la
et
de
tation
niveaux d’expérimen
différents et
ment
fondamentale
fois semblables,
représenta
la
plus,
n.
De
transformatio
toujours en
de prime
fascine
série
cette
de
tion des oeuvres
qu’elle
a le
parce
spectateurs
des
abord le regard
collec
“souvenirs
ressurgir
des
pouvoir de faire
, intériorisés inconsciemment par une collecti
41
tifs”
vité de sujets humains, comme l’explique Saulnier:
—
—,
En associant mon iconographie aux jouets
(l’ours, et dans ce cas-ci, la forme des jeux
d’enfants dans l’assemblage), je recherche
des images premières qui suscitent l’émer
gence des souvenirs inconscients. L’image
intime du nounours cherche à éveiller
l’univers de l’enfance présent en chacun
de nous. Elle est doublée ici par la réfé
rence à la scène primitive. Ma stratégie
d’énonciation est plurielle et pointe égale
ment la représentation du plaisir intime
.
42
du corps et des sens
Abécédaire: LA RÉPÉTITION
(...) l’oeuvre géniale transpire du corps
ainsi qu’une sécrétion. Elle sort des glan
des.
43
Michel Serres.
de de l’enfance et de l’érotisme de l’activité sexuel
le, nous ramène aux propos de Freud qui observait
que, chez le nourrisson, la répétition de l’action
orale de sucer le sein maternel correspond aux
premiers plaisirs érotiques et que cette action
répétée entraîne une libération de la pulsion
sexuelle. Comme Freud le suggère:
le premier objet de l’élément buccal de la
pulsion sexuelle est constitué par le sein
maternel qui satisfait le besoin de nourri
ture de l’enfant. L’élément érotique, qui
tirait sa satisfaction du sein maternel en
même temps que l’enfant satisfaisait sa
faim, conquiert son indépendance dans
l’action de sucer.
Or, la répétition, en tant que stratégie discur
sive, semble trouver dans le processus artistique
de Saulnier des correspondances pertinentes avec
la répétition des jeux dans l’activité sexuelle:
L’activité sexuelle est une métaphore de
l’acte de créer et cette dernière s’énonce
également par le jeu simple (témoin du
plaisir de l’invention) de la répétition et
.
45
de la variation des attitudes
Toutefois, le procédé de répétition qui s’ex
prime concrètement dans l’action physique et cor
porelle du faire artistique peut aussi s’avérer, pour
Saulmer, une source de déplaisir qui se résout
avec l’achèvement de l’oeuvre et qui, par le retour
du plaisir, s’affirme finalement comme une libéra
tion d’affects refoulés: d’où la comparaison avec
qui peut aussi provoquer,
l’activité sexuelle
outre le plaisir, des angoisses, des contraintes, des
et d’où aussi l’inévitable dimension
conflits
identitaire d’une telle conception de la pratique
de l’art, dont la philosophie rejoint les proposi
tions psychanalytiques de Freud, comme le pré
cise Saulnier:
—
Les oeuvres de la série Abécédaire opèrent à
partir de la répétition sérielle et rythmique d’un
seul et même motif iconographique tridimension
nel, qui, confronté à la planéité d’une plage bleue,
se déploie en se dédoublant, semblable dans sa
différence et qui se multiplie au mur, comme au
sol. Ici, il n’y a rien de trop. Ici, le minimum de
signes provoque le maximum d’effets. À cet égard,
le procédé récurrent de la répétition, qui est une
caractéristique spécifique du faire artistique de
Saulnier et qui s’applique, dans Abécédaire, à la
multiplication, avec variations, d’une même figu
re, ainsi qu’à la représentation dialogique du mon-
.. .
—,
Faire de la sculpture à la scie à chaîne ou
avec tout autre outil servant à soustraire
la matière implique des efforts, de la vio
lence. L’oeuvre arrache des souffrances
mais ce déplaisir se transforme en plaisir
avec la naissance de l’oeuvre. Telle est, ré-
Poïétque de la sculpture actuelle
sumée sommairement la conception freu
dienne de la psychanalyse de l’art: l’oeu
vre d’art produit le détournement d’un
but sexuel (dans sa fonction première de
reproduction) en but culturel. Mais ce
n’est pas tout, la violence avec laquelle
j’attaque mon bloc de bois est aussi révé
latrice. Le privilège que j’accorde à la
sculpture comme principal moyen d’ex
pression artistique est lié à ce que celle-ci
impose au corps. (...) Tout se passe, au
moment du faire, comme si l’acte de créer,
la répétition du geste (sa fonction cathar
tique) était plus importante ou, du moins,
tout aussi satisfaisante que l’oeuvre pro
prement dite. C’est dans ce double con
texte de la douleur et du plaisir que nais
sent mes oeuvres
.
46
Les Ursidés (1994)
Sur la même lancée que pour les séries précé
dentes, Saulnier procède également dans Les
Llrsidés (Figure 5) de la série Anatomia Ursus à une
représentation artistique volumétrique et minia
ture, construite sous le mode du “comme si” et re
lançant la question du rapport homme/animal.
Renouant avec la facture des “études anatomiques
47 et s’inspirant des représentations le
anciennes”
plus souvent fragmentées du corps humain de
l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert
, cette
48
sculpture intègre un nouveau matériau, soit la cire
d’abeille, à laquelle l’artiste ajoute des pigments
qui colorent les corps hybrides de ces figures énig
matiques, corps ainsi empreints des traces des
manipulations de l’artiste qui s’imposent comme
des stigmates de ce faire. De plus, le format réduit,
la texture molle, friable et fusible de la cire, de
même que sa coloration, sont des caractéristiques
qui participent également du caractère vulnérable
de ces objets artistiques et qui les rapprochent
alors de la vulnérabilité de l’espace de l’enfance,
comme de la poésie du jouet fait main, tradition
nellement créé avec des matériaux d’usage quoti
dien dans la culture artisanale.
La représentation transhistorique et transcul
turelle de ces minis-sculptures de cire, combine, en
un être totalement inventé, en un hybride fantas
tique, deux types de signifiants, lesquels lient,
dans la partie supérieure, la tête figurée de l’ani
mal-jouet, le nounours et dans la partie inférieure,
un organe figuré du corps humain, interne ou
externe, féminin ou masculin, soit une oreille, un
nez, une langue, un sein, une colonne vertébrale,
ou encore une vulve et un pénis, ce qui fait ainsi
place à un discours visuel sur les sens de l’ouïe, de
l’odorat et du goût, et de leur fonction respective
dans la perception, dans l’interprétation et dans la
représentation humaine du monde. Ce discours
visuel omet cependant d’inclure ici les motifs res
pectifs des organes de la vue et du toucher. Oubli,
déni ou choix? Peu importe, l’art n’est surtout pas
une reproduction ou un duplicata ratioimel du
monde. Quoiqu’il en soit, Saulnier n’oublie sur
tout pas de sexualiser cet hybride, ajoutant ainsi
une ambiguïté additionnelle à la représentation
dialogique homme/animal (nature/culture), tout
en suggérant une référence allusive au plaisir, aux
liquides des corps signifiés et générateurs de vie
lait et sperme
et au pouvoir d’engendrement
dont témoignent ces organes. Ici, d’une part, la
verticalité exprimée par le détail de la colonne
vertébrale
phénomène que le biologiste Jacques
Ninio aborde comme un sens de l’organisme
, pourrait symboliser, outre l’érection du
49
humain
corps humain dans l’espace, la verticalité du désir,
la force ascensionnelle du pouvoir créateur.
D’autre part, les bras en croix de cet hybride sem
blent mimer, dans leur ouverture même, l’attitude
masculine représentée par Léonard pour ses étu
des des proportions
.
50
Dans Les Ursidés, l’invention artistique con
voque tout autant l’espace du cogito que ceux de
la main et des autres sens. L’action créatrice et dé
sirante du faire artistique cherche à transformer la
matière du monde, de même que la matière à et de
l’oeuvre par des procédés poïétiques de décou
page, de fragmentation, d’opposition et de collage
d’éléments arrachés et décontextualisés de la réalité
observable, puis recontextualisés et ré-interprétés,
en leur essence, par une représentation bigarrée et
composite, énigmatique et fondamentalement
hétérogène. Cette représentation participe, me
semble-t-il, à la fois d’un propos sur les rapports
nature! culture, homme! animal, féminin! mas
culin, majeur! mineur, mais me semble aussi met
tre l’accent sur leur interférence dans la différence.
Car, d’une part, l’animal et l’humain n’ont pas, et
n’auront jamais le même rapport au langage, ce
—
—
—
...
Frontières, tensions et signification
langage qui fonde leur différence majeure, et dif
férence par laquelle l’humain crée: le rapport à la
création étant, par essence, un rapport au langage,
que celui-ci soit verbal ou visuel. D’autre part,
malgré leur ressemblance humaine et, en cela, mal
gré leur rapport commun au langage, un homme et
une femme resteront toujours différents l’un de
l’autre, nonobstant leurs rapports, leurs rencontres
et leurs traversées transpersonnelles.
À ces petites sculptures murales, produites au
Québec, en 1994, s’ajoute encore une sculpture de
noyer et de tilleul qui a été réalisée peu après, au
Japon, la même année, et sur laquelle je vais m’ar
rêter.
LES SCULPTURES JAPONAISES DE MICHEL SAULNIER
Contes de la pleine lune (1993)
Rien ne donne plus de sens que de chan
ger de sens.
Michel Serres
5
Cette série de sculptures, qui comprend deux
composantes, a été produite à Tokyo, où Saulnier
était invité à une résidence d’artiste et où il a
découvert, du même coup, la culture du Japon.
La première oeuvre de cette série est une
sculpture de bois de camphre qui affirme sa volu
métrie et sa verticalité imposantes dans l’espace. Il
s’agit d’une sculpture peinte et construite par des
procédés d’assemblage et de collage. Elle est cons
tituée de trois parties superposées, évoquant, dans
un très curieux mélange de formes anthropomor
phiques et calligraphiques, un nez-ours-lapin, qui
domine et confronte, du haut de ses trois mètres,
l’échelle humaine du spectateur. Cette forme inu
sitée est déposée sur une espèce de socle plat en
bois qui l’encadre. De fait, l’étrangeté même de
cette représentation relève à la fois de son format
monumental, de la sophistication des matériaux
utilisés, ainsi que de la référence à plusieurs codes
de la culture artistique japonaise que Saulnier intè
gre dans sa sculpture, selon sa propre méthode du
faire artistique.
Le bois de camphre qui est utilisé par les sculp
teurs japonais pour ses qualités de résistance, de
comme me l’expli
durabilité et de malléabilité
et au moyen
quait Michel Saulnier en entrevue
duquel est érigée cette sculpture, a été sélectionné
par l’artiste pour son odeur vive et aromatique qui
lui rappelle des moments de sa propre enfance. Dit
autrement, la plongée du sujet, dans l’ailleurs cul
aurait eu cette puis
ici lié à l’exotisme
turel
sance incontournable de le retourner aux fonde
ments de sa propre subjectivité. Ainsi, la particu
larité olfactive de cet élément de la nature, issu du
contexte culturel de l’Autre, éveillerait, chez
Saulnier, des souvenirs sensoriels et affectifs qui le
ramènent à sa propre histoire et qui guident, en
quelque sorte, dans le processus de création, le
choix du matériau et, par la suite, la sélection d’un
motif qui sera retenu dans la construction de la
sculpture, le motif du nez:
—
—,
J’ai choisi ce bois pour les souvenirs reliés
à son odeur: lorsqu’enfant j’étais grippé,
ma mère me frottait avec une pommade à
forte odeur de camphre. De cette manière,
ce voyage au Japon s’est avéré un retour
au monde de l’enfance. Et puisque je ne
pouvais cesser de sentir mes morceaux de
bois, la fascination exercée par l’odeur
étant très grande, l’idée m’est venue de
.
2
sculpter un nez’
Ce nez, qui pourrait bien suggérer aussi l’idée
d’un phallus géant, a été peint à l’urushi (laque
japonaise) d’un rouge légèrement noirci, contras
tant avec la surface laquée en noir des deux autres
éléments qui composent la tête et les oreilles aux
lignes sinueuses de cet animal fantastique, à la fois
ours et lapin, mais innommable selon les catégo
ries animales relevant de la zoologie et également
déstabilisateur, par sa polysémie, au regard de
toute intention rationnelle d’interprétation. Com
me dans le cas vu précédemment de Polyptyque où
le chien est devenu ours, ici le nez-ours est devenu
nez-lapin, car, dans la culture asiatique, le lapin est
un des animaux qui est associé symboliquement à
l’univers de l’enfance:
(...) j’ai sculpté un nez-ours, le nez faisant
office du corps de l’animal. Chemin fai
sant, l’ours s’est transformé en lapin puis
que ce dernier représente dans ce coin du
.
54
monde l’animal de l’enfance
—
•..
Ce propos de l’artiste rappelle encore une fois
l’impact de l’environnement culturel qui, comme
Poïétique de la sculpture actuelle
la présence d’un tiers, intervient dans le processus
de création. Plus particulièrement, l’artiste qui est
appelé à créer dans un contexte culturel autre, doit
intérioriser les informations qu’il perçoit et qu’il
reçoit en les confrontant à son propre système de
valeurs culturelles, ce qui lui permet, au moment
du faire, de les interpréter et de les transposer à
son gré en multipliant ainsi les effets de sens.
C’est ce que nous prouve cette sculpture de Saul
nier, qui, par l’efficacité de son métissage de procé
dés, de formes et de significations, intègre, dans
son propre langage artistique, outre l’emploi du la
que, une influence stylistique de la calligraphie
japonaise qui tire son origine de l’écriture chinoise,
c’est-à-dire des caractères ki2nji. Ainsi, l’artiste s’estil inspiré de ces caractères kanji
sorte de picto
grammes ou de dessins figuratifs qui font signes et
sens
pour la construction des énormes oreilles
qui coiffent l’impressionnant nez-ours-lapin et qui
dessinent spatialement et tridimensionnellement
le mot lune, avec toute la dimension poétique que
ce mot comporte.
À la sculpture du nez-ours-lapin s’en ajoute
une autre qui continue la poésie de la première
dans l’espace. Celle-ci est composée de cinq élé
ments qui connotent la structure brève et simple
d’un type de poème japonais appelé haiku
. Il s’a
55
git, cette fois, d’une table basse déployant sa pré
sence horizontale qui contraste avec la verticalité
et l’échelle du nez-ours-lapin. Sur cette table à la
surface laquée sont installés, selon les stratégies de
la répétition et de la différenciation, quatre modè
les réduits de la grosse sculpture, dont les oreilles
de chacun de ces modèles réduits énoncent quatre
significations différentes marquées par la référen
ce aux caractères kanji et cela en dessinant dans
l’espace quatre formes distinctes. Comme m’en a
informé l’artiste, ces quatre signes visuels repré
sentés par les oreilles des petits nez-ours-lapin,
expriment, tour à tour, à partir de la droite: 1)
l’idée de pouvoir ou de force; 2) l’idée de champ
ou de lieu; 3) une idée indéfinie, car, ici, le picto
gramme est inventé par Saulnier; 4) et l’idée d’un
animal sauvage qui pourrait être un sanglier, tan
dis que la table qui les reçoit et qui est présentée de
face reprend ainsi un élément du théâtre de ma
rionnettes japonais nommé Bunraku, dans lequel
des hommes au visage découvert et/ou dissimulé
sous une cagoule manipulent les poupées, com
me l’expliquait déjà Barthes dans L’empire des
signes.
Somme toute, en liant l’idée de la lune expri
mée par les oreilles du gros nez-ours-lapin et les
significations des cinq éléments du second ensem
ble sculptural, Saulnier crée ainsi, par le biais du
processus artistique, un récit visuel qui interprète,
à partir de son regard d’occidental mis en situation
d’acculturation, sa propre expérience de la culture
japonaise. Dit autrement, il réinvente, en la trans
formant selon sa propre subjectivité, l’hétéro
généité de la culture japonaise qui lui est donnée à
saisir, à comprendre, à ressentir comme à re-cons
truire par le biais de la praxis poïétique de son art
postmoderne hétérogène.
—
—‘
Vita sexualis (1993-1995)
La série Vita sexualis a été conçue et commen
cée au Japon à partir de 1993, à la suite des sculp
tures de la série Contes de la pleine lune et elle fût
terminée, au Québec, à Saint-Jean-Port-Joli, en
1995. Au Japon, Saunier a fabriqué des têtes d’our
sons en coton, selon une technique qu’il expéri
mentait alors pour la première fois. D’abord, il a
trempé le tissu dans l’urushi et l’a ensuite fait sé
ché. Une fois sec, le coton durci est traversé par la
couleur brune de l’urushi qui est idéale pour la
construction simulacrée des têtes d’oursons. C’est
aussi, au Japon, en 1995, après avoir réalisé la
sculpture L’esprit des ours (Figure 3) qui est mon
trée sur une planche de bois teint et qui exhibe, par
des jeux d’éclairage, ses ombres projetées, que
Saulnier a eu l’idée de déposer ces têtes de
nounours sur des plaques de verre-miroir.
Au Québec, la même année, il a sculpté des
fragments de corps humain, en bois, aux connota
tions sexuelles évidentes
sein, pénis, fesse, lan
gue
qui s’incorporent intimement à la compo
sition des sculptures de cette série Vita Sexualis.
Après toutes ces investigations, l’artiste avait en
main la clé pour penser et architecturer une nou
velle série de sculptures.
On le voit, la création d’une oeuvre d’art est
ainsi faite d’expérimentations, de tâtonnements, de
recherches, de recommencements et de hasards,
car le processus artistique n’a rien de linéaire et
s’inscrit dans une logique autre que celle la dé
monstration cartésienne d’une hypothèse. L’oeuvre
d’art ne cherche pas à montrer ce qu’elle connaît
—
—
Frontières, tensions et signification
déjà pour en faire la preuve par la démonstration.
Au contraire, celui qui cogite l’oeuvre, dans l’ac
tion créatrice et avec l’intention de lui donner
forme et vie sur la scène de l’Autre, celui-là croit
en l’imprévisible ou en l’inattendu, qui, à force de
désirs et de sueurs, de découragements et d’essais
répétés, se produit un jour ou l’autre, faisant alors
advenir au réel, par le temps non moins réel de la
création, un autre monde se profilant poétique
ment dans l’oeuvre. En ce sens, le métier d’artiste
se rapproche du métier de l’écrivain ou du philo
sophe, comme le dit si justement Michel Serres:
La création invente les nouvelles en ra
contant aujourd’hui ce qu’elle ignorait
mon métier consiste à écrire et à
hier
dire non point ce que je sais, ennuyeux,
mort et passé, plus que parfait, mais, au
contraire, ce que je ne sais pas et qui m’é
.
57
tonnera
—
Cela dit, et pour mieux faire apprécier l’ingé
niosité artistique de Vitti sexualis, notons que la
structure de chacune des quatre oeuvres tridimen
sionnelles de cette série est constituée par une cons
truction mixte, de même que par la superposition
de trois types d’éléments hétéroclites, positionnés
en relations dialogiques, et à la fois unis et désunis
par la présence agissante et troublante d’un verremiroir interpellant la participation du spectateur,
dont l’impact prend tout son sens au moment de
leur réception.
Dans ces sculptures, la figure de l’ours domi
ne la structure combinatoire de l’espace artistique,
puis vient ensuite le verre-miroir sur lequel est col
lé un fragment du corps humain, légèrement pic
turalisé, de façon à mieux en évoquer la dimension
charnelle et aussi pour érotiser la représentation,
tout en stimulant la dimension perceptuelle et sen
suelle du spectateur. Ainsi, une tête d’ours est ju
melée à la forme d’un sein; deux têtes d’ours, aux
dimensions différentes, sont posées l’une sur l’au
tre et sont associées à un pénis en érection; cinq
petites têtes d’ours sont positionnées en étages et
mariées à une fesse, tandis que deux têtes d’ours
de formats différents miment le moment du baiser
et sont assortis à une langue pendante.
Chacune des sculptures est présentée frontalement contre le mur à une hauteur qui domine celle
du spectateur, lequel, après les avoir perçu de face,
dans une distance plus ou moins éloignée, doit
s’installer en-dessous d’elles pour avoir accès,
cette fois, à une autre lecture, plus globale, de ces
objets hybrides. En se rapprochant et en les regar
dant par en-dessous, il découvre, selon son posi
tionnement, le jeu fort séducteur des réflexions de
fragments sexualisés de corps humains qui sont
projetés dans le verre-miroir. Par son rapproche
ment, le spectateur voit donc apparaître et/ou dis
paraître l’image immatérielle, fugitive et instable,
du sein, du pénis, de la fesse ou de la langue, ima
ge qui traverse illusoirement la matérialité sombre
des têtes d’oursons tout en pervertissant déli
cieusement leur signification première les liant à
l’enfance et qui les fait ainsi basculer du côté de la
sexualité.
Encore une fois, la conscience d’un tiers qui
reçoit l’oeuvre et qui en éprouve les effets percep
tuels, sensoriels et psychologiques, participe acti
vement et exemplairement du processus artistique
de Saulnier dans un souci d’établir une communi
cation avec l’Autre et de l’inviter à procéder au jeu
des sens. Devant une telle représentation sexuelle
et mouvante de la réflexion qui traverse et pénètre
les têtes des oursons, le spectateur est placé en si
tuation de questionnement. Son contact à l’oeuvre
suscite la remonté du refoulé.
De quoi me parle l’oeuvre, se demande le spec
tateur? À quel savoir ou à quelle expérience me
renvoie-t-elle? Y est-il question de l’univers de
l’enfance, de l’enfance de l’humanité, celle de la
découverte humaine des plaisirs du corps et de la
jouissance sexuelle décrite dans la mythologie
chrétienne et qui a conduit la nature humaine à la
culture, c’est-à-dire à l’administration des lois et
des repentirs, à la punition, au travail et à la mort?
Comment oublier les scénarios fondateurs de l’ori
gine de l’histoire humaine qui nous ont été si sou
vent racontés, enfants? Ou, peut-être encore, n’y
est-il question que du passage de la vie de l’en
fance à celle de la vie adulte? En une seconde, le
spectateur peut ainsi revoir, comme pour le sou
venir d’un film ou d’une photographie, une sé
quence de sa propre enfance, soit ce moment
étrange, où, pour la première fois, l’on procède à
l’apprentissage des codes de la sexualité. Quoi
qu’il en soit, l’oeuvre agit sur la conscience et
l’imagination, car le fantôme de l’image cachée a le
Poîétique de la sculpture actuelle
pouvoir d’éveiller l’inconscient collectif des spec
tateurs, comme la mémoire profonde de leur pro
pre histoire. Écoutons ce qu’en dit l’artiste:
(...) Les jeux de réflexions apportent une
autre dimension. L’effet photographique
que crée le verre-miroir fait référence à la
mémoire, aux souvenirs, à un autre temps.
Dans chaque unité sculpturale on a alors
accès à différentes couches temporelles.
Mais cette même tablette de verre-miroir
peut aussi devenir une fenêtre qui sépare
deux univers différents, tout en les gar
dant en étroite relation. (...) Je crois que ces
parties de corps mises en relation avec les
têtes d’ours nous rappellent que la sexua
lité de l’enfance n’est pas nécessairement
quelque chose de sage et de candide. Il
peut être ici question de tabous, de sou
venirs intimes, d’anecdotes cocasses.
sence des noeuds du bois, ouvre au spectateur des
pistes de réflexion sur l’action énergétique de l’ar
tiste transformant le matériau en signe, de même
que sur l’intimité et sur la proximité unissant le
corps constructeur de l’artiste à la matière comme
à sa pensée agissante.
La partie supérieure de cette sculpture montre
une tête d’animal simulacrée en tilleul et peinte à
l’urushi d’un noir brillant, ce qui lui donne ainsi
un air plus domestique que la partie du bas. Par sa
picturalisation, cette tête d’animal me paraît plus
près de la culture que de la nature, tandis que le
nez-pénis, dans la nudité de son corps et dans son
contact direct avec le sol, me semble, au figuré,
avoir le pouvoir d’ensemencer la terre. En ce sens,
l’oeuvre engendre un nouveau monde qui naît du
désir, du geste, du faire cogitant et ressentant, soit
de l’essence de celui qui, comme le magicien, a le
pouvoir de faire apparaître.
ÉPILOGUE
Anatomja Ursus (1994)
J’ai présenté, plus haut, la série des sept peti
tes sculptures murales colorées en cire d’abeille,
intitulée Les Ursidés. La sculpture Anatomia Ursus
qui accompagne cette série se différencie, dans sa
construction, dans ses matériaux et dans son for
mat, de ces mini-sculptures murales.
Placée au sol, cette sculpture relève de la
sculpture par assemblages et montre deux élé
ments superposés. L’anatomie de cette forme ani
male imaginée s’apparente à celle d’un nez-chien
ou à celle d’un nez-ours. Si sa composition for
melle est nettement plus dépouillée que les sculp
tures de la série Contes de la pleine lune, elle reste
toujours polysémique, de même qu’elle installe
une dichotomie entre la tête et le corps de l’animal
qui est amplifiée par le traitement contrastant des
matériaux.
Comme dans les nez-ours-lapin, la base du
corps reprend allusivement la forme d’un nez qui
évoque celle d’un pénis, soulignant, de cette façon,
le pouvoir de re-connaissance lié à l’odorat, lequel
sens est manifestement fort développé chez le
chien, ainsi que le pouvoir reproducteur de l’orga
ne sexuel mâle agissant comme une métaphore de
l’engendrement de la vie. Cette partie de la sculp
ture est construite en noyer et sa surface vernie,
qui laisse voir le travail de la nature par la pré-
Par le biais de la relecture des oeuvres comme
des écrits analytiques de Michel Saulnier qui ont
attiré ici mon attention, j’ai voulu mettre en lu
mière sa conscience aiguè des différentes étapes et
stratégies du faire artistique, de même que la per
tinence de ses considérations réflexives face à l’im
pact ou aux effets que peuvent provoquer les oeu
vres sur les spectateurs lors de leur réception.
Ce faisant, avec mes outils théoriques et ana
lytiques qui sont des mots, j’ai voulu gravé ma
propre expérience d’interprétation en essayant à
ma manière, en vue d’un dialogue interdiscipli
naire entre artiste et critique, de continuer l’oeuvre
visuel, ainsi que la réflexion écrite de Saulnier, qui
m’habitent depuis des années, qui m’interpellent,
qui m’interrogent et qui me fascinent parce qu’ils
contiennent, en leur essence, ce pouvoir de désta
bilisation des acquis culturels qui nous mène dans
un ailleurs fantasmatique du désir et du rêve et
qui remettent en question notre rapport au monde.
Il me semble que l’oeuvre de Michel Saulnier
fait justement preuve d’une ouverture exemplaire
à l’altérité. À cet égard, son art hétérogène se cons
truit par l’appropriation symbolique des espaces
interréférentiels de la nature et de la culture, de
l’homme et de l’animal, du féminin et du mas
culin, du mineur et du majeur, de l’Occident et de
l’Orient, bref, du Même et de l’Autre (etc.), en ren
-
Frontières, tensions et signification
dant compte, au second degré, de son “expérience
de l’extériorité”.
Dit autrement, tout l’art de Saulnier cherche à
pointer, en les métissant ou en les bouleversant
dans l’ordre sauvage de l’imagination poétique et
par le jeu de la déconstruction, toutes les formes
de clivages ou de frontières identitaires et cultu
relles. Partant de là, l’hétérogénéité du monde et de
ses différents niveaux d’histoire se présentent à sa
création artistique comme des matériaux qui sti
mulent et qui provoquent sa faculté critique d’in
vention, son désir passionnel de trans-formation
du monde.
Aussi, me semble-t-il, la pertinence de ce cor
pus artistique consiste à dévoiler — telle la levée
magique d’un rideau de scène faisant feu sur le jeu
que toutes les formes
illusoire des acteurs
rusées de sens participent d’une réalité mouvante
et peuplée de différences, que l’art déplace,
replace, relie autrement par son désir de réinven
ter le monde et de toucher intimement l’essence
du Même et de l’Autre. Car faire de l’art, donc être
artiste, n’est-ce pas dé-faire, pour re-faire, dans
l’intention de questionner les assises trop souvent
figées de la signification?
2.
3.
—
—,
NOTES
1.
L’essentiel de ce texte a fait l’objet d’une communica
tion lors du colloque multidisciplinaire portant sur Les
Obstacles ontologiques dans les relations interculturelles
(Université Lavai, Faculté des sciences sociales, 7-10
octobre 1996). J’ai aussi soumis cette communication
dans le cadre des midi-causeries du CÉLAT
(Université Laval, 4 décembre 1996) où j’étais stagiaire
postdoctoral. Suite à ces présentations, j’ai ajouté
l’analyse des sculptures des séries Contes de la pleine
lune (1993), Vita sexualis (1993-1995) et celle de la
sculpture Anatotnia Ursus (1994), que Michel Saulnier
a réalisées au Japon. Le 24 mai 1997, j’ai également
présenté une partie de cette analyse au Centre d’art de
Baie Saint-Paul dans le cadre de l’exposition Effet
d’utilitaire: Rencontre Est/Ouest, organisée par Michel
Saulnier. Je tiens à remercier Eric Schwimmer (anthro
pologue et professeur à l’Université Laval) pour l’in
térêt qu’il a témoigné envers cette analyse et aussi
pour ses conseils avisés et généreux qui m’ont forte
ment stimulé. Je veux également remercier l’artiste
...
Michel Saulnier pour sa très grande disponibilité et
pour ses encouragements.
Michel Serres, Le Tiers-Instruit, Éd. F. Bourin, Paris,
Gallimard, 1991, p. 226.
Sur l’utilisation sémantique du mot postmoderne, je
renvoie le lecteur aux propos de Guy Scarpetta aux
quels je me rallie. Je le cite: “Un mot, que j’ai utilisé,
et que nous ne cessons de rencontrer, semble con
denser l’actuelle confusion: le mot “postmoderne”. Si
ce terme ne servait qu’à désigner une façon de s’ar
racher aux illusions “darwiniennes” de la modernité
(ou de l’avant-garde), il n’y aurait aucun inconvénient
à s’en servir; le fait que ce mot ne définisse pas une
école (une communauté de principes esthétiques ou
stylistiques) n’a rien, non plus, de très gênant: ce serait
plutôt le signe que l’époque des mouvements “à mani
et
festes” (futurisme, surréalisme) est bien close
j’aurais plutôt tendance, du coup, à perceooir le flou même
de cette notion comme une garantie, l’indice d’une absence
de contrainte (je souligne). (...) Faut-il pour autant
abandonner ce mot, dévalué avant même d’avoir été
défini, clarifié? J’imagine plutôt qu’il faudrait le traiter
autrement: ni comme le sigle d’un mouvement (qui
n’existe pas), ni comme la désignation d’un état d’es
prit (trop flottant, trop contradictoire), mais simple
ment comme le symptôme d’une crise, d’une fin
d’époque. II ne s’agirait pas, dans cette perspective,
d’adhérer au terme, mais de s’en servir légèrement, à dis
tance, presque allusivement (je souligne)”; Guy Scarpet
ta, L’Impureté, Paris, Grasset, 1985, p. 17-18.
Comme l’explique Scarpetta: “C..) la période qui s’ou
vre me semble en partie caractérisée par la fin du
mythe (“moderne”) de la spécificité ou de la pureté
phase de confrontation, au contraire, de
des arts
métissages, de bâtardises, d’interrogations récipro
ques, avec des zones de contact ou de défi (...), des
heurts, des contaminations, des rapts, des transferts.
Ce serait une esthétique de l’interaction des arts qu’il
conviendrait d’élaborer”; Guy Scarpetta, Ibid., p. 20.
J’emprunte à Guy Scarpetta les notions de majeur et de
mineur, ainsi que le sens qu’il leur accorde: “C..) notre
culture quotidienne est fondamentalement hétérogène:
le majeur et le mineur s’y mêlent, s’y court-circuitent
s’y enchevêtrent, s’y confrontent, quasi inextricable
ment. Ou, si l’on veut, le majeur et le mineur ne sont
pas deux cultures sociologiquement distinctes,
séparées par une ligne de démarcation infranchissable,
mais, dans notre vie culturelle de chaque instant, deux
registres, sans cesse coprésents, avec toutes les moda
4.
—
5.
Poïétique de la sculpture actuelle
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
lités possible de cette coprésence, de l’antagonisme à
la continuité”; Guy Scarpetta, Ibid., p. 76.
Étienne Souriau, “Qu’est-ce que l’art ?“, dans La
26.
bear” lancée par le président américain Theodore
“Teddy” Roosevelt: “En 1952, dit-il, la Couronne bri
Correspondance des arts, éléments d’esthétique comparée,
Psris, Flammarion, 1966, p. 45.
René Passeron, “La poïétique”, dans Raymond Bellour
(et al.), Recherches poiétiques, t. 1, Paris, Éd. Klincksieck,
1975, p. 14. Voir aussi son article “Poïétique et nature”,
dans lequel il reprend les idées de Souriau sur l’art
comme “activité instauratrice”, dans René Passeron,
Recherches poiétiques, t. 2, Paris, Éd. Klincksieck, 1976,
tannique a fait abattre 3000 ours noirs (des baribals),
afin de renouveler les bonnets à poils des Horse Guards
à l’occasion du couronnement d’Elizabeth II. À la
même époque, il n’y a plus un seul petit Anglais,
Français ou Américain qui ne se couche sans son
“nounours”, son “leddy bear”. C’est Theodore “Ted”
Rooseveît, le président américain, qui, en adoptant un
ourson au début du siècle, a lancé cette mode des ours
P. 9-31.
René Passeron, “La poïétique”, lac. cit., p. 21.
Ibid., p. 13.
Ibid., p. 16.
Ibidem.
René Passeron, “Poïétique et nature”, lac, cil.
Ibid., p. 11.
Ibid., p. 10.
Ibid.,p.21.
Ibid., p. 17.
Ibid., p. 20.
Michel Serres, Le Tiers-Instruit, op. cil., P. 28.
Michel Saulnier, Poi’élique de la sculpture sur bois,
mémoire de maîtrise, département d’histoire de
l’art, Université de Montréal, 1987.
Michel Saulnier, Poiélique de la sculpture sur bois, op. cil.,
en peluche. Depuis, ils font partie intégrante du folklo
re de l’enfance”; Pierre Delannoy, “Cet infatigable
jouisseur effectue année après année le même circuit
27.
28.
29.
30.
31.
32.
33.
34.
P. 8.
“Faire de l’art signifie désormais, dit Achille Bonito
Oliva, avoir tout sur la table dans une contempo
ranéité tournante et synchronique réussissant à
couler dans le creuset de l’art, des images privées et
des images mythiques, des signes personnels, liés à
l’histoire universelle et, des signes publics, liés à l’his
toire de l’art et de la culture. Un tel transit signifie
également ne pas mythifier son propre je, mais l’insé
rer au contraire dans une route de collision avec d’au
tres possibilités expressives, en acceptant ainsi la pos
sibilité de mettre la subjectivité au croisement de tant
d’emboîtements”; Achille Bonito-Oliva, La transaoanl
22.
23.
24.
25.
garde italienne, Milano, Éd. Giancarlo Politi, 1980, p. 92.
Michel Saulnier, Poi’élique de la sculpture sur bois, op. cil.,
p. 39.
Ibid., P. 19.
Micheî Saulnier, dans Nathalie Caron, “Chimères et
chromosomes, les hybrides sans nom de Michel
Saulnier”, Espace, 36, été 1996, P.
Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des
symboles, Paris, Robert Laffont/Jupiter, 1982, p. 717.
Dans un reportage récent de la revue Paris Match,
Pierre Delannoy explique ainsi l’origine du “teddy
35.
gourmand”, Paris Match, 19 décembre 1996, P. 80.
Michel Saulnier, Poïétique de la sculpture sur bois,
op. cil., p. 50.
Ibid., p. 27.
Ibid., p. 52.
Ibid., p. 8-9.
Ibid., p. 47-48.
Ibid., p. 25.
Ibidem.
Pour une analyse de la spécificité de l’art minimal et
de son développement, je renvoie le lecteur à l’article
de Barbara Rose, intitulé “ABC ART”, reproduit dans
Claude Gintz, Regards sur l’art américain des années
soixante, Paris, Galerie Durand-Dessert, 1979, p. 73-83.
Je rappelle ici, très sommairement, les caractéristiques
fondamentales de l’art minimal, c’est-à-dire le recours
constant aux formes géométriques simples et surtout
le cube; l’impersonnalité et l’inexpressivité de la forme
comme du matériau; la répétition de la forme dans
l’espace; la production d’oeuvres en séries; la réflexion
sur les possibilités d’exploitation de l’espace. Bref,
pour l’essentiel, l’art minimal procède à la mise en
scène d’un art objectif, froid, sans autre contenu que
celui de l’exposition de formes neutres, en relation
dans et avec l’espace qui les contient.
“La couleur est inséparable de notre matériau (...). Ici,
le noir s’associera au bois, pénétrera par endroit (sans
cacher l’assemblage et nos traces de fabrication) ou
recouvrira ailleurs afin de mimer la densité de la four
rure de l’animal. Le noir (les noirs, puisqu’il s’agira
d’une polychromie nuancée) donnera à nos figures
une impresssion d’intemporalité. Le noir est associé au
rêve, à la nuit. La semi-obscurité ajoutera à ce scé
nario. Les ombres viendront lier davantage nos sculp
...
1 27
Frontières, tensions et signification
36.
37.
38.
39.
40.
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42.
43.
44.
45.
46.
tures avec l’espace”; Michel Saulnier, Poiétique de la
sculpture sur bois, op. cit., p. 26.
Ibid., p. 23.
“Ces sculptures ironiques, cette critique de l’histoire,
des citations (un projet minimaliste pour bébé!) se
retournent en un travail sur le temps: temps de la
fabrication, de l’enfance, du rêve...”; Ibid., p. 51.
Michel Saulnier, Exposition Prends-moi la nuit,
Galerie Charles & Martin Gauthier, 2 avril-3 mai 1992,
Québec.
Pour permettre au lecteur de visualiser mentalement
les jeux d’échelle prévalant entre ces deux types d’ob
jets artistiques, j’indique ici leur format respectif: les
sept tableaux-objets mesurent 41 x 41 cm, les deux
sculptures au sol ont des formats distincts: Alpha
mesure 102 cm (diamètre) x 71 cm (hauteur) et Bêta
115 cm (diamètre) x 84 cm (hauteur). Voir le Catalogue
Michel Saulnier, Québec, Galerie Charles & Martin
Gauthier, 1994.
Comme l’explique Paul Ricœur: “On s’efforce de mon
trer que le jeu de la ressemblance n’est pas moins
requis dans une théorie de la tension. C’est au travail
de la ressemblance que doit, en effet, être rapportée
l’innovation sémantique par laquelle une “proximité”
inédite entre deux idées est aperçue en dépit de leur
“distance” logique. “Bien métaphoriser, disait
Aristote, c’est apercevoir le semblable.” Ainsi, la
ressemblance doit être elle-même comprise comme
une tension entre l’identité et la différence dans
l’opération prédicative mise en mouvement par
l’innovation sémantique”; Paul Ricoeur, La métaphore
vive, Paris, Seuil, 1975, p. 10.
Michel Saulnier, Poiétique de la sculpture sur bois,
op. cit., p. 49.
Michel Saulnier, “Dessous de sculptures”, dans
dossier Sculpture et érotisme, Espace, 23, printemps
1993, p. 22-23.
Michel Serres, Le Tiers-Instruit, op. cit., P. 145.
Sigmund Freud, cité par Pierre Kaufmann,
“Psychanalyse”, dans Encyclopaedia Universalis, t. 15,
1984, p. 335.
Michel Saulnier, “Dessous de sculptures”, op. cit., P. 23.
Ibidem. J’ajoute à ces propos de Saulrder, cet extrait du
livre de Freud, Un souvenir d’enfance de Léonard de
Vinci, dans lequel le psychanalyste explique la fonc
tion de sublimation associée à la pulsion sexuelle, face
à son pouvoir de déplacement, de détournement et de
transformation de l’énergie sexueile en énergie créa:
trice: “L’observation de la vie quotidienne des
...
hommes, dit Freud, nous montre que la plupart
d’entre eux réussissent à détourner des parties très
considérables de leurs forces pulsionnelles sexuelles
vers leur activité professionnelle. La pulsion sexuelle
est tout particulièrement propre à fournir de telles
contributions puisqu’elle est douée de la capacité de
sublimation, c’est-à-dire est en état d’échanger son but
immédiat contre d’autres, non sexuels, éventuellement
placés haut sur l’échelle des valeurs”; Sigmund Freud,
Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Paris,
Gallimard, 1991, p. 93.
47. Michel Saulnier, “Anatomia Ursus et autres contes de
bois”, Catalogue Michel Saulnier, op. cit., p. 4.
48. En entrevue, l’artiste m’a mentionné avoir été inspiré,
au cours du processus d’investigation de la série des
Ursidés, par la consultation des planches icono
graphiques de L’Encyclopédie de Diderot et
d’Alembert, comme il le mentionne dans le catalogue
cité à la note précédente: “Pensons également à la
célèbre Encyclopédie de Diderot et d’Alembert: l’extra
vagance avec laquelle sont dessinés les mammifères et
les oiseaux fascine. En créant l’Encyclopédie, Diderot
réinvente d’une certaine manière la nature. La “leçon
d’anatomie” de ce projet s’inscrit dans une relation à
l’histoire. L’histoire comme façon de présenter sa
vision du monde”; Ibid., P. 4-5. Je terminerai cette note
par une question: l’encyclopédie ne figure-t-elle pas
un symbole du savoir? Dans ce cas, son usage, par
l’artiste, ne peut-il pas également évoquer et/ou com
muniquer un rapport symbolique à la “pulsion d’in
vestigation”, dont parle Freud dans le texte cité plus
haut?
49. “Aux cinq sens: le goût, l’odorat, l’ouïe, le toucher, il
faudrait en ajouter d’autres, également vitaux, mais
dont les organes sont bien cachés: le sens de la verti
cale, du champ magnétique, de la température, de la
pression Il faudrait aussi évoquer le sens de la
localisation spatiale, basés sur la réverbération d’un
signal acoustique (...) ou la modification d’un champ
électrique (J; dans Jacques Ninio, L’empreinte des
sens, Paris, Éd. Odile Jacob, 1989, p. 36.
50. Voir illustration, “Anatomia Ursus et autres contes de
bois”, dans Catalogue Michel Saulnier, op. cit., p. 4.
51. Michel Serres, Le Tiers-Instruit, op. cit., P. 23.
52. Michel Saulnier, “Anatomia Ursus et autres contes de
bois”, Catalogue Michel Saulnier, op. cit., p. 5.
53. Daisy Lion-Goldschmidt précise que: “L’emploi du
laque est une invention proprement chinoise. Le laque
est la sève du Rhus verniciflua, arbre originaire de
...
Poïétique de la sculpture actuelle
impassible, froid comme “un oignon qui vient d’être
lavé” (Basho); les deux aides sont en noir, une étoffe
cache leur visage; l’un, ganté mais le pouce décou
vert, tient un grand ciseau à ficelles dont il meut le
bras et la main gauches de la poupée; l’autre rampant,
soutient le corps, assure la marche. Ces hommes
évoluent le long d’une fosse peu profonde, qui laisse
leur corps apparent. Le décor est derrière eux, comme
au théâtre. Sur le côté, une estrade reçoit les musiciens
et les récitants; leur rôle est d’exprimer le texte
(comme on presse un fruit); ce texte est mi-parlé, michanté; ponctué à grands coups de plectre par les
joueurs de shamisen, il est à la fois mesuré et jeté, avec
violence et artifice. Suants et immobiles, les porte-voix
sont assis derrière de petits lutrins où est posée la
grande écriture qu’ils vocalisent et dont on aperçoit de
loin les caractères verticaux lorsqu’ils tournent une
page de leur livret; un triangle de toile raide, attaché à
leurs épaules comme un cerf-volant, encadre leur face,
en proie, elle, à toutes les affres de la voix”; Roland
Barthes, L’empire des signes, Paris, Éd. Skira, 1970,
Chine qui sera transplanté en Corée, au Japon, en
Annam”; Daisy Lion-Coldschmidt, “Laque (art du )“,
Encyclopaedia Universalis, t. 13, 1995, p. 478. D’autre
part, Chantai Kozyreff rappelle que c’est pendant la
période Edo dans i’art populaire japonais que “le tra
vail du laque prit un essor particulièrement brillant
dans le nord du pays. La vaisselle populaire, dit-elle,
se signalait par sa couleur noire soit uniforme, soit
alliée au rouge. De très beaux effets se produisaient
ainsi d’eux-mêmes dans le style negoro quand, sous la
couche de finition, le fond noir réapparaissait par
tiellement à l’usure. Refusant les procédés décoratifs
classiques, mais longs et onéreux du maki-e, les laques
populaires s’ornaient généralement d’un motif à la
peinture au laque (e-urushi). La gamme chromatique,
poursuit-elle, se réduisait au noir, au rouge, au jaune,
au vert et au brun, les seules couleurs tolérées par le
laque en raison de sa polymérisation spontanée; mais
elle pouvait s’élargir avec l’emploi de couleurs à la
litharge (mitsuda-e); Chantal Lozyreff, “Japon: Arts
populaires”, Encyclopaedia Universalis, t. 12, 1995,
54.
55.
56.
p. 1003.
Michel Saulnier, “Anatomia Ursus et autres contes de
bois”, Catalogue Michel Saulnier, op. cit., p. 5.
Yasuaki Kawanabe explique que Matsuo Munefusa,
surnommé Bashô, fût, au 17’ siècle, le grand maître et
le principal rénovateur du haiku, dont les caractères
marquants de cette forme poétique sont la brièveté, la
simplicité et l’impression aiguè transmise au lecteur
par les images qui y sont décrites, lesquelles combi
nent dans la plus grande hétérogénéité, des éléments
“invariants” puisés dans la culture poétique tradition
nelle et des éléments “Suants” qui témoignent des
sentiments et des pensées qui surgissent dans la vie
quotidienne de chacun. Selon Kawanabe, le renou
vellement du haiku, par Basho, réside dans le fait que
ce dernier “voulait que ces deux éléments contraires se
rencontrent, interagissent et cohabitent, dans la nou
velle poésie de Haïku”. Je renvoie le lecteur au texte
de Yasuaki Kawanabe, “Le milieu créateur, poésie et
poétique du Haïku”, Recherches Poïétiques, 4, Presses
Universitaires de Valenciennes, 1996, p. 43-49.
Les poupées du Bunraku, explique Barthes, ont de un à
deux mètres de hauteun Ce sont de petits hommes ou
57.
58.
p. 63-66.
Michel Serres, Le Tiers-Instruit, op. cit., p. 162.
Michel Saulnier, dans Nathalie Caron, “Chimères et
chromosomes, les hybrides sans nom de Michel
Saulnier”, loc. cit.
de petites femmes, aux membres, aux mains et à la
bouche mobiles; chaque poupée est mue par trois
hommes visibles, qui l’entourent, la soutiennent, l’ac
compagnent: le maître tient le haut de la poupée et
son bras droit il a le visage découvert, lisse, clair,
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