« Mater Dolorosa »
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« Mater Dolorosa »
« Mater Dolorosa » Giovanni B. Pergolesi, Salve Regina Leonardo Leo, Judica Me Deus G.F. Händel / G.B. Ferrandini, Il Pianto di Maria (HWV 234) Tommaso Traetta, Stabat Mater (manuscrit de Munich de 1767) Pays-Bas, Amsterdam, Concertgebouw NTR ZaterdagMatinee Samedi 9 février 2013 Pologne, Cracovie, Karol Szymanowski Philarmonic Hall Festival Misteria Paschalia Jeudi 28 mars 2013 Tommaso Traetta et le Stabat Mater de Munich (1767) Par Gianfranco Spada Traduction Bénédicte Hertz L’année 1767 fut une année emblématique dans la carrière artistique de Traetta, une année couronnée par des projets et une véritable reconnaissance professionnelle. C’est d’ailleurs au cours de cette année que fut organisé, selon le vœu de Léopold II, grand-duc de Toscane, une sorte de festival en son honneur, avec la mise en scène à Florence de cinq de ses œuvres : Le Serve rival, Enea e Lavinia, I Tindaridi, l’Olimiade e Ifigenia in Tauride. La renommée de Traetta était telle que pour cette nouvelle représentation florentine de l’Ifigenia – déjà donnée à Vienne en 1763 – on fit appel à Christoph Willibald Gluck pour la direction. Et, fait inhabituel pour l’époque, Traetta en personne se vit attribuer environ 3800 lires en sequins d’argent équivalent à des droits d’auteur, pour une œuvre qui n’était pas une nouveauté. En 1767, le public florentin ne fut pourtant pas le seul à profiter de la musique de l’un des compositeurs les plus en vogue du moment. Quelques œuvres données à Venise datent en effet de cette même année, ainsi le Miserere en fa mineur, chef-d’œuvre absolu de l’ensemble de la production sacrée de Traetta, l’oratorio Pulchra ut luna, electa ut sol, l’Armida composé précédemment pour Vienne, qui fut repris sur scène le jour de l’Ascension au Théâtre Vendramin, ou le Siroe et le Stabat Mater, écrits pour des exécutions à Munich dans le nouveau théâtre de cour du prince électeur. Au milieu de cette intense production opératique, il n’est pas surprenant de trouver divers ouvrages de musique sacrée, comme le Stabat Mater de Munich : de fait, Traetta était employé comme maître de chapelle à l’Ospedaletto de Venise, fameux temple de la musique sacrée vénitienne, depuis seulement quelques mois. En avaient été directeurs des maîtres de l’envergure de Nicola Porpora, auparavant professeur de Traetta à Naples, et à qui succèderont plus tard des compositeurs comme Antonio Sacchini, l’un de ses grands amis qu’il recommandera personnellement pour le remplacer à ce poste, ou encore Domenico Cimarosa. Le Stabat de Munich – replacé dans cet état d’euphorie professionnelle d’un Traetta qui, tout juste quarantenaire, était arrivé à l’apogée de sa carrière musicale, au sommet de sa maturité artistique, honoré et acclamé par la noblesse et le public de la moitié de l’Europe. Des perspectives de travail très intéressantes se profilaient déjà clairement, notamment au regard de l’offre récente qui lui était proposée par Catherine II, tsarine de Russie, de remplacer à SaintPétersbourg Baldassarre Galuppi, maître de chapelle de la cour sortant. C’est dans ce contexte d’effervescence que naît le Stabat de Munich, l’un des deux Stabat connus de Traetta. L’autre, pour quatre voix et cordes, conservé à la bibliothèque du conservatoire de Naples, est difficile à dater. En dépit de quelques spécialistes – qui, à cause d’un style de facture soignée, l’estiment être un produit de l’époque de la maturité, postérieur donc à celui de Munich, postérieur également à son séjour russe qui s’achève en 1775 – la majeure partie de la critique s’accorde à penser qu’il s’agit d’une œuvre de jeunesse. Elle daterait de la période où il était encore étudiant au conservatoire Sainte-Marie de Lorette de Naples et qu’il composait alors, fait coutumier au XVIIIe siècle, des messes, vêpres et motets, avant même de se consacrer au théâtre où il débuta avec son Farnace à seulement 24 ans. Le catalogue de l’œuvre sacré de Traetta (dans l’état actuel des recherches) n’est pas très fourni, surtout comparé au catalogue d’œuvres lyriques qui se compose de plus de quarante opéras. Mais il est assurément intéressant, puisqu’il s’étend sur la totalité de la période créatrice du maître et montre de manière hétérogène les différentes options stylistiques adoptées par Traetta selon les positions et postes de sa carrière. Toutes ces œuvres présentent une composante esthétique commune, comme l’affirme Jolando Scarpa, musicologue vénitien qui redécouvrit la musique sacrée de Traetta dont il se pose en éminent spécialiste : « sa grande capacité à allier avec adresse, naturel et grandiloquence des éléments musicaux appartenant à la tradition passée avec des éléments actuels, de son époque, empruntés au mélodrame. Dans sa musique sacrée, Traetta intègre la figure déjà remarquée (mais encore insuffisamment) du compositeur d’opéra. À une sensibilité mélodique prononcée, qui cherche à établir un rapport dramatique entre musique et texte, à une rationalisation du langage harmonique, en vérité très simplifié par l’utilisation de certains degrés de la gamme, s’ajoute un Traetta polyphoniste, que le Stabat Mater napolitain, seule œuvre sacrée connue jusqu’il y a peu, pouvait à peine laisser entrevoir. Le finale du Credo de la Messe, certaines pages de chœur du Miserere remettent en lumière l’habileté contrapuntique de quelqu’un qui fut, il est vrai, élève de Durante ; et c’est précisément dans les fugatos aux larges dimensions que l’école napolitaine se manifeste superbement, sans toutefois ce pédantisme qui caractérise malheureusement d’autres maîtres de cette époque. Chez Traetta, tout se déroule dans le plus grand équilibre, avec une constance qui contraint l’attention de l’auditeur et rappelle que la musique sacrée s’entend d’abord en "parole". Si certaines pages peuvent apparaître comme trop mondaines (au sens actuel du terme), elles reflètent pourtant le sens religieux de l’époque, au sein duquel Traetta se meut sans aucun doute à son aise et de façon naturelle. » La commande par Maximilien III, prince électeur de Bavière, de Siroe et du Stabat – un opera seria d’une part, une composition sacrée d’autre part – fut sûrement conçue et portée à son terme durant l’année 1766, soit pour les répercussions des célébrations traettiennes que son beau-frère le grand-duc de Toscane Pierre Léopold II était en train d’organiser à Florence, soit pour la sortie du Rex Salomon. Ce dernier fut la première œuvre sacrée que Traetta produisit pour sauver l’Ospedaletto vénitien de la crise dans laquelle il se trouvait. Un contrat de mission avait d’ailleurs été entériné. Le succès fut si grand que, deux jours après la première exécution, les responsables de l’institution décidèrent de lui doubler le salaire annuel, portant celui-ci à quatre cents ducats, somme équivalente par exemple à celle que recevait Tartini à Padoue pour un emploi similaire comme maître de chapelle de la basilique San Antonio. Sur la présence de Traetta à Munich pour les exécutions du Siroe et du Stabat durant le carnaval de 1767, aucun témoignage direct n’a cependant été retrouvé. Mais elle n’est assurément pas à exclure, puisque nous n’avons aucun autre document qui attesterait de sa présence dans d’autres villes au cours de cette période. Il est certain que si l’on examine la distribution des deux représentations munichoises, avec des personnages comme Venanzio Rauzzini, Domenico de’ Panzacchi, Giovanni Battista Zonca et Sebastiano Emiliani, la présence de Traetta aurait ajouté une touche de couleur supplémentaire à l’exaltation du groupe d’artistes italiens engagés ces années-là à Munich. En effet, bien que le groupe porte à la scène une œuvre sacrée de la portée du Stabat, dans la vie quotidienne, comme il était d’usage dans le monde du spectacle, il se démène entre les scandales et les intrigues. Rauzzini, le même que Mozart appellera quelques années plus tard, en 1772, pour son Lucio Silla milanais, fut ainsi l’un de ces protagonistes. Sa condition de « castrat » ne l’empêchait pas de s’étendre aux côtés des épouses des hommes les plus riches et puissants, collectionnant les aventures qui, une fois découvertes, l’obligeaient à abandonner d’urgence la ville. C’est qui arriva précisément quelques mois avant les exécutions du Stabat à Munich, ou d’autres fois encore lorsqu’il dut fuir de Francfort, de Dublin et enfin de Londres pour se retirer à Bath où il trouva un milieu plus propice à ses tribulations et où il s’établit jusqu’à sa mort en 1810. Le Stabat comme le Siroe furent exécutés dans le nouveau théâtre rococo que l’électeur de Bavière avait commandé à François de Cuvilliés. Cet étrange personnage affligé de nanisme avait gagné l’estime du prince et fait preuve de dons et d’inclinations artistiques. Il quitta son statut de bouffon de cour au service de l’électeur pour venir étudier l’architecture avec Joseph Effner à l’Académie royale d’architecture de Paris, devenant ainsi officiellement architecte de la cour bavaroise en 1725. Le théâtre dont il fit le projet en 1750, appelé par la suite Théâtre Cuvilliés, est celui pour lequel Wolfgang Amadeus Mozart écrivit quelques années plus tard l’opéra Idomeneo. Il fut en partie détruit durant la seconde guerre mondiale, mais reconstruit rigoureusement à l’identique et recréé deux cents ans plus tard en 1950. Empruntons à Sergio Albertini les mots de la conclusion : « Le Stabat Mater munichois est composé de neuf numéros ; une grande place est accordée aux chœurs : la page sacrée s’ouvre avec un « Stabat Mater dolorosa » largo e devoto, le « Pro peccatis suæ gentis », allegro moderato, le « Sancta Mater, istud agas », un andante con moto en forme de fugue, l’intense et conclusif « Quando corpus morietur », au largo duquel suit le « Amen » ample et limpide. Aux solistes sont confiés quatre airs et un trio ; deux numéros sont au premier plan : le « Virgo Virgium preclara », un larghetto con moto confié au ténor et qui demande une légèreté mozartienne, et l’ « Inflammatus » du soprano, sur un ostinato soutenu par les cordes. Un Stabat Mater d’une extrême rigueur, qui marque une saison durant laquelle le style contrapuntique ancien parvient à se fondre, au sein d’une esthétique efficace, dans les projections modernes qui sont celles de la fin du dix-huitième siècle, constituant une scène d’opéra d’une extrême richesse. » lestalenslyriques.com