Les facteurs de risque cardiovasculaire chez la femme
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Les facteurs de risque cardiovasculaire chez la femme
Les facteurs de risque cardiovasculaire chez la femme Cardiovascular risk factors in woman B. Chanu* RÉSUMÉ La prévalence des maladies cardiovasculaires (MCV) chez la femme, laquelle est relativement épargnée par ces affections avant la ménopause, tend à rejoindre celle observée chez l’homme à partir de l’âge de 70 ans. La baisse de l’incidence des MCV constatée au cours des deux dernières décennies a été moins importante chez la femme que chez l’homme. Si dans l’ensemble les facteurs de risque cardiovasculaire sont les mêmes pour les deux sexes, les deux principaux facteurs reconnus chez la femme sont le tabagisme, premier facteur modifiable et dont la responsabilité va croissant, et des facteurs nutritionnels avec leurs conséquences, l’obésité viscérale, le diabète de type 2 et les dyslipidémies. Après la ménopause, le profil lipidique de la femme se “virilise”, devenant ainsi plus athérogène. Le HDL-cholestérol (HDL-c) et les triglycérides (TG) sont chez la femme de meilleurs indicateurs du risque de morbidité et de mortalité coronaires que le cholestérol total. Le diabète de type 2 s’associe à une élévation du risque de MCV plus importante chez les femmes que chez les hommes, en partie du fait d’un retentissement plus sévère du diabète sur les lipides et sur la tension artérielle (TA) chez la femme. Si les études observationnelles ont pour la plupart montré l’intérêt de l’estrogénothérapie substitutive dans la prévention des maladies cardiovasculaires de la femme ménopausée, trois études prospectives ont démenti ces résultats ; en matière de prévention cardiovasculaire primaire ou secondaire, il n’y a plus, à l’heure actuelle, d’indication au traitement de la ménopause. La prise en charge doit être identique chez l’homme et chez la femme, avec en premier lieu une correction optimale des facteurs de risque cardiovasculaire, puisque les grandes études de prévention ont montré les mêmes bénéfices pour les deux sexes. Mots-clés : Risque cardiovasculaire - Maladie cardiovasculaire Maladie coronaire - Femme - Ménopause - Tabac - Hypertension artérielle - Dyslipidémie - Diabète de type 2 - Estrogène. Keywords: Cardiovascular risk - Cardiovascular disease - Coronary heart disease - Woman - Menopause - Tobacco - High blood pressure - Dyslipidemia - Type 2 diabetes - Estrogen. * Service d’endocrinologie, de diabétologie et de nutrition, hôpital Jean-Verdier, AP-HP, Bondy. 22 S i la fréquence des maladies cardiovasculaires (MCV) est beaucoup plus basse chez la femme que chez l’homme aux âges moyens de la vie, quels que soient le pays ou la région, à partir de 70 ans, les fréquences ont tendance à s’égaliser (1). Du fait que les femmes ont une espérance de vie supérieure à celle des hommes, il n’est pas surprenant de constater à un âge avancé un plus grand nombre absolu de MCV chez les femmes. Mais cette différence ne suffit pas à expliquer ce renversement de tendance. Aujourd’hui, une femme sur trois meurt de maladie cardiaque et une sur six de maladie cérébrovasculaire. En 1997, aux États-Unis, les décès d’origine cardiovasculaire représentaient 43 % de la mortalité chez les femmes (2). Les projections les plus optimistes indiquent que les maladies cardiaques et cérébrovasculaires resteront en 2020 les deux premières causes de mortalité chez la femme pour l’ensemble de la planète. La baisse de l’incidence des MCV observée au cours des deux dernières décennies a été moins importante chez la femme que chez l’homme (figure 1) [3]. La ménopause semble être une étape critique dans l’évolution de la mortalité et de la morbidité cardiovasculaires chez la femme. Bien que les MCV soient la première cause de décès chez la femme, peu d’études épidémiologiques ont inclus un nombre important de femmes, et les données concernant l’impact des facteurs de risque cardiovasculaire sont de ce fait plus parcellaires que chez l’homme. Globalement, la répercussion des facteurs de risque semble être la même chez les femmes que chez les 20 % Modifications cumulatives (%) de la mortalité Mise au point M ise au point Hommes Femmes noires Femmes blanches 10 % 0% – 10 % 79 80 81 82 8384 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 – 20 % – 30 % – 40 % – 50 % Années Figure 1. Modifications cumulatives (en pourcentage) de la mortalité par maladies coronaires chez les femmes et chez les hommes aux États-Unis entre 1979 et 1998 (d’après L.E. Shaw et al. [3]). La Lettre du Cardiologue - n° 398 - octobre 2006 hommes, avec cependant des particularités pour le diabète et les dyslipidémies. Si dans l’ensemble l’hypertension artérielle (HTA) et le tabagisme constituent des facteurs de risque plus importants chez l’homme que chez la femme, ils n’en sont pas moins des facteurs de risque majeurs chez la femme jeune (3). En outre, alors que jusqu’à l’âge de 50 ans les hommes ont un taux de cholestérol plus élevé que les femmes, à partir de la ménopause, le taux de cholestérol chez la femme augmente et tend à devenir plus élevé que chez l’homme, alors qu’inversement le taux de HDL-c diminue et tend à rejoindre les taux observés chez les hommes. TABAGISME Le tabagisme reste le premier facteur de risque modifiable, puisque plus de 50 % des infarctus du myocarde survenant chez la femme d’âge moyen lui sont attribuables (4). Le tabagisme diminue de façon très significative la protection cardiovasculaire liée au statut hormonal de la femme avant la ménopause. Dans l’étude prospective Nurses’ Health Study, qui a concerné 120 000 infirmières américaines âgées de 30 à 55 ans, le risque de survenue d’un infarctus du myocarde est multiplié par 5,5 chez les femmes fumant plus de 25 cigarettes par jour (4). Après la ménopause, l’augmentation du risque relatif lié au tabagisme est identique pour les deux sexes (risque relatif de 2 à 4). Au cours de la dernière décennie, la réduction de l’incidence du tabagisme chez la femme a été moins importante que chez l’homme (2). En France, la mortalité liée au tabagisme continue d’augmenter et une projection de l’évolution actuelle prévoit pour 2025 une multiplication des décès par 2 chez l’homme et par 10 chez la femme (5). L’étude britannique MICA (6), qui a concerné des femmes de 16 à 44 ans ayant souffert d’un infarctus du myocarde entre octobre 1993 et octobre 1995, a montré que le risque d’infarctus n’était pas augmenté chez les femmes utilisatrices d’une contraception estroprogestative comparativement à celui observé chez les nonutilisatrices en l’absence d’autres facteurs de risque associés, mais qu’en revanche le risque était multiplié par 12,5 chez les femmes utilisatrices d’une contraception estroprogestative fumant plus de 20 cigarettes par jour. L’association tabac et contraceptifs estroprogestatifs est donc particulièrement dangereuse et doit être formellement déconseillée. HYPERTENSION ARTÉRIELLE Aux États-Unis, 50 % des femmes de plus de 45 ans sont hypertendues (traitement antihypertenseur ou PAS > 140 mmHg ou PAD > 90 mmHg) [2]. La prévalence de l’HTA est plus faible chez la femme avant 55 ans, puis elle augmente progressivement avec l’âge, affectant environ 30 % des femmes de plus de 65 ans, pour dépasser celle des hommes dans les tranches d’âge les plus élevées. Le rôle de la ménopause, bien que controversé, est vraisemblable. L’HTA est un des principaux facteurs de risque La Lettre du Cardiologue - n° 398 - octobre 2006 de MCV dans les deux sexes. Dans l’étude de Framingham (7), la présence d’une PAS ≥ 180 mmHg chez les sujets de moins de 65 ans multipliait le risque de maladie coronaire par 5 chez la femme et par 3 chez l’homme comparativement à une PAS de 120 mmHg. À l’inverse, chez les sujets de plus de 65 ans, ce risque était multiplié par 5 chez les hommes et par 3 chez les femmes. Dans l’étude SHEP (Systolic Hypertension in the Elderly Program), la population étudiée comprenait 57 % de femmes (8). Sous traitement antihypertenseur, la réduction des coronaropathies était de 25 % et celle des AVC de 36 %. Les études ayant comparé plusieurs agents antihypertenseurs n’ont pas mis en évidence de différence d’efficacité liée au sexe. Dans la métaanalyse INDANA, la réduction des événements cardiovasculaires sous traitement antihypertenseur était significative chez la femme, et l’importance de la réduction du risque relatif était la même dans les deux sexes sous traitement antihypertenseur (9). Le bénéfice en risque absolu a concerné principalement l’AVC chez les femmes. Il semble que la prise en charge de l’HTA et l’efficacité du traitement antihypertenseur soient meilleures chez la femme que chez l’homme, du fait d’une meilleure compliance au traitement. Ainsi, en France, dans l’étude MONICA (10), 30 % des hommes et 50 % des femmes ont reçu un traitement médical, et 21 % des hommes traités ont été considérés comme équilibrés, contre 49 % chez les femmes. Mise au point M ise au point DYSLIPIDÉMIES Plusieurs études, dont l’enquête de Framingham (11), ont montré que la cholestérolémie totale était un facteur de risque chez la femme comme chez l’homme, chez les sujets d’âge moyen comme chez les plus de 65 ans. Toutefois, chez l’homme et plus encore chez la femme, la valeur prédictive du cholestérol total diminue avec l’âge. Dans des études prospectives américaines, l’augmentation du HDL-c de 0,01 g/l (0,026 mmol/l) est associée à une diminution du risque coronaire (RA ou RR), de 2 % chez les hommes et de 3 % chez les femmes (12). Alors que la valeur prédictive positive du cholestérol total diminue avec l’âge, la valeur prédictive positive de la baisse du HDL-c devient prépondérante lorsque l’âge avance (11). Dans la méta-analyse de Manolio (13), le HDL-c était un facteur de risque quel que soit l’âge des femmes. En revanche, le LDL-cholestérol (LDL-c) est un facteur de risque significatif que chez les femmes de moins de 65 ans. Le rôle des triglycérides sériques en tant que facteur de risque des MCV ischémiques a été longtemps discuté. Ils constituent un marqueur du risque dans la mesure où ils sont généralement associés à un taux de HDL-c bas, ou à d’autres anomalies favorisant l’athérogenèse (LDL petites et denses) ou la thrombose. Cependant, les données de plusieurs études épidémiologiques indiquent qu’ils sont un marqueur de risque plus important chez la femme que chez l’homme, et particulièrement chez la femme avant la ménopause. Dans l’étude de Framingham (14), un risque accru d’infarctus du myocarde a été mis en évidence chez les femmes hypertriglycéridémiques présen23 2 tant une diminution du HDL-c, indépendamment du taux de cholestérol total. La méta-analyse de Hokanson et Austin (15), portant sur 17 études prospectives rassemblant 46 400 hommes et 10 864 femmes suivis pendant 8 ans, a montré que l’hypertriglycéridémie reste un facteur de risque coronarien indépendant du taux de HDL-c. Une élévation des triglycérides circulants de 0,9 g/l (1 mmol/l) augmente ce risque de 37 % chez la femme mais de seulement 14 % chez l’homme. Dans l’étude des LRC (Lipid Research Clinics’ Follow-up) [16], le HDL-c et les triglycérides étaient chez la femme de meilleurs facteurs prédictifs du risque et de la mortalité coronaires que le CT et le LDL-c. Plus récemment, une étude de cohorte prospective, la Cardiovascular Study in the Elderly (CASTEL), portant sur 3 257 sujets des deux sexes, âgés de plus de 65 ans, a montré que le risque relatif ajusté de mortalité par maladie coronaire était de 2,45 en cas d’hypertriglycéridémie (correspondant au dernier quintile), de 1,52 en cas de valeur basse du HDL-c (correspondant au premier quintile) et de 3,81 en cas d’élévation des TG et de diminution simultanée du HDL-c, ce uniquement chez la femme, aucun de ces facteurs n’ayant de valeur prédictive chez l’homme (17). Des données provenant de la Women’s Health Study (18), portant sur plus de 15 000 patientes âgées de plus de 45 ans et suivies durant 10 ans, montrent qu’après ajustement pour les principaux facteurs de risque (âge, tabagisme, HTA, diabète et indice de masse corporelle [IMC]), le non-HDL-c et le rapport cholestérol total/HDL-c sont les paramètres lipidiques les plus prédictifs du risque de survenue ultérieure d’événements cardiovasculaires. Les études d’intervention avec les hypolipémiants dans le cadre de la prévention cardiovasculaire concernent quasi exclusivement des femmes ménopausées. En prévention primaire, dans l’étude AFCAPS/TexCAPS (19), le risque cardiovasculaire absolu était moitié moindre chez les femmes que chez les hommes. En revanche, le risque cardiovasculaire absolu observé dans les études de prévention secondaire est identique pour les deux sexes (20-22). Le bénéfice observé en termes de réduction de risque est aussi important chez les femmes que chez les hommes, en prévention tant primaire que secondaire. L’efficience de la prévention en termes de risque absolu est donc similaire pour les deux sexes en prévention secondaire. Les statines abaissent le LDL-c de façon plus importante que le traitement hormonal substitutif de la ménopause (réduction de 30 % environ sous statine et de 20 % sous estrogènes conjugués équins) (23, 24). Contrairement aux estrogènes, les statines diminuent modérément les triglycérides. L’augmentation du HDL-c sous estrogènes est plus importante que sous statines, et seuls les estrogènes entraînent une réduction de la Lp(a). Dans l’étude HERS (Heart and Estrogen/Progestin Replacement Study) [25], 47 % des femmes étaient sous hypolipémiants. Néanmoins, dans cette étude de prévention secondaire, 63 % des femmes avaient un LDL-c supérieur à 1,3 g/l et 91 % un LDL-c supérieur à 1 g/l, ce qui est l’objectif à atteindre dans cette population à très haut risque cardiovasculaire. OBÉSITÉ Aux États-Unis, 60 % des femmes sont sédentaires et environ un tiers sont obèses. Dans l’étude de Framingham (26), 20 % des femmes étaient en surpoids lors de l’inclusion dans l’étude. Les données de suivi à 26 ans ont montré que le surpoids était corrélé positivement et de façon indépendante au risque de maladie coronaire, d’AVC, d’insuffisance cardiaque et de mortalité cardiovasculaire, en particulier chez les femmes de moins de 50 ans. Des données plus récentes indiquent que l’obésité n’est pas par elle-même un facteur de risque indépendant, mais qu’elle constitue un facteur de risque de coronaropathie lorsqu’elle est de localisation abdominale (androïde) et associée à la présence d’un syndrome métabolique (27). Après la ménopause, les femmes ont une réduction d’activité physique plus importante que les hommes de même âge (3). Cette situation contribue à une prise de poids plus importante, de localisation abdominale, avec une insulinorésistance et une HTA. Il n’existe pas d’études randomisées montrant un effet bénéfique de l’amaigrissement sur la survenue d’événements cardiovasculaires. Une telle étude est illusoire compte tenu de l’échec à long terme de la réduction pondérale. DIABÈTE L’existence d’un diabète gomme la différence de risque de MCV existant entre les hommes et les femmes lorsque sont pris en compte les autres facteurs de risque (figure 2) [28]. L’étude de Framingham (29) montre que le risque relatif de mortalité coronarienne chez les diabétiques, comparé à celui observé chez les non-diabétiques, est de 1,7 chez les hommes et de 3,3 chez les femmes, quel que soit le type de diabète. D’une façon générale, le diabète s’associe à une élévation du risque de MCV plus 60 Hommes Femmes 50 Patients (%) Mise au point M ise au point 40 30 20 10 PAS (mmHg) Cholestérol (mg/dl) HDL-c (mg/dl) Diabète Tabagisme Hypertrophie ventriculaire droite 0 120 220 50 – – – 160 220 50 – – – 160 259 50 – – – 160 259 35 – – – 160 259 35 + – – 160 259 35 + + – 150 259 35 + + + Figure 2. Étude de Framingham : pourcentage de patients ayant une maladie coronaire après 10 ans de suivi, selon le niveau et/ou la présence des principaux facteurs de risque. Pour chaque facteur de risque autre que le diabète, la différence de prévalence entre hommes et femmes reste constante. La présence d’un diabète fait disparaître cette différence (d’après E. Barrett-Connor et al. [28]). La Lettre du Cardiologue - n° 398 - octobre 2006 La Lettre du Cardiologue - n° 398 - octobre 2006 35 Femmes sans antécédent coronarien Femmes avec antécédent coronarien 30 30,0 25 Risque relatif importante chez les femmes que chez les hommes, en partie du fait d’un retentissement plus sévère du diabète sur les lipides et sur la TA chez la femme (30). L’UKPDS (31) a montré que l’effet du diabète sur les lipides plasmatiques est plus marqué chez la femme que chez l’homme. Dans la Strong Heart Study, les femmes diabétiques avaient plus fréquemment que les hommes une diminution du HDL-c, de l’apolipoprotéine A1 et de la taille des LDL, et une plus grande augmentation de l’apolipoprotéine B (28). De même, dans la San Antonio Heart Study, il était constaté une augmentation des TG et une diminution du HDL-c plus importantes chez les femmes que chez les hommes (28). Dans l’UKPDS (31), 46 % des femmes étaient hypertendues, contre 35 % pour les hommes. L’HTA majore l’atteinte macroangiopathique dans toutes ses localisations, mais sa présence est particulièrement délétère chez la femme, chez laquelle elle double le risque relatif d’atteinte coronarienne (multiplication par 3, contre 1,5 chez les hommes) et d’artériopathie des membres inférieurs (multiplication par 5,7, contre 2,5 chez les hommes). À l’exception des AVC, le risque relatif de MCV est plus important chez la femme que chez l’homme (28). Ainsi, le risque d’infarctus du myocarde est augmenté de 150 % chez la femme diabétique comparativement à la non-diabétique, alors qu’il est augmenté de seulement 50 % chez le diabétique de sexe masculin comparativement au nondiabétique (28). L’augmentation plus importante du risque relatif de morbidité et de mortalité cardiovasculaires a été démontrée dans plusieurs études, en particulier dans l’étude UKPDS (31), où le risque relatif de mortalité cardiovasculaire chez les sujets ayant un diabète récemment diagnostiqué, lors de l’entrée dans l’étude, est de 1,52 chez les hommes et de 2,42 chez les femmes après 10 ans de suivi. L’impact pronostique du diabète chez la femme comparativement aux non-diabétiques est comparable à celui de l’antécédent d’infarctus du myocarde. Dans la Nurses’ Health Study, le risque de mortalité par maladie coronaire chez la femme ayant un diabète évoluant depuis plus de 15 ans était similaire à celui observé chez la femme ayant un antécédent d’IDM ; chez les femmes cumulant les deux pathologies, le risque de mortalité est multiplié par 18 comparativement aux femmes non diabétiques et sans antécédent d’IDM (figure 3) [28]. L’étude UKPDS montre également que, chez la femme diabétique, la mortalité relative selon l’âge est plus importante que chez l’homme. D’une façon générale, la perte d’espérance de vie chez la femme diabétique ou non diabétique ayant un antécédent de MCV est plus importante que chez l’homme (28). Un antécédent de MCV peut être la cause d’une réduction de la capacité fonctionnelle ou d’une invalidité. Entre 65 et 79 ans, les femmes diabétiques ont un risque deux fois plus important d’incapacité fonctionnelle que les femmes non diabétiques, et les MCV sont la principale cause de cette invalidité. La différence est encore plus grande chez les femmes les plus jeunes (entre 65 et 69 ans) [28]. L’hyperglycémie modérée semble être un facteur de risque plus important chez la femme que chez l’homme (28). Le tabagisme augmente de 1,2 à 2 le risque de mortalité déjà élevé chez la diabétique, proportionnellement au nombre de cigarettes fumées. Dans l’UKPDS (31), près d’un tiers des femmes (29 %) 20 15,4 15 13,1 10 11,0 8,61* 5 1 0 Pas de diabète 7,59 3,07 Mise au point M ise au point 8,66* 4,24 ≤5 6-10 Durée du diabète (années) 11-15 > 15 Figure 3. Nurses’ Health Study : risque relatif de mortalité par maladie coronaire chez la femme selon la durée du diabète et l’existence ou non d’un antécédent de maladie coronaire. L’astérisque indique que les femmes sans antécédent coronarien et ayant un diabète depuis plus de 15 ans ont un risque relatif comparable à celui des femmes coronariennes non diabétiques (d’après E. Barrett-Connor et al. [28]). et des hommes (32 %) sont fumeurs. Le risque lié au tabac est réversible après 5 à 10 ans de sevrage, d’où l’importance de l’arrêt du tabac chez les patients par ailleurs à haut risque. Si l’amélioration de l’équilibre glycémique dans l’étude UKPDS a permis de réduire de façon importante l’apparition et la progression des complications microangiopathiques, la réduction de l’incidence de l’infarctus du myocarde était statistiquement limite (p = 0,05) dans le groupe sous traitement intensif (sulfamides ou insuline) par rapport au groupe sous traitement conventionnel, malgré une diminution de l’HbA1c sur plusieurs années (32). Chez les patients en surpoids (plus de 50 % de femmes), le sous-groupe traité par metformine présentait moins d’infarctus du myocarde que le groupe conventionnel (p = 0,01), mais la différence n’était pas significative par rapport au groupe intensif sous insuline ou sulfamides (33). AUTRES FACTEURS DE RISQUE Lipoprotéine (a) Plusieurs études ont montré que la lipoprotéine (a), ou Lp(a), pouvait être un facteur de risque indépendant de maladie coronaire. Dans une méta-analyse de plusieurs études prospectives (34), la Lp(a) apparaît comme un facteur de risque modeste d’événements coronariens dans la population générale. Les données de l’étude HERS (35) ont montré que la lipoprotéine (a) est un facteur de risque indépendant de récidive d’un événement coronaire chez la femme ménopausée. Des données récentes de la Nurses’ Health Study indiquent que la Lp(a) est également un facteur de risque indépendant chez la femme diabétique (36). 25 Mise au point M ise au point Protéine C réactive (C reactive protein, ou CRP) La CRP, marqueur systémique de l’inflammation, a été identifiée comme un marqueur de risque d’événements cardiovasculaires indépendant, en particulier des paramètres lipidiques. Dans la Women’s Health Study (18), la CRP est corrélée à certains facteurs de risque tels que l’âge, l’IMC, la tension artérielle, le tabagisme. En revanche, la CRP est faiblement corrélée ou non corrélée aux lipides et aux index lipidiques étudiés (cholestérol total/HDL-c, LDL-c/HDL-c, apolipoprotéine B/apolipoprotéine A1 ou apolipoprotéine B/HDL-c). De ce fait, la prise en compte simultanée du taux de CRP-us permet d’améliorer la valeur prédictive de ces index lipidiques. Dans une étude prospective portant sur plus de 28 000 femmes suivies pendant 3 ans, la CRP s’est révélée le meilleur facteur prédictif de MCV, supérieur aux autres marqueurs de l’inflammation, à l’homocystéine et aux paramètres lipidiques (37). Alcool Comme chez l’homme, la consommation modérée d’alcool a un effet favorable sur le risque de survenue de MCV. Dans la Nurses’ Health Study (38), chez les femmes ayant une consommation quotidienne d’alcool respectivement de 5 à 14 g, de 15 à 24 g ou de plus de 25 g, le risque relatif de maladie coronaire est de 0,6, 0,6 et 0,4 comparativement aux femmes non consommatrices d’alcool, après ajustement pour les autres facteurs de risque de maladie coronaire. Le risque relatif d’AVC est également diminué : il est respectivement de 0,3 pour une consommation de 5 à 14 g/j, et de 0,5 pour une consommation de plus de 15 g/j. En revanche, le risque relatif d’hémorragie méningée est augmenté même pour un consommation modérée : 3,7 entre 5 et 14 g/j. Traitement hormonal substitutif (THS) Les études d’observation avaient pour la plupart rapporté une réduction des événements cardiovasculaires sous estrogénothérapie (après ajustement sur les principaux facteurs de risque). Mais ces résultats concordants étaient sans doute liés à un même biais de sélection dans ces diverses études. En effet, dans ces études, les femmes prenant des estrogènes avaient tendance à être plus jeunes, plus minces, plus sportives, en meilleure santé et d’un niveau social plus élevé que les femmes sans traitement substitutif. Trois études prospectives sont venues démentir l’intérêt du THS en prévention des MCV. En prévention secondaire, l’étude HERS (39) a été la première grande étude randomisée contre placebo évaluant l’effet du THS combiné sur la survenue d’événements cardiovasculaires. Le traitement associait un estrogène conjugué équin (CEE) et de l’acétate de médroxyprogestérone (MPA) en continu (traitement combiné le plus prescrit aux États-Unis). Après 4,1 ans de suivi, il n’y a pas eu de différence entre le groupe traité et le groupe placebo. La mortalité coronarienne et le nombre d’infarctus du myocarde non mortels ont été plus importants dans le groupe traité, mais cette différence n’atteignait pas le seuil de signification statistique. Au cours de la première année de traitement, les événements ont été significativement plus fréquents dans le 2 groupe traité. En revanche, lors de la quatrième année de suivi, il y a eu une réduction non significative du risque coronarien dans le groupe sous THS. Ces résultats négatifs ont été observés malgré une diminution de 11 % du LDL-c et une augmentation de 10 % du HDL-c. Ces modifications bénéfiques du bilan lipidique laissaient pourtant espérer une réduction du risque cardiovasculaire si l’on en croit les résultats des grands essais thérapeutiques réalisés avec les hypolipémiants. En prévention primaire, les données de la Women’s Health Initiative (40), qui a concerné 16 608 patientes, sont encore plus retentissantes. Dans cette étude, les patientes traitées par THS (CEE + MPA) ont eu une augmentation significative de 29 % des événements coronaires comparativement aux femmes sous placebo, principalement en raison d’une augmentation des infarctus non mortels. Par ailleurs, le risque de thrombose veineuse était multiplié par deux. Un des bras de cette étude a concerné 10 739 patientes ayant un antécédent d’hystérectomie. Le groupe traité n’a reçu que le CEE. Aucune réduction du nombre d’événements cardiovasculaires n’a été enregistrée chez les femmes recevant le CEE comparativement aux patientes sous placebo, et il a été constaté dans le groupe traité une augmentation du nombre des AVC et des thromboses veineuses. Une troisième étude, la Women’s Angiographic Vitamin and Estrogen Trial (41), a montré une plus importante progression des lésions coronaires évaluées par coronarographie ainsi qu’une augmentation des événements cardiovasculaires dans le groupe traité par THS. Le résultat de ces études, dont les raisons restent encore discutées, a sonné le glas de ce type de THS. Les traitements utilisés en France, qui font appel aux hormones naturelles (estradiol 17-bêta et progestérone micronisée) n’ont peut-être pas le même effet délétère. Il est cependant probable que les estrogènes endogènes n’exercent un effet bénéfique que sur les stades précoces de la constitution de la strie lipidique. L’action d’un THS risque d’être d’autant plus délétère qu’il est institué tardivement après la survenue de la ménopause, et ce traitement doit être déconseillé en prévention secondaire. CONCLUSION Les grandes études épidémiologiques ont établi que les facteurs de risque cardiovasculaire identifiés chez les hommes sont également retrouvés chez la femme, avec certaines particularités concernant principalement les dyslipidémies et le diabète. Plus récemment, les essais de prévention cardiovasculaire réalisés avec les traitements hormonaux substitutifs de la ménopause n’ont pas confirmé la théorie d’une cardioprotection liée aux estrogènes. Bien que les MCV soient la première cause de décès chez la femme, et alors que les femmes ont un pronostic plus péjoratif, certaines études américaines ont suggéré qu’elles bénéficiaient moins souvent d’interventions à la phase aiguë (coronarographie, thrombolyse, angioplastie, revascularisation chirurgicale) [2, 42, 43]. Toutefois, la surmortalité observée chez les femmes au cours du premier mois suivant un infarctus du La Lettre du Cardiologue - n° 398 - octobre 2006 myocarde pourrait ne pas être due à la fréquence moins importante de procédures invasives, puisque le surcroît de risque persistait après ajustement sur ce paramètre (44). Le pronostic plus sévère chez la femme serait lié à un âge plus élevé et à une comorbidité plus importante, ce qui pouvait expliquer l’utilisation moins fréquente des procédures invasives dans ce cas. Après une angioplastie, le pronostic à court terme est également plus péjoratif chez la femme (45). En revanche, le pronostic à long terme après angioplastie est identique dans les deux sexes (46). Dans l’étude CASS, le taux de survie après revascularisation chirurgicale était plus élevé chez les hommes (52 %) que chez les femmes (48 %) [47]. En prévention cardiovasculaire primaire ou secondaire chez la femme ménopausée, il n’y a plus d’indication aujourd’hui au THS. La prise en charge doit donc être identique à celle de l’homme, avec en premier lieu une correction optimale des facteurs de risque cardiovasculaire, puisque les grandes études de prévention (antiagrégants, hypolipémiants, antihypertenseurs) ont montré les mêmes bénéfices dans les deux sexes. ■ 12. Gordon DJ, Probstfield JL, Garrison RJ et al. High-density lipoprotein cho- lesterol and cardiovascular disease. Four prospective American studies. Circulation 1989;79:8-15. 13. Manolio TA, Pearson TA, Wenger NK et al. Cholesterol and heart disease in older persons and women: review of an NHLBI workshop. 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