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INTERVIEW
26 -
/ 1107 - JUILLET / AOUT 2011
Koshiro Tanaka Senseï a
créé sa propre école de
sabre : le Hiko Ryu
Moujahidin du Budo, il est le Soke de l’école Hiko Ryu
Koshiro Tanaka
« Massoud était mon ami... »
Il a pratiqué le Karaté Kyokushin, le Kung Fu et le Taijutsu. Dans les années 80, il s’est rendu en Afghanistan pour
former les Moujahidins et combattre l’armée soviétique. Il a, depuis, entraîné les unités d’élite de nombreux
pays et fondé le Hiko Ryu. Rencontre avec un samouraï des temps modernes qui n’a qu’une ligne de conduite :
la recherche de l’efficacité.
Par Stéphane Fauchard à Tokyo (Japon) > Photos : Muriel Fauchard et D.R.
L
es stations de métro de Tokyo sont décidément immenses. Aussi, après avoir erré
quelque peu à Shibuya, nous trouvons enfin
la correspondance pour Ebisu. Nous y avons
rendez-vous avec Usui Tadashi, un ami japonais
qui nous a invités à rencontrer Koshiro Tanaka,
un Budoka célèbre dans l’archipel nippon.
Les retrouvailles sont rapides, nous sommes en
retard. A peine sortis de la gare, nous nous
enfonçons sous la pluie dans une succession de
petites rues. Après 10 minutes de marche,
nous stoppons devant un immeuble de cinq étages.
Rien n’indique qu’un Dojo se situe au sous-sol.
Une fois déchaussés, nous pénétrons dans un Dojo
assez spacieux. Tadashi fait les présentations.
J’offre un Omiyage (1) à Tanaka Senseï puis, rituel
indispensable au Japon, nous échangeons nos
cartes de visite.
Nous sommes une dizaine. Chacun s’échauffe
individuellement. L’ambiance est cordiale, Tanaka
Senseï prend des nouvelles des uns et des autres.
Il m’interroge sur mon parcours dans les Arts
Martiaux. Lorsqu’il apprend que j’ai débuté par
le Karaté Shotokan, il me révèle que nous sommes
dans l’ancien Dojo privé de maître Nakayama,
figure légendaire de la JKA. L’immeuble appartient
à sa femme qui lui loue le mythique Dojo Hoitsugan
le samedi matin.
« Le Maître me
prête son sabre ! »
L’entraînement débute par les Kihon de l’école
Hiko Ryu. Ils se pratiquent avec un partenaire et
permettent de travailler les déplacements et
techniques de l’école. Assez rapidement, Tanaka
Senseï enchaîne sur un travail d’esquive face
à un partenaire armé d’un Shinaï, un sabre
d’entraînement constitué de plusieurs lames de
bambou.
Puis nous passons à un Kata avec un sabre court,
le Kodachi, une spécificité du Hiko Ryu.
Comme je n’en ai pas, Tanaka Senseï me prête
le sien !
Koshiro Tanaka
a combattu
six ans en
Afghanistan.
Les déplacements sont précis, rapides et similaires
à ceux effectués lors du travail à mains nues.
La porte d’entrée du Dojo a été laissée ouverte et
un agréable courant d’air frais traverse la salle.
Le cours se poursuit durant deux heures. Il est
constitué de l’étude de situations de combat à
mains nues ou au sabre. De petits groupes se sont
constitués et chacun travaille en autonomie sous
l’œil vigilant du Maître. Celui-ci passe de groupe en
groupe. Il n’est pas avare de conseils, de
corrections, de précisions. Il est vrai que sa
maîtrise de l’anglais facilite nos échanges.
Au fond du Dojo, Mami Kimura maîtrise, à l’aide de
son Kodachi, les assauts d’un partenaire armé
d’un Katana. Tanaka Senseï est particulièrement
attentif à tous les détails.
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INTERVIEW
Katana, Kodachi et Tanto…
Soudain, Tanaka Senseï demande à Tadashi de
porter des attaques avec un Tanto, un grand
poignard japonais. Face au danger, le Senseï est
parfait de maîtrise physique et mentale. Précision
et efficacité sont les deux mots qui caractérisent le
mieux son travail. Ses réponses, passées à l’aulne
de ses expériences de jeunesse en Afghanistan,
seraient fulgurantes et mortelles... si elles n’étaient
pas parfaitement contrôlées.
Le cours se termine, les armes sont rangées.
Tanaka Senseï se prête encore à quelques photos.
Il nous invite à revenir partager un entraînement
sous sa direction.
Nous partons déjeuner au restaurant. Le «Japonais»
étant fermé, c’est devant une pizza que nous
réaliserons une interview de Tanaka Senseï.
1
Tanaka Senseï, quel est votre parcours dans les
Budo et pourquoi avoir créé l’école Hiko Ryu ?
J’ai débuté par la pratique du Karaté Kyokushin,
puis du Kung Fu. J’ai ensuite pratiqué le Taijutsu de
l’école Fuji Ryu. Mon premier Senseï s’appelait
Koga Fujito. Il a fondé l’école Fuji Ryu en 1952.
En parallèle, j’ai poursuivi ma pratique d’autres
Budo comme le Karaté.
En 1991, Fujito Senseï m’a confié son école.
Je suis donc devenu le 2e Soke du Fuji Ryu.
J’ai moi-même transmis la charge à l’un de mes
élèves en 2007. J’avais quelques soucis de santé.
Puis, en 2009, j’ai créé Hiko Ryu. J’y enseigne le
Taijutsu et le Kodachi. Hiko Ryu est la synthèse de
mon parcours dans les Budo.
« La symbolique de la
montagne à gravir, du Do... »
Quelle est la signification de Hiko Ryu ?
Hiko est le nom d’une montagne sur l’île de Kyushu,
près de Fukuoka. Enfant, j’habitais dans un village
près de cette montagne. Hiko Ryu me rappelle mon
village natal. Et puis, il y a la symbolique de la
montagne à gravir, du chemin à trouver, du Do...
Quelles sont les disciplines enseignées en Hiko Ryu ?
Le Taijutsu et le Kodachi. Mon Taijutsu comprend
des techniques de frappes avec les mains, les
De 1984 à 1990,
Tanaka Senseï
a formé les
Moujahidins afghans
au Taijutsu « pour
les préparer au corps
à corps » avec les
troupes soviétiques.
Il voulait « mettre
à l‘épreuve (sa)
détermintation » dans
ce qu’il considérait
être « une guerre
juste ».
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« En Afghanistan,
j’ai recherché l’étape
finale des Budo,
la rencontre avec
la mort »
Kick-boxing et du Karaté. Nikishi
a aussi fait du Kick-boxing. Il a même
été champion du Japon. Kimura a
beaucoup pratiqué l’Iaïdo.
Avez-vous mis en place un système
de grades en Hiko Ryu ?
Non, pas de grades (rires). L’école est
jeune. Je souhaite surtout que mes
élèves s’entraînent et progressent. Les
grades, ce n’est pas très important.
Peut-on considérer que Hiko Ryu
est une école traditionnelle ?
Oui, Hiko Ryu est une jeune école.
Elle représente la synthèse de mon
parcours dans les Budo japonais et
Jquas in collis
chinois. Son contenu est issu de
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diverses écoles traditionnelles :
xsxscingulis ipsis
adnectunt xsxsxs Taijutsu, Jujutsu, Karaté Kyokushin,
Kung Fu, Iaïdo... En cela, c’est une
poings, les pieds, les coudes, la tête... Il est aussi école traditionnelle.
composé de clefs articulaires et de projections.
Ma pratique est uniquement orientée vers la « Nous étions
recherche de l’efficacité. Le Hiko Ryu est un
Taijutsu efficace. Le Kodachi est la dernière arme comme des frères »
du samouraï. C’est un sabre de petite taille. Son
travail est intéressant car, de par sa taille, il oblige En 1984, vous êtes allé en Afghanistan pour six
à défendre face à un adversaire tenant une arme ans. Pouvez-vous nous parler de cet épisode de
plus longue, un Katana par exemple. Il faut donc votre vie ?
défendre, mais en gardant à l’esprit qu’il faut aller J’ai vécu en Afghanistan de 1984 à 1990, dans les
régions de Kaboul, de Jigdalak, de Takhar et de
de l’avant !
Kunduz. Je luttais contre l’ex-Union soviétique.
Je considérais que c’était une guerre juste.
« Synthèse des Budo
Je voulais aussi mettre à l’épreuve ma déterminajaponais et chinois »
tion. Comment allais-je réagir dans des situations
de vie ou de mort ? Etais-je prêt à mourir pour donD’où viennent vos élèves ?
ner la mort ?
Cela dépend. Certains, comme Tadashi, prati- J’ai recherché l’étape finale des Budo, la rencontre
quaient le Karaté et l’Iaïdo. Nemoto a fait du avec la mort.
Avez-vous enseigné les Budo à cette époque ?
Mes compagnons faisaient partie de la rébellion
afghane. Ils combattaient les Soviétiques. Je leur
enseignais le Taijutsu pour les préparer au corps à
corps.
Avez-vous rencontré le Lion du Panchir, le
commandant Massoud ?
Oui, Massoud était mon ami... (Tanaka Senseï a un
geste de la main évoquant la fatalité) (2) .
Quand je l’ai rencontré, Massoud était le
commandant de la Jamat-e-islami à Tarakan, dans
l’état de Takhar. Je combattais moi-même dans les
forces de Mohamad Anwar. Nous avons été
compagnons d’armes pendant cinq ou six mois.
Nous étions comme des frères.
« Massoud m’a
envoyé au Pakistan… »
Est-ce lui qui vous a donné votre surnom ?
Je ne sais pas, mais effectivement j’avais un
surnom. Mes frères d’armes m’appelaient
«Fighting».
Le commandant Massoud vous avait chargé
d’une mission importante. Quelle était-elle ?
Massoud m’a envoyé au Pakistan avec pour
mission de rendre compte de la situation en
Afghanistan auprès des ambassades américaine et
japonaise. Je fus surpris. C’était la première fois
que j’avais à faire une telle démarche.
Massoud pratiquait-il les Budo ?
Il se battait ! Lorsqu’il est devenu ministre
de la défense, je lui ai attribué un 5e dan
d’honneur de l’école Fuji Ryu (à cette époque,
Tanaka Senseï était le responsable, le Soke, du
Fuji Ryu).
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INTERVIEW
Un sabre particulier
Le Kodachi, la dernière
arme du samouraï
Le guerrier japonais était lourdement armé : lances, Naginata, arc, Tachi, Katana et Kodachi faisaient
partie de son attirail. Tanaka Senseï enseigne avant tout le maniement d’un Kodachi particulier.
L’arsenal du Samouraï comprenait de nombreuses armes qui lui permettaient de
combattre à différentes distances. Il les
choisissait selon les situations, s’il était à pied
ou à cheval. La première arme utilisée était
l’arc pour abattre des assaillants à distance.
Il était complété par le Naginata, une longue
hallebarde qui servait à couper les jarrets des
chevaux. Le guerrier utilisait aussi la lance,
directement sur un cavalier.
Mais le samouraï est surtout connu pour sa
dextérité au sabre. Il en avait deux, voire trois à
disposition ! Le Tachi, le plus grand d’entre
tous, pouvait mesurer jusqu’à 1,50 mètre. Il se
portait dans le dos. Venait ensuite le Katana,
le plus connu et le plus utilisé. Enfin, lorsque
les autres armes étaient brisées ou perdues,
il restait le Kodachi, tenu à une seule main.
Miyamoto Musashi, le plus célèbre des
sabreurs japonais, combattait en tenant son
Katana de la main droite et son Kodachi de
la gauche. Son style se perpétue à travers
l’école Niten Ryu. Tanaka Senseï enseigne le
maniement du Kodachi face à un adversaire
armé d’un Katana (plus long que le Kodachi).
Cette situation impose un travail en avançant
(Sen No Sen) ou en parade, suivi d’une riposte
(Go No Sen). Le timing est bien sûr
prépondérant.Les Kodachi du Hiko Ryu sont
particuliers. Leur garde, la Tsuka, est longue et
permet une saisie à deux mains. En bois
comme en acier, ils sont réalisés par Yoshiki
Kakuta, un maître forgeron réputé, ami de
longue date de maître Tanaka.
En Thaïlande, au Pakistan, au
Vietnam, aux Philippines, au Koweit,
aux Etats-Unis, au Tibet.
Quel conseil donneriez-vous à un
Budoka au XXIe siècle ?
De s’entraîner, s’entraîner, s’entraîner.
Et s’entraîner encore !
Vous vous entraînez encore ?
Bien sûr ! Tous les jours.
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Stéphane Fauchard (à dr.), l’auteur de
cet interview, en plein entraînement au
Kodachi.
« S’entraîner,
s’entraîner, s’entraîner… »
A cette époque, les Arts Martiaux vous ont-ils
servi ?
Oui, dans certaines situations ils m’ont été utiles,
très utiles...
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Avez-vous des bons souvenirs de votre période
afghane ?
Oui, bien sûr. Des souvenirs inoubliables et de très
bons amis !
Avez-vous enseigné dans d’autres pays ?
J’ai enseigné dans de nombreux pays, pour les
forces d’élite de l’armée ou de la police.
(1) Lorsqu’on est invité dans un Dojo
traditionnel, il est de bon ton d’offrir
un Omiyage. Votre hôte ne l’ouvrira
pas devant vous. Ne soyez pas
étonné !
Au Japon, être invité n’est pas anodin.
Vous êtes a priori considéré comme
une personne digne de confiance.
Votre Omiyage sera à votre image,
donc aucun besoin de l’ouvrir.
(2) Massoud a été assassiné par deux faux
journalistes le 9 septembre 2001. Sa mort
précède de deux jours les attentats du 11 septembre
aux USA. Les deux événements semblent liés.
Voir contact p.98

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