DICTIONNAIRE EROTIQUE VENITIEN livre de

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DICTIONNAIRE EROTIQUE VENITIEN livre de
DICTIONNAIRE EROTIQUE VENITIEN
livre de Claudio dell'Orso paru en 2011
Traduction avec ajout d'images trouvées sur Internet (décembre 2011)
et photos que j’ai faites à San Michele en février 2012
Le liston
Perdu, négligé, oui, mais cependant jamais oublié.
Aujourd'hui, nous devons dénicher les témoignages de l'érotisme vénitien dans les souvenirs,
en feuilletant des mémoires, en consultant des biographies, d'anciens journaux et des essais
sur les mœurs.
Le dernier sursaut d'un voyeurisme galant fut une innocente habitude qui remonte au 18ème
siècle. Seulement qu'en ce siècle, il concernait des nobles qui s'ennuyaient, des dames coiffées
de perruque, des chevaliers servants, des intrigants fainéants et des dames de petite vertu. Il
dura cependant jusqu'à notre époque, c'est-à-dire jusqu'au début des années 1960, époque de
l'exode vers la terre ferme. Le gratin de la jeunesse vénitienne s'y retrouvait.
Nous somme là en train d'évoquer le Liston, lieu de promenade sur la Piazzetta entre la Tour
de l'horloge et la rive.
La promenade était l'occasion de se montrer, de bavarder, d'admirer
ou de se laisser admirer.
Toute sorte de désir admis mais jamais concédé.
Selon les saisons, cela commençait avant 19 heures et se terminait un
peu après 20 heures, quand pour les filles, qui jamais ne s'aventuraient
seules, sonnait l'heure du couvre-feu, le retour à la maison imposé par
leurs parents. Lesquels plus que le jugement des bigots, craignaient
les cancans du voisinage.
Durant ce qu'on appelait les vasche (va et vient), on échangeait des œillades, brûlant d'envie
de se faire remarquer, on se faisait présenter la personne "juste", on prenait contact, on
évaluait les conquêtes possibles. Elles, élégantes mais jamais trop voyantes, petite frange à la
manière de Brigitte Bardot, cils bordés de noirs, entre un regard intéressé et un autre suffisant,
sourire de circonstance, une minauderie calculée, un balancement des hanches savaient déjà
par qui se laisser choisir.
La stratégie amoureuse, en apparence égale en chaque lieu et sous tous les cieux, montre à
Venise sa spécialité.
On aperçoit, la Basilique, la Loggetta di Sansovino, au loin les lumières du Bassin, on perçoit
le son d'une cloche, les violons des orchestres des cafés de la place Saint Marc en fond
sonore. Interminables allées et venues, tel le rythme d'un battement de cœur, inquiétude à
fleur de peau, incertitude du prochain rendez-vous. Douces paroles qui vous bouleversent le
cœur et les sens et qui valent plus que mille promesses. On y croyait, toujours plein
d'enthousiasme.
Dans ce climat de conformisme, tous les garçons évitaient de poser le pied sur les pierres
blanches, les bandes de marbre décorant le sol de la place. Une légende obscure, alimentée
par je ne sais quels événements disait que celui qui y posait le pied se signalait comme étant
homosexuel. C'était donc inconvenant d'y rester en cherchant à faire connaissance. On
finissait par être exposé à la risée des présents.
Après le Liston, il y avait le rendez-vous sur le campo San Bartolomio les premiers aprèsmidis des dimanches d'hiver.
A cette occasion unique de divertissement, on se réunissait pour danser, boire du vermouth,
une bouteille de whisky, manger des panini ou des pâtes, mais seulement quand il faisait nuit.
Destination : un appartement loué pour l'occasion. Dans le salon, entre twist, rock, mais
surtout bal des carreaux (ballo della mattonella – ainsi appelé car on y fait des petits pas sue
un carré d'environ 30 par 30 cm), on cherchait la proie juste, celle que l'on accompagnerait en
calculant les lieux les plus obscurs du parcours, où l'on s'arrêterait plus tard (Zattere,
Fondamenta Nove, Misericordia).
Les chères demoiselles hésitaient entre un encouragement et un refus, espérant finalement
attraper le jeune homme qu'elles pourraient présenter à leur parents. Pour "le faire
sérieusement", comme elles disaient.
Les derniers moments de sensualité joyeuses se trouvent là. Après les fastes de la Sérénissime
libertine désormais oubliés, on trouve cependant une poche de résistance dans la naïveté et le
comportement transgressif de notre jeunesse.
Ce dictionnaire est, somme toute, dans le style parfait du Liston.
Les différents mots vous feront rencontrer artistes, personnages en vue. Vous traverserez
divers lieux intrigants, passerez en revue des figures historiques. Vous entendrez des épisodes
croustillants, amours de toute sorte, racontars et manigances. Il y a les épisodes sexuels qui se
déroulent chez les religieux, les chapitres dédiés à la cuisine aphrodisiaque, à l'usage d'un
délicat ustensile médical. Jusqu'au souvenir d'un film d'horreur chez les bonnes sœurs. Nous
nous sommes permis d'ajouter quelques savoureuses remarques autobiographiques (est-ce
vanité ?) et de dédier un indispensable article aux statues des jeunes filles, en place pour
l'éternité.
Gardez le présent à l'esprit : si la renommée de jouisseuse de la cité lagunaire a disparu avec
ses habitants, survivant dans un but touristique à travers le carnaval, nous devons réciter notre
mea culpa. Elle a disparu, sans qu'on s'en aperçoive, par l'absurde volonté de vouloir prendre
les habitudes et la mentalité du reste du monde.
Reste un lexique nostalgique. Il témoigne de notre érotisme, même si avec le temps il n'est
plus là.
Alla Vergine Orba (A la Vierge aveugle)
Inutile de demander où se situe ce restaurant au nom moqueur et même un peu porte-malheur.
Il s'agit, qui sait, d'une farce d'étudiants plutôt vulgaire du début des années 60, pour fêter
quelque diplôme. Le menu présentait, sous des définitions évocatrices et bien ciblées
d'authentiques plats aphrodisiaques servis à l'occasion de banquets libertins réunissant de
joyeux convives. Quoiqu'il en soit, le menu, non privé d'humour, faisait partie d'un petit livre
intitulé "La science du parler onctueux, anthologie scientifique de Settimio Menassi".
La liste érotico-gastronomique qu'il contenait était attribuée au diététicien Magnoni Porcino.
Un nom qui garantissait une cuisine à jouir.
Le prix des "mets", disons-le ainsi, évidemment en lires, semblait abordable. Arrivant
cependant à une somme coquette pour offrir au gourmet de quoi se lécher les moustaches.
Certainement, de tels produits devaient à l'époque révéler la recherche à la solution de certains
problèmes, en gardant l'apparence de modération.
Entrées :
Manipulation de fesses à la vénitienne
L.500
Frottement de verge à l'embarcadère
L.700
Reniflement des parties molles
L.350
Potages :
Pipe aux parties honteuses
L.400
Branlette sous les porches
L.400
Clitoris en jouissance
L.400
Doigtiers dans leur jus
L.400
Comme dans tout bon restaurant qui se respecte, des plats plus élaborés, les spécialités
culinaires de la maison, pour les palais plus délicats étaient préparés sur le moment, à des
tarifs encore abordables.
Les voici.
Plats préparés :
Poitrine à la madrilène
L.650
Fève de vierge à la sauce
L.600
Ragoût d'utérus à la bavaroise
L.800
Passage de langue sur la morue à la vicentine
L.650
Fromages :
Mise en vase de pecorino
L.500
Gorgonzola de religieuse
L.350
Spécial Cardinal
L.350
Fromage du curé
L.650
Desserts :
Sperme au caramel
L.600
Beignets du marquis
L.750
Couilles glacées
L.800
Fruits :
Ici la hausse des prix est vertigineuse, comme il est rappelé au-dessus, la rareté du produit
offert justifiant la dépense.
Fève fraîche
L.1600
Nouveau con (FICA NOVELLA, en italien, en majuscule dans le menu) L.3000
Banane d'élevage
L.750
Vins :
Boissons à mettre sur la paille. Mais celui qui pouvait s'offrir un tel luxe, dans de précieux
verres, avait les vins les plus délicats. Réservé aux meilleurs connaisseurs érotomanes.
Humeur de la chatte d'une vierge à la pression
L.1800
Tocai (nom d'un vin) d'une chatte suédoise
L.1500
Larmes de vulve, année '17
L.2000
Couverts et service en supplément
De ces couverts et services à payer en supplément, nous pensons qu'il est superflu d'entrer
dans des explications supplémentaires. Personne ne semble s'en être plaint.
Avant spectacle
Les jambes. Nous voulions admirer des jambes gainées dans des bas résille, avec des
jarretières, des pieds chaussés d'escarpins décolletés avec des talons aiguille. On allait au
théâtre Malibran avec nos lorgnons dans ce but. Le reste du corps féminin paraissait, au
contraire, protégé par des bustiers inattaquables et des corsages imposés par la censure. Et
malheur à qui dépassait les limites. On appelait «scaphandres» ces costumes dégageant
cependant un certain érotisme. Un couple de policiers surveillait depuis le parterre ou
derrière les coulisses, décidé à intervenir pour toute exubérance qui aurait pu causer scandale.
Et le commissaire, s'il devait être appelé se montrait prêt à stopper le show pour outrage à la
pudeur. L'avant spectacle était le passe-temps plus attendu par les voyeurs, combinaison de
variétés osées, quelque peu vulgaires et d'un film en noir en blanc. Un programme jugé
immoral et interdit à tous selon les indicateurs catholiques des spectacles affichés à l'entrée
des églises.
Celle qu'on appelait la soubrette, habituellement une bonne fille réalisant d'improbables
numéros chorégraphiques et des duos comiques, se détachait comme attraction principale.
Dans le final, elle défilait sur l'estrade portant le costume le plus exigu que la censure
permettait, avec sur la tête et sur les flancs des plumes d'autruche. Venait ensuite un sextuor
de girls laissant entrevoir leurs cuisses. Aux allures de Junon, comme cela plaisait alors, les
souriantes jeunes filles laissaient dans l'air enfumé par les nombreuses cigarettes fumées, des
odeurs où se mélangeaient la sueur, la poudre de riz, l'eau de Cologne et le talc. Chacune avait
un nom exotique ou évocateur imprimé sur les affiches, même si toutes étaient
indiscutablement de chez nous. On supportait les jeux de mots à double sens économique, les
jongleurs, le braillement des chanteurs et les sketches avec des allusions politiques. Dans les
cinémas et théâtres italiens, des militaires en permission, des travailleurs, des étudiants, des
bons à rien se pressaient sous la scène pour se rincer les yeux et ainsi respirer le parfum
féminin des filles qui sautillaient au rythme syncopé de l'orchestre et s'offraient idéalement
sous les réflecteurs. L'avant spectacle, appelé cinéma-variété pour se donner une certaine
importance, souvent organisé par des troupes itinérantes de peu de valeur, à des prix d'entrée
populaires, ne pouvait certainement pas rivaliser avec la revue, luxueuse, qui rassemblait les
grands noms du spectacle, accompagnés par des femmes séduisantes. Ici, s'exhibaient les
ingénues, incomparables soubrettes. Non seulement elles jouaient au théâtre, mais elles
apparaissaient sur les écrans cinématographiques dans des films divertissants, représentant le
must de la sensualité accompagnée d'un malicieux bon goût. A San Grisostomo, la gestion du
théâtre Malibran contenta démocratiquement aussi bien le public populaire que l'élite
jusqu'aux années 1930, conjuguant qualité et tarifs des représentations. Jusqu'à la période
tourmentée de la République sociale et de l'occupation allemande, avec les bombardements
alliés qui, souvent empêchaient ou ralentissaient les transports, les compagnies réussissaient à
rejoindre la cité lacunaire. Le divertissement suffisait, le public se contentait d'admirer des
ballerines avec un peu de cellulite, des funambules qui plaisantaient avec leur chien et des
comiques qui osaient défier le fascisme en lançant quelques répliques, prêts à passer la nuit au
poste de garde. On dévisageait la soubrette à la pause voluptueuse, on la dévisageait avec une
feinte convoitise on lui lançait : "La lingue batte dove… Clito ride" (La langue bat où le clito
rit – jeu de mots, la traduction de clitoris étant en italien clitoride).
Les débuts dans la cité d'une célèbre compagnie de revue qui faisait une tournée dans le nord
de l'Italie, à la période de Noël 1944, firent sensation. Le rationnement de nourriture étant
allégé, il était permis d'avoir à sa disposition quelque pâtisserie. La publicité de la compagnie
grand spectacle Bruno, pour la première au théâtre Malibran de la revue "Femmes à l'enfer"
programmée à 20 heures le samedi 23 décembre 1944, annonçait sur le quotidien Il
Gazzettino : "A l'élégance du spectacle et à la somptuosité de la mise en scène contribuera,
dans la seconde période, un défilé de modèles. Tous les costumes de la revue et des modèles
ont été créés tout exprès par Lucina Cigolotti et chez Bruno. Fourrures La Motta. Scènes
réalisées par Mayer. 30 demoiselles de la mode. 20 diables du rythme".
L'annonce suivante est, elle aussi, curieuse :" Ont été engagées trois jeunes vénitiennes
particulièrement belles, Rosetta Acerbi (l'actrice qui débuta dans l'Automne de la Prose),
Marioa Garizzo et Laura Masiero". C'étaient les débuts de Lauretta Masiera, seize ans, aux
jambes longues, interprète de la pièce La Dame des rêves, destinée à une carrière fulgurante,
devenue une des plus importantes prime donne des revues italiennes. Une autre fut Livia
Nouguette, oubliée, souvent présente dans la compagnie du comique Renato Rasel, dans les
années 50.
Cette fascinante jeune femme d'origine noble, attirée par les lumières de la scène se nommait,
en réalité, Livia Bandiera. Elle appartenait à la même famille vénitienne que les frères Attilio
et Emilio Bandiera, fusillés par les Bourbons en 1844. Malgré le gel d'un hiver très froid, le
couvre-feu et l'obscurité, les gens avaient encore envie de se divertir, à tel point que, même
après la première, les soirées suivantes firent salle comble. Le Malibran, qui servait aussi de
cinéma, fut l'unique théâtre qui pouvait abriter jusqu'à la fin des années 60 des spectacles de
revues. Au milieu des paillettes, plumes d'autruche, des ballerines à couper le souffle munies
de l'indispensable puntino, le petit cercle adhésif positionné de manière à cacher l'auréole qui
entoure le sein et les tétons, des dispositifs scénographiques aux effets spectaculaires, un
grand orchestre, se produisirent sur cette scène des artistes à la renommée indiscutable :
Wanda Osiris, Delia Scala, Carlo Dapporto, Macaio, Walter Chiari, Ugo Tognazzi. En 1952,
pour Gran Baldoria, écrite par Giovaninni et Garinei, se produisirent le Quartetto Cedra, Isa
Barzizza, les superbes filles anglaises Bluebells.
Finalement, profitant du relâchement des freins moraux et ayant abandonné les "scaphandres",
les filles purent exhiber quelques centimètres en plus d'épiderme et oser le deux-pièces sans
susciter scandale. Puis, le Théâtre vénitien étant abandonné par les grandes compagnies qui
préféraient s'installer à Mestre pour des raisons de coût et de transport, seul l'avant spectacle,
durant toutes les années 60, avant la fin du genre causé par le progressif désintérêt du public,
réussit à garantir le remplissage des caisses.
Circulait alors, vraie ou inventée, qui sait, la croustillante histoire sur la soirée d'honneur au
cours de laquelle une jeune chanteuse aux formes débordantes faisait ses adieux justement sur
la scène du Malibran. Elle laissait son public, disaient ceux qui étaient bien informés, parce
que sur le point d'épouser un admirateur qui était aussi un ingénieur de talent. Au cours de
l'avant spectacle le clou était le moment où la jeune chanteuse entonnait une chansonnette,
soulevait sa jupe de crêpe dans la ritournelle finale en montrant sa petite culotte en forme de
feuille de figuier et ses blanches cuisses. Elle lançait un retentissant "voilà", suivi de
hurlements de joie et courait dans les coulisses, suivie par les applaudissements du public. Ce
soir, le soir fatidique, soit par une volonté calculée ou à cause de quelques verres de prosecco
bus dans sa loge, à peine terminée la chanson et au moment de l'attendu "voilà" au public
concentré sur son corps sinueux, elle laissa apparaître entre l'immaculée candeur de ses
cuisses un triangle de velours noir sans équivoque. La fin du monde tomba sur le plateau. Le
public devant la scène, applaudissait de manière frénétique, réclamant à grande voix le bis,
tandis que des galeries et des loges, on se penchait en hurlant avec enthousiasme son nom.
Pour calmer les esprits, les deux habituels agents de la force publique en service accoururent.
Ils ignoraient ce qui s'était passé parce qu'à ce moment-là il se trouvait à l'extérieur. Ils
avancèrent au milieu du parterre et demandèrent aux moins agité les raisons d'une telle
frénésie. Personne, naturellement ne leur expliqua ce qui s'était passé, et pendant ce temps, les
demandes de bis redoublaient. Perplexe, les policiers se retournèrent dos à la scène pour
ressortir de la salle. Telle la foudre, la jeune fille sortie des coulisses, revint au centre du cône
de lumière du réflecteur, et s'entendant réclamer le bis du "voilà", s'exécuta. Non pas le bis de
la chanson, bien sûr.
Luisa Baccara
Venise, avril 1919, Gabriele d'Annunzio l'a rencontrée au palais Giustinian, entre San Vidal et
San Samuele, dans la maison de sa maîtresse musicienne Olga Levi Brunner.
Luisa, 27 ans, petite brunette fluette,
mignonne sans plus, un look langoureusement
androgyne, elle est la fille d'un ex-colonel des
Bersaglieri et a une bonne renommée de
pianiste. Elle habite non loin de là, à Santo
Stefano, à l'étage noble du palais Pisani, qui
deviendra plus tard le conservatoire de
musique Benedetto Marcello. Lui, qui se
définit comme poète-soldat, admiré pour ces
entreprises belliqueuses, littéraires et
sexuelles a alors 59 ans . Revenant de Paris où
il s'était réfugié pour échapper à ses
créditeurs, il a depuis longtemps interrompu
sa relation avec l'actrice de théâtre Eleonora
Duse.
"Ce pauvre Gabriel si plein de génie et de spermatozoïdes!", soupirait avec une flamme
d'envie celle qui était désormais répudiée. Le très amoureux Vate (Prophète, surnom de
d'Annunzio), avait fait la conquête de Luisa en septembre et. Il l'avait entraînée avec lui dans
l'entreprise de l'occupation Fiume, réalisée en compagnie de 287 légionnaires. Elle le suivit
patiente, docile à ses exubérances érotiques, renonçant à ses tournées musicales. Les soldats la
surnommaient avec bonhomie "la vénitienne de Santo Stefano", la paroisse où elle était née.
D'Annunzio, fidèle à ses exagérations, inventa pour elle trois surnoms. Le premier était
Barbarella (rien de nouveau : elle avait été rebaptisée Barbara Leoni par son amant romain).
Ensuite Rosafosca et finalement Smirkà, ce qui en grec signifie " gracieuse enfant", en
hommage à son visage couleur d'olive, de petite grecque d'Asie Mineure. Le Vate daignera se
laisser appeler Ariel, pseudonyme dont il usait dans sa jeunesse. A Fiume, l'écrivain Giovanni
Comisso et le pilote mais aussi futuriste Guido Keller, exaspérés de voir Luisa monopoliser le
commandant, tentèrent de "la tenir enfermée dans une cage comme une poule", rapporte
Comisso. Sans lui demander son avis, ils entendaient la confiner dans une petite île déserte de
la mer Adriatique. Le rapt devait survenir pendant la fête médiévale vénitienne du Castel
d'Amore, où sous une tente romantique de fougueux cavaliers se battaient en duel feignant de
libérer des dames prisonnières au milieu des gradins choisissant naturellement de manière
imprévue la plus belle. D'Annunzio sans doute flaira le plan et jugeant la compétition
amoureuse trop "d'annunzienne" l'interdit. La Baccara, lui étant resté fidèle, se trouva
bénéficiaire de ses trois testaments, dont l'un avait été écrit tandis que les italiens
bombardaient la cité le 24 décembre 1920 surnommé "Noël de sang". La bataille se termina
grâce au renfort des troupes du gouvernement italien en janvier 1921. Le quotidien romain
l'Epoca publia le 18 avril la nouvelle que, suivant les lois promulguées dans la cité croate, le
commandant avait divorcé de sa femme, la duchesse Maria Hardouin des ducs de Galles, pour
épouser la pianiste dans un village de la frontière suisse. La renommée de d'Annunzio était si
vaste que le New York Times, le jour suivant, annonça la nouvelle dans un de ses articles. Il
s'agissait d'une bévue qui ne mérite même pas de démenti.
Luisa et Gabriele se retirèrent en exil dans la villa Cargnacco, renommée Vittoriale, à
Gardone Riviera. Le poète, bien que habitant sous le même toit, lui écrivait des lettres
ardentes avec des phrases cryptées et grandiloquentes : "Je suis resté sur la désillusion de cette
nuit et avec ce masque mystérieux. Ton corps nu sous la soie me brûle plus que jamais. Et la
caresse terrible m'exténue mais ne m'apaise pas. J'attends la nuit prochaine, qui sera longue et
brève. Je cherche les parfums pour cette peau tannée par le diable", et il signait Ariel.
D'Annunzio ne veut se résigner à prendre sa retraite. Il fait peser son prestige intact auprès du
président du conseil tant détesté, Saverio Nitti qui, dans le courant de la même année,
organise une rencontre politique à Milan, à la mi-août, où doivent être présents Benito
Mussolini, d'Annunzio et lui même. Le rendez-vous n'a pas lieu. Est-ce là le motif du "vol de
l'archange", définition évidemment d'annunzienne pour décrire la chute du balcon du premier
étage à onze heures du soir, deux jours avant, tandis que Luisa jouait du piano à l'intérieur de
la maison. Qu'est-il arrivé ? Le mystère reste encore aujourd'hui épais. L'enquête sur la
défenestration menée par la police n'eut aucun résultat et jamais Luisa ne voulut éclaircir
l'épisode qui aurait pu avoir de tragiques conséquences.
Des voies incontrôlées, cependant, insinuèrent que la surnommée "gardienne du
commandant" agissait comme espionne, aux ordres du président Nitti, une espèce de 007,
décidée à attendre l'occasion propice pour éliminer par tous les moyens le désormais
personnage encombrant. Autre possibilité, elle, qui s'adonnait à la drogue avant de connaître,
l'aurait poussé à consommer des doses de cocaïne. Peut-être assis à califourchon sur la fenêtre
de la salle de musique, le libidineux personnage ennuyait la sœur mineure de Luisa, Jolanda,
et celle-ci pour se défendre des attaques amoureuses l'aurait poussé. Selon une autre version,
ce fut Luisa qui s'apercevant des attentions qu'il portait à sa sœur, agacée, aurait poussé son
amant du balcon. Par jalousie ou dans l'intention de protéger sa sœur, on ne sait pas. Depuis
lors, Luisa fut négligée sexuellement, reléguée aux tâches ménagères de la maison, et pourtant
objet de lettres enflammées, mais seulement de lettres.
En 1924, arrivèrent trois raffinées escort girl de la campagne voisine. D'Annunzio les appelait
les "abbesses de passage" : une française de 20 ans, grande et provocante qui s'appelait
Angèle Lacer, tout de suite surnommé Jouvence. Il est certain qu'il l'initia tout de suite à la
drogue. Dans une lettre de juin 1928, Angèle écrit :" le seul mal a été de prendre de la cocaïne
mais vous m'y avez obligée. Beau courage, mon Dieu, de faire du mal à une femme seule ! ".
Elle impose que la Baccara soit mise à la porte, convaincue que celle-ci avait fait perdre la
raison au Vate. Au contraire c'est elle qui dut s'en aller, tandis que la femme de Gabriele,
donna Mariai, négligée pendant des décennies arrivait.
Une rivale qui mortifia Luisa Baccara, en lui accordant sans réticences quelques caprices
sexuels, fut la française Aélis Mazoyer. Ariel, en s'excusant presque, écrivit à Luisa que le
sexe est une infirmité héréditaire. Et cependant il chargeait sa nouvelle flamme de lui choisir
les justes "abbesses", de leur trouver des lingeries propres à l'exciter, de leur expliquer les
propensions libidineuses de l'illustre client.
En 1927, Aélis fut une nouvelle fois invitée à la villa Vittoriale, ainsi que la peintre polonaise
Tamara de Lempicka, bisexuelles notoires, venue faire le portrait du Vate. Il désirait l'ajouter
à sa collection, multiplia les avances, parvint à lui introduire de la cocaïne dans les gencives
mais Tamara le laissa gémir sur le seuil de sa chambre à coucher et le définit comme "horrible
nain en uniforme".
En 1932, une blondinette de 20 ans, Emy, bonne à tout faire, charma Gabriele devenant sa
préférée dans l'assouvissement de ses désirs frénétiques. L'inattendue influence de la Fräulein
bouleversa Luisa qui réussi à la convaincre de s'éloigner pour quelque temps. Peut-être étaitelle une espionne nazie au service du ministre des affaires étrangères Von Ribbentrop,
envoyée dans l'alcôve du poète qui détestait Hitler et n'en faisait pas mystère, pour le tuer à
coups de drogue et l'épuiser par des jeux érotiques effrénés. Emy resta à côté de d'Annunzio
jusqu'à quelques mois avant sa mort.
1er mars 1938. A Gardone Riviera, le commandant meurt à 75 ans, frappé par une hémorragie
cérébrale. Luisa Baccara alors âgée de 46 ans abandonne la ville, voyage dans toute l'Italie,
fait des séjours aux thermes, entretient une relation qui va peut-être au-delà des rapports
professionnels avec le musicien compositeur vénitien Francesco Malipiero. Aucune des lettres
retrouvées ne le confirme.
Revenue dans la cité lagunaire elle s'installe à l'extrémité du Rio Terà dei Nomboli, près du
Campo San Polo, dans un édifice que l'on rejoint en empruntant un petit pont de faire fermer
par une grille à l'angle du rio di San Tomà et du rio dei Frari. Pour vivre, elle donne des
leçons de piano, elle donne des interviews où elle parle de sa relation avec Gabriele. Sollicitée
par les journalistes, les curieux ou les chercheurs, elle refuse de rendre publics les documents,
les photos et les souvenirs dont sa maison est pleine.
Venise, 29 janvier 1985. Smirkà meurt emportant avec elle presque tous les secrets érotique
de son magnifique amant.
Deux œuvres de Tamara de Lempicka
Zorzi Baffo
Parmi les protecteurs de Casanova à peine orphelin, et ses Mémoires le confirment, il y eut le
noble Zorzi Baffo, né et mort à Venise (1694 –1768). Le " poète lubrique", comme on
l'appelait, qui selon un autre contemporain, Ginguené, " parlait comme une vierge et écrivait
comme un satyre". En fréquentant l'hôpital alcôve de Zanetta, dite la Buranella, mère
Casanova, Baffo trouva le temps d'apprendre au jeune Giacomo à lire. Le presque indigent
patricien contribua à le sauver quand atteint hémorragie nasale, les docteurs ne réussissaient
pas à le guérir. Il envoya quelqu'un demander un avis au professeur de médecine Alessandro
Knips-Marcop, allemand naturalisé à Padoue. Celui-ci diagnostiqua la raison du mal : c'était
l'air respiré par le jeune homme, tandis que l'expression hébétée qui apparaissait en
permanence sur son visage, dépendait de cette même épaisseur du liquide sanguin dans ses
veines. Il conseilla donc au malade de changer de lieu pour vivre.
Il fut décidé de l'envoyer en pension à Padoue, toujours grâce au seigneur Baffo, "génie
sublime, unique et grand poète, même dans le plus hybride des genres", paroles de Casanova
lui-même, qui avait neuf ans à l'époque des faits. L'abbé Grimani et Baffo lui-même
l'accompagnèrent dans son voyage de huit heures sur le bateau, avec Zanetta. Le séjour permit
un prompt rétablissement de sa santé.
Le hasard, la coïncidence unirent le grand libertin à l'auteur des poèmes obscènes, gaillards,
jamais publié de son vivant. Les plus spirituels ? Louange au cul, Louange à la mona (sexe
féminin), Parallèle entre le trou du cul et la mona, Ma sœur la mona, Confusion entre le cul et
la mona, La mona fait dresser fait dresser l'oiseau, La mona qui s'ouvre et la bite en est
mieux…..
Dans le nom même de Baffo, apparaît un présage lubrique. Sa famille descendait des
souverains de Pafo, en grec Paphos, cité de l'île de Chypre fameuse pour son sanctuaire dédié
à Aphrodite, famille qui s'installa à Venise pendant plus d'un siècle. Née, selon la légende de
l'écume de la mer qui peignait ses rives, Aphrodite était le symbole de la beauté, de l'amour et
de la fécondité. En Grèce, à l'époque, les rites d'initiation sexuelle, tournaient parfois à de
vraies orgies, un vrai culte en l'honneur du sexe. Au 18ème siècle, ils trouvèrent en Baffo leur
véritable chantre vulgaire (fatalité de sa provenance ?), et en Giacomo Casanova l'infatigable
adepte de la déesse grecque, adoptée ensuite par la mythologie romaine.
Baffo illustré par Hugo Pratt
Batidori ou Battitori (les rabatteurs, les dragueurs)
Depuis le début des années 1900, profitant de l'arrivée en augmentation des touristes, ceux
que l'on appelait les battitori ( définition qui "sonne" mal, à notre avis) de la place Saint-Marc,
appartenaient à deux catégories distinctes, catégories "professionnelles" avec des intentions et
des horaires d'activité différents. Le matin, agissaient les chasseurs de couples italiens ou
étrangers. Ils tentaient de les diriger vers les boutiques de verre de Murano, les fabriques de
dentelle ou autres artisanats conventionnels. Le soir, entraient en piste les dragueurs
d'étrangères, seules ou en couple.. Dans ce cas, la règle était de ne jamais embarquer des
sœurs parce que, s'aidant mutuellement, l'issue était généralement négative. Ces dragueurs de
demoiselles se divisaient, grosso modo, en deux catégories : les vetrinisti et les pastorini. Les
premiers, bien vêtus, flânaient le soir sur la place Saint-Marc en exhibant devant leurs rivaux
leurs conquêtes américaines aux jambes longues, elles aussi élégantes, les tenant par la main.
Ils avaient l'habitude de les conduire au Septième Ciel, au dernier étage de l'hôtel BauerGründwald, pour boire un cocktail, bavarder, fumer une cigarette, danser le twist ou une
danse langoureuse. Ils se contentaient d'un savoureux baiser pour leur dire au revoir, quand ils
les reconduisaient à leur hôtel sans passer par la garçonnière.
Moins sympathique était le groupe des pastorini, nom de la société qui gérait la gestion des
ordures à l'époque, ainsi appelé par ce que "de bonne bouche". Toujours par deux, habillés
sans façon, style sportif, ils contrôlaient un rayon d'action allant jusqu'au Rialto, s'efforçant
d'attraper quelques belles, mais se contentant surtout des plus moches, disposées à les écouter.
Ils commençaient par les inviter à boire un verre de vin dans un des bars typiques sur le Rio
Terà degli Assassini ou de la Fondamenta Tolentini. Si les tentatives de drague étaient
couronnées de succès, les pastorini emmenaient leurs conquêtes directement vers les ruelles
mortes autour de la Pointe de la douane à la Salute.
Aujourd'hui de ces deux catégories, survit seulement la première, même si la seconde semble
donner quelques signal de réveil engourdi.
Aujourd'hui il y a le jeune mais obsédé Hulk, ainsi surnommé à cause de sa corpulence
puissante, taille moyenne, regard attentif derrière des lunettes aux verres fumés, les bras nus
exhibant leurs muscles, qui erre autour de Saint Marc, reniflant l'air, tournant autour de nos
filles et des étrangères non accompagnées. Il leur offre de leur tenir compagnie puis reprend
ses habituelles allées et venues. Un autre, pas loin de la soixantaine, la chevelure rousse, en
action devant la basilique tous les jours et quel que soit le temps, se consacre exclusivement
aux touristes japonaises avenantes ou non.
Le terme batidori dérive naturellement du verbe battre, et dans son sens commun, signifie"
battre le trottoir", c'est-à-dire se livrer à la prostitution. Les dragueurs, qui dans le reste de
l'Italie sont appelés pappagalli (pistolets pour uriner) -cela date de l'époque où les filles du
pays se donnaient au compte-gouttes - cherchaient le produit étranger parce qu'il leur
paraissait de mœurs plus désinvoltes. Le code chevaleresque de comportement, observé par
l'ingénu batidor, (même quand la relation allait jusqu'au bout) imposait le respect et le bon
goût et le savoir-faire vers tout type de femme rencontré.
Andar in Bianca
Une expression qui signifie : manquer son but, surtout si celui-ci est sexuel. Chaque avance
bloquée dès sa naissance ou toute stratégie programmée n'aboutissant pas avec une évidente
frustration pour d'inutiles préliminaires et approches sans résultat. Une bref exemple, mais
historique survient en 1937, quand se rencontrent pour la première fois à l'hôtel Excelsior du
Lido de Venise l'actrice Marlene Dietrich, 36 ans, au charme androgyne et l'écrivain Erich
Maria Remarque, tous deux allemands. L'actrice, fumant entre chaque bouchée de nourriture,
qui dînait avec le metteur en scène autrichien Josef Von Sternberg, resta stupéfaite par
l'élégant gentilhomme qui frisait la quarantaine et qui s'étant approché de sa table pour être
présenté à Von Sternberg, lui baisa la main. Quelques heures plus tard, ils étaient dans une
chambre de l'hôtel et Remarque dut lui confesser, en la vouvoyant : " Je dois vous avouer que
je suis impuissant".
Marlène Dietrich,
1937,Excelsior
1939 Marlène Dietrich
et Erich Maria Remarque
Traumatisé par la Grande Guerre, où il avait été envoyé dans les tranchées sur le front, ce qui
lui avait inspiré son roman pacifique "Rien de nouveau sur le front occidental", l'écrivain
allemand ne réussissait plus à consommer.
Leur relation, même si discontinue, se poursuivit pendant plusieurs années, chacun continuant
à mener sa propre vie. Il semble que l'enchanteresse ait un insatiable besoin bisexuel. En plus
de relations avec la divine Greta Garbo et la chanteuse française Édith Piaf, elle eut entre
autres amants, Jean Gabin, Orson Welles, Gary Cooper. Malheureuse avec des écrivains - elle
rata son coût même avec Ernest Hemingway -elle mit cependant de son côté les arts et resta
l'amie de ce dernier.
Dans le recueil des lettres entre Dietrich et Remarque "Dis-moi que tu m'aimes, Témoignage
d'une passion" publié en 2002, l'écrivain, sous le pseudonyme de Pavic, revient sur son état.
Marlène Dietrich, sous le pseudonyme de Puma, en paraît enthousiaste et répondit qu'elle
trouvait justement pour cela fascinant, irrésistible. Remarque précise : "Mais quand je le
désire, je peux naturellement devenir une charmante petite lesbienne".
Et le platonique, même incandescent rapport – sur le papier – entre lui qui vivait en Suisse et
elle à Beverley Hills ou à New York, tous deux exilés du Troisième Reich, dura jusqu'à fin
1950.
Remarque lui écrivait parfois cinq fois par jour lui envoyant des cartes postales, des petits
billets, des télégrammes, l'appelant mon puma adoré. L'"Ange bleu" répondait toujours, mais
cependant il ne nous reste quasiment aucune de ces lettres. L'actrice Paulette Godard,
troisième et dernière épouse de Remarque, qui avait épousé auparavant Charlie Chaplin, déjà
jalouse à son égard pour des raisons professionnelles, une fois découverte la montagne de
lettres, lui imposa de les détruire en sa présence. Il nous reste de Marlène le dernier
télégramme expédié à Remarque agonisant : " Je t'envoie tout mon cœur".
Parmi les pappagalli les années 60 et 70, des filles et des femmes d'origine du centre ou sudAmérique, à l'exclusion du Brésil, d'éducation catholique et considérées plutôt de bonne
moralité, étaient ignorées par ce qu'on les considérait comme non fiables et simple perte de
temps et d'argent.
L'histoire d'un batidori, ébloui par les oeillades langoureuses et les sourires complices d'une
belle mexicaine plus toute jeune, faisant parti d'un groupe de mexicaines en visite, (elles
étaient toujours prêtes à distribuer ces sourires, il faut le dire), réveilla ensuite l'hilarité
générale. Soit parce que c'était son activité, soit parce qu'elle lui plaisait vraiment, il voulut
l'inviter à sortir pour la soirée et la jeune fille, après quelques simagrées, accepta. Elle accepta
même un drink plutôt alcoolisé. Dans les ruelles, aux baisers passionnés, elle répondit après
quelques hésitations par des baisers de feu. Mais au moment de franchir le seuil fatidique de
la garçonnière, sous l'alibi d'écouter quelques disques, elle opposa une ferme résistance
malgré les insistances. Jamais elle n'entrerait dans l'appartement d'un célibataire affirma-telle. Exaspéré, il lui demanda avec provocation si elle était catholique. La mexicaine,
soulevant sa poitrine généreuse, le regardant dans les yeux, proclama fièrement : "Catholique,
apostolique et romaine !"…Et…bianca!
Tinto Brass
Son premier long-métrage, centré sur les vagabondages vénitiens d'un sympathique bon à rien
qui voit avec préoccupation arriver le moment de répondre à que faire quand il sera grand, eu
des ennuis jusqu'à son titre. La censure de 1963 fit la grimace pour ce "Chi lavora è perduto"
(Qui travaille est perdu), laissant distribuer le film sous le titre plus innocent de "In capo al
mondo."
Elle coupa aussi la séquence où le protagoniste Bonifaccio (l'acteur Sady Rebbot) se rappelait
la montée à pied du campanile de la place Saint-Marc et l'arrêt avec son amoureuse sur un
palier désert . Pour éviter les embarrassantes rencontres avec des couples enlacés, surpris par
des touristes scandalisés, dans les années 60, l'accès à l'escalier fut interdit, obligeant les
visiteurs à atteindre le sommet par l'ascenseur.
Vingt ans plus tard, la première séquence du film La Chiave (La clé), tiré du roman japonais
de Tanikazi Junichiro, montre la protagoniste Teresa (Stefania Sandrelli) faisant pipi dans une
ruelle, à peine sortie de la fête du nouvel an 1939, et son mari malade, âgé, Nino s'enivre à la
provocation de son épouse retrouvant d'ultimes sursauts libidineux. Complices sont leurs
journaux intimes sur lesquels, par de faux oublis, les époux laissent les clés sur les serrures
des tiroirs. Grâce aux confidences centrées sur leurs partenaires, une fois réciproquement lus,
ils arrivent à concrétiser leurs fantasmes secrets. Au milieu de lits défaits, reflets de jeux
pervers sur le plafond, sons de clochette, bruits de bidet, murmures et cris de plaisir, lui finira
épuisé mais satisfait. Elle, plus que jamais frigide, continuera ses jeux transgressifs.
Continuant sur le filon sexy-vénitien, le metteur en scène a comme interprète la froide Claudia
Cardinale, à la chute de rein sublime dans Così fan tutte (1992).
Claudia Koll dans Cosi Fan Tutte
Claudia Koll dans Cosi Fan Tutte
Elle, c'est Diana, vendeuse dans un commerce de lingerie, est décidée à suivre les conseils
pervers d'une collègue, entortillant son mari Paolo sous prétextes de trahison que lui, à la fin,
devra avec légèreté accepter pour ne pas la perdre.
Seulement quelques accents mozartiens sur la bande sonore composée par Pino Donaggio
pour une pellicule qui frise l'obscénité joyeuse et située à Rome et à Venise.
Dans son film suivant Trasgredire (2000) la séquence ce choc est celle du sandolo (barque
vénitienne) voguant sur la lagune où Carla (Yuliya Mayarchuk), 20 ans, protagoniste du film,
ôte sa petite culotte, assise à la proue et écarte les cuisses devant son fiancé qui rame.
Provocante, elle attend la réaction des autres rameurs qui passent sur leur barque, s'approchant
de l'embarcation et perdant évidemment le rythme. Autre scène plaisante, celle tournée sous
les Procuratie Nove de la place Saint Marc, quand elle se met à l'abri de l'orage, laissant le
vent irrespectueux lui souffler son chapeau et lui relever la jupe.
Tragredire
Entre jalousie entre amoureux, expériences lesbiennes, flottement de jupes et citations
autobiographiques, le film apparaît comme un divertissement pour voyeur, très impudique.
En 2001, Brass s'engage dans un remake hard de l'inoubliable film de Visconti, Senso (1954),
histoire d'une passion entre une aristocrate vénitienne et un glacial officier autrichien qui finit
tragiquement, reprenant exactement la trame et se déroulant dans les derniers mois de la
République sociale. Dans Senso 45, Livia (Anna Galiena), épouse d'un dignitaire devient
l'amante d'un coureur de jupons, Helmut Gabriel Garko), lieutenant aux cheveux platine de la
SS et entend le rejoindre à Venise, cité qui a vu naître et grandir leur histoire, née derrière le
porche d'une maison et qui finira avec la reddition des deux protagonistes durant l'irréversible
défaite nazie.
Elle criera à l'officier nazi, alors qu'il s'apprête à sodomiser sa maîtresse plus âgée : :"Encule
Hitler, encule Staline, encule le Duce, encule tous les culs du monde, je veux devenir folle
dans ton cul !". Vaste programme. Et même dans le film de Brass, connaisseur parfait des
rotondités féminines.
"Camorra" vénitienne
La définition fut donnée au début du siècle dernier par le journal batailleur "Le siècle
nouveau, journal socialiste de la province de Venise". Elle indiquait la catégorie formée par
les garçons de courses malins et intrigants, trafiquant dans le secteur du tourisme, parfois
seulement dans le tourisme d'élite, obtenant de grasses commissions.
"Portiers, personnels d'hôtel, guides et gondoliers affiliés à la camorra" était le titre de la
première enquête publiée sur le n°14 du 2 avril 1904, signée "Le vénitien", quelqu'un qui
connaissait bien le mécanisme de ce genre d'exploitation.
L'industrie appelée Industrie des Etrangers, par l'intermédiaire de picciotti, c'est-à-dire de
personnes qui surveillaient attentivement les familles étrangères, qui incitaient des guides à
les suivre pour s'en faire des clients, se vantait de ses services en les définissant comme
"glorieux services des établissements camorristiques". On accompagnait les familles dans les
fabriques et commerces pour leur faire acheter des produits artisanaux à prix cher.
La réalité était différente et tournait souvent à l'embrouille.
Un journal daté du 11 juin 1904 écrivait : "La dentelle, pour 7 sous, était importée de
Bruxelles. La verrerie qui arrivait dans les maisons camorristiques arrivait de Bohême.
Meubles et gravures ? Pour les trois quarts de Milan, Lisbonne ou Vicence. Soie, damas,
brocart vénitiens ? Dans leur totalité, fabriqués à Côme, Milan et dans le Piémont. Il y avait
cependant quelque chose de local. Des ateliers de sculpteurs fabriquaient de toutes pièces, des
margelles de puits, des écussons, des vases de style lombard, renaissance, rococo, mais
surtout byzantin. Ils faisaient des copies exactes jusque dans le moindre détail d'œuvres
antiques. Dans un palais vénitien, portant le nom très connu d'un doge, acheté par un puissant
groupe de spéculateurs, la margelle de puits qui se trouve dans la cour, a été plusieurs fois
vendue, expédiée avant de revenir pour être de nouveau vendue, etc…L'affaire est très simple.
Ils la reproduisaient, la remettaient à sa place en attendant de nouveaux acquéreurs.
L'exploitation, condamnée comme blâmable, avait un indiscutable revers sexuel. Le 15 février
1908, le Secolo Nuovo, dans un autre article passé inaperçu aux yeux de l'opinion publique,
bien que citant le nom des entreprises concernées dénonçait les faits sans périphrase : "La
camorra est plus forte que Pippo (Filippo Grimani, maire de Venise)".
Les étrangers dégénérés retournent dans leur continent respectif heureux de l'excellent service
qu'ils ont reçu des gondoliers à l'ombre de la felze (cabine couverte avec petit divan au centre
de la gondole). Et après cet excellent service, ils se laissent conduire dans les boutiques,
passent par les temples sacrés de l'art, de la dentelle... et dépensent, dépensent, dépensent...
C'est alors qu'entre dans le bal les audacieuses ancêtres du bunga bunga. Filles de plaisir,
qu'aujourd'hui on appelle escort, et qui, à l'époque, se nommaient cocotte. Les services et les
résultats étant identiques au fil des années.
Elles étaient engagées de Paris, de Londres, de Bruxelles, de Vienne, de Berlin, à des prix
exorbitants pour la saison. Dans les boutiques, ces très avenantes demoiselles sont chargées de
servir le client, content de trouver à ses pieds une compatriote . Les demoiselles portent même
les objets achetés à l'hôtel dans la chambre de l'acquéreur. Cocottes, dégénérés
et...maquereaux. Tout est bon pour la camorra. L'argent tombe. Le préfet et le maire de
Venise ont les yeux "remplis de jambon" ! Ils n'écoutent pas, ils ne voient pas, Oh! les cris, les
gestes, les saintes rébellions, quand à l'étranger on écrit "Venise est un repaire de brigands".
Le comble est atteint, poussé la spéculation politique 1908 . On dénonce la location
concernant le Kursaal dell'Excelsior Palace Hotel (inauguré quelques années auparavant), qui
voit impliquer en plus des entrepreneurs locaux dont l'hebdomadaire reporte les noms, un
certain "Signor Marquet", probablement belge vu qu'ils sont allés le dénicher à Ostende et qui
loue l'hôtel pour 65000 lires par an (70000, 90000 pour d'autres l'hôtel). Il y installe un tripot
qui fonctionnait déjà depuis quelques jours, avec ses employés et lesdites cocottes engagées
pour attirer, enivrer, embrouiller et rendre plus agréable les rendez-vous, c'est-à-dire un
bordel. Il y a aussi des hommes de paille, faux joueurs qui servent à attirer le client.
Un jouisseur, ce désormais célèbre Marquet, selon la description de l'hebdomadaire socialiste.
"Peut-être dans l'excitation de quelques bains de champagne avec quelques belles-filles
(Marquet est connu à Ostende pour s'être offert un bain de champagne avec la belle Otero,
une des plus célèbres et coûteuses horizontales, c'est-à-dire courtisanes sur la place
européenne), il avait pensé que Venise était une terre de conquête pour lui. L'homme habile
cependant ne fit pas faire le contrat à son nom personnel mais à celui de ses fidèles seconds".
Donc vive la dentelle (les ouvriers tuberculeux qui travaillent pour le luxe gagnent 30
centimes par jour), vive la fabrique de mobilier ancien, vive le verre de Bohème de Murano,
vive les commissions et les compères, vive les locations de commerce, vive la bière SaintMarc, vive les auberges, les cocottes et le tripot.
C'est vrai. Il manquait les petits commerces et les comptoirs remplis de masques en
céramique, les gondoles en plastique et les chapeaux de jongleurs made in Chine ou les
commerces misérables où l'on vend des pizzas en tranches. Comme on dit, rien de nouveau
sous le soleil.
Les chansons
La plus célèbre barcarolle du genre vénitien parvenue jusqu'à nous est certainement La
biondina in gondoleta. Imaginée, en 1778, pour ce symbole du féminisme sans préjugés que
fut la comtesse Marina Querini, épouse Benzon. L'auteur des vers qui la taquinait était le
poète Antonio Lamberti et la mélodie composée par le bavarois Johann Simon Mayr,
spécialiste de la musique sacrée.
Dans le texte de la chanson, la dame en compagnie d'un homme s'endort, bercée par le
clapotis des petites vagues, insouciante. " Un seul coup de brise souleva ses cheveux et fit que
son sein ne fut plus couvert d'un voile". L'aventure trouble l'accompagnateur qui se laisse
glisser au fond de l'embarcation, observe encore la belle endormie en gondole et décide de lui
faire "insolence". " Oh ! mon Dieu, que de belles choses j'ai dites et j'ai faites. Non plus
jamais aussi heureux de mes jours, je ne serai".
Il est rare de concentrer en si peu de vers tant d'allusions jusqu'à l'issue de la promenade.
Les années passent et une veine érotique se développe, surprenante pour la moralité des
années 50. On diffuse des cartes postales avec ces chansons où l'on voit des amoureux
vénitiens se disputer en minaudant.
Marieta monta in gondola, de Cherubini-Concina, est présentée au second festival de Venise,
en juillet 1954, par Jula de Palma, Enrico Alfero, accompagnés par l'orchestre Cergoli. Elle
obtient le premier prix. Reprise par Carla Boni et Gino Latilla, elle devient un succès national.
La chanson raconte les insistances de l'amoureux qui entend emmener avec lui en gondole la
méfiante Marieta.
Elle se rappelle, choquée de ce qu'il lui était arrivé auparavant : "Je n'ai pas confiance. Tu es
un imposteur…". Lui, piqué au jeu, répond : " Que dis-tu, petit chou ? Pourquoi dans ce petit
bois…". L'improbable petit bois de la lagune sert pour la réplique suivante : " Tu m'as
extorqué un baiser, pour me piquer le cœur ".
En somme, une petite dispute pour un simple baiser à l'ombre d'un arbre. Ou bien faut-il
comprendre qu'il y a eu entre les deux quelque chose de plus concret, une histoire d'amour
plus sérieuse, quelle souhaite poursuivre, pour éviter de paraître, typique mentalité de
l'époque, une fille facile ? La savoureuse historiette finit en gondole où les amoureux
retourneront se donner un autre baiser, la moralité étant sauve.
Plus concrète apparaît la très jalouse Caterina, femme d'un gondolier volage, dans Toni me
toca (Toni me touche, toujours de Cherubini-Concina), chanson dont le titre donnera à penser
aux censeurs radiophoniques. Inscrite dans les programmes de l'orchestre Angelini, au
printemps 1956, elle fut chantée par le duo Boni-Latilla, spécialiste dans le filon lagunaire
avec overdose de mélasse, pendant plusieurs années. Dans la chanson, le gondolier jouant les
hypocrites, dit : "Depuis le jour que je t'ai épousé, en quoi ai-je changé ?". A quoi, elle répond
: "Ta cervelle a changé. Tu fais le beau avec toutes les femmes. Je ne veux plus que tu me
touches".
En somme, Caterina entend faire la grève du devoir conjugal. Toni ne se démonte pas et
réplique : "Allez…viendra le désir (il connaît donc son point faible)…Caterina, ne fais pas la
sotte".
Elle continue la scène, même si nous sommes à Venise. "Oh! maman, Toni me touche" crie-telle. Toni se défend. "Oh! maman, mais qui la touche", en prenant le risque d'une douce
menace. "Attends que je te donne une claque et va te faire voir sous les étoiles".
Toni baisse de ton : "Que tu es cruelle, Caterina, toi que j'aime depuis toujours". La dispute
finit là et finalement on entend des serments de fidélité éternelle. Caterina se laisse toucher et
se laisse bercer comme une enfant par Tonino. Dans le dernier couplet, avec un chœur en fond
sonore, il fond le trajet en gondole. La rime est sauve.
Carbona (Garçonnière)
Garçonnière, c'est le nom qu'une plume chichiteuse donne à un appartement pour célibataire,
où l'on va far carbon, c'est-à-dire faire l'amour. Située dans le centre, et à l'abri des regards,
meublée élégamment avec une fausse cuisine, entre fin 19ème et début 20ème, vues les
différences sociales, elle était réservée seulement aux garçons de bonne famille, aux hommes
mariés désireux d'avoir des aventures extra conjugales ou aux célibataires irréductibles.
L'évolution des mœurs, une certaine disponibilité économique, la volonté d'indépendance
pécheresse, loin de la maison paternelle, encouragèrent dans l'après-guerre les jeunes à se
mettre ensemble s'organisant de telles demeures, située généralement au rez-de-chaussée. Les
lieux étaient dotés de tourne-disques diffusant une musique enveloppante, de peu de mobilier
(essentiellement de confortables lits et divans) et d'affiches qui donnaient de la couleur. C'était
nécessaire à Venise pour qui se livraient à l'activité de batidori (chasseurs) de jeunes filles ou
de dames pour la plupart du temps étrangères. Cependant, ceux qui picoraient dans les
poulaillers des autres entendaient se procurer de tels services se faisant prêter pour quelques
heures les clés par des amis complaisants.
La majeure partie des carbone se trouvait dans la zone de la Salute ou entre le campo San
Luca, San Samuele et l'Accademia . Posséder une telle habitation résolvait les problèmes
logistiques inhérents à la conquête. Aller à travers le calli se cacher sous les porches, comme
le faisaient les scarbonati (ceux qui n'avaient pas de garçonnière), pour lier une relation,
debout avec une étrangère souvent impatiente, était problématique. Une autre possibilité était
d'organiser des excursions en barque, suggestive mais peu commode puisqu'il fallait étendre
ses proies sur le fond de l'embarcation. Telle nécessité était souvent considérée superflue dans
les autres cités, où les couples se servaient du confort des automobiles garées dans des lieux
variés et bien cachés. Si la garçonnière intéressait les coureurs de jupon pour le blitz
(opération j'attaque et je m'enfuis), elle était aussi indispensable quand on devait convaincre
quelques jeunes filles bien rangées pour leur retirer tout sentiment de culpabilité, ou quelque
dame prudente habituée à des conversations romantiques.
Les deux catégories entendaient commettre l'adultère ou pécher loin des yeux curieux, à des
horaires qui convenaient aux superficielles vertus de l'époque.
Jamais après huit heures du soir, heure du couvre feu moral imposé par les conjoints et fiancés
officiels, toujours soupçonneux des changements d'horaire, par les pères sévères qui
craignaient que les heures tardives soient propices aux attentas contre la vertu de leur
féminine descendance, par les maris inquiets qui se souvenaient peut-être de leur passé et par
les frères toujours prompts à jurer sur l'innocence familiale, cherchant d'éviter toutes attaches
qui ne soient pas l'annonce de fleurs d'oranger nuptiales.
Entre la fin des années 60 et le milieu des années 70, nous aussi avions deux garçonnières. La
première, à côté de la fondamenta Zorzi-Bragadin de San Vio, nous la trouvâmes décorée par
le précédent locataire qui avait disparu, convaincu de spiritualisme, avec des crânes, des
candélabres, des prie-dieux, des rideaux noirs et égayée par quelques tableaux représentant
des messes noires. Les filles étrangères étaient déconcertées en écoutant de la musique
d'orgue qui se déclenchait automatiquement quand on allumait les rares candélabres,
cherchant la première excuse venue ( une amie oubliée, une note d'hôtel impayée, un coup de
téléphone urgent à donner) pour partir.
Jusqu'à ce qu'on modifie la décoration funéraire pour la remplacer par de nouveaux abats-jour
et la musique d'orgue par des long-playing (disques vynil), obtenant satisfaction de la part des
invitées.
La seconde était un rez de chaussée de la calle degli Avvocari, près de Sant'Angelo. Nous la
louions à un collègue. Entrée, trois pièces, salle de bains et petite cour tellement humide que
nous la surnommions l'Aquarium. Pour entrer, il fallait franchir trois portes. Et évidemment
toujours trois pour en sortir. Dans le salon, sur un écriteau, on pouvait lire :"Dans cette
maison, on finit vite au lit".
A l'intérieur, il arrivait, lors de petites fêtes plutôt alcoolisées que des filles emportées par
leurs sens et isolées dans une petite chambre demandent de s'approcher de la porte pour
exécuter avec calme des délicieux préliminaires. Ensuite, ayant retiré leurs mini jupes, elles
ôtaient leurs petites culottes avant de s'étendre sur le lit.
Parmi, nos nombreuse conquêtes, nous vient l'envie de raconter cette scène bizarre que nous
vécûmes à l'Aquarium.
Après baisers et caresses dont nous étions prodigue, envers une fille quelconque venue sans
façon nous rejoindre dans la chambre, voilà que lorsque que nous lui exposâmes "l'objet", elle
s'exclama indignée : "Devant une femme !".. Nous la reprîmes immédiatement en main pour
la remettre dans le pantalon, en causant des débordements incontrôlés. emportés par un fou
rire, nous sortîmes de la pièce pour aller raconter l'épisode aux amis, qui tentaient d'inutiles
approches auprès de la chichiteuse.
Après une bonne partie de rigolade , étant donné que la soirée semblait perdu, nous
raccompagnâmes les demoiselles renfrognées à Sant'Angelo. Là, elles nous demandèrent avec
malice le plus court chemin pour Saint Marc. A quoi, indiquant avec les mains deux directions
opposées, notre collègue laissant éclater sa colère : "Ce chemin là, c'est pour vous lécher,
celui là c'est pour vous baiser". Et nous les plantèrent là, à une heure du matin.
Un tel usage d'habitation pour célibataires devint plus rare dans les années 80, le
renouvellement des batidori n'étant plus assuré. Beaucoup se résignèrent au mariage ou
allèrent continuer leurs entreprises épiques sur la terre ferme. Quelques irréductibles
continuèrent à alimenter les dernières lueurs libidineuses. Convaincus de se monter
impeccables, ils offraient des bouquets d'orchidées ( dont le nom dérive de scroto - scrotum,
et le mot orchite désignant aussi une inflammation des testicules)., du champagne tenu au
frais au réfrigérateur. Le connaisseur sait, au contraire, qu'avant d'être ouverte la bouteille doit
être enfilée jusqu'au col dans un seau de glace, couvert d'une immaculée serviette blanche.
Casanova et ses 116 proies.
Durant sa vie, Giacomo Casanova (Venise 1725 – Dux, Bohême 1798) fut abbé, joueur,
diplomate, espion, gestionnaire de loterie, éditeur, financier, nécromancien, bibliothécaire.
Lui qui ambitionnait d'être reconnu comme homme de lettres, a un nom qui aujourd'hui est
synonyme de séducteur. Pourtant, à l'époque du marquis de Sade et de la favorite du roi
Soleil, Mme de Pompadour, le Don Juan de profession était considéré comme un vrai
criminel. Il hésitait à laisser tomber ses conquêtes, pour ne pas les faire souffrir et voulant
conserver avec elles de bons rapports.
Son biographe John Masters (Casanova, 1969) le décrit comme "grand amateur de femmes,
plus que collectionneur de poils pubiens, ou encore homosexuel, dévoué catholique,
philosophe sceptique, astrologue, superstitieux, vaurien de mauvaise vie et snob peureux, en
même temps rebelle envers les institutions et adorateur de ces institutions, aventurier sans
scrupule et excellent écrivain".
Cependant, ses œuvres littéraires parmi lesquelles le roman utopistico-fantastique Isocameron
ou histoire d'Edouard et d'Elizabeth (Prague, 1788), l'auraient laissé dans l'oubli s'il n'avait
pas écrit dans le château du comte de Walstein à Dux, où il travaillait comme bibliothécaire,
l'Histoire de ma vie (l'édition critique basée sur le manuscrit original a été publiée à Paris en
1993), fresque sensible de toute une époque, amère et nostalgique exhibition d'approches
amoureuses, revécues pour exorciser la vieillesse. Il y eut 116 et même quelques plus
conquêtes de cet extraordinaire amant, y compris les rencontres avec les prostituées, artistes
en recherche de protecteur, femmes de chambre voulant arrondir leur fin de mois et quelques
femmes sur le retour en chaleur.
L'initiation amoureuse où il cueillit "quelques feuilles, mais non la fleur" eut lieu à 11 ans,
quand il étudiait à Padoue auprès du jeune abbé docteur Antonio Maria Gozzi. L'enseignant a
une sœur de 13 ans, Bettina et Giacomo semble en attirer l'attention (ou bien seraient-ce
plutôt des rapports gay inavoués entre le disciple et le précepteur, vus que tous deux
dormaient dans le même lit).
L'adolescent éveillé, alors promis à la carrière ecclésiastique, débuta à
San Samuele avecTeresa Imer, 17 ans, dont était aussi amoureux le
vieux noble Alvise Malipiero. La jeune fille devant l'octogénaire
sadique souleva ses jupes tandis que Giacomo assistait à l'exhibition.
Casanova profita d'un chaud après-midi d'été, avec l'alibi d'une lecture
tirée d'une histoire naturelle concernant l'anatomie sexuelle, pour lui
donner leçon, croyant Malipiero endormi sur le fauteuil. Mais le noble
qui finalement n'était pas si gâteux que ça, se leva d'un bond pour
donner des coups de bâton à l'aspirant novice et à la pupille, surpris en
intimes explorations didactiques.
Casanova, Teresa Imer, Malipiero
Il aurait voulu se marier chaque fois qu'il tombait amoureux éperdument. " L'amour solide,
note-t-il dans ses Mémoires, et celui qui peut naître après le plaisir. S'il naît, il est immortel.
L'autre est au contraire destiné à s'évanouir, puisqu'il a seulement pour siège la fantaisie". A
29 ans, il fréquente C.C. (ainsi désignée dans ses Mémoires), la demande en mariage de son
père qui refuse sa main au prétendant car il n'a aucune profession. Mise enceinte, le père
l'envoie dans un couvent à Murano. Casanova va la trouver là et est remarqué par la sœur
M.M., déjà amante du cardinal de Bernis, ambassadeur de France, qui lui donne un rendezvous. L'aventure avec la religieuse conclut la première partie de la vie de Casanova.
Il finit par être arrêté sur l'ordre de l'Inquisition le 26 juillet 1755, et enfermé dans les plombs
sous les toits du palais des Doges pour divers délits et mépris de la religion. Évadé puis
réfugié en France, il écrit Histoire de ma fuite des prisons de la république qu'on appelle les
plombs, l'unique de ses livres destiné à devenir un best-seller.
Pardonné, il revient à Venise à presque 50 ans comme espion improvisé et indulgent au
service des Inquisiteurs d'État pour 15 ducats par mois.
Il retrouve une cité changée où l'économie stagne. Ses parrains étaient morts, l'aristocratie
l'ignorait, ses entreprises tombaient à l'eau le couvrant de dettes et d'embêtements.
Il habite avec la couturière Francesca Bruschini, près de SS. Giovanni e Paolo, avant de
repartir. Il ne reviendra plus.
Dans son éclatante existence, il passa une
période de 40 ans à errer à travers l'Europe
rencontrant des gens de toute classe, de tout
acabit. Il eut l'occasion de développer des
relations suspectes, tragiques, louches.
Parmi ses amantes, il eut l'actrice Silvia
Balletti, qu'il accueillit à Paris en 1750 et
l'intrigue amoureuse avec la fille de celle-ci
Manon qu'il avait sérieusement pensée à
épouser. Très particulière, l'aventure avec
l'attirant irlandaise Marie Louise O'Morphy.
Vierge, parce que Casanova était hésitant
sur le prix estimé pour la dépuceler, la jeune
fille passe à l'alcôve de Louis XV. A
Versailles, en effet le roi en avait vu le
portrait commandé par le séducteur à
François Boucher, la voulant représentée
sur le dos, les bras et la poitrine sur un
coussin, tenant la tête comme si elle était
étendue de dos, jambes et cuisses dessinées
de telle façon qu'on ne puisse qu'en désirer
voir plus
Manon Balletti par Nattier
La plus irrésistible passion fut celle entretenue avec l'énigmatique Henriette, connue alors
qu'elle s'enfuyait de chez quelqu'un de connu, en uniforme d'officier. La jeune fille noble
provençale refusa de se révéler, confiant seulement que son mari et son beau-frère voulaient
l'enfermer dans un couvent. Giacomo et Henriette vécurent pendant trois mois un rêve
romantique à Parme. Ayant reçu une lettre dans laquelle on lui communiquait qu'elle avait été
découverte, Henriette dut retourner à Aix en Provence, sa cité d'origine. Sur la vitre d'une
fenêtre d'un hôtel de Genève, où il l'avait accompagné, utilisant un diamant qu'il lui avait
offert, elle écrivit "Tu oublieras Henriette". Dans une lettre d'adieu, elle le définit comme
l'homme le plus honnête qu'elle n'ait jamais connu.
L'odalisque, Boucher
La Révolution, exaltant les immortels principes qui allaient le dégoûter, était aux portes. Et le
monde de Casanova – l'individualiste aristocratique qu'il était le comprit bien –était fini pour
toujours.
Casso (dialecte vénitien pour cazzo)
L'unique dont la tradition semble vouloir se souvenir, se trouve sur la façade principale du
palais des Camerlenghi au Rialto. L'embarrassant bas-relief attribué à Guglielmo Bergamasco
(1525) fut sculpté sur le côté gauche du portail d'entrée.
Exhibé par un sévère barbu, le membre gros comme celui d'un âne et qui porte un ongle
renvoie à l'histoire connue de la construction toujours renvoyée pour des incertitudes
financières et aux différents projets architectoniques du pont voisin, le pont du Rialto.
Nous allons rappeler la légende encore une fois. Parmi les gens, des bruits moqueurs
couraient, disant que suite à des retards dans l'exécution jamais l'entreprise n'arriverait à
terme. " Cela se produira quand me pousseras un ongle sur le membre et quand ma chatte
prendra feu" dirent un homme et une femme. Pour faire mémoire d'un tel manque de
confiance dans les oeuvres publiques, on représenta sur le côté droit du palais une femme
avec le feu entre les cuisses, le visage gémissant et sur le côté gauche l'homme au membre
viril (la femme ayant l'apparence d'une harpie, démon ailé tiré de la mythologie grecque).
Deux autres bas reliefs d'êtres ailés, peut-être encore des harpies, aux visages féminins, ayant
des seins mais aussi une mastodonte troisième jambe, furent placés en haut, au dessus du
portail secondaire, à côté de la lunette centrale, sur la façade qui date de la Renaissance de la
Scuola San Marco, construite sous la direction de Pietro Lombardo et confiée à l'architecte
Mauro Coducci, entre 1487 et 1495, aujourd'hui Hôpital Civil.
Et alors, que pensez de ces membres ?
Cinéma
Quand les couples cherchaient un refuge pour se mettre à l'abri des regards indiscrets pour
leurs nécessaires effusions, le choix du film semblait superflu. Avant la fin des années 20,
époque à laquelle remonte l'ouverture des premières salles, cela se produisait sur la terre
ferme quand l'usage des automobiles était encore réservé à très peu de gens et quand les bancs
publics ne permettaient durant la journée que de chastes baisers.
Pour les amoureux vénitiens, à part les porches, les ruelles déserte et les barques louées dans
le but d'aller flirter sur la lagune, les cinémas étaient une solution, surtout pendant l'hiver.
Les lieux les plus convoités pour se livrer aux ébats amoureux étaient les loges du théâtre
Malibran à San Grisostomo ou la seconde galerie du cinéma Santa Margherita, appelé El
vecio.
Stratégiques aussi étaient les places latérales du cinéma Massimo sur le campo San Salvador
(là, des jeunes mal préparés furent initiés aux jeux pneumatiques par l'audacieuse signorina
d'Oltralpe) et aussi le cinéma Olimpia sur le campo San Gallo.
Le cinéma Imperiale de la Salizzada San Polo était fréquenté par de jeunes femmes de
chambre et des militaires. On y restait debout, entre le mur sous le projecteur et l'estrade en
ciment où les spectateurs s'installaient.
L'unique risque était l'ouvreuse, brusque femme assurant le service intérieur, à qui l'uniforme
à galons donnait autorité. Munie d'une torche, elle allait à la chasse à ceux qui occupaient leur
siège pendant plus d'une séance. Parfois elle ignorait les amoureux, d'autres fois les trouvant
trop exubérants, elle les expulsait, indifférente aux lamentations.
Off limits, au contraire était le Savona, derrière la Riva degli Schiavoni, parce que c'était de
terrain de chasse des recioni, c'est-à-dire des gay.
Clistere (Lavement)
C'est autour de 1604, quand Shakespeare écrit Othello, que les clyster-pipe furent cités par
Iago observant Cassio, son zélé rival, baisant la main de Desdemone (acte II, Scène II).
Le lavement a une tradition thérapeutique très ancienne. Selon des textes de médecine, il était
connu en Inde, en Amérique auprès de la communauté précolombienne et aussi en Chine, un
peu plus tard. Dans l'antique Egypte, il était considéré comme bonne hygiène intestinale,
tandis que dans certains pays, comme le Sénégal, on l'exécutait sans aucun instrument avec la
technique d'insufflation bucco-anale. Son effet curatif dans les phénomènes de constipation
aiguë reste très en vogue jusqu'à la fin des années 50. Piero Lorenzini nous rappelle, dans la
"Seringue joyeuse" (histoire universelle du lavement, 1969), que l'usage du lavement comme
remède remonte à Louis XIV, le Roi Soleil. Il était en effet un fanatique du lavement, auquel
médecins, chirurgiens et courtisans étaient honorés d'assister. Le souverain s'asseyait sur une
chaise percée, chaise avec un grand dossier et un grand trou au centre du siège rembourré,
sous lequel il y avait une bassine ou un vase de nuit. Au début, le liquide injecté était un
mélange d'eau, de miel et même de bouillon de poulet.
Le médecin hollandais, anatomiste , Regnier de Graaf (1641-1668) dans son ouvrage De
virorum organis Generationi inservientibus, de Clysteribus et de usu Siphonis in
anatomia(1668) annonce : " Il n'y a aucune partie du corps qui ne puisse bénéficier d'un
lavement, bénéfice d'autant plus grand que la partie du corps à laquelle on désire donner
soulagement est voisine du gros intestin". Il propose diverses recettes de lavement, dont la
composition parfois bizarre incluait : orge, roses, betteraves, son, mercure, centaurée, lupins
broyés, sucre, miel de rose. Des variantes comportaient des baies de lauriers, des gueules de
lion, du gras de mouton et de la térébenthine.
Il faudra attendre le 18ème, siècle des Lumières pour que la première seringue joyeuse assume
d'évidentes fonctions érotiques. Par sa forme phallique et agressive, elle apparaît objet de
scènes galantes. Des estampes présentent l'intimité du boudoir où la jeune femme à moitié nue
attend, fesses à l'air, que la femme de chambre pleine de bonne volonté lui injecte le
lavement.
La servante officieuse, Chaponnier
Sur le lit à baldaquin, la patiente a le bras appuyée sur une pile de coussins, la jupe soulevée,
la chemise enroulée sur les flancs, les fesses charnues. Le chevalier servant, qui s'est assuré la
complicité de la femme de chambre, est embusqué derrière la porte. Bien entendu avec
l'autorisation de la patronne de maison.
Les fastes du lavement furent célébrés par les peintres Watteau, Fragonard, Callot et tant
d'autres. Dans certains tableaux, les dames font celles qui sont surprises par un soupirant, un
courtisan près à s'informer sur la santé, mais plus encore à admirer le blanc épiderme tant
convoité.
Sur le filon, s'engagèrent des auteurs, rédigeant des pamphlets, des poèmes satiriques, des
petits romans pornographiques et un Eloge de la seringue, publié dans les Mémoires de
l'Académie de Nancy, œuvre collective de cinq médecins.
L'unique auteur italien célébrant un tel objet fut Domenico Battachi. Usant le pseudonyme de
Padre Anastasio da Verrocchio, il publia en 1798 à Londres le Poème burlesque en douze
chants intitulé Zibalone. Ayant obtenu son doctorat se transforme en savant Docteur Clistero
Dans les siècles suivants, l'instrument fait
preuve d'une évolution stratégique, se
transformant en un récipient contenant le
liquide à injecter relié avec un petit tube muni
d'un robinet.
Ensuite, la petite poire munie d'un timide bec fut surtout utilisée pour les bébés constipés. À
ce point, après la digression sur son histoire, vous vous demandez ce qui peut bien relier un tel
instrument de soulagement à Venise. Le lien remonte à la fin du 16ème siècle, quand agissait
dans la cité, disons-le ainsi, l'émérite physiologiste Santorio Santorio. Né en 1561 à
Capodistria, il exerçait la profession de médecin à la cour du roi Maximilien de Pologne et
rentra à Venise en 1599 après avoir publié des oeuvres scientifiques et inventé des appareils
compliqués, type thermomètre clinique pour mesurer la chaleur des mains ou un dispositif
pour paresseux pour se laver les mains en restant au lit. Il se mit à louer les propriétés
médicamenteuses de l'urine. Dans ce but, il inventa un ustensile particulier, économique, muni
d'une vessie demi ronde à appliquer au pénis en le reliant du côté inférieur par un petit tube à
l'anus. L'urine expulsée étaie envoyée dans les viscères pour exciter les mouvements
intestinaux. Pratiquement un lavement self-service à coût, zéro à base d'une source naturelle.
On ignore si l'appareil d'automédication était unisexe. Les chroniques contemporaines
reportent cependant l'utilisation de la part de courtisane avisée, le mettant en fonction devant
des clients âgés pour en revigorer les goûts et les élans problématiques. La renommée de
Santorio devait être très grande car, mort en 1636 par une infection des voies urinaires, il fut
enseveli dans l'église dei Servi, et les vénitiens reconnaissants dédièrent à son illustre
mémoire une statue installée dans le clos. Cependant elle fut démolie au dix-neuvième siècle.
La mémoire de l'inventeur du lavement direct du producteur au consommateur, comme son
effigie dans le marbre sont perdus pour toujours
Les cornes
Argument scabreux, vu que d'ordinaire elles ornent simplement les têtes d'autrui. C'est donc
préférable de disserter sur d'antiques trahisons et sur quelques épisodes qui remontent aux
chroniques de la dernière guerre.
Les vies des dames galantes de son temps, donné à l'impression en 1666 par les écrivains
historiques français Pierre de Bourdeille , appelé Brantôme (1535-1614) évoque, entre autres,
son premier voyage à Venise en 1557 dans le chapitre intitulé "Sur les dames qui font l'amour
et leurs maris cocus". Il raconte, parmi tant d'exemples, l'épisode d'un chevalier originaire
d'Albanie sur les côtes de laquelle résistaient les derniers points d'appui de la Sérénissime.
Il tue, pour l'honneur, l'amant de sa femme et est offensé par le fait qu'il ne réussit à satisfaire
les exigences de celle-ci, qui réclamait un galant cavalier, ayant un goût sur pour Vénus, et
qui puisse la faire jouir entre dix et douze fois par nuit.
Il voulut donc la punir à sa manière, il engagea une douzaine de jeunes qui avaient la
réputation d'avoir le membre beau et bien proportionné , très braves et très chauds dans
l'exécution. Il les engagea, les payant et les fit entrer dans la chambre de sa femme et les
abandonna là, les priant de faire leur devoir, leur promettant salaire double s'ils s'en sortaient
avec honneur. Ils se mirent tous au travail, les uns après les autres, de telle sorte qu'ils la firent
mourir de plaisir, au grand contentement du mari. Pendant qu'elle mourait, il lui reprocha
d'avoir tant aimé cette liqueur et son contentement de la voir s'enivrer. De la même façon que
Sémiramis parle à Ciron le Grand, lui mettant la tête dans un vase plein de sang dit : "Voici
une terrible mort".
Concentrées dans la seconde moitié de la terrible année 1943, quelques singulières
mésaventures extraconjugales démontrent l'envie non assouvie de vivre même pendant cette
période aussi sombre. Ou, selon des points de vue moralistes, témoignent de la corruption
avancée des mœurs. La réaction, violente dans les deux cas, laisse plutôt transparaître le
machisme de l'époque.
Voulant passer quelques jours en famille, début juillet, un ouvrier Ignazio G, 30 ans, revint à
Venise, habitant à Baia del Re, depuis l'Allemagne où il travaillait dans une fabrique à
Dusseldorf. Il faisait chaud et pour se distraire, le soir du six juillet, il entendait s'accorder une
petite sortie alcoolisée à l'auberge Scalinetto. Y étant entré, qui y rencontre-t-il ? Une
connaissance faite en Allemagne, Giuseppe D., 30 ans, venant de Casermette. Dans un climat
de réciproque sympathique, ils trinquèrent quelques verrs de vin, se remémorèrent quelques
souvenirs, et pour finir tout naturellement parlèrent de femmes. Sournois, Giuseppe confia à
son ami connaître une petite épouse disponible qui était prête à se donner puisque son mari
était à l'étranger pour des raisons de travail. " C'est même un prodige", assura-t-il. Ils
décidèrent donc d'aller la trouver et sortirent joyeux de l'auberge, se dirigeant vers la Baia del
Re, où vivait la dame. Soudain, quelques doutes tourmentèrent Ignazio, car il venait d'entrer
dans la rue où il habitait. Une coïncidence, pensait-il. Les effets du vin dissipaient, il alluma
une cigarette il fut prit de frissons quand il remarqua que son ami, qui était devant, s'était
arrêté juste devant sa porte. Giuseppe frappa de la manière convenue et, de l'intérieur,
répondit une voix agitée qu'Ignazio reconnut immédiatement. Sa femme parlait bas mais il
saisissait les paroles au vol :"Va-t'en, va t'en, mon mari est revenu". Exaspéré, Ignazio
commença à s'énerver, frappa son compagnon, puis entré dans la maison donna une gifle à sa
femme qui criait, le griffait et le mordait, jusqu'à ce que les voisins à court pour les séparer.
Le trio fut accompagné aux urgences pour recevoir les premiers soins et le jour suivant,
Ignazio entreprenait les démarches pour la séparation.
Même scénario, mais les protagonistes changent même si les histoires se ressemblent.
Recherchant des aventures, vers Noël, deux amis, Tiziano B., 27 ans, habitant à SS. Giovanni
e Paolo, et Gustavo R., 29 ans, de San Polo, organisèrent une soirée dite "galante". C'est B.,
expert en la matière, qui était chargé de procurer deux colombines. Le programme prévoyait
d'aller ensemble au cinéma, puis un dîner dans sa garçonnière (plus exactement dans son
appartement de célibataire comme on disait au temps des autrichiens).
À 19 heures, ponctuels dans le campo San Zulian, Tiziano et les deux filles attendaient
Gustavo qui les rejoignit un quart d'heure après (précisons que nous sommes en hiver, que
c'est la guerre, que les lumières étaient rares et de faible luminosité). Il venait de s'excuser
pour le retard quand, sans une parole, une des joyeuses demoiselles piqua un 100 mètres et
disparu dans une ruelle vers la Corte Locatello. Tiziano, têtu et pas du tout disposé à voir
s'envoler la rencontre organisée, réussit à la rejoindre et l'agrippa par le bras. Il voulut
demander des explications pour cette fugue ; son ami tout aussi curieux arrive. Il reconnut la
fille qui n'avait pas encore ouvert la bouche : c'était sa femme, Giuseppina 27 ans.
A ses cris, arriva l'amie pas trop recommandable de la jeune épouse, Pierina S., 26 ans,
habitant San Lio, laquelle, dans l'obscurité de la cour, pris sa ration de coups en même temps
que son infortunée compagne d'aventures légères. Les cris des femmes, et les rumeurs de la
violente bagarre firent accourir les passants mais, dans l'obscurité, ils eurent du mal à séparer
les féroces protagonistes. D'énergiques médiateurs réussirent à calmer les bouillants esprits, et
à la fin de la bagarre, restèrent sur le pavé les deux filles décoiffées, pleines de bleus,
sanguinolentes, les élégants habits en lambeaux. Même Tiziano, devenu rival de Gustavo
évidemment sans le savoir s'était pris un coup dans la figure. Et si l'épouse avait trouvé refuge
auprès de sa mère, il semble que les deux ex-amis finirent cette histoire au tribunal.
À quelques jours de la fin de l'année, deux jeunes couples très uniques décidèrent d'anticiper
le réveillon (nous sommes dans la troisième année de la guerre) en dînant dans l'auberge Alle
Carampane. Giovanni T., Tailleurs de pierre de 28 ans et son épouse Imelda, 27 ans,
résidaient aux Miracoli. Alessandro T., 29ans, avec son épouse du même âge Margherita aux
Carmini. Ayant bien mangé et bien bu, le quatuor sortit vers 21 heures 30 se dirigeant vers
leurs respectives maisons. Tout d'un coup, arrivés à San Canciano, Alessandro se frappa de la
main le front. Juste à ce moment, faute à la fatalité, il avait un rendez-vous avec un client Via
Ettore Muti, aujourd'hui rebaptisée Strada Nova, pour mettre au point des travaux non
spécifiés. " Écoute, fais-moi plaisir, dit-il à l'autre, accompagne ma femme jusqu'aux
Miracoli. Moi pendant ce temps, je fais un bout de chemin avec la tienne, je la laisse à SS.
Apostoli et je file droit à mon rendez-vous". Rien à redire, répondit Giovanni et après un salut
affectueux, les couples se séparèrent.
Une heure plus tard Alessandro rentra à la maison, ouvrit la porte de la chambre à coucher. Il
entendit d'imposants ronflements et découvrit, à côté de Margherita, l'ami infidèle qui dormait
bienheureux. Reveillé en sursaut, le tailleur de pierre marmonna quelque chose, reçut une
gifle et s'échappa. Mais l'histoire ne finit par là. Ayant chassé l'infidèle, Alessandro se rendit
le jour suivant chez un avocat, raconta l'outrage en toute bonne foi et déclara que non
seulement il entendait se séparer mais qu'il voulait même intenter un procès à son ex-ami.
L'avocat approuva quand sur la porte de son studio arriva, inattendue et furieuse, l'épouse de
son rival.. D'une voix tonitruante, Imelda dit :"C'est à cause de mon mari que tu veux faire ce
ramdam ? Oui, c'est ça ? Mais hier soir, quand tu m'as raccompagné à la maison, ne t'es-tu pas
comporté avec moi ni plus ni moins que comme mon Nane avec ta femme ?".
L'homme de loi était stupéfait, la face de bronze d'Alessandro devint violette, et vu que aucun
compte en suspens n'existait entre les deux couples, le rideau tomba là sur l'embarrassante
pochade.
En y réfléchissant bien, à entraver le "libre échange" et à déchaîner la jalousie masculine sans
motif, reste le fait que les deux jeunes coqs se démontrèrent trop pressés dans leurs élans
amoureux. Le premier était arrivé trop tôt à la maison et le second s'était endormi trop vite,
restant sur les lieux du méfait. A propos, comment se nommait l'auberge aux Carampane où
avaient dîné nos deux couples . Il Becco Coronato.
Frederick Rolfe, baron Corvo
Le matin du 5 novembre 1912, devant le portail de Lady Layard, la communauté britannique
de Venise défila ainsi que les consul anglais et américain et la maire Filippo Grimani, pour
conclure les funérailles dans l'église anglicane de San Vio.
Baron Corvo
Lady Layard
On posa le cercueil sur une embarcation pour l'emmener au cimetière de San Michele, en
grand cortège. Mais voici que d'un canal voisin, une gondole déboucha sur laquelle un
obsédé, vêtue d'une pourpre de cardinal et suivit le long du Canal le pèlerinage mortuaire et
attira l'attention en se mettant à insulter la mémoire de la défunte. Embarrassés, les anglais
durent écouter les injures d'un ingrat co-national sur la vie errante, voire équivoque de Lady
Layard, fondatrice d'un hospice sur la Giudecca, où il avait profité de faveurs et de bénéfices.
Il s'appelait Frederick Willam Rolfe, excentrique écrivain aux cheveux rosâtres, le visage
joufflu ressemblant à celui d'une femme, les lèvres méprisantes. Un dandy exhibitionniste,
connu pour ce que le peintre américain James Whister définissait "l'aimable art de se faire des
ennemis". Il était arrivé à Venise en août 1908 avec un ami qui, exaspéré de devoir payer
toutes ses dettes, interrompit son séjour pour retourner en Angleterre. Ce fut une de ses
relations qui lui vouèrent ensuite une haine féroce. Rolfe, ébloui par la lagune, y resta en
vivant d'expédients. Il dilapidait l'argent qu'on lui prêtait, aimait à se pavaner en vêtements
ecclésiastiques, oubliait de régler ses notes dans les hôtels qui l'hébergeaient, en étant parfois
réduit à dormir dans une barque. Il aimait fréquenter les jeunes mercenaires souvent envoyés
pour tenir compagnie à de riches hommes se consacrant au tourisme sexuel.
Né à Londres en 1860 dans une famille anglicane, il s'enfuit de la maison à 15 ans pour aller
étudier à Oxford. Converti au catholicisme et emporté par une irrésistible attraction pour la
mise en scène des cérémonies religieuses, il voulut entrer au séminaire d'Oscott.
Renvoyé pour manque de vocation religieuse, il arriva au collège écossais de Rome sur
recommandation de l'archevêque d'Edinburgh. Sa conduite éveilla les lamentations de ses
confrères et ses supérieurs l'éloignèrent. Une duchesse anglaise l'affubla du titre de Baron
Corvo, nom avec lequel il signa ses premières œuvres. Parmi les plus importantes :
"Chroniques de la maison des Borgia", 1901 et "Hadrien VII", espèce de rêverie
autobiographique, 1904. Le protagoniste dont on brise la carrière ecclésiastique est élu pape et
meurt sous les coups d'un tueur à gages. Rolfe y projette ses fantasmes et sa mégalomanie.
Passionné de courses vénitienne de bateau, il devient membre de la société Royale des
Canotiers Bucintoro. L'un des rares élans de solidarité qu'on lui connaît est organisé les
secours pour les sinistrés du tremblement de terre de Messine, le 28 décembre 1908.
Rolfe risqua le tout pour le tout et partit dans le
froid matin du 5 mars 1910. Il alla dormir sur la
plage du Lido, attrapa une pneumonie et fut
hospitalisée dans l'hôpital de Lady Layard.
Dan son livre sous-titré "Une Romance de la
Venise Moderne", il décrit de manière sarcastique
la colonie britannique de Venise, relève la passion
du protagoniste pour l'ambigu gondolier Zilda
dont il s'est amouraché. Le lien explose seulement
à la fin, quand le couple, lèvres contre lèvres, et
yeux dans les yeux, pendant un long moment
s'embrasse. Le livre est publié en 1934 tandis que
les "Lettres vénitiennes" où il raconte à un ami des
aventures piquantes et peut-être imaginaires gay
avec vantardise est publié en 1987. Pendant l'hiver
1911, malade, il soutire encore de l'argent pour le
projet d'un nouveau livre chez un éditeur anglais.
Transporté de l'hôtel Cavaletto dans le Palais Marcello sur le Grand Canal, il meurt soudain
le 25 octobre 1913. Le consul anglais accourt sur place et voyant les bibelots, les lettres
compromettantes, les photographies à caractère sexuel, réussit malgré la présence de la police
à jeter dans le canal la plupart des objets, pour, selon lui, sauvegarder la respectabilité du
défunt. Scrupules inutiles. La figure de l'écrivain maudit, l'égocentrique qui exagérait les
ennuis pour augmenter les remords d'autrui et qui jamais n'accepta de compromis a acquis au
cours de décennies un prestige de pus en plus grand. A San Michele, sa tombe est toujours
lieu de pèlerinage.
Cuisine
A éviter, évocatrice d'angoissantes suggestions, la Castradina. Plat traditionnel revenu à la
mode pour la fête de la Madonna della Salute le 21 novembre. La base est de la viande de
mouton castré, autrefois provenant de la Dalmatie, coupée en morceaux, fumée et cuite à l'eau
avec des carottes, des pommes de terre, du céleri, des oignons et des choux. Il faut oublier
aussi le Cavroman, côtelette d'agneau castré ou de chèvre cuit à la poêle avec du sel, de la
pancetta, des oignons et du romarin, pour les repas d'anniversaire, disons débilitants. Un autre
avertissement : celui de ne jamais servir pour des dîners intimes le très ancien riz en
Cavroman, composé de viande castrée coupée en menus morceaux, à laquelle on ajoute à micuisson du riz, des épices, des carottes, des oignons, du céleri, du romarin, du beurre et des
épices.
Les plats aphrodisiaques de la gastronomie vénitienne, garanties contre d'éventuelles
défaillances sont tout autres. Et chaque fois à base de poisson. Malheureusement, les horsd'œuvre nécessitent souvent un ingrédient quelque peu répulsif dans la conquête amoureuse :
l'ail. Les schile, crevettes grises, à peine cuites et décortiquées, assaisonnées avec de l'huile et
à hachis taille et de persil sont installés sur un lit de polenta. Ce plat, acceptable se mange
mon couple d'amoureux où l'on partage l'âpre saveur du mets.
On peut aussi déguster les crevettes grises entières, frites, posées sur une polenta jaune. Les
écrevisses, dont Casanova fut gourmand depuis son enfance, sont cuites à l'eau, assaisonnées
avec de l'ail, du persil et du sel.
Les cape longhe (mollusques de forme allongée) sont sautées à la poêle, mélangées à de
l'huile, du persil et du poivre.
La variété très appréciée Solen Vagina, ainsi appelée pour sa forme suggestive un goût plutôt
doux et doit être cuite de la même manière.
La grançeola -les meilleures sont celle du début de l'année- cuite à l'eau, ouverte,
décortiquée, doit être recouverte d'huile, de jus de citron, de sel, de poivre ou de quelques
gouttes de sauce Worcester, en faisant très attention au corail (les oeufs fertilisés mais pas
encore arrivés à maturation). Ces gouttes doivent être versées sur la coquille, à température
ambiante, avant de présenter le plat.
Autres hors d'œuvre très amusants à manger : les canestreli, mollusques ressemblant au
couteau, mais plus petits, à manger crus, aspergés de citron et poivre ; les canocie, cigales de
mer bouillies, aspergées de persil et assaisonnées avec huile, ail et citron ; les moleche, crabes
mous à la carapace tendre parce qu'encore jeunes doivent être vivants laissés marinés dans un
jaune d'œuf puis enfarinés et cuit à l'huile – accompagnés d'une polenta chaude et de chicorée
verte, ils ont délicieux.
Nous déconseillons, parmi les crustacés, les masanete (crabes femelles) qui bouillies, sans
pattes, décortiquées sont couvertes d'un mélange d'ail, de vinaigre, de sel, de persil…et de
nombreux morceaux d'ail hachés.
Exceptionnelles les folpetti a scotadeo, petites poulpes à manger très chauds, soit frites, soit
bouillies assaisonnées d'huile, de céleri, de sel, de poivre et de jus de citron.
Chaque trace de plante herbacée est exclue pour la bottarga, considérée par les amateurs
vénitiens, comme une espèce de caviar. Œufs de thon à la couleur rose claire ou sombre, et
dans une autre version, œufs de mulet à la couleur ambrée, laissés séchés puis écrasés. La
bottarga, coupée en tranches fines, assaisonnée à l'huile, au jus de citron et au poivre est
accompagnée de polenta.
Pour les premiers plats, démontons la légende du pouvoir aphrodisiaque de la seiche dérivé
du fait que, observée durant l'accouplement, elle étend sensuellement ses tentacules sur son
partenaire.
Meilleur est le Riso e go (jabot des oiseaux ?), d'abord frit, puis après avoir enlevé les os,
passé au tamis, et cuit à la poêle avec huile et sel, sur lequel on versera le riz, qui durant la
cuisson sera arrosé de bouillon chaud, et à la fin de vin rouge et de feuilles de persil.
Parmi les seconds plats, on ne peut pas faire abstraction du bisato (anguille) simplement cuit
sur le grill ou le bisato su l'ara, recette de Murano. Taillée en tranches mises sur un plat de
cuivre allant au four, recouvertes de feuilles de laurier, avec huile et citron, on la fait cuire à la
même température que le verre de Murano.
Une mention spéciale pour les bovoleti, grosses limaces de prés, vu les effets excitants qu'elle
produisent, qui une fois lavées, mises à l'eau froide en attendant que sortent les cornes, sont
mises à bouillir toujours avec le même assaisonnement : huile, ail, sel, poivre. On les laisse
ensuite reposer au moins une demi-journée avant de les servir.
Très raffiné le sfoglio adriatico, c'est-à-dire la sole à peau claire, grillée, frite ou à la vapeur.
Le filet de sole à la Casanova, spécialité du Harry's Bar est accompagnée d'une sauce Mornay
(deux jaunes f'œuf, une cuillérée de crème fraîche, un demi litre de béchamel, de la noix de
muscade, du beurre et du raisin muscat) avec des champignons.
Nouveauté incontournable pour les dîners d'amour : les calamars de l'amour. La panse du
mollusque de taille moyenne est remplie d'un mélange de ses propres tentacules, de petits
morceaux de thon, avec de l'ail, des câpres, de l'ail, du persil, su sel, du poivre et une cuillère
d'huile. Disposés sur un plat à four, ils sont ensuite saupoudrés de chapelure. La cuisson est
d'environ une demi-heure.
Durant le carnaval, il faut offrir la fritola ou le bussolà buranello, coup de fouet énergique,
composé de farine, de sucre, de beurre , de jaunes d'œuf, de vanille et d'écorce d'orange
grattée avec un ajout de citron et de vin blanc.
On peut ajouter dans le trou central du vin de Malvoisie, cet exquis vin.
Le nom même est tout un programme le tiramisù, gâteau à base de café et de cacao, dont les
origines remontent, semble-t-il, à Venise, mélange de mascarpone, de biscuits de Savoie,
d'œufs et de chocolat.
La légende sur le tiramisù se perd jusqu'à la fin du 16ème siècle, à la cour des Médicis.
Au contraire, il fut réalisé dans les années 1950 par un pâtissier de Trévise, dont la boutique
était voisine d'une maison close et il servait ce gâteau au nom évocateur "tirez moi au ciel".
Une révolution dans les goûts arriva à la fin du 17ème siècle à Venise : celle des glaces et des
sorbets siciliens, le café d'origine arabe, le thé provenant de Chine et le chocolat en
provenance du Nouveau Monde. Les trois boissons posèrent d'angoissants problèmes sur leurs
propriétés curatives à l'égard de la syphilis.
"Le bon usage du café, du thé et du chocolat", petit livre anonyme imprimé à Paris en 1687,
recommandait l'usage de ces nouvelles denrées à "ceux qui avaient le malheur de se trouver
touchés par la plus universelle des maladies galantes".
Et les vins ? Nous conseillons sans hésiter le prosecco brut, le pinot grigio ou le sauvignon
pour accompagner ces plats.
Délit gay
Crime de la Ca' Dario en juillet 1970 exclus (le propriétaire du palais frappé à la tête, peutêtre par son ami, à l'aide d'un vase), l'unique affaire qui vit impliqué un couple homosexuel
remonte aux débuts des années 50. Il était alors très embarrassant pour l'opinion publique,
pour des raisons de moralité et le procès se tint à huit clos, alimentant ainsi des rumeurs
morbides et peut-être sans fondement. Selon les on-dit, le sombre délit dans un appartement
de la calle Morosini della Regina, dans le zone de San Zulian, était survenu durant un rapport
oral.
La nuit du 20 septembre 1953, alarmés par des cris qui demandaient de l'aide, les voisins
alertèrent la police. Après avoir défoncé la porte, les agents trouvèrent sur le lit le cadavre de
Luciano M;, chef de bureau aux Assurances Générales (les bureaux étaient place Saint Marc),
la gorge blessée et de nombreuses plaies à l'abdomen.
Assis sur le divan dans le salon et taché de sang, son tailleur semblait l'attendre, du même âge
que le mort, Pasquale C., originaire de Frosinone, mais habitant Cannaregio. Petit, trapu, les
cheveux gris, il avait le regard vif et malin. L'autopsie établit que l'homicide avait été réalisé
avec une arme tranchante et que la mort était advenue par embolie pulmonaire, consécutive à
la rupture complète de la veine jugulaire droite, de l'œsophage et de la tranchée. Le couteau,
certainement tenu avec fermeté avait atteint jusqu'aux vertèbres cervicales. Les chroniques
pudibondes de l'époque attribuèrent le crime au climat trouble qui régnait entre les deux
hommes, allusion naturellement à leur liaison. Aux demandes des enquêteurs C. répondit : "Il
m'a assailli avec un couteau et je me suis défendu". Mais la théorie de la légitime défense
semblait fort improbable, vu que la lutte entre les deux hommes avaient duré au moins cinq
minutes, comme en attestaient les nombreux coups de couteau retrouvés sur la victime. La
vox populi rapportait des détails horribles : le pénis de la victime présentaient de nombreuses
morsures sauvages.
Mais quel était le mobile ? L'accusé, au procès qui se tint à la mi-juin à la cour d'assises du
Rialto, fut décrit par les témoins comme de caractère violent, susceptible à l'excès. La cause
de l'homicide pouvait donc être la réaction excessive, disproportionnée à quelque offense. Et
selon les ragots, l'accusation peut-être par plaisanterie de la victime de faible virilité aurait
déchaîné la furie criminelle.
Le ministère public demanda la perpétuité pour C. accusé de crime aggravé, mais la défense
jouant sur les circonstances atténuantes réussit à faire condamner le tailleur à seulement 19
ans pour homicide simple.
Le coup de théâtre survint pendant le procès en appel quand on découvrit que c'était un cas de
récidive et Pasquale C. fut alors condamné à 20 ans.
Ponte della Donna Onesta
An de grâce 1490. La paroisse San Tomà dans le quartier de San Polo était délimitée à l'angle
de San Pantalon par le pont de la dame Honnête et côté campo San Polo par le pont de
l'Amour des Amis (ponte all'Amor degli Amici).
Zuane avait ici sa boutique de chapelier, au rio dei Nomboli, attachée au pont où se trouvait la
Ca' Rizzo, aujourd'hui Ca' Centanni et où allait naître trois siècles après Carlo Goldoni.
Au pont de la Dame Honnête, qui ne s'appelait pas encore ainsi à l'époque, vivait avec sa
famille et y tenait boutique et atelier un certain Battista, fabricant d'épées, époux de la
fascinante dame du peuple, originaire de Murano, Santina.
Toujours occupé à travailler dans sa boutique, Zuane avait remarqué quelque chose d'étrange.
Après le passage de Battista vers San Polo pour ses affaires, sortait de son palais le noble
Marchetto Rizzo en direction de l'autre pont. Ayant relaté les faits à son ami, le candide
Battista refusa d'avoir des doutes, prétendant que Rizzo lui avait commandé un poignard très
particulier et qu'il se rendait dans sa boutique pour voir l'avancement des travaux. Il ne
trouvait en rien suspect l'entrée du client chez lui pour voir où en était le travail en son
absence.
Ce fouineur de Zuane voulut cependant en savoir plus sur ces allers et venues. Ayant vu passé
Rizzo, il ferma sa boutique et se mit à le suivre jusqu'à la maison de Battista. Il était pour
revenir quand il entendit des cris de demande à l'aide. Il monta en courant les escaliers et
surpris Santina qui luttait pour se soustraire aux entreprises de Rizzo.
Furieux devant la scène de violence faite à Santina et vu que le poignard était à portée de
main sur la table, il le saisit et frappa Rizzo, le blessant grièvement.
Celui-ci réussit cependant à s'enfuir et à accuser Zuane, qui fut condamné le 15 octobre 1490
à une peine, somme toute assez légère : six mois d'interdiction du territoire.
Une belle satisfaction fut de retourner dans son quartier et de découvrir, qu'en son honneur,
les habitants avait donné au pont le nom de pont de la Dame Honnête. Le deuxième pont fut
baptisé pont de l'Amour des Amis.
Le pont fut détruit au 19ème siècle lors de la construction du rio terà dei Nobili.
La zone s'appelait auparavant le zingane, parce que s'y installaient provisoirement les
tsiganes.
Une autre version, au contraire, raconte que dans les lieux où habitaient le fabricant d'épées et
son épouse, une jeune prostituée provocante recevait ses clients. Ses prix étant bas, bien
qu'elle possède les qualités pour demander plus, elle avait été surnommée par ses admirateurs
"Dame Honnête".
Ecclésiastiques scandaleux
Il secolo Nuovo (journal) toujours prêt à mettre sur le gril les religieux (les socialistes étaient
alors considérés ennemis de Dieu et du pape) étalait à sa une du 19 août 1905 : les actes
indécents d'un frère.
Un ouvrier, père de deux filles de douze et huit ans, va à la rédaction du journal pour raconter
comment un frère jésuite avait su attirer, en les flattant avec des médailles de saints, de
madones et de couronnes, diverses enfants dans les mailles de ses libidineux actes.
Sans malice, elles s'étaient laissées éblouir par des reliques religieuses qui représentaient, aux
yeux de ces jeunes filles, des objets convoités, de plus en plus assidues à l'église, aux messes
et au service du catéchisme dans la paroisse .
La rédaction envoya deux collaborateurs à la maison de l'homme, Ferdinando R. Pour
approfondir l'affaire. L'un d'eux, anonymement comme c'était d'usage dans la presse de
l'époque, exploita la savoureuse occasion pour monter en épingle le cas sans se préoccuper de
troubler la sensibilité des petites. Il interrogea (nom et prénom des mineurs ne jouissaient pas
alors de la privacy) Virginia et Giovanna R., qui étaient en compagnie de leur ami
Giuseppina M.
Les événements traumatiques sont rapportés avec l'usage de paroles trop précises pour être de
la bouche même des enfants et ne comporte ni spontanéité, ni immédiateté. Le récit pour
obtenir la saveur voulue utilise des expressions dialectales. "Nous étions toujours sur le camp
des jésuites pour jouer. Un jour, on s'aperçut qu'un frère était en train de nous regarder. Nous,
en s'approchant, lui réclamâmes une médaille. Lui profita de l'occasion pour promettre des
montagnes de médailles et nous fit une petite caresse sur la porte du couvent".
Centrant son article sur la corruption des mœurs dans les couvents, le journaliste insiste. La
fillette devient rouge et, embarrassée, courut auprès de sa mère. Le journaliste ne se
décourage pas et s'adresse à Giuseppina l'invitant à poursuivre. " Celui-ci nous caresse et nous
dit : allez vous asseoir là sur les marches, devant cette fenêtre. Moi, pendant ce temps je vais
chercher les cadeaux. Nous allons nous asseoir, mais le frère revenant sur la porte nous
appelle et nous réprimande : relevez bien les jupettes et écartez un peu plus les jambes que je
puisse bien voir".
Au début du siècle, les fillettes, sous les jupes qui arrivaient jusqu'aux chevilles n'endossaient,
paraît-il, pas de lingerie intime. " Nous étions confuses. Nous sentions que c'était mal d'obéir
au frère. Ma mère, du reste, me l'a l'ensuite confirmé".
" Et alors ?".
" Le père nous voyant indécises redouble de bonté et de promesses. Non seulement des
médailles, mais il nous aurait aussi offert des images sacrées. Obéissant au frère, nous allons
nous asseoir. Il retourne encore sur la porte et nous exhorte de nouveau à écarter les jambes et
à lever les yeux vers le ciel. Nous obéissons et…".
"Et puis ?"
" Pendant que nous étions assises dans la pose indiquée nous l'apercevions à travers la grille
située devant les marches sur lesquelles nous nous trouvions. Il regardait étrangement
insistant pour que nous, nous regardions vers le ciel. Puis, après nous avoir bien regardé, il
disparut pendant quelques minutes avant de réapparaître".
Je m'exclamai en me retournant vers mon compagnon : " J'ai compris, le bon frère commença
par fixer les parties intimes des fillettes, puis, poussé par ce qu'il avait vu et par sa convoitise
catholique, il alla conté fleurette au bienheureux Onan".
"Et combien de temps dura cette vilaine histoire ?" demanda l'inquisiteur laïc obstiné
fouineur.
"Une heure et demie, monsieur"
"Fichtre".
"Et que vous dit le bon père, avant de vous congédier ?.
" Il nous offrit des saints, des médailles et nous en promis encore pour le lendemain".
" Donc il vous invitait à revenir ?".
" Oui, mais pas en plein jour, de préférence le matin".
" Et vous avez promis de revenir ?".
" Il paraissait si bon ! Et il nous promettait tant de beaux saints !".
" Et alors, pourquoi n'y êtes-vous pas retournées ?".
" Parce que rester seules, et plus sous son influence, ça nous paraissait une vilaine chose à ne
pas raconter notre mère, susurra timidement, la tête basse, la fillette. D'autant plus, ajouta-telle, que pour accroître nos pressentiments, le frère nous avait dit de ne parler à personne de
ce qui était arrivé".
" Sais-tu comment s'appelait ce frère ?".
"Cesare P. (dans l'interview donnée, le nom apparaît écrit en entier)".
Souhaitant d'autres dépositions, les deux journalistes se rendirent à la maison d'une amie des
précédentes, une certaine M.
Là, ils furent mal reçus par la famille qui leur dit que, pour ne pas se fâcher avec le curé, il ne
collaborait pas avec les socialistes.
L'intégrité du rédacteur, pour clore l'enquête, lui faire dire ses spéculations idéologiques avec
une grande violence anticléricale : "Nous sommes trop habitués aux gestes pédérastes des
frères pour nous en étonner…Ce monsieur Cesare P. est un autre symbole des mauvaises
habitudes de la canaille ecclésiastique qui se niche dans les couvents, centre de luxure et de
perversion sexuelle. Couvents, où comme la pieuvre qui tend ses tentacules, on pervertit, si
l'on peut, garçons et fillettes".
Le démenti qui suivit sur le quotidien catholique La Difesa du 19 août 1905 apparaît, en
vérité, trop formel et concis. Peut-être, les limites étaient-elles étudiées pour éviter d'offrir
ultérieurement des angles d'attaque aux fabricants de scandale.
"Dans le Secolo Nuovo de ce matin, on trouve une grave accusation à l'égard d'une personne
de la communauté des jésuites de S. Maria Assunta. Nous n'hésitons pas à déclarer que dans
cette très sombre accusation, il n'y a pas l'ombre d'une vérité et que tout cela n'est qu'une pure
calomnie. Nous verrons cependant s'il convient de citer devant le tribunal le Secolo Nuovo.
Venise 19 août 1905 – La communauté des Jésuites".
" Démenti ridicule" répliqua ironiquement le Secolo Nuovo du 30 août.
" Vous semble-t-il vraiment sérieux ce démenti de la communauté des jésuites ? Nous relatons
un fait, nous laissons entrevoir la possession de documents, les frères accusés (plus que de
s'en prendre à la communauté, c'était le comportement d'un seul à être condamnable) se disent
laconiquement calomniés. C'est sérieux ?".
De toute façon, l'épisode raconté qu'il soit vrai ou inspiré par la rancœur, semble laisser
entrevoir que le père jésuite était plus dévoué à San Culotte qu'à San Ignazio.
Fin juillet 1907, en matière de corruption des mœurs, on semble revenu au temps de la
libertine Sérénissime. Intrigues amoureuses, intrigues dans les couvents du 18ème siècle ont
peu à leur envier, insinuent les comptes-rendus des journalistes qui relatent ce qui arrive dans
deux monastères.
Une consultation électorale administrative met en évidence des relations charnelles dans les
couvents, relate le tenace Secolo Nuovo. Le 27 juillet, il sort un reportage intitulé
"Religieuses, moines…et fruit défendu", reportage abrasif, indigné.
Le journaliste écrit que, malgré des voix insistantes, les preuves et les références concernant
l'effrénée activité copulative sont absentes. Il cite l'ordre religieux auquel appartenaient ces
frères jouissifs, mais le nom des lieux de péché contre le vœu de chasteté n'apparaît pas.
Il semble donc que dans les couvents masculins, paissent un certains nombre de frères qui ne
se privaient de rien : chapons, poissons, fruits excellents, salades exquises , vins vieux, bière
et fromages piquants. Tout en somme qui puisse servir à rendre moins triste cette vallée de
larmes. mais on sait que bonne nourriture entraîne bon sang et que le sang luxurieux bout
dans les veines, surtout quand on a fait vœu de chasteté. A quelques pas du couvent, il y avait
et il y a toujours un pieu monastère qui accueillait une douzaine de jeunes filles vivant dans le
culte du Seigneur, très chrétiennement. Là aussi, la bonne cuisine et l'oisiveté réveillaient chez
les belles et jeunes pénitentes des ardeurs qu'elles ne pouvaient dominer. Le gardien du
couvent franciscain mais aussi prêtre et confesseur fréquentait le monastère en tant que père
spirituel. Il était lié par un lien amoureux à la supérieure. Quelque temps après, le ventre de
celle-ci enfla : une tumeur maligne disait la malheureuse à celles qui en souriaient. Mais le
non prêtre ne se contenta pas de la supérieure.
Il lorgnait sur une petite brunette vive et gaie, du nom de sœur Maria qui avait des yeux
ardents d'odalisque à faire envie à Mahomet. Les autres sœurs s'aperçurent de la
chose…pratiques religieuse courantes et empoisonnées par l'horrible morsure de la jalousie.
Le chroniqueur comprend l'état d'âme des épouses du Christ, troublées par leur sens : "elles
étaient jeunes et le maudit Satan fermentait dans leurs veines. Ardeurs étranges, désirs ardents
les travaillaient intensément à voir deux d'entre elles qui étaient satisfaites". Comment donner
tort à tant de jeunesse perdue ? La mère supérieure, avec la menace de voir révéler sa relation
demanda conseil au père gardien, déjà préoccupé par l'attitude de ses frères qui avaient flairé
ce qui se passait. C'est ainsi que les relations, les pratiques ne se limitèrent pas au gardien et à
l'abbesse mais devirent pratiques générales.
On croirait lire un de ses romans galants sur les amours interdites de l'église qui circulait sous
le manteau pour la plus grande joie des maniaques et collectionneurs avisés. " Le zèle était
vraiment excessif, les pratiques trop fréquentes, les abandons trop… mystiques et trop peu
prudents. De tels gonflements (sic!) enflèrent les ventres de pieuses dames. L'étrange tumeur
de l'abbesse s'était communiquée à trois autres sœurs.
Le mal était contagieux. Les nombreuses enflures utérines firent si bien que le scandale se
répandit à l'extérieur des murs du couvent".
Averties, les hautes autorités de l'ordre qui étaient arrivées à Venise, toujours d'après le Secolo
Nuovo, ouvrirent une enquête. Résultat ? Les fornicateurs furent expédier pour expier leurs
péchés dans d'autres pieux lieux.
Les chroniqueurs disent, que selon un informateur, des neufs religieuses, sept se trouvaient
enceintes ! On parle aussi d'amour contre nature (cerise sur l'érotique gâteau !), dans lequel
serait impliqué un certain père Francesco, originaire de la lagune. Parmi les rumeurs que nous
avons saisies et approfondies, il est aussi question d'avortements.
Le reportage sur les prétendues débauches sexuelles exaspèrent la Curie, scandalisèrent les
autorités religieuses et bien pensantes, firent gonfler les bavardages anti-cléricaux, et
divertirent le peuple avide d'indiscrétion au sujet des ecclésiastiques. En première ligne,, pour
dénoncer l'instrumentalisation, le quotidien catholique La Difesa, titre le 27 juillet "Les
turpitudes du Secolo Nuovo. Frères et sœurs qui n'existent pas. Infamie contre deux vieilles".
Les attaques contre le journal adversaire sont dures. "Cet obscène morceau de papier qui
prétend être l'expression de la voix des socialistes, mais qui n'est que l'expression des maisons
closes de la ville, a inventé à son profit une sordide histoire, traînant dans la boue de pieuses
et respectables personnes, pure diffamation".
La présence de nombreux pères dans le couvent féminin n'avait rien d'extraordinairet ainsi le
transfert de cinq d'entre eux qui fit courir des bruits. Murmures, bruits de couloir n'auraient
pas vu le jour si quelques journalistes ne s'étaient pas affairés autour. Ils interrogeaient les
personnes soupçonnant que des raisons morales devaient être la cause de ce transfert.
C'est ainsi que furent fondées les plus viles calomnies et lancées la veille de la journée
électorale, les présentant sous forme d'une histoire laidement pornographique. On espérait
qu'elles ne puissent être réfutées de manière exhaustive. "Nous dirons cependant à ces
vauriens qu'aucun père Francesco n'existe dans le couvent de San Francesco della Vigna et
qu'aucune Sœur Maria n'existe dans le couvent des Tertiaires Franciscaines. Ces deux
personnes qu'on trouve dans cette putride narration sont faux".
C'est facile pour la Difesa de démontrer que la dénonciation de rapports obscènes entre
responsable du couvent et leurs "conséquences visibles" est irrecevable. Le 3 août, le journal
écrit : " Les dénonciateurs ont reconnu ne pas pouvoir révéler le nom des personnes qu'il met
en cause, noms que tous les paroissiens connaissent parfaitement". La Difesa ajoute que
"jusqu'au 2 avril 1097, l'abbesse fut Mère Liugla di Gesù et qu'elle mourut à l'age de 71 ans.
Au nom de Dieu, nous combattons avec bien d'autres armes ; avec nous, nous avons le droit ;
nous pouvons tenir a tête haute et cracher aux visages de ces calomniateurs, inventeurs de ces
horribles mensonges".
Le jour suivant, ils lancèrent une collecte pour les sœurs, afin qu'elle puissent faire face aux
dépenses du procès pénal contre ceux qui les avaient vilement insultées.
Pendant ce temps, une vague d'anti-cléricalisme envahit la cité, semant l'intolérance : offenses
religieuses à travers la rue, blasphèmes écrits sur les murs, chansons obscènes et allusives qui
mettent en cause certains prélats.
La réponse du Secolo Nuovo, la semaine suivante, n'hésite pas à donner des coups bas :
"Donc, la Difesa, après s'être acharnée pendant plus d'une semaine sur l'affaire, est maintenant
toute penaude et tente de recueillir quelques fonds pour soutenir les sœurs lors du procès
contre "ceux qui les ont lâchement attaqués". Et il continue imperturbable : "le journal des
latrines patriarcales, feuilles des chandelles éteintes ose affirmer qu'il n'y a jamais eu de père
Francesco, ni de sœur Maria".
Le Secolo Nuovo relance la polémique : " Qui portera plainte contre nous, si les personnes
citées n'existent pas ?, C'est un détracteur qui écrit ? Où est la vérité ? Nous devons porter les
coups à qui les méritent".
Il mit aussi en évidence comment l'organe catholique reconnaissait le transfert dans divers
lieux de certains frères de Dan Francesco della Vigna pour de "légères" infractions à la règle.
Sans préciser plus. Dans un erratum, le quotidien corrige le nom du frère Francesco qui serait
en réalité Filippo.
La collecte est close le 6 octobre avec une somme récoltée de 87210 lires.
Séraphique ou (impudique ?) l'article du journal socialiste du 22 février 1908 cherche à faire
marche arrière et à l'importunité de commenter :"Il s'agissait d'articles dans lesquels il y a une
part de vérité, mais il faut avouer qu'on y avait ajouter une part de fantaisie entre raisons
électorales et gauloiseries, fantaisie qu'il serait ridicule de porter devant un tribunal. Il suffit
de dire qu'on avait rapporter la grossesse de la mère supérieure et que les religieuses nous
rappelèrent qu'elle avait 90 ans (la vérité est qu'elle en avait 61) et que maintenant elle était
morte. Ensuite, certains faits peuvent être vrais, démontrant la stupidité du célibat,
l'impuissance de la foi et des vêtements ecclésiastiques à réfréner en nous les désirs de la
chair. Au fond, frères et sœurs avaient besoin d'amour et faute de mieux, étaient obligés de
s'aimer entre eux. Nous n'avons qu'à battre des mains et crier : Vive l'amour !".
Mais le procès pour calomnie eut lieu et le journal à sensation en paya les conséquences
pénales. Le jour même, la Difesa annonça : " Querelle des pères de San Francesco. Le Secolo
Nuovo condamné pour diffamation".
Après avoir rappelé comment notre journal ravalait toutes ses mensonges et ses insultes, il
rappelait qu'en plus des religieux calomniés, le neveu de la mère supérieure avait lui aussi
porté plainte. Absent des débats, tout représentant du journal, harangua l'avocat de la partie
civile, G. P. Pagnuzzi. "Je ne relirai pas les articles infamants que le Président, par devoir, a
du lire. Je précise seulement que rarement ont été publiés des écrits si grossiers, repoussants,
sordides comme on en trouve ici. Il y avait l'intention de diffamer. Et ce n'est pas dans un but
électoral. On ne peut dans un tel but exhiber deux cas comme cela et les monter en épingle. Il
y avait l'intention non seulement de dénigrer, mais l'intention d'éliminer des personnes contre
lesquelles on lançait de telles flèches. On ne voulait pas raconter sans diffamer. On voulait
raconter pour diffamer. Le fait matériel de la diffamation existe bien".
Le ministère public s'associa à la demande et pour la gravité des faits demanda deux ans de
réclusion et 2000 lires d'amende. Le tribunal donna satisfaction reconnaissant pleinement
couple le gérant du journal, Abele Giuseppe.
En rien démonté par sa condamnation, le journal insista dans sa campagne anti-cléricale
sexuelle. L'article "La belle entreprise d'un abbé porc" du 8 août accuse Don Marco Z.,
résidant à Colle (province d'Udine) et invité de la paroisse de San Silvestro d'avoir molesté
Emilia B., 25 ans, tenancière d'un bar sur la Riva del Vino.
Seul avec elle dans le local, il lui demanda si elle voulait bien aller avec lui pour faire l'amour
et comment aussi belle, elle pouvait ne pas avoir d'amant. La peur de la jeune fille fut grande.
Le prêtre porc après avoir prononcé d'autres obscénités, fit un bond vers elle et lui demanda
haletant un baiser qu'elle repoussa énergiquement. La bête était en lui et le poussait. S'étant
assis dans un coin du local, il demanda à la demoiselle s'il y avait des chambres ou d'autres
lieux intérieurs. La jeune fille regarda alors par la fenêtre si quelqu'un passait qui puisse
avertir son oncle, propriétaire du café voisin, le Rossarol. N'ayant aucun secours, elle du subir
ce que ce porc avait à lui faire. Ensuite, il paya et sortit en hâte
La Difesa du 10 août 1908 intervint : "C'est la honte de Venise que de laisser imprimer un
journal qui portent des calomnies contre les prêtres, les frères, les religieuses. Ne vous
rappelez-vous pas de l'affaire des pères de an Francesco della Vigna , pour laquelle ce journal
fut condamné, obligé de ravaler ce qu'il appelait des fantaisies électorales. La leçon ne lui a
pas suffi et il continue dans ses entreprises, avec un cynisme que ne possède que ceux qui sont
dignes de la galère".
Atteints dans son honneur le prêtre de San Silvestro déclara que le confrère qu'il avait hébergé
était un pieu prêtre qui disait la messe et souhaitait retourner auprès de ses fidèles.
confronté à sa présumée victime, la jeune fille dit le reconnaître au seul son de sa voix.
Le quotidien l'Adriatico du 13 août reconstruit dans ses détails l'épisode. Deux jours avant, un
de ses rédacteurs avait recueillit le témoignage de la jeune fille en présence de son oncle.
Titre : "Les aventures d'un prêtre. Confrontation décisive. Don Z; reconnu !" La même
personne que l'autre soir, personne en laquelle on peut avoir toute confiance, affirme avoir
reconnu le prêtre avec certitude, mais ne pas avoir eu le courage de le dénoncer pour ne pas
ruiner sa carrière. Un jour de la semaine dernière, vers 11 heures du matin, arriva dans sa
boutique un prêtre inconnu de la jeune fille, mais qu'elle avait vu passer plusieurs fois et
s'arrêter. Le prêtre rouge et essoufflé, s'assit à une table et commanda une bière. Il lui
demanda si elle était fiancée. elle lui répondit négativement et qu'elle ne se marierait pas à un
vénitien parce que la ville ne lui plaisait pas. Le prêtre commanda une seconde bière, puis un
fernet et alluma une cigarette virginia. Avec un mouchoir, il continuait à éponger sa sueur.
Tout d'un coup, il se leva, fit deux pas en avant et s'approcha de la demoiselle faisant mine de
l'enlacer, mais il fut vigoureusement repoussé.
"N'avez-vous pas honte, dit la B., d'un tel comportement ?". Le prêtre ne répondit pas,
retourna s'asseoir et continua à essuyer sa sueur. Quelque fois, il passait son mouchoir sur le
devant de sa soutane un peu déboutonnée. Entre-temps, l'oncle de la jeune fille était arrivé. Ils
sortirent tous les deux, le prêtre demanda l'addition, paya 85 centimes et sortit lui aussi en
hâte.
Un serveur du café Rossarol et sa fiancée, durant la seconde confrontation, affirment avoir vu
Don Z. "passer de nombreuse fois devant la boutique et s'entretenir devant la vitrine".
Etant bouleversée par l'assaut libidineux, Emilia ne confirma pas et resta sur une version
négative.
Après deux ans de procès, le mot "fin" est posé par la cour de cassation de Rome. Lors de
l'audience du 3 novembre 1908, elle déclare inadmissible le recours qu'avait pose le gérant du
Secolo Nuovo contre la sentence de la cour d'Appel le 3 juin. Reste cependant définitivement
la grave condamnation infligée par le tribunal et confirmée par la cour d'appel pour les
indignes diffamations commises par le journal, à simple but électoral contre les révérends
Pères Mineurs du couvent de San Francesco della Vigna et les Sœurs tertiaires franciscaines
qui résidaient dans la même paroisse.
En ce qui concerne les attaques contre la gestionnaire du bar, celle-ci confirma sa marche
arrière et les témoins à charge furent retenu comme non fiables. Le cas disparut de la
chronique.
Fritola
Autre nom donné à l'organe génital féminin.
La fritella (beignet), composée de farine mélangée à du sucre semoule, des grains de raisin ou
des pignons de pin, de la levure, du beurre, de l'huile ou du saindoux, du lait, des oeufs et
d'autres ingrédients est le classique dessert du carnaval.
Le "rapport" qui existe entre les deux est probablement dû à sa forme rappelant celle du vagin
et au fait que l'innocente fritola montre à sa superficie des excroissances allongées avec un
trou central évocateur.
Dans l'après-guerre, dans la calle de la Mandola, le bar de la Fritola, en plus des boissons
classiques, proposait à sa clientèle des tartes et des gâteaux de sa propre production. Pour
Noël, il mettait en vitrine un ciambellone (gâteau en forme de couronne) géant, présage de
prospérité après la fin du rationnement et du marché noir. Les pâtisseries qui jouissaient du
plus grand crédit étaient les panettone, les amandes douces, les fruits confits, les nougats et
naturellement la très vénitienne fritola. Dieu merci, jamais passée de mode.
Fritola
Ciambellone
Leone Frollo, dessinateur
Connu pour son sens de la sensualité douce et évocatrice, ces bandes dessinées ont obtenu un
grand succès de la critique et du public à partir des premières années 60.
Né à Venise en 1931, après être diplômé d'architecture en 1948, son succès arrive en publiant
sur le journal scolaire Il Resveglio, l'histoire "Sur les Grands Lacs" (type western). Son
indiscutable capacité stylistique est utilisée sur le marché des éditeurs anglais, entre les années
50 et 60, pour réaliser des épisodes belliqueux et des Love Story. Il collaborera ensuite au
Corriere dei Piccoli et autres périodiques nationaux. Une autre de ses passions est le cinéma
et à petits pas, il s'y introduit comme metteur en scène, réalisateur et monteur. Il participe au
festival de Montecatini en 1963 avec ses films et obtient le trophée en 1964 et en 1970,
présentant des documentaires et des court-métrages réalisés avec son collègue Stelio Fenzo.
Malheureusement, ils ont disparu de la circulation ; voici cependant leur titre : Une fille pour
le dimanche, La dépense, Sans gris, Maintenant oui, Luciana à la Biennale et Angela.
A partir de 1971, et c'est là le mérite de l'éditeur Renzo Barbieri, il se consacre à l'érotisme
national populaire. Son premier titre est Terror, puis viennent les aventures soft (seuls alors
les seins nus étaient permis !) de Lucifera, diablesses à la chevelure noire, aux physique
troublant, tournée vers notre monde, qui sur ordre de Satan (qui la considère la plus dissolue
de l'enfer) tente de redonner la jeunesse à Faust.
L'année suivante, sur un scénario de Rubino Ventura, rouleau inaugure le filon des fables pour
adultes. Il présente la sexy et ingénue Biancaneve, entouré de sa marraine luxurieuse et des
sept nains vicieux. Sa beauté est caractérisée par ses tresses, ses yeux bleus de poupées et sa
bouche. Mais ce sont surtout sa grosse poitrine et sa chute de rein impériale qui restent dans
l'imaginaire collectif.
Ces histoires amusantes, dans une atmosphère idyllique démystifiée, auront un gros succès
pendant de nombreuses années. Après Lucifera, la consécration arrive avec un autre livre de
poche, en 1975, intitulé A la duchesse Naga Romanoff. La russe sophistiquée, à la poitrine
abondante, affronte ses partenaires de face, exhibe ses fesses bien rondes, se montre directe
dans ces approches. Fille du tsar Nicolas II, elle a la l'honneur être dépucelée par le moine
Raspoutine. Naga sait comment faire tourner le monde : le sexe. Elle s'est aussi mener les
politiques, les mercenaires et les hommes les plus bizarres.
Quand elle rencontre le condescendant Adolf Hitler qui entend lui démontrer
l'incommensurable chance qu'elle a de partager un lit avec lui, elle lui répond avec effronterie
: " tu ne peux pas apprendre à une Romanoff comment traiter un caporal". Et ainsi même le
petit moustachu en prend pour son grade.
En 1977, il présente l'horrible histoire de Dracula enfant, réédité ensuite sous le titre de Baby
Dracula, et en 1979-80, une série consacrée à Fan, héros fantaisiste et à la débordante
vampire Yra, l'action se déroulant au Moyen Âge.
Après l'unique épisode d'histoire de pirates qui a comme héros Lord Tigre, il collabore dans la
seconde moitié des années 80 à Skorpio e Lanciostory, et commence Casino en 1985 (qui sera
repris sur le marché français plus tard ). Sur un scénario de Ventura, il reconstruit l'ambiance
et l'atmosphère de la période historique de la Belle Époque, mieux que quiconque. Dans la
maison de tolérance Maison-Blanche, gérée par Mme Con, défilent des clients maniaques ou
inhibés et de plantureuses pensionnaires prêtes à satisfaire toutes les turpitudes, inégalables
par leur originalité.
Il collabore aux revues Glamour international, Diva, Playboy, Playmen et il invente en 1998
Mona Street, publié aux éditions Glamour et Lancio. Une américaine de 20 ans, féministe des
années 20, au physique provoquant, feignant de se laisser dorloter, joue à la victime quand il
s'agit en réalité d'une sympathique mangeuse d'hommes, chaque fois impunie. Un écervelée
aux inégalables charges malicieuses, entourée de garçons empotés, yankee ou d'un noble
vénitien appartenant à une secte de moralistes encapuchonnés décidés à punir les dames à la
cuisse légère durant des rendez-vous au cours desquels il sortira le fouet. Ça sera le dernier
personnage créé par Frollo, parce que le maître du Rialto (zone dans laquelle il est né et où il
a toujours vécu) abandonne la bandes dessinées.
Il se tourne ensuite vers l'aquarelle pour représenter la beauté féminine dévoilée, jamais
vulgaire, mais toujours impudique. Une exposition permanente de ses portraits féminins, avec
une petite touche hard en plus, lui est concédée durant l'éphémère vie du musée d'art érotique
à Venise.
" Le dessinateur qui aimait les femmes" (pardonnez l'auto citation) : c'est ainsi que j'ai voulu
définir l'artiste dans le volume "L'art érotique de Leone Frollo", 1990. Cela m'a semblé
pertinent pour celui qui a représenté le charme éternel de la femme avec goût et finesse
indiscutables.
Gnaca
Déguisement de femmes, utilisé pendant le Carnaval au 18ème siècle par les jeunes efféminés
désirant adopter des comportements inconvenants avec des voix de fausset.
En effet, à l'époque, aver voce de gnaca (avoir une voir de gnaca) signifiait avoir un ton
affecté dans un registre aigu. De tels déguisements étaient souvent utilisés dans les lieux
publics et lors des fêtes dans les palais.
Il désigna ensuite l'homosexuel passif.
Godemiché
Succédané du pénis. L'origine remonte à la Grèce antique, quand à Mileto au 5ème siècle avant
J.C., l'olisbos (signifiant pénis artificiel) était utilisé pour le dépucelage, puisque les hommes
refusaient d'accomplir ce devoir. En Chine et au Japon, les femmes l'appelaient dildo, du mot
italien diletto (divertissement). L'instrument pour des pratiques auto-érotiques, construit en
différentes tailles et différentes matières, reste à tout moment disponible, évitant aussi à
l'usager les effets collatéraux, comme les infections ou les grossesses non désirées. Dans
chaque partie du monde, il est fait en bois, en ivoire, en corne, en marbre, en céramique...
Dans l'île de Murano, exécuté artisanalement en verre soufflé. Pietro Aretino y fait référence
dans ses Ragionamenti, publiés à Venise, indiquant comme lieu d'édition Paris, 1534. Durant
la première journée, racontant le repas dans le réfectoire d'un couvent, arrivent sur la table, à
l'hilarité générale les "fruits du Paradis Terrestre". Parmi ces fruits de verre, qui se fabriquent
à Murano, ressemblants à des membres virils, à part le fait qu'ils ont deux clochettes, qui
résonnent comme deux cymbales. La dimension du membre appelé cotale, massif ou creux à
l'intérieur était variable selon le désir des clients ou clientes. Avant de l'utiliser, on
recommandait de le remplir d'eau tiède ou de lait.
Le livre de commande d'une verrerie dans les années 60 du siècle dernier reste étonnant. Un
nombre important de pénis en verre soufflé aux différentes nuances, couleurs, mesures
servaient comme poignées de portes dans la villa d'un homosexuel californien.
Fabriqué en plastic, avec des piles ou en silicone, le vibromasseur est défini comme
authentique aide de camp de l'homme. Il était commercialisé dans les catalogues suédois
libres en matière sexuelle, dans différents modèles. Du classique article pour la masturbation
féminine ou homosexuelle, il est aussi très utilisé par les couples comme jeu préliminaire ou
dans les pauses. L'instrument, au prix de 50000 lires est absolument indispensable pour les
amours saphiques, vu que la ceinture à laquelle il peut s'attacher permet à la femme de se
transformer en véritable mâle et de posséder son amante. Le sexe pour tous les goûts et pour
toutes les bourses !
Goldon
L'auteur Carlo Goldoni (1707-1793) est étranger à ce nom, dérivé au contraire du mot anglais
condom, qui indique un préservatif.
Fabriqués avec des intestins de moutons et commercialiser au 18ème siècle par des vendeurs
ambulants qui en fixaient le prix selon la qualité, utilisés surtout pour des raisons
prophylactiques, pour éviter les maladies vénériennes, plus que comme moyen de
contraception, ils étaient appelés gondoni ou condoni. Ils étaient recyclés plusieurs fois après
lavage.
Casanova les appelait les redingotes anglaises, tandis que le marquis de Sade qui peut-être
utilisa pour la première fois ici le produit de "peau blanche comme des gants avec des lacets
roses" en fit l'éloge les définissant comme "petit sac de peau de Venise".
Le terme goldon est utilisé actuellement comme injure
Imbarcare, Imbarcarsi
Avoir un rendez-vous ou réussir à attraper une proie féminine dans la rue. Le terme désigne
aussi bien le produit indigène qu'étranger. C'est pour la cité lagunaire une claire variante de
"faire monter dans sa barque"
Imperia, courtisane
Nom d'une escort séduisante autant dominatrice que funeste. Et tu voudrais la comparer à
Veronica Franco , aimable jeune fille disponible ! La chef de file des hétaïres de la
Renaissance, née à Rome en 1481 s'appelait en réalité Lucrezia. elle devint célèbre sous le
pontificat de Jules II et de son successeur Léon X. Elle eut l'honneur d'être glorifiée dans des
poèmes du Cardinal Jocopo Sadoleto, son client, parmi d'autres dans la curie. Bien qu'elle se
soit empoisonnée après une désillusion amoureuse en 1512, elle fut enterrée en grande pompe
dans l'église romaine de San Gregorio.
Inspiré de son histoire, le personnage d'Imperia troubla
mes lecteurs de romans populaires du 18ème, par
l'effronterie de son comportement. C'est une femme de
plaisir impétueuse, vraie figure principale des romans
publiés en 1909 par le corse Michel Zévaco (18601918) : Le pont des Soupirs, suivi des Amants de
Venise. Certainement plus que les protagonistes
lourdauds, l'athlétique Roland Candiano, fils de Doge
et la candide fiancée Léonore Dandolo. Les
machinations en provenance du palais des Doges, les
remords, les vengeances, les jalousies, les chantages,
les conflits se déchaînaient au gré des volontés
insatiables d'Imperia.
l'actrice Manuela Arcuri dans le rôle
d'Imperia (téélfilm)
Les deux romans-fleuve exaltaient le conflit (à base d'épée, de destins croisés) entre le Bien
qui voulait la liberté pour les citoyens et le Mal représenté par les oligarchies conservatrices,
nageant en plein dans le faux mythe tordu d'une sanguinaire Sérénissime grouillante de
minables complots. Un mélange d'invraisemblances historiques et sociales où Venise vivait
terrorisée par le Conseil des Dix. le fantomatique Doge Candiano était poltron, les nobles
s'accrochaient à leurs privilèges, le peuple souffrait espérant une révolte. Zévaco, écrivain
prolifique mais aussi journaliste politique combatif adhérent de l'extrême gauche française
connaissait très bien les rouages conventionnels, taillés à la hache, du feuilleton. Notant la
stupide chasteté des bons, il exaltait les comportements déviés des mauvais, à travers ses
romans. Il se plaisait à célébrer les élans d'effronterie d'Imperia et des autres personnages
troubles affiliés au pouvoir. Il se réservait aussi comme c'était l'habitude, de lancer quelques
attaques contre le clergé. Le pont des soupirs, qui eut plusieurs traductions en italien et
quelques versions cinématographiques jusque dans les années 60, commence un soir de la mijuin 1509, quand on fête les fiançailles officielles entre les deux tourtereaux Roland et
Léonore. La courtisane, elle aussi d'origine romaine, maintenue dans le luxe par son amant
attitré Jean Devila, membre du Conseil des Dix, a perdu la tête pour Roland et est jalouse de
le voir se fiancer à Léonore, originaire d'une prestigieuse famille de doges. Altieri, capitaine
est lui aussi épris de Léonore et la rancœur le pousse a décidé de tuer son rival, dans le but
d'avoir une vie libre avec la bien-aimée. Au contraire, il écoute les conseils de l'évêque
Bembo qui le retient de réaliser l'infâme projet lui indiquant le pont des soupirs " espèce de
sarcophage jeté sur l'abîme, reliant le palais de la tyrannique au palais de la souffrance" et les
prisons (construites environ un siècle après l'époque où est situé le roman) où devra finir
Roland. Surpris, Altieri demande à l'évêque comment il pense envoyer aux plombs le fils du
doge. " Ce sera Imperia, la maudite courtisane, qui vous le livrera –Elle le hait donc ?
murmure Altieri. -Elle l'aime ! La courtisane impériale souffre ce soir comme une damnée,
tout comme vous ! La courtisane impériale aime Roland comme le patricien aime Léonore,
jusqu'à l'adoration, jusqu'à la folie, jusqu'à la mort ! Et cet amour, violent comme le vôtre,
implacable comme le vôtre, veille dans l'ombre. C'est cet amour qui ouvre la porte à la
vengeance que …".
Un faux guet-apens étant tendu à Imperia, Roland qui passait dans les parages sauva la
courtisane aux yeux d'un "noir de velours qui brillait dans l'ombre avec un éclair de douceur
incomparable". Sa voix ? "Chaque vibration était une chaude caresse". En remerciement, et
intentionnellement, comptant bien profiter de la situation elle l'invita dans sa gondole privée à
se rendre dans son palais. Assis sous la toile de soie dorée, le couple resta muet.
Le bel indifférent pensait à Léonore tandis que la divine Imperia sentait retentir en son sein
les tumultes d'une passion déchaînée. Elle avait hâte de conquérir Roland – que Zévaco met
au sens métaphorique les mains en avant – qui la connaissait seulement de réputation. Entrés
dans la luxueuse demeure, l'ardeur des sens redouble, de manière involontairement comique si
l'on observe avec l'œil d'aujourd'hui et Imperia fait une mise en scène incroyable devant le
timide Roland. "Elle se plaça devant lui, haletante, poussée par un de ces élans passionnels
comme peuvent en avoir les femmes, ceux qui bouleversent l'âme dans ces moments là. Avec
une voix changée, rauque de sanglots, brisée par la passion, elle révéla les tragiques
convulsions de sa pensée : - Ne comprenez-vous pas que je vous aime ? Ne comprenez-vous
pas que je vous offre la tendresse brûlante de mon cœur et les caresses de mon corps ? Vous
ne voyez rien ? Ne vous êtes vous pas aperçu que, depuis trois mois, je vous suis pas à pas
comme si vous étiez mon ombre ?".
Le jeune homme était décidé à s'en aller quand Imperia l'assaillit à nouveau de questions :
"Voulez-vous savoir pourquoi j'ai quitté Rome, trois palais, mes poètes, mes artistes et tous
ceux qui m'adoraient ? Voulez-vous savoir pourquoi j'ai suivi à Venise Jean Devila ? Pour
vous avoir entrevu l'année dernière quand vous êtes venu comme ambassadeur du pape !
Savez-vous pourquoi j'ai fait construire ce palais sur le Grand Canal ? Parce que chaque jour,
je pouvais vous voir passer en gondole ! Savez-vous pourquoi j'ai dépensé, sans compter des
millions pour décorer cette demeure ? Parce que j'espérais en faire le temple de notre amour !
Oh Roland ! Oh Roland ! Quel horrible mépris je lis dans vos yeux… Oh faites-moi mourir je ne vous méprise pas, je vous réponds avec la même douceur, je vous plains". L'homme
convoité par Imperia ne pouvait se montrer plus glacial. Elle tressaillit et décida de le tutoyer.
Le drame de la sensualité refoulée qui surgit d'un désir ardent amour pur en fait une dame que
le métier et les compromis n'ont avili. Mais cela, Roland ne le comprend pas . "Tu me plains !
Je préférerais encore ton mépris ; mais non tu me plains ! Pourquoi aucun malheur n'est plus
grand que le mien ? Parce que jamais un amour ne fut aussi absolu que mon amour ! Tu me
plains ! Parce que d'épouvantables tourments me rongent, parce que les tentacules de la
jalousie m'enveloppent et me dévorent quand je pense à celle que tu aimes, à cette
Léonore…". En entendant le nom "sacré" de sa fiancée, Roland s'en alla brusquement.
L'insatisfaite fut alors assaillie par un irréfrénable orgasme. "Hurlante, touchée au cœur, ivre
de passion et de fureur, tragique et sublime d'impudeur, Imperia arracha les voiles qui
couvraient sa splendide nudité, et sanglotant, s'enroula sous une peau de lion, en se mordant
les poings pour ne pas crier". Jean Devila est silencieux témoin d'un tel défoulement. Embêté
de dépenser le patrimoine familial et avoir pensé à l'épouser, il décide de la tuer séance
tenante. "Donc ma mère, la mère de ma mère et tous mes aïeux auraient construit une fortune
d'économies à grand peine, pour qu'un jour vous puissiez élever un temple à vos amants de
passage !". Entendant parler d'un temple, l'ingrate ouvre une porte secrète et le fait entrer dans
sa chapelle privée masturbatoire. Devila regarde autour de lui, stupéfait de voir tant de
splendeurs, payées par lui évidemment. "Petite, mystérieuse, les murs recouverts de
tapisseries en soie brodée d'or. Il n'y avait presque aucun mobilier dans ce lieu, mais une
profusion de candélabres en or, avec des candélabres qui jetaient une lumière éblouissante. Au
fond, de trois énormes brûle-parfums, s’échappaient d’enivrantes senteurs. Et au-dessus de
ces cassolettes supportées par des trépieds d’argent, dans une sorte de gloire, encadré d’or,
apparaissait le portrait de Roland Candiano, œuvre géniale d'un des grands peintres que
l'Italie offrait alors au monde stupéfait. A moitié nue, palpitante, en extase, Imperia s'était
mise à genoux et tendait le portrait ses magnifiques bras d'albâtre". Elle était emportée devant
cet autel païen de la masturbation. Devila s'élança, la lame levée : "Meurs, meurs en sachant
que je donnerai ton cadavre en proie au bourreau de Venise (il sous entendait que celui-ci se
serait satisfait avec son corps), avant de le jeter en pâture aux poissons du canal Orfano".
Fanfaron, mais peu habile à manier l'épée, la courtisane en bloque le bars, le mordit et la lame
tomba et s'enfonça dans sa poitrine. Un carrefour de voyeurs, le palais d'Imperia !.L'évêque
Bembo, qui a espionné sans intervenir, de connivence avec Altieri la pousse, en la menaçant
de pendaison, à dénoncer Roland comme étant l'assassin, en utilisant les Bocche di Leone.
Convoquée devant le Conseil des Dix, tandis qu'au dehors du palis des Doges, la foule s'agite,
Imperia écoute la défense que fait Léonore de son fiancé arrêté, ,mais témoigne que le
coupable de l'assassinat de Devila est son amant Roland, rongé par la jalousie. Etant donné
qu'un malheur ne vient jamais seul, on arrête aussi le doge Pietro Candiano pour trahison.
Traîné sur le pont des Soupirs par les gardes du grand inquisiteur, Roland devra assister,
enfermé dans une niche, à la punition infligé à son père : un masque métallique muni de deux
aiguilles lui est appliqué sur le visage pour lui crever les yeux.
Pourquoi Bembo, être faible, obscur, sans influence, sinon avec les seules ressources de
l'intrigue, avait-il organisé le complot ? Simplement par jalousie sexuelle à l'égard de Roland.
J'ai souffert, moi, souffert comme un diable, souffert comme un de ces damnés qui, écrasés de
douleur, voient le bonheur des anges du fond de leu enfer. "Je suis horrible, je suis abject et
vous êtes belle...et ça, vous le paierez". Trois ans passèrent pendant lesquels Roland vécut
relégué trente pieds sous terre. Léonore fut contrainte par son père, lui aussi menacé de
prison, à épouser Altieri. Avec la clause que le mariage reste blanc. L'amoureux masochiste
accepte cependant de l'avoir à ses côtés avec toujours un peu d'espoir. Roland ne se résigne
pas à son triste destin ! En compagnie du costaud Scalabrino, ex-garde du corps d'Imperia,
après six ans, il s'enfuit à corps perdu par le Pont des Soupirs pendant un orage violent.
Comme Edmond Dantès, Comte de Montecristo, il organise sa vengeance. La première de la
liste est Imperia, que Roland entend atteindre à travers sa fille Bianca, adorable gamine. Mais
l'ayant vu dans le palais de la courtisane, il change d'avis. "Je vois la fille, et il se trouve que
c’est un ange digne de la miséricorde et de l’admiration des hommes ! Je viens pour la
frapper, et je m’en vais avec la résolution de la sauver. Pourquoi, puisque j’avais résolu de me
venger, n’ai-je pas commencé par arracher de ma poitrine ce cœur trop faible ! ". Sous de faux
vêtement, au service de Pietro Aretino, il feindra de soutenir les ardeurs amoureuses perverses
de Bembo devenu cardinal. Depuis qu'Imperia habitait le palais avec sa fille Bianca, l'évêque
était tombé amoureux de la jeune fille et décidé à la posséder par n'importe quel moyen.
Il fait chanter la mère avec l'histoire de l'homicide de Devila, la mettant devant une terrible
alternative "Ou ta fille dans mon lit, ou ta tête au bourreau". Pour la sauver Roland porte
l'adolescente chez Scalabrino. Surprise : le bandit se révèle être son père. Pendant ce temps,
Dandolo, après le mariage de sa fille avec Altieri a été promu Grand Inquisiteur et Léonore
ayant appris que son ancien amour se trouve libre mais sous un faux nom à Venise, en tombe
malade, remplie d'un sens de culpabilité pour avoir épousé Altieri (malgré la clause de
mariage blanc).
Dans le second volume, les Amants de Venise, Roland part en croisade contre les
persécuteurs. Indocile, Bianca devrait officialiser sa liaison avec Sandrigo, lieutenant ambigu
de la république mais aussi objet sexuel d'Imperia. L'hétaïre encore amoureuse de Roland
mais consolée par Sandrigo, présente sa fille dans le monde, célébrant avec faste son pouvoir
non occulte. "Une courtisane comme Imperia est un Etat dans l'Etat. Elle fait partie de
l'organisme social. Loin d'être soumise aux caprices de l'amant qui la paie, elle est au
contraire le centre d'attraction. Elle n'était pas un satellite qui brillerait moins que l'astre qui la
protège. C'était un astre qui brillait de sa propre lumière et qui décrivait dans le ciel sa propre
orbite. Elle menait un existence fastueuse et son palais dans la cité était au même rang que
celui d'un Dandolo. Ses amants passaient comme des ombres. C'était le Doge de Venise,
l'évêque, le Grand Inquisiteur, la Courtisane, le Capitaine général. Elle exerçait une fonction,
une sorte de sacerdoce. Imperia, d'une beauté sublime, rayonnante par son intelligence et les
dons de son esprit aurait sans doute joué un rôle important si sa nature violente ne l'avait pas
entièrement soumise à ses passions qui lui rongeaient le cœur et la chair. A cause de cela, elle
fut inférieur à elle même et à sa position. Mère d'une adorable fille, qui par un destin contraire
était toute pudeur, grâce et modestie.
Imperia aurait pu tirer profit de cette antithèse même : l'horrible jalousie née de sa démesurée
passion fut, pour elle, un obstacle qui fit dévier le magnifique char lancé sur une route toute
droite. Durant un colloque fermé, la courtisane fit admettre à Bianca de haïr son fiancé et
d'aimer Roland Candiano. La jeune fille s'échappa du palais maternel à peine la fête des
fiançailles commencée tandis que Imperia se mettait en colère parce que Sandrigo aimait
Bianca et Bianca aimait Roland. Croyant, ce n'était pas vrai, que cet amour était réciproque,
elle entendit se venger du refus de sa fille. Toujours durant la même réception, elle avala et
recracha du poison. " Elle se leva, livide, le visage tâché de bile, et la magnifique beauté de
cette femme parut s'évanouir dans une sorte de décomposition spectrale – Tu l'aimes !
balbutia-t-elle avec une voix brisée et essoufflée – Tu l'aimes ! Bravo ! Divertissons nous !…
Prépare-toi à souffrir de la plus terrible des tortures, la même torture que celle que tu m'as
infligée ! Ah ! Tu m'as méprisée, dédaignée, ridiculisée. Ah ! Tu m'as condamnée au rare
supplice de conquérir avec un seul regard n'importe quel homme à l'exclusion d'un seul, celui
que j'aime ! Ah ! Tu n'as eu ni pitié ni miséricorde dans ton cœur pour la misérable qui se
roulait à tes pieds… Et maintenant tu viens me dire que toi aussi tu aimes ! Et tu n'aimes plus
Léonore, n'est-ce pas ? Cest Bianca ? Et bien, que tu saches avant tout une chose : Bianca
t'adore ! Oui, la fille t'adore comme sa mère t'a adoré". Si le beau Roland avait répété aimer
Léonore et n'éprouver envers Bianca de l'affection paternelle la frustration de la "galante"
déchaînée aurait cessé. Au contraire, Roland s'agita , hésita, voulut la gifler mais se retint.
Blafarde impériale semble l'exciter: " Tu t'indignes parce que j'ose parler de ta nouvelle idole,
comme tu t'indignais quand je parlais de Léonore… Ma bouche de courtisane profane la
purifie de tes amours, n'est ce pas, mon cher honnête homme? ". Puis, elle assène le coup bas
final en inventant que sa fille a été remise aux volontés de Bembo. " La Bianca que tu aimes
en aimes un autre. Tu le connais, il s'agit de l'un de ses meilleurs amis, c'est trop cher ami
Bembo auquel tu l'as disputée autrefois. Maintenant que tu le sais, que tu souffres comme un
damné, je te raconte la suite. Tu sais où est Bianca ? Sais-tu où est la chaste de fille de la
courtisane ? Entre les bras de Bembo dans lesquels je l'ai jetée. Vas la chercher si y tu
réussis". A entendre affirmer de telles bassesses, Roland dégaina le poignard, voulut la
frapper mais renonça. Il espère au contraire retrouver la jeune fille tombée dans les griffes de
l'homme d'église. Sol, Imperia se réjouit imaginant Bianca violée. De pervers frissons la
secouent. Entrée dans le salon de la fête, elle remarque Sandrigo. Leurs regards chargés
d'excitation se rencontrent et la courtisane comprend que cet homme était le reflet de l'intense
et sauvage volupté qui s'émanait d'elle même. Ils se regardèrent longuement, sans détacher les
yeux, en extase, et ce regard fut pour eux une extase plus âpre et plus douce qu'un violent
baiser à lèvres unis. Chacun devint pale. Et comme ils virent qu'ils étaient observés, ils
s'éloignèrent l'un de l'autre, avec la peur étrange, fantastique de ne pas pouvoir résister plus
longtemps et de se lancer dans leur frénésie devant tout le monde au milieu de la lumière et de
la musique". Bouleversé par l'agitation après qu'elle ait cherché le rachat à travers un
sentiment immaculé, elle aurait voulu transmettre sa frénésie aux personnes présentes. " La
folie érotique envahit la pensée troublée Imperia dans des secousses successives. Elle rêva,
oui, elle rêva vraiment d'une étreinte furieuse devant tout le monde. Elle songea que sa
passion pouvait se transmettre aux hommes et aux femmes qui la regardaient et que cette nuit,
unique dans les fastes de la grande courtisane, verrait dans le même salon des couples ardents
arracher et jeter leurs voiles et leurs vêtements, apparaître dans leur furieuse nudité, faire
l'amour sur chaque tapis, donner en spectacle leur propre passion". L'orgie, du style Sodome
et Gomorrhe se produisit seulement dans son esprit agité, les invités se donnèrent congé et le
couple partit en gondole. Imperia ne put satisfaire la luxure qui l'agitait, faute de quelques
gardes de Scalabrino. Elle poignarda Sandrigo et renversa la gondole tandis qu'elle criait de
désespoir. Bianca avait fui à travers la nuit et rencontrait l'ogre Bembo. Usant de flatteries, il
tenta de séduire la jeune fille mais elle défendit sa virginité dégainant son stylet. Le prélat
ayant porté remède aux quelques coupures sur sa main hardie, renonça momentanément et la
remmena Venise dans le palais où habitait Aretino. La faisant chanter, lui disant qu'e sa mère
serait remise au bourreau, en la dénonçant comme l'assassin de Devila, il lui imposa : " tu
m'aimes, et tu m'aimeras. Choisis… dans mes bras tout de suite ou ta mère sera remise au
bourreau dans une heure. Bianca lança un cri déchirant et se tapit dans le coin le plus sombre
de la chambre. Bembo resta où il était. Elle se faisait toute petite. – Brave fille ! – murmura
Bembo qui livra sa mère au bourreau. Un nouveau cri plus faible, plus désespéré, s'échappa
des lèvres de Bianca. Bembo comprit qu'il tenait sa victoire. Il fit deux pas en avant – Ma
mère ! - cria Bianca levant sur Bembo des yeux rayonnants d'une étrange sérénité, ma mère
nous mourrons toutes les deux parce que cette nuit la mort est notre dernier refuge. Au même
instant elle leva le bras et se frappa violemment le sein. Le sang coulait à flots. Elle tomba
d'abord sur les genoux puis à la renverse". Le cardinal tentant de la secourir en recueillait les
paroles " adieu, ma mère, adieu, Roland". Il se leva bouleversé tandis qu'un sourire léger
s'échappait des lèvres de la défunte. " La fille de la courtisane, la vierge pure, morte
immaculée dans sa pudeur, semblait dormir dans une pose gracieuse". Tellement gracieuse
que, à l'halluciné Bembo, le cadavre de la malheureuse jeune fille excita les instincts
nécrophiles." Doucement, il tendit la main saisit son corps un peu rigide. Une seconde après,
le cardinal s'était allongé à côté du cadavre. Il se serrait contre elle. La vierge morte aurait
subi l'outrage du baiser, auquel elle avait échappé de son vivant (euphémisme de Zévaco pour
un rapport post mortem). Palpitant, délirant, secoué par des frissons, Bembo approcha ses
lèvres de la bouche immobile au sourire d'outre-tombe. À ce moment, retentit un bruit confus
dans le palais. Bembo l'entendit. Tout d'un coup, il revint à la réalité, se leva sur ses jambes la
tête entre les mains.
Roland arrivé avec ses amis, appelle Bianca et ses coups à la porte font fuir le cardinal. Tandis
que les gonds de la porte sautent, Bembo saute par la fenêtre d'une hauteur de 20 pieds en
retombant sur ses pieds. Ils courent vers la gondole qui l'attend et disparaît. Arrêtée avec
Bembo dans un palais de Rome, par Roland et Scalabrino, Imperia se voit placer devant les
yeux un flacon :" Voici le poison qui vous fera souffrir. Vous avez tué Devila, madame, et
cela ne me regarde pas, mais vous avez tué aussi votre fille et cela fait de vous un monstre
vivant". Impérial crie, appelle à l'aide, mais Roland la traîne devant la table où est posé le
poison. " Madame, dit-il froidement, choisissez entre ce poison et le bourreau de Venise. – Le
bourreau balbutia-t-elle. - Je ne sais qui vous a dénoncé, madame, mais depuis le jour où j'ai
quitté Venise, une somme de 500 écus est promise à celui qui pourra indiquer au Conseil des
Dix où se cache Imperia, l'assassin de Jean Devila". Elle se jette à ses genoux, implorant son
pardon, jure qu'elle l'aime encore. Roland se trouble, pense lui accorder sa grâce quand
Scalabrino, qui est le père de Bianca, ne l'oublions pas, la saisit par les cheveux, lui renverse
la tête et lui verse dans la bouche poison mortel. Justice sera faite aussi pour Bembo. Jusqu'au
bout, est égal à lui-même il conserve son arrogance. Devant Roland qui lui jette : " Je t'ai haï,
je te hais, écoute-moi. Si Bianca était ici, si tous les trésors du monde étaient étendus devant
moi, je renoncerai à Bianca, je renoncerai aux trésors pour l'unique joie de te faire souffrir
encore". Digne du divin marquis, cet homme ! A l'implacable ennemi, Roland réserve une fin
spéciale. L'ayant traîné dans une grotte, il est placé devant le cercueil de Bianca. " Alors la
voix solennelle de Roland s'éleva pour prononcer ces étranges paroles : Bembo, maintenant
que vous êtes morts, recevez mon pardon et celui du père de Bianca. Reposez en paix".
L'évêque criait pendant qu'on fermait l'ouverture de la porte. Les pierres furent toutes scellées
quand on l'entendit rire. Bembo était devenu fou. Avant de sceller la dernière pierre, un des
ouvriers qui travaillaient eut l'idée de donner un coup d'œil à l'intérieur de la tombe, et il vit le
cardinal étendu sans vie sur le cercueil de Bianca. Tandis qu'à Venise se soulevait la révolte
contre les oppresseurs qui détiennent les plus hautes charges, Alfieri avait l'ardent désir de
posséder au moins une fois Léonore, sa légitimité. Ce fut Scalabrino qui empêcha le viol,
engageant un duel avec Altieri. Plutôt la mort ! Proclama-t-il et se poignarda enmaudissant
son épouse vierge. Le doge usurpateur Foscari fut arrêté par les révoltés ayant à leur tête
Roland. Libéré des plombs et des puits, le doge mort de peur, les emprisonnés, les chefs de la
flotte venue prêter serment devant le nouveau doge, Roland traversa, triomphant, le fameux
Pont des Soupirs. Léonore convaincue qu'il la méprisait pour avoir épousé Altieri, accablée de
remords, désespérée tenta de s'empoisonner. "Une dernière fois, elle prononça : Roland !"
Une garantie sur les lèvres de celle qui allait mourir. Mais ce nom, elle dut plutôt le crier
parce que quelqu'un répondit du fond du jardin. "Une voix délirante, une voix qui la fit
palpiter sursauter de la tête aux pieds comme si elle était secouée par une violente secousse –
Roland ! – répéta-t-elle, perdue au milieu de ses angoisses, transportée subitement dans le
monde de l'irréalisable. Léonore ! gémit Roland apparaissant sur le seuil de la porte. Durant
une minute longue comme un siècle, ils restèrent ainsi immobiles. Aucune explication ne
parut nécessaire entre eux. Léonore comprit que Roland connaissait sa fidélité. Roland
comprit qu'il était aimé comme il l'aimait. Ce fut pour eux un terrible instant, dans lequel il
semble que le cœur s'arrête, que l'âme entre dans le néant, que les forces de l'être sont
impuissantes à supporter le fardeau de choix qui dépasse les limites humaines. Leurs bras se
tendirent. Leurs yeux versèrent des larmes amères, brûlantes. Et ce fut ainsi, les bras tendus
l'un vers l'autre, courageux, enivrés, sublimes dans leur amour, ce fut ainsi qu'ils marchèrent,
ce fut ainsi qu'il se rejoignirent, ce fut ainsi qu'ils échangèrent dans une étreinte convulsive
leurs âmes, leurs corps, leurs pensées, l'amour. Sur leur chastes (pour le moment) soupirs, on
semblait entendre le chant des violons conclure la saga. Triomphe de la liberté, de la
Constance et de l'Amour.
Isabella, duchesse du diable
Précurseur féministe d'intrigues historico-libertines en BD, la noble jeune fille aux formes
généreuses et intrépide, à la lame tranchante et aux exploit sexuels nombreux, refuse de
dévoiler le scandaleux téton à travers les dentelles de son décolleté.
Elle s'obstine même à cacher le bout se son sein, même si elle met en valeurs ses jambes avec
des pantalons collants à taille basse. Libre, anticonformiste, allergique à tout tabou, pour
poursuivre ses aventures, elle doit se soumettre aux dictats obscurs des années 70. Ses courbes
très arrondies ne devaient pas choquées les plus jeunes lecteurs.
Elevée chez les gitans après que sa famille soit massacrée par le baron alsacien Von Nutter,
Isabella de Frissac, dans l'Europe de fer du 17ème siècle, possède comme unique richesse, son
corps. Donc, elle s'en sert, le prête, ayant comme unique but la vengeance. La lorraine
duchesse bu diable ne donne pas dans les subtilités.
Ayant coupé le visage de son ennemi, elle enfile sur sa tête un capuche de cuir, s'impose
courageusement par son épée, amante bisexuelle insatiable, victime de cruels élans sexuels et
de bizarres atrocités, justicière des torts, elle venge les pudeurs et les restrictions imposées par
la morale. Modelée sur le physique sinueux de Brigitte Bardot, mais avec l'esprit de Michèle
Mercier (ardente protagoniste sur l'écran du feuilleton Angélique, Marquise des Anges, écrit
par Anne et Serge Colon, qui eut un succès énorme dans le monde entier), Isabella affiche ses
yeux clairs qui conservent des éclairs troubles de l'enfance, une mèche de feu noire dans sa
chevelure blonde, une poitrine agressive et des jambes engainées dans des bottes.
L'émancipée héroïne de cape et d'épée, dessinée par Sandro Angiolini pour les aventures
endiablée de Renzo Barbieri et Giorgio Cavedon, à partir d'avril 1856, malgré bien sur la
condamnation des bien pensants et l'attention constante des censeurs de la presse, arrive
chaque mois dans les kiosque, en format de poche, pendant plus de dix ans. Elle est publiée
par l'éditeur milanais Erregi, puis par Ediperiodici, avec la mention sur la couverture : Bande
dessinée pour adultes.
En 1969, est tourné le films du même nom par Bruno Corbucci. Isabella est interprétée par
l'actrice météore Brigitte Skay et le film n'eut guère de succès.
Un rôle unique ne suffisait pas à Isabella. Le personnage, qui aurait plu au divin marquis de
Sade, avait l'ambition d'expérimenter des situations opposées.
Juliette sans pitié, qui ne pardonne pas, toujours prête à punir les ennemis alsaciens, elle
réussit cependant à se transformer en tendre Juliette, victime innocente et satisfaite des
sévices que lui font subir ses bourreaux sadiques, fantaisistes tourmenteurs.
Cette métamorphose se révèle quand Isabella, chargée d'une mission par le ministre de Sa
Majesté Louis XIII, le cardinal de Richelieu entre dans les territoires au printemps 1613. Les
atmosphères sinistres des palis du Grand Canal, les cruautés dans les pièces secrètes, les vices
qui se passent dans les gondoles durent exciter chez elle une fascination torve. Au cours
d'autres aventures, la duchesse du diable finit comme proie des volontés cruelles et de
manèges des nobles dépravés.
Dans la campagne véronaise, Isabella rencontre l'incroyable premier amour, le beau vicomte
Gilbert de Villancourt, sous le charme de la vampire Jacula qui n'en croit pas ses yeux quand
il se trouve face à ce délicieux mirage. Déchaînement de passions.
"Il n'y a pas une femme au monde qui porte sur ses lèvres un aussi doux arôme, et qui possède
tant de volupté". Jugement bref qui convient à la perfection.
Transportés dans un bragozzo (barque), Isabella et Gilbert arrivent à la nuit tombée dans la
lagune. Le couple, à peine embarqué sur une gondole est méfiant. Ils demandent d'aller à la
"Sala del Moro", à côté du pont du Rialto et au contraire se trouvent diriger vers la Giudecca.
"Peut-être ont-ils rallonger le trajet pour notre lune de miel" commente l'ingénu, qui
cependant est au courant de certaines pratiques tarifaires. Le couple tombe dans un piège.
Gilbert saute de la barque et tente de fuir s'introduisant dans les égouts (qui n'ont jamais
existé) tandis qu'Isabella, la chemise ouverte jusqu'où le permet la limite morale, entre en
nageant dans les sous-sols d'un palais. Elle est capturée et traînée sur la giostra canterina
(planche de bois flottante qui tourne autour d'une colonne à la base de laquelle, les bourreaux
encapuchonnés lui infligent divers tourments) Qui ne l'effleure court le risque de s'ennuyer
pendant le supplice.
Des branches avec des épines lui touchent les généreux seins, un seau d'eau froide, puis un
autre d'eau bouillante lui sont versés sur la tête, des feuilles d'ortie lui taquinent les tétons, le
fouet lui cingle le ventre. Dans le déchaînement final, l'homme masqué qui désire connaître
les raisons de sa mission lui baissera le pantalon, mettant à nu ses jambes et marquera ses
jambes écartées au fer rouge avec le S de la Sérénissime. L'indomptée ne fait pas un pli. Au
contraire, elle a la force de détacher ses liens de renverser la table, d'arracher le capuchon sous
lequel se cache le beau visage de la princesse bisex Ottavia Foscari.
Mise face à Gilbert que l'on torture sur la roue, avec des tenailles brûlantes, Isabella s'écroule.
Elle révèle qu'avec son ex-ennemi, le baron Von Nutter, elle doit découvrir qui protège et
subventionne à l'intérieur de la République les pirates de l'Adriatique.
Coups de théâtres ininterrompus : on assistera même à une exécution capitale (manquée) sur
la Piazzetta dans l'épisode "La justice des Dix, où la belle innocente Angelina Brandolin,
d'origine noble, mais contrainte à faire la servante chez les Foscari, avant de poser sa
gracieuse tête sur le billot, est dénudée devant le peuple accouru pour jouir du spectacle. Le
bourreau embarrassé lui demande d'offrir au Seigneur aussi cette humiliation. Les amis et les
complices d'Isabella entourent alors les lieux et réussissent à la faire échapper, sous les yeux
des nobles qui regardaient depuis le palais des Doges, sautant dans un chariot traîné par des
chevaux.
Les diaboliques amants sont interrogés par Ottavia et l'abbé Marinot. Isabella entend oublier
le chantage sexuelle de la princesse Ottavia : refusant les avances de la noble dame à la
bouche de ventouse, dans la chambre à coucher, elle se laisse déshabiller et caresser sous la
menace de venger Gilbert. A Isabella suffit une paire de coup de fouet sur les fesses de la
princesses et un coup sec avec le manche du fouet sur le crane de l'abbé et ils avouent faire
parti de la conjuration en faveur des autrichiens, alors en guerre contre Venise, organisée par
le noble Alvise Morosini. Une partie du trésor de Saint Marc ayant été volée et cachée sur le
Bucintoro, l'argent aurait du être remis aux pirates.
Dans les lugubres galères de la Sérénissime, Isabella subit le même sort que Justine,
protagoniste des Malheurs de la vertu, de Sade, enchaînée avec d'autres à un pressoir.
Transférée sur l'île de Pianto, elle subira d'autres sévices du sadique artiste grec Cantapulos,
puis, pour fuir (croit-elle) l'atelier du peintre Leonardo Mocenigo, pointilleux esthète en
cruautés, spécialiste en tableaux troubles. "Pour reproduire le tourment des enfers, il me faut
de vrais expressions de désespoir, de vraies souffrances", affirme-t-il.. La meilleure solution ?
Positionner Isabelle fesses nues, sur un cheval dont la selle est couverte de piquants. Peu
satisfait des faibles grimace de l'héroïne, l'artiste décide de lui mettre sous les aisselles des
pointes acérées pour l'obliger à crier.
Ayant fui "l'île pénale" de la Sérénissime sur un voilier, grâce à l'archiduc de Bavière, Isabella
rencontrera d'autres abjects individus, riches, désœuvrés et aimant la souffrance d'autrui.
Parmi ces nombreux illuminés, Medardo, sadique, nécrophile, spécialiste en crémation sur les
jeunes filles vivantes, auquel Isabella a été confiée par le cruel commandant des pirates.
A Pola, toujours dans les possessions de la Sérénissime, il possède un laboratoire où il déflore
les nouvelles arrivées, les torturent, se donnent à des expériences inhumaines sur des esclaves
aux habits très succincts.
Dans les épisodes qui se déroulent entre Venise et l'Istrie, où se termine la mission qui lui a
été confiée par Richelieu, Isabella croise son double en la personne de Christine de la Roche
qui lui est présentée par l'ambassadeur de France. C'est une courtisane fascinante, à la
chevelure brune, aux même caractéristiques physiques. Elle en devient l'indispensable alliée.
La sosie, prodigue en faiblesses saphiques vers Isabella sait très bien faire tourner le monde.
Elle est toujours prête à aider Isabella dans ses plans. Les vêtements arrachés, les seins nus,
les tétons dessinés lisses pour ne pas encourir la censure, prêts à être torturés, même la lame
des ennemis ne parvient pas à faire parler Christine. Elle succombera à l'attraction d'Isabella
en la voyant endormie sous la felze de la gondole. Lui découvrant un sein d'albâtre, elle
constate qu'elle a la peau d'une nymphe et un parfum exaltant. Les yeux fermés, les lèvres
voluptueusement entrouvertes, elle rêve : "Ah ! si j'étais à tes côtés, je serais la plus heureuse
des femmes".
Dans Disperamente (1969), elle est capturée par la secte des Délicats, travestis dégénérés qui
ont leur siège dans le palais de la Madone des Sept Douleurs. Enchaînées sur une table, elles
devront subir une ridicule expérience " Procréez à travers nous, pour en quelque sorte
participer à la maternité", comme explique Isabella à sa compagne et créer ainsi la nouvelle
race des Délicats.. Celui qui est choisi pour les engrosser délire : " La femme enceinte secrète
des liquides organiques particuliers qui, si on en boit chaque jour de sa grossesse,
provoqueront les mêmes symptômes, les mêmes émotions".
Dans ce but, d'autres femmes, tenues prisonnières ont été mises enceintes. Par chance, les
soldats réussissent à entrer dans le repaire des pervers et à libérer les deux amies juste à
temps.
Le péage sexuel sera perçu par Ser Morando della Noce qui les cache toutes les deux dans son
palais tandis que les gardes les cherchent. Mais on ne peut pas imprudemment promettre un
paradis de luxure à un vigoureux noble en échange du salut et refuser, le danger étant passé,
d'en payer le prix.
Sur le divan, à l'intérieur de la barque, Morando propose à Isabella de la baiser partout. Notre
héroïne joue à l'indignée, croyant l'arrêter avec un : " Vous êtes fou ? Laissez moi
immédiatement". Le séraphique profiteur répond : "Vous êtes mieux entre mes bras qu'entre
ceux de vos geôliers, ne vous paraît-il pas ?". La minaudière, désormais nue doit succomber
malgré elle.
Remise par Christine à l'ambassadeur, la lettre qui prouve l'instigation autrichienne contre
Venise, but de sa mission dans la Sérénissime, la courtisane de tempérament impatient et
fougueux doit se soumettre à la luxure du noble.
"Si c'est ce que vous voulez –laisse-t-il éclater, dépêchez-vous…Je dois renter au plus vite
avec mon amie". Parfois les rapports sexuels lui plaisent peu et à peine les délicieuse courbes
exposées, il décide : "Non, arrête, je veux te découvrir encore une fois, fais semblant de me
résister". Une heure plus tard, Morando satisfait affirme que cela a été une délicieuse
rencontre. Il fait reconduire Isabella en gondole, bâillonnée, portant seulement sur elle sa
petite culotte.
Sa mission étant terminée, Christine est présentée au ministre des Affaires Etrangères dans les
salons de l'ambassade de France . Richelieu et Isabella se parlent autour d'une fontaine et le
prélat confirmera la révocation du décret d'exil et aussi la possibilité de rentrer en France avec
un sauf conduit.
Isabella continuera imperturbable à avoir de troubles et romantiques amours, emportée au
milieu de duels, de guet-apens de défis sadomaso et de tueries. Elle renaît toujours plus belle,
régénérée pour affronter des épreuves extrêmes. Entre les crocs de fers brûlants, recevant des
coups de cravache, liée par des liens étroits, son épiderme ne montre jamais ni plaies, ni
blessures, ni signes de souffrance. Ce sera elle la première, dans la bande dessinée italienne,
évitant toute vulgarité à dévoiler dans les années 60 des seins nus avec les mamelons et des
fesses bien rondes.
"Il n'y a pas un homme qui puisse la dompter, il n'y a pas une femme qui possède son ardeur
en amour, un amour libre comme son cœur, cœur de jeune fille, cœur de glace, cœur de
femme passionnée, en parfaite alternance avec les situations et les personnes qui l'entourent",
déclamait la présentation du personnage.
Rompue aux pièges de la rhétorique, Isabella de Frissac est restée une des rares icônes
érotiques des bandes dessinées dans l'imaginaire national de l'époque.
Littérature
Le pionnier du filon littéraire érotique vénitien fut un fameux homme d'église. L'absence de
censure, l'ouverture des mentalités et la tolérance concédée aux mœurs par la Dominante au
cours de la Renaissance convainquirent l'érudit Pietro Bembo (Venise 70 - Rome
1547), fils d'ambassadeur et grand connaisseur des langues antiques, à écrire et à publier en
latin une ode poétique à la louange du membre viril, intitulée Priapus. Et pensez que dans son
parcours, il fut appelé par le pape Léon X à Rome pour être consultant grammatical des bulles
papales. Il rédigea aussi «Proses en langue vulgaire» (1523) et Gli Asonali (en
français, les Azolains -1530). Il partageait la vie de la jeune Morosina, sans l'épouser, car il
aurait alors perdu ses bénéfices ecclésiastiques. Il vivait dans le Veneto quand, nommé
cardinal par Paul III (1539), il rentra à Rome. Devenu historien de la Sérénissime, il fut
écarter au seuil de l'élection papale, à la suite de ce péché littéraire: "S'il croit avec lenteur, il
suffit d'un baiser. Si tu le réchauffes il se dresse souriant, sous la main légère et délicate,
fuyant à son capuchon transparent", disaient quelques uns de ses vers traduits en italien pat
Tommaso Procacci en 1745, après en avoir hypocritement changé le titre en Louange à la
tige.
Le 16ème siècle vit s'accroître de manière gigantesque la figure de l'obscénité (ou du divin,
selon les points de vue) en la personne de Pietro Aretino, né justement fils de courtisane. Il se
définissait comme n'ayant aucun problème. Durant sa tumultueuse existence, celui qu'on
nommait le Fléau des Princes vécut d'abord à Perugia, puis se déplaça à Rome, Florence,
Mantoue, invité par les puissants de l'époque jusqu'en 1527, où fuyant Rome, s'installa dans la
libérale Venise. Là, entouré des provocantes Aretine et de musculeux jeunes gens, il mourut
en 1556, après d'innombrables débauches bisexuelles.
Il avait publié I Ragionamenti (Raisonnements), première partie en 1534 et deux ans plus tard,
la seconde partie I piacevoli Ragionamenti.
Après une longue absence, parut la première édition de la Corona de' cazzi, suivie des Sonetti
lussuriosi (sonnets luxurieux), illustrés par des gravures hard de Marc' Antonio Raimondi, sur
des dessins de Giulio Romano (son nom y figure), à Venise en 1556.
Aver una venèta de dolse, c'est-à-dire "avoir une petite veine douceâtre" se dit de celui qui se
laisse aller à des penchants homosexuels. C'était donc un nom parfait pour le noble Ludovico
Dolce, né et mort à Venise (1508-1568), ami de l'Aretino et du Titien, à qui il dédia la
première biographie. Précepteur, dramaturge, traducteur, amoureux de la bonne table, mais
aussi des plaisirs gay, frisant la pédophilie. Malgré de tels penchants, il épousa une actrice et
eut deux fils. L'œuvre Didone, représentée au carnaval 1546, fut traduite en anglais par
Christopher Marlowe pour sa première tragédie, Didon Reine de Carthage, tandis que
Giocasta (1549) devint Jocasta pour la suivante adaptation de Gascoigne-Kinwelmersh.
Outre d'innombrables comédies, tragédies et un essai sur la peinture, dans un chapitre intitulé
"Chapitre d'un garçon", il décrit les mérites d'un garçon, serviteur dans sa maison mais
échappé d'ailleurs, souhaitant qu'il retourne "dormir dans mon lit ; ainsi dans les faits, il sera
la dame du palais", le dédiant à son collègue canonique Anselmi
S'il compose ses Rime alla Petrarca et il Trionfo del Cristo, oratorio musical célébrant la
bataille de Lepante (1571), le diplomate mais aussi secrétaire du Conseil des Dix et du Sénat
Celio Magno (1536-1602) met en vers une explicite "Louange à un garçon", le doux Tirsi,
qui commence ainsi : "Quelle sottise de ne pas croire puissant le visage d'un beau garçon. Il
me brûle le cœur, tandis que l'amour féminin ferme l'esprit. Dans quelle erreur, j'étais
enfermé".
La courtisane Angela del Moro, dite la Zaffetta, parce que fille d'un zaffo, sbire vénitien, se
vantait d'avoir parmi ses clients intellectuels et artistes célèbres comme Aretino, l'architecte
Sansovino et le Titien pourtant septuagénaire. Le peintre Paris Bordone en fit un portrait
comme exemple éclatant d'hétaïre vénitienne. Sa renommée est parvenue jusqu'à nous grâce
au poème de 114 strophes, écrit en 1531 par le noble Lorenzo Venier, amusant mais tournant
aussi au sordide et intitulé Il Trentuno della Zaffetta.
Une certaine ironie dans la mention éditoriale du pamphlet ironique : " Imprimé dans
l'imprimerie, par le maître d'imprimerie, à l'intérieur de la cité, dans la maison et non en
dehors". Venier, à peine âgé de plus de vingt ans, blâme la jeune femme, avec qui il avait des
rendez-vous habituels, et qui elle avait trente deux ans. Convaincu qu'elle était toujours à sa
disposition, Venier est surpris de la trouver en affaire avec un autre. Furieux de ce qu'il
considère comme un outrage, il décide se venger en l'invitant à une promenade amoureuse en
gondole pour Malamocco et Chioggia. Après le dîner avec huîtres et vin, la Zaffetta à moitié
endormie exécute le devoir pour lequel elle est payée, même si elle commence à avoir
quelques soupçons. "Cependant, comme dit Boccace, étant bon baiseur
Et sentant sa queue bien droite,
En ayant elle par malchance, tourné vers lui
Le côté solennel du derrière
Il lui donne deux coups de lance, chacun plus dur que l'autre.
Puis, plus que jamais vaillant, l'ayant maintenant tourné
Avec mépris, il lui rend ce service
Encore une autre fois devant."
Et ici commencent les violences. Le chevalier servant étant parti, arrivent de Venise une
meute de 31 endiablés, appelés par Venier pour se satisfaire. Pêcheurs, gondoliers, porteurs,
maraîchers, militaires, deux frères, gens de Chioggia, l'exhortant à confesser ses péchés
"l'enfilent par devant et par derrière avec leur carotte".
L'assaut final a lieu vers minuit avec un curé qui dépassait tous les autres frères du monastère
en matière de baise. Pour outrage final : "On écrivit sur chaque mur, dans chaque rue
Comment, le six avril, Angela Zaffa
A du subir le Trente et un."
On comprend que la pauvre fille ayant subi le viol collectif rentre à la maison secouée, en
colère et en larmes, dans une barque transportant des melons.
L'auteur, en plus, en tire une morale pour ses collègues :
"Que Dieu veuille, mes chères putains,
Que cet exemple reste dans vos cœurs.
C'est une chose sainte que de tapiner
On y gagne honneur et plaisir".
Seulement une plaisanterie porno-littéraire que ce Trentuno, qui fit monter la côte de la
victime à la grande honte de celui qui avait rancœur de son abandon. C'est ce que note Livio
Sanudo dans son journal, notant que peu de temps après les services de la demoiselle furent
demandées par le Cardinal Hyppolite de Médicis de passage à Venise.
Continuons notre recherche des poèmes obscènes : Venier donna à imprimer la même année
La Putain errante, poème en quatre chants. Il y raconte l'étrange voyage professionnel de la
prostituée de luxe Elena Ballerina dans le but de propager la célébrité de celle-ci. Après des
aventures sexuelles exagérées à Florence, Ferrare, Sienne, Bologne, elle arrive à Rome
envahie par les troupes espagnoles et allemandes. Elle savoure son triomphe d'avoir fait
bander et d'avoir satisfait les armées étrangères.
On attribue encore au vieux et misogyne Venier, le Tarif des putains de Venise, publié en
1565.
Le polygraphe (auteur qui écrit sur des sujets variés) Ferrante Pallavicino (1616-1644) a, au
contraire, une histoire qui finit mal. Etabli à Venise en 1635, il est l'auteur de féroces œuvres
anticléricales. Avec la franchise qui le caractérisait, il dénonce l'immoralité de la Curie
romaine et les coutumes des Jésuites, bien décidé à leur faire payer. En plus de ses romans Le
Prince Hermaphrodite, Susanne, La toile de Vulcain, reste une œuvre mémorable Il corriere
svagliato (1641), pamphlet contre la compagnie des Jésuites, contenant entre autres des lettres
impudiques. Type celle d'une mère qui donne des conseils à sa fille pour être une bonne
putain ou celle sur l'usage de payer les putains. Autres œuvres : La lettre qui commente la
qualité des courtisanes vénitiennes, œuvre qui lui procura un bref séjour dans les prisons de la
Sérénissime, La rhétorique des putains…dédiée à l'université des courtisanes les plus
célèbres, publié anonymement en 1642. En quinze leçons, il raconte la manière, les secrets de
comment on entre dans la profession, certaines adressées à une jeune fille inexpérimentée,
d'autres à une entremetteuse experte. Pallavicino préfère cependant, tout comme Aretino, la
figure de la prostituée aux deux autres alternatives uniques féminines de l'époque, c'est-à-dire
épouse ou religieuse. Il méprisait ces catégories pour ses arts de la dissimulation et de la
tromperie "avec ferme résolution de contenir à l'intérieur la vérité et la franchise pour ne
laisser paraître que mensonges et faussetés".
Beaucoup moins indulgent que la gouvernement vénitien, se montra la cour pontificale
toujours à cause du Corriero et de deux autres pamphlets contre le pape Urbain VIII et la
puissante famille Barberini.
Invité de manière sournoise dans la cité papale, il fut arrêté, enchaîné sur un crucifix dans la
prison et condamné à avoir la tête tranchée.
Pallavicino était membre de l'Académie des Incogniti, fondée à Venise en 1623 par le noble
Giovanni Francesco Loredan et fermée en 1652. Ces hommes de lettres aux intérêts
humanistes, dans l'ambiance intellectuelle de la Contre Réforme de l'époque, trouvèrent appui
et couverture pour leur contestation intellectuelle de la part de ceux qui étaient de fervents
opposants.
Parmi eux, le Philosophe médecin Francesco Pona (1353-1655), de Vérone, auteur de La
Lucerna, espèce de roman à mosaïque, dans lequel, parmi tant de récits, il y a celui d'une
jeune courtisane arrivée à Venise de sa Natale Padoue pour exercer "l'honorable métier".
Elle raconte à la première personne ses expériences. Installée avec sa mère dans un quartier de
"représentation", à Cannaregio, elle arrive à vendre à des crédules plus de six fois sa virginité.
Elle passa d'une clientèle de marchands et d'artisans ("des mains desquelles coulait l'or – et ils
ne payaient pas de balivernes") à l'aristocratie, finissant dans les bras d'un riche vieux, plumé
à plaisir et rendu père d'un enfant. Malheureuse ! L'argent ainsi mal gagné fut finalement raflé
par un beau jeune homme dont elle était tombée amoureuse.
Pona fut aussi l'auteur du premier roman historique italien, La Messaline (1633), mélange
biographique et moralisateur avec des notes cliniques sur la libidineuse impératrice élevée au
rang de personnage mythique. Un autre membre de le même Académie fut le père Antonio
Rocco (1586-1653, Venise) conventuel (ecclésiastique) mineur, lecteur public de philosophie
au monastère de San Giorgio Maggiore, théologien mais aussi ardent prophète de la
pédérastie, connu comme étant l'auteur de Alcibiade, jeune garçon à l'école, écrit en 1630 et
publié à Venise en 1650. L'ouvrage fut, par erreur, parfois attribué à Pietro Aretino ou à
Ferrante Pallavicino. Depuis quelques décennies déjà, les punitions contre le vitio nefanto
(vice indicible) étaient moins sévères que dans le passé. De l'inéluctable bûcher, les autorités
compétentes s'étaient orientées peu à peu à condamner les sodomites à la galère, à la prison ou
à l'exil. Le Conseil des Dix renonça à ses compétences en la matière, chercher à condamner
plus le viol anal que l'acte en lui même.
Presque détruite immédiatement, l'œuvre en forme de dialogue, nous apparaît comme une
espèce de jérémiades intellectuelles du précepteur Filotimo, amoureux de son beau disciple,
l'adolescent Alcibiade (favori de Socrate) pour le convaincre de se laisser sodomiser. Avec un
raisonnement qui cherche à tromper. "Amour, flèches de mon cœur ne discernent ni
conditions, ni âge, ni sexe. Un appétit divin, dans le plus profond de mon âme, a ici pris force
vitale. La froideur de votre cœur s'oppose aux ardeurs du mien que vous verrez bientôt tomber
en cendres. Vous serez à la fois homicide et parricide et de l'homme et du père qui sans
mesure vous aime et vous désire". L'ambition du dialogue veut réaliser avec la Grèce
classique où le rôle passif de l'élève n'apparaît pas infamant, vu qu'il doit devenir citoyen à
part entière.
Le sens aristocratique, voire idéologique de la pédérastie est exalté dans l'Alcibiade dès la
préface, quand l'auteur rappelle le devoir des anciens philosophes pour l'éducation des
adolescents qui doivent pour leurs futures activités de gouvernants "passer par le trou de
derrière". Exalté avec une morbide attention, le sexe de l'adolescent, la femme brisée à cause
de ses imperfections physiques et morales, à la fin du brillant dialogue Alcibiade, convaincu
par une telle argumentation, succombe. "Voici, dit-il, très aimé maître, que le désir du vrai
savoir me plie à vos désirs. Me voici prêt à donner contentement à votre volonté".
Un sacrifice pour la culture, donc.
L'écrivain Gerolamo Brusoni (1614-1686), encor indécis sur la profession qu'il allait choisir,
entre trois fois dans un couvent, et trois fois en ressort. Anticonformiste comme Pallavicino,
mais plus prudent; lui aussi membre de l'Académie des Inconnus, publie à Venise "Histoire
tragique des amours exemplaires", roman prétendu historique sur la Rome antique qui met en
scène les vestales. Occasion pour taquiner les troubles atmosphères entre les religieuses
vénitiennes, obliger d(avorter et de fuir le couvent. Il devint l'auteur d'un best seller, la trilogie
: la Gondole a trois rames, le Petit Carrosse à la mode et la Barque perdue, avec pour
protagoniste une sorte de Casanova avant la lettre.
Durant le voyage en gondole, à travers la lagune, deux groupes de garçons font tomber
amoureuses un bon nombre de demoiselles aimable et de bon aspect parmi lesquelles les
malicieuses Drusilla, Alberta et Giustina.
Si nous n'avons pas oublié ni Baffo, ni Casanova, il faut aussi mentionner Carlo Gozzi (17201806), sachant qu'il fut le traducteur en italien de l'anglaise Fanny Hill. Les Mémoires de
Fanny Hill sont un célèbre roman semi-pronographique du consul britannique John Cleland.
Auteur de fables à la marque surnaturelle comme L'amour des trois oranges, L'oiseau
Belverde ou de sombres légendes type Turandot (mis en musique par Puccini), Gozzi dédie à
la scabreuse Fanny Hill, le titre La meretrice inglese ( prostituée anglaise), édité sans que
paraisse ni le nom, ni le lieu de l'éditeur. Il connut de nombreuses rééditions jusqu'à sa sortie
(feinte ?) parisienne sous le manteau de 1860 avec le titre de La meretrise inglese ou les
aventures de Fanny Hill.
Il faut encore citer Pietro Buratti (Venise 1772 — Mogliano Veneto 1832). Ses satires
érotiques, son poème abrasif l'Elefanteide et ses chansons osées comme la Barcheta ou la
Canzoneta, restées interdites de son vivant, lui procurérent une grande popularité.
Un certain Giacometto dédie une de ses composition à la parfumée Marianetta, en décrivant
ses seins délicats, son ventre lisse et proclame en admirant ses flancs agiles : "des fesses
fermes, rondes et relevées, à faire saliver un moine amateur de bonne chair".
Décidé à approfondir l'exploration : "J'ai voulu pour commencer, à cette belle, caresser les
lèvres de sa chapelle. Content de ce premier pas, avec deux doigts, j'en ai ouvert le centre et
fourrant mon nez dedans, je me suis mis à observer. Je ne sais comment vous dire à quel point
la renifler et la lécher est bon. Quand elle a ma bite dans sa chatte, je la sens aller et venir.
Avec quelle ardeur elle est secouée et fatiguée; Je la baise, je l'étreins, je lui mets ma langue
dans sa bouche et elle en a tant de plaisirs qu'elle est toute mouillée, à en déborder".
Avec Buratti, c'est la fin de l'érotisme littéraire sur la lagune (cependant il a été fait revivre
dans les récents carnavals, sur le Ponte delle Tette, où l'on récompense les meilleures
compositions lubriques.
Mais il faut aussi rappeler que, entre 1962 et 1965, surgit l'Académie des Libertins, c'est-àdire des passionnés de livres licencieux. Pour entrer dans le club, on abandonnait son nom
véritable pour choisir un pseudonyme. Les adeptes des deux sexes (souvent maris et femmes)
se réunissaient dans une aile d'un palais à San Beneto, dont les fenêtres donnaient sur le
Grand Canal, sous la direction de la belle comtesse A., femme d'âge mur, qui en avait été
l'initiatrice.
Nous avons été invité plusieurs fois, avec grand plaisir, à leurs réunions périodiques et ainsi,
nous savons que les participants endossaient des vêtements du 17ème siècle, dont certains
étaient des originaux retrouvés dans les armoires de quelques nobles. Le cérémonial à peine
commencé, chaque membre enfilait son livre dans une chemise qui servait à en cacher la
couverture. Réunis dans une salle, ou sur une altana pendant l'été, devant un bloc-notes pour
pouvoir prendre des notes, on servait un verre de bourbon et chaque membre, à son tour, lisait
le texte choisi pendant 10 à 30 minutes maximum.
Il était interdit de faire des demandes sur l'auteur, l'éditeur et le titre. Ceux qui écoutaient
pouvaient cependant deviner si le livre en lecture était un faux, ou si le lecteur y avait
introduit une part de ses propres fantasmes. Dans ce cas, chaque participant pouvait crier :
"Doute!", obtenant le droit d'examiner le volume. Si le doute était fondé que le narrateur ou la
narratrice avait inventé en partie ou en totalité le texte, l'interpellateur obtenait un "avantage".
Dans le cas contraire, si la lecture était celle d'un vrai texte, c'était le lecteur qui gagnait
l'avantage. Lorsqu'on totalisait 100 avantages, on avait le droit de demander à l'Académie
n'importe quoi, argent exclus. Cela pouvait être un sac, un vêtement, un week end quelque
part ou une nuit de sexe. Le jeu prit fin quand quelques académiciens contestèrent le
mécanisme, supposant qu'il y avait du copinage. La comtesse A. offensée ferma alors
l'association intellectuelle et alla fondée la même Académie à Gênes, qui resta ouverte
jusqu'au premières années 60.
Magnafranze ou Sbafafrange (mange- franges ou bouffe-lèvres)
Les franze dont on parle ici sont les parties extérieures de l'organe sexuel féminin. Le terme
magnafranze, aujourd'hui en désuétude, est très clair dans son sens. Il est synonyme de
lesbienne active, à l'aspect masculin. Catégorie qui, dans cette cité devint nombreuse, si l'on
en croit les rapports de l'Inspecteur général de la sûreté publique, Adolfo Lutrario, chargé en
1899 par le ministère de l'Intérieur d'enquêter sur le monde du vice dans le Royaume d'Italie.
Selon son rapport concernant la cité lagunaire, "quelques dames de l'aristocratie s'y
abandonnaient avec une vraie frénésie". On y cite la comtesse Viola, qui aurait pratiqué le
tribadisme avec quelques unes de ses amies. Une autre comtesse, membre d'une famille
patricienne, a une relation avec l'épouse d'un capitaine, dont elle se montre très jalouse. La
comtesse cependant, ne se limite pas au tribadisme et maintient des relations avec d'autres
hommes.
Durant les années 30, Mimi Franchetti montre avec orgueil les inclinations saphiques. Elle est
la sœur d'un célèbre explorateur africain Raimondo ( ou plutôt demi-sœur, car sa mère
Margherita semble l'avoir conçue en dehors du mariage – elle fut reconnue par son mari le
baron Alberto, gentilhomme et élevée en Suisse).
Née dans une prestigieuse famille vénitienne, fréquentée par la crème, elle était invitée à
Capri, à demeure fixe à la Villa Lysis, où elle avait pour "concurrente" une pianiste, fille d'un
ténor. Elle se rendit à l'hôtel dès qu'elle sut qu'y était descendue la fascinante duchesse de
Gramont avec l'écrivain napolitain oublié Roberto Bracco, qui lui vouait une passion
platonique (selon Roger Peyrefitte dans son livre L'exilé de Capri, 1959). Mimi mit en scène
une cour rapprochée autant qu'inutile, s'abaissant jusqu'à faire une scène devant la chambre où
dormait sa passion. "Ouvrez-moi, sinon, je me tue !" soupira Mimi à la porte, mais la
duchesse n'ouvrait pas et Bracco qui était dans une chambre voisine, sorti furieux et chassa
Mimi (En est encore témoin l'écrivain français).
Dans l'après guerre, Nina était connue pour ses goûts particuliers. De petite taille, cheveux
châtains, caractère énergique, joyeuse et dotée d'une verve contagieuse. La langue bien déliée,
toujours prête à répliquer et à plaisanter, ce fut aussi une dame courageuse qui donna sa
contribution à la Résistance vénitienne, dans des missions risquées.
sa compagne s'appelait Elena, une belle brune, plus jeune qu'elle qui avait quitté son mari et
sa famille pour elle. L'acronyme Ri.Ele était l'enseigne de la boutique de fourrure avec un
laboratoire située dans la Frezzeria où elles étaient associées et travaillaient ensemble. Quand
Elena mourut, Rina ferma boutique et s'éteignit à un âge avancé.
Marchese
Synonyme de menstruations. Le mot dérive peut-être de la livrée rouge que portaient les
laquais du titre de marquis et qu'ils portaient à certaines périodes de l'année pour aller faire de
commissions. C'est seulement à la fin du 18ème siècle qu'on découvrit le lien entre le flux
menstruel, auquel on attribuait des vertus thérapeutiques, et la fécondation. Dans beaucoup de
langues européennes, et aussi à Venise entre le 15ème et le 17ème , les menstruations étaient
appelées "purges" ; on leur attribuait des fonctions purificatrices pour le corps de la femme.
Pezze del Marchese (Pièces pour menstruations)
C'étaient des morceaux de tissu absorbant, utilisés jusqu'à la fin des années 50. Les
protections jetables n'existaient pas encore. Ils étaient placés entre les jambes sous la culotte,
attachés par des épingles de nourrice pour retenir le flux menstruel.
Mona
Nom donné au sexe féminin. Les autres appellations étant : fritola, papussa, coca (référence à
la forme de l'embarcation dénommée coca). A la Renaissance, on disait potta, et plus loin
encore pettignone et parussola. L'xpression populaire "Ma va in mona" signifie plutôt
"retourne dans ton pays, va au diable". Le même mot mona peut aussi signifier stupide,
comme dans l'expression "non sta far el mona" (ne reste pas là à faire l'idiot) ou dans la
demande insidieuse "Ti fa el mona ?" (tu fais l'idiot ?).
Une autre expression admirative est "Toco de mona" pour décrire une fille avec les courbes
bien dessinées là où il faut.
Inutile de chercher Calle et Corte Fica a San Pietro di Castello, près de Sant'Anna. Fica est un
autre mot pour désigner le sexe féminin, mais ici c'est seulement le nom d'une famille qui
habitait dans la paroisse au 17ème siècle.
D'implacables moralistes (observe Giuseppe Tassini en 1890 commentant quelques
nouveautés sur les plaques de rue dans Curiosités vénitiennes), par un excès de pudeur
substituèrent le nom Fica par celui moins embarrassant de Catapan, autre résident du quartier.
La cour à quant à elle disparu, faisant place à de nouveaux immeubles.
Le monstre de Venise (film)
Ce thriller, qui va un peu sur le mode transgressif,
réalisé par Dino Tavella en 1964, fut distribué
seulement dans quelques salles trois ans plus tard.
Il obtint un certain succès dans les pays
francophones, en Angleterre et aux USA.
A une époque où le filon horreur à l'italienne
(signé avec des noms anglo-saxons) malgré la
censure qui en interdisait la vision au moins de 16
ans, recevait des prix et où les critiques français
encensaient des metteurs en scène considérés
comme mineurs (Mario Bava, Riccardo Freta et
Antonio Margheriti), la production en noir et blanc
de la Gondola Film passait presque inaperçue.
Et pourtant la revue culte Midi, Minuit
Fantastique lui dédia un article en 1967 et Malia –
roman photo à donner des frissons dans la presse
avec photos de films macabres y consacra son
premier numéro en 1968.
A l'exclusion des effets style grand-guignol, le Monstre, sorti en DVD sur les marchés de
langue anglaise, mériterait peut-être une réévaluation pour les inquiétants thèmes sexuels sur
fond de nécrophilie, à la sauce vénitienne.
En effet l'idée d'un serial killer de jeunes filles, qui les poursuit en homme-araignée nageant
sous la superficie des canaux, marchant sur les quais, prêt à leur sauter dessus et à la entraîner
dans sa crypte apparaît une idée originale.
De plus l'assassin, maniaque, quand il doit en tirer les cadavres endosse une robe de capucin.
Et pour rester dans le ton, avec des squelettes en veste monacale, installés sur des sièges
délabrés, le Monstre cache son visage en mettant un masque de macchabée.
Il adore les jeunes noyées, le dépravé ! Il étend sur un lit immaculé la jeune morte et
l'embaume avec une mixture de sa composition. Il en conserve le corps debout dans une
vitrine en verre. Il murmure des phrases de déconcertante vénération devant les belles non
corrompues, alignées en file comme une collection de papillons.
La cérémonie terminée, il rentre à son hôtel dont il est propriétaire sur le bassin Orseolo où
personne ne porte sur lui de soupçons. Voyeur acharné, il épie ses clients qui se déshabillent
dans les chambres, attaque une caravane d'anglaises pour se refournir en proie et tue un
archéologue, sur les traces d'un monastère disparu, client de l'hôtel.
Sciara, brigadier de police menant l'enquête privilégie l'hypothèse de disparitions
accidentelles. Le journaliste Andrea Rubis, son ami cherche inutilement à convaincre le
commissaire et le directeur du quotidien pour lequel il travaille, que ce sont là les actes d'un
maniaque.
Naît une aventure entre lui et la guide des touristes, miss Morris et il réussit grâce à un
masque sous marin à découvrir le passage secret sous l'eau. Entre temps la curieuse anglais est
entrée dans les catacombes. Il sauve la jeune fille terrorisée par la découverte de la macabre
exposition. Il affronte l'assassin et réussit à s'échapper, conservant la tunique et son masque.
Tandis que les lieux sont inondés, le killer est poursuivi sous les Procuraties nouvelles de
Saint Marc, aux premières lueurs de l'aube et éliminé sur la Piazzetta dei Leoncini.
Le personnage se l'eau qui nage dans les canaux , guettant ses victimes pour les tuer à inspiré
au metteur en scène Dick Maas, le film Amsterdamned, tourné en 1988. Y a-t-il un rapport
avec le fait qu'Amsterdam s'appelle aussi la "Venise du Nord" ?
Muro del pianto
La rive sur le bassin de Saint Marc qui va de la Piazzetta jusqu'aux Giardinetti (jardins
royaux) est citée sur les guides gay italiens ou internationaux et sur les sites internet comme
zone de rendez-vous et de drague. Il est même précisé qu'il faut mieux s'y rendre de nuit. Là,
se concentrent après avoir été expulsés de la zone qui entoure le Campanile de la place Saint
Marc, ceux qu'on appelle les battoni, souvent avides d'argent qui s'offraient entre les années
50 et 80 aux étrangers.
Le rapport hâtif advient sur les bancs qui sont installés le long des Giardinetti, à l'ombre des
arbres.
Une telle dénomination vient sans doute du fait que le lieu était l'ultime possibilité offerte de
se rendre à la recherche d'un partenaire.
Nasa
L'agence aéronautique spatiale n'y a rien à voir. On désignait par ce terme une sournoise
"main morte. Contrairement au visqueux effleurement des rondeurs, la nasa était une traite et
énergique palpation exécutée avec la paume de la main ouverte et le doigt médium pointé à
l'extérieur toujours visant le postérieur féminin
Le grossier et embarrassant, mais parfois plaisant hommage au ferme fondement par des
hommes excités serait aujourd'hui jugé comme harcèlement sexuel. Très connu après guerre,
un petit vieux au regard de poisson cuit, en chapeau, en veste grise et en cravate rouge
bordeaux, même par grandes chaleurs se promenait avec une canne de manière à "effleurer"
les culs des passantes du pont du Rialto.
Mais le plus acharné palpeur, dans la seconde moitié des années 60 était un certain Monsieur
G. qui travaillait dans une entreprise de Murano. Il avait environ 35 ans, quand il entreprit
cette activité de tripoteur de culs. Bel homme, distingué, marie, avec de enfants, la gauloise
entre les dents il suivait avec appétit les derrières qui passaient, spécialement dans les
Mercerie;. Il avait une prédilection pour les françaises. Il les reconnaissait à distance,
affirmait-il, à la façon dont elles bougeaient dans la foule.
Si après avoir touché le postérieur, il y avait un vif signe d'indignation de la part de
l'intéressée ou de celui qui l'accompagnait, il tombait des nues, niant toute implication. "Vous
êtes folle !" répondait-il sur un ton assuré avec sa voix de baryton. Cela ne lui permit
cependant pas d'éviter quelques gifles. Cela ne le décourageait pas.
Nous fûmes témoin du fait qu'il osa même s'attaquer à une jeune religieuse italienne. Contrite,
pendant qu'elle marchait à côté de ses compagnes sœurs. Faisant semblant d'avoir trébuché, il
réussit à tripoter le point juste sous la soutane, ayant l'obligeance de se répandre en excuses
pendant qu'observant qu'on l'avait vu, il nous lançait un clin d'œil.
Playboy
Le prince géorgien Alexis Mdivani ne se trompait jamais dans ses choix. Son père exhibait le
titre d'aide de camp du tsar Nicolas II. Et les cinq enfants de la famille, filles ou garçons
étaient spécialisés dans la chasse à la dot. La plus grasse possible.
Né en 1907, à dix ans, Alexis fuit la révolution bolchevique avec sa famille, il arrive aux Etats
Unis et est introduit dans la haute société new-yorkaise, avide de connaître des gens qui
portaient un titre. Il a un coup de foudre pour Louise Astor Van Alen, 21 ans, nièce de John
Jacob, fondateur de l'American Fur Company mais aussi copropriétaire du Waldorf-Astoria
Hotel. Il l'épouse en 1931. Mais il réussit son coup de grâce, quand deux ans plus tard,
fraîchement divorcé , il se remarie à Paris avec l'héritière Barbara Woolworth Hutton selon le
rite civil et religieux orthodoxe. Ce 20 juin, au Ritz, c'est une réception à 25000 dollars et le
cadeau de noces de Barbara est une écurie de poneys dressés pour le polo, tandis que lui, lui
offre un collier de jade. La chroniqueuse, rapporteuse de faits divers mondains, Elsa Maxwell
raconte dans son autobiographie "J'ai épousé le monde" (1957) leur rencontre à Biarritz : le
prince est en voyage de noces avec la première milliardaire quand, à la veille d'une fête
donnée par le couturier Jean Patou, étant descendu de sa Rolls ornée d'un voyant écusson, il
négligea sa femme et les soixante invités dans la salle pour aller bavarder, en cet après-midi
étouffant avec la disgracieuse et renfrognée Barbara, 19 ans. La Maxwell, dans l'intention de
la distraire, intervint en lui demandant si elle voulait rejoindre des jeunes de son âge dans la
piscine. Elle secoua la tête ne détachant pas son regard de Mdivani. Soudain, le prince regarda
l'heure, se leva du fauteuil et dans même saluer la maîtresse de maison, ni les autres invités,
s'en alla suivi de sa femme Luisa, silencieuse.
Alexis Mdivani avec Barbara Hutton
Serge Mdivani avec Pola Negri, 1927
Selon les chroniques mondaines, le prince était amoureux de Barbara depuis cinq ans, la
suivant jusqu'au Siam, en espérant obtenir sa main.
Des voix malveillantes insinuèrent que ses frères et lui même s'étaient inventés des titres de
noblesse et que la Principauté dont ils se prétendaient n'était qu'une ferme, élevage de porcs, à
Tiflis en Géorgie. Les Mdivani auraient jeté la faute sur Lénine et ses compagnons pour avoir
été dépouillés de leurs biens familiaux.
David, frère d'Alexis, avait épousé en 1926, l'actrice Mae Murray, célèbre à l'écran pour son
interprétation de la Veuve Joyeuse d'Eric von Stroheim, la ruinant financièrement. Elle l'avait
cherché…prétendant à un titre comme sa rivale Gloria Swanson ! L'autre frère Sergeij
Mdivani, lui aussi coureur de riches divas épousa l'année suivante Pola Negri, ex-flamme de
Rudy Valentino. Un des sœurs, enfin, la fascinante Isabella Roussie Mdivani, qui cultivait un
attachement morbide, sinon incestueux à son frère Alexis, arrivée à Hollywood pour sculpter
des bustes de célébrités cinématographiques épousa le peintre catalan José Maria Sert en
1926.
Lors de leur lune de miel à Venise, Alexis et Barbara allèrent habiter un logement voisin de la
Salute, au nom typiquement vénitien innommable par superstition. Ce n'était pas comme on
pourrait le penser la Ca' Dario. Para ailleurs, il était stipulé sur le contrat de mariage la somme
(inconnue) qui lui reviendrait si elle mourait la première. Voilà ce qu'on peut lire dans livre de
Maria Damerini, "Les dernières années du Lion 1929-1940", publié à Venise en 1988.
Le mariage avec le playboy dura à peine deux ans, et ils divorcèrent en 1935.
Des six maris de Barbara Hutton, parmi lesquels le dieu cinématographique Cary Grant, le
prince géorgien est le seul vrai amour de la milliardaire.
La maison voisine de la Salute resta en usufruit à Alexis, qui fin juillet de la même année y
passa quelques jours.
Après des travaux de restauration, il écouta les conseils de ses architectes pour la décoration
interne du délicieux édifice, qu'il avait déjà choisi comme lieu d'un prochain long séjour à
Venise. C'est ce que disait La gazzetta di Venezia du 3 août, racontant la mort du prince lors
d'un accident d'automobile, le matin du 1er août en Espagne.
Il quittait la villa de Palamos, en Espagne, cadeau de son beau frère Sert à sa sœur Isabella, et
accompagnait dans sa Rolls son amie de cœur, la baronne Maud Von Thyssen-Bornemisza,
héritière d'aciéries allemandes, pour aller à Perpignan, en France. A 150 km/h la voiture
heurta une borne romaine et se renversa. Mdivani mourut sur le champ et Maud s'en tira,
restant défigurée.
Les rumeurs de vol de bijoux sur les lieux de l'accident furent ensuite démenties.
Il semble que la propriété de la maison de la Salute passa ensuite à José Sert, le mari
d'Isabella. Inconsolable de la mort de son frère, Isabella abusa de barbituriques jusqu'à se
suicider en 1938.
L'ambassadeur Porfirio Rubirosa ne devait pas être superstitieux, coureur automobile et
tombeur de femmes (riches). Né à Santo Domingo en 1909, il passa son enfance et son
adolescence à Paris.
Selon les confidences d'une de ses cinq femmes, sa virilité mesurait 5 pouces de
circonférence. "Une pompe couleur café au lait longue de 30 cm, épaisse comme un poignet
d'homme". Ainsi la définit l'écrivain Truman Capote dans son roman Preghiere esaudite,
publié posthumément en 1987. C'est pour cela que Ruby fut couronné "roi de tous les amants
du monde". En plus des milliardaires dont il avait été l'amant ( Doris Duke, après 13 mois
d'union demandant 200 millions de dédommagement à cause des préjudices portés à sa
carrière diplomatique), son carnet de playboy compte des noms célèbres : Zsa Zsa Gabor,
Rita Hayworth, Ava Gardner, Kim Novak…L'actrice française Danielle Darrieux l'épousa en
1942, pour le quitter cinq ans plus tard, se lamentant qu'il avait dilapidé sa fortune. Et pour ne
manquer de rien, Rubirosa picora aussi du côté des politiques, ayant des relations avec Eva
Peron, femme du président d'Argentine et la princesse Soraya, ex impératrice répudiée par le
shah d'Iran.
"Travailler ? Dieu m'en garde ; je le ferais si j'avais le temps", répondit-il à la demande d'un
journaliste.
Rubirosa comme son prédécesseur Mdivani, était le représentant d'une classe sociale qui
trouvait vulgaire d'avoir une profession, exigeait les bonnes manières et considérait que les
titres de mérite se conquièrent sur le terrain sportif et les rapports diplomatiques en courtisant
les femmes. Si l'argent comptait, comptaient encore plus la manière de se comporter et les
fréquentations.
A Venise, durant sa lune de miel avec Barbara Hutton en 1953 (pour elle, c'était le cinquième
mari – et cela dura 53 jours parce qu'elle découvrit qu'il aimait la Gabor) le couple allait du
Harry's Bar au Ciro's Bar dans la Calle Larga XXII Marzo et au restaurant La Grotta, derrière
la place Saint Marc.
Dans ces années où la jet set se réunissait dans la cité lagunaire, on rencontrait Truman
Capote, Ernest Hemingway, Igor Stravinsky, de nombreux artistes, intellectuels gay, alors
appelés "dégénérés" aux crochets desquels vivaient de nombreuses personnes.
Ruby et Hutton séjournèrent dans la maison "innommable" et puis volèrent vers d'autres
cieux.
Le playboy revint à Venise en 1963 avec son épouse française Odile Rodin, épousée en 1956
quand il avait 47 ans et elle 19, mais ils dormaient à l'hôtel.
Souvenir personnel : le couple était entré dans un négoce de verres de la place Saint Marc, où
nous étions attachés aux relations publiques. Après les banalités d'usage, nous les invitâmes à
visiter le siège central derrière la basilique. Ruby acheta à Odile un collier de cristal. En
sortant, il lui serrait la main tandis qu'elle souriait.
La nuit du 5 au 6 juillet 1965, ayant bu du champagne pour fêter la victoire de la coupe de
France de polo et une dernière bière sur les Champs Elysées à une fête d'anniversaire,
Rubirosa se mit au volant de sa Ferrari gris métallisé, modèle de compétition. Au bois de
Boulogne, il heurta une BMW garée, effleura un cycliste et sortit de la route s'écrasant sur un
arbre. Il mourut sur le coup, thorax enfoncé et vertèbres cervicales brisées, comme le prince
Mdivani, 30 ans avant.
Peu après la mort de Rubirosa, une femme de 35 ans, considérée comme son alter ego, se
suicida en avalant des barbituriques dans son propriété de Versailles, la très belle exmannequin Nina Sheila Dyer.
Nina Sheila Dyer
"Celle qui épousait seulement les milliardaires est morte seule" écrivirent les journaux,
laissant une fortune et de nombreux bijoux. Née à Ceylan, fille d'un planteur de thé, elle
devint mannequin dans la ville Lumière pour le couturier Pierre Balmain.
En 1950, elle fréquentait la côte d'Azur où elle participait à des fêtes, et aussi Venise où elle
arriva à bord d'un yatch et loua pour une semaine une maison à côté de la Basilique de la
Salute;
Malgré des médisances sur d'occasionnelles tendances saphiques, à 23 ans, elle se fiança avec
le baron Hans Von Thissen-Bornemisza, le roi de l'acier et grand collectionneur d'art, qui
laissa sa femme pour elle. En cadeau, Nina reçut deux automobiles de grand luxe, une
panthère noire et pour célébrer la Saint Valentin une île des Caraïbes contenant des éléphants
blancs. Ils s'épousèrent en juin 1954 et se séparèrent trois mois après. Dans un night-club
parisien, le baron frappa un acteur désargenté, depuis longtemps amant de sa femme. Ils
divorcèrent dix mois plus tard et il lui donna un milliard de francs français et un château.
Le second mariage de la top model fut célébré en 1957 avec le prince indien Sadruddin Aga
Khan. Il dura 5 ans mais se liquida par un divorce, divorce qui cette fois ne rapporta que 750
millions de francs. Disparue des chroniques mondaines, sans avoir eu d'enfants, Nina finit en
ayant une vie réservée et son suicide fut rendu public quand le cortège funèbre quitta le
château.
La mauvaise renommée de la demeure sur le Grand Canal devait être assez largement
répandue à Venise. A la fin des années 50, l'industriel Gino Cenedese qui gérait une entreprise
de verre artistique au palais Genovese entendait la transformer, avec le portier de l'hôtel
Bauer-Gründwald, en hôtel restaurant. Ayant connaissance des malheureux précédents,
chacun se retira du projet. En 2005, l'entrepreneur d'habillement qui l'avait acquise, mourut à
moins de 50 ans d'un infarctus. Les deux habitations auxquelles on attribue de porter malheur
sont peu distantes l'une de l'autre. L'une, la Ca' Dario a toujours été propriété d'homosexuels ;
l'autre, dont on taira le nom a surtout été occupé par des prédateurs d'alcôve.
Prostitution
Concentrée dans la zone de commerce du Rialto, avec la complicité des aubergistes, des
taverniers et des hôteliers de San Matìo, les professionnelles de l'amour mercenaire finirent,
par décret en 1360, dans le Castelletto, quartier rouge situé aux confins de San Polo : zone
centrale de la cité et donc une décision en opposition avec les tendances de l'époque qui
voulaient que les prostituées restent en dehors du centre. Le Castelletto était sous la direction
de six gardiens chargés de l'ordre public, commandés par les Chefs de Quartier, tandis que les
entremetteuses contrôlaient le va et vient des clients et administraient les bénéfices.
Après un siècle, tandis que la Sérénissime conquérait de nouveaux marchés en Orient et
s'étendait sur la terre ferme, les prostituées élargissaient leur business, se fichant totalement
des anciennes règles. Elles étendirent les lieux où elles attiraient les clients et un trafic de
macro et des auteurs variés sont suivis. Les autorités serrèrent les rangs et tentèrent d'imposer
au cours des années suivantes, par l'intermédiaire des Chefs de Quartier, une nouvelle
concentration. le nouveau Castelletto, entré en fonction en 1460 avec le Capitula postroboli
Rivoalti et super facto meretricum, servit à bien peu de choses. En 1495, les Avogadori de
Comun exhortèrent les Chefs de Quartier à faire réentrer les prostituées dans la zone du
Rialto. Peine perdue parce que la profession, étant donnée la concurrence des éphèbes avec
besoin d'une logistique mobile.
Màmole, c'était le terme botanique par lequel on désignait, à cette époque, les femmes
publiques qui se distinguaient les unes des autres par leurs manières, leurs beautés et leurs
tarifs..
Autres termes employés : meretrice, femina inhoneste, femina male vitae, peccatrice ou
l'expéditif carampane, encore utilisé aujourd'hui pour désignée une vieille prostituée.
Au 16ème siècle, le nombre des prostituées est considérable. Mais le chiffre donné par Marin
Sanudo dans ses Diarii, paraît excessif : 11654.
Malgré les punitions corporelles, la mise au pilori et les exodes forcés, l'activité du vice était
en plein essor. Et curieusement exempte d'impôt, fait exceptionnel dans toute l'Europe. Si les
femmes malhonnêtes, dont la présence étaient bien acceptée par les aubergistes, avec des
salles de bal et des petites chambres à l'étage supérieure, tentaient d'appâter le client dans les
débits de vin publics, il en résultait une augmentation de la consommation d'alcool et en
conséquence des revenus que tirait l'Etat de la vente d'alcool.
Entre le 16ème et le 17ème siècle, s'impose le phénomène des courtisanes, classe privilégiée,
fréquentées par des hommes de pouvoir, intellectuels et artistes tandis que la catégorie "basse"
se divisait en sous catégories : meretrice somptuosa, meretrice honesta, senora, donna
honorata ou puttana tout court.
Un bizarre touriste de l'époque élisabéthaine, Thoma Croyat, venu à pied de Grande Bretagne
jusqu'à Venise fur un des premiers à documenter le phénomène dans son livre Crudezze
(Cruautés – Voyage en Italie et en France, 1608). Dans le chapitre "Ce que j'ai vu dans la très
glorieuse, l'incomparable, la virginale (sic!) Venise", il écrit : "le nombre des courtisanes
vénitiennes est très élevé. Je crois qu'il y en a dans toute la ville et les communes
environnantes, Malamocco, Murano…environ 20000 dont certaines sont estimées tant
licencieuses qu'elles ouvrent leur porte flèche à toute flèche".
Elles devaient cependant, en certaines périodes, se soumettre à de sévères règles. Il leur était
interdit de posséder une maison et d'interpeller le client en gondole sur le Grand Canal,
d'endosser des manteaux blancs qui étaient réservés aux jeunes filles et de porter des bijoux
de l'or et des perles (même fausses).
Jean Dumont, dans son récit "Nouveau voyage du Levant", décrit à la fin du 17ème le
commerce obscène des adolescentes vierges offertes sur la place Saint Marc, comme sur une
foire ou un marché. "Toutes les mères qui veulent se débarrasser de leur fille, les portent
régulièrement, chaque jour en ces lieux où elles peuvent être observées et où il est possible de
leur trouver un amant…Il n'y a rien de plus fascinant que ces petites créatures, la plupart d'une
grande beauté. Et quand son cœur parle une jeune fille n'a juste qu'à parler à sa mère qui
arrangera les choses avec son admirateur. Mais il s'agit à chaque fois de marchandise plutôt
chère. On ne peut pas aller au lit avec un vierge pour moins de 150 écus, exactement le coût
d'un logement pour une année entière. Pour 200 écus, on peut choisir dans la ville toute
entière parmi des filles qui ressemblent à de véritables anges. Pour le reste, on n'achète jamais
les yeux fermés : on visite, on touche, on palpe ; bref, avant de conclure l'affaire on veut se
rendre compte si la jeune demoiselle plait. Pour la virginité, il suffit que sa mère s'en porte
garant et on croit à sa parole car on est convaincu qu'il s'agit de chose sur laquelle on ne peut
mentir…Il y en a même qui aspirent seulement à trouver un homme qui les entretiennent, tout
en préservant leur virginité. Pour le reste, elles n'ont pas trop de scrupules. J'ai connu une
dame qui avait trois filles. les deux plus âgées étaient des courtisanes publiques mais la plus
jeune est une de celle qui se définit una pattam, una virgine, même si elle avait été au lit avec
au moins 100 hommes. Cependant pour chaque dépucelage, elle demandait au moins 200 écus
A dire vrai, elle le méritait parce que si belle!".
Certaines courtisanes finissaient par se marier, recherchées surtout par les artisans, après avoir
amassé une dot de 700-800 écus pour faire fermer un œil (ou les deux) sur leur passé.
D'autres continuaient à vendre leurs grâces avec une ristourne, refusant la qualification de
putain et acceptant l'euphémisme de "dame d'amour".
Au 18ème siècle, les conditions de ce marché changèrent peu et le philosophe Rousseau, qui se
lamentait toujours, après de désastreuses rencontres tarifées, entretint une nymphette de 12
ans qu'il partageait avec un associé, prêts à en profiter dès qu'elle aurait atteint le bon âge.
Entre fêtes, corruptions, carnavals, banquets joyeux, la décadence menaçait.
Un précurseur de la libération du métier est le patricien "poète priapique", Zorzi Baffo.
Dans un sonnet "Décret pour réclamer les putains", il invite les autorités à ne pas interdire
l'exercice d'une telle profession et même à tolérer les maquereaux des deux sexes qui
l'exploitent. Au fond, le paradoxal Baffo affirme que les prostituées contribuent à l'ordre
social, à la paix des familles et évitent que les femmes mariées négocient leur propre corps,
servent de remède à la lubie masturbatoire de l'amour platonique et, fondamental, augmentent
l'activité productive et intellectuelle des mâles excités.
L'homme de lettres libertin Da Ponte, connu surtout comme librettiste des chefs d'œuvre de
Mozart, Don Juan, Les Noces de Figaro et Cosi Fan Tutte, était du même avis. Ayant
prononcé les vœux religieux en 1773, il rencontra des ennuis avec la censure pour quelques
vers jugés trop "illuministes". A Venise où il séjourna entre 1776 et 1779, il causa un scandale
suivant dans les églises les belles dévotes pour les plier à ses libidineuses volontés et surtout à
cause du "rapt de dames honnêtes, adultères et concubinages publics"
Qu'allait-il chercher cet homme d'église hardi ! Il habitait près du pont du Rialto, dans la
maison d'un tailleur, avec la femme de celui-ci, Angiella Melli (qui à dix ans consentait déjà à
des complaisances immodestes avec le jeune voisin d'en face, se mariant à quinze ans déjà
enceinte et collectionnant les amants après le mariage), sa belle-sœur, sa belle-mère et même
la mère de celui-ci dans un appartement réservé aux femmes. Le curé de San Giovanni
Elemosinario, appelé à témoigner au procès intenté à Da Ponte par les Esecutori contro la
bestemmia (Exécuteurs contre le blasphème), définit le sieur comme de très mauvaises
mœurs.
Le tribunal condamna Da Ponte à quitter la ville et toutes les autres villes de la région sur la
terre ferme pour 15 ans. Mais qu'avait-il fait de transgressif ?
Dans le bordel familial, surtout pendant les repas où Da Ponte jouait du violon, endossant une
soutane, les hommes payaient pour entrer et les femmes se donnaient comme marchandise.
Lui courait derrière toutes les soutanes jaloux de son amante Anzoletta, dont il eut trois fils.
L'année suivante, à l'arrivée de Napoléon (lequel mit fin à la République en 1897), en France,
le Directoire proclame le premier acte de la réglementation de la prostitution. Ce règlement
développé par Bonaparte lui-même à travers le règlement de police de 1804 fut perfectionné
sous Louis XVII au moyen d'un décret dont s'inspirèrent les pays d'Europe dont l'Italie. Les
mignotte (prostituées) de haut bord, courtisanes appelées ensuite horizontales puis demimondaines, étaient absentes de Venise au 19ème siècle par manque de moyens économiques.
Œuvre sordide, La Lettre à la Présidente (Voyage en Italie, 1850) permit au français
Théophile Gautier (1811-1872), auteur de Mademoiselle de Maupin et du Capitaine Fracasse,
devenu prédateur sexuel à bon marché, de raconter ses expériences avec de vulgaires putains
qui jouent le rôle de dames de petite vertu. Lui et son compagnon de voyage, Louis de
Cornemin, se laissent entortiller par un entremetteur rencontré place Saint Marc qui leur
promet une somptueuse courtisane et les emporte, de nuit, à travers des ruelles mystérieuses
devant une prostituée décrépie. Se voyant refusé l'offre, l'homme hausse le ton, crie à travers
les ruelles et sur les ponts invitant les demoiselles des alentours à venir satisfaire les envies
des visiteurs étrangers, recevant en échange une volée d'injures.
De manière inattendue, ils rencontrent quelques jours après une belle jeune fille dans une
bijouterie, qui ferait se retourner tout le monde même aujourd'hui, époque de temps déluré :
"chemisette, un châle dont la pointe descendait jusqu'aux fesses, sans bas, sans chaussures, la
poitrine au vent, un regard qui vous faisait tourner sept fois la tête, une bouche qui semblait
avoir une triple denture comme celle des requins et sur la nuque, un chignon entouré comme
par la chaîne d'une ancre".
Après une dispute avec le commerçant pour un anneau, Gautier le lui offrit et l'invita chez lui.
Sans préambule, Gautier et son ami se la jouèrent à pile ou face.
L'écrivain perdit et dut se contenter de regarder. La "joyeuse épouse" devait appartenir à la
catégorie des désinvoltes professionnelles parce qu'elle "s'humidifia le doigt dans la bouche,
se le passa sur la fente inférieure pour lubrifier ses grandes lèvres, rendre accueillantes les
petites lèvres et bien glissantes les parois du vagin, en somme pour faciliter l'entrée
triomphale du membre de mon ami". Lors de la seconde visite, la jeune fille amena avec elle
une amie de 18 ans, "blonde, au teint rosé, aux traits réguliers, à la physionomie douce et
triste, assez gracieuse en somme, et mis à part des dents irrégulières, trop anglaise pour une
vénitienne". Le chichiteux Gautier avec ses mains très effilées entre dans le café des Deux
Colonnes au fond duquel se trouve une petite salle pour les consommateurs, tout en écoutant
l'histoire de sa vie. elle était ballerine figurante à la Fenice quand un bombardement avait
obligé le théâtre à fermer, interrompant sa carrière. L'auteur commenta alors avec cynisme
:"Ne pouvant plus montrer son cul en public, elle le montrait en privé". Gautier s'étend alors
sur le sexe de l'ex danseuse, le décrivant " assez petit, pourvu de poils courts droits et denses
comme le feutre, ou les poils d'un cou de canard. Je lui ai tiré hors du corsage qui avait déjà
quelques lacets desserrés les seins. Ils étaient gros, assez fermes, très blancs, avec des veines
bleutées, pourvus d'un petit bouton rosé entouré d'une grande auréole couleur hortensia". Il
aurait voulu passer au concret, mai sachant que la pauvre créature était un peu enceinte d'un
militaire, avec le prétexte que "jamais l'armée autrichienne ne se retire", il se contenta d'un
service manuel bien exécuté.
Voici un extrait du texte exact :
Rome, ce 19 octobre 1850
Présidente de mon cœur,
Cette lettre ordurière, destinée à remplacer les saloperies dominicales, s'est bien fait
attendre, mais c'est la faute de l'ordure et non celle de l'auteur. La pudicité règne en ces lieux
solennels mais antiques, et j'ai le grand regret de ne pouvoir vous envoyer que des
cochonneries breneuses et peu spermatiques. Je vais procéder par ordre de route.
A Genève, …
A Domodossola,…
A Milan,…
De Milan à Venise, je n'ai rien de priapique à dire, sinon une atroce érection causée par la
masturbation d'une voiture mal suspendue dont les coussins me branlaient l'entrecuisse d'une
façon dépravée…
Voici nos aventures à Venise. En regardant des jaserons dans une boutique, nous vîmes une
jolie fille en chemise, vêtue seulement d'un bout de châle dont la pointe lui baisait le cul;
point de bas, des savates au pied, le téton au vent, un œil qui lui faisait sept fois le tour de la
tête, une bouche qui semblait avoir trois rangées de dents comme les requins et, à la nuque,
un chignon composé d'un tas de nattes enroulées comme une chaîne d'ancre sur le tillac d'un
vaisseau à trois ponts. Elle s'engueulait avec le bijoutier à propos d'une bague en or creux…
Elle jurait et sacrait par le corps de Bacchus et le sang de Diane; enfin, elle était en fureur et
charmante. Nous lui achetâmes sa bague et je lui dis de venir à la maison sous prétexte de
portrait. Elle vint deux ou trois jours après et j'en fis un bout de pastel qu'elle emporta. La
connaissance était faite, mais nous étions deux contre une… Nous tirâmes la jeune fille à pile
ou face. L. gagna, et en conséquence fut heureux.
Voir son bonheur, ci-joint, décrit par lui-même en style des dieux. - J'ajouterai seulement ce
détail, qui semble indiquer une virginité douteuse : à l'heure du berger, au moment suprême,
quand le jeune couple s'apprêtait à trinquer du nombril, la jeune épouse se mouilla le doigt
dans la bouche et se le passa dans la fente inférieure, pour lubrifier les grandes lèvres,
savonner les nymphes, rendre glissantes les parois vermiculaires et faciliter l'entrée
triomphale de la pine de mon ami. Je jouai, dans cette scène amoroso-mélancolique, le rôle
de l'esclave cubiculaire de l'antiquité, tenant, d'une main, la chandelle et de l'autre ma queue.
Aussi, la belle enfant, touchée de mon sort, amena, à la seconde visite, une amie âgée de dixhuit ans «comme un vieux bœuf» blond roux, les traits réguliers, la physionomie douce et
triste, assez jolie en somme, sauf des dents désordonnées, trop anglaises pour une Vénitienne
qui était de Turin. Pendant que je jouais, auprès d'elle, le rôle de Mr Grimpe-aux-cuisses,
candidat politique, rival de Mr Croque-ma-joue, c'est-à-dire pendant que mes mains, doigtées
en crabe et faisant pattes d'araignée, se rendaient au café des Deux Colonnes au fond duquel
se trouve l'estaminet du Sapeur, cette beauté me raconta une histoire qui ne ressemblait pas à
celle de Julie. Elle était danseuse figurante à la Fenice, mais le bombardement avait fait
fermer le théâtre et interrompu sa carrière chorégraphique, et ne pouvant plus montrer son
cul en public, elle le montrait en particulier. Son con, assez petit, était fourré d'un poil court,
droit et serré comme du feutre ou le poil d'un col de chien; je lui fis sortir les tétons de son
corset, dont quelques lacets étaient desserrés; ils étaient gros, passablement fermes, très
blancs, veinés de bleu, avec un petit bout rose entouré d'une grande aréole couleur
d'hortensia. Le lait qui les gonflait leur donnait un air de téton Rubens qui eût charmé
Boissard et ne me déplaisait pas.
J'ai oublié de dire que la pauvre créature était un peu enceinte, sous prétexte que l'armée
autrichienne ne se retire jamais… quand elle baise, et que les Hongrois ne sont pas
hongres…. Quand je tripotais le con et le cul de la respectable mère, le fœtus, renfermé dans
le petit ventre potironiforme de l'ex-danseuse, sachant ce que cela voulait dire et habitué à de
pareils préludes, sautelait, sous son enveloppe blanche, comme un crapaud sous une
serviette, et se rencognait au fond de la matrice pour éviter les coups de pine. De même, un
chat qu'on poursuit sous un lit avec un bâton se colle à la muraille et se pelotonne
piteusement. Sa tête faisait une petite bosse dans le flanc maternel. Je me demandai si je
fourgonnerais ce fœtus injecté par une seringue autrichienne. Si j'avais été sûr que ce fût une
fille, j'aurais assez volontiers cueilli ce pucelage dans le con de sa maman; mais j'eus peur,
étant en Italie, que ce fût un petit pédéraste, un giton embryonnaire, un bardache précoce, un
bougre anticipé, qui me tendît le cul avant l'âge, et me conduisît à son anus par le vagin
maternel. Il faut dire aussi que les treize redingotes anglaises étaient dans la poche de L. et la
quatorzième à son membre impérial et triomphant; de vagues visions de capsules gélatineuses
et de racine de fraisier dansèrent devant mes yeux et je mis délicatement dans la main de la
jeune personne ce qu'elle pensait que j'allais lui mettre au cul; mon index, ou plutôt mon
doigt annulaire convenablement salivé s'introduisit entre les babouines de sa nature, et
quelques frictions voluptueuses sur les petites feuilles du clitoris développèrent bientôt cet
intéressant organe.
Cette jeune élève de Terpsichore, aussi adroite de ses mains que de ses pieds, ramena, avec
un mouvement lent d'abord puis plus précipité, la peau de mon prépuce d'avant en arrière et
d'arrière en avant, sur un rythme qui ressemblait à un air de Giselle, et cet exercice répété
quelque temps amena chez elle une eau claire, une mousse limpide et blanche, et, chez moi,
un sperme épais, gluant, plein de grumeaux, et qui avait l'air, dans le creux de sa main, d'un
pot de gelée de pommes de Rouen renversé...
Avant de quitter Venise, ils rencontrent aussi une désinvolte putain nommée Vicenza (son
pays d'origine ?), laquelle de la manière la plus imperturbable du monde lui "faisait gonfler les
habits à la hauteur du cul". La Lettre de Gautier, espèce de divertissement obscène, fut lue à
haute voix dans les salons de Madame Aglaé Joséphine Sabatier, rue Frochot à Paris, avant de
partir pour l'imprimerie du musée secret du Roi de Naples. Le salon était aussi fréquenté par
Flaubert et Baudelaire. La lecture eut un considérable succès.
Aujourd'hui, les lieux du tourisme sexuel ont changé. Les call girls sont exploitées par des
maquereaux ou de raffinées escort girl au service de riches clients et toujours divisées en
catégories selon l'âge et le charme, continueront à entreprendre leur commerce lucratif. Selon
le lieu commun, la profession est bien la plus vieille du monde.
Recia, Recion
Le mot vient de recchione ou orrechione (grande oreille), d'origine sémantique méridionale. Il
indique celui qui, au Moyen Age, étant accusé de sodomie, passait devant le tribunal et qui
immanquablement était condamné à avoir la tête tranchée puis brûlé (feu purificatoire), à
moins qu'il n'ait des protections politiques. A la fin de la seconde moitié du 15ème siècle, le
conseil des Dix s'employa à réprimer le péché contre nature et au début du 16ème, instruisit de
nombreux procès pour tenter d'endiguer la prostitution masculine organisée. Souvent les
condamnations étaient plus légères que prévues et des déclarations des accusés, on comprend
que la sodomie constituait pour eux un défi existentiel. Pratique qui, dangereusement,
entendait dépasser la normalité des rapports hétérosexuels imposés par la Sainte Mère
l'Eglise, en préférant une forme individuelle d'affirmation personnelle.
L'Humanisme redécouvrit les auteurs grecs et latins, presque tous aux tendances pédophiles
ou inverties et décida de valoriser à travers la presse où n'existait pas alors la censure, la
"diversité" dans la littérature et les mœurs arrivant à l'outing (procédé de déclaration publique
de l' rientation sexuelle d'une personne qui souhaite la garder secrète) d'artistes et
d'intellectuels.
A l'époque c'était la mode des déguisements. Ainsi les jeux aventureux et festifs mêlaient
toutes les catégories sociales dans une totale confusion des rôles. Des hommes compassés
portaient des bijoux, des femmes endossaient des habits d'hommes pour permettre à leurs
instincts violents de se défouler, des courtisanes sortaient vêtues comme les nobles dames et
les nobles dames sortaient habillées comme des putains. De pudiques religieuses laissaient
tomber leur chevelure, en espérant tirer quelque jouissance de leur fuite du couvent.
"Le vice indicible, crime de sodomie attire sur la cité toute entière le courroux divin, comme il
le fit sur la cité de Sodome..;" rappelait quelques chapitres introductifs à la législation
vénitienne sur le phénomène qui s'étendait.
Il arriva alors quelques catastrophes, éléments incontrôlables de la nature. Les homosexuels
en furent dénoncés comme responsables.
Le patricien et banquier Girolamo Priuli, dans son Giornale du 16 mars 1551 écrit : "Ce jour,
mercredi à 20h30, ici, à Venise, il y eut un grand tremblement de terre, le temps d'un Miserere
et même plus, qui fut la plus grande secousse connue de mémoire d'homme, terrorisant tout le
monde". Il rappelle que le patriarche Antonio Contarini y vit le phénomène d'un châtiment
divin contre l'immoralité ambiante.
"J'énumèrerai les plus graves péchés. Le premier et le plus grave, les violences et les grandes
soirées malhonnêtes dans les Monastères, devenus des lupanars publics, ouverts aux
effrontées prostituées. En second je citerai la sodomie, amplement et ouvertement pratiquée
par tous et particulièrement par les vieux".
Citons les paroles du prêtre et écrivain Giambattista Gallicciolli dans ses Mémoires
vénitiennes profanes et ecclésiastiques. il en ajoute une dose :" Au 16ème siècle, on brûlait sur
un bûcher entre les deux colonnes ces scélérats".
Au siècle suivant, la peine de mort fut plus rare ou servit de dissuasion en matière de
répression.
Le voyageur historiographe Jean Dumont dans Nouveau voyage du levant par le Sieur D.M.
contenant ce qu'il a vu de plus remarquable en Allemagne, France Italie et Turquie dit
méchamment : "bien qu'il soit facile d'avoir commerce avec ces femmes et bien qu'elles
soient merveilleuses, vous pouvez me croire si je vous dis que les vénitiens les méprisent et
préfèrent s'attacher à un garçon, même s'il est laid comme un singe plutôt que de s'attacher à
une de ces splendides filles. Il s'agit du vice prédominant dans le pays. ils consacrent leur
temps et leur argent pour assouvir leur horrible passion. Il y en a qui vont jusqu'à payer des
porteurs ou des gondoliers pour le sodomiser. Toutes leurs actions n'ont que ce but. Tandis
qu'en France, lorsqu'on discute entre deux hommes, on parle femmes, ici on parle d'attraction
pour d'autres hommes".
La légende métropolitaine à posteriori permet de comprendre le surnom donné à un
homosexuel, celui de finocchio (fenouil). On mélangeait cette plante aux bois que l'on mettait
sur le bûcher pour couvrir la mauvaise odeur de chair quand on brûlait un condamné. On
aurait aussi étendu son emploi lors des autodafés. Les corps brûlés des hérétiques, sorcières,
assassins dégageaient certainement la même odeur
On comprend mal par quelle délicatesse on était pousser à éviter de faire respirer aux
spectateurs de la combustion des sodomites l'odeur qui s'en dégageait.
Plus banal, le végétal mâle, à consommer cru et assaisonné présente une rondeur saillante et
ferme qu'on peut associer à l'organe des homosexuels.
A la première moitié du siècle dernier, une abondance de terme désignait l'homosexuel :
pédéraste, inverti, appartenant au troisième sexe, à la bande du trou, frocio ,ou finocchio.
Aujourd'hui, ils sont remplacés par le mot anglais devenu international gay.
Les mots vénitiens pour désigner les homosexuels sont les mots suivants désuets : sgorla (
peut-être dérivé du trafic existant dans les vespasiennes, manipulation du membre viril), sfeso
et pèpia, phonétiquement proche de recia.
Plus sophistiqué le mot settembrino, réservé aux homosexuels cultivés et aisés qui arrivaient
du monde entier pour un rendez-vous tacite mais immanquable dans les années 50, au mois de
septembre, époque de la Biennale d'Art, du festival de cinéma et d'autres manifestations
culturelles. Le Ciro's Bar de la calle Larga XXII Marzo était un lieu de rencontre, fréquenté
par l'élites des homosexuels, mais pas seulement.
" A Venise, fleurissait un snobisme du cosmopolite et même du cosmopolite transgressif,
parce que de fascinants personnages privés de toute moralité s'y donnaient rendez-vous,
chaque année, avec une ponctualité qui leur valaient l'appellation de settembrini" écrivit
l'anglaise Violet Trefusis, lesbienne dans le Dictionnaire du snobisme à la parole Italie,
illustré par Philippe Jullian en 1958
Marquis de Sade, Donatien-Alphonse-François (1740-1814)
Il l'avait bien chercher, le divin marquis. Ayant provoqué un scandale à Marseille (excès de
violence durant une orgie avec quatre prostituées qui le dénoncèrent fin juin 1772), il fut
condamné le trois septembre à la peine capitale pour empoisonnement et actes contre nature
par le tribunal d'Aix-en-Provence.
Par contumace, parce qu'en juillet, se sentant menacé, il se réfugia au château de La Coste en
Provence, accompagné de son valet, mais aussi complice et de sa belle-sœur, 19 ans, AnnePrsopère de Launay de Montreuil, novice dans un couvent de sœurs bénédictines, rencontrée
l'année précédente. Amour partagé, échange de messages débordants, un chaste promesse
avec la jeune fille, il réussit à la convaincre de le suivre, la faisant passer pour l'épouse du
comte Luis de Mazan, son pseudonyme. Ils traversèrent incognito la frontière du royaume de
Sardaigne autour du 20 juillet et trouvèrent refuge après un voyage de deux semaines dans la
Sérénissime République. Le couple semble avoir trouvé un logement près du Scudo di
Francia, aujourd'hui Ca' Farsetti, siège de la mairie.
Sade profite de sa fuite pour connaître le patrimoine artistique de la cité lagunaire, visitant de
nombreuses églises (dans l'île Saint-George, il resta impressionné par l'immense tableau les
Noces de Cana de Véronèse, installé dans le réfectoire) et rencontrant quelques personnalités
de la noblesse locale. Dans son livre Voyage d'Italie écrit à 37 ans, il endosse le rôle
inhabituel du bigot, avec des jugements moraux tranchants sur les dépravations des autres. Il
construira des atmosphères, des personnages et des situations de ses futures et sulfureuses
oeuvres littéraires justement en s'inspirant des gens de toute classe sociale, des palais et des
temples visités. Le Grand Tour le porte à Turin, Florence, Rome, au Vatican et, de l'été 1775
au printemps 1776, il évite une nouvelle arrestation à cause de l'Affaire des petites filles. Il
avait été dénoncé par les parents de cinq petites serveuses à La Coste, impliqué dans une
bacchanale.
"Je jure au Marquis de Sade, mon amant de n'être jamais qu'à lui", écrit la petite de Montreuil
en septembre 1772, signant de son sang. Pourtant l'infatigable coureur de jupons trahit
l'ingénue et Anne-Prospère l'abandonne brusquement revenant le 2 octobre à La Coste chez sa
sœur Pélagie de Montreuil, mère légitime de Sade depuis 1763.
La fugue est considérée par la famille comme un rapt et toute tentative de reprendre la liaison
est interrompue. La nouvelle amante italienne du marquis, présentée comme sa belle-sœur
durant les voyages agités d'octobre 1772 à Gênes, Nice, Marseille et Chambéry, doit lui
donner des remords car il tente de se suicider, restant pendant plus d'une semaine entre la vie
et la mort. Le 8 décembre, il est emprisonné au fort de Miolans, en Savoie, avec son complice
Latour, sur ordre du Roi de Sardaigne. Ils s'évadèrent trois mois après, passant par une fenêtre
du réfectoire dépourvue de grilles et se réfugièrent à La Coste. Anne-P ospère, pendant ce
temps retourna au couvent des bénédictines où elle avait été élevée. Elle y mourut de la
variole dix ans plus tard.
Malgré le climat de tolérance et le fait que les habitants de la péninsule, considérés ingénus et
superstitieux, le Marquis de Sade n'aime guère l'Italie. Pourtant il utilisera Venise comme lieu
où se déroulent trois de ses romans. On y trouvent des nobles pervertis, de cyniques
courtisanes et des autorités atroces.
Cimetière San Michele
Ce fut la Révolution française qui retira à l'église le contrôle et la gestion des cimetières et qui
accorda à quiconque qui en avait les moyens financiers le droit de construire son propre
monument funéraire selon ses goûts et ses volontés personnels.
Ainsi surgirent, à côté d'édifices pharaoniques avec des sculptures de madones éplorées, de
Christ souffrants, d'anges et de chérubins en vêtements de deuil, de troublantes jeunes filles
installées sur de luxueuses tombes familiales. ces top model de marbre ignoraient presque
toujours la chasteté réservée et déchirant leurs habits, exhibaient leurs terrestres splendides
courbes.
Quelques voilent laissent entrevoir des hanches bien façonnées, une diaphane tunique met en
valeur des seins pesants ou des seins d'adolescente, un morceau de tissus drapé, dans une zone
stratégique, plus que de le couvrir, exalte encore aujourd'hui un aspect provocant, offert aux
visiteurs.
Entre douleur conventionnelle et extases peu mystiques, abattues ou debout, des visages
douloureux parfaits, des bras bien faits souvent abandonnés sur le ventre sinueux ou le sein,
ces déesses païennes semblent inviter au plaisir des sens, restituant aux vivants le lieu.
La glorification de la nudité féminine, plus que l'allégorie du cycle existentiel, devient ainsi
une obsession érotique, destinée à perpétuer le désir et à exorciser l'inéluctabilité de notre
destin.
Dans le siècle dernier, de grands maîtres de la sculpture ont parsemé les cimetières des
grandes villes européennes de significatifs symboles d'Eros, allié à Thanatos (dieu de la Mort)
: le Père Lachaise à Paris, Kensal Green à Londres, l'Ober St Viet de Vienne, le Stalieno de
Gênes et le monumental cimetière de Milan.
De ces grâces aux formes sinueuses, dont ma mode kitsch remonte à la fin du 19ème, l'île "des
marbres et des cyprès", San Michele, en a curieusement que très peu d'exemplaires.
"Ici, rien ne peut ôter au visiteur la noble pensée au pieu pèlerin de mémoire et de larmes" ,
notait un chroniqueur de la Gazette Vénitienne, le 1er novembre 1921.
Il aurait peut-être changé d'avis en se promenant parmi les tombes quelques années plus tard,
quand même le lieu sacré de la lagune osa se peupler de quelques statues représentant des
provocatrices plus ou moins dénudées dans des positions pour le moins ambiguës. Et même
plus. Un couple de marbre de 1929, situé dans la division XX, attire l'attention par sa
composition plutôt morbide. Le monument Soria, oeuvre du sculpteur Enzo Nenci (19031972) devrait symboliser la douleur déchirante éprouvée par le veuf Giorgio Soria pour sa
jeune femme à Anna Maria morte en couches le 2 novembre 1929
la défunte, debout, les bras le long du corps, les mains ouvertes signifiant le côté inéluctable
du destin, porte un voile transparent laissant apparaître un petit sein avec les tétons qui
pointent. Elle tient la tête vit en avant vers celui qui, nu et musclé, à ses genoux, s'agrippe à
son corps. Il tend les bras en mettant les paumes de ses mains sur sa poitrine, la griffant
presque de ses doigts. Tous les deux semblent surgir de la roche informe et, selon les volontés
de celui qui a commandé la sculpture réalisée par Nenci, est représenté l'allégorie du vivant
qui cherche inutilement à arrêter sa compagne qui lui apparaît en rêve. Le Gazzettino du 2
novembre 1950 publient une photo de la statue accompagnée par la poésie San Micèl de Bepi
Larese : pour d'évidentes raisons liées à la censure la sculpture apparaît écrasée sous un angle
de vue qui ne montre que les deux visages.
Soria
Pellegrinotti
Dans la division XVI, dans la chapelle de famille, le bas-relief en bronze dédié à Teresina de
Nardo Pellegrinotti, morte elle aussi en donnant naissance à un bébé en 1922, fut créée par
Romeo dall'Era, sans doute l'année même. Imaginé comme l'allégorie de l'arme de la défense,
sa sensualité en fait un objet de désir. On pourrait la confondre avec Salomé qui s'apprête à
danser avec une grande sensualité. La tête de diriger vers le haut, les yeux fermés, la bouche
entrouverte, les bras détachés du corps et les mains pliées vers l'extérieur, elle semble s'offrir
avec une délicieuse volupté. Un petit vent coquin lui détache le voile du sein gauche, tandis
que qu'il accentue la ligne svelte de ses hanches. Le lui recouvre providentiellement le ventre
d'une double épaisseur et les jambes fines sont unies l'une sur l'autre comme les pieds.
En bas à gauche, une fillette à la grâce sensuelle, elle-même vécue d'une petite veste qui met
en évidence un ventre joufflu, lève la tête pour la regarder et lui rend hommage en lui offrant
un bouquet de roses.
Prêt de là, le monument Pio Barbini, oeuvre de 1922 de Pallafacchina (1887-1976), représente
une table en granit, sur lequel gît une statue féminine représentant la foi. " Une grande pierre
tombale sur le fond de laquelle se soulève une stèle. Sur la stèle ressort une figure de dames
en bronze, une belle tête dans une pose qui fait ressentir une calme douleur comme celle qui
dans son âpreté est liée à une impérissable espérance" claironne la Gazette de Venise du
premier novembre 1922. Le cadran marbre exalte le physique svelte une jeune fille au visage
mystique qui cependant a les lèvres bien sensuelles. Le petit sein nu est mis en valeur par les
palmes des mains ouvertes, positionnées à son côté, symbole de l'âme. Le voile commence
juste à la naissance des cuisses fuselées en pleine vue et descend sur les jambes unies et à
peine soulever, donnant un effet de chausson, dans un jeu très malicieux "je vois-je ne vois
pas".
Un autre sculpteur Annibale de Lotto (1877-1932) reçu la commande en 1921 de la pierre
tombale pour le monument Lardera-Potenza, côté n°16 dans le prolongement de l'hémicycle
interne.
Il y représente un prétendu baiser mystique entre deux figures féminines amantes, toutes les
deux avec de longs cheveux qui descendent sur les épaules. Elle représente la Foi qui
accueille l'Ame du mort qui vient de traverser la vallée des larmes. Geste signifiant
l'acceptation dans la vie éternelle pour les croyants. La Foi qui soutient le crucifix de la
passion du Christ, attire à elle et baise sur les lèvres l'Ame vue de dos qui touche avec les
deux doigts le même objet (le crucifix) et se laisse étreindre dans cet élan suspect.
La main de la Foi, positionnée sur le dos de l'autre, semble usé d'une douce violence, presque
saphique. Si la Foi laisse deviner son sein sous le gaze, l'épaisse tunique de l'Ame, desserrée,
qui glisse jusqu' au bas du dos, couvert par ailleurs d'une autre pudique étoffe crée une
involontaire attente d'abandon prochain.
Quoi qu'il en soit le palmarès de la plus séduisante grâce du cimetière appartient sans aucun
doute à la jeune fille songeant, sculptée dans le marbre par Arturo Ferraroni (1864-1933) au
début du 20ème siècle pour le monument de Carolina et Angelo Trevisan, sur le côté n° 7 de la
division 1 de l'hémicycle interne. Dans une pose gracieuse, nue sous une veste transparente,
la représentation de l'âme endosse cependant un court manteau attaché aux épaules. Dans
l'attente éternelle d'on ne sait qui, le regard fixé vers un point inconnu, assise et presque
appuyée au mur, elle effleure son visage parfait de ses mains aux doigts croisés (même s'il est
certain que ce n'est pas son visage que l'on observe!). Sans complaisance aucune, elle expose
même ses flancs provocants, ses jambes parfaites et écartées. Le tissu léger, légèrement plus
épais à l'intérieur des cuisses, cache stratégiquement seulement le pubis. Avec elle, le voyeur,
connaisseur, amateur et spécialiste de lignes courbes sépulcrales peut se dire combler sur l'île
de San Michele.
Margherita Sarfatti
Féministe avant l'heure, trop intelligente et effrontée pour son amant, le futur Duce, elle fut
mise à l'ombre quand elle devint embarrassante. La raffinée intellectuelle juive s'étant
convertie au catholicisme pendant sa relation et le Duce avait peur qu'elle exerce un rôle
historique prépondérant dans la culture italienne, garantissant aussi la fiabilité du mouvement
fasciste près de la bourgeoisie.
Margherita Grassini, dernière de quatre enfants, était née à Venise le 8 avril 1880 dans une
famille juive aisée. Son père Amedeo, avocat et conseiller communal, jouissait de l'amitié du
patriarche Giuseppe Sarto, futur pape Pie X. Il grandit dans le Vecchio Ghetto où habitaient
ses parents, déménageant lorsqu'il était adolescent au palais Bembo sur la Riva del Carbon,
sur le Grand Canal.
Douée d'une beauté particulière et d'un physique plantureux, elle foudroyait ses adorateurs par
le magnétisme de ses yeux verts, ses lèvres épaisses, ses cheveux d'un rouge Titien aux reflets
blonds.
A peine majeure, elle réussit à arracher à ses parents l'autorisation de se marier civilement
dans la Ca' Bembo avec l'avocat Cesare Sarfatti, plus âgé qu'elle de 14 ans et militant
socialiste.
Malgré leurs enfants, ils forment un couple ouvert, ce qui veut dire que chacun eut des
aventures extraconjugales, elle avec le peintre futuriste Umberto Boccioni. Emancipée et
ambitieuse, à une époque où les féministes tentaient de créer un mouvement politique, elle
commença une carrière de publiciste en écrivant sur des revues et des journaux de gauche;
Ses compagnes prolétaires faisaient la grimace quand elle se montrait dans les cercle ouvriers,
avec le surnom de Vierge Rouge (hommage à une révolutionnaire française de la Commune
de Paris) dans une tenue radicale-chic, habits à la mode, bijoux et parfums.
En 1902, à Milan, elle collabore comme critique d'art à l'organe du Parti Socialiste Italien
Avanti!.
En 1912, arrive à la tête du journal Benito Mussolini, décidé à faire la révolution qui élimine
la plupart des rédacteurs en place. Margherita, de trois ans plus âgée que lui, est au contraire
confirmée dans son poste à cause de sa bravoure inégalable et le charme immédiat qu'elle
exerce sur Benito, 29 ans, coureur de jupons.
Ils deviennent intimes en 1913 ; cependant quand ils se retrouvent au lit pour la première fois,
le gaillard ne parvient pas à conclure. "Le corps de la juive a exercé sur moi un effet répulsif",
écrira-t-il plusieurs années après la débâcle avec l'adorable Claretta Petacci qui l'avait
remplacée. C'était l'époque du virage antisémite de l'ingrat dictateur, ami d'Hitler.
Ce fut Margherita sa meilleur conseillère et son meilleur soutien dans les années de la marche
sur Rome et de conquête du pouvoir. Entre temps, reconnue comme primadonna, elle exerçait
le métier de critique littéraire et promouvait les œuvres d'avant garde de tout pays (elle écrivit
en 1930 une histoire de la peinture moderne). Elle dut lui inspirer la descente sur la capitale
avec ses compagnons quand il était son invité dans la villa Il Soldo, près du lac de Côme.
"J'adore cet endroit – dira-t-il – il est intimement lié aux meilleurs années de ma vie. C'est là
que je fis le projet de la révolution de 1922 et c'est de là qu'elle partit et que je la guidai".
En 1918, la vénitienne devient responsable des pages culturelle du Popolo d'Italia, fondé par
Mussolini lui même, initialement appelé "quotidien socialiste", puis voix officiel du parti
national socialiste.
Entre temps, Margherita adressait à son directeur des déclarations d'amour déchirantes avec
d'emphatiques adverbes. "Je suis, je me proclame, je me glorifie d'être passionnément,
éperdument, entièrement, dévotement tienne".
Variation mielleuse sur le thème :"Je suis, je serai toujours, toujours plus pour toi".
Durant une période de crise, elle eut au contraire de sérieux accents masochistes, du type "Je
suis lasse de t'aimer, fatiguée que tu fasses de notre amour un tapis à piétiner. Tu es un
homme extrêmement sensitif, mais très fort et comme tous les impétueux, tu te livres à la
fureur. Cela te passe mais moi, je n'oublie pas. Je suis une nature lente, une nature qui vit à
l'intérieur".
Elle voulait lui reprocher en face sa manière expéditive de faire l'amour, qui lui donnait
désillusion. La lettre tourne au feuilleton à la mode et tend à l'auto commisération. "Pénètre en
moi lentement, sans réactions extérieures apparentes, la douleur, l'angoisse, la rébellion
même. Mais hélas ! en pénétrant jusqu'au fond, j'en reste brisée, l'âme en morceaux, amère
jusqu'à la nausée et la mort". Pour s'exalter enfin dans des déclarations ardentes qui mettent au
piquet les exubérances de son partenaire. "Tes divines sorcelleries me font brûler le sang en
un étrange ferment. Adoré, mon adoré, je ferai ce que tu voudras. Je suis à toi. Ne me
demande pas des choses qui ne soient pas compatibles avec ma dignité et avec les droits
sacrés, inviolables que d'autres êtres adorés, sortis de moi, ont sur moi".
Entre hauts et bas, l'histoire dura 18 ans durant lesquels la Sarfatti exerce une grande
influence sur l'homme politique grossier. Elle en affine la qualité de ses dons journalistiques,
politiques, oratoires. Le guidant, semble-t-il, ses impétuosités sur ses méthodes passionnelles.
Egérie, nymphe du Régime désormais établi, codirectrice du mensuel idéologique Gerarchia,
elle exalta la personnalité et le charisme du révolutionnaire socialiste, devenu chef du
gouvernement dans une biographie, su style "santo subito – saint tout de suite", Dux.
Première apologie de celui qu'on surnommait l'Insonne (insomniaque) publiée en 1926, deux
ans après être restée veuve. On y note la mentalité machiste, expurgée dans la première
version, affirmant : "Bien qu'il ait donné aux femmes avec beaucoup de générosité, le droit de
suffrage administratif, la femme apparaît cependant aux yeux du condottiere, égoïste macho,
un bel objet destiné au plaisir".
Le livre édité d'abord en anglais, Life of Benito Mussolini, contribua au mythe illusoire qu'il
avait toujours raison. Devenu un best-seller international, il connut 17 éditions et fut traduit en
18 langues
Continuant cependant à rencontrer la "favorite", désormais âgée de 50 ans, Mussolini promet
enfin en 1931 à sa trop accommodante épouse Rachele de clore son rapport avec Margherita
et de l'empêcher de continuer à collaborer avec le Popolo d'Italia.
Dans la cheminée de la villa Torlonia où habitaient les époux, il brûla les lettres de la
vénitienne. Tombée en disgrâce, au dixième anniversaire de la marche sur Rome, l'année
suivante, elle ne fut pas invitée.
Les lois raciales étant promulguées en 1938, le livre fut retiré de toutes les librairies sur
l'ordre du ministre de l'Education nationale. Margherita , que l'on tenait sous contrôle depuis
huit ans, par la volonté de son ex-mari partit pour Paris. A la fin, lee trouva hospitalité aux
Etats-Unis, puis se transféra en Uruguay, à Montevideo et ensuite en Argentine. Sur le
quotidien Critica de Buenos Aires, entre juin et juillet 1945, apparût sous forme de feuilleton
une espèce de reconstruction contre-Dux, pamphlet rétrospectif pour démythifier le chef d
fascisme : Mussolini come lo conobbi, Mussolini comme je l'ai connu. Devenu pour les
éditions européennes Mea culpa, ou Ma faute, le texte intégrait avec des contenus
autocritiques des passages où elle relatait son embardée politico-amoureuse.
Dans ce livre, souvent réticent sur les liens qui les avaient unis, la dame rongée par les
remords posthumes s'interrogeait sur les nécessités d'une aides désintéressée, ses conseils, son
soutien (non seulement moral naturellement) donnés à son ambitieux partenaire lors de son
escalade vers le pouvoir.
Pointant son doigt accusatoire sur la transformation successive, en peu d'années, du tyran
illuminé en un vaniteux entouré de lèche-bottes.
Retournée pour quelque temps à Venise en 1947, il établit enfin sa résidence à la Villa del
Soldo où elle tenait un salon culturel, effectuant toujours de longs séjours à Rome.
Son charisme était intact mais son physique s'alourdissait. Empêchée au début, à cause de sa
renommée et de son passé avec le Duce, dans sa période romaine, dans les années 50, elle
devint chroniqueuse de faits divers judiciaires pour le Corriere della Sera.
Elle traita de l'affaire Montesi, dont le procès se déroulait aux Assises du Rialto à Venise et du
cas Fenaroli-Ghiani qui passionnèrent l'Italie toute entière.
Dans sa résidence de Côme, elle cultiva, dans la solitude, des secrets jamais révélés. Elle
s'éteignit dans son sommeil le 10 octobre 1961.
Scannatoio (lieu dans lesquels on coupe la gorge aux animaux)
Truculent mais, au fond, ironique synonyme du mot Carbona, entré dans le langage commun.
On y sacrifie, quelques rares fois, des virginités. Et la traces du sacrifice étaient ces quelques
gouttes de sang laissées sur les draps par les vierges à la fois impatientes et pleurant sur le
bien à jamais perdu.
Tarnowska
La "Circé russe", en réalité de famille irlandaise née à Poltava en Ukraine faisant partie de
l'empire tsariste, comtesse Maria Nikolaevna O'Rourke, épouse Tarnowski, devint célèbre
dans toute l'Europe à partir de septembre 1907 comme manipulatrice d'hommes dans un
scandale dégradant.
Son funeste charme porta au suicide des soupirants abandonnés et conduisit d'autres à laisser
leur famille et emploi pour la suivre et la servir. De riches hommes se ruinèrent pour son
regard, un baiser, heureux de se laisser éteindre sur la cigarette au jasmin qu'ils venaient de
fumer. Dans le but de résoudre ses problèmes économiques causés par ses excès de luxe et de
dépenses, elle réussit à convaincre un jeune homme stupide amoureux d'aller tuer son amant
officiel, le comte Pavel Kamarowskij au palazzo Maurogonato (aujourd'hui hôtel Ala, où
existe le Bar Américain à son nom) près de Santa Maria del Giglio. Son but était d'encaisser la
grosse assurance que le noble avait destiné à ses héritiers. Immédiatement identifié, il fut
arrêté tandis qu'en état de grande agitation, il tentait de fuir en train. Il confessa l'homicide.
La commanditaire et son complice finirent en prison.
Durant le procès dit "L'affaire des russes", tenu à la cour d'assises du Rialto en mai 1910,
l'attitude hautaine de Maria, sa réputation de séductrice affamée, avec rituels sado-maso et
usage de drogue, la description de la manière dont elle traitait les malheureux qui soupiraient
pour elle réussirent à transformer dans l'imaginaire collectif, qui résiste au temps, l'élégante et
pâle femme en une sulfureuse héroïne érotique.
A ses pâles disciples qui voulaient elles aussi apparaître femme fatale ou aux passionnées
transgressives qui se donnaient des airs de grande dame pour conquérir qui sait quel beau
garçon, pour démonter l'aura il suffisait à l'époque de la réplique provocante : "Mais tu te
prends pour la Tarnowska ?".
Ponte delle Tette
Vous devez certainement peser l'embarrassante description de ce pont que donne Giambattista
Galliccioli (1733-1806), auteur des "Mémoires vénitiennes antiques profanes et religieuses",
publié à Venise en 1795. Ce n'est pas pour rien que dans une espèce d'hagiographie (livre qui
relate la vie des saints), il est considéré comme un modèle de modestie et de doctrine pour le
clergé, dénonçant les mauvaises coutumes mais faisant preuve d'une fraternelle indulgence et
d'une tolérance toute chrétienne.
Dans Costituzione moderna della Contrada, le prêtre et mémorialiste Giambattista Gallicolli
(1733-1806) écrit : "Au canal de San Cassiano, après le ponte dei Morti (actuellement ponte
de la Chiesa), qui est en pierres, suivi de deux autres ponts de bois, on trouve encore le pont et
la fondamenta delle Tette (aujourd'hui fondamenta della Stua en mémoire des stue, bains
publics) où les prostituées attiraient le client. Le nombre des prostituées étant tel, elles
étendaient leur territoire jusqu'à cet endroit. Le manque de modestie de quelques unes de ces
misérables femmes fit attribuer ce nom aux lieux."
Selon les "on dit" recueillis par Giuseppe Tassini dans ses Curiosités Vénitiennes (1863),
l'exposition de ces grâces féminines en ces lieux, seins et jambes nus éclairés le soir par les
réverbères dérivait d'une loi du gouvernement dont le but était d'éloigner les hommes du
péché contre nature (homosexualité).
De cette loi, pour le moins curieuse, on ne trouve trace et seuls les décret (cités par Tassini
lui-même) du Conseil des Dix qui y font référence remontent à 1455. Pour éradiquer
l'abominable vice, on élut deux nobles dans chacune des 59 paroisses de la ville. Ceux-ci, en
séance plénière, devaient se consacrer chaque vendredi de la semaine à ce problème. Tandis
que les médecins et les barbiers avaient l'obligation de dénoncer dans les trois jours les
personnes soupçonnées. A l'époque, les coupables s'ils évitaient la mort sur le bûcher,
pouvaient finir pendus entre les deux colonnes de la Piazzetta et seuls leurs cadavres étaient
brûlés.
Il faut dire que ce pont delle Tette a aujourd'hui un concurrent, pont que l'on indique aux
touristes comme celui où s'exhibaient les prostituées pour attirer les hommes aux penchants
masculins. A San Giovanni Laterano, entre la Barbaria delle Tole et Calle longa S. Formosa,
il existe la Calle, le Pont et la fondamenta Tetta. Mais l'origine du nom fait référence à la
famille noble Tetta, originaire de Sebenico (actuellement de Dalmatie, mais qui autrefois
appartenait à la Sérénissime) qui y possédait une fabrique
Rudolph Valentino
Falcon's Lair, villa de Beverley Hills, au dessus de Los Angeles. devant ses invités et sa
seconde épouse Natacha Rambova (fausse russe, fille de milliardaire américain, et maîtresse
ingénue de l'actrice-metteur en scène Alla Nazimova), le Dieu Rudy raconte l'histoire de son
premier amour. Baisers débordants, soupirs, serments et promesses d'adolescents sous la lune
vénitienne. Nous devons situer la romantique affaire autour de 1910. A peine âgé de plus de
15 ans, né à Castellaneta en 1895, le fainéant Rodolfo Guglielmi est envoyé par sa mère,
veuve, pour faire des études à l'Institut Naval de Venise. Invité par un certain cav. Galliano, il
rencontre dans la maison de gens de son pays Lisabetta qui a le même âge que lui et naît une
attraction réciproque.
"C'était une fille timide et ardente à la fois, une vraie femme du midi, qui croit qu'en amour on
ne peut jamais être trompé". C'est ainsi que la décrit le supplément du journal Cinéma
illustration n°6 de 1933 dans le Roman de sa vie et de ses films.
Avec Natacha rambova
" À la nuit tombée, je m'échappais furtivement de la maison du cav. Galliano et parcouraient
en hâte les ruelles sillonnées par les rayons de lune. Il me semblait marcher dans une
fantastique cité des 1000 et une nuits. J'arrivais, après bien des détours à l'intérieur de ce
labyrinthe magique à la maison de Lisa. Mon cœur commençait à battre fort quand
j'apercevais sa fenêtre illuminée, et souvent j'avais peine à émettre le bref sifflet avec lequel je
l'appelais. Lisa ouvrait la porte et, ayant traversé l'entrée dans le noir, nous allions ensemble
voir nous cacher près de la porte donnant sur le rio, et y restions jusqu'à l'aube. " Cette eau
silencieuse portait au loin nos baisers nos ferventes caresses, les frissons de notre jeune peau,
comme autant de pétales tombés d'une rose de mai". Elle avait un petit caractère bien trempé
et la jeune fille : elle voulait que je laisse tomber l'école navale pour devenir plutôt médecin,
avocat ou au moins comptable. Elle nous voyait déjà marier et de retour à Castellaneta pour
administrer la propriété de famille. Au contraire son père décida d'émigrer avec sa famille aux
Etats-Unis et Lisabetta dut annoncer la nouvelle à Rudy " en se serrant contre moi comme une
folle. Elle lui fait jurer de le rejoindre au plus vite. Rudy se rappelle la tiédeur et le parfum de
la jeune fille et son corps tremblant éperdument abandonné dans ses bras.
La possessive jeune fille entend lui donner la suprême preuve d'amour, sacrifiant sa virginité
pour le compromettre. " Cette nuit peut-être elle voulait me lier avec un lien plus profond que
le futur nous réciproque serment". Ayant flairé le piège, il envoie la malicieuse jeune fille in
bianca, avec l'excuse de l'angoisse. Sublime à Dieu, il écrit :" Lisa resta pour moi la fleur que
j'ai pas cueillie".
Une autre fleur, grâce plus mûre, réussit vite à consoler l'apprenti latin lover (que les journaux
people, à l'époque de son apogée définirent "toupet de poudre de riz" à cause de son attitude
peu virile) : " Quel âge avait-elle ? Peut-être 25, peut-être 40. Peut-être n'était-t-elle même pas
belle, mais moi j'étais un jeune garçon sans expérience ( volontairement, comme nous venons
de le voir) et lady Gladys était la première est tellement diverse beauté nordique que je n'avais
jamais vue. Si Lisa rassemblait une petite statue de bronze, celle-ci semblait taillée dans
l'ivoire à peine teinté d'un léger incarnat. Les cheveux étaient blonds couleur cendre et les
yeux avaient la même transparence que l'air". Rudy, on le voit écrivait déjà de languides vers
appréciables.
Rencontrée pendant une promenade, il décide de la suivre. La mystérieuse noble anglaise lady
Gladys, "seule, étrangère, immensément riche, résidant à l'hôtel Danieli" note le timide
amoureux. Elle se laisse suivre jusqu'à l'intérieur de l'Académie des beaux-arts, contrôlant si
le jeune homme la regarde toujours. Devant un tableau du Titien, elle lui demande en italien
s'il est peintre. Lui balbutie qu'il est prêt à embrasser à la carrière militaire et lady Gladys
soupire qu'elle regrette de ne pouvoir poser pour subir avec regret de ne pouvoir poser devant
un futur peintre italien.
Nous sommes en août, le soir même, ayant accepté l'invitation de l'entreprenante dame qui
conduit le motoscafo sur le grand canal, ils se rendent sur la lagune, ils éteignent le moteur,
Rudy chante quelque romance et la fixe avec ses grands yeux noirs et froids. Quand
l'effrontée séductrice demande le motif pour lequel il avait suivi, Valentino répond
simplement : "Parce que vous me plaisez". Longue pause. Jusqu'à ce que lady Gladys réponde
: "Toi aussi tu me plais - et se jette sur moi appuyant sa bouche contre la mienne". Il ne nous
manque que les violons et leurs sons langoureux et la scène avec la mystérieuse initiatrice
semblerait impayable.
On sait comment finissent ses histoires d'amour. Oublié le temps de ce vertigineux
enlacement, les amants s'aperçurent que le motoscafo partait à la dérive. Rodolfo se
préoccupa plutôt de connaître le nom de la femme qu'elle n'avait pas encore révélée. La dame
tergiversa lui dit seulement son nom de baptême mais à une amie en Grande-Bretagne elle
écrivit avoir connu un jeune demi-dieu : "Il est beau, il est fort comme Dionysos adolescent".
Trop heureuse par l'inespérée aventure, elle se tourmente : "Qu'adviendra-t-il de moi ?
Qu'adviendra-t-il de lui ? Je voudrais qu'il me domine comme une esclave, je voudrais souffrir
de ces jalousies et de ses pouvoirs. Il me plairait même peut-être d'être battu par lui. Mais au
contraire il est réservé et ardent comme un romantique trop bien éduqué. Il ne me reste plus
qu'à jouir de la beauté païenne de son corps brun et rugueux comme de la terre cuite".
Peut-être quelque chose de plus que l'habituelle histoire de sexe : on prend et on jette.
Dans les souvenirs de la future star reste imprimée la désillusion par l'imprévu départ
communiqué par une lettre plutôt emphatique laissée au portier Danieli. "Au revoir mon
jeune ami. Au revoir je ne sais comment je ne sais quand, mais au revoir c'est certain. Je me
rappellerai toujours doté de chansons et de tes baisers. Aucun homme pourra me donner
d'ivresse que tu m'as donnée. Je pars peut-être pour cela. Merci ! G.".
Surpris, Rodolfo tombe en dépression, souffre d'insomnies, échoue à l'examen d'entrée à
l'institut naval et laisse Venise pour retourner chez sa mère à Castellaneta. Trois années plus
tard, en décembre 1913, il débarque aux États-Unis et cherche la fortune.
Après tant d'années, celui que l'on appelle l'amant du monde refuse toujours de révéler
l'identité complète de la beauté fatale à cause de trop de scrupules. Et sa biographie révèle,
sans donner de détails, que à cause de cette sirène étrangère, était mort tragiquement "un des
plus sportifs et spirituels gentilhomme du Royaume-Uni". Qui fut cet aristocrate britannique
qui, dans une nuit vénitienne, cueilli les premiers élans de l'inexpérimentée Rudy ? Aucune
histoire sur l'acteur, sex-symbol du cinéma muet, mort à 31 ans à New York en 1926 réussit à
le découvrir.
Virginité
Conseil des vieux sages vénitiens en ce qui concerne le pucelage considéré comme bien
primaire : " Peu importe que l'époux apporte la note. Il suffit qu'elle est le passage nécessaire
suffisamment étroit".
Vespasiennes
Au début du 20ème siècle, il y en avait plus de 500 en fonction dans les différents quartiers.
Souvent installées près des auberges, les marchés et les maisons de tolérance. Depuis la
création des latrines publiques, construites sous les porches, dans les ruelles latérales ou bien
même en plein air, espèces de petits kiosques à parois métalliques, elles sortirent de leur but
primaire, celui de satisfaire ses besoins urgents et se transformèrent en lieux de trafics
homosexuels, lieux de rapides passages à tabac et en lieux d'irrésistible attraction pour les
pickpockets qui tirait le portefeuille de la poche postérieure des pantalons.
Le plus international comme lieu de rencontre était l'urinoir de l'ascension derrière la place
Saint Marc dans le Sottoportego dei Preti. La chronique locale le définissait comme point
malfamé et il était contrôlé la nuit par des policiers de l'équipe des bonnes mœurs qui
surprenait souvent en position non équivoque des personnes, couples mixtes, composés
d'étrangers et de jeunes locaux. Ceux-ci étaient toujours sur le qui vive, à la recherche de
quelque signal, eux mêmes se confondant entre eux mais ensuite ils finissaient par roder
autour du plus fameux pissoir du monde, installé derrière l'aile napoléonienne. Le lieu de plus
fréquenté de l'hémisphère où des intellectuels ultra chics se rencontraient avec de jeunes
mezze checche (hommes qui se dépilent, moitié-pédés) qui venaient de la campagne
environnante. Moitié-pédés parce que dans le Veneto ce genre d'hommes se marient et ont de
nombreux enfants en hommage au conformisme local.. C'est ce qu'écrit Nico Naldini dans
"Lettres jamais expédiées à Francesco Zambon" en 2008.
Une autre vespasienne aux mêmes fonctions (rencontres homo) se trouvait dans la Calle del
cappello Nero, à côté du ponte dei Dai. Surnommé les "Sept sœurs", parce qu'il était divisé en
sept compartiments, on y surprit un jour une personnalité artistique connue et cela fit grand
scandale. D'autres centres de drague se trouvaient dans la Frezzeria et le Sottoportego del
Spiron d'Oro. Dans les années 80, après la destruction de tous ces lieux, la vespasienne de la
Piazzale Roma située derrière les jardins vit l'affluence depuis la terre ferme d'individus
cherchant des aventures avec des jeunes vénitiens.
Zòtola (ou Zòtolo)
Ce terme est encore en usage aujourd'hui pour désigner les personnes des deux sexes, qui
s'habillent de manière négligée et sont réfractaires à la propreté personnelle. La raison pour
laquelle l'argonaute (navigateur du vaisseau nommé argo) était appelé zòtolo (mollusque avec
deux ailettes diaphanes sur le côté et une minuscule tête à manger en sauce avec des tomates
ou frit) est encore inconnue.
Dans sa version féminine, la plus fréquente, zòtola désigne une personne se lavant rarement et
ne changeant pas fréquemment sa lingerie intime, et aussi une fille aux mœurs conciliantes.
Sans pour autant entendre que vit du commerce de ses charmes.
Nous rencontrâmes une désinvolte zòcola alors que nous étions adolescents après avoir lu
l'inscription récurrente "Marisa consapatate" (Marisa assaisonneuse de patates) écrit à la
craie blanche par de malicieux compagnons sur la porte des magasins et sur quelques murs du
campo San Polo où elle habitait.
Le sens, très sibyllin, nous donna beaucoup à réfléchir. Jusqu'à ce que nous ayons une
expérience directe avec la dénommée et très disponible Marisa. Petite blonde bouclée très
gracieuse et un peu plus âgée que nous, elle dégageait plutôt une odeur sous les aisselles non
dépilées (irrésistiblement érotique à l'époque). Avec une certaine envie, nous l'avions vue
entrer dans une ruelle déserte accompagnée par un de nos compagnons qui l'embrassait
fougueusement.
Enfin, la "traumatique" expérience était arrivée sous un porche durant un après d'été nuageux.
Finis les excitants préliminaires, il affronta le gros du sujet et nous comprîmes alors la
définition utilisée par ceux qui était déjà passés par là et avaient laissé par écrit un
avertissement. Utilisant énergiquement les deux mains, elle lui tripotait les couilles comme si
elle était en train de mélanger les patates à peine assaisonnées dans le plat.
Depuis cette fois, malgré les insistances, nous refusâmes d'ultérieures expériences de ce genre
de traitement effectuées par Marisa. Zòtola gloutonne et sale, passe !. Mais servir
d'ingrédients pour le fougueuse assaisonneuse de patates, jamais !

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