Qualité de vie en Ehpad (volet 3)

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Qualité de vie en Ehpad (volet 3)
ELEMENTS DE CONTEXTE
Recommandation de bonnes pratiques
professionnelles
Qualité de vie en Ehpad (volet 3)
La vie sociale des résidents en Ehpad
Sommaire
Contexte général.............................................................................. 3
I. Les impacts du vieillissement des rôles sociaux.......................10
A. B. Eléments de contexte La modification des liens familiaux 1. 2. 3. 4. C. La problématique « logistique » : l’aménagement de l’espace.............................. 11 Une redéfinition des places et du rôle social au sein de la famille ........................ 12 Résident / entourage / établissement : un triptyque complexe ............................ 14 Référent familial, personne de confiance et représentant légal : des relations sociales particulières pour les résidents................................................................. 15 Les autres rôles sociaux des résidents : citoyen, voisin, ami, client 1. 2. 10 11
17 Sortir physiquement de l’EHPAD............................................................................ 17 Les résidents en EHPAD, des citoyens de seconde zone ? ..................................... 18 II. L’ EHPAD, lieu de vie collectif, lieu de vie social ................... 20
A. L’animation en EHPAD 1. 2. 3. 4. B. L’EHPAD, lieu de vie collective 1. 2. 3. 4. C. 20 Les différents rôles de l’animation ......................................................................... 22 la place et la posture de l’animateur au sein de l’EHPAD ...................................... 23 L’animation : du programme d’activités au projet d’animation ............................ 25 Les limites de l’animation....................................................................................... 26 27 Prise en charge des temps « sans activités » ......................................................... 27 L’EHPAD la nuit ....................................................................................................... 28 Accueillir des bénévoles ......................................................................................... 29 Les animaux en EHPAD ........................................................................................... 30 La participation des résidents à la vie de l’établissement 32 1. Le Conseil de la Vie Sociale : organe central de la participation des usagers à la vie sociale des établissements ............................................................................................... 32 a) Histoire et contexte......................................................................................... 32 b) Des difficultés dans la mise en place et le fonctionnement ........................... 33 2. D’autres lieux d’expression dans les EHPAD .......................................................... 34 III. La médiation et le rôle de l’EHPAD et de ses professionnels 35
A. Eléments de contexte 1. 2. 3. B. C. D. La vision des résidents du point de vue des personnels et de l’établissement ..... 36 La « demande » des résidents envers les professionnels ...................................... 37 Les contraintes des personnels .............................................................................. 38 Les professionnels 1. 2. 3. 35 39 Le personnel soignant ............................................................................................ 39 Le personnel aidant ................................................................................................ 40 Le psychologue : une place à part .......................................................................... 42 Projet d’établissement, projet de vie personnalisé et vie sociale L’interprofessionnalité et la vie sociale 43 43 Conclusion...................................................................................... 45
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 2/45 Contexte général
Les résidents en EHPAD ont en commun un âge avancé et de multiples pathologies ayant entrainé leur accueil dans une structure spécialisée. Plus ou moins préparée et volontaire, l’entrée en EHPAD marque pour la grande majorité des résidents une dernière modification de vie1. Par leur catégorie socioprofessionnelle, leur passé socioculturel, leur métier, leur expérience de vie, les résidents forment une population hétérogène. Ces différences se ressentent au moment d’aborder la question de la vie sociale. Chacun arrive en EHPAD avec un passé distinct. Certains ont eu et ont toujours une vie sociale riche et diverse (famille proche et nombreuse, engagements associatifs ou politiques), d’autres ont moins d’expériences de vie en société, voire sont accueillis alors qu’ils sont marginalisés depuis des années. Les EHPAD ont toujours mauvaise presse. 49 % des français ont une « mauvaise image » des maisons de retraite2. Paradoxalement, une enquête de la DREES nous apprend que 86 % des personnes âgées vivant en EHPA vivent « plutôt bien » ou « bien » au sein de son établissement3. Si les images négatives sont persistantes, la prise en compte de la vie sociale des résidents a évolué depuis quelques décennies4. La plupart des maisons de retraite propose systématiquement des animations et des lieux de rencontre entre résidents. Cette question est aujourd’hui intégrée dans les projets d’établissement de la très grande majorité des EHPAD, voire en est un élément central pour certains. Les différentes normes et procédures édictées pour l’accueil et l’hébergement, le changement des mentalités, les impacts de la loi du 2 janvier 2002 et la considération des résidents comme des citoyens avec des droits ont fait disparaitre des types de résidence considérées jusqu’aux années 70 et 80 comme des « mouroirs » ou des « institutions totales » décrites par Erving Goffman. L’accueil est si ce n’est standardisé, au moins comportant un minimum commun : logement propre et spacieux, chambre individuelle5, nourriture équilibrée, prise en charge médicalisée. Néanmoins, la question de la vie sociale va au‐delà de la question des standards et normes médicales et hygiéniques : « à la différence des normes qui sont unilatérales, le projet de vie ne se décrète pas : il s’inscrit dans une dialectique entre l’individuel et le collectif, qui suppose une négociation permanente entre toutes les parties prenantes de l’établissement »6. Elle est plus difficilement 1
Pour 60% des résidents en EHPAD, l’établissement sera leur dernier lieu de vie. Sondage TNS Sofres réalisé pour la FNF, 2007. 3
DREES. La vie en EHPAD du point de vue des résidents et de leurs proches. Dossiers solidarité et santé, 2011, n°18, 75 p. Néanmoins, si cette étude a été menée auprès d’un large public, elle n’a concerné que 55 % des résidents des EHPA qualifiés de « pouvant répondre à l’enquête » (selon la grille AGGIR) et étant présents depuis plus de 6 mois. L’avis de 45 % des résidents (les plus dépendants) n’a ainsi pas été pris en compte. 4
Pour compléter cette distorsion entre une vision très négative des maisons de retraite et une réalité beaucoup plus nuancée, la propension de certains médias à relayer les scandales et les cas graves de maltraitance, bien réels mais extrêmement minoritaires a des effets extrêmement négatifs pour améliorer la bientraitance dans les établissements. En effet, en parlant de situations extrêmes, certains incidents ou petites maltraitances quotidiennes peuvent être minorées et banalisés par les résidents eux‐mêmes au regard d’une vision sombre des maisons de retraite. 5
La grande majorité des EHPAD proposent des chambres individuelles et quelques chambres doubles. Si celles‐ci ont tendance à disparaître à l’occasion des opérations de réfection des anciens EHPAD, certains résidents, en couple ou seuls, préfèrent une chambre double à une chambre individuelle. 6
ARGOUD D., Du projet de vie au projet d’établissement, Gérontologie et société, no 96, mars 2001, p. 133 2
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 3/45 normative car elle touche à l’humain dans ses interactions avec les autres, dans sa communication et ses relations humaines. Un premier travail indispensable : définir la « vie sociale » Avant tout travail sur un sujet, il s’agit d’en poser une définition partagée. De manière générale et synthétique, la « vie sociale » est l'ensemble des relations que la vie en société nous amène à avoir avec les autres. Elles peuvent être : - obligatoires : les relations avec les collègues de travail, les commerçants, les démarches administratives diverses, médicales... - Semi‐choisie : sa famille - Ou choisie librement : les amis, les activités associatives ou politiques, les loisirs… Les rôles sociaux Notion connexe à la vie sociale et au cœur de la problématique se trouvent les « rôles sociaux ». Selon Richard Vercauteren, « l’être humain se définit par plusieurs composantes et, sur le plan social, par les rôles qu’il a, ceux qu’on lui attribue ou qu’il prend à l’égard des siens ou de la société. C’est la définition des « rôles sociaux ». Tout au long de la vie, ces rôles évoluent et se transforment »7 Le rôle représente la manière dont une personne doit se comporter et ainsi pouvoir être intégré au sein de son milieu social8. Selon le sociologue Telcott Parsons, qui introduit des variables dans la définition des rôles sociaux, ceux‐ci peuvent être : - Spécifiques et universaliste, s’adressant à tous les acteurs de la même façon (employé, client…) ou diffus et particulariste (parent, voisin…) - affectivement neutres (monde du travail) ou engagés (amitiés…) La vie sociale au sein des EHPAD, une « vie sociale » particulière Aborder la question de la vie sociale des résidents en EHPAD s’inscrit dans un triple contexte 1. le vieillissement des rôles sociaux La vie sociale en EHPAD s’inscrit dans un contexte de personnes en fin de vie qui ont déjà connu plusieurs modifications au cours de leur existence. Le passage à la retraite et l’arrêt du rôle social de travailleur, la fin d’un rythme de vie et de relations ponctué par les horaires de travail et les relations avec les collègues, a déjà apporté des modifications de vie, que Xavier Gaullier a détaillées dans son ouvrage « La deuxième carrière »9. Lorsque l’on aborde la question de la vie sociale des personnes âgées, il ne parait pas pertinent de catégoriser les différentes catégories de vieillesse par seuils chronologies, comme cela peut encore se faire avec des définitions de quatrième et cinquième âge, mais plus par « états » ou « statut fonctionnel »10. 7
VERCAUTEREN, R. Dictionnaire de la gérontologie sociale, érès, Toulouse, 2010, 280 p. p. 224 BOUDON R., BOURRICAUD F., Dictionnaire critique de la sociologie, Puf, Paris, 2004 (7ème édition), 714 p. Définition des rôles sociaux p. 505 à 510. 9
Gaullier, X., La deuxième carrière. Âges, emplois, retraites, Seuil, L’épreuve des faits, Paris, 1988 10
CARADEC, V. Sociologie de la vieillesse et du vieillissement. 2ème éd. Paris : Armand Colin, 2008. p 54 8
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 4/45 Le professeur Denys Pellerin11 a défini trois états après le départ à la retraite sans les distinguer en classes d’âge12 : le « jeune vieux », le « vieux » et le « vieux vieux »13. Le « jeune vieux » est l’objet de toutes les attentions, il est valorisé pour son dynamisme. Il voyage, fait du sport et du bénévolat, s’occupe de ses petits‐enfants et a une vie sociale riche. Il est devenu depuis deux décennies une cible de choix du marketing, recherché pour ses capacités financières et sa disponibilité à consommer. Avec l’arrivée de pathologies invalidantes ou de décès dans son entourage, « le vieux devient vieux »14. Il doit commencer à renoncer à une partie de ses activités. On parle de perte d’indépendance. Son activité sociale se réduit, ses sorties s’espacent. Il perd certains de ses amis, quelquefois son compagnon ou sa compagne. Ces pathologies et cet isolement, souvent couplés avec l’impossibilité de continuer à vivre seul à son domicile le mèneront vers ce que l’on a défini comme « dépendance » et le feront basculer du côté des « vieux vieux ». Ceux‐ci constituent la majeure partie des résidents vivant en EHPAD. L’entrée en EHPAD, « l’étrange voyage »15, est souvent le symbole de ce changement d’état. Il vient à nouveau bouleverser la vie sociale et est souvent synonyme de double perte : une perte des capacités physiques et d’une certaine vie sociale. Le déménagement et l’éloignement du domicile modifie les « liens sociaux quotidiens » : commerçants de proximité, voisins, éloignement de la famille et des amis, parfois arrêt forcé des activités extérieures permettant de tisser du lien social (engagements associatifs, politiques, loisirs…). De plus elle marque une rupture et révèle fréquemment un changement de la place au sein de la famille, parfois une inversion du rôle « parent / enfant », un ralentissement des activités et des relations, une perte d’envie. Cet ensemble de pertes est appelé « déprise » par certains sociologues16. Il est normal dans toute société que les rôles sociaux évoluent. Il s’agit de vieillissement normal des rôles sociaux lorsque ceux‐ci se transforment et qu’un rôle est remplacé par un autre : de salarié à retraité, de parent à grand‐parent. Les pertes sont compensées par l’investissement de nouveaux rôles (associatif, politique, familial). Il y a un vieillissement anormal quand la perte d’un rôle social n’est pas comblée, pour différentes raisons par de nouveaux rôles. Les raisons en sont, dans le cas des résidents en EHPAD, l’apparition de pathologies, la perte d’autonomie physique, les difficultés de communication ou la dépression. 2. Une découverte ou redécouverte de la vie en collectivité En entrant en EHPAD, les résidents redécouvrent ou découvrent après des années à vivre chez eux une vie en collectivité, passant de « chez soi » à « chez soi dans un chez nous ». 11
Président honoraire de l’Académie nationale de médecine http://www.asmp.fr/travaux/communications/2007/pellerin.htm 13
Ainsi, les personnes âgées ne sont plus catégorisées par classes d’âge, entre les troisième, quatrième et cinquième âges, mais par état, certains pouvant être considérés comme « vieux vieux » dès 60 ans. Ces définitions sont des traductions des mots américains « young old », « old old » et « oldest old », cf. les travaux de Bernice Neugarten ou du National Institute of Aging, repris par GUERIN, S., L'invention des seniors, Hachette Pluriel, 2007 14
Ibid. 15
LE DOUJET, D. Entrer en maison de retraite, gérontologie et société no 112, mars 2005 16
CARADEC, V. Sociologie de la vieillesse et du vieillissement. 2ème éd. Paris : Armand Colin, 2008. 12
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 5/45 Les EHPAD accueillent des personnes qui ont eu des expériences très diverses de vie collective. La plupart des hommes a pu connaitre le service militaire, mais ces expériences datent de plus de 60 ans. 40 % des résidents et 18 % des résidentes n’ont jamais vécu en couple17. La vie sociale en EHPAD est celle d’une microsociété dans laquelle s’entremêlent les relations : entre le résident et sa famille, le résident et le personnel, les résidents entre eux, entre la famille et l’établissement, les professionnels entre eux et les familles entre elles dans le cadre d’une vie semi‐
collective. Les résidents ont ainsi un domicile à eux dans un établissement pour tous. 3. Une grande diversité d’histoires et de vécus sociaux Les résidents des EHPAD sont également d’une grande diversité. Alors que les établissements, jusqu’aux années 70, accueillaient essentiellement une population socialement défavorisée, l’allongement de la durée de vie, les progrès médicaux et les modifications de la société ont apporté beaucoup plus de mixité dans les établissements. Les déterminants sociaux peuvent être nivelés par les pathologies. Certains résidents, notamment ceux atteints de déficiences psychiques, développent des handicaps et des difficultés de communication. Des modifications dans le comportement ou dans les attitudes sociales peuvent faire disparaitre les différences sociales ou culturelles aux yeux des professionnels et des autres résidents. Néanmoins, les établissements accueillent aujourd’hui une population beaucoup plus diverse, ce qui tend à donner une place plus importante, dans les relations entre résidents, aux situations sociales : « comme dans le reste de la société, c’est en partie sur l’appréciation de comportements socialement identifiables que se créent des affinités ou des inimitiés entre résidents, celles‐ci se traduisant, dans les relations interpersonnelles, par des rapprochements ou des évitements »18 A ce contexte général s’ajoute deux difficultés supplémentaires rendant le sujet de la vie sociale plus difficile à traiter au sein des EHPAD : 1. « Avoir sa tête et ses jambes »19 Les pathologies étant plurielles parmi les résidents en EHPAD, rares sont ceux qui sont en bonne santé. Néanmoins, une distinction se fait, de fait, entre résidents, entre ceux qui ont « encore leur tête », ceux qui ont « encore leurs jambes » et ceux qui ont perdu les deux. Les personnes valides peuvent acquérir une position importante parmi le groupe social des résidents, aidant d’autres résidents moins valides en poussant les fauteuils roulants ou en aidant le personnel dans certaines tâches, ce qui les valorise dans leur rôle social. De plus, ils ont des facilités pour sortir physiquement de l’établissement et continuer à développer une vie sociale de proximité. Enfin, à l’intérieur de leur logement, ils peuvent continuer à assurer un certain nombre de tâches quotidiennes comme le ménage ou le rangement. Une partie conséquente des résidents en EHPAD connaissent une perte d’autonomie intellectuelle 17
DREES. Les relations familiales et sociales des personnes âgées résidant en institution. Enquête et résultats, 1999, n°35. p. 2. 18
Fondation Maison des sciences de l’Homme. L’Ehpad : pour finir de vieillir. Ethnologie comparée de la vie quotidienne en institution gériatrique. Tome I. Étude réalisée pour le Centre d’analyse stratégique rattaché au Premier ministre. Paris : Centre d’analyse stratégique, Juin 2006. 255 p 19
Expression tirée de l’EHPAD, pour en finir de vieillir Ethnologie comparée de la vie quotidienne en institution gériatrique Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 6/45 (comme les maladies de type Alzheimer ou les maladies dégénératives) rendant plus complexe la question de la vie sociale (oublis, non‐reconnaissance des personnes, raisonnements paraissant incohérents, déambulations…). Des problématiques spécifiques et différentes se développent en fonction du degré de dépendance psychique et physique. Les patients atteints de la Maladie d’Alzheimer ou apparentée (MAA) ou de démence peuvent être déconsidérés par les autres résidents. L’expression de « repoussoir »20 est même employée dans la littérature. La mixité entre des résidents atteints de pathologies diverses peut ainsi apporter des difficultés dans le développement d’une vie sociale collective au sein de l’EHPAD. Au moment de l’entrée, les résidents « sont confrontés au défi de maintenir leur identité dans un environnement marqué par la présence de personnes très âgées qui sont physiquement ou mentalement déficientes »21. Vincent Caradec a appelé cela la « triple menace » : l’image de ce qu’ils craignent devenir, le risque d’être confondus avec elles et l’absence de respect des bases des interactions sociales. Cela provoque parfois des stratégies d’évitement ou de partition de l’espace collectif en fonction du degré de dépendance, agissant fortement sur la vie sociale interne. Un travail sociologique canadien22 a étudié la vision et la définition de la dépendance par les résidents de maisons de retraite eux‐mêmes. Il ressort que, pour les résidents, la perte d’autonomie est la perte des capacités cognitives et non les capacités physiques : « l’autonomie ne signifie pas pour eux l’indépendance fonctionnelle, mais bien l’absence de pertes au niveau cognitif. Etre autonome, c’est avoir toute sa tête, c’est‐à‐dire avoir la capacité de penser et de décider par et pour soi‐même, d’agir ou de ne pas agir »23. Cette vision et cette distinction que font les résidents renvoient à la problématique de la mixité des résidents, de l’éventuelle distinction des hébergements en fonction des pathologies, la « solution institutionnelle de la séparation »24, qui est un questionnement éthique pour les établissements25. Ainsi, dans certains établissements, aucune différence ne se fait entre résidents en fonction des différentes pathologies, par volonté de réunir ensemble l’ensemble des personnes accueillies, quelles que soient leurs déficiences. D’autres établissements font le choix de réunir dans les différentes unités de vie les résidents ayant des pathologies spécifiques (Maladies de type Alzheimer, Parkinson…), avec un accompagnement et une formation du personnel en fonction des pathologies. Si aucune approche n’est idéale, chacune a ses raisons, et surtout ne peut être mise en place sans réflexion éthique et discussion, tant avec l’équipe des professionnels qu’avec les familles et les résidents. 2. L’accueil de populations marginalisées Complexité supplémentaire rencontrée dans un nombre croissant d’établissements, arrivent dorénavant en EHPAD un nombre non négligeable de résidents issus de groupes sociaux cumulant 20
Expression tirée de L’EHPAD, pour en finir de vieillir, p. 57, également utilisée par le sociologue Gérard Rimbert. CARADEC, V. Sociologie de la vieillesse et du vieillissement. 2ème éd. Paris : Armand Colin, 2008. 127 p. p 112 22
CHARPENTIER, M., SOULIERES, M. Paroles de résidents, Ecole du travail social, Université du Quebec, Montréal, 2006, 103 p. 23
CHARPENTIER, M., SOULIERES, M. Paroles de résidents, Ecole du travail social, Université du Quebec, Montréal, 2006, 103 p. p. 67 24
DELIOT, C., CASAGRANDE, A. Vieillir en institution : Témoignages de professionnels, regards de philosophe. Montrouge : John Libbey Eurotext, 2006. 176 p., p 28 25
Au sujet du questionnement éthique, on peut s’appuyer sur la recommandation de l’ANESM, le questionnement éthique dans les établissements et services sociaux et médico‐sociaux 21
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 7/45 des pathologies liées à la vieillesse et une exclusion de par leur statut social ou leur handicap : - avec l’augmentation de l’espérance de vie des personnes handicapées, ceux‐ci sont de plus en plus nombreux à atteindre un âge où ils sont accueillis dans des établissements pour personnes âgées dépendantes et cumulent ainsi une double dépendance26 - issus de la première vague d’immigration après la seconde guerre mondiale, de nombreux travailleurs immigrés (notamment d’Afrique du Nord), arrivés au départ de manière provisoire pour participer à l’effort de reconstruction, sont aujourd’hui en âge d’être accueillis en EHPAD, et sont souvent paupérisés sans famille restée au pays27 - issus de la crise des années 70 et du fort développement du chômage en France, un nombre de plus en plus important de personnes appelées « marginaux » ou « sans domiciles fixes », exclus de la société depuis de nombreuses années et à la vie sociale peu classique sont aujourd’hui accueillis28 - certains patients d’hôpitaux psychiatriques, atteints de schizophrénie, troubles de la personnalité ou autres maladies mentales, peuvent, avec leur avancée en âge, être accueillis en EHPAD ce qui peut poser certains problèmes de cohabitation et de vie sociale au sein des établissements - les années 60 et 70 ont apporté en France des modifications de nos codes sexuels et les EHPAD commencent aujourd’hui (de manière encore limitée mais cela risque de changer d’ici quelques années) à accueillir des personnes issues de minorités sexuelles (homosexuels ou bisexuels)29 La question de « la vie sociale au sein des EHPAD » a été traitée dans de nombreux ouvrages et publications institutionnelles30. Inscrite dans le programme de travail de l’ANESM, la recommandation s’inscrit dans un double contexte : - de manière générale au sein du programme de travail de l’ANESM sur la « bientraitance » et l’organisation des établissements médico‐sociaux concernés par la loi du 2 janvier 2002 - de manière plus spécifique, cette recommandation s’inscrit au sein du programme de travail sur la qualité de vie en EHPAD dont elle constitue le troisième volet. 26
Cf notamment les actes de la journée d’étude organisée par le CREAI Bourgogne sur « l’avancée en âge des adultes handicapés en établissements sociaux et médico‐sociaux », http://www.creaibourgogne.org/04/archives/2010/je/1611/rapport.pdf 27
Cf « Enquête sur les immigrés vieillissants », réalisée en 2008 par le CNRPA, commanditée par la DGAS ou BARTKOWIAK N. l’accueil des immigrés vieillissants en institution, Presse de l’école des Hautes Etudes en Santé Publique, Paris, 2006, 125p. Selon ces études, il y aurait entre 40 000 et 54 000 immigrés en EHPAD mais dont les réalités de vie et d’intégration sont extrêmement différentes en fonction du pays d’origine et des liens familiaux. Les immigrés maghrébins vieillissants vivant en foyer (connus sous la dénomination de « chibanis ») ont fait l’objet de plusieurs campagnes de presse (notamment à l’initiative du GISTI) pour sensibiliser à ce problème. Ils représentent, selon Nadège Bartkoviak, 13% des immigrés âgés. 28
Souvent plus jeunes et moins dépendants que les autres résidents, et qui, de manière paradoxale, peuvent trouver une stabilité de vie et une sérénité en EHPAD – cf. MALLON, I. Entrer en maison de retraite : rupture ou tournant biographique? Gérontologie et société, 2007, n° 121, pp. 251‐ 264, p. 259 29
La question de la sexualité en EHPAD a pendant longtemps été une problématique taboue, même si ce sujet commence à être abordé. Néanmoins, aucune étude n’a été menée sur les minorités sexuelles en EHPAD, « la génération des personnes homosexuelles arrivant à l'âge de la retraite est la première qui a pu vivre, durant sa vie active, son homosexualité de façon ouverte et elle n'entend pas changer d'attitude en arrêtant de travailler. (…) Personne n'a pris en compte en France cette problématique retraite » selon Philippe Coupé, président de l’association L’autre Cercle (dépêche AFP) 30
On peut notamment citer le rapport de mission de Bernard Hervy à l’attention du Secrétaire d’Etat aux personnes âgées, HERVY, B. Propositions pour le développement de la vie sociale des personnes âgées. Rapport de mission. Rennes : Éditions ENSP, 2003. 159 p, ou la Recommandation de Bonnes pratiques de soins de la DGS et de la DGAS, Les bonnes pratiques de soins en EHPAD, abordant certaines questions de la vie sociale Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 8/45 Au croisement de plusieurs dimensions et recouvrant, pour certains aspects, des recommandations déjà publiées (« De l’accueil de la personne à son accompagnement », « Organisation du cadre de vie et de la vie quotidienne », « L’ouverture de l’établissement à et sur son environnement »…), le travail approfondi sur la vie sociale en EHPAD s’articule et complète les recommandations de l’ANESM sur la qualité de vie et l’accompagnement au sein des EHPAD. Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 9/45 I.
Les impacts du vieillissement des rôles sociaux
A. Eléments de contexte Les résidents en EHPAD vivent en grande majorité seuls : seuls 4% vivent en couple et 4% ont un conjoint à l’extérieur de l’établissement, soit 92% de résidents célibataires, séparés, divorcés ou veufs31. Néanmoins, les résidents ne sont pas « abandonnés ». Si l’on considère la famille comme unité élémentaire de la vie en société et premier facteur de lien social, les études démontrent que le nombre et la fréquence des visites familiales est la même lorsque la personne âgée vit en maison de retraite ou à domicile32. L’entrée en EHPAD ne cause donc pas un désintérêt des familles pour le résident. Selon l’enquête de la Drees sur le point de vue des résidents, 82% des résidents reçoivent la visite d’un proche (dont 5% n’ont aucun lien de parenté)33. Mais de nombreux résidents vivent cependant en EHPAD sans avoir de famille proche. Environ 20% de résidents n’ont pas ou plus de famille venant les visiter (contre seulement 5% des personnes âgées vivant à leur domicile34. Ces chiffres sont directement liés à l’appui pratique et quotidien pouvant être apporté aux personnes âgées à domicile, facilitant leur maintien dans leur maison, impossible pour des personnes âgées sans famille proche. Il y a ainsi une catégorie de résidents pour lesquelles la question de la vie familiale ne se pose pas, et dont les problématiques liées à la vie sociale sont plus complexes. Des associations de bénévoles35 peuvent combler ce manque de visites et de lien social en proposant un accompagnement individualisé. L’entrée en EHPAD, souvent lié à l’apparition de pathologies, modifie la place de la personne au sein de la famille et de la société. De père ou mère, accueillant ses enfants chez lui, là où les enfants ont parfois grandi, il change de rôle, perd son autonomie (physique et/ou psychique). On assiste ainsi à une redéfinition des rôles au sein de la famille. De plus, on ne peut ignorer le sentiment de culpabilité auquel on assiste chez certaines familles de résidents, qui après souvent plusieurs années à s’occuper de leur parent à domicile se retrouvent « contraints de placer » leur parent en EHPAD : « bien sur, nous, ses enfants, on se sent coupables, de l’avoir arrachée à sa maison où elle est née pour la mettre en maison de retraite. Moi, la maison de retraite, je voudrais pas y vivre… mais arrivé un moment, on n’avait plus le choix. »36 Le maintien des relations avec la famille s’inscrit dans une double problématique : celle pratique de l’accueil de la famille (lieux, repas, différents outils de communication comme le téléphone ou internet…), mais aussi celle plus complexe et plus psychologique de la modification des rôles au sein de la famille. Le désengagement et la déprise, la dépression liée à l’âge sont des réalités au croisement des questions médicales et sociales rencontrées par tous les EHPAD et qui peuvent s’expliquer en partie par le vieillissement des rôles sociaux. 31
DREES. Les relations familiales et sociales des personnes âgées résidant en institution. Enquête et résultats, 1999, n°35. A noter néanmoins que ces chiffres datent de 1999 et ont pu légèrement évoluer depuis. 32
PIN, S. Les solidarités familiales face au défi du vieillissement. Sève, 2005, pp. 43‐47. 33
DREES. La vie en EHPAD du point de vue des résidents et de leurs proches. Dossiers solidarité et santé, 2011, n°18, p.12 34
RENAUT S., réseau de parenté : le pivot du lien social, cité par PIN S., les solidarités familiales face au vieillissement. 35
Par exemple Les Petits Frères des Pauvres, dont les bénévoles suivent de manière individuelle les résidents n’ayant pas de famille 36
Mme M., fille de résidente en EHPAD, rencontrée pendant l’enquête qualitative
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 10/45 Si les familles se tiennent, de manière générale, plutôt au courant du fonctionnement de l’établissement et connaissent bien les activités faites par leur parent mais aussi leur état d’esprit37, la participation des familles reste diversement développée et soumise à certains aléas de distances, de disponibilité ou d’histoires familiales. La vie sociale des résidents se poursuit aussi en dehors des murs de l’établissement : sorties, vie cultuelle ou culturelle, vie quotidienne. Le manque de sortie « à l’extérieur » est (de loin) le premier sujet d’insatisfaction des résidents en EHPA38. De même que se modifie le rôle social de la personne âgée dans la structure familiale, elle perd aussi un nombre important de rôles sociaux acquis au cours de la vie : ami, voisin, client, citoyen, collègue... B. La modification des liens familiaux 1.
La problématique « logistique » : l’aménagement de l’espace Le résident provient souvent d’une maison familiale, parfois propriété depuis des dizaines d’années. Il vit maintenant en EHPAD, dans une chambre. Au niveau pratique, cette modification change les liens familiaux : « l’espace réduit segmente les relations »39 . La chambre est trop petite pour accueillir l’ensemble de la famille. Les enfants (dans son acception de jeune, qui sont pour les résidents les petits‐enfants ou arrière‐petits‐enfants), que l’on pouvait auparavant envoyer jouer dans le jardin ou dans une chambre, se retrouvent confinés, à l’intérieur, dans un petit espace, parfois partagé avec un autre résident. Les visites en présence des enfants s’en trouvent de fait écourtées, ceux‐ci pouvant être remuants ou bruyants. Le passage d’une maison ou d’un appartement, lieu familial avec plusieurs pièces, à une simple chambre comme espace de réception de la famille modifie les comportements. La chambre, dans la maison familiale, était l’espace personnel de la personne, presque privé, le lieu où se déroule l’intimité de la vie du couple. Si la chambre individuelle existe depuis le moyen‐âge dans les maisons bourgeoises, c’est au 19ème siècle qu’elle devient une réalité architecturale de toutes les familles françaises. Le « pavillon type », avec au rez‐de‐chaussée les pièces à vivre familiales et au premier étage les chambres, espaces intimes, se développe fortement au 20ème siècle (avec néanmoins des différences en fonction des régions françaises)40. En EHPAD, la chambre est tout à la fois un lieu de réception, le lieu où le résident dort et peut parfois être un lieu de soins. La façon de recevoir n’est également plus la même. Alors que, dans les relations familiales, on partage souvent des activités (jeux, s’occuper des enfants, promenades…), c’est autour de la discussion, seule activité partagée possible en maison de retraite, que se déroulent les rencontres : « les relations se réorganisent autour des discussions ; elles s’appuient moins sur le partage d’activités »41. Ainsi, dans les familles dans lesquelles les proches avaient développé, quelquefois de 37
DREES. La vie en EHPAD du point de vue des résidents et de leurs proches. Dossiers solidarité et santé, 2011, n°18, pp65‐
73. 38
31% des résidents qui sortent de temps en temps en dehors de l’établissement voudraient sortir davantage et 51% des résidents qui ne peuvent pas sortir ou ne sortent que dans le jardin voudraient pouvoir sortir à l’extérieur de la résidence DREES. La vie en EHPAD du point de vue des résidents et de leurs proches. Dossiers solidarité et santé, 2011, n°18, 75 p. p.47 39
MALLON, I. Les personnes âgées en maison de retraite : une redéfinition des espaces familiaux. Espaces et société, 2005, n° 120‐121, pp. 163‐ 178. 40
Cf DUBY G, ARIES P, Histoire de la vie privée, Seuil 41
MALLON, I. Les personnes âgées en maison de retraite : une redéfinition des espaces familiaux. Espaces et société, 2005, n° 120‐121, pp. 163‐ 178. Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 11/45 manière informelle et progressive, un rôle d’aidant familial, aidant la personne âgée dans les actes courants de la vie quotidienne, ces actes courants sont désormais effectués par les personnels de l’EHPAD. La plupart des EHPAD, notamment ceux construits ou rénovés récemment, disposent d’espaces collectifs pour la réception de la famille. Certains ont même des salles de jeu pour les enfants ou des jardins pouvant être utilisés comme lieux de promenade. En fonction des EHPAD, de leur architecture, de leur convivialité, ces espaces sont plus ou moins utilisés et appropriés par les résidents pour y accueillir leur famille. Cependant, ces espaces restent des espaces de vie collective, avec les difficultés que cela comporte : l’arrivée impromptue de résidents désorientés venant perturber les relations familiales, la mise à la vue de tous de la vie familiale pouvant entrainer bavardages ou jalousies… Or, le résident, en dehors de sa chambre, devient membre du cercle social de l’établissement, et en présence de sa famille, les deux cercles se croisent et se chevauchent42. Ainsi, sur la réappropriation des espaces de vie collective, « seuls sont réellement bienvenus et acceptés, tant par le personnel que par les résidents présents, ceux qui savent englober dans la sociabilité familiale la sociabilité institutionnelle de leur parent »43. Il apparait ainsi difficile de développer un espace stricto‐sensu familial dans un espace collectif. Même s’il est difficile de modifier l’architecture de bâtiments existants depuis plusieurs siècles parfois, il parait nécessaire, à l’occasion de travaux de rénovation ou de construction, d’appréhender la question d’une architecture répondant à ces besoins de distinction entre espaces privés et collectifs44. Enfin, de nouveaux outils, notamment multimédias (internet par exemple) sont parfois utilisés dans les maisons de retraite pour faciliter les liens entre les résidents et leurs familles ou pour communiquer sur les activités réalisées par les résidents. Cette évolution s’intègre dans celle de la société française puisque ce sont les personnes de plus de 65 ans qui connaissent la plus forte progression en terme d’utilisation de l’informatique et d’internet45. Certains EHPAD ont compris cette évolution, et proposent même des ordinateurs en libre accès ou animent des blogs de résidents. La demande, si elle reste encore faible, se développe de la part de résidents demandant une connexion internet dans leur chambre au moment de leur accueil. Des expériences de formation ou de découverte de l’informatique et d’internet à destination des résidents se multiplient, de même que la possibilité d’utiliser un wifi collectif ou la mise à disposition d’un réseau permettant l’accès à Internet dans les chambres. 2.
Une redéfinition des places et du rôle social au sein de la famille Si au cours de la vie, les rôles sociaux évoluent (père ou mère, puis grand‐père ou grand‐mère, salarié 42
Sur la question du chevauchement et du croisement des cercles sociaux d’appartenance, cf. SIMMEL, G. (1999). Sociologie, Étude sur les formes de la socialisation, Paris, PUF (Chapitre : Le croisement des cercles sociaux ‐ 1908, p 407 à 452) 43
MALLON, I. Les personnes âgées en maison de retraite : une redéfinition des espaces familiaux. Espaces et société, 2005, n° 120‐121, pp. 163‐ 178. 44
Au sujet de l’architecture, se reporter à la recommandation « qualité de vie en EHPAD : le cadre de vie et la vie quotidienne » 45
Au début des années 2000, les personnes âgées étaient extrêmement réfractaires à l’utilisation de l’informatique et d’internet. Cette situation s’est radicalement inversées depuis et plus de 62% des plus de 70 ans possèdent un ordinateur. Cf. http://www.globalaging.org/elderrights/world/2011/Internet%20Age.htm Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 12/45 produisant puis retraité), l’entrée en EHPAD modifie clairement les rôles sociaux au sein des familles. Du patriarche ou matriarche, « guide » de la famille, la personne âgée devient dépendante et prise en charge : « l’entrée en institution entérine une situation de renversement générationnel. Désormais, c’est l’enfant qui prend en charge le parent »46. Cette inversion du rôle parental s’opère fréquemment au moment du choix de l’établissement et de l’accueil au sein de celui‐ci. Cela advient de façon nette lorsque la personne âgée entre en établissement suite à un accident de vie (chute, maladie…). Hébergée au sein d’un hôpital, il est impossible pour elle de retourner à son domicile. Cette situation de handicap ou de maladie l’empêche de participer pleinement au choix de l’établissement et parfois même de le visiter avant l’entrée. La plupart des contacts préliminaires sont donc du fait de la famille. Il est important de noter la symbolique de l’entrée en EHPAD : « le moment de l’accueil en institution est bien souvent l’événement où est commise ouvertement, en présence d’un tiers, la transgression de l’autorité parentale. Nous pourrions, en extrapolant, rapprocher le moment de l’accueil en institution d’un rite initiatique où la personne du parent est destituée par l’enfant de sa position de sujet et de sa fonction d’autorité pour prendre la position de personne mineure, d’objet de placement »47. Réaliser un entretien avec le futur résident sans la présence des proches, avant l’arrivée en EHPAD, pour s’assurer de son libre choix, est une des recommandations préconisées par l’ANESM48. Cette symbolique est moins marquée lorsque le choix d’entrer en EHPAD est fait par la personne âgée elle‐même et que ce choix est réfléchi, voulu. Cependant, l’entrée d’un résident en EHPAD est rarement choisie mais s’impose très souvent d’elle‐même, la famille étant dans l’impossibilité de s’occuper de la personne âgée. Il peut ainsi apparaitre un double sentiment du côté de la famille, ambivalent, qui redéfinira les différents rôles sociaux au sein de la famille : - une culpabilité, car elle ne peut plus assumer un maintien à domicile pour des raisons pratiques. - un soulagement, car la prise en charge est enfin prise en compte par une institution et non plus, en très grande partie, par la famille, qui arrive parfois épuisée par plusieurs années de développement progressif de son rôle d’aidant. De nombreux parents perdent alors leur rôle d’aidant familial, acquis de manière plus ou moins officielle et volontaire avec l’avancement progressif de l’état de dépendance de leur parent : « L’aidant familial est la personne qui vient en aide, à titre non professionnel, en partie ou totalement, à une personne âgée dépendante ou une personne handicapée de son entourage, pour les activités de la vie quotidienne. »49. Appartenant fréquemment à la « génération pivot » (45 à 64 ans, avec une moyenne d’âge de 55 ans), encore en activité50, ces aidants sont « au carrefour de la relation affective induite par les liens familiaux et de la position aidante, au sens pratique, nécessitée par sa situation de dépendance »51. Cette perte du statut d’aidant modifie les relations au sein de la famille52. 46
DELIOT, C., CASAGRANDE, A. Vieillir en institution : Témoignages de professionnels, regards de philosophe. Montrouge : John Libbey Eurotext, 2006. 176 p. 47
DELIOT, C., CASAGRANDE, A. Vieillir en institution : Témoignages de professionnels, regards de philosophe. Montrouge : John Libbey Eurotext, 2006. 176 p., p 90. 48
Cf la recommandation de l’ANESM, qualité de vie en EHPAD, volet 1. 49
Ministère de la santé et des solidarités, le guide de l’aidant familial, 2007 50
Ou en activité réduite pour s’occuper du parent dépendant 51
SANISIDRO, M. La place des familles et des proches des résidents en EHPAD : à la recherche d’une intégration réussie. Mémoire : Directeur d’établissement sanitaire et public : Rennes : ENSP, 2008. 53 p, p. 19. 52
Sur la question des aidants, il est à noter que la plupart des aidants appartiennent à la génération du baby‐boom, génération ayant une relation différente au vieillissement par rapport à la génération précédente – cf. Vieilliront‐ils un jour ? Les baby‐boomers aidants face à leur vieillissement, Lien Social et Politique, no 62, automne 2009, p. 123 à 134 Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 13/45 De plus, les personnes âgées n’ont pas forcément conscience de la difficulté et de l’investissement des membres de leur entourage. Alors que 55% des proches des résidents disent que le motif d’entrée en EHPAD était parce qu’ils ne pouvaient plus aider leur parent, seul 12% des résidents citent ce motif. Cette appréciation différente des conséquences et de la difficulté de la prise en charge par les familles peut favoriser des ressentiments et sentiments d’abandon de la part des résidents envers leurs familles. Si la modification des rôles sociaux est réelle pour la plupart des résidents, elle l’est plus encore pour ceux subissant des handicaps psychiques, rendant plus difficile la reconnaissance des autres et entrainant une régression dans les rapports sociaux : la non‐reconnaissance par un parent de ses enfants ou ses petits‐enfants, les oublis fréquents, les mises sous tutelle ou curatelle sont des facteurs aggravants de la modification des rôles sociaux au sein de la famille. Les différentes évolutions sociétales des dernières décennies ont pu également apporter des modifications dans la constitution du noyau familial. Au sein des maisons de retraite, 9% des hommes et 4% des femmes se déclarent « divorcés ou séparés »53. Ces taux, s’ils restent faibles, n’en demeurent pas moins négligeables. Les taux de divorce et de remariage sont en constante augmentation depuis les années 1970. Le corolaire est une augmentation du nombre de familles recomposées. Le rôle de grands‐parents, voire arrière‐grands‐parents des résidents se modifie, avec l’arrivée d’enfants ou petits‐enfants issus de foyers recomposés. Il n’existe néanmoins pas (à notre connaissance) d’études statistiques ou sociologiques à ce sujet. Les relations familiales influent également sur la vie amoureuse des résidents en EHPAD54. Ainsi, « s’il existe un frein à l’épanouissement amoureux, et sexuel de la personne âgée, c’est bien son entourage proche et surtout ses descendants »55. Les mentalités changent. De nombreux EHPAD prennent en compte le droit des résidents à développer des relations amoureuses ou intimes et favorisent le respect de la vie privée. Le développement de nouvelles relations pose souvent problème au sein des structures familiales. Nombreux sont les enfants qui ont du mal à appréhender le fait qu’un de leur parent puisse vivre une autre histoire après le décès de l’autre parent. L’établissement, dans la prise en compte de ce sujet encore tabou, a un rôle important à jouer : dans l’encadrement du personnel, dans les questions éthiques posées et dans les relations aux familles56. 3.
Résident / entourage / établissement : un triptyque complexe Dans certains cas, notamment lorsque la personne âgée bénéficiait d’un soutien familial important dans les actes de la vie quotidienne, les relations familiales passent d’une relation binaire « famille / personne âgée » à une relation triangulaire « famille / établissement / personne âgée ». L’établissement prendra alors en charge pour certaines actions et activités la place et le rôle de la « L’idée que les baby‐boomers se font de la vieillesse relève d’une « éthique de soi qui serait fondée sur la responsabilité et l’autonomie. Ils seraient donc plus portés à refuser le principe d’une aide ou d’une tutelle familiale, en espérant échapper à l’état de dépendance grâce à des comportements préventifs et en bénéficiant du soutien de la société. » 53
A noter cependant que ces chiffres sont extraits de l’enquête DREES. Les relations familiales et sociales des personnes âgées résidant en institution. Enquête et résultats, 1999, n°35 ; cette enquête datant de 1999, les chiffres peuvent aujourd’hui être sensiblement différents 54
Concernant les relations amoureuses et sexuelles des résidents en EHPAD, voir la recommandation de l’ANESM « organisation du cadre de vie et de la vie quotidienne », qualité de vie en EHPAD volet 2. 55
LEFEBVRE‐BILLIEZ M, Agés et amoureux, Réforme no 3407, mars 2011, p. 10. 56
Cf. les recommandations de l’ANESM : « Organisation du cadre de vie et de la vie quotidienne » et « Le questionnement éthique dans les établissements et services sociaux et médico‐sociaux » Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 14/45 famille. De plus, à son domicile, le résident est aidé et ce sont les soignants et la famille qui sont en visite, chacun ayant son rôle. L’établissement, par sa prise en charge médicalisée, modifie cet état de fait. Cette relation tripartite est diverse et peut être très riche. Les EHPAD ont de belles histoires avec des familles impliquées, respectueuses et compréhensives du travail effectué par le personnel. Il est donc impossible de généraliser une situation unique. Néanmoins, cette relation triangulaire se construit au fur et à mesure de la vie au sein des EHPAD mais peut se développer sur la base de certaines ambigüités : - le facteur financier : le résident reste un client de l’EHPAD, celui‐ci étant payé, par le résident lui‐même ou par la famille parfois. Or, le coût est jugé prohibitif par la grande majorité des français : 96% des français disent trouver le coût des maisons de retraite « trop élevé »57. Cette notion de client et cette relation financière peuvent amener les familles à avoir une demande d’une prestation de service qui se doit d’être impeccable, comme elle le ferait pour un hôtel. - La mauvaise image des maisons de retraite dans la société, celles‐ci gardant l’image d’établissements peu accueillants. Cette crainte des familles trouve une concentration sur les questions de soin, d’hygiène, de gestion du linge, avec des familles qui focalisent sur ces points là, l’« objet substitutif du linge »58, au détriment du bien être et de la vie sociale des résidents. - une crainte de voir la personne âgée développer une vie sociale sans eux : pour certains résidents, la famille est depuis plusieurs années la principale source de lien social. En tissant des relations avec d’autres résidents, celui‐ci se reconstitue une autre vie sociale qui peut être appréhendée par la famille comme étant de substitution - un esprit de compétition ou tout du moins de comparaison entre la prise en charge au domicile de la personne âgée par la famille et celle au sein de l’institution. Enfin, autant le résident idéal n’existe pas, autant la famille idéale n’existe pas non plus. L’entrée en EHPAD ne résout pas, bien au contraire, les difficultés de communication ou de relations intrafamiliales : « bien souvent, les enfants n’ont rien à dire à leurs parents. Donc ils viennent, ils fouillent, ils s’intéressent au linge au lieu s’intéresser à eux »59. Et ce, d’autant plus qu’existe forcément le sentiment de savoir que la personne âgée risque de mourir prochainement, ce qui peut entrainer la sortie d’histoires enfouies depuis des années : « de vieux comptes cherchent à se régler parce que tout le monde, au fond, sait bien que la personne âgée est entrée dans sa dernière trajectoire de vie. Tout se passe comme si des choses cherchaient à se dire parce qu’il ne reste probablement peu d’occasions et de temps pour le faire »60. 4.
Référent familial, personne de confiance et représentant légal : des relations sociales particulières pour les résidents L’avancée en âge, l’arrivée de pathologies et la dépendance nécessitent un accompagnement de proximité, par des personnes proches, dont certains ont un statut strictement défini par la loi. Les résidents développent ainsi des relations plus étroites avec certaines personnes qui se doivent de 57
Sondage TNS SOFRES sur « les Français et le grand âge », commandité par la FHF, 2007 Expression tirée de DELIOT, C., CASAGRANDE, A. Vieillir en institution : Témoignages de professionnels, regards de philosophe. Montrouge : John Libbey Eurotext, 2006. 176 p. 59
DELIOT, C., CASAGRANDE, A. Vieillir en institution : Témoignages de professionnels, regards de philosophe. Montrouge : John Libbey Eurotext, 2006. 176 p. 60
BADEY‐RODRIGUEZ, C. Psychologue en maison de retraite, gérontologie et société, no 104, mars 2003, p. 69 58
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 15/45 bien les connaitre pour les aider dans leurs choix de vie dans différents contextes. Introduit par la loi du 4 mars 2002, la personne de confiance est une personne de l’entourage proche du résident dont la loi a défini une existence juridique formelle. Aucun résident n’est obligé de désigner une personne de confiance mais chacun peut le faire selon son libre choix, hormis les résidents sous tutelle : « Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle‐même serait hors d'état d'exprimer sa volonté et de recevoir l'information nécessaire à cette fin. Cette désignation est faite par écrit. Elle est révocable à tout moment. Si le malade le souhaite, la personne de confiance l'accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l'aider dans ses décisions. »61 Les EHPAD accueillant des résidents ayant de nombreuses pathologies, la personne de confiance peut être amenée à jouer un rôle important dans les choix à effectuer par le résident. Néanmoins, la plupart des sujets sur lesquels est consultée la personne de confiance concerne les soins à apporter. Le secret médical est levé pour la personne de confiance, qui peut ainsi échanger avec le médecin. Ce qui, en principe, n’est pas le cas avec la famille, même si dans de nombreux EHPAD, les médecins ou cadres de santé communiquent à la famille certaines informations médicales. Le tuteur ou curateur a également une existence juridique, puisque la loi du 5 mars 2007 (entrée en vigueur le 1er janvier 2009) a rénové le dispositif de tutelle et de curatelle vieux d’une quarantaine d’années62. Au sein des EHPAD, 28 % des résidents sont placés sous protection juridique. Ce régime spécifique sous‐tend des relations particulières avec une personne qui est nommée pour aider ou accompagner la vie des résidents. Les personnes assurant la protection juridique sont soit quelqu’un de la famille, soit, si la famille ne peut s’en charger, une personne ou un service extérieur. La loi du 5 mars 2007 renforce le rôle d’accompagnement de la personne sous tutelle, qui peut participer avec le résident à la construction de son projet personnalisé. Le représentant juridique a également la possibilité de se présenter au CVS en tant que représentant des familles. Lorsque le résident est isolé et n’a plus de famille, le tuteur peut devenir une des rares personnes de confiance de l’extérieur avec qui le résident a des contacts. Le référent familial, quant à lui, n’a pas d’existence juridique. Néanmoins, les établissements régis par une convention tripartite sont tenus de « désigner, le cas échéant, un référent familial et si possible même en cas de conflits internes familiaux.»63. Ainsi, le législateur n’a pas précisément défini le rôle, les taches et les missions de celui‐ci mais précise qu’il doit être nommé. Dans les faits, le référent familial est souvent la personne de contact pour les établissements en ce qui concerne les problèmes administratifs ou en cas de problème avec le résident. Certains résidents, les plus dépendants, peuvent avoir les trois. Qui, parfois, peuvent être les mêmes personnes ou être différentes. Mais de fait, ces personnes entrent dans la vie sociale des résidents avec une place particulière : ils doivent particulièrement bien les connaitre et être à leur écoute, ce qui leur permet de tisser des liens particuliers avec eux. 61
Article L1111‐6 du Code de santé publique. Concernant la tutelle et la curatelle, on peut se reporter à la loi ou au guide du tuteur ou curateur familial édité par la Caisse d’Epargne et l’UNAF. 63
Arrêté du 26 avril 1999 fixant le contenu du cahier des charges de la convention pluriannuelle 62
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 16/45 L’EHPAD doit néanmoins rester vigilent à de potentiels cas d’abus de pouvoir et systématiquement associer le résident à l’ensemble des décisions le concernant. Un récent rapport sur la maltraitance financière à l’égard des résidents en EHPAD64 démontre que si la maltraitance financière reste relativement faible pour les personnes âgées en institution, elle n’en reste pas moins une réalité. Les directeurs d’EHPAD ont donc un rôle à jouer pour identifier les éventuels problèmes de maltraitance financière et prendre en compte cet aspect dans le suivi des résidents. C. Les autres rôles sociaux des résidents : citoyen, voisin, ami, client 1.
Sortir physiquement de l’EHPAD En entrant en EHPAD, le résident perd son rôle de voisin, de client et ses relations sociales de proximité souvent développées depuis de nombreuses années. Par l’éloignement du domicile, il peut aussi être plus difficile de maintenir les relations amicales. Néanmoins, ces contacts de proximité ont déjà fréquemment fortement diminué de manière naturelle par l’avancée en âge. Le nombre de contacts hebdomadaires avec les voisins et les commerçants commence à décroitre à compter de 70 ans, par le double effet de l’arrivée de handicaps limitant les sorties et la mortalité des personnes avec qui la personne est en contact. De même, les liens amicaux sont fortement distendus également à compter de 70 ans65. L’avancée en âge recentre la personne âgée sur ses relations familiales. A noter néanmoins que le téléphone joue encore un rôle conséquent dans les relations amicales. Si la qualité des soins a une place importante au sein de l’EHPAD, ce ne sont ni la douleur, ni les pathologies qui sont la principale cause d’insatisfaction des résidents : la principale cause d’insatisfaction des résidents en EHPAD est le manque de sortie (38 % des résidents, contre moins de 10 % d’insatisfaction sur la question des horaires ou des soins)66. La personne âgée, en tant que titulaire de droits comme tous citoyens, devrait pouvoir aller et venir librement hors de l’EHPAD. Néanmoins, peu de résidents, en raison des différentes pathologies touchant les résidents, en sont encore capables : - soit les pathologies touchent la motricité de la personne, rendant difficile la marche de manière autonome et nécessitent un accompagnement pour sortir - soit les pathologies touchent les capacités psychiques de la personne, occasionnant des risques de perte ou de désorientation. Ainsi, certains établissements restreignent volontairement les sorties des résidents67 A contrario, près de 90% des établissements disent organiser des sorties et voyages. Philippe Crône a également présenté plusieurs exemples de sorties et voyages organisés en maisons de retraite68 dont 64
KOSKAS, A. DESJARDINS, V. MEDIONI, J.P. Rapport de la mission sur la maltraitance financière à l’égard des personnes âgées dans les établissements sanitaires, sociaux et médico‐sociaux, pour Jean‐Paul DELEVOYE, médiateur de la république, 2011. 65
BLANPAIN, N., PAN KE SHON, J.‐L. La sociabilité des personnes âgées. INSEE première, 1999, n° 644. Ces données sur la perte des amis proches ou intimes sont confirmées par l’étude PIN, S., GUILLEY, E., LALIVE D’EPINAY, C., et al. La dynamique de la vie familiale et amicale durant la grande vieillesse. Gérontologie et société, 2001, n° 98, pp. 85‐ 101. 66
DREES. La vie en EHPAD du point de vue des résidents et de leurs proches. Dossiers solidarité et santé, 2011, n°18, 75 p. 67
LHUILLIER, J.‐M. Le droit des usagers dans les établissements et services sociaux et médico‐sociaux. 3ème éd. Rennes : Éditions ENSP, 2007. 239 p.; à noter également une judiciarisation des problèmes et des poursuites judiciaires de familles de résidents étant sortis d’établissements et s’étant perdus, d’où une limitation volontaire des sorties (portes à codes, serrures…) par certains directeurs d’établissements par crainte de poursuites judiciaires 68
CRONE, P. L’animation des personnes âgées en institution. Issy‐les‐Moulineaux : Masson, 2004. 119 p. Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 17/45 les bénéfices humains et en terme de renforcement de vie sociale ont pu être conséquents. Il s’agit surtout de différencier deux types de sorties. Les sorties organisées, qui sont le plus souvent culturelles ou touristiques (théâtre, cinéma, visites de monuments) sont proposées par l’EHPAD. Une logistique est nécessaire mais peut être prise en charge par le service animation. L’EHPAD doit également, pour ces sorties, souvent réorganiser ses équipes pour remplacer les aides‐soignants qui accompagnent les résidents en sortie. La fréquence de ces sorties est diverse en fonction des EHPAD Les sorties quotidiennes (magasins, boulangerie) sont indispensables à une vie sociale de proximité souvent perdue par les résidents en EHPAD. Néanmoins, de nombreux résidents ont besoin d’aides. Ces sorties sont plus difficiles à organiser pour les établissements, notamment en raison du manque de personnel. Un des rôles sociaux également perdu par le résident au moment de son entrée est celui de client. La prestation de l’EHPAD incluant en principe tous les services, le résident ne manie plus d’argent. Le coût mensuel est payé en partie par la sécurité sociale et l’APA, le solde étant viré directement depuis son compte en banque. De plus, un certain nombre de résidents, parmi les plus dépendants, sont sous le régime de la tutelle ou de la curatelle et n’ont ainsi plus ou presque plus accès à de l’argent. Or, pour les générations actuellement en EHPAD, qui ont pu connaitre la guerre et le rationnement, mais aussi la matérialisation de l’argent, le fait de posséder des pièces et billets donne une place et un rôle dans la société69, une « existence sociale »70 : « la monnaie constitue un élément essentiel dans la formalisation des échanges avec les autres au sein de la société et ne pas en avoir rend plus prégnant encore ce sentiment de désocialisation »71. Des exemples simples peuvent être mis en place : par exemple, dans un EHPAD, les résidents donnent leur linge en échange d’un ticket, comme dans un pressing classique, et le récupèrent en redonnant leur ticket. 2.
Les résidents en EHPAD, des citoyens de seconde zone ? « Ce n’est pas parce qu’on est vieux qu’on n’est plus un citoyen ! »72. Juridiquement, une personne âgée reste jusqu’à sa mort détentrice de son droit de vote et d’éligibilité sauf exception73. Un majeur sous curatelle74 conserve son droit de vote mais ne peut être ni éligible, ni convoqué pour être juré. Dans le cas d’une mise sous tutelle, le médecin homologué à délivrer le certificat médical doit se prononcer sur la capacité du majeur à voter et le juge des tutelles peut décider du retrait ou non du droit de vote75. Afin de renforcer la participation de tous les citoyens aux élections, la loi du 11 février 200576 stipule 69
Voir également la recommandation de l’ANESM, « Vie quotidienne en EHPAD » Collectif, Doc’gérontologie, Approche psychologique de la personne âgée 71
GANDRA‐MORENO, L. La valorisation du rôle social du résident : un outil de lutte efficient contre le déclin du sujet âgé institutionnalisé. Mémoire : Directeur d’établissement sanitaire et social : Rennes : ENSP, 2004. 79 p. 72
THOMAS, H. La promotion de la citoyenneté sociale et politique dans le grand âge à l’ère de la protection rapprochée. Gérontologie et société, 2007, n° 120, p 99 à 114. 73
Au‐delà de la question du vote des résidents en EHPAD, celle du vote des personnes atteintes d’altération des fonctions cognitives (représentant, à des stades plus ou moins avancés, environ la moitié des résidents en EHPAD) peut être un débat éthique de société. Cf. BOSQUET, A., MEDJKANE, A., VINCENEUX, P., MAHE, I., Le vote des sujets ayant des altérations des fonctions cognitives : aspects législatifs et éthiques, psychologie et neuropsychiatrie du vieillissement, vol. 8, n° 1, 2010/03, pages 33‐42 74
28% des résidents des Ehpad sont lacés sous un régime de protection juridique des majeurs (sauvegarde, curatelle, tutelle…) Prevot J. Les résidents des établissements d’hébergement pour personnes âgées en 2007 Drees Etudes et Résultats, n°699, août 2009, pp7‐8 75
http://www.serpsy.org/ascism/droits/reforme.html 76
Loi n°2005‐102 du 11 février 2005 ‐ art. 72 JORF 12 février 2005 70
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 18/45 que l’on doit « permettre aux électeurs handicapés de voter de façon autonome, quel que soit leur handicap ». Si cette loi concerne prioritairement les adultes en situation de handicap, elle doit s’appliquer également pour les personnes âgées dépendantes ayant un certain nombre de pathologies qui les conduisent à des situations de handicaps (physiques comme des difficultés à se déplacer ou psychiques comme la question du choix du vote). Concernant l’accès aux bureaux de vote, l’APAJH77 a mené une enquête, à l’occasion des élections régionales de mars 2010, dans 182 bureaux de vote78. Les résultats démontrent qu’il reste beaucoup à faire pour qu’un accès facile soit fait aux personnes en situation de handicap physique ou psychique. Aucun EHPAD n’interdit à ses résidents de voter et de participer à la vie citoyenne. La loi dit que « l’exercice effectif de la totalité des droits civiques attribués aux personnes accueillies et des libertés individuelles est facilitée par l’institution, qui prend à cet effet toutes mesures utiles dans le respect, si nécessaire, des décisions de justice »79. La mise à disposition d’un véhicule adapté pour se rendre au bureau de vote ou un accompagnement des résidents vers ces bureaux peut ainsi être une solution adaptée. De même, certains établissements, au moment de l’entrée du résident, peuvent faciliter ceux qui le souhaitent dans la démarche d’inscription sur les listes électorales de la commune. En effet, les résidents résidant dorénavant au sein de l’établissement, ils peuvent tout à fait s’inscrire sur les listes électorales de la commune de l’EHPAD. Néanmoins, les résidents restant propriétaires de leur logement (ou de tout autre bien foncier acquis plus de cinq années auparavant) les assujettissant aux taxes locales peuvent continuer légalement à voter dans leur ancien bureau de vote80. Au‐delà des questions pratiques se pose également la question de la place des personnes âgées dans la vie citoyenne, qui relève d’un « combat à mener »81 selon Marie‐Pascale Mongaux. Alors que la question de la dépendance et des personnes âgées est devenu un véritable débat de société, les principaux concernés, les personnes âgées, participent peu à ce débat sur des questions qui, pourtant, les concernent au plus haut point82. Selon les théoriciens du désengagement83, les personnes âgées verraient la société, de manière irrémédiable, leur retirer des rôles sociaux. Cette évolution, acceptée et inéluctable selon certains auteurs, pourrait expliquer un désintérêt progressif des personnes âgées sur les questions de gouvernance de la société et donc de participation au vote. Cette théorie peut être confirmée par de nombreuses remarques faites par les personnes âgées elles‐mêmes sur un désintérêt de la vie politique : « moi, j’ai voté toute ma vie. Maintenant, j’ai juste envie de me reposer. Je laisse ça aux jeunes »84 77
Association pour Adultes et Jeunes Handicapés, www.apajh.org http://apajh.org/index.php?option=com_content&view=article&id=694:elections‐regionales‐lapajh‐teste‐laccessibilite‐
des‐bureaux‐de‐vote&catid=25:actualites‐apajh&Itemid=1149 79
Charte des droits et libertés de la personne accueillie, annexe de l’arrêté du 8 septembre 2003 (JORF 9 octobre 2003) 80
Article 10 du code électoral. 81
MONGAUX, M.‐P. Et si la promotion de la citoyenneté était la première approche non‐médicamenteuse ? La revue francophone de gériatrie et de gérontologie, 2009, n° 158, pp. 432‐ 433. 82
Il est intéressant de noter la différence avec les Etats‐Unis où les associations de personnes âgées sont constituées de longue date en lobby et regroupent un nombre conséquent de personnes. Cf. CARADEC, V. Sociologie de la vieillesse et du ème
vieillissement. 2 éd. Paris : Armand Colin, 2008. 127 p., p 62 à 65. 83
Cf. notamment les travaux des chercheurs pionniers de cette théorie, les américains Elaine Cumming et William E. Henry dans Growing Old: The Process of Disengagement, Basic Books, New York, 1961. 84
Madame M, résidente en EHPAD, 92 ans, rencontrée pendant l’enquête qualitative. 78
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 19/45 Il n’existe pas (à notre connaissance) d’étude statistique sur le vote des résidents en EHPAD85. Néanmoins, une étude statistique menée par l’INSEE86, tend à démontrer une réalité autre. L’INSEE a croisé les taux de participation aux quatre élections de 2007 (1er et 2ème tours des élections présidentielle et législatives) en croisant par tranche d’âge. Il apparait que les tranches d’âge 75/80 ans et plus de 80 ans : - sont parmi les plus forts taux de participation systématique (aux 4 élections) - sont également le plus fort taux d’abstention systématique - ces catégories sont le plus faible taux de participation intermittente Ce qui prouve qu’il existe, parmi les plus de 75 ans, deux types de votants surreprésentés par rapport au reste de la population : ceux qui votent systématiquement et ceux qui ne votent pas du tout. En revanche, le taux de votants occasionnels est beaucoup plus faible que dans le reste de la population. Cette conclusion statistique peut être diversement interprétée : le fort taux d’abstention systématique comparé au fort taux de vote systématique peut être compris comme une incapacité de certaines personnes à voter pour des raisons physiques ou alors comme une réelle différenciation entre deux types de personnes âgées, certains dans un processus de désengagement et désintéressés par la vie politique et d’autre continuant à voter systématiquement se sentant encore en posture de devoir de participation civique. Si l’entrée en EHPAD modifie les relations sociales familiales, limite les sorties, cela a de fait un impact sur les rôles sociaux et la vie sociale des résidents avec les personnes vivant à l’extérieur des EHPAD. Mais en entrant dans un établissement d’hébergement collectif, les résidents, de fait, développement des relations sociales avec les autres résidents, créant ainsi une vie sociale interne à l’établissement. II.
L’ EHPAD, lieu de vie collectif, lieu de vie sociale
A. L’animation en EHPAD Depuis les établissements « mouroirs », encore présents dans l’imaginaire collectif mais devenus des exceptions en France, un long chemin a été parcouru en une quarantaine d’années, symbolisé par la loi du 2 janvier 2002. Aujourd’hui, chaque EHPAD ou presque a parmi son personnel des « animateurs », « cadres vie sociale » ou « coordinateurs vie sociale ». Si on ne peut résumer la vie sociale à la mise en place d’animations, celles‐ci sont néanmoins partie prenante et outil de son renforcement. L’activité (les études, le travail, les loisirs) est un des premiers vecteurs des liens sociaux et matérialise la place que chacun occupe au sein de la société. En tentant de réaliser, de manière très schématique, un découpage horaire de la journée d’une personne âgée en EHPAD87 entre les différents temps rythmant leur quotidien, Jean‐Loup Verstraete a identifié entre 8 et 10 heures par 85
Dans DEFONTAINE, J. La citoyenneté en institution et services pour personnes âgées. Toulouse : Erès, 2007. 160 p. Coll. Pratiques gérontologiques, il est brièvement abordé la question du vote en EHPAD. Selon l’auteur, « il a été observé de manière empirique le faible vote des résidents en EHPAD, même si cela reste à confirmer par des études à plus grande échelle ». Les chiffres prouvant que les plus de 75 ans ne votent pas moins que les autres. Il reste à étudier si l’entrée en EHPAD modifie le comportement citoyen des personnes âgées. Il est néanmoins intéressant de noter que dans cet ouvrage de plus de 150 pages consacrées à la citoyenneté en institution, seules 2 sont consacrées à la question du vote et de la place des résidents dans la société 86
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATSOS05526 87
VERSTRAETE, J.‐L. 22 heures sur 24 dans un EHPAD. Mémoire : DIU de formation de médecin coordinateur : Faculté de Médecine Cochin Port Royal : Paris, 2003. 26 p. De manière très schématique, l’auteur découpe une journée type de 24 heures en : 2 heures de soins, 8 heures de sommeil, 4 heures de repas, 1 heure de sieste et 1h30 de toilette et habillage – il reste donc 9h30 « sans activités ». Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 20/45 jour « sans activités ». Ce temps « inoccupé » a été très tôt pris en compte par les responsables d’établissements qui ont commencé à mettre en place des animations. Néanmoins, celles‐ci n’étaient au départ qu’occupationnelles : il ne fallait pas laisser les résidents « sans rien faire » ou « inactifs ». On peut ainsi citer le rapport Laroque88, un des premiers rapports officiels traitant de la vieillesse en France, parlant, au sein des maisons de retraites, de la nécessaire mise en place d’ « occupations assurant un aliment à leur activité physique et intellectuelle ». Puis, dans le mouvement d’humanisation des maisons de retraite et hospices des années 70, l’animation a commencé à prendre une place, encore hésitante mais réelle89 : la circulaire Francheschi en 1982 propose que chaque établissement consacre 1% de son budget, hors masse salariale, à l’animation à destination du développement de la vie sociale. Dans la réalité et les pratiques, cette recommandation fut peu suivie d’effet. Les années 90, marquant la médicalisation des maisons de retraite, voient également la situation évoluer en liant animation et soin. La période 1997 / 2002 a produit un changement marquant pour l’animation dans les services gérontologiques. Grâce au dispositif « emploi‐jeune », les maisons de retraites (publiques ou associatives) ont pu recruter des animateurs dont une partie du salaire était pris en charge par l’état90. Si ces animateurs furent au départ, dans un nombre non négligeable d’EHPAD, recrutés comme supplétifs des assistantes, sans fiches de postes claires et effectuant un nombre important de tâches parfois sans lien avec l’animation (ménage, secrétariat…), un développement de leur formation et une réflexion sur leur place en interne, lié à la prise en compte de la vie sociale des résidents, a permis de fortement faire évoluer cet état de fait91. Aujourd’hui, la quasi‐totalité des EHPAD proposent des programmes d’animations à destination de leurs résidents. Un ou plusieurs postes d’animateurs, parfois doublés de coordinateurs vie sociale, existent dans quasiment tous les établissements92. Des formations adaptées au métier d’animateur auprès des personnes âgées se sont fortement développées depuis quelques années permettant de clarifier les objectifs et les techniques d’animations. Néanmoins, malgré ce développement rapide l’animation en gérontologie reste une discipline jeune. La place et le rôle de l’animation restent donc encore hétérogènes et dépendent des EHPAD et seront probablement amenées à évoluer dans les prochaines années. 88
Haut fonctionnaire, Pierre Laroque constitue et préside la « Commission d'Étude des problèmes de la Vieillesse » qui aboutit en janvier 1962 au « Rapport Laroque », un des premiers textes officiels pointant les difficultés des personnes âgées en France 89
VERCAUTEREN, R., HERVY, B. L’animation dans les établissements pour personnes âgées. Paris : Erès, 2002. 231 p., p 23 et suivantes 90
Pour la création de postes cofinancés par le dispositif « emploi‐jeune », l’état accordait une aide correspondant à 80% du SMIC par emploi aidé ainsi que des allègements sur les charges patronales. Pour un animateur recruté sur une base salariale au SMIC, le « coût » pour la structure ne représentait ainsi que 20 % du SMIC. 91
On peut ici citer la création en 2000 du réseau GAG (le Groupement des Animateurs en Gérontologie), regroupant des animateurs en gériatrie, association très active dans la reconnaissance du métier d’animateur et qui est notamment à l’origine de la « Charte de l’animation en gérontologie » en 2006/2007, ou le rapport de mission de Bernard Hervy sur la Vie sociale des personnes âgées à destination du Secrétaire d’Etat aux Personnes Agées qui comporte toute une partie sur l’animation 92
Les animateurs et le personnel « vie sociale » représentent 7% des employés des EHPAD selon le questionnaire DREES. Néanmoins, les AMP sont inclus dans ce chiffre, ce qui en fausse clairement la signification. Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 21/45 1.
Les différents rôles de l’animation Une définition de l’animation à destination des personnes âgées n’est pas aisée à faire. Etymologiquement, animation vient du latin Animare, « donner la vie » en latin. De manière générale, l’animation peut être définie comme « un ensemble de moyens et méthodes mis en œuvre pour faire participer activement les membres d’une collectivité à la vie de groupe »93. Historiquement, les premières animations ont été construites à destination du public jeune, souvent dans un processus éducatif, afin d’apprendre ce que l’on apprend ni à l’école, ni dans la famille. Ces premières animations ont été à l’origine du mouvement de l’éducation populaire. Ainsi, les techniques de base de l’animation se basent sur un fondement pédagogique. Les animateurs en gériatrie ne peuvent donc appréhender le public des résidents, spécifique, de la même manière que le ferait un animateur auprès d’enfants. Selon Bernard Hervy, pour les maisons de retraite, « la finalité de l’animation est de maintenir la personne âgée dans sa réalité relationnelle sociale et quotidienne en lui donnant une image positive de soi »94. Dans un contexte de prise en charge de personnes âgées dépendantes, en perte d’autonomie et en questionnement sur leur place dans la société, la première utilité de l’animation est donc de contenir ou infirmer le vieillissement des rôles sociaux. Le vieillissement des rôles sociaux est naturel et inhérent à tout individu vivant en société. La plupart des résidents vivant en EHPAD sont dans un processus de vieillissement difficile de leurs rôles sociaux, soit la perte de rôles sans remplacements, opposé au vieillissement naturel. Si le maintien et la réhabilitation des rôles sociaux doit être la finalité de l’animation, Geneviève Zehder propose trois grands objectifs vers lesquels doivent tendre les programmes d’animations95 : - le maintien de l’exercice des rôles traditionnels (comme le droit de vote par exemple), - la découverte de rôles nouveaux (par le biais d’activités créatrices) favorisant de nouveaux contacts et émotions - la transmission de la culture, redonnant une valeur à l’individu et au sens de son histoire. Les récents travaux et ouvrages qui traitent de la question de l’animation insistent sur le sens à donner à l’action d’animer. De cette quête de sens, de réflexion sur la construction des animations bien au‐delà de leur côté occupationnel se construisent les projets. L’animation ne peut évacuer le contexte dans laquelle elle se déroule. Les EHPAD réunissent des personnes en fin de vie, dans un lieu qui sera pour la majorité d’entre elles le dernier. L’entrée en EHPAD, qui peut renvoyer à l’idée d’une mort imminente, peut faire perdre goût à la vie. Un tiers des résidents présente un état dépressif96. L’animation, si elle ne peut, à elle seule, répondre à ces problèmes, se doit aussi de permettre aux résidents de retrouver du plaisir, dans la vie quotidienne et dans la vie en général : « l’animation est centrale pour restaurer, suivant les grands principes d’un projet de vie institutionnel, l’envie de mener son élan jusqu’au bout et de ne pas céder au fatalisme défaitiste de la mort annoncée »97. 93
Dictionnaire Larousse VERCAUTEREN, R., HERVY, B. L’animation dans les établissements pour personnes âgées. Paris : Erès, 2002. 231 p., p 54. 95
ZEHDER, G. L’animation avec les personnes âgées dépendantes. Vie sociale et traitement, 2008, n°99, pp. 29‐34. 96
DUTHEIL N, SCHEIDEGGER S. Les pathologies des personnes âgées vivant en établissement Drees Etudes et Résultats n°494, juin 2006 8p. 97
VERCAUTEREN, R., HERVY, B. L’animation dans les établissements pour personnes âgées. Paris : Erès, 2002. 231 p, p 62. 94
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 22/45 2.
La place et la posture de l’animateur au sein de l’EHPAD Depuis le rapport de mission de Bernard Hervy en 2003 pointant le manque de formation des animateurs en maison de retraite, des évolutions ont marqué la place de l’animation en EHPAD. De plus en plus d’animateurs, titulaires de diplômes spécifiques et spécialisés en gérontologie, remplacent les animateurs peu formés ou le personnel faisant office d’animateur (comme c’était par exemple le cas avec certains aides‐soignants). De plus, les personnels faisant fonction d’animateur sont de plus en plus amenés à se former au métier et aux techniques d’animation. Même si le statut d’animateur reste sujet à débat, les diplômes sont aujourd’hui de mieux en mieux reconnus au sein des EHPAD. Une distinction est couramment faite entre les diplômes de la « filière professionnelle » (délivrés par « Jeunesse et Sports ») et ceux des autres filières (éducation nationale, universités, autres écoles et centres de formation). Dans la filière professionnelle, on distingue les diplômes de l’animation sociale des autres. Les diplômes de « l’animation sociale » sont récents (2005 pour le Brevet Professionnel et 2008 pour le Diplôme d’Etat). Ils visent les publics en difficulté de liens sociaux (dont les personnes âgées). Ils sont inter‐ministériels (co‐délivrés par « Jeunesse et Sports » et « Affaires Sociales »), inscrits au CASF (code de l’action sociale et des familles) dans la catégorie des « intervenants sociaux ». Ils sont reconnus partout, y compris dans les fonctions publiques territoriales et hospitalières. Ils représentent aujourd’hui la plus grande partie des emplois qualifiés dans l’animation avec les personnes âgées. ‐ Le BP‐JEPS (Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du Sport), spécialité « animation sociale », diplôme d’état homologué de niveau IV (Bac). C’est le diplôme le mieux adapté et le plus reconnu pour exercer les fonctions d’animateur de terrain. Il est délivré au titre d’une spécialité disciplinaire, pluridisciplinaire ou liée à un champ particulier, une spécialité « animation sociale » est recommandée pour être animateur en EHPAD. Il remplace l’ancien BEATEP (Brevet d’Etat d’Animateur Technicien de l’Education Populaire et de la jeunesse) spécialité ASVL (activités sociales et vie locale)‐ équivalence reconnue avec le BP‐JEPS animation sociale ‐ Le DE‐JEPS (Diplôme d’Etat de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du Sport ‐ spécialité « animation sociale »), diplôme d’état homologué au niveau III (Bac + 2). Il s’adresse aux personnes souhaitant s’orienter vers les métiers de cadre de vie sociale ou de coordinateur, encadrant les animateurs. Il ouvre aussi aux fonctions de formateur en animation. Il remplace l’ancien DEFA (Diplôme d'Etat relatif aux Fonctions d'Animation) – équivalence reconnue avec le DE et (sous conditions avec le DES‐JEPS) et permet d’accéder (sous condition d’expérience) aux concours et de passer en catégorie A (Cadre socio éducatif). Les autres diplômes de la filière professionnelle : ‐ le BASE (Brevet d’Aptitude à l’animation Socio‐éducative) : ancien diplôme non‐professionnel destiné à articuler l’animation bénévole et l’animation professionnelle, il est aujourd’hui peu utilisé. Il ne s’agit pas d’un diplôme professionnel mais d’une reconnaissance de l’expérience acquise dans la pratique d’animation. Il s’acquiert après une expérience de terrain (6 mois équivalent temps plein minimum) et permet d’accéder aux formations professionnelles d’animateur, notamment le BP‐JEPS. En EHPAD, il s’adresse à ceux qui ont fait fonction d’animateur et souhaitent évoluer vers une qualification professionnelle. ‐ BAPAAT (Brevet d’Aptitude Professionnelle d’Assistant Animateur Technicien de la Jeunesse et des Sports), diplôme d’État homologué de niveau V (CAP, BEP, BEPC...). Commun Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 23/45 ‐
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au secteur socioculturel et sportif, il représente le premier niveau de qualification pour participer à l’animation des activités sportives et socio culturelles (aide‐animateur, assiste un animateur). Il ne peut pas exercer en autonomie. Ce peut être une voie d’entrée dans la profession. DES‐JEPS (Diplôme d’Etat Supérieur de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du Sport ‐ spécialité « animation socioculturelle »), diplôme d’état homologué de niveau II. Il s’adresse aux personnes souhaitant s’orienter vers les métiers de cadre supérieur de vie sociale ou de responsable de politique d’animation et permet une équivalence avec l’ancien DEFA (Diplôme d'Etat relatif aux Fonctions d'Animation) – sous conditions d’exercice professionnel et de compétences Le CAFERUIS (certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unités d’intervention sociale), diplôme d’état homologué de niveau II : il ne s’agit pas d’un diplôme « jeunesse et Sports », mais d’un diplôme des « Affaires Sociales ». Il forme les cadres de « l’intervention sociale », donc du travail social et de l’animation sociale (accès possible avec le DE animation sociale) D’autres diplômes permettent également de travailler en EHPAD, parmi les plus répandus : ‐ DUT ASSC (Diplôme Universitaire de Technologie Carrière Sociale, Animation sociale et socioculturelle) ‐ DEUST (Diplôme d'Etude Universitaire Scientifique et Technique, option Animation) ‐ licence professionnelle intervention sociale (dont spécialité : « Coordonnateur ‐ Référent Secteur Gérontologie ») ‐ de nombreux CQP (Certificats de Qualification Professionnelle), comme par exemple « animateur en gérontologie » ou « accompagnement de personnes désorientées », sont proposées par des organismes de formation privés ‐ les diplômes non reconnus proposés par des organismes de formation. Ils sont nombreux, variés, parfois coûteux mais parfois pris en charge par des collectivités territoriales ou des fonds de formation permanente. Si les EHPAD accueillent aujourd’hui des animateurs de mieux en mieux formés, tant sur les questions d’animation que sur les problématiques liées au public spécifique accueilli en établissement gérontologique, la place de l’animateur au sein de la structure reste très hétérogène. Certains établissements ont recruté des coordinateurs « vie sociale », encadrant des animateurs ou assistants animateurs, avec des statuts de cadre. Dans d’autres établissements, les animateurs sont placés sous la responsabilité du médecin coordonnateur et ne participent pas aux comités de direction. Il existe également une multitude d’appellations au sein des EHPAD (animateur, conseiller en qualité de vie, accompagnateur de vie sociale…). La place de l’animateur est différente de tous les autres professionnels de l’établissement. Il n’est ni un soignant, ni un psychologue, ni un personnel aidant, ni un administratif : il est au service de la vie sociale de l’établissement. Sa place et son rôle mais aussi la vision qu’en ont les autres professionnels et plus généralement l’image du métier d’animateur en gérontologie restent à approfondir pour les positionner comme des professionnels reconnus : « pour ma grand‐mère, mon métier, c’est faire le clown avec les vieux »98. Deux postures semblent indispensables pour un animateur : être à l’écoute et favoriser la communication. Pour un projet d’animation construit sur les attentes des résidents, il est évident que la première des postures à tenir, pour tout animateur, est celle de l’écoute. Mais favoriser la vie sociale des résidents est aussi et surtout favoriser l’échange des résidents entre eux, il y a donc 98
JCV, coordinateur vie sociale dans un EHPAD de 90 résidents, entretien réalisé dans le cadre de l’enquête qualitative. Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 24/45 également une posture à tenir de « vecteur de communication » : « l’animation ne crée pas la relation sociale, elle la favorise »99 Philippe Crône100 a, quand à lui, essayé de lister les six qualités qu’il juge essentielles à l’animateur : le respect, la disponibilité, l’enjouement, l’humilité, la patience, la stimulation. Ainsi, l’animateur ou le responsable de l’animation se trouve dans une double posture nécessitant une double qualité : celle humaine, d’écoute et d’empathie envers son public, tout en gardant une posture prospective et de réflexion sur son travail : savoir mettre en place un programme, définir des objectifs généraux et des actions opérationnelles. A ce titre, comme tous les autres acteurs de l’HEPAD, il se doit de mettre en place une évaluation de son action, indispensable à la réussite d’animations centrées sur les attentes de la personne âgée. Enfin, comme le souligne Jean‐Marc Lhuillier, « il faut avant tout accepter d’être surpris par la parole de l’usager »101. Les désirs des résidents peuvent être surprenants et nécessiteront de la part de l’animation une réponse adaptée, qui peut nécessiter des réponses différentes : les animateurs sont souvent les « rois de la débrouille »102 au sein des EHPAD. 3.
L’animation : du programme d’activités au projet d’animation Le rôle et la place de l’animation ayant évolué au cours des dernières années, sa formalisation en projet n’est pas toujours effective. Lorsque les animations étaient considérées comme occupationnelles, seules pouvaient exister, à de rares exceptions près, des « programmes d’activités ». Ces programmes d’activités sont aujourd’hui quasi‐systématiques. Ils sont également des outils de communication pour les EHPAD à destination des familles et sont fréquemment publiés sur les sites internet des EHPAD (pour ceux qui en ont) ou a minima affichés dans les établissements. Néanmoins, certains établissements vont bien au‐delà du programme d’activité puisque se construisent de véritables projets, permettant de fixer des objectifs généraux à l’animation et des objectifs spécifiques par types d’actions proposées. Contrairement à d’autres dispositifs comme le projet de vie, le projet d’établissement, inscrits dans la loi, le projet d’animation n’est ni obligatoire, ni régi par un texte législatif. Si le médecin coordonateur a pour obligation, dans chaque EHPAD régi par une convention tripartite, de rédiger chaque année un rapport d’activités médicales, le bilan de la vie sociale au sein des établissements n’est régi par aucun texte. Si le projet d’animation n’est pas un document officiel, lorsqu’il existe, il s’intègre dans les différents dispositifs de pilotage des EHPAD - le projet personnalisé : construit en étroite concertation avec le résident accueilli, il doit prendre en compte les besoins et attentes de la personne en termes d’animation et de développement de la vie sociale - le projet d’établissement, base de travail de toute structure du secteur médico‐social, comporte dans la grande majorité des EHPAD une partie conséquente sur la vie sociale. 99
CRONE, P. L’animation des personnes âgées en institution. Issy‐les‐Moulineaux : Masson, 2004. 119 p., p 37. CRONE, P. L’animation des personnes âgées en institution. Issy‐les‐Moulineaux : Masson, 2004. 119 p. 101
LHUILLIER, J.‐M. Le droit des usagers dans les établissements et services sociaux et médico‐sociaux. 3ème éd. Rennes : Éditions ENSP, 2007. 239 p, p 191 102
L’expression est de GONCALVES, M. Affirmer le positionnement de l’animation dans un EHPAD par l’application du concept de l’interprofessionnalité. Mémoire : Directeur d’établissement sanitaire et social public : Rennes : EHESP, 2008. 56 p., p 19. 100
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Les limites de l’animation Au‐delà des bonnes pratiques et de la professionnalisation des animateurs, la mise en place des animations reste dans une bonne partie des EHPAD difficile. Près de 50% des responsables d’EHPAD disent que l’organisation d’animations qui intéressent les résidents est difficile (44%) ou très difficile (7%)103. Cette même enquête de la DREES nous apprend que seules 28 % des personnes interrogées (qui font pourtant partie des plus valides) y participent régulièrement, alors que 35 % n’y participent jamais. Ces taux bruts de participation aux animations ne doivent pas cacher des différences. Si les personnes fortement dépendantes participent moins (50% n’y participent jamais), il faudrait aussi pouvoir (ce qui n’est pas fait dans l’enquête) différencier la participation en fonction du type d’activités. Les personnes les plus valides ne participent ainsi volontairement pas à certains types d’activités, car pouvant être considérées comme inutiles : « lorsque le personnel propose des animations que les pensionnaires pensent pouvoir accomplir par eux‐mêmes dans les appartements privatifs, les personnes encore alertes rechignent en général à y participer : pour ces pensionnaires, prendre part à de telles animations revient à dire qu’elles ne savent pas s’occuper par elles‐
mêmes »104. Delphine Dupre‐Levêque a tenté de classifier les résidents qui participent ou pas aux animations105 : - les participants : les jeunes, arrivés en EHPAD suite à une maladie invalidante (souvent en fauteuil), ils pensent rester longtemps en EHPAD ; les « abandonnés », entrés suite à un conflit familial qui refusent de se laisser mourir ; les « sans‐enfants » qui ont toujours eu l’habitude de participer à des activités (clubs, associations) et qui poursuivent cet investissement dans les animations et la vie de l’établissement - les non‐participants : les « jeunes autonomes » qui ont toujours travaillé mais n’ont ni famille, ni logement propre et dont l’EHPAD est la seule solution ; les « solitaires », veufs, qui ont une famille qui vient les voir fréquemment et pour lesquels ces liens sociaux suffisent, préférant la solitude après une vie bien remplie Il peut être difficile de prévoir une seule animation au sein d’un EHPAD regroupant des personnes différentes aux pathologies diverses. Dans ce contexte, mettre en place une animation à destination d’une personne souffrant d’une maladie d’Alzheimer ou maladie apparentée nécessite une formation et une prise en charge différente. En effet, si l’animation vise à produire des liens sociaux entre les personnes, comment produire ce lien lorsque les capacités de raisonnement ou de communication se trouvent limitées ? Or, si la mémoire vient à défaillir, les sens, ou au moins certains d’entre eux, continuent à fonctionner. Ainsi, des animations spécifiques peuvent être mises en place à destination de ce type de public, mais doivent absolument être adaptées aux pathologies et aux handicaps. On ne peut non plus complètement occulter le rôle que peuvent jouer les animations dans la communication des établissements. Alors que les soins et la prise en charge se standardisent, c’est sur cet aspect (vie sociale et animations) que l’image de l’établissement se joue. Pour montrer aux familles, aux partenaires et aux bailleurs l’image d’un établissement vivant, et surtout casser l’image tenace de personnes âgées inoccupées, les établissements se doivent de montrer des activités, de l’action, rassurante pour les familles qui ont parfois peur que leur parent s’ennuie et sont en 103
DREES. La vie en EHPAD du point de vue des résidents et de leurs proches. Dossiers solidarité et santé, 2011, n°18, 75 p. DELIOT, C., CASAGRANDE, A. Vieillir en institution : Témoignages de professionnels, regards de philosophe. Montrouge : John Libbey Eurotext, 2006. 176 p. 105
DUPRÉ‐LEVEQUE, D. Une ethnologue en maison de retraite, Archives contemporaines, 2002. ‐ 119 p, p 81 104
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 26/45 demande d’occupation pour eux : « moi, ma mère, elle ne participait pas. J’ai dit à l’animateur d’aller la chercher, il ne faut pas qu’elle reste toute seule dans son coin ! »106. Il est ainsi parfois difficile pour les professionnels de savoir si le résident souhaite simplement rester seul, par caractère ou envie, ou s’il est dans une phase de repli sur lui‐même. Les établissements peuvent parfois développer une frilosité pour certaines prises de risque : la société dans son ensemble se judiciarise et les professionnels, quels que soient leurs domaines de compétences, n’échappent pas à cette nécessité impétueuse de respecter strictement les normes et procédures et assurer un service sans risques pour le résident. Les EHPAD n’échappent pas à cette évolution de la société, les directeurs d’établissement étant dorénavant très sourcilleux sur les sorties et l’ensemble des risques de la vie dont ils pourraient avoir à faire face. Or, quand il est question d’animation, de sorties, de vie sociale, il y a forcément une part de risque induite. « L’écoute et la considération du résident âgé, voire de son désir, impliquent en effet une prise de risque non seulement pour l’individu lui‐même, mais aussi pour l’accompagnant : donner le choix au résident, c’est accepter que son choix puisse ne pas correspondre aux intentions professionnelles ou aux impératifs institutionnels, en particulier sécuritaires »107. Enfin, si l’un des objectifs doit être de favoriser les liens entre résidents, ceux‐ci sont parfois difficiles à développer entre personnes âgées (cf. Partie II). Un des écueils de certaines animations et des animateurs qui les mettent en place est justement qu’ils créent des liens mais pas forcément entre les résidents entre eux mais plutôt entre l’animateur et le résident108. B. L’EHPAD, lieu de vie collective 1.
Prise en charge des temps « sans activités » Si l’amalgame se fait parfois entre animation et vie sociale, l’animation se doit d’être au service de la vie sociale et non sa concrétisation. En effet, l’animation et les activités organisées par l’établissement à destination des résidents ont une place importante dans le développement de la vie sociale mais elles ne concernent au grand maximum que 25% d’une journée d’un résident. Réduire la vie sociale aux animations revient donc à être extrêmement réducteur. Les autres temps de sociabilisation sont donc également pris en compte par les EHPAD pour y développer la vie sociale. Parmi les temps de sociabilisation indispensable et ancrés dans la culture française se trouve la prise de repas109 : « Manger ne se réduit pas à la seule action de se nourrir mais repose sur des valeurs et une culture, comme la convivialité, le partage, la sociabilité »110. De nombreux EHPAD ont mis en place des Commissions « restauration » ou « repas » afin d’associer les résidents aux choix des menus, en concertation avec le personnel de cuisine ou le diététicien. Et force est de constater que la qualité des repas est appréciée dans les EHPAD : près de 80% des résidents trouvent les repas « bons » ou « plutôt bons »111. Ainsi, si la qualité des repas n’est pas un problème, on peut néanmoins s’interroger sur le rôle de 106
M.G., fille de résidente en EHPAD ; propos recueillis au cours de l’enquête qualitative. CHRISTEN‐GUEISSAZ, E. (direction), Le bien être de la personne âgée en institution, Paris, Seli Arslan, Paris, 218 p. p 106 108
DUPRÉ‐LEVEQUE, D. Une ethnologue en maison de retraite, Archives contemporaines, 2002. ‐ 119 p 86 109
Cf également la recommandation de l’ANESM « vie quotidienne en EHPAD » ainsi que « concilier vie en collectivité et personnalisation de l’accueil et de l’accompagnement », p. 24. 110
Gilles Fumey, géographe et spécialiste des questions alimentaires – La Croix, 30 mai 2005 111
DREES. La vie en EHPAD du point de vue des résidents et de leurs proches. Dossiers solidarité et santé, 2011, n°18, 75 p. 107
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 27/45 convivialité accordé au repas. Seuls 20% des résidents peuvent choisir leur voisin de table. Si peu d’études ont été faites sur la commensalité (partage de la même table) au sein des EHPAD, on peut néanmoins tirer quelques conclusions des diverses études réalisées auprès d’autres publics. Selon Florent Gomez, « étroitement liées, mais non confondues, amitié et commensalité s’appellent, la deuxième fortifiant la première dans une dynamique qui unit les proches, tout en excluant les intrus »112. Même si les conditions pratiques sont optimales pour un développement de relations internes entre les résidents, un développement de liens amicaux forts reste assez rare. 78% des résidents disent s’être fait « des amis ou des connaissances »113 au sein de l’EHPAD, mais ces relations restent souvent superficielles et pas forcément recherchées par les autres résidents : elles sont le plus souvent courtoises mais peu développées : « ces relations ressemblent à celles que l’on observe dans les transports publics ou dans une salle d’attente : elles se trouvent organisées par les règles de civilité propres à l’espace urbain »114. A cette situation de fait peuvent être citées plusieurs explications. Tout d’abord, l’image que les autres résidents renvoient, et l’idée de ce que sa probable évolution pourrait être : « je ne me suis pas aperçue que j’étais vieille, je m’en suis aperçu en arrivant ici, et en me sentant en danger, comme les personnes qui arrivent ici en bonne santé se sentent en danger »115. Ensuite, l’implication dans une relation dont l’un ou l’autre des protagonistes a potentiellement le risque de mourir à court terme peut faire peur à certains résidents, peur de devoir à nouveau subir un décès d’un proche, et de devoir recommencer à tisser des relations avec d’autres personnes. On assiste donc à différentes stratégies qualifiées d’ambivalentes : de bon voisinage, mais sans attachement : « s’ils [les résidents] s’entendent bien avec tout le monde, ils n’ont de réelles affinités avec personne »116. 2.
L’EHPAD la nuit En EHPAD, la vie sociale ne s’arrête pas après le diner. Les troubles du sommeil sont une des causes d’entrée en EHPAD et les insomnies sont fréquentes parmi les résidents. Ainsi, les résidents sont nombreux à ne pas s’endormir au moment du coucher et à se réveiller peu avant le petit‐déjeuner. Plusieurs explications sont possibles pour ces résidents ne dormant pas ou peu. Les habitudes de vies antécédentes jouent sur l’heure du coucher. Un nombre important de résidents ayant pu travailler toute leur vie de nuit, ont pris l’habitude de vivre en horaires décalés et le rythme de vie de l’EHPAD ne leur convient pas. Certaines pathologies ou handicaps peuvent également être sources d’insomnies. Le stress, l’anxiété, le deuil ou la dépression sont également des causes d’un mauvais sommeil. Enfin, un certain nombre de patients désorientés ont une inversion du cycle nycthéméral et peuvent être amenés à déambuler au cours de la nuit. Ainsi, il se développe toute une vie au sein des EHPAD pendant la nuit. Ce temps de la vie sociale est traité de façon très hétérogène en fonction des EHPAD117. Dans la plupart des EHPAD, le personnel 112
GOMEZ, F. Le repas au collège: Aspects psychosociologiques de la commensalité scolaire, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 1985, 222 p. 113
DREES. La vie en EHPAD du point de vue des résidents et de leurs proches. Dossiers solidarité et santé, 2011, n°18, 75 p. 114
CARADEC, V. Sociologie de la vieillesse et du vieillissement. 2ème éd. Paris : Armand Colin, 2008. 127 p., p 83 115
Mme L. résidente en EHPAD, citée par DREES, étude sociologique sur les conditions d’entrée en EHPAD 116
DRASSA, La qualité de vie en maison de retraite, Aquitaine, p. 17 117
A titre d’exemple, on peut lire un témoignage d’une AMP sur le travail de nuit ici http://cathyneves.over‐
blog.com/article‐amp‐travail‐de‐nui‐Ehpad‐taches‐annexes‐fonction‐de‐normes‐de‐securite‐et‐loi‐77364663.html Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 28/45 est très réduit et ne se compose que d’une à deux personnes, souvent AMP ou AS118. La spécificité de l’équipe de nuit a pendant longtemps été assez peu prise en compte au sein des EHPAD. Une évolution existe maintenant, les organismes de formation spécialisés étant de plus en plus nombreux à proposer des formations spécifiques sur le travail de nuit en EHPAD. Cependant, certains EHPAD ont développé des initiatives intéressantes qui permettent de favoriser une véritable vie sociale la nuit pour les résidents qui ne dorment pas. La mise à disposition de ces résidents d’un espace collectif ouvert et animé la nuit (jeux, télévision…), le personnel qui propose une collation ou une boisson chaude permettent de poursuivre la vie sociale interne pendant la nuit. Si cette question de la vie sociale la nuit de pose dans l’ensemble des EHPAD, elle est encore plus cruciale au sein des unités spécifiques de résidents atteints de pathologies de type Alzheimer. En effet, ces résidents peuvent être amenés à déambuler pendant la nuit, être perdus, voire perturber le calme nécessaire aux autres résidents par des cris ou des intrusions intempestives dans les chambres. 3.
Accueillir des bénévoles La question de l’ouverture aux autres structures du territoire a été déjà abordée, notamment dans la recommandation de l’ANESM « ouverture de l’établissement à et sur son environnement » mais le rôle et la place des bénévoles intervenant au sein des EHPAD pour renforcer la vie sociale des résidents méritent d’être prise en compte dans cette recommandation. L’enquête de satisfaction de la DREES nous apprend que 79% des maisons de retraite accueillent des bénévoles ou autres intervenants non‐médicaux (comme par exemple les dames de compagnies ou les représentants de différentes religions) au sein des établissements119. Si cet accueil est extrêmement important pour les EHPAD et les résidents, favorisant des liens sociaux avec les bénévoles, il reste cadré par la loi. Il est précisé dans le Code de santé publique que « les associations qui organisent l'intervention des bénévoles dans des établissements de santé publics ou privés doivent conclure avec les établissements concernés une convention qui détermine les modalités de cette intervention »120. Un certain nombre de maisons de retraite vont au‐delà et rédigent des chartes. L’association France Bénévolat propose une Charte type du bénévolat dont s’inspirent certains EHPAD. Ces interventions de bénévoles peuvent se faire de plusieurs manières : par de simples visites, permettant aux résidents de rencontrer d’autres personnes. Ces visites sont extrêmement importantes, surtout pour les résidents n’ayant pas ou plus de familles (estimés à 20 % de la population des EHPAD). Mais elles peuvent également se traduire d’autres manières : la mise en place d’animations à destination des résidents organisées de concert avec l’animateur, l’appui aux animations ou aux tâches quotidiennes des professionnels, le partage de l’action de l’association (association d’amis des animaux amenant leur animal de compagnie en EHPAD par exemple). 118
A ce propos, on peut citer AZINCOURT J.C., La nuit en EHPAD, mémoire de DIU de médecin coordinateur d’EHPAD, Université René Descartes, Paris V, 2007, qui a mené une enquête téléphonique auprès de onze EHPAD de l’Essonne 119
79 % des établissements accueillent des intervenants pour des activités d’animations, 44% pour des sorties et 58 % pour tenir compagnie aux résidents ‐ DREES. La vie en EHPAD du point de vue des résidents et de leurs proches. Dossiers solidarité et santé, 2011, n°18, 75 p., p 54. 120
Article L1110‐11 du code de santé publique Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 29/45 S’il est évident que ces initiatives pour l’investissement des bénévoles en EHPAD se doivent d’être encouragées, le cadre dans lequel elles se déroulent et surtout la formation et l’accompagnement desdits bénévoles interrogent certains EHPAD et certaines associations de bénévoles. Le contact avec des personnes fragiles et dépendantes, pour certains en fin de vie, peuvent être éprouvant pour des bénévoles peu formés ou peu accompagnés dans leurs actions. Un constat s’impose également : dans les EHPAD dans lesquels interviennent des associations, les résidents sont très majoritairement « bénéficiaires » de l’action des associations et de leurs bénévoles qui « donnent de leur temps ». Cette notion est également présente dans les textes puisque « les associations de bénévoles peuvent apporter un soutien »121. Ainsi, très rares sont les associations qui considèrent les résidents comme des acteurs potentiels de l’association, comme de potentiels bénévoles et non pas des bénéficiaires. Les résidents en EHPAD qui étaient auparavant bénévoles au sein d’associations sont ainsi peu nombreux à poursuivre leur investissement commencé avant l’entrée en établissement. L’éloignement de l’ancien lieu de vie, les difficultés de mobilité et le besoin d’accompagnement sont des freins à cette poursuite d’engagement. A titre d’exemple, de nombreux résidents étaient auparavant membres d’associations d’anciens ou de retraités. Mais les liens entre les associations d’anciens et les résidents en EHPAD sont difficiles à mettre en place : « au départ, les membres du club des anciens ne se sont pas mobilisés pour mettre en place des actions avec les anciens membres qui sont entrés en EHPAD. Il avaient en quelque sorte peur de voir ce qu’ils pourraient devenir, peur d’être confrontés à la maladie, à la dépendance et aux pertes cognitives »122. Des projets et des liens peuvent se mettre en place mais ils nécessitent de la patience, du temps et de l’écoute. 4.
Les animaux en EHPAD Aucun texte de loi n’interdit la présence d’animaux en EHPAD. Néanmoins, la médicalisation des établissements et le respect des normes hygiéniques peuvent limiter, voire interdire la présence d’animaux dans les règlements intérieurs. La seule contrainte étant, pour l’accueil de l’animal d’un résident, la capacité de celui‐ci à s’en occuper. La circulaire Franchesci, datant de 1986, si elle n’a pas valeur de loi, précise que « les personnes âgées qui ont un animal familier doivent être autorisées à le garder avec elles, dans la mesure où il ne créera pas une contrainte anormale pour le personnel et où il ne gênera pas la tranquillité des autres résidants »123. Au sein des EHPAD, le directeur, lors de la rédaction du règlement intérieur (ou au cas par cas si cela n’est pas précisé dans ce document) a la liberté d’interdire la présence des animaux domestiques des résidents. Il n’existe pas de données fiables sur la possibilité pour les résidents d’aménager avec leur animal mais différentes sources précisent que 40 à 50 % des établissements autorisent la présence d’animal domestique pour les résidents124. 121
Article L1112‐5 du code de santé publique LM, animatrice dans un EHPAD rural, qui a mis en place un projet d’animation visant à renforcer les liens entre l’EHPAD et les autres associations du canton, rencontrée au cours de l’enquête qualitative. 123
circulaire Franceschi du 11 mars 1986 124
Plusieurs articles citent ce chiffre de 40 à 50 % d’établissement permettant l’accueil des animaux. La thèse de Docteur Vétérinaire de Audrey Christine Poujol, La thérapie facilitée par le chien auprès des personnes âgées résidant en institution, mentionne une étude datant de 2000, sans la citer précisément, donnant le chiffre de 66 % d’établissements autorisant la présence des animaux des résidents, 13 % les refusant, le reste ne se prononçant pas ou n’ayant pas de règle pré‐établie. 122
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 30/45 Les animaux domestiques peuvent jouer un rôle important dans la vie sociale des résidents en EHPAD. Certains accompagnent leur maitre depuis des années. Lors de l’entrée en EHPAD, le fait de conserver son animal permet de poursuivre cette relation. De plus, les animaux sont un vecteur de lien social. De manière générale, l'un des apports essentiels de la possession d'un animal de compagnie est sa capacité à faciliter les contacts et les interactions, non seulement avec des amis mais aussi avec des personnes étrangères. L'animal peut donc être un vecteur de communication et un élément moteur de socialisation et d'intégration sociale125. Il est défini comme un « catalyseur de relations sociales »126 De plus, la présence d’un animal permet de limiter le sentiment de déracinement, d’avoir une présence rassurante et ainsi de renforcer la qualité de vie des résidents. Néanmoins, d’autres aspects supplémentaires sont à prendre en compter : l’EHPAD est un lieu de vie collectif. La présence d’animaux peut gêner certains résidents qui peuvent ne pas les aimer. Elle peut également être une source de danger pour des résidents fragiles, qui peuvent chuter ou tomber si un animal leur traine dans les jambes, voire se faire mordre ou griffer. Certains animaux peuvent être vecteurs de maladies ou bactéries, potentiellement vecteurs de zoonose et entrainant un risque sanitaire pour l’établissement. Enfin, chez certains résidents peut se développer un repli sur soi et sa relation avec l’animal, favorisant la désocialisation, phénomène appelé zoolâtrie127. L’animal, s’il peut être un fort vecteur de lien social, n’est pas forcément présent de manière continue au sein de l’EHPAD. Les EHPAD peuvent connaitre plusieurs formes de présence d’un animal : - L'animal personnel qui accompagnera son maître jusqu'au bout et qui doit être admis avec lui dans l'établissement. - L'animal visiteur : plusieurs associations d’amis des animaux proposent des visites bénévoles au sein des EHPAD accompagnés des animaux de compagnie, permettant un contact avec les résidents et ceux - L'animal collectif : L'établissement accueille un animal qui appartient à tous les résidents. C'est une sorte de mascotte. Il a un rôle social et affectif, intervient dans des animations ou encore peut devenir co‐thérapeute. - Les parcs animaliers : plus rarement, certaines maisons de retraite ont la capacité d'aménager des parcs accueillant des animaux, parfois de ferme. Il apparait dans les études menées sur la présence d’animaux dans les EHPAD128 que ceux‐ci sont des facteurs de renforcement de liens sociaux, et ce encore plus auprès de résidents atteints de déficiences psychiques. 125
De nombreux ouvrages de sociologues et psychologues traitent du sujet. A titre de synthèse, on peut citer l’introduction sur le rôle de l’animal dans notre société du Projet de loi relatif aux animaux dangereux et errants, et à la protection des animaux, Rapport n° 429 (1997‐1998) du Sénat de M. Dominique BRAYE, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 13 mai 1998 126
CUTT, H., GILES‐CORTI, B., KNUIMAN, M., BURKE, V. Dog ownership, health and physical activity: A critical review of the literature. Health and Place, 2006, 1‐12., cité par Audrey Christine Poujol, La thérapie facilitée par le chien auprès des personnes âgées résidant en institution 127
Expression de GAGNON, A.C. Les animaux : rôle médical et social, Le Point vétérinaire, décembre 1987, vol.19, n°110 128
A ce sujet, cf. POUJOL A.C., la thérapie facilitée par le chien auprès des personnes âgées résidant en institution, thèse, Ecole nationale de Toulouse, 2009 ; cette thèse recense et synthétise les études menées sur l’impact de la présence d’animaux auprès de personnes âgées Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 31/45 C. La participation des résidents à la vie de l’établissement En plaçant l’usager au cœur de la structure médico‐sociale, la règlementation a permis de fixer une orientation générale et de définir des outils à l’expression de la participation des usagers. Cette question, clarifiée par la loi de janvier 2002, est au cœur de la problématique de la recommandation. Suffit‐il simplement de faire appliquer la loi pour que la participation des résidents soit effective ? Bien sur, l’application des lois et décrets fixant le cadre de la participation des usagers doit être effective. Néanmoins, une démarche d’accompagnement des résidents dans la prise en compte de leurs droits et leur participation est nécessaire. Des outils existent et sont en principe utilisés par les établissements. Le projet de vie personnalisé a ainsi été mis en œuvre pour recueillir les attentes des résidents et de la famille et a fait l’objet d’une recommandation de l’ANESM. Le Conseil de la Vie Sociale est, en principe, le lieu d’expression et de participation des résidents au sein de l’établissement. Mais il apparait que les résidents connaissent mieux les dispositions règlementaires (règlement intérieur notamment) que leur droit à la participation. D’autres organes existent aussi pour favoriser la participation. 1.
Le Conseil de la Vie Sociale : organe central de la participation des usagers à la vie sociale des établissements a)
Histoire et contexte La loi du 2 janvier 2002, en plaçant au cœur du dispositif le résident comme titulaire de droits, a fixé un cadre clair et précis visant à renforcer la participation des usagers au fonctionnement et à la vie des EHPAD. L’article L. 311‐6 crée ainsi les CVS (Conseil de la Vie Sociale) : « afin d’associer les personnes bénéficiaires des prestations au fonctionnement de l’établissement ou du service, il est institué soit un conseil de la vie sociale, soit d’autres formes de participation ». Le CVS remplace les anciens « conseils d’établissements » institués par la loi du 3 janvier 1985 (eux‐mêmes remplaçant les « conseils de maison » institués par la circulaire du 20 mars 1978)129. Le Décret 2004‐287 du 24 mars 2004 fixe de manière officielle la création des CVS, décret revu en 2005130 (qui a notamment institué de façon obligatoire la participation de représentants de familles au CVS). Ces textes placent les CVS comme des instances centrales pour la participation des usagers des établissements et services médico‐sociaux. Ce décret fixe le fonctionnement des CVS : « Le conseil de la vie sociale donne son avis et peut faire des propositions sur toute question intéressant le fonctionnement de l'établissement ou du service, notamment sur l'organisation intérieure et la vie quotidienne, les activités, l'animation socioculturelle et les services thérapeutiques, les projets de travaux et d'équipements, la nature et le prix des services rendus, l'affectation des locaux collectifs, l'entretien des locaux, les relogements prévus en cas de travaux ou de fermeture, l'animation de la vie institutionnelle et les mesures prises pour favoriser les relations entre ces participants ainsi que les modifications substantielles touchant aux conditions de prises en charge. ». 129
Voir notamment MAHOUT, C. Des conseils d’établissements aux conseils de la vie sociale. Gérontologie et société, 2009, n° 108, 2009, pp. 235‐ 247. 130
décret n°2005‐1367 du 2 novembre 2005 – texte en vigueur aujourd’hui Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 32/45 Organe consultatif, le CVS n’en est pas moins doté de larges compétences. Il doit être composé de 9 à 17 membres, avec des représentants des résidents, des familles, du personnel et de l’organisme gestionnaire. Les représentants des familles et des résidents doivent y être majoritaires. Il est élu en son sein un président et il se réunit au moins 3 fois par an. Le directeur ou son représentant participe avec voix consultative. b)
Des difficultés dans la mise en place et le fonctionnement Dans les faits, les CVS ne sont que rarement des structures réellement représentatives de la voix des résidents au sein des EHPAD. L’enquête DREES pointe que lorsqu’un résident rencontre un problème, il s’adresse dans 60% des cas au personnel de l’établissement, dans 20% à la famille et seulement dans 2 % au CVS. Le CVS n’est pas identifié par la grande majorité des résidents comme le lieu de remontée des avis et propositions des usagers. Au‐delà du signalement des problèmes, indispensable mais qui ne saurait être la seule utilité des CVS, il devrait, en principe, surtout être mis en place pour une réelle participation des résidents à la vie de l’établissement. Mais des limites et difficultés à cette effectivité des CVS apparaissent dans de nombreux établissements. Elles peuvent s’expliquer par : - le turn‐over des résidents. Les représentants des résidents aux CVS sont élus pour une durée un à trois ans. Or, certains résidents peuvent décéder au cours de leur mandat. Cela implique, au niveau des élus des CVS, de fréquents remplacements des élus : certains n’arrivent pas à la fin de leur mandat, d’autres peuvent développer des pathologies rendant plus difficile, voire impossible, leur participation - un manque d’information des résidents : l’enquête DREES démontre que le fonctionnement du CVS est, de tous les documents et instances, le moins communiqué, beaucoup moins par exemple que le règlement intérieur : « les dispositions règlementaires et contractuelles sur le fonctionnement de l’établissement apparaissent donc plus connues des personnes âgées que celles devant les informer de leurs droits et libertés, ainsi que celles devant leur permettre de s’exprimer »131 - un manque de formation des résidents et des personnels au fonctionnement des CVS - une difficulté générationnelle : les résidents actuels en EHPAD sont d’une génération pour laquelle le respect de la hiérarchie reste fort et la participation citoyenne ou revendicative beaucoup moins ancrée dans les mœurs. - le manque de disponibilités des familles et, surtout, le manque de liens entre les différentes familles des résidents rendant difficile leur rôle de représentation - une crainte des résidents de se faire élire et de subir certaines récriminations du fait de leur statut d’élu au CVS, osant porter les problèmes des résidents de manière publique. Ainsi, il existe des difficultés objectives pour l’animation des CVS qui rendent difficile son fonctionnement d’instance participative, au‐delà de quelques réunions par an. Certains EHPAD ont un système de boites à suggestions ou de réunions préparatoires de résidents permettant une parole effective. Des EHPAD organisent des réunions de préparation des CVS, par unités de vie ou par étage, qui permettent aux résidents de s’exprimer en petits groupes. D’autres organisent des réunions, avant ou après le CVS, avec l’ensemble des résidents, afin de permettre une expression directe de tous. 131
DREES. La vie en EHPAD du point de vue des résidents et de leurs proches. Dossiers solidarité et santé, 2011, n°18, 75 p., p 39‐40 Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 33/45 Le rôle du directeur est central et prépondérant dans la constitution et l’animation du CVS. Même s’il n’en est pas membre, c’est à lui que revient la charge d’organiser les élections. Ensuite, lui‐même ou une personne mandatée à cet effet assiste au CVS avec voix consultative. De par sa position et sa posture de directeur, il est évident qu’il occupe au sein du CVS un rôle crucial. La représentativité et le fonctionnement d’un CVS dépendent bien entendu des résidents et du Président, mais aussi de la relation entre le président du CVS et le directeur : « l’idéal en ce qui concerne la vie sociale interne, c’est un président et un directeur qui collaborent, se consultent, s’interpellent si nécessaire »132. L’animateur, qui est au contact direct avec les résidents, peut également jouer un rôle utile pour favoriser la prise de parole, l’écoute et l’animation de temps de préparation ou de restitution des CVS. 2.
D’autres lieux d’expression dans les EHPAD Au‐delà des textes133, certains établissements ont développé de nouveaux outils (commissions, groupes éthiques…) associant les résidents à la vie citoyenne et sociale de la résidence. De même, au niveau de la vie citoyenne, certaines maisons de retraite ont développé des mécanismes de mobilisation au moment des élections. Aucune de ces instances n’ayant de réalité ni d’obligation juridique, elles sont mises en place à l’initiative des directeurs, des personnels ou des résidents. Toutes peuvent permettre une meilleure participation des résidents à la vie sociale de l’établissement. Structure la plus fréquemment rencontrée en EHPAD, la commission « menus »134. En effet, le repas et ses contenus, la façon dont les personnes l’apprécient, les gouts et les préférences de chacun sont une des préoccupations les plus importantes des résidents. 80% des résidents en EHPAD participent ainsi à la réflexion et à la décision sur les menus (à noter néanmoins que ce chiffre n’est que de 58% pour les USLD135). Les comités restauration sont également l’occasion de faire se rencontrer et échanger les personnels de cuisine, les diététiciens et les résidents, qui fréquemment se croisent mais n’ont que des rapports épisodiques. Les Comités animation sont également assez fréquents au sein des établissements et sur le même modèle que pour les comités restauration, ils permettent la parole collective des résidents sur les animations proposées et attendues Les Conseils des Résidents peuvent aussi être une instance de développement du collectif et de la vie sociale. A la différence du CVS, qui est une instance représentative, ceux‐ci réunissent l’ensemble des résidents ensemble qui peuvent ainsi y exprimer leurs points de vue ou leurs difficultés. Il peut‐être animé par un psychologue, un animateur ou par le directeur lui‐même. 132
MAHOUT, C. Des conseils d’établissements aux conseils de la vie sociale. Gérontologie et société, 2009, n° 108, 2009, pp. 235‐ 247, p 239 133
Cf. PASQUIER, S. Évaluation de la satisfaction des résidents en EHPAD : pour une meilleure prise en compte de leurs attentes. Mémoire : Directeur d’établissement sanitaire et public : Rennes : EHESP, 2002. 77 p. sur les limites des règlementations 134
La mise en place d’une Commission des menus est par ailleurs une recommandation de bonnes pratiques de soins en EHPAD de la DGS et DGAS 135
DREES. La vie en EHPAD du point de vue des résidents et de leurs proches. Dossiers solidarité et santé, 2011, n°18, 75 p., p 43 Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 34/45 Au‐delà des outils interne, il apparait également que des lieux de réunion et de regroupement des résidents de différents EHPAD permettent aux résidents, qu’ils soient élus ou non du CVS, d’échanger, de parler. Par exemple, un département a mis en place un CVS départemental, qui réunit les membres du CVS des établissements différents du département. Cela permet donc une parole plus aisée, les résidents n’ayant aucune crainte de faire remonter des problèmes directement auprès des personnels. La prise de parole et la participation des résidents se font surtout de manière informelle, avec les personnels des EHPAD. Il s’agit du premier moyen pour les personnes âgées de faire remonter les plaintes ou les dysfonctionnements. La participation des résidents au développement de leur vie sociale ne peut se faire sans une écoute, y compris des petites choses qui pourraient paraitre insignifiantes, à l’occasion des soins ou des visites médicales, et plus généralement à tout moment des différents contacts entre le personnel et les résidents.
III. La médiation et le rôle de l’EHPAD et de ses
professionnels
A. Eléments de contexte « Dans le contexte de la maison de retraite où tous les soins sont concentrés sur ce corps dans lequel la personne ne se reconnait plus, et sur lequel elle n’a qu’une maitrise limitée, l’attention presque exclusive au bon fonctionnement du corps entraine une mort sociale »136 . Les EHPAD et leurs personnels sont face à un paradoxe : les résidents sont pris en charge, au sein de l’établissement, comme ils ne l’ont probablement jamais été au cours de leur vie : au niveau des soins, du quotidien… Ils sont extrêmement entourés, souvent bien plus qu’ils ne l’étaient avant leur entrée en établissement137. Dans le même temps, ces mêmes résidents sont ou se sentent isolés. L’entourage humain quotidien des résidents est dorénavant composé d’autres résidents et de professionnels. Le déplacement quotidien chez le boulanger est remplacé par la visite de l’infirmière, la sortie randonnée avec les amies est remplacée par l’animation de l’après‐midi, la discussion avec le voisin par le rendez‐vous avec le docteur. Les personnels, d’animation, de soins ou d’aide à la vie quotidienne, deviennent fréquemment les personnes avec qui les résidents ont le plus de relations. Ainsi, les professionnels deviennent parmi les principales relations sociales des résidents. L’animateur n’est donc pas seul à s’occuper de la vie sociale des résidents. Les différents personnels s’occupent également, par un soutien aux activités, un accompagnement pendant les sorties… Surtout, par leur présence quotidienne, au moment des soins, du nursing ou du ménage, ils deviennent de fait membre du réseau social des résidents. La question du rôle de tous les professionnels de l’EHPAD dans le développement d’une vie sociale des résidents s’inscrit dans un triple contexte. 136
MALLON, I. Vivre en maison de retraite. Le dernier chez‐soi. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2004. 300 p. Coll. Le sens social, p. 185 137
C’est notamment le cas pour les personnes vivant auparavant seules à leur domicile. Cette assertion est moins vraie pour les personnes vivant en couple ou chez un membre de leur famille avant d’entrer en EHPAD. Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 35/45 1.
La vision des résidents du point de vue des personnels et de l’établissement Une problématique de ces relations sociales entre les résidents et les professionnels est la façon dont sont considérés les résidents par les salariés de l’EHPAD, la façon dont ils sont perçus comme des personnes avec un rôle social, des droits, y compris lorsqu’ils ont une forte dépendance ou de nombreuses pathologies. Les postures des différents intervenants jouent donc un rôle extrêmement important dans la reconnaissance des résidents dans leurs rôles sociaux. C’est l’image que renvoie le personnel de manière individuelle, mais aussi l’EHPAD en tant que structure, qui permettra au résident de se sentir citoyen avec une identité et bénéficiant de droits. Il est rare de trouver dans la littérature des études sur la façon dont les personnels et dont l’établissement lui‐même, en tant qu’institution, considère ses résidents. Or, les résidents sont tout à la fois : - des clients d’un établissement, pour lequel ils payent une prestation d’hébergement et dont ils peuvent exiger un service d’hôtellerie de qualité - des patients du personnel médical, pris en charge pour leurs pathologies par des médecins et des infirmières - des résidents titulaires de droits, renforcés par la loi du 2 janvier 2002 - des personnes fragiles et dépendantes, parfois en cours de déprise ou en phase de dépression, nécessitant une aide pour le développement de leur vie sociale et quotidienne Ces quatre statuts peuvent se croiser, se mélanger parfois dans le regard des professionnels et de l’établissement. Par ailleurs, une double différenciation peut se faire, dans la vision qu’ont les personnels des résidents. Tout d’abord, il peut s’opérer une distinction entre les résidents encore valides psychiquement et ceux atteints de troubles psychiques et beaucoup plus dépendants : « Ce sont surtout les handicaps psychiques qui influent sur la relation entre personnel et résident. Ce type de handicap annule, plus que les handicaps physiques, une forme de réciprocité qui pourrait s’établir entre résidants et personnels. Le personnel ne voit plus dans le résidant une personne adulte, capable de faire des choix ou d’émettre des plaisirs. C’est dans ce cas que les risques de dépersonnalisation sont les plus importants »138. Ensuite, le statut social des résidents, antérieur à leur entrée dans l’établissement, peut également modifier les relations entre les personnels et les résidents. En fonction du statut du personnel en EHPAD (médecin, infirmier, AS, AMP), ceux‐ci peuvent être plus à même de tisser des relations avec des personnes du même groupe ou niveau social, ou alors en fonction des caractères ou qualités morales des résidents : « Au Genêts, les résidents qualifiés de gens « du monde » par certaines aides‐
soignantes ou d’autre personnels d’origine sociale modeste, posent des problèmes relationnels à l’équipe soignante, notamment pour ce qui concerne l’acceptation des soins et des animations proposées par l’institution. A contrario, certains résidents sont jugés plus « faciles » car ils sont socialement et géographiquement plus proches des professionnels »139. Enfin, pour définir la façon dont l’établissement voit ses résidents, la terminologie employée par les EHPAD est importante. Les termes utilisés peuvent être lourds de sens sur la façon de considérer les résidents : « fugue », « placement » sont des termes encore usités. Le terme « lit » est également employé et très rares sont les EHPAD parlant de leur capacité d’accueil en terme de chambres, de 138
PLANSON, N. La définition normative des résidants en maison de retraite et le travail de leurs personnels. Sociétés contemporaines, 2000, n° 40, p. 93 139
L’EHPAD, pour en finir de vieillir, p. 92. Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 36/45 domicile ou de résidents. Or, le mot « lit » renvoie à la notion d’hôpital ou de capacité d’accueil, et non de personnes accueillies. On peut à titre d’exemple citer une maison de retraite parisienne qui, sur son site Internet, présente son EHPAD comme disposant de « 57 chambres et 11 lits pour personnes atteintes d’Alzheimer ». La distinction entre « lit » pour résidents atteints de difficultés cognitives et de « chambre » pour les autres, si elle n’est sûrement pas volontaire, est néanmoins symptomatique d’une certaine vision que peuvent encore avoir les établissements de certains de leurs résidents. 2.
La « demande » des résidents envers les professionnels Les résidents sont en attente d’un développement de liens sociaux. Or140, ce n’est pas du côté des autres résidents que sont recherchés ces liens : par peur de s’investir dans des relations qui peuvent se terminer par le décès, crainte de perte d’autonomie… Paradoxalement, alors que de nombreux résidents se sentent seuls, ils ne vont pas de manière naturelle vers les autres résidents pour tisser des liens mais sont en attente forte de relations avec le personnel : « si beaucoup de résidents s’accommodent de l’indifférence des autres pensionnaires à leur égard, ils expriment en revanche un grand besoin de relationnel avec le personnel qui s’occupe d’eux au quotidien »141. Ainsi, il apparait extrêmement important pour les personnes âgées que les personnels aient des qualités humaines et relationnelles : « gentillesse », « humanité », « sympathie » sont les qualités les plus recherchées chez les personnels. Confortant cette analyse, au niveau des insatisfactions des résidents à l’égard des professionnels, ce qui ressort le plus est « le manque de disponibilité » et « le manque d’attention », items comprenant une bien plus forte insatisfaction que les questions techniques du soin ou du nursing142. Ainsi, une dichotomie apparaît entre d’une part des professionnels, dont on attend un professionnalisme sans faille dans la gestion des tâches quotidiennes, sur un aspect technique, hygiénique ou médical, et des résidents dont les attentes sont à la fois sur une excellence professionnelles (lié au fait de payer pour un service dont on attend qu’il soit parfait) et une volonté de lien social : « comment se situer comme professionnel et répondre à la demande de résidents âgés altérés dans leur santé physique et cognitive, si leur demande est finalement une demande d’amour ? »143. Sur cette question des relations entre professionnels et résidents, et bien qu’il n’existe pas vraiment d’études sur le sujet, on remarque de façon transversale dans la littérature une différence assez forte entre les EHPAD situés dans des zones rurales et ceux situés en zone urbaine. En zone rurale, les résidents sont souvent issus de la ville où se trouve l’établissement ou des villages environnants. Le mémoire de CAFDES de Anne‐Marie Gil de Gomez, réalisé au sein d’un EHPAD à Caussade, dans le Tarn‐et‐Garonne, illustre ce propos144. Habitants dans cette région depuis longtemps, quelquefois depuis plusieurs générations, les résidents peuvent se connaitre entre eux 140
Cf. partie II, vie sociale interne DRASSA, La qualité de vie en maison de retraite, Aquitaine, p 23. 142
DREES. La vie en EHPAD du point de vue des résidents et de leurs proches. Dossiers solidarité et santé, 2011, n°18, 75 p., enquête, p 31 143
CHRISTEN‐GUEISSAZ, E. (direction), Le bien être de la personne âgée en institution, Paris, Seli Arslan, Paris, 218 p., p 108 144
GIL DE GOMEZ, A.‐M. Délocaliser les unités de vie pour maintenir le lien social. Mémoire : CAFDES : ENSP : Rennes, 2004. 75 p. Ces éléments apparaissent également dans L’EHPAD, pour en finir de vieillir ou dans l’étude de la DRASSA, La qualité de vie en maison de retraite, Aquitaine 141
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 37/45 avant leur entrée en EHPAD. Cette connaissance n’est pas toujours directe (le père du boulanger, un membre d’une famille bien connue du village, enfants étant allés ensemble à l’école…) mais apporte une forme de sécurité et facilite l’intégration au sein de l’établissement. Au niveau du personnel, beaucoup d’entre eux, notamment AS, AMP ou personnel technique, peuvent être également issus des villages ou villes alentours et sont également connus des résidents (amis des enfants ou des petits‐enfants, enfant de voisins ou famille très éloignée…). De plus, en raison du faible nombre d’établissements et de structures en raison d’une plus faible densité de population145, le personnel est moins enclin à changer d’emploi et d’établissement, pouvant favoriser une meilleure connaissance des résidents. « La proximité de l’institution avec l’aire géographique où le pensionnaire a vécu à un moment donné de sa vie (naissance, vie professionnelle et/ou vie de retraite) a une influence non seulement sur le choix de l’institution mais aussi sur la meilleure intégration du pensionnaire »146. La situation dans les EHPAD situés dans des villes importantes est différente : rares sont les résidents qui connaissent des membres du personnel ou d’autres résidents. Le turn‐over est plus important du côté des personnels. Et ces changements fréquents d’intervenants quotidiens fragilisent les résidents, dont certains sont atteints de troubles cognitifs, rendant plus difficile le tissage de liens entre les personnels et les résidents. Les résidents paraissent donc surtout en recherche de relations sociales de « sécurité » : des personnes déjà connues au moins de manière indirecte et avec lesquelles on escompte pouvoir tisser des liens sur le long terme. 3.
Les contraintes des personnels Si ce travail s’inscrit dans un cadre juridique de bientraitance des personnes âgées, on ne peut occulter une problématique incontournable des relations sociales en EHPAD au moment d’aborder la question des liens avec les professionnels : celles des limites budgétaires et horaires. Les médecins ont un nombre de patients à visiter, les infirmiers ou aides‐soignants ont des résidents à s’occuper et un nombre de soins ou de toilettes à effectuer par jour. Ainsi, dans un contexte de fréquent sous‐effectif, de contraintes de remboursements pour les médecins, les actes essentiels peuvent être prioritaires par rapport au temps passé pour échanger avec le résident. De plus, passer du temps peut même être déconsidéré professionnellement : « passer du temps auprès d’un résident ou d’une famille souhaitant parler n’est pas toujours considéré comme du temps de travail mais plutôt comme un prétexte à ne pas travailler »147. Une vie et des relations sociales, si elles sont abordées sous l’angle du droit des résidents, sont aussi à double sens. Il ne peut y avoir un résident, destinataire d’attentions, et un professionnel, émetteur. L’équilibre de la relation tient dans la réciprocité. Le travail quotidien des professionnels en EHPAD est un travail difficile car il expose chaque professionnel, dans son activité salariée, à des questions très personnelles : « la confrontation au grand vieillissement est en elle‐même éprouvante car la vieillesse dans les institutions est le plus souvent difficile, pathologique, marquée par la détérioration 145
Néanmoins, dans les zones rurales, les établissements connaissent d’importantes difficultés de recrutement de personnel, tant médical que paramédical – cf. l’étude sur Les aides‐soignants dans le médico‐social en Poitou‐Charentes de l’ORS réalisée en 2005 146
DUPRÉ‐LEVEQUE, D. Une ethnologue en maison de retraite, Archives contemporaines, 2002. ‐ 119 p 147
DUFOUR‐RENOUF, F. Développer un projet d’animation en EHPAD au service de la vie sociale des résidents. Mémoire : CAFDES : ENSP, 2006. 77 p. Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 38/45 physique et psychique. (…) Travailler en gériatrie, c’est s’exposer tous les jours à une demande relationnelle, quantitative et qualitative, à laquelle on ne peut répondre complètement »148. De même, la question de la mort est forcément présente pour les professionnels qui y sont confrontés quotidiennement. Cette question de l’écoute des professionnels pour éviter des phénomènes de burn‐out ou de démotivation, voire de maltraitance, a une place importante dans le management des équipes travaillant en EHPAD, fréquemment confronté à des situations difficiles pouvant renvoyer à des situations personnelles vécues : « nous, nous sommes tous les jours en contact avec la vieillesse. Mais ce n’est pas la jolie vieillesse, celle de la télé, c’est la vieillesse difficile, celle des malades… »149. B. Les professionnels « Quand bien même que ce sera très beau, ou que la peinture sera rafraîchie tous les six mois, ou que ce sera du plancher en marbre… le personnel, c’est ta pierre angulaire »150. 1.
Le personnel soignant Dans chaque établissement se trouve, en nombre conséquent, du personnel soignant : infirmier et cadre de santé, médecin, gériatre… De plus, contrairement au dyptique maison lieu de vie / hôpital lieu de soins, l’EHPAD est les deux à la fois, nécessitant une articulation entre ces deux démarches. Or, il existe un lien entre santé et vie sociale. S’il n’est pas prouvé qu’une vie sociale riche permette d’avoir une meilleure santé, il est en revanche démontré que le réseau relationnel permet de modérer le stress suscité par certains événements (pathologies, décès…), le stress ayant des conséquences directes sur la santé. Ainsi, « il semble que les relations interpersonnelles, plutôt que d’améliorer la santé des bien‐portants, contribuent plutôt à maintenir celle des malades »151. Les résidents ayant souvent de nombreuses pathologies, la vie sociale dans les EHPAD joue donc un rôle sur la santé des résidents. Si le médecin a un rôle avant tout de soignant, et si son temps est compté pour chaque patient, il ne peut ignorer l’importance de la prise en compte de la vie sociale. Au sein des EHPAD existent maintenant des médecins coordonnateurs152 (80 % des EHPAD disposaient en 2007 d’un médecin coordonnateur153), qui ont une vision globale du projet de soin et du dossier médical des résidents. Il y a fréquemment un développement d’une véritable relation entre le médecin et le résident, qui peut devenir personnelle : dans certains cas, lorsque le résident n’a pas ou plus de famille, le médecin traitant peut devenir la seule personne de l’extérieur à venir le visiter. Il y a toute une préparation à la visite du médecin et le développement d’une « symbolique du rendez‐vous »154, pour lequel le résident se prépare tant physiquement que psychologiquement. Se retrouver seul à seul avec lui permet d’aborder des sujets intimes. 148
BADEY RODRIGUEZ, C. Psychologue en Maison de retraite. Gérontologie et société, n° 104, 2003, pp 69‐ 79. Madame M, AMP dans un EHPAD, rencontrée pendant l’enquête qualitative 150
Résidente en maison de retraite, citée dans CHARPENTIER, M., SOULIERES, Paroles de résidents, Ecole du travail social, Université du Quebec, Montréal, 2006, 103 p. 151
PERETTI‐WATEL, P. Lien social et santé en situation de précarité, économie et statistique no 391‐392, 2006, p. 115 152
Le décret du 26 avril 1999 a crée la fonction de médecin coordonnateur et en a précisé les missions 153
DREES. La vie en EHPAD du point de vue des résidents et de leurs proches. Dossiers solidarité et santé, 2011, n°18, 75 p. 154
Expression de DUPRÉ‐LEVEQUE, D. Une ethnologue en maison de retraite, Archives contemporaines, 2002. ‐ 119 p 149
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 39/45 Il a été observé qu’un résident qui se trouve dans une phase de repli sur lui‐même, qui perd sa capacité à s’ouvrir aux autres, est beaucoup plus enclin à être à l’écoute de son corps. Ainsi, la « bobologie et l’augmentation des plaintes somatiques »155 peut être un symptôme d’un déclin social. Les infirmiers jouent également un rôle important dans la vie sociale de l’établissement. Au‐delà de leur rôle de soignant, ils ont une connaissance des différents patients extrêmement nécessaire à la prise en compte de leur vie sociale. Le rôle du personnel soignant, au sein des structures médico‐sociales, est ainsi au croisement du médical et du social. Néanmoins, la relation avec le personnel soignant est déséquilibrée : « de par leur histoire, les EHPAD possèdent une culture soignante très ancrée dans les comportements des professionnels. Dans cette culture, le médecin et par conséquent l’IDE et l’aide‐soignante sont dans une relation de pouvoir et de savoir par rapport à la personne âgée qui est affaiblie et inquiète. Le professionnel dans l’intérêt du résident indique à ce dernier ce qu’il doit faire. Dans ce cadre, la parole du résident est souvent peu écoutée »156 Dans ces structures médicalisées, le médicament devient un élément de la vie sociale : « regarder le médicament comme support social et médical de la relation personnel / résident révèle bien des stratégies d’acteurs où chacun a un rôle déterminant et déterminé »157. Le médicament joue un rôle symbolique sur plusieurs aspects : - Un transfert affectif : à son ancien domicile, lors de l’arrivée de pathologie et de la dépendance, c’est dans la majorité des cas la famille qui s’occupe du suivi de la prise de médicaments : gestion des boites, des doses, suivi avec le médecin, assurance que la personne les prend bien… dès l’entrée en EHPAD, ce rôle tenu auprès des résidents est transféré au personnel médical, et notamment les infirmières, d’où parfois un transfert affectif entre la famille et le personnel médical, qui peut poser la question de transmission d’informations tenues par le secret médical ou de la place des familles dans la vie des résidents - Un tisseur de lien : les médicaments sont en principe distribués aux moments des repas, et servent de base de discussion : deux personnes ayant le même médicament se sentiront plus proches, d’autres seront fiers d’en avoir des différents ou moins que les autres : le médicament devient ainsi un vecteur de discussion, de liens entre résidents - Un outil pour que l’on fasse attention à soi : lorsqu’un résident refuse catégoriquement de prendre un de ses médicaments, le personnel soignant devra faire appel au médecin traitant ; « la personne âgée le sait et use de ce stratagème pour qu’on lui accorde plus d’attention »158 2.
Le personnel aidant Le personnel aidant, paramédical ou de nursing est nombreux en EHPAD : sur l’ensemble du personnel, on comptabilise en moyenne 29 % d’aides‐soignants, 28 % d’ASH et 5 % d’AMP159. Alors que le personnel médical détient une expertise scientifique, les personnels aidant détiennent ce que 155
GANDRA‐MORENO, L. La valorisation du rôle social du résident : un outil de lutte efficient contre le déclin du sujet âgé institutionnalisé. Mémoire : Directeur d’établissement sanitaire et social : Rennes : ENSP, 2004. 79 p., p 23 156
DEBACQ, E. Le droit au choix des résidents en EHPAD, un engagement du projet d’établissement face aux contraintes institutionnelles. Mémoire : Directeur d’établissement sanitaire et social : Rennes : ENSP, 2009. 52 p., p 30. 157
DUPRÉ‐LEVEQUE, D. Une ethnologue en maison de retraite, Archives contemporaines, 2002. ‐ 119 p 44 158
DUPRÉ‐LEVEQUE, D. Une ethnologue en maison de retraite, Archives contemporaines, 2002. ‐ 119 p, p 39 159
Enquête EHPA 2007 Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 40/45 Anne‐Marie Arborio a défini comme « un savoir profane et une expertise sociale »160. Ce personnel, en contact direct avec les résidents dans leur quotidien, est celui qui, fréquemment, passe le plus de temps avec la personne âgée. Ce sont les agents de services dont les résidents sont souvent les plus proches. Le ménage et le nettoyage de la chambre prenant un certain temps, c’est à cette occasion que des liens peuvent se créer, se développer, être une occasion de nouer une conversation : dépoussiérer une photo peut être l’occasion d’échanger sur la famille, les proches... Parfois même, les résidents s’enquièrent de la vie des enfants ou de la famille du personnel : « si le personnel sous‐estime son rôle dans l’intégration du résident, il est possible qu’il ne s’intègre pas et se laisse glisser insensiblement vers la mort »161. De plus, ces personnels, sur la question des rôles sociaux des résidents, ont une grande importance : ce sont eux qui les aident à s’habiller, à choisir leur vêtements, se coiffer. Ces gestes du quotidien ont une grande importance pour l’image de soi des résidents. Mais cela nécessite également une connaissance des résidents, de leurs gouts. En 60 ans, les codes sociaux ont beaucoup changé en France. Nicolas Lépine162 cite un exemple sur la question de l’habillement pour deux résidentes dans un EHPAD : une des deux résidentes, ayant travaillé longtemps dans la mode, ne pouvait concevoir d’être habillée avec un pantalon. Dans une chambre voisine, une autre résidente, ayant été aide‐
soignante au cours de sa vie professionnelle, souhaitait l’être, car elle connait le travail des professionnels et sait qu’il est plus simple de s’habiller ainsi. Ces deux résidentes ont une vision radicalement différente de l’habillement, ce qui prouve la nécessité de l’écoute et de la connaissance des résidents dans la gestion du quotidien. L’entrée en EHPAD marque pour le résident l’apparition de nouvelles règles de vie, rythmées par les horaires inhérents à la vie en collectivité. Si elles doivent être adaptés aux résidents163, le personnel aidant peut devenir, avec ses contraintes de nombre de soins et nursing à effectuer, la personne qui fixe le rythme de la structure : « Inévitablement, le résident ressent tous les jours qu’on s’impatiente derrière lui et que le temps qu’on lui consacre ne dépend que du temps que la structure lui concède »164. A priori, chaque personnel, en fonction de ses diplômes, devrait avoir une tâche définie et un rôle précis aux côtés et en accompagnement des résidents. Néanmoins, cette pluralité d’intervenants, se chevauchant parfois en fonction des absences ou du manque de personnel, fait clairement manquer de lisibilité les tâches des uns et des autres. Les expériences de relations sont diverses en fonction des différents EHPAD, de son contexte, de sa situation. Le management de l’établissement est ainsi extrêmement important, tant dans les postures à adopter pour les personnels mais surtout sur les liens à tisser entre les résidents et le personnel : il sera difficile pour un résident de tisser des relations durable si le personnel change fréquemment, en raison d’absences ou de gestion de plannings : « les personnes âgées s’y perdent. Elles qui ont souvent des problèmes de mémoire sont incapables de trouver leurs repères. Les personnels changent tellement souvent qu’elles n’ont pas le temps de faire leur connaissance. L’absence d’écoute et le manque d’intérêt qu’on leur manifeste les amène à se replier sur elles‐
160
ARBORIO, AM. Savoir profane et expertise sociale. Les aides‐soignantes dans l’institution hospitalière, Genèses, no 22, 1996, p 87 à 106 161
DUPRÉ‐LEVEQUE, D. Une ethnologue en maison de retraite, Archives contemporaines, 2002. ‐ 119 p, p 47 162
LEPINE N., Vieillir en institution ‐ Sexualité, maltraitance, transgression, Paris, Chroniques sociales, 2008, 175 pages 163
Voir à ce propos la recommandation de l’ANESM, Le cadre de vie et la vie quotidienne, et notamment la partie sur les horaires 164
LABOREL Bernard Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 41/45 mêmes »165 Pour les AMP, la définition de leurs postes devrait les amener à être clairement identifiées, en tout cas légalement, comme accompagnatrices de la vie sociale des résidents : « Le rôle de l’A.M.P. se situe à la frontière de l’éducatif et du soin. Il prend soin des personnes par une aide de proximité permanente durant leur vie quotidienne, en les accompagnant tant dans les actes essentiels de ce quotidien que dans les activités de vie sociale et de loisirs »166 Enfin, la difficulté du travail quotidien, le contact permanent avec la dépendance et la mort, entraine parfois une automatisation dans les traitements et l’accompagnement des résidents, qui devient « une série de tâches mécaniques, effectuées rapidement les unes après les autres dans un souci d’efficacité technique » 167. Il est évident que dans un contexte comme celui‐ci, le résident perd l’image de soi. Alors que Bernard Hervy proposait, en 2003, dans son rapport de mission remis au Secrétaire d’Etat aux personnes âgées, de « consacrer 10% du temps du personnel à l’accompagnement de la vie sociale des personnes âgées, pour tous les personnels, sans exceptions »168, de manière objective, cette proposition est très loin d’être devenue une norme dans les EHPAD. 3.
Le psychologue : une place à part L'une des grandes nouveautés de la réforme de la tarification des EHPAD est la place faite aux psychologues en établissements169. Les psychologues sont ainsi pris en charge à 100% sur le tarif « dépendance »170. La présence d'un psychologue est donc pour la première fois reconnue dans les maisons de retraite et ses domaines d'action définis : compétence vis‐à‐vis des résidents, de leur famille, du personnel et de l'institution. Sa place est essentielle pour la vie de la personne âgée en institution, par son aide à s'adapter à sa nouvelle vie, à faire le deuil de la précédente, établir un diagnostic de ses capacités psychiques et écouter son mal‐être potentiel face au vieillissement ou au handicap. Il peut lui permettre de s'accepter et de vivre au mieux sa nouvelle vie, au sein de la maison de retraite. Le travail du psychologue est également important pour les familles, souvent en désarroi devant la nouvelle situation familiale induite par l’entrée en EHPAD ou au moment de la fin de vie. Le rôle du psychologue est ainsi pluriel171 : - dans l’écoute des résidents, sur leurs éventuels mal‐être, ses craintes vis‐à‐vis de la mort, mais aussi son isolement, ses attentes vis‐à‐vis de l’institution. Ainsi, il peut être impliqué 165
GINESTE Y. (direction), Silence, on frappe... ‐ De la maltraitance à la bientraitance des personnes âgées, Paris, Petrarque, 2004, 328 p. 166
Répertoire National des Certifications Professionnelles 167
Terme employé par DELIOT, C., CASAGRANDE, A. Vieillir en institution : Témoignages de professionnels, regards de philosophe. Montrouge : John Libbey Eurotext, 2006. 176 p., p 57 168
HERVY, B. Propositions pour le développement de la vie sociale des personnes âgées. Rapport de mission. Rennes : Éditions ENSP, 2003. 159 p 169
http://www.residencelechasseur.fr/index.php/site/pages/definitions_de_fonctions#2 170
Décret n°2007‐828 du 11 mai 2007 ‐ art. 5 171
Cette recommandation ayant pour thème « la vie sociale des résidents », nous n’abordons pas le rôle du psychologue vis‐à‐vis du personnel des EHPAD, mais ce rôle est indispensable à son bon fonctionnement. Il est par ailleurs fréquent que ce soient deux psychologues différents qui interviennent en EHPAD, un pour accompagner les résidents et les familles, et un second pour accompagner le personnel. Ce système peut parfaitement s’intégrer dans une démarche inter établissement, où un psychologue intervient dans un établissement auprès des résidents et un autre auprès du personnel, et inversement dans un autre établissement. Cf. FNADEPA. Place et rôle des psychologues dans les établissements d’accueil pour personnes âgées dépendantes. Paris : FNADEPA, 1999. 59 p. Coll. Etudes, Recherches et Documents, 1999. Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 42/45 -
dans le projet de vie du résident et aider à une bonne définition des attentes du résident. dans le maintien des liens familiaux et de ses relations sociales. Si le psychologue n’est pas là pour pratiquer une psychothérapie familiale, puisque son patient est le résident, il peut néanmoins accompagner la famille dans la définition des nouveaux rapports sociaux au sein de la famille. Si leurs travails sont différents, l’animateur et le psychologue partagent la nécessité d’accomplir leurs missions dans une logique institutionnelle et pluridisciplinaire et notamment dans le cadre du projet d'établissement. Le psychologue ne peut en effet espérer aider la personne âgée que dans le cadre d'un travail en équipe, avec le soutien de la famille et l'assentiment de l'institution. Le psychologue pourra ainsi parfois désamorcer des conflits et aider le directeur à prendre le recul nécessaire : « le psychologue a donc une vision transversale de ce qui se passe au sein de l’Ehpad, côté personnel comme côté résidents. Ecouter et comprendre, ainsi le psychologue est un maillon qui paraît indispensable pour faire des maisons de retraite des lieux de vie et d’échange…et redorer leur blason »172. C. Projet d’établissement, projet de vie personnalisé et vie sociale La construction de ces différents documents et l’accueil des résidents ont déjà fait l’objet de recommandations de l’ANESM, à savoir : « concilier vie en collectivité et personnalisation de l’accueil et de l’accompagnement », « L’élaboration, la rédaction et l’animation du projet d’établissement » et « les attentes de la personne et le projet personnalisé », de nombreux éléments et pistes de réflexions ont déjà été proposés par ces recommandations. Concernant la question spécifique de la vie sociale, il s’agit de bien faire émerger les attentes et les besoins de la personne au niveau de la vie sociale au moment de la construction de son projet personnalisé. D. L’interprofessionnalité et la vie sociale Une meilleure prise en charge des personnes âgées à domicile a, jusqu’au début des années 2000, repoussé l’âge moyen d’entrée au sein des EHPAD, qui accueillent aujourd’hui des personnes plus âgées (l’âge d ‘entrée en 2007 était de 83 ans), plus dépendantes et avec plus de pathologies. La partie médicale a été renforcée pour une meilleure prise en charge. Or, vie sociale et santé sont indissociables dans l’accompagnement de la personne âgée lui permettant d’avoir une qualité de vie correspondant à ses attentes. L’interprofessionnalité ou interdisciplinarité est donc une des caractéristiques de la gérontologie. Différent de la pluridisciplinarité (la juxtaposition) ou la multidisciplinarité (la somme) des disciplines, l’interprofessionnalité se définit comme « des processus et modalités d’organisation de travail et de communication sociale permettant à des professionnels d’horizons, de cultures et de pratiques différents d’échanger et éventuellement de mettre en commun des connaissances, des informations, des opinions, des vécus personnels en vue d’analyser et de comprendre toutes les situations professionnelles auxquelles chacun est susceptible d’être confronté »173. 172
WAHBY, J. Psychologue en Ehpad : un rôle clef, Le mensuel des maisons de retraite, n°129‐Mars 2010 MANIERE D., AUBERT, M. MOUREY, F. OUTATA, S., interprofessionnalité en gérontologie. Travailler ensemble. Des théories aux pratiques 173
Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 43/45 Ainsi, l’interprofessionnalité est citée par de nombreux auteurs comme étant un moyen d’aborder la question de l’animation de la vie sociale en l’EHPAD. En effet, les personnels en charge de l’animation ou de la vie sociale sont peu nombreux : seuls les grands EHPAD ont plusieurs animateurs. Dans la plupart des EHPAD, ceux‐ci sont souvent seuls à être en charge spécifiquement de la vie sociale, parfois à temps partiel ou sur plusieurs établissements en même temps. Ils ne peuvent donc que travailler avec les autres professionnels des autres services. On peut citer l’exemple d’un EHPAD disposant d’un coordinateur vie sociale à temps plein qui réussit à proposer 45 heures d’animation de vie sociale aux résidents par semaine alors qu’il ne travaille que 35 heures par semaine, temps de préparation et de coordination inclus174. La Charte de l’animation en gérontologie positionne ainsi l’animateur dans un contexte d’interprofessionnalité : « L’animateur intervient au sein d’une équipe interprofessionnelle, dont il reconnaît la complémentarité. Il communique dans la transparence et en fonction d’objectifs définis. »175 En effet, sur la question des réponses institutionnelles à apporter aux besoins d’accompagnement des résidents, l’établissement se doit de répondre aux attentes des résidents. Et, « pour répondre aux attentes des résidents, encore faut‐il les connaitre. (…) Or, de nombreux professionnels se trouvent quotidiennement auprès des personnes âgées. Ces acteurs sont des interlocuteurs privilégiés des résidents et ces moments sont souvent source de confidence »176. Au moment des soins quotidiens et du nursing se disent beaucoup de choses, les résidents peuvent se confier. La mise en commun de ces informations, le partage, la communication interne sont des éléments extrêmement importants pour accompagner efficacement le développement de la vie sociale. Les référents en charge de la question de la vie sociale, peu nombreux, ne peuvent connaitre parfaitement l’ensemble des attentes et contraintes de tous les résidents. Se côtoient au sein des EHPAD des personnels qui travaillent aux côtés des résidents mais sans avoir la même « culture professionnelle » : un animateur, un infirmier et un médecin n’ont pas les mêmes références et la non‐reconnaissance des spécificités de chaque métier peut être source de conflit ou empêcher un travail de concert pour cette question transversale de la vie sociale. Les référents « projet personnalisé », institués au sein de certains établissements, peuvent jouer un rôle important dans la prise en compte des besoins et des attentes des résidents et dans un accompagnement personnalisé. Certains résidents sont dans une logique de repli de la vie sociale et de désintérêt. Par exemple, il est estimé que 50 à 70 % des patients atteints de la maladie d’Alzheimer souffrent d’apathie. Or, ces symptômes sont beaucoup moins facilement identifiables que les comportements perturbants ou agités. Ce sont donc par de petits détails de la vie quotidienne, identifiés par l’ensemble des professionnels, que peuvent être repérés les résidents isolés ou en phase de repli sur eux. Pour un développement réussi de la vie sociale des résidents, deux éléments semblent ressortir des enquêtes : - le soin du détail, de l’ensemble des petites choses du quotidien qui feront que le résident se sentira respecté, se sentira « chez lui » dans la maison de retraite, et qui dépendent de 174
Exemple rencontré au cours de l’enquête qualitative Charte de l’animation en gérontologie, réseau GAG, 2007, version courte, article 7. 176
GONCALVES, M. Affirmer le positionnement de l’animation dans un EHPAD par l’application du concept de l’interprofessionnalité. Mémoire : Directeur d’établissement sanitaire et social public : Rennes : EHESP, 2008. 56 p., p 19 175
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l’ensemble des personnels (restauration, administration, ménage, vie quotidienne…) l’implication de tous les personnels sur la question de la vie sociale : bien entendu le personnel aidant ou soignant, mais aussi le personnel administratif, de cuisine, d’entretien, qui sont des acteurs indispensables de la vie sociale des résidents. Or « le bien‐être des personnes âgées dépend du bien‐être des salariés »177 Le rôle de manager, d’impulseur d’une dynamique de la part du directeur et de l’équipe de direction est indissociable d’une vie sociale riche au sein de l’établissement, par la motivation de son équipe. Conclusion
Les résidents des EHPAD, aux origines diverses, aux expériences de vies riches et variées, se retrouvent, à l’aube de leur fin de vie, dans un espace collectif, au contact d’autres résidents et de professionnels. De fait, leur vie sociale, familiale, amicale, s’en trouve modifiée. Les EHPAD se trouvent ainsi confrontés à plusieurs défis : permettre aux résidents de poursuivre leur vie sociale, continuer à assumer leur place dans leur famille, tisser des liens avec des professionnels, dans un cadre de vie collectif souvent contraint et avec des situations de dépendance de plus en plus importantes. Allant bien au‐delà des normes et des procédures, cette question interpelle les responsables d’établissements et les professionnels en lien quotidien avec les résidents. L’écoute, l’échange, la facilitation des relations entre résidents sont aujourd’hui des problématiques prises en compte par les établissements accueillant des personnes âgées dépendantes. Ces enjeux, les solutions proposées, les expériences réussies, les pistes réflexions proposées aux différents établissements, sont donc l’objet de la recommandation de bonnes pratiques professionnelles de l’ANESM « la vie sociale des résidents en EHPAD », troisième volet du programme « Qualité de vie en EHPAD ». 177
FORTERRE, A. Dépendance et mieux‐vivre – vers une maison de retraite plus humaine, Montrouge, Associés en édition Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles ‐ programme Qualité de vie en EHPAD – volet 3 : la vie sociale des résidents Eléments de contexte Page 45/45