les actions humanistes de Lilian Thuram

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les actions humanistes de Lilian Thuram
Les actions humanistes de Lilian Thuram,
auteur et initiateur de la Fondation Education contre le racisme1.
À l’issue d’une brillante carrière de footballeur professionnel, Lilian Thuram crée en 2008 la Fondation
Education contre le racisme et signe Mes étoiles noires, de Lucy à Barack Obama (Editions Philippe
Rey, 2010 ; éditions Points 2011*). Au centre de sa réflexion, il place la vertu du questionnement, la
nécessité de déconstruire nos représentations pour éviter les simplifications et préjugés en matière de
genre, de sexe ou de couleur de peau. Dans son dernier livre Manifeste pour l’égalité (Editions
Autrement 2012), il invite divers artistes et intellectuels à revisiter nos imaginaires. Sa fondation
élabore des expositions et a conçu un DVD éducatif intitulé Nous autres.
Plus d'informations : http://www.thuram.org
Mes étoiles noires est une anthologie chronologique de portraits (Fanon, Césaire, King,
Obama, Dessalines, Toussaint-Louverture, Parks, Truth et des moins « reconnus » comme
Anne Zingha, Ota Benga, Matthew Henson, Mongo Beti et tant d’autres2), qui ont été les
absents des manuels d’histoire de l’enfance de Lilian Thuram. Outre ce désir de
réhabilitation, de réappropriation d’une mémoire, deux autres raisons motivent son
écriture : l’une est de déconstruire l’idéologie des scientifiques du XIXème siècle (dont la
société anthropologique de Paris) qui classa les êtres humains en races. On aurait pu penser
que cette idéologie « d’une race supérieure » sur une autre soit à jamais ébranlée après le
trauma de la seconde guerre mondiale et les conséquences que l’on sait (dont la stérilisation
d’enfants métis et la déportation de Noirs, en 1937, p. 187). Ce ne fut pas le cas. Les récits de
vie des années 50 de personnes de couleur noire vivant aux USA ou celui des années 60 avec
Richard Wright le prouvent : la ségrégation demeurait, parfois de façon légale comme aux
USA. Et lors de ses échanges avec les étudiants, ce mercredi 10 octobre à Lille, Lilian Thuram
rappelait que l’apartheid en Afrique du Sud des années 90 est très proche de nous dans le
temps : il y a seulement vingt deux ans. La seconde raison pour mettre en lumière ces
grandes figures de couleur noire est de revaloriser leurs compétences bien trop souvent
enfermées, et aujourd’hui encore, dans l’image de ceux qui courent, chantent et dansent.
Parler de « facilité naturelle de Marie-José Perec » (p. 194), grâce à des moyens physiques3
(p. 322) correspond à une représentation encore bien contemporaine. Cette analyse
scientifique la performance est, selon Lilian Thuram, une façon de nier l’effort, la volonté, le
travail de l’athlète. Des scientifiques ont par ailleurs démontré récemment que la course
pieds nus des Ethiopiens, trop pauvres pour se chausser, expliquait la différence de travail
1
http://www.thuram.org/site/ Vous trouverez sur ce site nombre de vidéos, une émission Les dessous des
cartes et des documents pédagogiques (cartes et autres…). Un auditeur de la conférence du 10 octobre à
L’université de Lille 2 FFBC a cité : Odile Tobner, Du racisme français, quatre siècles de négrophobie, les Arènes,
2077.
2
Auxquels on aurait pu ajouter Furcy, Mohamed Aissaoui, L’Affaire de l’esclave Furcy, prix RFO 2010.
Réhabilitation de cet autre « oublié de l’histoire » pour reprendre l’expression de Laure Adler, membre du jury.
Un index très complet à la fin de Mes étoiles noires renvoie aux nombreuses personnalités citées dans le livre.
On apprend donc beaucoup dans ce livre.
3
Effet sans doute renforcé par la forte médiatisation accordée au sport plus qu’à d’autres domaines (recherche
scientifique…).
1
du pied (Arte, 2012). Des conditions sociales et des adaptations, plus déterminantes, en
somme… Ce qui redonne toute son importance aux paramètres sociologiques.
La meilleure chose à faire, selon Lilian Thuram, est de déconstruire tous ces préjugés.
Comment ? En expliquant comment ils ont été construits dans un contexte historique précis.
Si, en dépit d’actions ou de textes magistraux, Victor Hugo, Jules Ferry4 ou encore Voltaire
ont pu tenir certains propos c’est parce qu’en quelque sorte « ils étaient piégés par le
contexte ». Un humain pioche dans un réservoir de savoirs culturels à un moment T de
l’histoire. Il existe des conditionnements culturels. Et Lilian Thuram de citer une phrase de
Victor Hugo: « L’homme blanc a fait du noir un homme », et d’ajouter « je n’en veux pas à
Hugo, je redis qu’il importe de se questionner sur ce qu’on est en train de vivre pour pouvoir
construire une société plus juste ». (10 octobre 2012) L’intention n’est pas de dénoncer,
mais de comprendre pour dépasser.
Cette phrase de Victor Hugo nous prouve que des pointures peuvent à un moment donné
être prises dans une idéologie infuse, peuvent « intégrer le discours ambiant ». On pourrait
alors arguer qu’aujourd’hui le contexte scientifique ne se prête plus au racisme : que l’on sait
bien que nous sommes tous de la même espèce, l’homo sapiens, ce qu’explique Yves
Coppens, qui découvrit Lucy, notre ancêtre en Afrique (se reporter ici au chapitre Lucy de
Mes étoiles noires, au texte d’Yves Coppens dans Manifeste pour l’égalité ou aux séquences
très didactiques du DVD Nous autres5). D’une part des décennies de construit cognitif et de
préjugés perdurent dans l’inconscient collectif, ont leurs traces dans l’imaginaire, dans la
langue, et, d’autre part, le contexte social et politique peut être propice pour recourir aux
formations de groupes montés les uns contre les autres. Comme le suppose l’adage « il faut
diviser pour régner ». Diviser c’est faire des groupes, des catégories puis classer,
hiérarchiser.
Ce sont les « couleurs » qui existent, pas les races. On voit, dans les séquences vidéos du
DVD Nous autres, Lilian Thuram expliquer aux enfants dans les classes qu’il visite qu’une
couleur est une adaptation de l’espèce aux conditions physiques du pays. En France,
particulièrement, l’histoire de l’esclavagisme est désormais expliquée (que ce soit dans
l’exposition du musée de Bordeaux ou dans les manuels scolaires). Ce travail de mémoire sur
la période du XVIIIème au XIXème, puis sur la décolonisation, a permis de remettre en
question la catégorisation. Mais les traces demeurent. Le racisme déclaré serait-il moindre
que les préjugés plus systémiques qui demeurent ? (Comme l’explique l’article de JeanJacques Poirier « Cerveau et psycho, 5 janvier 2010, analysant la réception de séries
télévisées américaines attestant de préjugés raciaux inconscients, document accessible dans
le DVD Nous autres). Les œuvres de fiction peuvent jouer un rôle important en expliquant (le
4
Jules Ferry a parlé du droit des races supérieures.
5
Ce DVD est gratuit pour les enseignants de CM1 CM2, voir site de la fondation.
2
film Indigènes de 2006, La Vénus noire de 2009) mais les espaces médiatiques peuvent
continuer de s’appuyer sur les préjugés.
L’ouvrage Mes étoiles noires est donc historique (p. 167) et explique comment l’Occident a
exhibé l’autre (inventant le sauvage 6 et le zoo humain). Lilian Thuram a peut-être
volontairement pris soin de ne pas insérer de documents d’époque, pour privilégier des
visages, une galerie de portraits qui accentuent le côté fraternel, mais aussi pour éviter de
reproduire les preuves de constructions de représentations (du sauvage au tirailleur,
Banania dûment cité, p 182 et p. 268) qu’il démontera ailleurs, lors d’expositions (voir celle
du Quai Branly). Le seul document (une carte reproduite en fin d’ouvrage) est en soi une
déconstruction d’autres cartes, nous y reviendrons.
Mes étoiles noires sont des étoiles humaines, exemplaires de courage ou d’ingéniosité.
Pharaons noirs, grecs ou russes métissés, intellectuels d’origine africaine, peintre haïtien
métis, musicien fils d’un Caraïbe et d’une Polonaise (Bridgetower), population amérindienne
(d’où d’Ayiti le nom amérindien d’Haïti, p. 88) : l’humanisme de la diversité suppose de
reconnaître le poids des migrations, ce qu’on mesure dans les multiples cartes du DVD ou
dans l’émission Le dessous des cartes (en ligne sur le site de la fondation). Ce livre par ces
multiples chapitres chronologiques consacrés chacun à un portrait permet le butinage. L’une
de mes étudiants était troublée par un paradoxe : comment vouloir sortir de l’opposition
blanc/noir tout en ne listant que des personnes de couleur noire ? Le procédé est efficace
pour comprendre ce qu’a pu ressentir l’élève Lilian en n’entendant parler de « noirs » au
cours de sa scolarité que comme des esclaves. Peut-être l’invisibilité du blanc non
colonisateur frappe-t-elle comme l’invisibilité du noir érudit a frappé son auteur, enfant ?
Mais le but recherché n’est pas de revendiquer pour attiser le racisme, c’est tout le
contraire. Lilian Thuram commence par revaloriser des pans de mémoire (notre part de
mémoire à tous), pour ensuite poser les bases du respect. Son second livre collectif indique
clairement les étapes d’une démarche.
Ajoutons que l’ouvrage est semé d’indices qui anticipent un type de lecture qui mettrait à
dos blancs et noirs, à contresens de l’enjeu de Lilian Thuram : à propos de Malcom X qui
pense « on ne se servira plus de moi pour condamner en bloc tous les blancs », ou encore de
la non-violence de Martin Luther King et de la figure très présente de Gandhi (figures
reprises dans le logo animé de la fondation, ni Sœur Teresa ni Gandhi n’étaient pas « de
couleur noire », ils étaient des défenseurs d’un même humanisme de la bienveillance et d’un
désir d’égalité). Plus encore, à la fin du livre, faisant le portrait d’Obama (p. 372), Lilan
Thuram écrit ceci : « Obama ne tombe pas dans le piège électoral de se dire métis, il se
revendique totalement blanc et totalement noir, descendant du Kenya et descendant du
Kansas. Il n’est pas afro-américain, il est africain et américain. Il n’a pas la naïveté de prôner
une société color blind, devenue « aveugle à la couleur », car c’est la conscience d’être noir
qui a mené certains à faire évoluer les droits ». Les humains forment une seule race mais
6
L’Invention du sauvage, tel est le titre de l’exposition du quai Branly dont Lilian Thuram fut le commissaire.
3
gardons nous de l’hypocrisie qui ferait « comme si la couleur n’existait pas, ce qui serait nier
les constructions du passé et leurs effets ». Lilian Thuram appelle à l’égalité et à se garder
des identités meurtrières selon l’expression d’Amin Maalouf. Et il n’aura de cesse de répéter
lors de la conférence de ce 10 octobre combien l’égalité est une « idée jeune » à l’échelle de
l’histoire humaine et du XXème siècle. La différence a souvent été instrumentalisée pour
créer des clans, il ne s’agit pas non plus de la nier mais de cesser de penser qu’elle est
facteur de conflit. Pour cela, il faut comprendre comment cela marche. Comment on est
enclin à construire des oppositions, souvent creusets d’un manichéisme populiste, d’une
frustration ou d’une victimisation. La première hygiène relationnelle serait de ne pas mettre
l’autre dans une catégorie qui occulte sa multiplicité. La seconde mesure d’hygiène
intellectuelle serait de se prémunir des généralisations qui englobent. C’est un peu le sens
de la question que Lilian Thuram a posé lors de son échange avec un étudiant : « tu me dis
que tu lis de la littérature française, dis-moi quels livres tu lis ? »
Comprendre d’où l’on parle
Pour que se fonde un humanisme de la diversité rien ne vaut la rencontre des autres :
« Quand les hommes auront-ils l’intelligence de puiser dans toutes les philosophies du
monde, dont celles des Bantous, des Chinois, des Dogons, des Amérindiens, pour construire
une nouvelle humanité ? » (p. 60). Outre la valeur du courage, Lilian Thuram insiste sur
l’importance de l’éducation (ce qui fût le combat d’Anne Zingha dans l’Angola du XVII) qui
permet de déconstruire les inégalités fondées sur la discrimination, qu’elle soit sexiste ou
homophobe (en 2012, l’homosexualité est passible de mort dans 6 pays, p. 200).
Rien de mieux pour voir le monde autrement que de se décentrer et de rencontrer. Se
décentrer comme le dit avec limpidité Elizabeth Caillet, comme le montre cette unique carte
en fin de Mes étoiles noires où Mac Arthur a mis au centre son pays, l’Australie, sur une carte
qui respecte les échelles des pays selon Arno Peeters. Rencontrer offre une possibilité de
décentration et de lien à laquelle nous invite également Cheick Modibo Diarra, chercheur à
la NASA : « la véritable réussite c’est de tisser des liens » (p. 339). Le Manifeste pour l’égalité
est né d’un de ces tissages.
Le credo est clair: « Il faut mettre en place des outils pédagogiques et faire un travail de
fond. Changer l’imaginaire » (p. 151). Après des actions avec les institutions (des outils à
disposition des écoles primaires, puis une exposition dans un musée), quels sont les projets
de la fondation ? Lilian Thuram nous dit préparer une prochaine exposition. On se prend à
rêver de la mise en ligne d’un manuel d’histoire alternatif, décentré d’un point de vue
national, téléchargeable sur le net, suivant certes les programmes scolaires mais en
réinsufflant un esprit de diversité, de la grande Histoire aux petites. Une histoire, qui
décloisonne la perspective et les points de vue, atténue le manichéisme qui biaise
habituellement le regard. Des étoiles humaines de la Grande Histoire comme des petites.
4
Les manuels scolaires d’éducation civique dédiés aux collégiens français intègrent déjà une
réflexion sur les discriminations, sur les identités multiples. Sur la couverture du manuel
Demain citoyens7 figurent trois mots : « Egalité, diversité, solidarité ». Et y figure la définition
que donne Tahar Ben Jelloun du respect (Guide Républicain, 2004).
Changer l’imaginaire requiert aussi d’agir sur l’espace visuel, médiatique, filmique… Il existe
des courroies de transmission en dehors de l’école, et des traces dans les imaginaires.
Françoise Héritier en témoigne lorsqu’elle répond aux questions de Lilian Thuram : comment
changer l’imaginaire ? En favorisant la prise de conscience et « en luttant contre soi-même »
car le modèle dominant est véhiculé par les médias (celui de la femme comme « sexe » et de
l’homme comme « devant avoir du pouvoir »). Méditons, à ce propos, la citation liminaire de
la page d’accueil du site de la fondation : « La question de l’inégalité des sexes est
éminemment politique. Ce modèle inégal est la matrice de tous les autres régimes
d’inégalité. »
La tentation de l’actualité chaude et la poursuite de la déconstruction
Les journalistes, selon leur habitude, ont souhaité ancrer leurs questions en lien avec
l’actualité : Lilian Thuram a en effet écrit non seulement sur les origines (Lucy) mais sur le
présent, il attire par exemple l’attention sur le rachat des terres en Afrique (p. 271), sur les
conditions de l’extraction du cobalt au Congo (conférence du 10 octobre, en réponse à une
question), sur la guerre en Irak lancée sur des mensonges, sur le silence autour de certaines
guerres actuelles.
Il cite Stéphane Hessel: « il faut remettre l’homme au centre, il faut accepter le métissage
des corps, des rencontres, des cultures, des religions » (p. 373). En ces temps de replis
identitaires (pp. 380-381), de parcellisation de l’homme, Lilian Thuram souhaite faire passer
un message : « il faut à la fois se sentir singulier (différent des autres et pourvu de qualités
qui lui sont propres) mais également reconnu par l’autre et accepté dans ses particularités ».
C’est de cette façon qu’il faut comprendre le long échange qu’il eut avec un jeune étudiant
de 19 ans. Loin de « donner des gifles » à quiconque (sous-titre d’un reportage télévisuel,
allusion aux propos de Lilian Thuram lors de sa visite à Melun en mai 2009 où il déclara
« donner de petites gifles au racisme »), Lilian Thuram a insisté sur le geste de tendre le
micro. De la nécessité de discuter…
L’allégation d’un racisme anti-blanc à son encontre est sans fondement : d’une part, le logo
de la fondation s’anime aussi, comme nous le rappelions, des visages de sœur Teresa et de
Gandhi. D’autre part Mes étoiles noires redonne une place à de grandes figures de couleur
noire, sans jamais faire appel à un quelconque esprit anti-blanc. Ce serait un contre-sens de
Mes étoiles noires, témoignage d’un imaginaire personnel repeuplé, dans la diversité des
hommes et femmes de tous pays. Imagine-t-on qu’une anthologie des grandes figures
féminines soit d’emblée sexiste ? Non, elle peut tout simplement rendre hommage à des
7
Demain citoyens, manuel d’éducation civique, 5
ème
, Nathan.
5
qualités personnelles et redonner aussi à chacun sa part d’héritage. Ce que Lilian Thuram a
expliqué à ce jeune étudiant est que le racisme anti-blanc est à son tour une construction
politique (les journalistes présents ont orienté le propos vers l’usage de cette « notion » par
J.F. Coppé. En réponse, le conférencier a rappelé les mécanismes de construction de groupes
qui seront opposés). Lilian Thuram a, à plusieurs reprises lors de cette séance à Lille 2,
prévenu contre les hiérarchies, les créations de groupes blancs ou non-blancs. L’ancien
footballeur ajoute que nous assistons, en France, à un nouveau conditionnement pour
catégoriser les personnes de confession musulmane, et d’interroger : sommes-nous capables
de ne pas tomber dans le piège ?
Au premier chef, rappelle-t-il, un homme comme lui de 40 ans n’a pas la même culture que
celle d’un jeune de 19 ans. Et ce qui fonde le rapport à l’autre tient davantage à des points
communs (certaines valeurs…). Il évite le beau concept-piège de la culture, instrumentalisée
comme étendard à toute fin nationaliste. Si l’on n’en était pas encore convaincu, « il reste du
travail » comme me l’a écrit une collègue, professeur du lycée Gaston Berger, à l’issue de
cette rencontre. Car se décentrer, « lutter contre soi-même » est plus difficile que de suivre
la réassurance en se figeant dans un groupe. Or se figer, préférer les mers gelées, c’est trahir
la nature-même de l’humain, dans son adaptabilité, son impermanence et sa multiplicité.
Louis Sala-Molins, dans Manifeste pour l’égalité, nous alerte aussi contre le masque de la
diversité au sens du multiculturel : le groupe s’enrichit de quelqu’un « issu de la diversité ».
Deviennent-ils tous des divers ? Ben non, il y a des gens de partout et un « divers ». Le
groupe s’enrichit de quelqu’un « issu de la diversité ». Ce qui ne diversifie pas les autres.
Outre le déconditionnement, (la désaliénation si tenté que l’on veuille bien quitter le confort
d’une prison à laquelle on consent), la clef de la rencontre de l’autre pour favoriser l’égalité
suppose un individu ouvert. Et pour se tenir dans cet état d’ouverture, besoin est d’avoir une
estime de soi, nous dit Lilian Thuram. Cette estime ne passe pas par une supériorité (dans
une société à grand renfort de classements qui attisent les complexes d’infériorité ou de
supériorité) mais par des capacités (nous dirions, dans un contexte élargi, des capabilités,
selon les mots d’Edward Saïd).
Penser autrement
Si un interlocuteur lui parle en utilisant l’expression « gens de couleur », mutin Lilian Thuram
vous demandera « les gens de quelle couleur ? » interrogeant là une expression héritée de la
traite. Les motivations biographiques de Lilian Thuram, pour déconstruire cet héritage,
s’enracinent dans l’enfance. Pour ce public d’étudiants, il prend le temps de raconter des
épisodes de sa vie, lorsqu’on l’appelle « noiraude » à l’école du nom d’une vache d’un dessin
animé, qui en faisait la vache stupide aux côtés de l’intelligente « blanchette ». Ou lorsqu’il
entend parler en classe pour la première fois de la traite.
Bien des sujets ont été évoqués : la stigmatisation des pauvres, les dangers de l’assimilation,
les mécanismes d’appartenance conditionnée à un groupe…
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Pour conclure, Frédéric Launay a souligné, avec optimisme, l’évolution rapide aux USA en 50
ans : de Rosa Parks en 1955, (acte relaté au milieu du livre), à l’élection d’Obama. Des
intervenants ont affirmé aussi que des progrès étaient réalisés en matière de non
discrimination. A chacun de découvrir le portrait en creux de Lilian Thuram à travers Mes
étoiles noires, du texte autobiographique assumé - en enfant curieux qu’il a été - au texte
liminaire du Manifeste de l’égalité. Quelques lignes suggèrent que l’être humain a « le goût
de prendre soin de l’autre », et invitent chacun à être un acteur patient de la construction de
l’égalité.
Coluche disait qu’être un homme et blanc et riche facilite les choses. Lilian Thuram nous
parle simplement de l’humain et conclut que « prendre conscience d’être avantagé et
travailler à l’égalité » est plus difficile que de profiter de son avantage.
Le « mode d’emploi » pour un monde d’égalité serait de
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discuter, échanger
prendre de la distance pour ne pas tomber dans le ressentiment, la victimisation ou
la culpabilité
expliquer les mécanismes car « on n’est pas raciste, on le devient » (revue de presse
de La fondation)
interroger l’évidence d’un usage des mots (la couleur de peau ne forme pas une
ethnie, ne forme pas une communauté)
vivre ensemble en étant différent tout en ayant un idéal commun, avec le respect
pour premier fondement
Isabelle Roussel-Gillet, 14 octobre 2012
*Mes étoiles noires, de Lucy à Barack Obama est paru en espagnol en octobre 2012 chez Ara Llibres, préfacé
par Eduardo Galeano. Des éditions italiennes et portugaises (Brésil et Portugal) sont en préparation, elles
paraîtront avant l’été 2013.
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