BRÈVE SUR LE TRAITÉ DE LISBONNE N° 174 « AU FMI NOUS

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BRÈVE SUR LE TRAITÉ DE LISBONNE N° 174 « AU FMI NOUS
Paris, le 19 mai 2008
BRÈVE SUR LE TRAITÉ DE LISBONNE N° 174
« AU FMI NOUS SOMMES RIDICULES » (Jean-Claude JUNCKER)
10 ans après sa création ...
Les institutions de l'Union européenne célèbrent ces jours-ci le 10ème anniversaire de
la décision du 2 juin 1998 créant une monnaie commune européenne - en
application du Traité de Maastricht de 1992. Monnaie unique qui s'est concrétisée en
janvier 2002 par la mise en circulation des billets et pièces en Euro et Cents.
Cet anniversaire a été l'occasion d'un premier bilan du fonctionnement de la zone euro
et notamment - du fait de la crise financière internationale de 2008 - de son rôle sur
la scène mondiale.
L'un des sujets abordés - tant dans le rapport de la Commission (« Union
Économique Monétaire 10 : succès et défis après 10 ans d'Union Économique
Monétaire ») que dans les débats politiques (notamment au Parlement européen) et
académiques - a été celui de la représentation de l'Eurogroupe (EUROGROUPE)
dans les instances financières internationales (FMI, G7, Banque mondiale).
La quasi unanimité des intervenants ont déploré l'état actuel de dispersion des voix et
de faiblesse de l'influence exercée par les 15 États membres de l'Eurogroupe et les 27
Etats Membres de l'Union européenne dans ces instances :
- selon le rapport de la Commission : « la représentation extérieure de l'Europe dans
les fora financiers internationaux demeure fragmentée, réduisant l'influence réelle de
la zone Euro en leur sein »,
- selon plusieurs rapports du Parlement européen, « il est essentiel que l'Union
européenne dispose d'une représentation unique (...) au sein des institutions
financières internationales et (le Parlement européen) déplore qu'il n'y ait pas de
propositions en ce sens » (Résolution du 24/4/08 sur la stratégie politique annuelle
2009),
- selon Mme Pervenche BERES, Présidente de la Commission des affaires
économiques et monétaires du Parlement européen, « il est temps que l'Euro
s'exprime d'une seule voix dans le système monétaire et les institutions financières
internationales. Faut-il disposer d'un corpus de pensée commun avant de vouloir
occuper le siège ? (...) La dynamique se trouvera en marchant » (Bruxelles le
04/05/08).
Ces constats rejoignent les positions de hauts responsables politiques comme
d'experts académiques :
•
selon M. Jean-Claude JUNCKER, Président de l'Eurogroupe : « au FMI nous
sommes ridicules. Il faudrait une chaise unique pour la zone Euro - mais
les directeurs européens (représentant individuellement les États membres) au
FMI détestent cette idée » (mars 2008, voir Brève n° 166) ;
•
selon M. J. PISANI FERRY, Directeur de l'institut Bruegel (Bruxelles) : « les
pays de la zone euro devraient dès que possible unifier leur représentation
(au FMI) et proposer que leurs voix soient proportionnelles à leur poids
économique » (05/5/06) ;
•
selon W. MUNCHAU (FT 12/05/08) « l'Eurozone devrait avoir une
représentation unique dans les organisations internationales telles que le FMI
(...) Mais il y a beaucoup de résistance dans les capitales européennes (...)
Le représentant d'un grand pays européen admettait ouvertement qu'il
s'opposerait à une telle idée au motif que ces organisations internationales
fournissent des emplois confortables à ses services ».
...la zone Euro est un géant économique et un nain politique (La Tribune 16/05/08)
À ce jour, les États membres de l'Union européenne siègent en ordre dispersé au
FMI où ils n'exercent individuellement qu'une influence très inférieure à leur poids
économique global.
L'Allemagne, la France et le Royaume-Uni disposent chacun d'environ 5% des
voix alors que les États-Unis en contrôlent près de 17%, le Japon 6% - et que le
« droit de veto » exige un minimum de 15% des voix. D'autre part, la participation
européenne est éclatée parmi différents groupes régionaux (l'Espagne siège dans le
groupe latino-américain, l'Irlande avec les pays des Caraïbes, la Pologne avec les pays
de l'ancienne URSS ...).
Regroupées, les voix de l'Union européenne se monteraient à près de 32% - et
celles de l'Eurogroupe seul à 23%.
De même, la coordination des États membres de l'Union européenne - et même de
l'Eurogroupe - laisse à désirer, faute d'instructions communes venant des capitales
(Pierre DUQUESNE, Administrateur pour la France au FMI et à la Banque mondiale,
Parlement européen 01/03/07).
Si la Banque Centrale Européenne dispose d'un « observateur » permanent et attitré
auprès du FMI, ce n'est le cas ni pour l'Union européenne, ni pour l'Eurogroupe.
Cette situation est d'autant plus dommageable aux intérêts européens que le FMI
devrait - notamment suite aux réformes envisagées dans le contexte de la crise
financière mondiale de 2008 - voir s'accroître son rôle et son influence dans la
supervision et la réglementation du système monétaire international.
Enfin, l'unification de la représentation et des positions européennes au sein du FMI
permettrait de compenser la diminution relative - inévitable à court terme - des
quotas des pays occidentaux au bénéfice des pays émergeants (Chine, Inde, Afrique,
Amérique latine).
Le traité de Lisbonne ouvre la voie
On sait que tant les dispositions expresses des traités (Art.21 TUE / Art.138 § 1) des
Traités que la jurisprudence de la CJE ne laissent aucun doute sur la compétence de
l'Union en matière de relations internationales économiques et financières.
On sait également que le TL accorde pour la première fois à l'Union européenne (et
non plus à la seule CEE) la « personnalité juridique » tant sur le plan communautaire
qu'international.
Plus précisément, le Traité de Lisbonne consacre officiellement l'existence de
l'Eurogroupe et lui procure une plus grande autonomie décisionnelle (voir Brèves
n°142 et 149).
En matière de relations internationales, le Traité de Lisbonne permet à l'Eurogroupe :
- d'établir « des positions communes au sein des institutions et des conférences
financières internationales » (Art 138 §1 FTUE),
- d'adopter « sur proposition de la Commission les mesures appropriées pour
assurer une représentation unifiée au sein des institutions et conférences
internationales (Art.138 §2 TFUE) ».
Cette dernière disposition est fondamentale car elle permettra à la Commission, dès
l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, de poser officiellement et directement la
question de la représentation unique de l'EUROGROUPE au FMI - obligeant ainsi les
Etats Membres de l'EUROGROUPE à se déterminer, sans que les autres Etats
Membres puissent s'y opposer. D'autre part, la décision de l'EUROGROUPE pourra
être prise à la majorité de ses membres.
Un siège unique et/ou des positions communes pour l'Eurogroupe et/ou pour
l'Union européenne ?
En théorie, l'Union européenne ou l'Eurogroupe pourraient se limiter à définir et
défendre des positions communes de ses Etats Membres sans entreprendre la
démarche (complexe sur les plans politique et juridique) de création d'un siège unique
au sein du FMI.
L'expérience montre toutefois la relative faiblesse de ce type de coordination /
coopération informelle et volontaire. Au contraire, la voie institutionnelle de la
représentation unique - clairement tracée par le Traité de Lisbonne - assurerait par
définition l'unicité et l'efficacité des positions communes du groupe européen,
comme le démontre l'exemple de l'OMC (où siègent à la fois l'Union européenne et
ses Etats Membres mais où ceux-ci ne s'expriment que d'une seule voix).
L'alternative : Eurogroupe 15 ou Union européenne des 27 pourrait d'autre part être
dépassée au bénéfice de l'Eurogroupe dans la mesure où ce groupe a pour vocation
de rassembler progressivement l'ensemble des États membres de l'Union
européenne.
En effet, le système originel - confirmé par le Traité de Lisbonne - prévoit
formellement que la non participation à l'Eurogroupe de certains États membres revêt
un caractère transitoire - tout État membre devant adhérer à l'Euro dès qu'il remplit
les critères techniques fixés par le Traité. Les États non membres font donc l'objet
d'une « dérogation » transitoire (Art.139 TFUE) justifiée, en principe, par leur seule
situation économique et financière.
(On sait que, sur ce point, les dérogations dont bénéficient trois États membres
(Royaume-Uni, Danemark et Suède) ne sont pas conformes à ce principe, leur non
participation à l'Euro étant motivée par des raisons essentiellement politiques.)
Une initiative de la Présidence française ?
À l'occasion des débats qui ont accompagné le 10ème anniversaire de l'Union
économique et monétaire (voir ci-dessus), le Président de l'Eurogroupe, M. JeanClaude JUNCKER, a rappelé que le Président français s'était prononcé, lors de la
campagne électorale, en faveur de la représentation unique de l'Eurogroupe au FMI et
l'a informellement invité à se saisir du dossier à l'occasion de la prochaine
présidence française (à noter cependant que le Traité de Lisbonne prévoit en ce
domaine une initiative de la Commission).
Beaucoup d'observateurs considèrent en effet que deux facteurs au moins militent
pour un débat formel et urgent sur cette question :
- l'émergence rapide de l'euro comme deuxième monnaie d'échange et de réserve
internationale,
- l'imminence de négociations internationales visant à une remise en ordre du système
mondial pour tirer les leçons de la crise financière actuelle d'une part - et
l'émergence de nouvelles grandes puissances économiques et monétaires d'autre part.
Ces mêmes observateurs sont conscients des difficultés politiques et juridiques que
posera la représentation unifiée de l'Union européenne au regard des rapports de
puissance internes et des statuts des organisations ou conférences internationales
concernées. Mais ils estiment en général que ces problèmes pourront être surmontés à
terme dès lors que l'Union européenne démontrera sa détermination à adapter le
système en vigueur pour tenir compte des nouvelles réalités.
Un interlocuteur politique aux Etats-Unis et en Chine
Comme l'a déclaré M. le Président Valéry GISCARD d'ESTAING :
« Pour conduire les Etats-Unis ou la Chine à modifier leur comportement financier
ou monétaire (...) il leur faut un interlocuteur politique de niveau équivalent. La zone
Euro et elle seule - par sa taille et sa richesse - possède largement la dimension
économique nécessaire mais aucun responsable politique n'est en situation de se faire
entendre en son nom. Souhaitons que l'adoption du Traité de Lisbonne donne une
voix à l'Europe et que cette voix défende, non pas l'Euro qui n'en a pas besoin, mais
l'ensemble des intérêts européens » (9ème Forum économique et monétaire / Bruxelles
/ 15/05/08).
Une question de nature politique
La question de l'unification de la représentation européenne au sein du FMI - comme
au sein du G7, du G20, voire de la Banque mondiale et de l'OCDE - « n'est pas un
sujet économique ou monétaire mais une question d'essence politique » estiment
certains responsables (cf. P. DUQUESNE précité).
Il est clair en effet que certains des États membres de l'Union européenne qui
disposent aujourd'hui, du fait de leur taille relative - d'une place importante au sein de
ces instances internationales hésitent à y renoncer - au moins partiellement - au
bénéfice d'une représentation unifiée.
Il semble toutefois que cette évolution soit incontournable si l'on veut sauvegarder
les intérêts de l'ensemble - et finalement de chacun - des États membres de l'Union
européenne. Telle est en tout cas la voie tracée tant par les dispositions du Traité de
Lisbonne que par la marche de l'intégration économique et politique qui sous-tend
toute l'entreprise européenne.
Il semble enfin être de l'intérêt du bon fonctionnement du système financier
international que soit résolu le paradoxe étonnant et dangereux de la non
représentation officielle, au plan mondial, de la première puissance économique et
financière de la planète que constitue dorénavant l'Union européenne.
Jean-Guy GIRAUD
NB : Notes et Brèves précédentes archivées sous :
http://www.europarl.europa.eu/paris/4/par41eu5791.htm