elle n`aurait pas dû prendre la communication.

Transcription

elle n`aurait pas dû prendre la communication.
ELLE N'AURAIT PAS DÛ
PRENDRE LA
COMMUNICATION.
Un soir, le 13 avril, un appel. Rien. Un second appel. Rien. Un
troisième appel. Une respiration. Un quatrième appel. Des
chuchotements. Le dernier appel. Juste une phrase : Je sais qui tu es.
Tu le paieras. Voilà, voilà ce que j'ai vécu hier soir. ça ne paraît rien,
"Ce n'est qu'un abruti!" m'a dit ma mère. Ce n'est qu'un abruti, j'ai
essayé d'y croire, que c'était un abruti. Avant, j'étais bien, pas de
pression, pas d'angoisse mais à partir de cet appel, la peur. Toujours
la peur. Constamment la peur. Ce n'est pas rien, une menace.
Je parle, je vous raconte, vous ne savez pas qui je suis. Je suis
Anna. Une jeune maman du 10ème arrondissement de Paris. J'habite
un quartier assez tranquille. Trop tranquille. Je suis issue d'une
famille riche. J'ai fait des études à Paris, en histoire. Et puis, Eline
est née. C'est mon petit bébé. Elle a 10 mois. Je n'ai pas grand chose
à dire sur moi. Le théâtre, la danse, le chant, mes trois passions dans
la vie. Et comme je l'ai dit avant, une chose étrange m'est arrivée.
Dans ma vie.
NINA
DUPORGE
Les jours passent. J'oublie. Plus d'appels, rien du tout. Je
reprends ma vie, comme avant. Je m'occupe de la petite. Je lis
beaucoup. Je fais la bouffe. Rien de plus, rien de moins. Et puis, un
matin, le 13 mai, je reçois une lettre. Elle disait : "Bonjour Anna, te
rappelles tu de cet appel ? As-tu oublié ?". J'avais oublié.
Malheureusement, la personne n'a pas oublié. Je ne dis rien à ma
mère. Sinon, elle va me dire que ce n'est qu'une plaisanterie. Chaque
jour, je regarde autour de moi. Lorsque je sors, je vérifie bien que
personne ne me suit. Chaque jour, des bruits me font sursauter.
Chaque jour, les gens me paraissent de plus en plus suspects. Je ne
dors plus. Je ne vis plus. J'ai l'impression de survivre, c'est tout.
Chaque jour, je fais des cauchemars.
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Le 13 juin. C'est une poupée horrible que je reçois. Blanche. Les
yeux ensanglantés. Un couteau dans le cœur. Des clous sur les bras, les
jambes. Elle est toute petite. Elle porte un collier. Je peux lire : « Tu le
paieras ». Merde. J'en ai marre. Je pète les plombs ! Elle fait
effroyablement peur. Je sors en courant. Je regarde partout, rien du
tout. Pas une voiture, pas une personne. Rien de suspect. Le vide total.
Pas un bruit. Je venais de sortir à l'instant pour sortir les poubelles. Il
n'y avait rien. Rien du tout. J'entends taper à la porte, j'ouvre, un colis,
sur le sol. Il n'était pas là avant ! Je l'ouvre. Et cette poupée est là.
Bordel de merde ! C'est quoi cette blague ?! Je sens mon cœur battre de
plus en plus fort. C'est immonde de me faire subir ça.
Je comprends rien. Tout se bouscule dans ma tête. Je cherche une
explication. Je fais des recherches. Je pleure la nuit. Ma fille. Mon
bébé. J'ai peur pour elle. Je dors presque plus. Je la regarde. Peur
qu'elle s'envole. Je veux partir, loin. Impossible, le boulot m'oblige à
rester. J'essaye de me rassurer, autant que je peux. Me dire que c'est un
abruti qui veut me faire peur. Que c'est pas la bonne adresse. L'adresse
! Sur la lettre, le colis, pas d'adresse. Ça me fout les jetons ! Je veux
comprendre. La lettre, l'appel, la poupée vaudou. Que des menaces.
Mais pourquoi ? Le 13. Toujours le 13. Ma mère est superstitieuse, pas
moi. C'est une mauvaise blague. Comme par hasard un 13. Quelqu'un
cherche à me faire peur.
yeux se ferment. Mais je tiens bon. 9 h, toujours rien. Je bois. Je
mange un sandwich. Je me dis que c'est ridicule. Que c'est con. Je
reste à ma fenêtre. Je me dis que c'est con d'en être arrivée là. Les
heures passent. Mes yeux fatiguent. Toujours plus. Je guette chaque
bruit. Chaque mouvement que j'entraperçois. 14 h, il ne se passe
rien. Toujours rien. Je me dis que peut être, ce fou s'est calmé. Mais
rien à faire. Je reste jusque 00 h 01 ce soir. Je le fais pour ma p’tite.
Minuit sonne. J'ai rien vu de la journée. Je comprends pas.
J'ouvre ma porte, personne ne rôde. Impossible ! Une boîte
devant chez moi. Personne n'est passé. Je deviens folle, totalement
folle. Ma vie vire au cauchemar ! Je prends la boîte et toute la nuit je
la regarde. Je ne sais pas. Est-ce-que je dois l'ouvrir ? Putain, encore
un 13. Je commence à me demander si je ne suis pas folle. Je ne
l'ouvre pas. Je ne peux pas. Je ne veux pas. Je n'ai ni la force, ni
l'envie.
Le 12 juillet, je dors toute l'aprèm. Histoire de tenir la nuit
éveillée. Je vais enfin savoir qui dépose ces conneries chez moi. Je me
prépare une bouteille de jus de fruits. De la bouffe. Je suis déterminée.
J'attends. Les heures passent. 3 h du matin. Toujours rien. 6 h du matin
toujours rien. J'ai demandé à une amie de venir. Pour prendre la petite
et la garder ces deux jours. Je garde mon téléphone à la main. Mes
Ce jour, je reprends ma petite. J'aime pas passer une nuit sans
elle. Je la mets dans le salon. Comme d'habitude, j'entends la
musique de sa peluche, elle rit. Je lui apporte son biberon. Quelle
horreur. Je la vois. Encerclée par des clous. Un couteau près d'elle.
Une tache de sang. Une autre. Une dizaine de gouttes de sang sur la
moquette. Je cours. Je trébuche. Je hurle. D'un seul coup, tout
disparaît. Éline pleure. Elle ne comprend pas. Elle a eu peur. De moi.
Qu'est-ce-qu'il se passe ? Je lui ai fait peur. Je deviens folle. Parano.
J'hallucine totalement ! Je la calme. Je lui chante une berceuse. Je la
mets au lit le soir même. J'ai pas faim. J'ose pas appeler, demander
de l'aide. Je veux pas être insultée de folle. Je veux pas qu'on me
retire ma fille. Je n'ai pas beaucoup dormi à cause de l'histoire du 13.
Ça doit être pour ça. Oui, c'est sûr, c'est
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pour ça.
J'ai l'impression que jamais je revivrais normalement. Jamais.
Tous ces événements m'ont rendu folle. Rien ne sera plus comme
avant. J'aurai constamment peur. La peur. Toujours. Et puis, il y a cette
boîte. Toujours pas ouverte. Tous les jours, je me demande ce qu'il y a
dedans. Allez. Pour maintenant. Je l'ouvre. Ça peut pas être pire. Je suis
plus à ça près ! Une multitude de clous. Mais le pire. Une photo de
moi. De moi et ma sœur. Quand j'avais 5 ans. Impossible. Toutes les
photos ont brûlé dans un incendie. Je deviens folle.
Ma sœur est morte. Elle avait 12 ans. Ça fait bizarre de la revoir
sur une photo. Elles avaient toutes été brûlées dans l'incendie. Avec ma
sœur. C'est là qu'elle est partie. Personne n'a jamais retrouvé une trace
d'elle. Ses cendres. Ses os. Ses empreintes. Rien du tout. On n’en a
jamais reparlé. On faisait semblant chez moi. J'avais 10 ans. Je ne
comprenais pas tout. Elle avait disparu. Mais j'étais la seule à pleurer.
Je n'ai jamais vu ma mère pleurer. Ni mon père. Peut être qu'ils se
cachent… C'est impossible. Cette photo a brûlé avec les autres. Je
comprends rien. Je fouille la boîte, entre les clous .Le passé resurgit. Il
y a, tout au fond, un bracelet. Rose. Il est rose. C'est le sien. A ma sœur.
Elle le portait toujours sur elle. Toujours. C'était un cadeau. Qui venait
de moi. Personne n'a pu le prendre. C'était à elle. Elle ne l'aurait jamais
donné. Je lui ai offert quand j'avais 7 ans. Je l'avais fais moi même !
Avec des bouts de fils roses. Différents roses. C'était en été. Pour son
anniversaire. Le jour de cette photo. Ce jour là, il n'y avait que nous
deux et nos parents. Personne d'autre. Personne n'était là. Et pourtant
sur un bout de papier. Je lis : « Chère Anna. Tu te rappelles ce jour ? Ce
bracelet ? Ces rigolades ? Cette coccinelle avec laquelle tu jouais ? ».
Je suis bouche bée. S'il vous plaît ! Laissez moi tranquille
Je me suis endormie. Ma joue est collée sur la photo. Je la
décolle. Impression de m'être réveillée d'un long et douloureux
cauchemar. Éline hurle. Je cours. A travers toute la maison. Elle hurle,
comme d'habitude. Le même pleur. Mais j'ai peur. Cette fois ci. J'ai
peur. J'ouvre la porte. Plus rien. Plus un bruit. Elle dort. J'ai froid.
Terriblement froid. Je retourne à la cuisine. De nouveau, elle hurle. Je
cours. Encore. J'arrive. Elle dort. Je la prends avec moi. Dans la
cuisine, des flammes. Je pose ma petite dans le salon. J'éteins le feu.
Avec un torchon. J'entends Éline hurler. Je vais la reprendre. Elle dort.
Un grand vacarme. Dans la cuisine. Toutes mes casseroles à terre. Je
pose mon bébé. Je ramasse tout. De la buée sur la fenêtre. Il est écrit :
« Tu le paieras ». Ma petite pleure. Je me retourne. Elle dort. Ce ne
sont pas ses pleurs. Je ne sais pas d'où ça vient. Mais elle ne pleure pas.
Ce n'est pas elle. Silence. Un grand silence. Un silence de mort.
Un quart d'heure. Le temps qu'il me faut pour reprendre mes
esprits. Un silence comme ça, ça glace le sang. On dirait que le temps
s'est arrêté. J'ai peur. Toujours. Encore. Ma petite fille dort encore. Un
vrai p’tit ange. Je la regarde. Je souris. C'est elle qui me donne cette
force. Et si c'était son père qui se vengeait ? Et s'il faisait tout pour la
récupérer ? Je ne sais plus, je deviens folle ! Je suis parano. Il n'est pas
fou à ce point. Il n'est pas malin à ce point. Je sais plus quoi penser.
promet de se rappeler. Je la raccompagne à la porte. Je rentre. Je sors
un verre du placard. Je referme la porte du placard. Elle se rouvre. Je
la referme. Elle se rouvre. Je la ferme à nouveau. J'avance vers le
frigo. Toutes les portes du placard se mettent à claquer. Elles se
referment. Elles se rouvrent. Un bruit incessant. Je cris. Je pleure.
Elles claquent. Elles claquent. Ça résonne dans ma tête ! Ça se
propage dans toute la maison. Dans toute la maison. Ça claque
partout. Ma petite se met à pleurer. Elle hurle. Je suis paralysée. Je
suis au sol. Je ne sais pas ce qu'il se passe. Les casseroles tombent.
Tout s'arrête. Tout. Plus un bruit. Mon bébé rit. Je l'entends
rire. C'est sur ces rires que je m'endors. Je me réveille. Je me prépare
à tout brûler. La poupée vaudou. Les clous. La photo. La lettre. Tout.
Je veux tout oublier. Dans la cuisine. Le colis n'y est plus. Plus rien.
Tout a disparu. Je parcours la maison, pour le trouver. Mais rien,
plus rien n'y est. Je deviens folle. J'appelle Amélie. Je lui raconte
tout. Depuis le début. Au départ elle croit à une mauvaise blague.
Elle finit par me croire. Elle reste un mois à la maison. Un mois.
Pour me rassurer. Chaque jour depuis, je regarde derrière moi
lorsque je fais quelque chose. Je sursaute au moindre bruit. Quand
Éline pleure, je cours. J'ai toujours peur. Je suis perdue. Tout s'est
arrêté. Sans explications. Je n'ai aucune trace. Aucune. Et je ne vis
plus, je survis. J'angoisse. Je pleure. Je cherche.
Le soir. Je mets mon bébé au lit. J'invite Amélie. Une amie. On
discute de tout et de rien. J'oublie tout. Je m'amuse. On discute de
mecs. On critique les nanas. On se regarde un épisode d'une série qu'on
adore. On joue à des jeux de filles. On se maquille. On discute, on
cuisine. Je pense plus à rien de ce qu'il s'est passé. Je retrouve le
sourire. Je ris même. Ça m'était pas arrivé depuis des mois. C'était la
première fois où j'oubliais tout. Minuit, elle repart chez elle. On se
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Je comprends rien. Tout se bouscule dans
ma tête. Je cherche une explication. Je fais
des recherches. Je pleure la nuit. Ma fille.
Mon bébé. J'ai peur pour elle. Je dors
presque plus.
Une nouvelle écrite par Nina Duporge