La chimère des inconscients. Débat avec Michel de M`Uzan
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La chimère des inconscients. Débat avec Michel de M`Uzan
MICHEL DE M’UZAN JACQUES ANDRÉ, MAURIZIO BALSAMO, FRANÇOISE COBLENCE, LAURENCE KAHN, JACQUES PRESS, DOMINIQUE SCARFONE La chimère des inconscients. Débat avec Michel de M’Uzan Editions Puf, Petite Bibliothèque Psychanalyse, 2008, 170 pages, 12 €. de Cet ouvrage issu d’un colloque, organisé en mars 2007 à SainteAnne par Jacques André et le Centre d’études en psychopathologie et psychanalyse (Paris VII), se présente comme un débat autour de la métapsychologie entre Michel de M’Uzan et six psychanalystes : Jacques André, Maurizio Balsamo (Ro m e ) , Françoise Coblence, Laurence Kahn, Jacques Press (Genève), Dominique Scarfone (Montréal). Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.208.0.48 - 27/03/2012 10h19. © Editions Cazaubon Selon le mot de Laurence Kahn, “être le plus étranger à soi-même, repousser autant que faire se peut l’intraitable” : telle est la définition de l’analyste, et le projet autour duquel s’organisent l’oeuvre et l’activité clinique de Michel de M’Uzan. Sa pensée s’articule autour d’une problématique identitaire, celle-ci étant interrogée essentiellement à partir de ses limites, c’est-à-dire à la fois la préhistoire du moi, et les moments de vacillement identitaire où les frontières entre moi et non-moi deviennent floues. Le registre économique, très présent dans toutes les interventions, marque la place spécifique de Michel de M’Uzan parmi les autres analystes contemporains. Se tenant résolument à l’écart de la pensée de Lacan, chez qui le point de vue économique est quasiment absent, Michel de M’Uzan s’appuie en revanche sur le modèle freudien des névroses actuelles : d’abord spécialiste de médecine interne, il a commencé son parcours d’analyste comme psychosomaticien à l’hôpital Bichat de 1963 à 1975, puis il a participé à la fondation de l’Institut de psychosomatique de Paris (IPSO) avec Pierre Marty et Christian David. Comme Jacques André le rappelle dans son article de conclu- sion, c’est là sans doute la clé qui permet de comprendre l’originalité de sa pensée et sa créativité en tant qu’analyste. Un autre élément biographique essentiel pour comprendre le chemin parcouru est la rencontre précoce avec la littérature : dès 1956, et après la rencontre décisive avec Antonin Artaud, Michel de M’Uzan chemine avec les poètes et écrit une Anthologie du délire, puis des textes de fiction. Chacun des six analystes présents dans ce débat mettra l’accent sur un aspect essentiel du parcours théorique et clinique de Michel de M’Uzan. Jacques Press insistera sur l’importance de la psychosomatique dans sa pratique analytique, mettant ainsi en relief l’impact de la rencontre avec Michel de M’Uzan dans son propre parcours ; Dominique Scarfone sur l’articulation de la répétition avec l’axe identitaire. Laurence Kahn met en perspective l’axe économique dans la pensée de Michel de M’Uzan : comment cet axe se combine-t-il à la créativité nécessaire dans la cure ? Au fond comment se conjuguent le quantitatif et le qualitatif dans une analyse ? Françoise Coblence, en rappelant d’emblée l’importance de la problématique identitaire, tente de montrer la place que la littérature occupe dans cet aspect de la réflexion de Michel de M’Uzan. Maurizio Balsamo reprend la métaphore du “jumeau paraphrénique” pour en interroger toutes les implications éthiques et pratiques : quelle conception du “soi” implique la construction du “jumeau paraphrénique” comme étant aux origines de la vie psychique ? Dans quelle mesure cette construction permet-elle d’atteindre au vrai soi dans la relation analytique ? Comment articuler processus de subjectivation et processus de dépersonnalisation ? L’article permettant sans doute de mieux cerner les enjeux de ce débat est celui de Laurence Kahn. Elle souligne d’emblée ce qui fait le point fort de la pratique analytique de Michel de M’Uzan : l’étrangeté à soi-même, l’expérience de dépersonnalisation, à la fois aux origines de la vie psychique et au coeur de la cure. C’est ainsi que peut se comprendre la prédominance du point de vue économique chez Michel de M’Uzan : la cure est, selon lui, marquée par une “dynamique du séisme”, véritable “éthique du bouleversement”. Michel de Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.208.0.48 - 27/03/2012 10h19. © Editions Cazaubon 12 13 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.208.0.48 - 27/03/2012 10h19. © Editions Cazaubon Le second problème soulevé par Laurence Kahn est la position étrange soutenu par Michel de M’Uzan par rapport à la seconde topique : en effet, il interroge la validité de ce qui en est le centre stratégique, la pulsion de mort et la compulsion de répétition qui en est inséparable. C’est à nouveau au quantitatif que Michel de M’Uzan fait appel pour expliquer les phénomènes de répétition : lorsque l’appareil psychique est débordé par une quantité massive d’excitation, il ne peut plus faire appel aux formations de l’inconscient, le fantasme, ou la symbolisation, à l’oeuvre dans la parole ou dans l’art. Il se passe alors le phénomène de la décharge, et du passage à l’acte. Il n’est donc pas nécessaire selon lui de faire appel à la pulsion de mort pour expliquer la répétition : celle-ci est issue du processus même de la quantité qui anime le programme biologique de l’être humain depuis le trauma de la naissance. On voit qu’on se trouve ici dans la préhistoire de la constitution du moi, dans une sorte d’être primordial où les processus quantitatifs précèdent les processus qualitatifs d’identification, de séparation (moi, non-moi) qui vont fixer les représentations ; mais sans doute aussi aux confins de la psychanalyse, pour reprendre une métaphore chère à Michel de M’Uzan. En ce sens, Michel de M’Uzan se montre l’héritier du Freud pré-psychanalytique de L’Esquisse, qui part d’un modèle biologique pour rendre compte de la genèse de l’appareil psychique. Cette perspective quantitative, qui est au coeur de la préhistoire du moi, est à l’oeuvre dans la régression formelle dans la cure. “On s’invente à mesure que le corps s’entête à vivre” Les processus quantitatifs à eux seuls, tels qu’ils se manifestent dans les phénomènes actuels, par exemple dans les pathologies somatiques, les violences et les passages à l’acte, ne sont que l’envers de la vie psychique : le souvenir d’un moment où le soi n’est pas encore constitué. Lorsque l’on se dégage de cette perspective originaire où le quantitatif écrase tous les autres processus, le créatif dans la cure va reprendre le dessus. On ne saurait réduire la pensée de Michel de M’Uzan à ce point de vue génétique de l’appareil psychique : privilégier le point de vue économique, c’est aussi faire place aux processus créatifs, à une énergie libérée qui rappelle les processus secondaires à l’oeuvre dans l’art. C’est alors que le modèle du poète et celui du théâtre vont intervenir pour nous faire rentrer dans les processus secondaires qui restent les objets essentiels de la psychanalyse et du psychanalyste : le symptôme, le rêve, le délire, le fantasme. C’est également ici, “lorsque l’être primordial parvient à s’extraire du chaos énergétique en s’adossant au double de lui-même”, que va apparaître le fameux jumeau paraphrénique avec lequel le soi primordial va pouvoir dialoguer, créant ainsi les premières capacités de “personnation”. Rappelons que “persona” est étymologiquement le masque que portaient les acteurs de théâtre et qui permettait au spectateur de les identifier et au son de la voix de porter jusqu’au public. Le mot finit par désigner également le personnage lui-même. La mise en scène de soi et d’autrui, dans le fantasme ou le rêve, cette capacité de dramatisation, qui est à l’oeuvre dans le psychisme, fait également, selon Laurence Kahn, le génie propre de la pratique de Michel de M’Uzan, celle qu’il nous donne à lire dans Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.208.0.48 - 27/03/2012 10h19. © Editions Cazaubon M’Uzan l’écrit en 1967 dans un article Expérience de l’inconscient : l’inconscient ne doit pas être traité comme un objet de connaissance, mais comme un objet d’inquiétude, selon la méthode utilisée par Freud lui-même. Cette méthode “devait garantir la notion d’inconscient contre les affirmations venues d’en haut qui tendent à en faire un absolu”, c’est-à-dire un objet ou un lieu parfaitement connaissable. C’est donc dans le cadre de la cure que va avoir lieu cette expérience de l’inconscient, menée à deux, l’analyste et l’analysant, et qui va créer cette formation psychologique hybride, véritable chimère à deux têtes, la “chimère des inconscients”. C’est là qu’intervient sans doute le premier point du débat : à privilégier ainsi la circulation entre les deux inconscients, le vacillement des frontières de l’être, qu’en est-il alors du but fixé à la cure ? La fin thérapeutique n’estelle pas oubliée ou négligée ? Y a-t-il même une fin à la cure ? Cette question rejoint une des interrogations freudiennes dernières, celle que Freud mènera à la fin de sa vie dans Analyse avec fin et analyse sans fin. La question économique, on le voit, est loin d’être étrangère aux préoccupations de Freud. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.208.0.48 - 27/03/2012 10h19. © Editions Cazaubon ses récits cliniques. Répondant à un article célèbre de Michel de M’Uzan, Esclaves de la quantité, qui évoque cette prégnance de l’actuel dans les pathologies où les patients ne peuvent plus avoir recours à la force de la fable, Laurence Kahn oppose le “destin” du psychanalyste, qui, avec le poète et le paraphrène, est “enchaîné(s) à la qualité”. Ce titre à lui seul indique l’enjeu du débat qui s’instaure alors : contre les urgences du destin de l’actuel, quelle est la place spécifique du psychanalyste ? Il ne peut pourtant, comme le médecin, rester aux prises avec la maladie et la mort. Pour sortir de la sidération de la pensée face à la mort, il faut la force de la fable. Mais quel saut permet de passer du quantitatif au qualitatif ? Qu’est-ce qui a permis à Michel de M’Uzan d’abandonner sa position de spécialiste de médecine interne pour devenir psychanalyste ? La rencontre physique et intellectuelle avec Antonin Artaud est évoquée par Michel de M’Uzan dans sa réponse à Laurence Kahn : dans le récit de cette rencontre, moment fort du colloque, sont condensés sous une forme dramatique et dramatisée, à la fois le verbe (“Je suis envahi de froid premier”), et le corps souffrant d’Artaud (Michel de M’Uzan diagnostique une hémorragie interne liée à son cancer). Il faut lire dans cette rencontre plus qu’une anecdote : un moment à la fois fécond et fondateur. Sur la personne d’Artaud viennent se concentrer de nombreux thèmes de réflexion chers à Michel de M’Uzan : le facteur actuel avec la maladie PAIEMENT SÉCURISÉ SUR NOTRE SITE INTERNET ! ABONNEMENT ! COMMANDE DE NUMÉROS ! COMMANDE DE LIVRES COLLECTION de la CARNET PSY somatique ; la parole poétique qui tente de se rapprocher au plus près d’un idiome originaire, et qui ne sépare pas la chair et le verbe ; et enfin l’intérêt pour les confins de la psyché, la folie ou les pathologies limites. Si les temps premiers de la fondation du sujet s’organisent autour de mouvements énergétiques, la séance analytique s’ouvre et se construit sur une “autre scène” et fait appel à la dramatisation, comme le souligne Laurence Kahn. Artaud, poète, paraphrène, dramaturge, auteur du Théâtre et son double veut donner forme à l’informe, inventer une forme dramatique qui soit à mi-chemin entre la parole et le geste. De cet entre-deux, de ce sens qui ne se limite pas aux représentations d’une identité figée et normative, donc inauthentique, de cette liberté de création qui tente de se rapprocher au plus près des origines, Michel de M’Uzan saura tirer les leçons : “la chimère des inconscients”, le “jumeau paraphrénique”, “le transfert paradoxal”, telles sont les fantasmagories de l’univers théorique de Michel de M’Uzan, certaines inspirées de l’expérience Artaud. Dans son dernier ouvrage, il cite “Le Retour d’Artaud le Mômo”. Il ne faut pas s’en étonner : Laurence Kahn rappelle que les philosophes Jacques Derrida et Gilles Deleuze, “toqués” du sens et de l’ontologique, ont eux aussi interrogé la parole d’Artaud. Le psychanalyste rejoint donc ici le philosophe et le poète, dans une même “protestation contre la lettre morte de la normopathie”, et dans la recherche d’un sens qui permette tous les vacillements identitaires et l’entretien d’un doute fécond. Aux confins de la psychanalyse L’intérêt de Michel de M’Uzan pour les extrêmes de la vie, des origines au trépas, structure cet ouvrage issu du colloque : depuis De l’Art à la mort, Michel de M’Uzan ne cesse d’interroger les limites extrêmes de la vie. Le travail clinique avec des patients en fin de vie, souvent atteints de cancer, qu’il mène jusqu’Aux Confins de l’identité, lui permet d’affirmer : “c’est paradoxalement lorsque l’individu n’a pas peur de se défaire qu’il a le plus de chances d’atteindre réellement ce qu’il est”. Ces états hors limites, où les limites entre moi et non-moi s’effacent, se conjuguent diversement : c’est le nourrisson au moi encore Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.208.0.48 - 27/03/2012 10h19. © Editions Cazaubon 14 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.208.0.48 - 27/03/2012 10h19. © Editions Cazaubon Réflexion singulière sur une activité clinique qui reste exceptionnelle pour un analyste : accompagner le patient dans un “travail de trépas”. Dans son article au titre évocateur, Le râle d’Eros, Jacques André en fait la quintessence des thèmes organisateurs de l’oeuvre de Michel de M’Uzan. Repousser toujours plus loin les limites du sens, continuer le travail psychique, penser et rêver là même où la vie (s’)abandonne, accompagné dans cette ultime élaboration par un autre et pour un autre. C’est peut-être dans cette expérience rare que l’on peut le mieux comprendre l’asymptote de la chimère : l’inconscient, ici véritable substance vitale, se met alors à circuler plus fluidement entre les deux esprits de la chimère. Comme le soulignait, et ne cessa de le souligner Freud jusqu’à sa propre fin, l’inconscient ignore la mort. Mariane Perruche Docteur en psychologie clinique Paris 7 CHRISTIAN DAVID Le mélancolique sans mélancolie Editions de l’Olivier, Penser/rêver, 2008, 102 pages, 10 €. Il existe des lectures, rares, qui permettent de se rapprocher de ce que l’on croit être l’essentiel. En son temps, la lecture de L’état amoureux (1971) de Christian David m’avait donné ce sentiment qu’il est envisageable d’explorer psychanalytiquement les vertiges et les vertus de l’expérience amoureuse sans la profaner. Chemin faisant, le compagnonnage avec ses écrits sur La bisexualité psychique (1992) a été crucial pour accueillir et habiter ma vocation de clinicien exerçant dans l’oeil du cyclone périnatal où s’entremêlent le devenir parent et le naître humain. Plus récemment, la découverte de ses apports sur la “perversion affective” (1992, 1999) ont joué un rôle déterminant dans ma proposition d’une psychopathologie du virtuel quotidien. Aujourd’hui, la lecture de son dernier ouvrage Le mélancolique sans mélancolie, m’apporte un bien encore plus précieux : il est possible (et épistémologiquement primordial) de témoigner du désir de l’analyste et de l’intimité de la rencontre de la cure en se tenant à distance tant des méfaits d’un romantisme échevelé que d’un scientisme réducteur. “Le travail de l’analyste en présence de son analysant n’est ni celui d’un poète ou d’un musicien ni celui d’un ingénieur de la psyché.” Pour C. David, la fécondité des élaborations de ce clinicien singulier s’enracine dans sa reconnaissance de la primauté de “l’affectivité” du transfert, et, plus précisément, de son insertion dans la “pensée de l’amour” à travers sa coutumière “érotomanie tempérée” ou non. Le noyau de nuit Avant de s’engager plus avant dans cette voie, l’auteur inaugure son propos par un éloge du crépusculaire. De fait, actuellement, les risques d’éblouissements sont nombreux : influence nocive de l’information immédiate, de la généralisation de l’informatisation et de l’image, du formatage de la pensée… Comme 15 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.208.0.48 - 27/03/2012 10h19. © Editions Cazaubon indifférencié, c’est l’écrivain pris dans le dessaisissement de la création, c’est le mourant pris dans le “travail du trépas”. Après avoir lu le manifeste en faveur de l’euthanasie publié en 1974 par J. Monod, Michel de M’Uzan est en quelque sorte saisi par cette question et commence à réfléchir à ce qui, a priori, ne peut concerner le psychanalyste, qui devant cette extrémité fatale n’aurait plus qu’à baisser les bras. Or Michel de M’Uzan soutient la proposition inverse, et se dit que la fin de vie, sue et connue, peut être pour le patient accompagné par l’analyste, un moment fécond : la possibilité ultime de se retrouver au moment de disparaître. C’est cet aspect original du travail de Michel de M’Uzan qu’examine l’article de Jacques André qui clôt l’ouvrage. Non qu’il s’agisse de donner le dernier mot à la mort : le but est au contraire d’élargir les frontières de la réflexion psychanalytique, et de permettre à des patients en fin de vie de vivre cette fin. Ne surtout pas y voir un quelconque acharnement thérapeutique dont le psychanalyste se ferait ici le complice. Ni une forme déguisée de dénégation de la mort. Car nul n’est dupe sur l’issue de la “cure”. La visée peut-elle d’ailleurs ici être thérapeutique ?