La politique d`art public à Johannesburg

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La politique d`art public à Johannesburg
Pauline Guinard
Sous la direction de Philippe Gervais-Lambony et Marianne Morange
Master 2 Recherche, Dynamiques Urbaines Comparées, option Villes du Sud
La politique d’art public à
Johannesburg :
Quand l’art (dé)fait la ville ?
Université Paris-Ouest-Nanterre-La-Défense
Année universitaire 2008-2009
Remerciements
Merci à Philippe Gervais-Lambony et Marianne Morange, mes directeurs de mémoire, pour m’avoir
encadrée, soutenue, relue et stimulée par leurs idées et leurs conseils.
Merci à toute l’équipe IFAS (Institut français d’Afrique du Sud) pour m’avoir accueillie, financée et
m’avoir fait découvrir la ville sous de nombreuses facettes. Une pensée spéciale à Sophie pour sa
disponibilité malgré sa charge de travail ; à Christian pour avoir été mon grand frère ; à Nkoko pour
nos fous rires.
Merci à la famille Mabin, Alan, Cynthia, William et Linda pour m’avoir hébergée, conduite à de
nombreuses reprises aux quatre coins de la ville, fait connaître le tout Johannesburg et fourni les clefs
de Wits comme du Cap.
Merci à Mag qui a toujours su faire ressortir le meilleur de moi-même.
Merci à Kadu pour nos journées bibliothèques sans fin.
Merci aux Més pour leur visite et leur amour.
Merci à Marc pour sa patience et son soutien sans faille. Mon amour ? Mon cœur !
-1-
Sommaire
SOMMAIRE ............................................................................................................................................ 1
LISTE DES SIGLES UTILISES ............................................................................................................ 3
INTRODUCTION .................................................................................................................................. 4
I.LA POLITIQUE D’ART PUBLIC : UN OUTIL DE REDEFINITION POUR UNE VILLE EN
QUETE D’ELLE-MEME ? ................................................................................................................................ 20
1)
2)
Naissance de la politique d’art public à Johannesburg : le fruit d’une occasion et d’un projet .. 21
a) Un événement déclencheur : le sommet de New-York… .......................................................... 21
b) …qui rencontre un projet de ville ............................................................................................... 22
Faire l’unité de la ville après cinquante ans de divisions et de ségrégations ......................... 22
Construire une nouvelle image de ville : ‘‘A World Class African City’’ .................................. 25
Quel modèle pour quelle politique ? ......................................................................................... 27
Le contre-modèle : l’art public de l’apartheid ............................................................................ 27
Un modèle international plaqué ? .............................................................................................. 30
Le modèle de Tampa : un hasard ? ......................................................................................... 30
La question de la transposition et de l’adaptation de ce modèle au contexte local .............. 31
c) Les objectifs de la politique d’art public par rapport au projet de ville ...................................... 34
a)
b)
3)
Les modalités de mise en œuvre de la politique : texte et pratique........................................... 36
Le dispositif institutionnel… ........................................................................................................ 36
Le mode de financement, un nécessaire compromis : « un certain pourcentage » .............. 38
Les acteurs et les processus décisionnels prévus par le texte ................................................ 39
b) A l’épreuve des faits : procédures et acteurs effectifs ............................................................... 40
c) Une ou des politiques ? .............................................................................................................. 43
Les motivations des différents acteurs identifiés : des visions divergentes de l’art public ? . 44
Les rapports de force entre acteurs ....................................................................................... 53
a)
II.LA POLITIQUE D’ART PUBLIC A L’EPREUVE DE LA VILLE ............................................. 58
1)
La politique d’art public en actes : les œuvres d’art public dans la ville ..................................... 58
Quel art public produit par la Ville? ............................................................................................ 59
Les choix de la municipalité : des objets d’art public « traditionnels » à défaut de
performances ? ............................................................................................................................................ 59
Les autres formes d’art public contemporaines : points communs et différences avec l’art
public municipal ........................................................................................................................................... 60
b) Où sont les œuvres d’art public réalisées par la Ville ? .............................................................. 63
La place privilégiée du centre-ville : le centre-ville, une métonymie de la ville ? .................. 63
Inégalité de répartition des œuvres d’art public dans le centre-ville..................................... 71
a)
2) La réception des œuvres d’art public : de la mésinterprétation à l’indifférence, en passant par le
détournement ................................................................................................................................................ 78
a) L’Eland : une icône mal comprise ?............................................................................................. 80
1
Projet et processus décisionnel : le choix d’une œuvre d’art public iconique ....................... 80
Des pratiques spatiales inchangées par la présence de l’Eland ? ........................................... 87
Les représentations associées à la statue : quel éland ? ........................................................ 90
b) La statue de Carl von Brandis : l’œuvre détournée .................................................................... 95
Les pratiques : exemple d’un détournement d’usage d’une œuvre d’art public ................... 99
Performance publique au secours de l’art public : du détournement d’usage au
détournement de sens d’une œuvre d’art public ...................................................................................... 102
c) Les murals : de l’art public sans public ? ................................................................................... 105
Un projet participatif sans participants : quel impact sur la réception du message ? ......... 109
-
III.L’ART PUBLIC PEUT-IL FAIRE VILLE ? ..............................................................................116
1)
Une ville inclusive ? ................................................................................................................. 116
a) L’art public, révélateur d’un défaut d’urbanité ........................................................................ 117
Un déficit d’« interactions sociales » dans l’espace public : le refus du projet de J. Wafer . 117
Un manque de dialogue : le besoin de médiateurs .............................................................. 118
La sécurisation des œuvres, indice de la faiblesse de la notion de bien commun ? ............ 119
b) L’accès à l’espace public : une exclusion déplacée par l’art public mais non abolie ................ 121
c) Une inclusion symbolique illusoire ?......................................................................................... 122
Comment ? Proximité ou rupture par rapport à l’art public de l’apartheid. ........................ 128
2)
Politique d'art public et identité urbaine : l'art public catalyseur d'identité ? ......................... 130
a) Une image de ville créatrice d’identité… et inversement ? ...................................................... 131
L’image peut-elle créer de l’identité? Le cas de l’Eland. ...................................................... 131
Identité instrument de l’image ? Positionnement anti-apartheid comme élément
promotionnel. ............................................................................................................................................ 133
b) Les limites de l'art comme outil identitaire : vers une fragmentation de l'identité ?............... 133
L’art public, enjeu de réappropriations conflictuelles .......................................................... 134
L’identité de la ville, somme ou synthèse des identités de lieux ? ....................................... 135
c) L'identité en formation peut-elle créer un modèle transposable ailleurs ? ............................. 136
La diffusion du modèle en Afrique du Sud ? Au-delà ? ........................................................ 136
3)
La politique d'art public, laboratoire de la gouvernance urbaine ? .......................................... 137
a) La territorialisation de la politique d’art public : facteur d’équité territoriale ou injustice
spatiale ?....... .................................................................................................................................................. 138
Les modalités de territorialisation de la politique d’art public : une opposition centrepériphérie ?...... .......................................................................................................................................... 138
La territorialisation de la politique d’art public est-elle juste ? ............................................ 145
b) L’affirmation de l’autorité municipale : la construction d’un territoire métropolitain aux dépens
des populations locales ? ................................................................................................................................ 147
Des populations locales négligées, oubliées ou niées ? ....................................................... 148
CONCLUSION ...................................................................................................................................151
TABLE DES ILLUSTRATIONS......................................................................................................158
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................160
ANNEXES...........................................................................................................................................165
2
Liste des sigles utilisés
AAW
Art At Work
ASM
Albonico Sack Mzumara
BID
Business Improvement District
BMD
Braamfontein Management District
BRT
Bus Rapid Transport
CBD
Central Business District
CID
City Improvement District
ICO
Inner City Office
JDA
Johannesburg Development Agency
JPP
Joubert Park Project
KUM
Kagiso Urban Management
RID
Residential Improvement District
UDZ
Urban Development Zone
3
La forme d’une ville change plus vite, on le
sait, que le cœur d’un mortel.
Julien Gracq, La forme d’une ville.
Introduction
•
Genèse d’un sujet
Lorsque j’ai commencé à travailler sur Johannesburg, comme je n’étais encore jamais allée
dans cette ville, ni plus généralement en Afrique du Sud, j’ai cherché des informations et des images
sur Internet, afin de me familiariser avec le terrain. Le site internet de la Ville1 de Johannesburg2
propose ainsi une série de photographies donnant un aperçu de la ville. Etonnamment, sur ces
photographies, et plus particulièrement sur celles du centre-ville, il y avait des immeubles, des
paysages urbains, des œuvres d’art, mais peu, voire pas de gens. Mon questionnement initial est
né de cette surprise : que signifie pour une ville le fait de mettre en avant, dans les représentations
proposées, les bâtiments, le mobilier ou l’art urbains au détriment de l’élément humain, c’est-à-dire
des habitants, des touristes, des passants, etc. ? Qu’en déduire quant à l’image que la Ville de
Johannesburg veut donner d’elle-même et quant à sa manière de construire son identité en vue de
dépasser les héritages de l’apartheid ?
Sur ces photographies, c’est plus particulièrement la place accordée à l’art qui m’a intriguée,
Johannesburg étant loin d’être connue ou reconnue, du moins à l’échelle internationale, pour ses
œuvres d’art, mais bien plus pour son taux de criminalité. Je me suis alors intéressée avec attention à
ces formes d’art dans la ville, et j’ai découvert sur le site internet de Johannesburg qu’il existait une
politique municipale intitulée « Politique d’art public » (Public Art Policy) 3 qui visait justement à
favoriser le développement de l’art public, entendu non seulement au sens large comme art exposé
1
J’emploierai, tout au long de mon étude, le terme de Ville avec une majuscule pour me référer à la
municipalité de Johannesburg. La Ville renvoie ainsi à la ville en tant qu’acteur urbain.
2
Cf. http://www.joburg.org.za/
3
Cf. http://www.joburg-archive.co.za/2006/pdfs/public_art_policy.pdf
4
dans l’espace public, mais aussi présenté comme élément de promotion d’une plus grande cohésion
sociale, comme instrument permettant le passage d’une ville ségréguée, exclusive, à une ville
inclusive. Mais, dès lors, n’y avait-il pas une contradiction évidente entre cet objectif déclaré de la
« Politique d’art public » et les photographies proposées par la Ville elle-même, sur lesquelles l’art
semble remplacer, voire exclure, les gens ? Puisque cet art se dit « public », à quel public s’adresse-til : à l’usager de la ville ou bien au spectateur anonyme des photographies ? L’« art public » tel qu’il
est mis en œuvre ne répond-il qu’à cette définition a minima d’un art figurant dans l’espace public ?
Mais qu’en est-il alors de la portée politique ou sociale qu’on lui assigne dans les discours ? Peut-il
être réellement un élément de « publicisation » de l’espace ? En quoi et comment l’art public peut-il
créer du lien social dans la ville?
Il semblait donc y avoir un malentendu originel sur la fonction même de l’art public, utilisé
comme simple élément du décor urbain, et non comme élément constitutif de la ville, participant à
sa construction et à sa définition. De fait, comme l’a montré H. Lefebvre dans le Droit à la Ville en
1968, « mettre l’art au service de l’urbain, cela ne signifie pas du tout enjoliver l’espace urbain avec
des objets d’art »4. Comprendre et concevoir l’art public comme tel risquerait de conduire, toujours
selon H. Lefebvre, à une « parodie du possible se dénon[çant] elle-même comme caricaturale »5.
C’est ce contresens initial que je propose d’interroger.
•
Eléments de définition
-
Art public
Il existe plusieurs définitions de l’art public, selon le sens donné au mot « public ». Au sens le
plus large, l’art public désigne l’art dans l’espace public (Miles, 1997). Mais, certains auteurs ont jugé
cette définition insatisfaisante, voire incorrecte. Ainsi pour Christian Ruby, l’art public se définit « par
son rapport à sa source financière (le financement public), et non par le fait qu’il est placé en
public » (Ruby, 2001). Mais alors comment qualifier les œuvres d’art exposées dans l’espace public et
financées par le privé ? On peut à cet égard penser à la statue de Nelson Mandela installée dans le
square de Sandton, au nord de Johannesburg, financée par un donateur privé anonyme. Ne serait-ce
pas aussi de l’art public ? De ce fait, pour distinguer cet art public financé par les autorités publiques
d’un art public qui a d’autres sources de financement, privées ou mixtes, je préférerai parler d’art
4
H. Lefebvre, 1968, Le droit à la Ville, Paris, Anthropos, p. 139.
5
Ibid.
5
public public, pour insister sur le caractère doublement public de cet art, à la fois figurant dans
l’espace public et financé par le public.
De manière plus nuancée, J. Sharp, V. Pollock et R. Paddison affirment que l’art public n’est
« pas seulement de l’art placé à l’extérieur »6, mais que l’art public est un « art qui a comme but une
aspiration à interagir avec son public et à créer des espaces – qu’ils soient matériels, virtuels ou
imaginaires – dans lesquels les gens puissent se reconnaître »7 (Sharp, Pollock, Paddison, 2005).
Cependant, comme ces auteurs le soulignent eux-mêmes, il s’agit d’une « aspiration » de l’art public
à être plus que de l’art dans l’espace public, c’est-à-dire à être de l’art qui interpelle le public, qui
transforme l’espace public, pas seulement matériellement mais aussi socialement ou politiquement.
Ceci ne signifie donc pas que l’art public soit nécessairement plus que de l’art dans l’espace public,
mais qu’il aspire à l’être. Et de fait, c’est bien la capacité de cette « aspiration » à devenir réalité qu’il
me faudra interroger.
Dès lors, je définirai l’art public au sens le plus large d’art dans l’espace public, afin justement
de saisir dans quelle mesure l’art public peut, ou non, être plus que cela.
Par ailleurs, je différencierai deux formes d’art public en fonction de leur emprise spatiale et
surtout temporelle sur l’espace public, le but étant de me demander si la forme peut influencer la
nature de l’art public et les potentialités de celui-ci à agir sur cet espace public. Je distinguerai donc :
-
l’objet d’art public en tant qu’art conçu pour être installé durablement dans l’espace public.
Une statue ou une sculpture, par exemple, appartiennent à cette catégorie.
-
et la performance d’art public, art éphémère et temporaire, destiné à disparaître et donc ne
laissant aucune trace matérielle dans l’espace public. Un carnaval, une représentation de
théâtre dans la rue ou l’emballage du Pont Neuf à Paris par Christo en 1985, par exemple,
peuvent être qualifiés de performances.
Cette distinction est également utile parce qu’elle est souvent utilisée aussi bien par les autorités
publiques que par les artistes.
6
“[…] is not simply art placed outside […]”, in J. Sharp, V. Pollock et R. Paddison, 2005, “Just Art for a Just City:
Public Art and Social Inclusion in Urban Regeneration”, in Urban Studies, vol. 42 (5/6), p. 1003.
7
“[…] art which has as it goal a desire to engage with its audiences and to create spaces – whether material,
virtual or imagined - within which people can identify themselves […]”, ibid., p. 1004.
6
-
Espace public
La notion d’espace public est une notion polysémique. En effet, la définition juridique de l’espace
public, en tant que « catégorie d’espaces non détenus par des propriétaires privés » (Ghorra-Gobin,
2001), est vite insatisfaisante si l’on veut rendre compte des processus sociaux, politiques ou
culturels qui peuvent se produire dans l’espace public, qui en font partie et qui finalement
contribuent à le définir. Ce qui intéresse le géographe, c’est donc non seulement l’espace public dans
sa matérialité, comme espace physique urbain, mais aussi dans son immatérialité, c’est-à-dire dans
les représentations et les symboles qu’il engendre et qui lui sont associés (Berdoulay, 2001 ; GhorraGobin, 2001). De manière quelque peu schématique, mais utile à la compréhension du concept, on
pourrait ainsi distinguer trois dimensions de l’espace public :
-
l’espace public comme espace physique et comme catégorie juridique qui s’oppose à
l’espace privé. C’est la définition couramment utilisée par les pouvoirs publics.
-
l’espace public comme espace social, c’est-à-dire comme espace de rencontres mais aussi de
conflits potentiels entre des individus divers qui ne se connaissent pas. C’est l’espace des
pratiques et des codes sociaux permettant la vie en société.
-
enfin, l’espace public comme espace politique, renvoyant à la définition de J. Habermas8 de
l’espace public en tant qu’espace de débat sur le modèle de l’agora grecque.
Ces dimensions de l’espace public ne s’excluent pas nécessairement l’une l’autre, la question étant
justement de savoir, suivant les contextes, comment ces différentes acceptions s’articulent ou non.
S’intéresser à l’art public comme art dans l’espace public implique alors de se demander comment
l’art public peut interagir avec ces différentes dimensions de l’espace public, voire les transformer.
•
Eléments bibliographiques
S’intéresser à la politique d’art public à Johannesburg suppose de recouper trois corpus
bibliographiques concernant : l’espace public, puisque l’art public est de l’art dans l’espace public ; la
ville post-apartheid, pour laquelle Johannesburg fait fréquemment figure d’archétype ; et l’art public
en ville et dans les politiques publiques, corpus sur lequel je m’attarderai plus spécifiquement ici
parce qu’il est central dans mon étude.
8
J. Habermas, 1963, L'espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société
bourgeoise, Payot.
7
-
Sur l’espace public
Comme l’a montré C. Ghorra-Gobin, la mondialisation et la métropolisation affectant les
grandes villes du monde ont transformé les espaces publics en espaces de mobilité, de services,
soumis à un processus de privatisation (Ghorra-Gobin, 2001), mais aussi de sécurisation croissant qui
conduit à faire de ces espaces des espaces d’exclusion plus que de rencontre (Low et alii, 2005), à tel
point que certains auteurs se sont même interrogés sur la validité du concept dans les sociétés
contemporaines (Tomas, 2001).
L’idée générale est donc celle d’une perte de sens, d’une crise des espaces publics. Mais,
cette crise est à relativiser (Capron, Haschar-Noé, 2007), parce que l’espace public est en
construction constante, et s’il connaît des « régressions », il peut aussi être l’objet de réinventions
parce que l’espace public est aussi un « produit culturel » constitué par l’imaginaire et les
représentations de ses usagers (Berdoulay, et alii, 2001).
Dès lors, il s’agira de comprendre si l’art public est un moyen supplémentaire de contrôler
l’espace public ou si, au contraire, il peut être un moyen de recréer de l’espace public aussi bien au
sens matériel, que social, symbolique ou politique.
-
Sur la ville post-apartheid
Depuis la fin de l’apartheid, les publications portant sur la question de la « transition
démocratique » en Afrique du Sud, et plus particulièrement dans les villes, se sont multipliées,
célébrant souvent le « miracle » sud-africain. Mais, comme l’ont montré de nombreux auteurs
(Guillaume, et alii, 2004 ; Bénit, 2001 ; Guillaume, 2001 ; Gervais-Lambony, 1999), cette vision est à
nuancer, car la transition à l’œuvre, si transition il y a, est faite aussi bien de ruptures que de
continuités.
Penser la ville post-apartheid suppose donc de penser les changements, les recompositions,
les inerties de la ville en rupture et en lien avec l’apartheid (Murray, et alii, 2007) en vue de
comprendre en quoi la ville post-apartheid est une réinvention, comme l’analyse notamment
L. Bremner à propos du centre-ville de Johannesburg (Bremner, 2000).
En ce sens, pour sortir des stéréotypes associés à la ville africaine et plus particulièrement à
Johannesburg, A. Mbembe et S. Nutall plaident pour une approche renouvelée de Johannesburg, qui
8
ne prendrait pas seulement en compte son aspect économique mais également son aspect culturel,
en vue de mieux saisir en quoi Johannesburg est une métropole en constante évolution (Mbembe,
Nutall, 2004).
L’idée est alors de comprendre quel rôle l’art public peut jouer dans cette réinvention, cette
reconstruction continuelle de la Ville de Johannesburg. De fait, comme l’a montré Z. Minty à propos
du Cap (Zinty, 2006), l’art public dans un contexte post-apartheid peut être un élément de
transformation des espaces publics, et donc de la ville, en tant qu’instrument de réparation
symbolique des discriminations et des injustices de l’apartheid. L’art public, parce qu’il permet de
représenter dans l’espace public des populations et des histoires jusque-là marginalisées, serait ainsi
un moyen de recréer du lien, du dialogue entre les populations en vue de dépasser les divisions
passées. La question est alors de comprendre en quoi ceci est valable ou non à Johannesburg, et
selon quelles modalités.
-
Sur l’art public
L’art public n’est pas une forme nouvelle d’art. Si l’on pense à la Grèce antique, des statues
étaient déjà érigées dans l’espace public, généralement à la gloire des dieux du Panthéon, pour les
remercier de leurs bienfaits ou s’attirer leur protection. Par ailleurs, l’art public a également très
précocement été utilisé par les autorités publiques à des fins politiques, patriotiques, voire
idéologiques. On peut à cet égard penser aux statues des empereurs de la Rome Antique placées
dans les lieux de rassemblement public afin de célébrer le culte impérial ; aux statues et mémoriaux
produits sous la Troisième République en France et installés sur les places publiques afin de créer un
sentiment d’appartenance à la République et à la Nation (Nora, 1984-1992); ou encore aux affiches
diffusées pendant la Deuxième Guerre Mondiale par les différents Etats belligérants à des fins de
propagande. L’art public n’est donc pas un instrument récent des politiques publiques. Pour autant,
dans les années 1980, il s’est produit un véritable changement concernant la fonction attribuée à
l’art public par les autorités publiques, changement qui s’est traduit par l’adoption par certaines
municipalités urbaines de politiques publiques entièrement consacrées à l’art public.
De fait, ce type de politiques d’art public municipales est apparu dans les années 1980,
principalement dans les villes du Nord, au nom d’une certaine idée de l’art public comme élément de
réponse au constat, ou du moins à la perception, d’une perte de cohésion socio-spatiale dans les
villes. Cette idée que l’art public peut être un élément de réponse à une crise urbaine s’inscrit dans
un cadre plus vaste, consistant à attribuer à la culture en général un rôle économique nouveau,
9
permettant le passage d’une économie urbaine industrielle fordiste à une « économie symbolique »
selon l’expression de Sharon Zukin dans The Cultures of Cities (1995), c’est-à-dire une économie qui a
pour moteur principal la culture, et non plus l’industrie. Dans ce contexte, se met en place un
discours convenu sur le rôle positif de l’art dans la ville en tant que créateur de lien social, instrument
de lutte contre l’exclusion et les inégalités spatiales, pour justifier l’adoption d’une politique d’art
public en ville (Sharp, Pollock, Paddison, 2004 ; Hall, Robertson, 2001). Or, cette fonction attribuée à
l’art public ne va pas de soi. La confrontation de différentes études portant sur ces politiques d’art
public montre bien qu’il n’y a pas de réponse simple et univoque concernant les conséquences de
l’art public en ville, et ce d’autant plus qu’il n’existe pas de réel outil méthodologique pour en
mesurer les effets (Hall, Robertson, 2001).
Ainsi, Malcom Miles dans Art, Space and the City: public art and urban futures (1997),
ouvrage fondateur sur la question, montre à partir de plusieurs études de cas (Londres, Cardiff,
Birmingham ou encore New-York), que l’art public n’est pas en soi un facteur d’inclusion ou
d’exclusion socio-spatiale, mais qu’au-delà des discours, l’art public peut, dans certains cas, être
instrumentalisé par la classe dominante pour asseoir ses propres intérêts. Par exemple, dans le cas
du quartier de Battery Park à New-York, l’art a été un élément d’une politique d’ensemble qui, sous
prétexte d’embellir le quartier à des fins locales et surtout internationales, a conduit à l’exclusion des
plus pauvres au profit des classes moyennes et aisées, du fait de la valorisation foncière induite par la
présence même de l’art, c’est-à-dire à un processus de gentrification9. L’art, dans ce cas, est donc
bien un outil d’exclusion socio-spatiale.
Pour autant, M. Miles envisage aussi dans son étude certaines situations dans lesquelles l’art
public n’a pas enclenché de processus d’exclusion spatiale. Ainsi, à Sunderland, ville du Nord-Est de
l’Angleterre confrontée à un problème de reconversion depuis le départ de l’industrie navale, l’art a
été intégré à un projet de rénovation urbaine en vue de promouvoir des identités locales. Ce cas
diffère des autres cas étudiés, à la fois parce que l’artiste en charge du projet était un artiste local qui
a travaillé en collaboration avec les populations de la ville en mettant en place des ateliers de
consultation et de création, et parce que les œuvres d’art exposées ont été conçues en fonction des
sites d’implantation choisis et de l’histoire du lieu. Par exemple, les œuvres ont été réalisées avec du
grès récupéré sur les bâtiments industriels abandonnés. A Sunderland, l’art public a donc contribué à
créer un sentiment d’appartenance au sein de la population. Selon M. Miles, cela a été possible non
seulement du fait de la mise en place de procédures de consultation et de participation locale, mais
9
Le terme de gentrification est un mot anglais, forgé par des géographes anglo-saxons (Ruth Glasse, en 1963)
dans les années 1970, pour décrire un phénomène de retour de populations aisées des banlieues (suburbs) vers
les centres-villes dans un contexte de revalorisation et de rénovation des centres-villes dégradés.
10
aussi parce que le site du projet n’était pas un centre. De ce fait, ne se posait pas la question de la
compatibilité entre des objectifs locaux, en termes de construction d’une identité partagée, et des
objectifs internationaux, visant à promouvoir une certaine image de la ville en vue de son insertion
dans le jeu de la concurrence mondiale des villes. Parce que la ville n’avait pas de telles prétentions
internationales, la priorité était donnée aux objectifs de développement local. Est-ce à dire
qu’objectifs locaux et internationaux, dont le rapport semble chez M. Miles implicitement renvoyer
terme à terme à celui entre identité et image, seraient toujours contradictoires ? Les centres
seraient-ils alors nécessairement des espaces d’exclusion ? En quelle mesure cette analyse
s’appliquerait-elle à Johannesburg et à son centre-ville ?
John McCarthy, dans un article de 200610, s’interroge également sur cette question de
l’adéquation possible, via les politiques d’art public, entre l’image d’une ville, définie comme « la
somme des impressions que les gens ont d’une ville »11, et l’identité d’une ville qui renvoie à
« l’histoire d’une ville et sa situation, qui lui confèrent une certaine spécificité »12. Pour lui, il s’agit de
comprendre si une politique d’art public visant à construire une certaine image de lieu,
correspondant à une stratégie de promotion urbaine généralement imposée par les pouvoirs
publics, est compatible avec une politique d’art public cherchant à saisir et refléter l’identité d’un lieu
à un moment donné (les identités étant des constructions multiples et susceptibles d’évoluer dans le
temps), ce qui suppose de prendre en compte les populations locales.
Prenant le contre-pied des hypothèses avancées par M. Miles, J. McCarthy montre à partir de
l’étude de deux villes, qui font figure de centres au moins à l’échelle régionale, à savoir Manchester
au Nord-Ouest de l’Angleterre, et Belfast en Irlande du Nord, que l’image et l’identité du lieu peuvent
être conciliées et valorisées par une politique d’art public. Pour lui, la réussite des projets dans ces
deux villes réside dans la définition claire des objectifs des politiques d’art public et dans leur
intégration dans le cadre de l’ensemble des opérations culturelles de rénovation urbaine ; dans la
prise en compte du contexte et des identités locales, notamment du point de vue historique ; et,
enfin, dans les mécanismes de mise en place des politiques, valorisant la participation locale.
L’auteur en conclut que non seulement la promotion de l’image d’un lieu et de l’identité d’un lieu
sont compatibles dans une politique d’art public, mais qu’en plus ces deux logiques peuvent se
renforcer l’une l’autre, à partir du moment où l’image du lieu est construite à partir de l’identité du
10
J. McCarthy, 2006, “Regeneration of Cultural Quarters: Public Art for Place Image or Place Identity?”, in
Journal of Urban Design, vol. 11, n°2, p. 243-262.
11
“[…] the summation of the impressions that people have of a city […]”, ibid., p.245
12
“[…] a city’s history and circumstances, which imbue it with a degree of distinctiveness […]”,ibid., p.245
11
lieu, l’image construite contribuant en retour à renforcer l’identité du lieu, et avec elle la cohésion
spatiale du lieu en question. L’art public, s’il parvient à valoriser conjointement identité et image de
lieu, peut donc être un instrument de construction d’une ville cohérente et unie.
Ces études de cas confirment donc que l’art public n’est pas en soi un élément positif ou
négatif dans et pour la ville, mais que ce sont bien les politiques en elles-mêmes et la manière dont
celles-ci sont menées, qui en font ou non un facteur de lutte contre les inégalités, d’inclusion spatiale
ou de construction d’une identité de ville. Dès lors, il faudra s’interroger sur la nature de la politique
d’art public à Johannesburg et ses modalités d’application afin de comprendre dans quelle mesure
les analyses précédentes correspondent au contexte particulier de l’art public dans le centre-ville de
Johannesburg.
•
Formulation d’une problématique
Depuis 2006, la Ville de Johannesburg a donc mis en place une politique d’art public. Par
cette politique, la Ville entend se réinventer, se redéfinir. De fait, la Ville cherche par le biais de cette
politique à (re)construire son identité et son image, au-delà des héritages de l’apartheid. La Ville dit
donc quelque chose d’elle-même par la politique d’art public. Pour autant, l’art public une fois
produit, une fois installé dans l’espace public, peut échapper à la politique qui l’a créé (Miles, 1997).
En effet, l’art public parce qu’il est l’objet de réappropriations et de représentations, parce qu’il
suscite des pratiques et des usages, a une existence propre au-delà des objectifs et des fonctions qui
lui sont assignés par ses concepteurs. L’art public semble donc capable de s’autonomiser par rapport
à la politique d’art public qui l’a créé. Dès lors, ne serait-ce pas l’art public qui, en retour, produit de
la ville, et non pas seulement la Ville qui produit de l’art public ? L’art peut-il faire œuvre de ville,
comme la Ville fait œuvre d’art ?
A partir de là, il faudra donc me demander :
-
ce que cherche à dire la Ville d’elle-même par l’art public, que ce soit volontairement,
effectivement ou inconsciemment.
-
comment la Ville utilise l’art public pour cela : quelle politique est mise en place ? Quels en
sont les dispositifs et les modalités d’application ? Quel type d’art est choisi ? Quels sont les
résultats ?
12
-
comment l’art public peut ou non produire de la ville en retour ? Ceci suppose de s’interroger
sur la capacité de l’art public à transformer les espaces publics dans lesquels il est implanté, à
générer des pratiques et des représentations, à créer des lieux et des territoires dans et de la
ville.
Au final, il s’agit donc de saisir le statut de l’art public dans la ville et dans la production de celleci en vue de déterminer si l’art public est un enjeu pour la Ville, source de conflit potentiel entre
différents acteurs et différentes réappropriations ; ou s’il est un outil pour faire autre chose, qui reste
à déterminer ; ou une fin en soi, simple élément d’esthétisation de la ville ; ou bien encore un
argument d’opportunité utilisé par la Ville pour revendiquer l’espace public, et peut-être même pour
le contrôler.
Pour répondre à cette question, il s’agira tout au long de mon étude de m’interroger sur la
dimension spatiale de l’art public. Cela pose le problème de savoir comment la politique d’art public
est spatialisée, territorialisée dans la ville ; comment l’espace public peut être transformé, ou non,
par l’installation d’une œuvre d’art public ; et comment l’art public peut, ou non, créer des
dynamiques spatiales, comme par exemple des processus d’inclusion ou d’exclusion spatiale. Par
ailleurs, je tenterai de saisir dans quelle mesure il peut y avoir une dissociation entre les objectifs qui
sous-tendent la production de l’art public, l’œuvre d’art public elle-même et la réception qui en est
faite par le public, et en quoi cette dissociation est en elle-même une possibilité pour l’art public de
créer de la ville. Enfin, dans le cadre d’une ville post-apartheid, dans laquelle la question de la justice
occupe une place particulière, je chercherai à montrer en quoi la politique d’art public peut être une
clef de lecture pour comprendre ce que peuvent être, dans ce contexte, une politique et une ville
justes.
•
Présentation du terrain et justification de l’espace d’étude
La quasi-totalité des études portant sur les politiques d’art public s’appuie sur des cas choisis
dans les villes du Nord13, essentiellement parce que très peu de villes du Sud sont dotées de telles
politiques. Ainsi, travailler sur une ville du Sud comme Johannesburg exige de s’interroger sur les
modalités de transposition des modèles d’art public urbains du Nord vers le Sud, et sur les
adaptations ou distorsions induites par ce transfert.
13
Je reprends ici, pour faciliter la compréhension, la distinction communément utilisée en géographie, même si
discutée, qui oppose villes du Nord et villes du Sud, selon leur degré de développement. Je montrerai par la
suite que cette distinction est loin d’être évidente, notamment dans le cas de Johannesburg.
13
A cet égard, E. Vivant (2007)14 a posé la question de la possible transposition, dans les villes
du Sud, des modèles de politiques publiques du Nord utilisant la culture comme élément de
rénovation urbaine. Elle a ainsi montré à partir de la rénovation du quartier de Newtown à
Johannesburg, ex-quartier industriel transformé en quartier culturel, comment la politique culturelle,
en devenant un élément décisif des politiques urbaines, pouvait changer de nature et de cible,
négligeant les pratiques et les attentes locales au profit de la promotion internationale de la ville. On
retrouve donc ici la question de la conciliation possible entre enjeux locaux et internationaux posée
par M. Miles. A Newtown, en effet, le manque de prise en compte du contexte local ainsi que le
manque de moyens mis au service du projet culturel ont conduit à faire de la culture un simple
élément d’esthétisation de l’espace public urbain. Cette constatation est-elle valable pour l’ensemble
du centre-ville de Johannesburg en ce qui concerne l’application des politiques d’art public ? Selon
quelles modalités s’est faite la transposition des politiques d’art public à Johannesburg ? Quels ont
été les modèles ? Quelle place a été accordée à la prise en compte du contexte local ?
De fait, le contexte local est primordial dans toute étude géographique et particulièrement
dans le cas de Johannesburg, non seulement parce que Johannesburg est une ville du Sud, mais aussi
parce que c’est une ville sud-africaine, c’est-à-dire une ville marquée par presque cinquante ans
d’apartheid (1948-1991). Ainsi, pour de nombreux géographes15, Johannesburg a été pendant
longtemps la figure archétypale de la ville ségréguée, voire fragmentée. De fait, dès 1923, le Natives
Urban Areas Act assigne aux Noirs des espaces de résidence spécifiques en ville. Cette première
mesure de séparation raciale particulière aux villes sera renforcée et généralisée en 1950 avec le
Group Area Act voté par le gouvernement d’apartheid en place depuis 1948, loi qui définit quatre
groupes raciaux différents (Blanc, Noir, Coloured, Indien) et leur assigne des espaces de résidences
séparés. A Johannesburg, cela se traduit concrètement par la création de quartiers racialement
ségrégués. La Ville de Johannesburg, correspondant à l’actuel centre-ville de la métropole, était alors
un quartier réservé aux Blancs. Les populations autres que blanches n’accédaient à la ville qu’à
condition d’avoir un laissez-passer (pass), accordé uniquement à ceux qui pouvaient justifier d’un
emploi dans celle-ci. La fin de l’apartheid en 1991 a aboli en droit de telles ségrégations. Mais,
comme l’a montré Philippe Guillaume dans sa thèse en 200116, cela ne s’est pas traduit par la fin des
ségrégations de fait, même s’il s’est produit des réorganisations spatiales majeures qui ont pu faire
14
E. Vivant, 2007, « L’instrumentalisation de la culture dans les politiques urbaines : un modèle
transposable ? », in Espaces et sociétés, vol. 4, n°131.
15
Voir la définition d’« urbain » dans J. Lévy, M. Lussault, 2003, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des
sociétés, Belin.
16
P. Guillaume, 2001, Johannesburg : Géographies de l’exclusion, Karthala.
14
croire un temps à une possible déségrégation, notamment dans le centre-ville. En effet, le centreville est passé en une dizaine d’années du statut de quartier blanc de droit à un quartier noir de fait.
Plus de dix ans après la fin officielle de l’apartheid, Johannesburg reste donc organisée par des
logiques d’exclusion et d’entre-soi qui, au lieu de s’atténuer au fil du temps, ont plutôt tendance à se
renforcer dans un contexte de peur et de fort taux de criminalité.
Et cela se traduit dans l’espace public. En effet, comme l’ont démontré M. HoussayHolzschuch17 à partir de l’exemple du Cap (Houssay-Holzschuch, 2004) et T. Dirsuweit à partir de
celui de Johannesburg (Dirsuweit, 2008), l’existence même de l’espace public en Afrique du Sud fait
question. De fait, le régime d’apartheid, en imposant une ségrégation généralisée des espaces selon
la « race », a aussi interdit la constitution d’espaces publics au sens plein du terme, puisque suivant
l’espace considéré le public devait être blanc, noir, Coloured ou indien. Dès lors, les rencontres entre
individus de « races » différentes, telles que définies et imposées par l’apartheid, étaient limitées,
restreignant donc la dimension sociale de l’espace public. La fin de l’apartheid a certes mis fin à cette
ségrégation de droit de l’espace public au sens juridique, mais comme je l’ai déjà souligné, une
ségrégation de fait persiste. L’art public peut-il dès lors être un moyen de déségréguer de fait
l’espace public social, comme le voudrait la municipalité ? L’art public peut-il être un facteur de
« publicisation » de cet espace public, en tant qu’il permettrait effectivement un accès de tous les
public à cet espace ? L’art public peut-il (re)créer de l’espace public, et avec lui la ville?
Par ailleurs, le choix du centre-ville comme espace d’étude privilégié résulte à la fois de choix
pratiques et théoriques. En effet, sur le plan pratique, dans le cadre d’un travail de master 2 d’un an
dont deux mois et demi sur le terrain, il m’a semblé prudent de restreindre ma recherche à l’étude
d’un quartier spécifique, plutôt que de considérer l’agglomération de Johannesburg dans son
ensemble, celle-ci étant particulièrement étendue (plus de 1600 km2, soit quelque seize fois la
superficie de Paris) et très mal desservie par les transports en commun. A cet égard, le centre-ville
est d’ailleurs un des rares quartiers à être aisément accessible en transport en commun à partir de
n’importe quel autre quartier de la ville. Enfin, le centre-ville accueille l’Institut français d’Afrique du
Sud (IFAS) et l’université du Witwatersrand, deux lieux pouvant servir de base à l’enquête de terrain.
En outre, sur le plan théorique, le centre-ville est intéressant pour plusieurs raisons. D’une
part, l’échec de la déségrégation du centre-ville depuis la fin de l’apartheid pose la question de la
possibilité même d’en faire un espace inclusif, alors que l’art public prétend pouvoir enclencher une
telle dynamique. D’autre part, le centre-ville est la cible privilégiée de la politique d’art public de la
Ville de Johannesburg, depuis sa mise en place en 2006. Cette place prioritaire accordée au centre
15
n’est sans doute pas un hasard, et peut être en ce sens une invitation à réfléchir, avec M. Miles et J.
McCarthy, à l’articulation possible entre objectifs locaux et internationaux d’une part, et entre image
et identité d’autre part, dans un espace central tel que le centre-ville de Johannesburg.
•
Méthodologie
Mon étude portant essentiellement sur une analyse des discours, des pratiques et des
représentations, selon une approche relevant à la fois de la géographie urbaine et culturelle, j’ai
privilégié les techniques d’enquête qualitatives, que ce soit l’observation, l’entretien ou le
questionnaire, plus à même de répondre à mon questionnement. Pour autant, je n’ai pas négligé les
méthodes quantitatives, comme la cartographie ou le traitement statistique des données, pour
traiter les informations recueillies.
Ainsi en vue de saisir le pourquoi de la mise en place d’une politique d’art public à
Johannesburg et de me livrer à une analyse des discours associés à cette politique, j’ai effectué une
série d’entretiens, quatorze au total, de type semi-directif auprès des différents acteurs de cette
politique publique, d’une durée moyenne de quarante-cinq minutes à chaque fois. Pour chaque
groupe d’acteurs, en fonction de leur rôle dans la politique d’art public de la Ville, j’ai établi des
grilles d’entretien (cf. annexes) autour de quatre grandes thématiques : leur définition de l’art
public ; leur mode de participation à la politique d’art public ; les raisons de cette participation ; leur
appréciation globale de la politique.
Dans l’ensemble, il m’a été assez facile d’obtenir des rendez-vous avec les différents
intervenants de cette politique. De fait, même si ce sont des personnes très occupées, j’ai senti un
véritable intérêt pour mon projet, et surtout une envie de ces personnes de parler de leur travail et
de leur implication dans une politique qui est somme toute très récente et en constante évolution. Le
seul groupe d’acteurs avec qui il m’a été beaucoup plus difficile de rentrer en contact est le secteur
privé. En effet, à chaque tentative, j’étais renvoyée auprès des autres groupes d’acteurs, ceux du
secteur privé ne se disant pas compétents pour répondre à mes questions, ce qui est pour le moins
surprenant quand on sait que ces acteurs participent à la sélection des artistes et des œuvres d’art
créées au nom de la politique d’art public. Quoi qu’il en soit, c’est sur ces entretiens que je
m’appuierai tout au long de cette étude. Ils ont été menés en anglais et enregistrés, à l’exception des
entretiens téléphoniques, toujours avec l’accord des personnes interrogées. Par souci
16
d’homogénéité, n’ayant pas pour tous les entretiens la transcription en langue originale, j’ai choisi de
faire figurer dans le corps du texte uniquement la version française des propos recueillis.
Par ailleurs, j’ai aussi eu recours à l’observation à plusieurs niveaux de mon travail de terrain.
Tout d’abord, l’observation a été un élément de repérage, en vue de réaliser une cartographie
précise des œuvres d’art public dans le centre-ville. L’objectif de ce relevé était de cerner la
géographie des œuvres d’art dans le centre-ville de Johannesburg afin de m’interroger sur la
répartition des œuvres d’art public dans le centre-ville.
Ensuite, l’observation a aussi été pour moi un outil d’analyse en tant que tel en vue d’étudier
les pratiques des usagers des espaces publics dans lesquels avait été implantée une œuvre d’art
public. Il s’agissait alors de comprendre l’impact des œuvres d’art public à l’échelle locale, voire
micro-locale, en tentant d’identifier des pratiques particulières impliquées par la présence de ces
œuvre (contemplation, évitement, dégradation), et entre les passants autour d’elles ou à leur propos
(échanges verbaux ou visuels, discussions).
Enfin, afin d’affiner mes observations, il m’a semblé intéressant de compléter mon étude par
la réalisation de questionnaires auprès des passants. Etant donné le caractère spécifique des espaces
publics en Afrique du Sud, et particulièrement ceux du centre-ville de Johannesburg qui restent
marqués par un taux de criminalité élevé et un fort sentiment d’insécurité, je n’étais pas sûre de
pouvoir réaliser ce type d’enquête sans susciter la méfiance voire le rejet des passants. En ce sens,
les questionnaires effectués ont aussi une dimension exploratoire. Et de fait, je n’ai pas pu réaliser
des questionnaires partout, mais contrairement à mes attentes, plus du fait de mes propres peurs
que de celles des personnes interrogées.
•
Annonce du plan
L’ensemble de ce mémoire est conçu comme un projet de thèse, non comme un travail de
recherche abouti. L’idée est donc de confronter mes hypothèses de départ à un travail de terrain
préparatoire, en vue de valider ou de récuser des pistes et des méthodes de recherche possibles.
Dans un premier temps, je me demanderai en quoi la politique d’art public de Johannesburg
peut être un outil de redéfinition de la ville, ce qui suppose de se livrer à une analyse détaillée du
texte de la politique en elle-même, afin de comprendre pourquoi et au nom de quoi une telle
politique a été mise en place, et d’examiner les discours associés à la mise en place de cette
17
politique. Pour ce faire, je commencerai par une mise en contexte de la naissance de la politique
d’art public de Johannesburg par rapport à l’histoire de la ville en vue de saisir en quoi les objectifs
de cette politique s’inscrivent dans un projet de ville. Ensuite, j’étudierai le texte de la politique en
lui-même, en le mettant en regard avec les contre-modèles et les modèles de politiques d’art public
qui ont servi à l’élaboration de cette politique, en m’interrogeant sur les modalités de transposition
de celle-ci. L’idée sera alors de saisir dans quelle mesure le contexte local urbain a été pris en
compte, ce qui est sans doute un premier élément pour comprendre la réussite ou l’échec de cette
politique. Enfin, après avoir identifié les différents acteurs en charge de la mise en œuvre concrète
de cette politique, j’analyserai avec précision les arguments utilisés par chacun d’entre eux pour
justifier leur implication et leur participation à une telle politique. Je me demanderai ainsi si les
discours sont identiques quels que soient les acteurs interrogés, ce qui impliquerait que l’art public
soit un élément de consensus urbain, ou si à l’inverse les discours diffèrent selon les conceptions de
l’art public et les intérêts de chacun, l’art public étant alors un enjeu pour les acteurs de cette
politique, chacun essayant d’imposer sa propre vision de l’art public.
Dans un deuxième temps, je m’intéresserai à la mise en œuvre et en espace de la politique
d’art public de Johannesburg afin de saisir concrètement comment cette politique se traduit dans la
ville. Dans cette perspective, je dresserai un bilan des réalisations de cette politique après deux ans
d’application, en me demandant s’il est possible d’identifier un type d’art public spécifique à cette
politique et si ces œuvres répondent à une répartition spatiale spécifique qu’il s’agira de mettre en
évidence. A partir de là, en concentrant mon étude sur le centre-ville de Johannesburg, j’examinerai
les modalités de réception des œuvres d’art public une fois installées dans l’espace public, en
étudiant plus particulièrement trois œuvres d’art public. Le but de cette démarche est de mesurer
l’éventuel décalage entre objectifs de production de l’art public et modes de réception de cet art, à
partir de l’observation des pratiques des usagers de l’espace considéré, ainsi que de l’analyse de
leurs représentations, via la réalisation de questionnaires quand cela est possible. Cette partie me
servira aussi à faire un point méthodologique sur ce qu’il est possible de faire ou non en termes de
recherche dans l’espace public du centre-ville de Johannesburg.
Enfin, dans un troisième temps, à partir du constat de la distorsion entre objectifs et résultats
de la politique d’art public de Johannesburg, je me demanderai si cette distorsion est révélatrice
d’une faiblesse de la politique d’art public ou si au contraire elle est une condition de possibilité de la
création même de la ville, que cette ville corresponde ou non à la vision que la municipalité entend
promouvoir. Je verrai alors en quoi l’art public, contrairement aux attentes de la Ville, déplace les
exclusions plus qu’elle ne les dépasse. Puis je montrerai dans quelle mesure l’art public peut être un
vecteur d’identité territoriale par les réappropriations, parfois conflictuelles, qu’il suscite, à tel point
18
que l’on peut se demander si la politique d’art public de Johannesburg ne s’impose pas
progressivement comme un exemple, voire comme un modèle, à l’échelle de l’Afrique du Sud. Enfin,
j’envisagerai en quoi la politique d’art public peut être une clef de lecture pour comprendre les
mécanismes de la gouvernance urbaine qui se mettent progressivement en place et qui contribuent
aussi à construire la métropole de Johannesburg.
19
I.
La politique d’art public : un outil de redéfinition pour une ville en quête
d’elle-même ?
La politique d’art public de Johannesburg naît dans un contexte bien précis, celui d’une ville
post-apartheid qui tente de se redéfinir en tant que ville unique, unifiée et unifiante, c’est-à-dire une
ville qui accepte et qui célèbre la diversité des populations et des influences qui la composent, alors
que celles-ci ont été pendant longtemps niées, exclues, discriminées. Comprendre pourquoi et
comment naît la politique d’art public à Johannesburg, c’est donc se donner la possibilité de saisir
quels en sont les objectifs, non seulement dans le cadre de cette politique, mais aussi par rapport à
un projet de ville spécifique, tout en cherchant à déterminer les moyens mis en place pour que cette
politique soit effective. Pour ce faire, il s’agit donc ici d’envisager en fonction de quels paramètres a
été défini l’art public produit au nom de cette politique, à savoir :
-
le contexte historique et politique, notamment par rapport au régime d’apartheid qui
a profondément marqué l’Afrique du Sud et Johannesburg : en quoi l’art public
produit par la politique d’art public contemporaine se distingue-t-il de l’art public de
l’apartheid ? En quoi l’art public de la politique d’art public de Johannesburg est-il un
genre d’art public post-apartheid ?
-
la ville : l’art public de Johannesburg est-il différent de l’art public des autres villes
d’Afrique du Sud et du monde ? Ceci renvoie à la question des modèles, aussi bien
qu’à celle des contre-modèles dont s’est servie Johannesburg pour élaborer sa
propre politique d’art public.
-
les acteurs à l’initiative de cet art : en quoi l’art public peut-il être influencé par les
acteurs qui le financent, le conçoivent ou le réalisent ?
Bien évidemment, tous ces critères ne s’excluent pas nécessairement l’un l’autre, un des buts
de cette étude étant justement de comprendre comment ils peuvent s’articuler, se compléter ou se
contredire. J’examinerai donc ici dans quel contexte précis a eu lieu l’élaboration de la politique d’art
public ; puis j’envisagerai les modèles et les contre-modèles qui ont servi à l’élaboration de celle-ci ;
enfin j’examinerai les modalités de sa mise en œuvre.
20
1) Naissance de la politique d’art public à Johannesburg : le fruit d’une occasion et
d’un projet
a) Un événement déclencheur : le sommet de New-York…
L’idée même de mettre en place une politique d’art public à Johannesburg est récente. Elle
fait suite à un sommet organisé par la Ville de New-York sur la question de l’art public à l’attention
des villes jumelées à cette dernière, comme me l’a expliqué Steven Sack, directeur du Département
des Arts, de la Culture et du Patrimoine de la Ville de Johannesburg :
« […] Il y a de cela environ trois ans, la Ville de New York a organisé une réunion, en vue de
renforcer ses relations de jumelage avec un certain nombre de villes pour parler d’art
public. A cette occasion, il y a eu une installation de Christo à Central Park, des sortes de
rideaux géants. A cette époque, Johannesburg n’avait pas encore de politique d’art public.
Cette réunion a été pour nous l’occasion de débuter une réflexion en vue de
l’établissement d’une telle politique, notamment en discutant avec d’autres villes comme
Tokyo, Jérusalem ou Londres. Donc, c’était non seulement une occasion pour nous de voir
ce que les autres villes avaient fait en la matière, mais aussi de comprendre comment elles
géraient leur programme d’art public. […] » (Entretien du 2 février 2009)
De fait, les 17 et 18 février 2005, s’est tenue à New-York une rencontre intitulée « Sommet du
programme des villes jumelles sur les stratégies d’art public » (Sister City Program Summit on
“Strategies for Public Art”), quatrième rencontre de ce type, réunissant les Villes de Pékin, Budapest,
Le Caire, Jérusalem, Londres, Madrid, Rome, Tokyo et Johannesburg, soit des villes du Nord et du Sud
ayant déjà, ou non, une politique d’art public. Le but de cette réunion était de partager et de
confronter des expériences urbaines en matière d’art public afin d’aider les municipalités à créer ou à
gérer ce type de politiques. L’organisation même de cette manifestation est d’ailleurs révélatrice du
rôle nouveau attribué à l’art dans les politiques urbaines que j’évoquais en introduction, lesquelles
conçoivent l'art comme partie intégrante des stratégies de développement des villes dans un
contexte de passage d’une économie industrielle à une économie « symbolique » (Zukin, 1995) dans
laquelle la culture occupe une place à part entière, sinon dominante. De même, le fait que New-York
soit la ville organisatrice du sommet est significatif, puisque New-York a été une des premières villes
à mener ce genre de politique, le conseil municipal de la ville ayant adopté en 1982 la loi des « un
pourcent d’art » (Percent for Art Law) pour financer cette politique. Cette loi consiste en effet à
attribuer au moins un pourcent du budget des constructions publiques à la réalisation d’œuvres
d’art. New-York, de par la précocité et l’ampleur de son expérience, apparaît ainsi comme un
véritable modèle en matière d’art public à l’échelle internationale. L’ouvrage d’Eleanor Heartney de
21
2005 consacré à cette politique, « Art urbain : la politique des ‘‘un pourcent d’art’’ de la Ville de NewYork » (City Art: New York's Percent For Art Program18), fait d’ailleurs partie des livres de référence
d’Eric Itzkin, directeur adjoint du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine de
Johannesburg et rédacteur de la politique d’art public de la Ville.
Ce sommet a donc marqué le point de départ pour Johannesburg d’une réflexion en vue
d’adopter une politique d’art public, en s’inspirant d’expériences d’autres villes tout en s’efforçant
d’adapter ces expériences au contexte particulier de la ville, comme me l’a précisé S. Sack le 2 février
2009 :
« […] A partir de là, nous avons commencé à réfléchir à notre propre histoire, notre propre
héritage en vue de préparer cette politique. De manière évidente, l’histoire de notre ville est
celle d’une ville d’apartheid, d’une ville ségréguée, d’une ville dans laquelle l’espace public
exclut beaucoup de gens, dans laquelle l’art public et les monuments publics existant
célébraient soit des figures de l’apartheid, soit des Afrikaners. […] »
De fait, Johannesburg est une ville singulière, marquée par près de cinquante ans de politiques
ségrégatives, à tel point que Johannesburg, pour de nombreux géographes19, est elle-même un
modèle de ville : celle d’une ville ségrégée, divisée, voire fragmentée. La politique d’art public est
donc née de cette rencontre entre un événement contingent, le Sommet de New-York, et un projet
de ville consistant à dépasser ce modèle de ville hérité d’apartheid.
b) …qui rencontre un projet de ville
-
Faire l’unité de la ville après cinquante ans de divisions et de ségrégations
La fin de l’apartheid a conduit à une redéfinition de la Ville de Johannesburg qui visait à
transformer cette ville alors divisée et ségrégée, en une métropole unique. En effet, pendant
l’apartheid, la ville se divisait administrativement en onze autorités locales dont sept blanches et
quatre noires, coloured et indiennes. L’unification de la métropole s’est faite en plusieurs étapes. En
1995, quatre municipalités mixtes destinées à être des structures transitoires et regroupant
d’anciennes autorités locales blanches, noires, coloured ou indiennes, ont été créées, chacune avec
une autonomie territoriale et une autorité locale, sous le contrôle d'un conseil central métropolitain.
18
E. Heartney, 2005, City Art: New York's Percent For Art Program, Merrel, New-York, Londres.
19
Voir la définition d’« urbain » dans J. Lévy, M. Lussault, 2003, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des
sociétés, Belin.
22
Mais dès 1997, ces municipalités ont été confrontées à une grave crise financière, révélant le faible
degré de viabilité de cette organisation, et conduisant à la mise en place d’un plan de restructuration
financière et institutionnelle défini à l’échelle de la métropole (Parnell, Robinson, 2006). Ceci a
débouché, en décembre 2000, sur la constitution d’une structure métropolitaine unique,
symboliquement dénommée « Unité » (Unicity). Cette structure, toujours en place aujourd’hui, se
compose d’un gouvernement métropolitain unique, de sous-structures dirigées par les élus des
circonscriptions correspondantes, à fonction administrative, et enfin, de comités de circonscription
(ward committes) à vocation administrative (voir carte 1.1). A l’heure actuelle, la Ville de
Johannesburg est ainsi une « autorité métropolitaine », c’est-à-dire une des trois formes d’autorités
locales définies par la Constitution de 1996 et reconnues à l’échelle nationale (cf. encadré 1.1). C’est
à l’échelle métropolitaine que sont définies les politiques publiques municipales.
Encadré 1.1 : Les « autorités métropolitaines » en Afrique du Sud
Depuis 2000, l’Afrique du Sud compte six « autorités métropolitaines », correspondant aux six plus
grandes agglomérations du pays, à savoir Johannesburg, Le Cap, Durban, Pretoria, Port Elizabeth
et l’East Rand. Selon la définition donnée par Philippe Gervais-Lambony, les « autorités
métropolitaines » sont :
« […] un des trois types possibles d’autorités locales définies par la constitution de 1996 et surtout
par le Livre Blanc sur le Gouvernement Local (Ministry for Provincial Affairs and Constitutional
Development, 1998). Les Metros ont l’exclusivité du pouvoir exécutif et réglementaire sur leur
juridiction. Les Districts englobent plusieurs municipalités avec lesquelles ils partagent les
pouvoirs. Les Municipalities sont englobées dans des Districts et partagent avec eux pouvoirs et
responsabilités. Pour définir les nouveaux types d’autorités locales et leurs limites, le
gouvernement a établi une commission, le Demarcation Board (régie par le Municipal
Demarcation Act de 1998) mise en place à partir du premier février 1999. »
P. Gervais-Lambony, 2004, « Mondialisation, métropolisation et changement urbain en Afrique du Sud », in
Vingtième siècle, n°84.
23
Carte 1.1 :
Centre-ville
Sandton
Soweto
Source : Pauline Guinard
La politique d’art public de Johannesburg est donc une politique métropolitaine, conçue pour
et à l’échelle de la métropole, et en vue de contribuer à cette unité. De fait, l’histoire de la ville faite
de divisions, de ségrégations et d’exclusions spatiales rend difficile la construction de cette unité.
L’institution d’une politique d’art public métropolitaine n’est donc pas un hasard. Elle correspond à
une volonté de la municipalité de renforcer l’unité fonctionnelle et symbolique de la métropole. Sur
24
le plan fonctionnel, l’art public est en effet conçu comme un élément pouvant favoriser la
réappropriation des espaces publics, délaissés du fait d’un fort sentiment d’insécurité, et donc
comme un moyen de (re)créer du lien social dans la ville, facteur d’unité urbaine. Sur le plan
symbolique, l’art public peut être un procédé pour créer des symboles communs, potentiellement
partagés par tous, favorisant ainsi la diffusion d’un sentiment d’appartenance à une seule et même
ville, celle de Johannesburg. En même temps, par ces symboles, la Ville entend aussi changer son
image à l’échelle locale, mais aussi nationale et surtout internationale.
-
Construire une nouvelle image de ville : ‘‘A World Class African City’’
L’image de Johannesburg à travers le monde est celle d’une ville dangereuse, peu attractive.
Et ceci affecte particulièrement le centre-ville qui, de fait, est entré dans une logique de déclin dès
les années 1970, accentuée dans les années 1980-1990. Ceci s’est traduit sur le plan économique par
le départ des entreprises et des investisseurs vers les banlieues nord de la ville, et notamment vers
Sandton qui fait aujourd’hui figure de nouveau centre économique (cf. carte 1.1), augmentant ainsi
le taux de vacances dans le centre-ville ; sur le plan social par une hausse du chômage et de la
criminalité ; sur le plan racial par l’arrivée des populations noires et le départ des populations
blanches (Beavon, 2004). Dans ce cadre, l’art public est conçu comme un élément qui peut
contribuer à changer positivement l’image du centre-ville, et avec lui de la ville tout entière, en vue
d’attirer des touristes et des investisseurs.
Cette volonté de redorer l’image de la ville n’apparaît pas avec la politique d’art public. Elle
s’inscrit depuis la fin de l’apartheid dans le projet de la nouvelle municipalité de repenser la ville, de
la réinventer. L. Bremner et C. Wiser20 ont ainsi montré comment cette volonté de changement
d’image s’est traduite par différentes stratégies de rénovation urbaine, chaque fois incarnées dans
un slogan de ville (cf. encadré 1.2). Le slogan de la métropole depuis 2000 est « Joburg21, une ville
mondiale africaine » (Joburg, a World Class African City). L’image qu’il s’agit de promouvoir est donc
celle d’une ville mondiale – c’est-à-dire d’une ville capable d’avoir une influence à l’échelle mondiale
et donc d’attirer les touristes et les investisseurs internationaux – et d’une ville africaine, leader sur
le continent et consciente de son identité africaine alors que celle-ci a longtemps été niée, voire
refusée, notamment par la population blanche sud-africaine. L’art public, en tant qu’il doit contribuer
à changer l’image de la ville, se doit donc de représenter cette nouvelle Johannesburg, mondiale et
20
L. Bremner, C. Wiser, 2000, “Reinventing the Johannesburg Inner City”, in Cities, vol. 17 (3), p. 185-193.
21
Joburg est un des diminutifs utilisés le plus fréquemment pour parler de Johannesburg.
25
africaine. Mais, ceci conduit à se demander ce que la municipalité entend par « ville mondiale » et
« ville africaine » et quelles valeurs elle entend promouvoir par ces termes. La ville mondiale seraitelle synonyme de ville néolibérale, compétitive, accentuant les inégalités ? L’expression de « ville
africaine » a-t-elle un sens ou n’est-elle qu’une simple figure rhétorique (Sihlongonyane, 2009) ?
Comment l’art public peut-il symboliser cette « ville mondiale africaine » ? La question est alors de
savoir si, par cette expression, la Ville revendique son « identité africaine », notion qui resterait à
définir, ou bien s’il s’agit pour elle de se positionner comme la ville mondiale en Afrique, seule
capable de peser sur la scène internationale. Ceci suppose donc de se demander si ce
positionnement est identitaire et/ou géographique.
Encadré 1.2 : Les réinventions successives de Johannesburg à travers ses slogans depuis la fin
de l’apartheid
1991 : adoption du slogan « Porte de l’Afrique » (Gateway to Africa) parallèlement à la
promotion d’un modèle de rénovation urbaine de type entrepreneurial, valorisant les
partenariats public-privé. Aspiration de la ville à devenir une ville mondiale qui servirait
d’interface entre l’Afrique et le reste du monde.
1997 : redéfinition de la ville comme étant au cœur de l’Afrique avec le slogan « Le battement de
cœur en or » (Golden Heartbeat). Recentrage de Johannesburg sur le local sans pour autant
renoncer à l’international.
2000 : dans le cadre de l’institution de la métropole de Johannesburg, tentative de concilier un
positionnement de la ville en tant que ville compétitive sur la scène internationale et une
revendication d’une appartenance au continent africain avec le slogan « Une ville mondiale
africaine » (A World Class African City).
Quoi qu’il en soit, l’art public est vu comme une opportunité pour donner corps à cette vision
de la ville. Et en ce sens, étudier l’art public peut être un moyen pour comprendre concrètement ce
que « ville africaine mondiale » sous-entend. En outre, une telle redéfinition de la ville par l’art public
paraît d’autant plus réalisable à Johannesburg que l’art public était peu associé à l’apartheid, peu
d’œuvres d’art public de cette époque y étant exposées. Cette faiblesse de l’art public dans la ville
pourrait apparaître comme un handicap, en tant qu’elle traduirait le manque d’expérience de la ville
en la matière, mais elle peut aussi être interprétée comme une chance, du fait de la difficulté à gérer
l’héritage de l’apartheid, porteur de discriminations et d’inégalités. Ainsi, selon Neil Fraser,
consultant incontournable de la Ville de Johannesburg sur les questions de revitalisation urbaine et
directeur non-exécutif de l’agence de développement de la Ville, le Johannesburg development
26
agency (JDA) de 2001 à 2008, cette faiblesse de l’art public d’apartheid a été une véritable aubaine
pour la ville:
« […] Mais, ils [les dirigeants de l’apartheid] ne s’intéressaient pas vraiment à Johannesburg,
parce que ce n’était pas une capitale. Johannesburg est devenue capitale seulement en
1994. Donc, on a échappé au pire de l’art de l’apartheid. De ce fait, il n’y avait que très peu
d’art public dans notre ville. Il y avait donc une statue dédiée à celui qui est supposé avoir
découvert les mines d’or, à Eastgate ; le monument des mineurs, dans le centre… […]
C’était donc surtout des statues de personnages historiques de la ville, mais sans réelle
vocation politique, à la différence de la statue de Paul Kruger de Pretoria par exemple. On
a eu de la chance. On a donc échappé au pire de l’art public initié par le Parti National
(National Party)22. […] » (Entretien du 6 février 2009)
Le peu d’art public réalisé pendant l’apartheid serait ainsi un atout pour Johannesburg, en tant que
cela permettrait à la nouvelle municipalité démocratique de construire une politique d’art public
inédite, sans avoir à gérer un patrimoine symbolisant les valeurs de l’apartheid, contraire à l’image
que la ville veut donner d’elle-même en tant que ville célébrant sa diversité culturelle. Ceci explique
peut-être que Johannesburg soit à l’heure actuelle la seule métropole sud-africaine à avoir adopté
une politique d’art public. Malgré tout, l’art public de l’apartheid reste une référence pour construire
la politique d’art public de la Ville en tant qu’il est un repoussoir, un contre-modèle pour cette
politique. C’est justement le rôle des modèles et des contre-modèles dans l’élaboration de la
politique d’art public que je vais à présent examiner.
2) Quel modèle pour quelle politique ?
a) Le contre-modèle : l’art public de l’apartheid
La Ville de Johannesburg est en effet moins bien dotée en art public réalisé pendant
l’apartheid que d’autres villes sud-africaines, parce que Johannesburg n’était pas à l’époque une
ville-capitale, à l’inverse de Pretoria, capitale administrative, du Cap, capitale législative, et de
Bloemfontein, capitale judiciaire. Ces villes, en tant que vitrines du pouvoir, étaient alors des lieux
privilégiés d’implantation d’œuvres d’art public à la gloire du régime, comme Johannesburg peut
l’être aujourd’hui pour le pouvoir actuel en tant que capitale de l’Afrique du Sud post-apartheid. Or,
22
Le Parti national (National Party) est le parti politique à l’origine du régime d’apartheid. Il a été au pouvoir de
1948 à 1994.
27
comme le sous-entend S. Sack, l’art public réalisé pendant l’apartheid est assez aisément identifiable,
et peut en cela constituer un contre-modèle. En effet, ce type d’art public est essentiellement
composé d’œuvres d’art monumentales, généralement des statues en bronze, réalisées en l’honneur
de personnalités Afrikaners23, précurseurs ou figures du régime de l’apartheid. Ainsi à Pretoria, on
trouve par exemple la statue de Paul Kruger (1825-1904), président afrikaner de la république du
Transvaal de 1883 à 1902 ; celle d’André Pretorius (1798-1853), général boer ayant participé au
Grand Trek24 ; ou encore celle de Louis Botha (1862-1919), premier Premier ministre afrikaner de
l’Union d’Afrique du Sud de 1910 à 1919. A Johannesburg, on compte seulement une demi-douzaine
d’œuvres de ce type dont la plus célèbre est le « monument des mineurs » (Miners’ Monument),
destiné à glorifier le passé minier de la ville, et représentant conformément à l’idéologie raciale du
régime d’apartheid et à la réalité sociale qui en découlait, deux travailleurs noirs au service d’un
contremaître blanc, tel que le montre la photographie ci-dessous :
23
ème
Les Afrikaners sont les premiers colons hollandais, allemands ou français arrivés au XVII siècle en Afrique
du Sud. Certains Afrikaners, au nom de l’identité afrikaner, sont à l’origine de la constitution du régime
d’apartheid, destiné à maintenir la suprématie blanche en Afrique du Sud.
24
Le “Grand Trek” est un épisode fondateur de l’histoire Afrikaner, correspondant à l’exode des Boers, ancien
nom des Afrikaners à connotation rurale et historique, de la province du Cap à partir de 1936, pour fuir la
tutelle anglaise.
28
Photo 1.1 : Le « monument des mineurs » de Johannesburg,
exemple-type de l’art public de l’apartheid
Source : site internet recensant les cimetières et les mémoriaux sud-africains,
http://www.allatsea.co.za/cems2/minersstatue.htm
L’art public issu de l’apartheid est ainsi nettement identifiable par ce qu’il représente et par la
manière dont il le représente, s’intégrant de fait pleinement dans le projet idéologique du régime et
dans le style esthétique de son époque, privilégiant les statues de bronze monumentales. Mais si
cette forme d’art public à connotation raciste n’est pas absente de la Ville de Johannesburg, elle est
néanmoins beaucoup moins présente que dans d’autres villes, comme les anciennes villes-capitales.
L’art public de l’apartheid est donc suffisamment présent pour constituer un contre-modèle, et
suffisamment absent pour pouvoir être dépassé. Si cet art public de l’apartheid est un contremodèle, reste à comprendre quel a été le modèle servant de base à la rédaction de la politique d’art
public.
29
b) Un modèle international plaqué ?
-
Le modèle de Tampa : un hasard ?
Suite au sommet international organisé à New-York en 2005, le Département des Arts, de la
Culture et du Patrimoine de Johannesburg s’est donc mis à réfléchir aux moyens de concevoir sa
propre politique d’art public. Si S. Sack apparaît comme le concepteur et le promoteur de cette
politique, c’est néanmoins E. Itzkin qui a eu pour mission de la rédiger. Pour ce faire, comme il me l’a
expliqué lors d’un entretien téléphonique informel, E. Itzkin a mené des recherches sur internet pour
étudier la manière dont les autres villes de par le monde avaient mis en forme leur propre politique
d’art public. Son but était de s’inspirer de ces politiques pour Johannesburg. Cette démarche qui
consiste à emprunter une politique conçue au départ pour un autre contexte en vue de l’appliquer à
un contexte particulier, en l’occurrence celui de la Ville de Johannesburg, renvoie à la question de la
transposition des modèles, à savoir la possibilité d’adapter une politique définie dans une ville dans
un autre contexte urbain où elle est interprétée comme un modèle transposable (Vivant, 2007).
C’est donc en surfant sur internet qu’E. Itzkin a découvert la politique d’art public de Tampa,
politique de 1998 dont il a décidé de s’inspirer parce qu’elle était téléchargeable en ligne25 et très
détaillée. Le choix du modèle est donc ici le fruit du hasard, et non le résultat d’un processus de
sélection selon des critères déterminés au préalable. De ce fait, la transposition du modèle peut
poser problème, parce qu’il n’est pas évident que les objectifs de la politique d’art public de Tampa,
visant à répondre à un contexte local spécifique, soient transposables à Johannesburg. Et ceci est
certainement d’autant plus compliqué si l’on ne connaît pas le contexte initial en question. Or, sauf
mécompréhension de ma part, E. Itzkin pensait que Tampa était une ville du Canada, alors que c’est
une ville américaine du sud de la Floride. Dans ces conditions, on peut s’interroger sur les contresens possibles, dus à cette méconnaissance de la ville qui sert de modèle.
Par ailleurs, le choix d’un modèle extérieur à l’Afrique du Sud traduit la volonté de la Ville de
Johannesburg de se détacher du modèle urbain de ville ségréguée auquel les villes sud-africaines en
général et Johannesburg en particulier sont souvent associées, pour s’ériger, par sa politique d’art
public, en un nouveau modèle de ville, unifiée et inclusive. Pour cela, la Ville prend appui sur un
modèle de politique publique emprunté à une ville du Nord. Dès lors, la question est de savoir dans
quelle mesure la transposition d’une politique publique d’une ville du Nord vers une ville du Sud qui
prétend s’imposer comme un modèle de ville peut être effective et efficace. On ne saurait y
25
Voir : http://www.tampagov.net/dept_art_programs/programs_and_services/Public_art_guidelines/
30
répondre sans s’interroger sur les procédures d’adaptation, de déclinaison de cette politique par
rapport au contexte local.
-
La question de la transposition et de l’adaptation de ce modèle au contexte local
C’est donc le texte de la politique d’art public de Tampa qui a servi de référence à la
rédaction de la politique d’art public de Johannesburg. La similitude dans la forme et la présentation
des deux politiques est frappante. Le tableau ci-dessus reprend les différentes rubriques de la
politique d’art public de Tampa et de celle de Johannesburg pour montrer les correspondances entre
elles :
31
Tableau 1.1 : Comparaison de la forme des politiques d’art public de Tampa et de Johannesburg
Politique d’art public de Tampa
Politique d’art public de Johannesburg
Introduction
1- Préambule
But, Mission, Objectifs
2- Mission
3- But
Financement
11- Le pourcent d’art
12- Le fonds d’art public de Johannesburg
Identification des projets
4- Plan d’action
Mode d’administration
6- Le personnel
7- Composition du comité de sélection des œuvres
Mode de sélection
5- Sélection des œuvres
8- Sélection des artistes
Gestion de l’après-sélection
13- Signalisation et information du public
Participation locale
Aucune équivalence
Collection des œuvres « amovibles »26
Aucune équivalence
Gestion des collections
9- Responsabilités des artistes
14- Entretien
15- Dégradation, relocalisation, déplacement, retrait
des œuvres de la collection d’art public
16- Retrait des graffitis indésirables
Le développement du centre-ville
Aucune équivalence
Dons, prêts et mémoriaux
10- Cadeaux et donations
La structure générale de la politique d’art public de Johannesburg semble très nettement
calquée sur celle de Tampa. De ce fait, les distorsions n’en apparaissent que plus clairement, et sont
en elles-mêmes révélatrices. Ainsi, la politique d’art public de Johannesburg ne comporte pas de
volet « participation locale ». Or, si l’on se réfère à la définition de la justice procédurale, telle qu’elle
a pu être définie par I. M. Young (Young, 1990), la participation est une condition nécessaire,
26
Les œuvres « amovibles » (Portable Works) désignent des œuvres d’art situées à l’intérieur de certains
bâtiments publics, souvent en mauvais état et peu mises en valeur, que la municipalité de Tampa envisage
d’exposer dans l’espace public.
32
quoique non suffisante, pour qualifier une politique de juste. Seules des mesures de « signalisation »
des œuvres et d’information du public sont prévues, mais à aucun moment dans la politique il n’est
envisagé d’encourager la participation des populations locales au processus créatif. En ce sens, cette
politique peut être qualifiée de politique top-down, c’est-à-dire une politique décidée par les
instances dirigeantes sans consultation des populations auxquelles elle est censée s’appliquer. Se
distingue-t-elle en cela des autres politiques publiques, qu’elles soient métropolitaines, provinciales
ou nationales ? Si oui, pourquoi ? L’approfondissement de cette question aurait sa place dans le
cadre d’un travail de thèse.
Autre élément de la politique de Tampa non-repris par Johannesburg, sans doute moins
significatif, la question des œuvres « amovibles ». Cela semble en effet correspondre à un contexte
très spécifique à la Ville de Tampa, à savoir l’existence d’œuvres d’art à l’intérieur des bâtiments
publics, qui ne correspond sans doute pas au cas de Johannesburg.
Enfin, l’absence d’une rubrique sur le centre-ville dans la politique d’art public de
Johannesburg peut surprendre, étant donnée la place privilégiée qu’occupe le centre-ville dans la
ville. Cela révèle sans doute la volonté du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine
d’appliquer de manière spatialement indifférenciée cette politique à l’ensemble de la métropole,
selon une logique métropolitaine unitaire, ce qui tend à renforcer l’idée d’une politique top-down.
Dès lors, on peut interpréter l’absence de la mention du centre-ville comme le signe d’une volonté de
diminuer l’importance du centre-ville. Pourtant, dans les discours et en pratique, celui-ci apparait
comme la cible privilégiée d’application de la politique d’art public. Mais ce décalage est aussi peutêtre dû à la taille de la métropole elle-même s’étendant sur plus de 1 600 km², soit plus de seize fois
la superficie de la Ville de Paris, ce qui justifierait une répartition implicite des rôles des différents
acteurs de la métropole, l’autorité métropolitaine s’occupant avant tout de l’échelle métropolitaine,
alors que d’autres acteurs, comme le JDA par exemple, géreraient préférentiellement le centre-ville.
Si l’on s’intéresse désormais à une comparaison des deux politiques dans leur contenu, on
s’aperçoit une nouvelle fois de la similitude des deux politiques, concernant non seulement les
procédures choisies, mais aussi les objectifs. Ainsi en matière de procédures, on retrouve par
exemple les mêmes modes de sélection des artistes (appels à projets plus ou moins ouverts ou choix
direct du comité de sélection) et le même mode de financement de la politique, à savoir la loi des
« un pourcent temps » diffusée à partir du modèle de New-York et progressivement imposée comme
un véritable modèle international en matière de financement de l’art public. Mais, de façon plus
étonnante, les objectifs des deux politiques se font écho jusque dans leur formulation. Cela est
33
particulièrement remarquable dans le paragraphe consacré à la « mission » des politiques. Ainsi celle
de Tampa entend :
« Promouvoir l’implication des artistes dans des projets qui améliorent l’environnement
physique de toute la ville et célèbre l’identité et le caractère unique de Tampa. »27
Et celle de Johannesburg vise à :
« Célébrer l’identité et le caractère unique de Johannesburg et améliorer
l’environnement physique de la ville à travers un programme d’art public stimulant et
divers à l’échelle de toute la ville. »28
La ressemblance est pour le moins frappante : les mots utilisés sont identiques, seul l’ordre diffère.
Dès lors, on peut s’interroger sur la réelle prise en compte du contexte local pour transposer la
politique d’art public de Tampa à Johannesburg. La politique d’art public de Johannesburg semble
donc davantage calquée que résultant d’un véritable effort de transposition. De manière
symptomatique, aucune référence explicite n’est faite à l’apartheid ou à ses conséquences spatiales
dans le corps de la politique de Johannesburg. Seuls certains mots-clefs, symboles des valeurs
promues dans l’Afrique du Sud démocratique notamment par la Constitution de 1996, apparaissent à
plusieurs reprises dans le texte, comme celui de « diversité » (diversity) utilisé à cinq reprises.
Finalement, Johannesburg utilise, ou même copie un modèle de politique d’art public international,
plus qu’elle ne se le réapproprie. Dès lors, la capacité d’une telle politique à répondre aux besoins
locaux, voire même à s’appliquer dans un contexte local bien spécifique, fait question.
c) Les objectifs de la politique d’art public par rapport au projet de ville
L’enjeu est ici de comprendre en quoi les objectifs de la politique d’art public peuvent, ou
non, correspondre et répondre au projet de Ville de Johannesburg, à savoir construire une ville unie,
inclusive et attractive. Or, parmi les raisons invoquées pour justifier et légitimer l’adoption de cette
politique, il est possible d’identifier des arguments économiques et des arguments sociaux, ces
derniers étant plus tournés vers les populations locales et destinés à dépasser le modèle urbain
27
“To promote the involvement of artists in projects throughout the city that enhance the physical
environment and celebrate Tampa’s unique character and identity.”, Politique d’art public de Tampa, 1998.
28
“To celebrate Johannesburg’s unique character and identity and enhance the physical urban environment
through a vibrant, diverse city-wide programme of public art.”, Politique d’art public de Johannesburg, 2007.
34
hérité de l’apartheid. Ces arguments consistent, en effet, à dire que l’art public est un élément qui
peut :
-
favoriser la « cohésion sociale » (social cohesion), notamment en faisant des espaces publics
des espaces attractifs et agréables à vivre qui permettent la rencontre et l’échange ;
-
créer un sentiment de « fierté civique » (civic pride) des habitants vis-à-vis de leur ville ;
-
faciliter l’intégration de la diversité sous toutes ces formes, qu’elle soit raciale, sociale ou
culturelle, notamment en permettant la représentation de tous ;
-
créer une « identité collective » (collective identity) à travers le partage de symboles
communs.
Ces arguments peuvent ainsi faire écho au contexte urbain local post-apartheid, notamment celui
qui porte sur la question de l’acceptation et de l’inclusion de la différence dans la ville, alors que la
Ville de Johannesburg, pendant l’apartheid, était une ville qui excluait des populations selon un
critère racial, ce qui rend effectivement difficile la définition d’une « identité collective », commune à
tous les habitants de la ville. L’art public est ainsi présenté comme un facteur d’inclusion et
d’unification sociale et spatiale, et ceci particulièrement à l’échelle des espaces publics. De fait, le
problème de l’accès aux espaces publics et de la création du lien social dans ces espaces est
particulièrement crucial à Johannesburg, non seulement parce que les espaces publics ont longtemps
été ségrégués, mais aussi du fait du fort sentiment d’insécurité qui règne en ville, lié à un taux de
criminalité parmi les importants au monde, et faisant des espaces publics des espaces évités. En
définitive, ces objectifs de la politique d’art public répondent donc aux intentions plus globales de la
ville.
Néanmoins, ces arguments sont aussi des arguments modèles, figurant parmi les plus
invoqués internationalement pour justifier l’adoption d’une politique d’art public dans le cadre d’une
politique de rénovation urbaine, comme l’ont montré T. Hall et I. Robinson (Hall, Robinson, 2001).
Ces derniers identifient en effet sept critères de ce type, à savoir la capacité de l’art à créer un
sentiment d’appartenance communautaire ; à développer la citoyenneté ; à lutter contre l’exclusion
sociale ; à créer une identité de lieu ; à répondre à des besoins locaux ; à éduquer ; à promouvoir le
changement social par un art provocateur. Les arguments que j’ai relevés dans la politique d’art
public de Johannesburg correspondent parfaitement aux quatre premiers arguments relevés par T.
Hall et I. Robinson, alors que manquent de manière significative les arguments portant sur
l’éducation, les besoins des populations locales ou le rôle provocateur de l’art, c’est-à-dire les
arguments qui supposeraient d’impliquer davantage les populations. Dans l’ensemble, il s’agit donc
35
d’un discours formaté, préconçu, indépendant du contexte local, qui fait de l’art public un simple
outil de rénovation urbaine, voire une fin en soi. Or, ce rôle positif de l’art n’a rien d’une évidence.
Au contraire, son invocation semble reposer sur une vision théorique, abstraite, voire mythique de
l’art, les impacts de cette politique étant en réalité très difficiles à mesurer (Hall, Robinson, 2001).
Les autres types d’arguments utilisés en faveur de l’art public sont de nature économique.
L’art public serait ainsi un « catalyseur de développement et de croissance économique »29. L’idée est
en effet de dire que l’art public, en tant qu’il permettrait de changer positivement l’image de la ville,
peut rendre celle-ci à nouveau attractive pour les investisseurs et les touristes, et être ainsi un
facteur de croissance. Cet argument correspond donc bien lui aussi à un projet de ville, celui de
transformer positivement l’image de la ville.
Au final, on voit que la politique d’art public de Johannesburg a été largement conçue en
référence à des modèles internationaux, en s’inscrivant toutefois dans le projet global de la ville
puisque cette politique est compatible avec les stratégies urbaines existantes, que ce soit sur le plan
promotionnel, social ou économique. Néanmoins, les références explicites et précises au contexte
local sont minimes, quasiment inexistantes. La question est alors de savoir comment et dans quelle
mesure cette politique peut répondre concrètement aux besoins spécifiques de la ville. Une fois
dégagé l’esprit de cette politique, il s’agit donc de comprendre quels sont les moyens mis en place
pour rendre cette politique effective.
3) Les modalités de mise en œuvre de la politique : texte et pratique
a) Le dispositif institutionnel…
- L’adoption de la « politique d’art public » (Public Art Policy)
La politique d’art public est bien une « politique » (policy) au sens anglo-saxon du terme,
c’est-à-dire un texte qui se présente comme un plan d’actions destiné à faciliter la prise de décision.
Cette politique n’a donc pas force de loi. Elle n’est pas contraignante. Néanmoins, pour entrer en
application, elle doit être adoptée par le conseil métropolitain de la Ville, composé du maire et des
élus des différentes circonscriptions électorales. C’est ainsi que le texte a été présenté au conseil
municipal de la métropole en 2006 pour approbation. Mais, s’il a été globalement bien accepté par le
29
“[…] a catalyst for development and economic growth […]”, Politique d’art public de Johannesburg, 2007.
36
conseil, certaines modifications, notamment concernant le mode de financement de cette politique,
ont dues être apportées avant l’adoption finale du texte en 2007.
Par ailleurs, le texte peut être l’objet de révisions qui nécessitent à chaque fois la validation
du conseil. Ainsi en décembre 2008, une version révisée de la politique d’art public (cf. annexes) a
été proposée et adoptée par le conseil. Les changements apportés sont peu nombreux, mais
intéressants. Par exemple, une dernière rubrique a été ajoutée en vue de mettre en place un
compte-rendu régulier de la politique d’art public, ce qui témoigne d’un certain souci de suivi, voire
d’évaluation, de la politique. Et surtout, un argument supplémentaire a été inclus en préambule de la
politique qui consiste à faire de l’art public un moyen de lutte contre le sentiment d’insécurité en
ville. Cet argument peut être compris comme une référence explicite au contexte et à l’image de
Johannesburg comme ville du crime, et donc comme signe d’une adaptation progressive de la
politique au contexte local, quoique de manière très limitée.
Par ailleurs, j’ai aussi découvert lors de mes recherches qu’un avant-projet de politique de
performance publique, construit sur le modèle de la politique d’art public et devant la compléter,
avait été réalisé en février 2007, mais jamais adopté. Lorsque j’ai interrogé E. Itzkin, le directeur
adjoint, à ce sujet, ce dernier m’a répondu que le département avait en effet renoncé à ce projet
parce qu’il posait des problèmes d’ordre législatif, concernant par exemple le respect des normes de
sécurité dans l’espace public lors de ces performances. Mais la raison principale, évoquée par le
directeur du département S. Sack, est sans doute la difficulté à convaincre les élus de la nécessité de
financer quelque chose de temporaire et d’éphémère. Pour autant, S. Sack entend développer cette
forme d’art public, même sans politique publique spécifique. En effet, pour lui :
« […] Un des défis autour de la politique d’art public, c’est qu’elle doit aussi s’accompagner
d’une politique de performance publique, c’est-à-dire une politique qui s’intéresse à la
manière d’animer l’espace public par le biais de performances, d’événements. Et de fait,
beaucoup d’artistes du XXIème siècle ne sont pas vraiment intéressés par le fait de fabriquer
un objet, mais s’intéressent au processus social qui entoure chaque projet. Mais, mener ce
type de politique est beaucoup plus compliqué, notamment en termes de financement.
Vous voyez, c’est facile de financer l’art public parce qu’au final, vous donnez à la ville une
œuvre, un objet duquel elle peut dire : c’est ce que j’ai payé, c’est ce dans quoi j’ai investi,
ça m’appartient. Mais quand vous payez pour une performance publique, c’est différent
parce que ce qui est produit aujourd’hui disparaît demain. C’est temporaire par nature.
C’est donc plus difficile de financer les performances publiques. Il faut avoir recours à des
sponsors ou à des opérations de marketing. […] » (Entretien du 2 février 2009)
37
Pour mener à bien ce projet, S. Sack envisage donc d’avoir recours à des partenariats public-privé. De
fait, le privé est sans doute plus enclin à financer des opérations temporaires puisque la plupart des
entreprises réalisent des campagnes publicitaires pour se faire connaître, lesquelles prennent
presque toutes la forme d’une démarche temporaire. Apparaît donc ici une limite de la politique
d’art public révélant des réticences au sujet des possibilités de son financement.
-
Le mode de financement, un nécessaire compromis : « un certain pourcentage »
Lors de la première présentation du texte au conseil, le seul point qui posait vraiment
problème concernait en effet le mode de financement prévu, à savoir le principe des « un pourcent
d’art ». Ainsi, comme me l’a indiqué S. Sack :
« […] Nous avons alors fait une première ébauche de politique d’art public, en commençant
par dire qu’1% des dépenses en capital devait être investi dans l’art public. Lorsque nous
avons soumis cette politique au conseil municipal pour approbation, nous avons eu un
soutien sans faille concernant le contenu de la politique d’art public, mais l’idée des 1%
pour l’art public posait problème.
En un sens, cette réaction était parfaitement compréhensible, parce que la ville peut
dépenser jusqu’à deux milliards de rands par an. Or, 1% de cette somme, cela représente
200 millions de rands [soit environ 20 millions d’euros30], ce qui est une très grosse somme.
Nous avons donc renoncé à l’idée du 1%, tout en maintenant l’idée d’un certain
pourcentage quel qu’il soit. Ce que nous avons ainsi obtenu c’est que pour tout projet de
plus de 10 millions de rands [soit environ 1 million d’euros], un financement soit consacré
à l’art public. C’est ainsi que cette politique a été approuvée […] » (Entretien du 2 février
2009)
Cet incident est révélateur d’une difficulté de transposition, non prévue par le rédacteur de
la politique, qui peut s’expliquer par deux raisons principales. D’une part, comme je l’ai
précédemment indiqué, il n’existe pas de forte tradition d’art public à Johannesburg, ce qui explique
une certaine réticence des élus à attribuer un budget conséquent à quelque chose qui leur est
relativement étranger et qui ne fait pas partie de leurs pratiques. D’autre part, et de manière plus
essentielle, Johannesburg est une ville du Sud, dans laquelle l’ensemble des besoins de première
30
Le cours du rand variant sensiblement ces dernières années autour de 1 euro = 10 rands, j’adopterai ce taux
de change tout au long de mon étude afin de donner un ordre de grandeur et de comparaison possible.
38
nécessité de la population ne sont pas couverts. Par exemple, selon le dernier recensement31, 20% de
la population de Johannesburg était au chômage en 2001 et moins de 30% des habitants avaient
accès à l’eau potable à moins de deux cents mètres de chez eux. Dans ces conditions, l’art public
apparaît comme secondaire. Ceci renvoie à la question de la possibilité même de transposer une
politique d’une ville du Nord vers une ville du Sud, alors que le niveau de développement diffère.
Le compromis trouvé par le Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine est à cet
égard ingénieux. En effet, en disant qu’il s’agit d’attribuer à l’art public « un certain pourcentage » (a
percent) et non pas obligatoirement 1% (one percent) du budget des projets de construction de plus
de dix millions de rands (soit près d’un million d’euros) de la Ville, le Département obtient un moyen
de financer l’art public, mais sans contraindre la Ville. Ainsi, suivant les projets ou le contexte
économique, la Ville peut donc décider d’investir plus ou moins d’argent dans la politique d’art
public. Et, il est intéressant de remarquer qu’au fil des ans, la Ville semble de plus en plus encline à
financer l’art public, le principe du « un pourcent d’art » rentrant ainsi progressivement dans les
mœurs, mais sans avoir été imposé de force.
-
Les acteurs et les processus décisionnels prévus par le texte
A la lecture de la politique d’art public, le processus décisionnel concernant le choix de
l’artiste et de l’œuvre ainsi que les acteurs impliqués pour un projet donné apparaît comme
relativement simple, quoique parfois assez vague, ce qui est déjà une difficulté en vue de sa mise en
application concrète. Ainsi, chaque année le « responsable de l’art public » (Manager of Public Art)
est chargé d’« identifier les nouveaux projets d’art public à venir »32 , sans plus de
précision concernant la question de savoir qui est ce responsable, comment il est choisi, et ce que
signifie « identifier » ; et pour chaque projet, le « Comité de sélection d’art public » (Public Art
Approvals Committee) composés de neuf membres, tous habitants de Johannesburg, représentant de
groupes d’intérêts différents et nommés par le directeur du Département des Arts, de la Culture et
du Patrimoine pour une durée de trois ans, choisit le site, l’artiste et l’œuvre retenus.
31
Le recensement de 2001 est le dernier recensement en date effectué à l’échelle nationale par Stats SA
(Statistics South Africa), agence d’Etat créée en 1999 en vue de produire des statistiques officielles. Cet
organisme met l’accent sur la qualité et la transparence de ses données, en se soumettant à un strict cahier des
charges et à des évaluations régulières de la qualité des statistiques produites. Cet organisme peut donc être
considéré comme fiable. Les données du recensement de 2001 sont accessibles en ligne :
http://www.statssa.gov.za.
32
"[…] identifies prospective new projects […]", Politique d’art public de Johannesburg, décembre 2008.
39
Mais, une fois sur place, je me suis rendu compte que les choses étaient non seulement
vagues mais aussi beaucoup plus complexes et beaucoup plus floues qu’il n’y paraissait, indice d’un
décalage entre le texte et la pratique qui s’explique notamment par le fait que ce texte n’a pas force
de loi, puisqu’il n’est qu’un guide pour l’action.
b) A l’épreuve des faits : procédures et acteurs effectifs
C’est lors de mes premiers entretiens avec les dirigeants du Département des Arts, de la
Culture et du Patrimoine, que je me suis rendu compte qu’en pratique la mise en actes de la
politique d’art public ne se faisait pas exactement telle qu’elle était prévue par la politique. Comme
me l’a expliqué S. Sack, pour chaque projet d’art public :
« […] nous [Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine] ou le JDA, engageons
une entreprise qui est chargée de conduire le projet en notre nom. Cette entreprise doit
nous fournir la structure générale du projet. Quand je dis nous, c’est généralement un
comité composé de notre département, du JDA, … voire de personnes ou d’organismes qui
ont des intérêts particuliers dans le projet. » (Entretien du 2 février 2009)
Tout d’abord, il est intéressant de noter que tous les projets d’art public auxquels le Département
des Arts, de la Culture et du Patrimoine participe, et qui entrent dans le cadre de la politique d’art
public, ne sont pas nécessairement à son initiative, mais peuvent résulter d’une proposition du JDA,
ou encore d’acteurs privés. Ces projets, comme j’en donnerai un exemple par la suite, sont
néanmoins réalisés au nom de la politique d’art public de la Ville.
Ensuite, il existe une catégorie d’intermédiaires non évoqués dans le texte de la politique.
Ces intermédiaires sont des sortes de médiateurs (facilitators), généralement des artistes, parfois des
architectes ou des urbanistes, choisis pour leur capacité d’expertise artistique et leur expérience, et
qui sont en charge de définir l’organisation générale du projet. Ils doivent ainsi déterminer le site
d’implantation de l’œuvre, le mode de sélection de l’artiste, et même le calendrier et le budget
prévisionnels, leurs propositions restant soumises à l’appréciation du Département des Arts, de la
Culture et du Patrimoine. Depuis le lancement de la politique d’art public, des collectifs d’artistes se
sont progressivement spécialisés, plus ou moins exclusivement, dans cette fonction de médiateur
artistique au service de la Ville. Aujourd’hui, la ville compte ainsi quatre compagnies de ce type,
ayant développé un savoir-faire particulier leur permettant de répondre aux attentes de la Ville en
matière d’art public, même s’ils réalisent aussi d’autres projets indépendamment de la Ville. Il s’agit
de :
40
-
Trinity Session dirigée par Marcus Neustetter et Stephen Hobbs ;
-
la Spaza Gallery d’Andrew Lindsay ;
-
Art At Work! (« Art en Action ! ») créée par Lesley Perkes et Monna Mokoena ;
-
la Johannesburg Art Bank (« Banque d’art de Johannesburg ») sous la responsabilité
d’Antoinette Murdoch.
Ces compagnies exercent donc une sorte de monopole de fait en matière d’art public municipal,
puisque tout projet initié par la Ville passe à un moment ou à un autre par l’une de ces compagnies.
Par ailleurs, les dirigeants de ces compagnies étant pour la plupart eux-mêmes artistes, ils peuvent
aussi être individuellement candidats à la réalisation d’une œuvre d’art public. Bien qu’ils ne se
présentent pas quand leur compagnie est le médiateur du projet, il n’en reste pas moins que le fait
que ceux qui sélectionnent les artistes peuvent aussi être des candidats crée une sorte de confusion
sur le rôle et la place de chacun. Cette confusion est un fait qui mérite d’être souligné même si cela
n’est pas propre à la politique d’art public ni à Johannesburg, mais correspond à un problème plus
général qui concerne nombre de marchés publics. Selon les responsables de ces compagnies, ce
phénomène tient au faible nombre d’artistes présents à Johannesburg, ou plus exactement au faible
nombre d’artistes capables de répondre à une commande publique. Cela nécessite en effet des
compétences bien spécifiques qui n’ont plus rien à avoir avec le talent artistique, comme par
exemple le fait de pouvoir présenter un budget. Dès lors, est posée la question de la formation des
artistes, notamment lorsque ceux-ci sont issus de milieux défavorisés ou précédemment discriminés.
A cet égard, il est intéressant de remarquer que parmi les six dirigeants de ces compagnies, on
compte trois hommes blancs, deux femmes blanches et un homme noir. La sous-représentation des
personnes de couleurs, et dans une moindre mesure des femmes, peut ainsi être interprétée comme
révélatrice d’une certaine inégalité d’accès à la création artistique. C’est cette inégalité qu’il me
faudra interroger par la suite, en me demandant si cela est spécifique, voire accentué, quand il s’agit
de commandes publiques d’art public ou si cela traduit une tendance générale commune à
l’ensemble du domaine de la création artistique.
Quant au « Comité de sélection d’art public » chargé de la sélection finale des sites, des
artistes et des œuvres, il n’existe pas, du moins pas de manière permanente. En effet, pour chaque
projet, une fois les propositions des médiateurs faites et à partir de celles-ci, un comité de sélection
est constitué afin de procéder au choix définitif. Ce comité regroupe des membres du Département
des Arts, de la Culture et du Patrimoine ; des membres de JDA ; ainsi que, selon l’expression de S.
Sack, des « personnes ou des organismes qui ont des intérêts particuliers dans le projet », soit
41
généralement des entreprises ou des institutions privées, souvent localisées dans le quartier du
projet d’art public en question et qui contribuent financièrement à la réalisation de ce projet. Ces
entreprises privées sont par ailleurs fréquemment regroupées en City Improvement District (CID)33,
partenariat public-privé constitué en vue de mener des actions de rénovation urbaine dans un
quartier bien délimité. La participation des CID à ce genre de projet est particulièrement intéressante
parce qu’elle confirme que l’art public est considéré, par le secteur public comme par le secteur
privé, comme faisant partie intégrante des stratégies de rénovation urbaine. De ce fait, les projets
réalisés au nom de la politique d’art public de la Ville sont souvent des partenariats public-privé, et
non des projets uniquement publics.
Au final, l’organisation de l’ensemble des acteurs participant à la politique d’art public de
Johannesburg peut être schématisée de la manière suivante :
33
Les CID sont des formes de partenariats public-privé qui ont été conçus sur le modèle américain des Business
Improvement District (BID) puis transposés en Afrique du Sud comme outils du renouvellement urbain. Initiés
par les propriétaires privés, ces CID consistent à prélever une taxe supplémentaire, avec l’accord des autorités
publiques, dans un périmètre délimité, en vue d’assurer un ensemble de services en plus de ceux assurés par la
municipalité mais jugés insuffisants par les propriétaires privés (Didier, Morange, 2009).
42
Schéma 1.1 : Les acteurs intervenant dans la politique d’art public de la Ville
Réalisation : Pauline Guinard
On s’aperçoit donc que le jeu d’acteurs et les processus décisionnels sont plus complexes que
ceux présentés dans la politique d’art public. Dans ces conditions, il s’agit de comprendre en quoi
chacun de ces acteurs peut, ou non, influer sur cette politique, en fonction de ses intérêts et de ses
propres conceptions de l’art public.
c) Une ou des politiques ?
Parce qu’une politique publique dépend aussi et surtout des acteurs qui la font vivre, je me
propose d’étudier les motivations et les objectifs des différents acteurs en charge de cette politique.
La question est ici de comprendre pour quoi et pour qui ces acteurs font de l’art public, et de
déterminer s’il est possible d’identifier différentes visions de l’art public suivant les acteurs en
présence, ce qui pourrait conduire à des interprétations et à des mises en application si diverses de
43
cette politique, que l’on pourrait se demander s’il existe une ou des politiques d’art public. De fait, si
la politique d’art public semble n’être pour certains acteurs qu'un outil marketing dans le cadre
d’opérations de rénovations urbaines, pour d’autres acteurs l’art public a une fonction différente,
plus sociale ou esthétique. Dès lors, il s’agit de comprendre quel est le rapport de force entre ces
différents acteurs afin de déterminer quels peuvent être ceux capables d’infléchir la politique d’art
public à leur profit. Par ailleurs, si ce sont des acteurs particuliers qui font exister cette politique, on
peut aussi se demander dans quelle mesure cette politique peut perdurer au-delà des changements
d’acteurs individuels.
-
Les motivations des différents acteurs identifiés : des visions divergentes de l’art public ?
Une fois les acteurs de cette politique identifiés, il s’agit de s’intéresser aux raisons invoquées
par chacun de ces types d’acteurs pour justifier leur participation. Le but est de déterminer si tous
recourent aux mêmes arguments que ceux utilisés dans la politique d’art publique, créant ainsi une
sorte de consensus autour du pourquoi de l’ art public ; ou si au contraire, il est possible de discerner
des discours propres à chaque catégorie d’acteurs, traduisant différentes visions et approches de
l’art public. Pour ce faire, j’ai rencontré les dirigeants ou des représentants de tous les groupes
d’acteurs identifiés, avec qui j’ai mené des entretiens en vue de déterminer leur propre définition de
l’art public, leur mode de participation à la politique d’art public et les raisons de cette
participation et leur appréciation globale de cette politique.
Entrer en contact avec le secteur privé a été difficile. A cet égard, le parcours suivi par un de
mes mails envoyé le 19 janvier 2009 à un des CID du centre-ville, le Central Johannesburg Partnership
(CPJ), pour une demande de rendez-vous est très révélateur puisqu’il a été directement transféré au
Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine, et plus précisément à E. Itzkin qui lui m’a
accordé un entretien. En définitive, je n’ai pu obtenir qu’un bref entretien téléphonique avec Kate
Shand, directrice marketing de Kagiso Urban Management (KUM), société privée qui gère un certain
nombre de CID à Johannesburg, notamment dans le centre-ville. De manière assez significative, cette
dernière définit le rôle de KUM en matière d’art public comme celui d’un médiateur (facilitator), mais
cette fois, à la différence des médiateurs artistiques recrutés par le Département des Arts, de la
Culture et du Patrimoine, non pas entre la Ville et les artistes, mais entre les propriétaires privés pour
lesquels KUM travaille et la Ville. Si K. Shand reconnaît que l’art public fait partie de la stratégie de
KUM dans le cadre de sa mission d’aménagement urbain, celui-ci reste néanmoins secondaire par
rapport à la sécurité et la propreté qui sont les objectifs prioritaires de la société. Pour autant, K.
Shand considère que :
44
« […] l’art public permet de donner une identité à un lieu, voire d’attirer des gens vers ce
lieu. […] » (Entretien téléphonique du 4 avril 2009)
On retrouve donc ici deux des arguments utilisés dans la politique d’art public : un de type social lié à
la question de la construction d’une identité à travers l’art, mais conduisant à un argument de type
économique consistant à concevoir l’art comme un moyen d’accroître l’attractivité d’un lieu.
L’argument économique semble donc primer sur l’argument social, ce qui est somme toute logique
étant donné la fonction de KUM, soit selon les mots de K. Shand :
« […] d’aménager l’espace public en vue de sécuriser les investissements de nos clients. […] »
(Entretien téléphonique du 4 avril 2009)
La participation d’acteurs privés au projet d’art public de la Ville semble donc peser dans le sens
d’une priorité donnée aux objectifs économiques par rapport aux objectifs sociaux, ce qui resterait à
confirmer en interrogeant d’autres acteurs privés. Quoi qu’il en soit, à partir de ce premier constat, la
question qui se pose est de savoir si cette tendance est contrebalancée, ou au contraire renforcée,
par la participation des autres groupes d’acteurs de la politique d’art public dont les intérêts sont a
priori différents.
Si l’on s’intéresse tout d’abord au Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine, on
devrait logiquement avoir affaire à un discours relativement unifié de la part des membres du
département, s’appuyant essentiellement sur les arguments utilisés dans la politique d’art public
dont ils sont les initiateurs, les concepteurs et les promoteurs. Pourtant, pour avoir rencontré les
deux principaux dirigeants du département, S. Sack, le directeur, et E. Itzkin, le directeur-adjoint, j’ai
pu constater que chacun avait une vision personnelle de ce qu’était la politique d’art publique de la
Ville, de sa raison d’être et de son importance. Chacun met l’accent sur certains arguments utilisés
dans la politique d’art public plus que sur d’autres, les sensibilités des deux hommes ayant tendance
à se compléter plus qu’à se recouper, comme tend à le montrer le tableau ci-dessous réalisé à partir
du texte de la politique d’art public et des deux entretiens effectués auprès de S. Sack et d’E. Itzkin le
2 février 2009 :
45
Tableau 1.2 : Confrontation des arguments utilisés par les dirigeants du Département des Arts, de
la Culture et du Patrimoine, S. Sack et E. Itzkin, en faveur de l’art public par rapport à ceux utilisés
dans le texte de la politique d’art public
Arguments de la Arguments de Steven Sack, Arguments d’Eric Itzkin,
politique d’art public
directeur adjoint
directeur
Promouvoir
la « […] peut lier les gens « […]
promouvoir les
espaces publics, de les
« cohésion sociale »
[…] »
rendre plus attractifs […] »
Diffuser un sentiment « […] crée un sentiment de
fierté civique chez les
de « fierté civique »
populations locales […] »
Faciliter l’intégration
de la diversité
« […] démocratisation des
lieux publics […] », au sens
de :
« […] dire que notre ville
est diverse […] »
et
« […] permettre à plus de
voix de se faire entendre
[…] »
Arguments
sociaux
Créer une « identité « […] c’est
vraiment « […] créer un sentiment
important pour les gens, d’intérêt
et
collective »
cette
reconnaissance d’appartenance […] »
d’événements,
ces
rassemblements
chaque
année,
autour
de
personnes qui ont souffert
ou qui ont contribué à
l’histoire […] »
Renforcer
sentiment
« sécurité »
le « […] capacité de l’art
de public à faire que les gens,
les familles et les enfants,
se sentent maintenant en
sécurité dans les espaces
publics […] »
Eduquer :
« […] apprendre
à
connaître sa ville, c’est ce
que l’art public peut faire.
[…] »
46
Arguments de la Arguments de Steven Sack, Arguments d’Eric Itzkin,
politique d’art public
directeur adjoint
directeur
« […] rendre la ville plus
belle […] »
Argument
esthétique
Arguments
économiques
Etre un « catalyseur de
développement et de
croissance
économique »
« […] l’art public peut aussi
créer des emplois. »
« […] peut
améliorer
l’image de la ville ou de
certains quartiers de la
ville, peut-être en vue
d’attirer
des
investissements […]»
La complémentarité des deux argumentations est évidente. Néanmoins, il faudrait se
demander si cela est uniquement dû à une divergence de vues des deux hommes ou s’il n’y a pas
aussi un biais méthodologique résultant de la manière dont s’est déroulé l’entretien dans les deux
cas. Pour confirmer cette hypothèse, il pourrait être intéressant d’interroger à nouveau S. Sack et E.
Itzkin à propos de ces divergences. Quoi qu’il en soit, même si cela reste à valider, on peut remarquer
qu’en réunissant les arguments utilisés par S. Sack et E. Itzkin, on retrouve tous les arguments utilisés
dans la politique d’art public. En revanche, seuls deux arguments sont communs aux deux hommes :
celui concernant la promotion de la « cohésion sociale » et celui visant à créer une « identité
collective ». Ceci renvoie certainement à la volonté de la nouvelle municipalité de la ville de se
constituer en tant que métropole unifiée, capable de fédérer par-delà les divisions héritées de
l’apartheid. La volonté de faire de Johannesburg une ville inclusive est donc une nouvelle fois mise en
avant.
Par ailleurs, on peut remarquer que chacun des deux dirigeants a recours à un argument
supplémentaire qui n’apparaît pas dans la politique d’art public. S. Sack évoque ainsi la mission
éducative de l’art public qui est d’ailleurs un des arguments modèles identifiés par T. Hall et I.
Robinson, et qui suppose une implication plus grande des populations locales par rapport aux projets
d’art public. A l’inverse, E. Itzkin mentionne la fonction d’embellissement de l’art public. Cet
argument purement esthétique pointe vers ma question initiale : l’art public ne serait-il qu’un outil
de décoration de la ville ? Ne serait-il qu’un outil de marketing urbain servant à faire de l’espace
public une vitrine destinée à attirer les touristes et les investisseurs, quitte à négliger les populations
locales ?
47
Au final, les dirigeants du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine sont
relativement fidèles à la politique d’art public qu’ils ont eux-mêmes institués, les entretiens m’ayant
permis, en ce sens, de comprendre comment la politique d’art public est aussi le reflet de
l’association de la sensibilité personnelle de ces deux hommes, initiateurs de cette politique. Ceci est
d’autant plus intéressant que d’autres acteurs intervenant dans la politique d’art public m’ont
indiqué l’importance des personnes dans la réussite de la politique, certains s’interrogeant même sur
la possible poursuite de cette politique une fois parties les personnes actuellement en place. Par
exemple, Marcus Neustetter, co-directeur de Trinity Session, un des principaux collectifs artistiques
auxquels la Ville fait appel en tant que médiateur artistique, fait le constat suivant :
« […] On a de la chance d’avoir des personnes comme S. Sack en charge de la politique
d’art public. Mais après ? […] » (Entretien du 11 février 2009)
L’application même de la politique d’art public semble ainsi dépendante de la disposition du
personnel dirigeant du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine en la matière. De
même, la manière dont Kate Harrison, directrice du Département aménagement et stratégie du JDA,
se réfère par exemple au Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine est révélatrice de
cette tendance à la personnalisation puisqu’elle en parle comme du « département de
Steven [Sack] ». Ceci pose donc la question de la pérennité de cette politique, au-delà des
changements de personnel administratif, même si l’existence d’un document programmatique,
comme l’est la politique d’art public, est déjà un élément de réponse en faveur de la continuité de
celle-ci. Néanmoins, on peut se demander dans quelle mesure la politique d’art public de
Johannesburg est une question de personnes. Cette question est d’autant plus problématique que le
nombre de personnes en charge de cette politique est pour le moins restreint, même si le
Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine n’est pas le seul à mettre en place cette
politique.
En effet, l’agence de développement de la Ville, le JDA, peut aussi être à l’initiative de projets
d’art public, et l’a d’ailleurs été avant même l’instauration de la politique d’art public de la Ville.
Depuis l’instauration de celle-ci, le JDA est devenu le principal partenaire du Département des Arts,
de la Culture et du Patrimoine. Pour autant, on peut s’interroger sur les motivations du JDA à
contribuer aux projets d’art public, sachant que, comme le nom même de l’agence l’indique,
l’objectif prioritaire du JDA est d’ordre économique. De fait, selon le site internet du JDA34, la mission
de celui-ci est de :
34
Voir : http://www.jda.org.za/
48
« […] favoriser et soutenir les initiatives de développement économique dans toute l’aire
métropolitaine de Johannesburg […] »35
Etant donné cet objectif, les motivations du JDA pour faire de l’art public sont donc
vraisemblablement avant tout d’ordre économique. Cela m’a d’ailleurs été confirmé par Zanele
Mamba, responsable marketing et communication du JDA :
« […] Pour être honnête, c’est [l’art public] plus une question d’embellissement de la ville.
En termes de bénéfices économiques, on aide effectivement le monde artistique en
finançant les artistes qui font généralement de jolies choses mais qui ont besoin de
reconnaissance par le biais de ces projets. En termes d’implication sociale, je vois cette
politique uniquement comme quelque chose qui peut avoir un impact sur l’éducation des
enfants. Au final, l’art public n’a pas tant des implications sociales qu’économiques. […] »
(Entretien du 20 février 2009)
L’aspect social de la politique d’art public est donc ici évacué. Le seul impact social reconnu par
Z. Mamba est la capacité éducative de l’art public, argument mentionné par S. Sack mais pas dans la
politique d’art public en tant que telle. A l’inverse, l’accent est mis sur les objectifs économiques liés
de manière significative à la question de l’embellissement de la ville. On retrouve donc ici l’idée que
l’art public est un élément d’esthétisation de la ville, visant à la rendre plus attractive, la question
étant alors de savoir pour qui. Cette vision de l’art public ne semble d’ailleurs pas propre à Z. Mamba,
mais elle est partagée par d’autres personnes en charge de l’art public au JDA. Ainsi, par exemple,
Kate Harrison, directrice du Département aménagement et stratégie du JDA, et actuellement en
charge d’un vaste projet d’art public à Hillbrow, Berea et Yeoville, quartiers du nord-est du centreville (cf. cartes 1.1 et 2.1), m’a expliqué que :
« […] mon principal objectif qui n’est sans doute pas très académique et qui correspond
aussi à ce que j’aimerais voir, est que je veux que les gens qui se trouvent dans un
environnement difficile voient quelque chose de beau (beautiful). […] » (Entretien du 4 avril
2009)
La perspective de K. Harrison semble ici plus tournée vers les populations locales puisqu’elle envisage
l’art public comme un moyen d’améliorer l’environnement quotidien des habitants. Toutefois, on
peut se demander si cette différence tient à une vision propre de K. Harisson qui serait quelque peu
différente du discours dominant parmi les membres du JDA, ou si cela tient à la spécificité même du
35
“[…] stimulates and supports area-based economic development initiatives throughout the Johannesburg
metropolitan area […]”, Site internet JDA, http://www.jda.org.za, avril 2009.
49
cas dont elle parle, le centre-ville présentant différents sous-ensembles avec une problématique et
des enjeux propres. Néanmoins, pour elle, l’art public doit d’être quelque chose de beau, qui doit
plaire. L’argument esthétique est donc central. Dès lors, on peut se demander dans quelle mesure
cet objectif esthétique peut s’articuler aux autres objectifs de la politique d’art public.
Il est assez aisé de voir le lien entre objectif esthétique et économique : embellir l’espace
public par de l’art public permet de rendre cet espace plus attractif et donc d’y attirer des visiteurs,
des touristes ou des investisseurs. Cette corrélation est d’autant plus probable si une telle opération
est couplée à une action de sécurisation de l’espace en question, la question de la sécurité restant
une des raisons principales en Afrique du Sud pour éviter l’espace public. Or, c’est souvent le cas,
comme me l’a fait remarquer S. Sack, directeur du Département des Arts, de la Culture et du
Patrimoine :
« […] C’est assez étonnant. Mais quand vous investissez dans l’art public, vous devez aussi
investir dans la sécurité pour protéger les œuvres d’art. Et de cette façon, vous augmentez le
sentiment de sécurité dans ce lieu. Donc vous avez une interaction entre les deux
choses. […] » (Entretien du 2 février 2009)
En revanche, le lien entre l’objectif esthétique et les autres objectifs de la politique d’art public,
notamment ceux visant à faire de Johannesburg une ville inclusive, est moins évident. En effet, cela
suppose de se demander si l’art public doit nécessairement être beau pour (re)créer du lien social ou
pour lutter contre les divisions et les discriminations héritées. Mais, ces objectifs ne se situent-ils pas
sur un autre plan que les questions esthétiques qui, s’ils n’excluent pas le beau, ne le nécessitent pas
non plus ? Cela implique aussi, justement, de s’interroger sur qui définit le beau et pour qui. De fait,
si seulement ce qui est beau à le droit d’être (exposé) en ville, alors celui qui a le pouvoir de définir le
beau a aussi le pouvoir d’exclure. L’idée de beauté serait-elle instrumentalisée en tant que nouveau
facteur d’exclusion ?
Finalement, la vision de l’art public du JDA est assez proche de celle des acteurs privés en ce
qu’elle tend à renforcer l’aspect économique de la politique d’art public, ce qui n’est pas surprenant
étant donné la fonction même du JDA qui est et qui reste l’agence de développement de la Ville. En
ce sens, l’art public est donc un élément supplémentaire pour le JDA, dans le cadre des opérations de
rénovation urbaine qu’il mène dans la ville, pour promouvoir le développement économique de
celle-ci, en faisant de l’art public un outil d’esthétisation de la ville en vue de changer son image et
d’attirer touristes et investisseurs.
50
Il nous reste enfin à nous interroger sur les motivations du dernier groupe d’acteurs
intervenant dans la politique d’art public, les médiateurs artistiques, afin de savoir si leurs
motivations tendent aussi à renforcer les objectifs économiques de la politique d’art public, ou si au
contraire elles tendent à contrebalancer cette tendance. Les médiateurs, comme leur nom l’indique,
occupent une position intermédiaire entre les artistes qu’ils ont à sélectionner et la Ville qui est leur
commanditaire, bien que la majorité d’entre eux soient eux-mêmes des artistes. Leur rôle de
médiateur consiste donc à trouver un terrain d’entente entre les directives municipales, les
propositions d’autres artistes et leur vision personnelle. Est-il pour autant possible de discerner des
motivations communes à ces médiateurs qui les conduisent à participer à la politique d’art public de
la Ville et à se spécialiser dans cette fonction d’intermédiaires?
Pour tenter de répondre à cette question, j’ai interrogé des représentants de toutes les
compagnies spécialisées dans cette fonction de médiateur : Stephen Hobbs et Marcus Neustetter
pour Trinity Session ; Lesley Perkes pour Art At Work ! ; Andrew Lindsay pour la Spaza Gallery ; et
Antoinette Murdoch pour la Johannesburg Art Bank. Le tableau ci-dessous dresse un récapitulatif des
raisons invoquées par ces acteurs en faveur de l’art public lors de ces entretiens, tous réalisés au
cours du mois du février 2009.
51
Tableau 1.3 : Les motivations des médiateurs pour faire de l’art public
Compagnie
Représentant
Raisons invoquées pour faire de l’art public
Stephen Hobbs
- provoquer de l’inattendu qui puisse changer la
perception du passant
Trinity Session
Marcus Neustetter
- intérêt pour le processus de création, vu
comme un processus social, plus que pour le
résultat
- favoriser la réappropriation de l’espace public
par le public
Art At Work !
Lesley Perkes
- donner accès au plus grand nombre à l’art parce
que l’art public est à la vue de tous et gratuit
- permettre le rêve
- éduquer
Spaza Gallery
Andrew Lindsay
- impliquer la communauté locale, pour lui
permettre de s’approprier son espace
- donner accès au plus grand nombre à l’art
Art Bank
Antoinette Murdoch
- permettre à des artistes peu connus ou
anciennement discriminés (pour leur couleur de
peau ou leur sexe) d’avoir accès à la création
artistique
Ce tableau permet de montrer que même si chaque artiste a des motivations qui lui sont
propres, et qui révèlent la spécificité de la démarche personnelle et artistique de chacun, il n’en reste
pas moins que l’ensemble des raisons invoquées par les médiateurs artistiques concerne
essentiellement la question de l’accès à l’art, qu’il s’agisse de l’accès à la création artistique ou de
l’accès à la production artistique, que cet accès soit physique par la mise à disposition de l’art dans
l’espace public, ou bien mental, par la mise en place de démarches participatives ou éducatives. L’art
public pour la majorité de ces acteurs est donc conçu, ou du moins présenté, comme un processus et
un engagement sociaux qui peuvent, voire qui doivent transformer le rapport du public à l’art et à
l’espace public. Pour autant, il s’agit bien là de discours, c’est-à-dire de propos destinés à être
entendus, en l’occurrence par moi, mes interlocuteurs ne me disant que ce qu’ils veulent me dire ou
ce qu’ils croient que je veux entendre. Dès lors, on peut se demander si au-delà de ces motivations,
les médiateurs n’ont pas d’autres objectifs sans doute moins altruistes, dont un indice est par
exemple le fait que l’art public constitue aujourd’hui à Johannesburg un véritable marché.
52
Pour autant, on retrouve des arguments qui sont identiques, ou du moins compatibles, avec
certains des arguments de la politique d’art public et qui ne sont pas mis en avant par les autres
catégories d’acteurs. Dès lors, ces médiateurs artistiques pourraient favoriser la mise en application
de ces objectifs, et ainsi faire contrepoids à l’approche plus économique du JDA et des acteurs privés.
Pourtant, comme tous me l’ont fait remarquer, la politique d’art public de la Ville n’a généralement
pas les moyens de ses ambitions sociales. En effet, tous les projets de la municipalité se doivent
d’être réalisés dans un temps limité – généralement quelques mois – et avec un budget impartis, qui
sont bien souvent insuffisants pour mettre en place des processus qui prendraient en compte ou qui
impliqueraient les populations locales dans la démarche artistique. Le manque de temps et d’argent
alloués à ces projets ne permet donc pas aux artistes, par exemple, de réaliser des recherches
concernant l’espace d’implantation du projet ou d’organiser des ateliers de création avec les
populations locales. Le risque est donc bien que l’art public ne soit plus qu’un art dans l’espace
public, simple objet de décoration, installé là sans prendre en compte les populations locales, ni
même l’espace en question. M. Neustetter de Trinity Session résume ainsi la situation :
« […] pour les artistes, ce qui compte c’est souvent plus le processus que le résultat. Mais
cela demande du temps et de l’argent qui manquent généralement. C’est ce qui différencie
l’art public de l’art dans l’espace public. Pour moi, l’art public tel qu’il est conçu par la Ville
n’est pas critique, ne fait pas question. […] » (Entretien du 11 février 2009)
L’art public initié par la Ville serait donc incapable, surtout par manque de moyens, d’agir sur la
dimension sociale ou politique des espaces publics. Néanmoins, malgré cette insuffisance de la
politique d’art public, mise en avant par les médiateurs eux-mêmes, ces derniers choisissent quand
même de participer à cette politique. Ceci s’explique certainement d’une part parce qu’il y a une
véritable demande de la part de la Ville, et donc un marché à saisir ; et d’autre part, sans doute,
parce que les médiateurs espèrent pouvoir influer sur cette politique d’une manière ou d’une autre.
Dès lors, on peut se demander comment ces médiateurs, de même que les autres acteurs,
parviennent ou non à peser sur cette politique en vue d’imposer leur propre vision de l’art public.
-
Les rapports de force entre acteurs
Comme on s’en aperçoit, chaque catégorie d’acteurs semble avoir une vision et des
motivations bien distinctes de l’art public. Or, l’ensemble de ces visions et de ces motivations ne sont
pas forcément compatibles entre elles ni avec les objectifs de la politique d’art public, tels qu’ils
peuvent être incarnés par les dirigeants du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine.
53
Dès lors, il s’agit de comprendre quels sont les rapports de force entre les acteurs, et notamment visà-vis du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine, pour comprendre quels sont les
acteurs qui sont capables d’infléchir la politique afin qu’elle corresponde au mieux à leurs intérêts.
Le JDA n’est pas seulement le partenaire privilégié du Département des Arts, de la Culture et
du Patrimoine, il est aussi le véritable bras armé financier de ce dernier. De fait, le budget annuel du
JDA est beaucoup plus important que celui du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine.
A titre d’exemple, le budget du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine pour l’année
2008-2009 était de 61 536 000 rands, soit près de 6 millions d’euros, contre 1,2 milliard de rands, soit
près de 100 millions d’euros pour le JDA, presque dix-sept fois plus. Or, le JDA entend, depuis sa
création en 2001, consacrer une partie de son budget à l’art public, sans nécessairement respecter le
principe des « 1% d’art », pouvant donc attribuer plus ou moins d’un pourcent du budget à l’art
public suivant les projets. Néanmoins, il est important de préciser que ces dépenses ne peuvent être
que des dépenses d’investissement, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent concerner que des objets d’art
public et non des performances publiques. En ce sens, le JDA ne peut pas venir en aide au
Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine, en matière de performance publique, tandis
que le Département aimerait développer cet aspect, mais n’en a pas les moyens. Pour le reste, le JDA
est un acteur incontournable et influent du fait même de l’importance de son budget. En ce sens, sa
capacité à infléchir la politique d’art public selon sa vision de l’art public, c’est-à-dire en tant qu’outil
des opérations de rénovation urbaine, est importante.
Pour les acteurs privés, la question de leur influence par rapport à la politique d’art public se
pose sans doute également en fonction de leur participation financière, sachant que leur objectif
premier est de favoriser le développement économique de la ville par l’art public. Or, ces derniers
n’ont a priori pas les mêmes limitations que le JDA en matière d’investissement, ce qui signifie qu’ils
peuvent probablement financer des performances publiques. Dans ce domaine, ils peuvent sans
doute être très influents puisque ni le Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine, ni le JDA
n’ont la possibilité de financer de telles opérations. Mais là encore ces hypothèses seraient à
confirmer par des entretiens avec ces acteurs.
Enfin, les médiateurs artistiques, dans le cadre de la politique d’art public, adoptent le plus
souvent une stratégie de compromis entre les attentes du commanditaire, les propositions des
artistes en compétition et leurs propres desseins. Mais, ce compromis est perçu et vécu
différemment par les différents intermédiaires. Ainsi, pour l’équipe de Trinity Session, cela fait partie
du jeu. Dès lors, leur stratégie consiste à satisfaire au mieux leur commanditaire, en l’occurrence la
Ville, afin de pouvoir à la marge mener les projets comme ils l’entendent et amener progressivement
54
la Ville à adopter leurs vues. Prenant l’exemple du projet à l’initiative de Trinity Session actuellement
en cours de négociation, qui consiste à réaliser une œuvre d’art public pour la ville signée William
Kentridge, artiste sud-africain à l’heure actuelle le plus en vue internationalement, S. Hobbs m’a en
effet expliqué que ce genre de projet permettait :
« […] d’influencer les politiciens et de leur faire comprendre, même s’ils le savent déjà, que
leurs procédures sont trop lentes. Vous ne pouvez pas toujours prendre le chemin officiel
pour obtenir les meilleures choses. Mais, en même temps, il ne s’agit pas non plus d’aller
contre les politiques en place. Vous devez trouvez une façon de faire entre les deux. […] »
(Entretien du 18 février 2009).
Le but de Trinity Session est donc bien d’influencer les politiques publiques dans la perspective, à
terme, de parvenir à les rallier à leurs conceptions. On retrouve ici un discours dominant chez les
acteurs privés qui consiste à dire que le privé est toujours plus efficace que le public, parce que
moins bureaucratique et plus flexible. Mais tous les médiateurs n’ont pas cette ambition, et ne sont
d’ailleurs pas forcément en situation de le faire. En effet, Trinity Session est la première compagnie à
s’être spécialisée dans l’art public au service de la Ville et connaît depuis lors un vaste succès. Son
expérience et sa réussite en font donc aujourd’hui un acteur majeur de l’art public à Johannesburg,
ce qui lui permet de prétendre à influencer la façon dont la politique d’art public est conduite.
Pour les autres médiateurs, la question se pose quelque peu différemment, parce qu’ils ne
sont pas toujours en position de force pour imposer leurs choix. Ainsi, A. Murdoch, directrice de la
Johannesburg Art Bank, dernier médiateur entré au service de la Ville, a évoqué le poids du
commanditaire dans la réalisation des œuvres d’art public. Par exemple, dans le cadre du projet de
l’œuvre d’art public en l’honneur de Bram Fischer, militant afrikaner anti-apartheid, pour le centre
culturel du même nom, et pour la réalisation de laquelle la Johannesburg Art Bank a été choisie par
le Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine, A. Murdoch m’a expliqué que :
« […] Depuis le départ, nous étions d’accord pour faire des murals36 et des mosaïques sur le
sol, selon une approche très contemporaine. […] ils [les commanditaires] insistent pour
qu’il y ait une sorte de buste de Bram Fischer. C’est très classique, très traditionnel. […] »
(Entretien du 5 février 2009)
36
Un mural désigne une sorte peinture murale. J’ai choisi de conserver le terme anglais parce que le terme de
mural correspond en anglais à un véritable genre artistique, sans véritable équivalent en français.
55
On voit donc bien ici en quoi l’approche artistique du médiateur peut être en décalage par rapport
aux attentes du ou des commanditaires, ici en l’occurrence Capital Projects37, service de la Ville de
Johannesburg en charge du centre Bram Fischer, et le Département des Arts, de la Culture et du
Patrimoine. Pour faire face à cette situation, A. Murdoch a proposé un compromis consistant à
peindre le buste de Bram Fischer sur un des murals, tout en prévoyant de réaliser un buste si le
commanditaire refusait cette solution. C’est donc bien le commanditaire qui a le dernier mot.
L. Perkes, co-directrice d’Art At Work !, fait d’ailleurs le même constat :
« […] nous devons toujours avoir l’approbation du directeur des Arts et de la Culture de la
Ville. Sans comité d’art public, si quelqu’un dit non, c’est non. […] » (Entretien du 18
février 2009)
Pour L. Perkes, cette situation de dépendance par rapport au Département des Arts, de la Culture et
du Patrimoine est renforcée par l’application partielle de la politique d’art public, le « Comité de
sélection d’art public » prévu par la politique d’art public n’existant pas en tant que tel. Dès lors, le
mode de prise de décision est moins transparent et plus dépendant du bon vouloir des personnes en
charge de la mise en œuvre de la politique d’art public, c’est-à-dire le Département des Arts, de la
Culture et du Patrimoine, voire le JDA. Au contraire, L. Perkes considère que c’est la politique d’art
public qui devrait être aux services des artistes et non l’inverse. Pourtant, comme elle me l’a dit ellemême lors de ce même entretien, elle n’est « pas en position de dire non », parce qu’elle a besoin de
travail et que la Ville est, aujourd’hui, un des principaux commanditaires en matière d’art public. Le
rapport de force est donc nettement en faveur des commanditaires, qu’il s’agisse de la Ville, du JDA
ou des investisseurs privés. Les médiateurs doivent donc trouver des compromis pour satisfaire leurs
commanditaires, voire se compromettre, selon les déclarations d’A. Lindsay, directeur de la Spaza
Gallery :
« […] C’est une limite quand vous acceptez un travail […], vous devez vous demander
comment satisfaire les gens qui paient. […] Dès qu’il y a un sponsor, […] on est compromis.
[…] » (Entretien du 10 février 2009)
Dès lors, il est aussi aisé de comprendre que certains artistes refusent de participer à la politique
d’art public, puisqu’y participer impliquerait de compromettre leur propre vision de l’art public.
En définitive, le pouvoir d’influence des médiateurs artistiques semble donc restreint. Seule
la compagnie Trinity Session se distingue quelque peu des autres à cet égard, de par son expérience
37
Capital Projects est un service municipal s’occupant de la maintenance des équipements gérés par le
Département pour le développement communautaire de la ville.
56
et son ancienneté, même si sa marge de manœuvre reste limitée. Dès lors, on peut douter de la
capacité de ce groupe d’acteurs à pouvoir véritablement contrebalancer le poids des autres acteurs,
en faveur de leur propre vision de l’art public. Le mieux qu’ils puissent faire est sans doute d’infléchir
cette politique par une stratégie de compromis.
La politique d’art public de la Ville de Johannesburg ne se résume donc pas seulement à un
texte, elle dépend aussi de la manière dont les acteurs en charge de sa mise en œuvre l’interprètent
et l’appliquent, ainsi que des moyens dont ils disposent pour cela. Les discours des différents acteurs
m’ont ainsi permis de cerner les intentions de chacun ainsi que les rapports de force existant entre
eux. Cette première approche tend donc à montrer que la politique d’art public, même si elle est
inspirée de modèles internationaux, est le reflet des aspirations des membres dirigeants du
Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine qui conçoivent cette politique comme une
politique économique et sociale destinée à faire de Johannesburg une ville plus inclusive.
Néanmoins, l’aspect social de cette politique est largement remis en cause par la présence d’autres
acteurs, à savoir le JDA et le secteur privé non artistique, plus puissants sur le plan financier et pour
qui l’art public est avant tout un outil de développement économique. Par rapport à cette tendance,
les médiateurs artistiques dont l’approche moins économique pourrait servir de contrepoids ne sont
généralement pas en position de force pour imposer leurs conceptions. Dès lors, la capacité de la
politique d’art public à avoir un impact autre qu’esthétique sur la ville est compromise. Reste à savoir
comment cela se traduit aussi bien dans la pratique, lorsque la politique d’art public est
concrètement mise en place, que dans l’espace, une fois l’œuvre d’art public installée dans l’espace
public.
Le contexte d’apparition de la politique d’art public est en lui-même révélateur du pourquoi
de cette politique. La politique d’art public est conçue par les autorités municipales comme un outil
de redéfinition de la ville à toutes les échelles. Pourtant, les modalités d’application elles-mêmes
semblent limiter, voire compromettre ces objectifs premiers. Dès lors, on peut se demander quels
peuvent être les résultats effectifs de cette politique afin d’envisager dans quelle mesure ils
correspondent à ces objectifs.
57
II.
La politique d’art public à l’épreuve de la ville
Une fois définies les motivations qui ont conduit à l’institution d’une politique d’art public à
Johannesburg, et une fois cernés les dispositifs mis en place pour y parvenir, il s’agit de s’interroger
sur les résultats concrets de cette politique dans la ville en vue de déterminer en quoi ils concordent
avec les objectifs affichés de la politique. Pour ce faire, je dresserai un panorama des œuvres
produites au nom de cette politique, après quelque deux ans d’application de cette politique, afin de
définir s’il existe un type d’œuvre spécifique à cette politique qui rendrait les œuvres d’art public
produites par la Ville nettement identifiables par rapport à d’autres formes d’art public existantes,
tout en m’interrogeant sur la répartition spatiale de ces œuvres dans la ville. A partir de là, je
m’intéresserai aux modalités de réception de ces œuvres par le public à travers l’étude de trois cas
particuliers.
1) La politique d’art public en actes : les œuvres d’art public dans la ville
Après environ deux ans de mise en œuvre, la politique d’art public de la Ville de
Johannesburg a produit un certain nombre d’œuvres d’art public installées dans la ville.
Malheureusement, il n’existe pas de recensement systématique de ces œuvres. Le seul inventaire
que j’ai pu consulter au Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine consiste en un
recensement de toutes les œuvres d’art public existant à Johannesburg en juin 2006, c’est-à-dire
avant l’entrée en vigueur de la politique d’art public. Cet inventaire m’a ainsi servi de base de
référence, en négatif, pour identifier sur le terrain les œuvres d’art public réalisées depuis, au nom
de la politique d’art public. Du fait de l’étendue de la métropole, et n’ayant que deux mois et demi
sur place, je n’ai pas pu effectuer un recensement exhaustif de toutes les œuvres d’art public
produites dans le cadre de la politique d’art public à l’échelle de la métropole. Pour des questions de
faisabilité et parce que le centre-ville est un espace privilégié d’application de la politique d’art public
de la Ville depuis sa mise en place, je me suis concentrée sur le centre-ville. C’est donc
essentiellement à partir des œuvres d’art public du centre-ville que je m’apprête à analyser le style
d’œuvres d’art public produit par la Ville, en vue de déterminer en quoi ces œuvres peuvent être
spécifiques par rapport à d’autres formes d’œuvres d’art public, et donc constituer un genre en soi
nettement identifiable dans la ville ; et c’est également à partir d’elles que je vais m’interroger sur les
modalités de répartition spatiale de ces œuvres.
58
a) Quel art public produit par la Ville?
-
Les choix de la municipalité : des objets d’art public « traditionnels » à défaut de performances ?
Il s’agit de s’interroger ici sur le type d’œuvres d’art public produites par la Ville afin de
déterminer dans quelle mesure elles sont particulières et répondent à une certaine conception de
l’art public qu’il me faudra dégager.
L’échec de l’adoption d’une politique de performance publique est en elle-même l’indice
d’une limite et d’une orientation de la politique d’art public, en ce qu’elle indique que la politique
d’art public de la Ville est en réalité essentiellement une politique d’objets d’art public. Et de fait,
c’est le constat que font la plupart des artistes qui ont participé à cette politique d’art public. Par
exemple, Clive van der Berg, artiste sud-africain ayant participé à plusieurs reprises à la politique
d’art public de la Ville, m’a expliqué que :
« […] Je pense qu’au fur et à mesure qu’on développera cette tradition [d’art public], il y
aura un besoin croissant de faire de cet art public un art provocateur, et d’utiliser un
langage qui ne soit pas nécessairement figuratif. Nous [la Ville de Johannesburg] avons
aussi besoin d’interventions qui ne soient pas permanentes : des sculptures, des
événements, des performances, …, d’autres formes d’interventions artistiques qui ne soient
pas permanentes. Pour l’instant, la définition de l’art public est très traditionnelle
(traditional). […] Mais à un moment, on aura besoin de concevoir la culture publique, et
l’art public, de manière différente, plus fluide, plus flexible, temporaire. […] » (Entretien du
13 février 2009)
La politique d’art public contemporaine est ainsi qualifiée par C. van der Berg de « traditionnelle ».
Cet adjectif renvoie ici à une forme d’art non seulement usuelle, déjà vue, mais aussi conventionnelle
et convenue, par opposition à un « art provocateur » que l’artiste appelle de ses vœux. De ce fait, par
ce caractère « traditionnel », la capacité de l’art public à surprendre le public, à l’interpeller, à
l’amener précisément à s’interroger sur le sens de l’espace public est compromise. Dès lors,
l’efficacité même d’une telle politique en tant que susceptible de concerner les dimensions sociales
et politiques de l’espace public est remise en cause. Et ceci à tel point que l’on peut se demander
dans quelle mesure l’art public, du moins tel qu’il est institué par la Ville à l’heure actuelle, peut avoir
un impact, autre qu’esthétique, sur l’espace public.
Cette limite est d’ailleurs reconnue par les concepteurs de la politique d’art public,
notamment S. Sack, directeur du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine qui aimerait
justement pouvoir développer les performances d’art public. Cet aspect de la politique d’art public
59
est d’autant plus crucial que, selon les dires mêmes de S. Sack, les performances publiques ont une
dimension sociale, une capacité d’« anim[ation de] l’espace public » que n’ont pas les objets d’art.
L’idée consiste à dire, en effet, que les performances publiques, contrairement aux objets d’art
public, peuvent créer du lien social dans les espaces publics parce qu’elles peuvent permettre, le
temps d’une manifestation, la rencontre des populations, hypothèse qu’il me faudra confirmer par la
suite. Néanmoins, si les performances sont de fait exclues de la politique d’art public, la mise en
œuvre d’une partie des objectifs de cette politique d’art public est compromise. Dans ces conditions,
l’art public promu par la Ville de Johannesburg ne s’apparenterait-il pas davantage à une forme d’art
public esthétisante, outil de marketing urbain, qu’à un art public social et contestataire ? S’intéresser
aux autres formes d’art public existant à Johannesburg, permet sans doute de mieux comprendre
l’art public de la Ville et d’apporter des éléments de réponse à cette question.
-
Les autres formes d’art public contemporaines : points communs et différences avec l’art public
municipal
L’art public produit au nom de la politique d’art public n’est pas la seule forme d’art public
ayant existé – que l’on songe à l’art public de l’apartheid précédemment évoqué et érigé en contremodèle – ou existant à Johannesburg à l’heure actuelle. Dès lors, comprendre en quoi cet art public
diffère ou non d’autres formes d’art public, notamment d’autres formes post-apartheid, est aussi un
moyen de mieux saisir ce qu’est cet art public et dans quel but il est réalisé. De fait, l’art public peut
être utilisé par des acteurs publics et/ou privés à des fins très diverses, allant de la contestation
sociale à la campagne promotionnelle.
A cet égard, le projet « Johannesburg Ville d’Art » (Johannesburg Art City) lancé en 2002, soit
avant même l’adoption de la politique d’art public, par la Ville de Johannesburg en vue de la tenue
du Sommet mondial sur le Développement durable, est caractéristique d’une forme d’art public de
type promotionnel résultant d’un partenariat public-privé. En effet, Cell C, premier opérateur de
téléphonie mobile d’Afrique du Sud, était alors le principal sponsor de cette campagne qui consistait
à reproduire des murals sur des affiches gigantesques installées par la suite sur les façades des
immeubles de la ville. Ces murals avaient été réalisés pour cette occasion et se devaient de contenir
non seulement le logo de la Ville mais aussi celui du sponsor. Dès lors, comme l’a montré Sabine
Marschall dans un article de 200838, on peut s’interroger sur la nature même d’un tel projet : est-ce
38
S. Marschall, 2008, “Transforming Symbolic Identity : Wall Art and the South African City” (« Transformer
l’identité symbolique: l’art mural et la ville sud-africaine »), in African Arts, numéro d’été.
60
encore de l’art ou est-ce une simple campagne de publicité ? La Ville de Johannesburg est ainsi
capable d’utiliser l’art public à des fins promotionnelles voire publicitaires. La question est alors de
savoir si la politique d’art public adoptée depuis cette campagne permet de s’affranchir de cet aspect
publicitaire de l’art public, le principe des « 1% d’art public » donnant à la Ville une plus grande
autonomie financière par rapport à d’éventuels sponsors, ou si, au contraire, elle tend à le renforcer
dans une perspective de promotion de la ville et de développement économique.
Pour certains artistes, notamment ceux qui réalisent des projets d’art public alternatifs, voire
contestataires, la seconde hypothèse est clairement la bonne. Et c’est d’ailleurs pourquoi ces artistes
refusent de participer à la politique d’art public de la Ville : ils la jugent contraire à leurs objectifs
artistiques, à leur vision de ce que devrait être l’art public. Ismail Farouk, artiste et géographe sudafricain, est représentatif de cette catégorie d’artistes. En effet, il entend réaliser des projets
artistiques à vocation sociale. Mais selon lui l’approche de la Ville est une approche néolibérale qui
conduit dans le centre-ville à un processus de gentrification39, c’est-à-dire à un processus de
réinvestissement de quartiers urbains par des populations aisées aux dépens des populations
pauvres jusque-là résidantes et des usagers de ces espaces centraux. Ainsi, pour lui, la politique d’art
public :
« […] est associée au vaste programme de régénération urbaine qui dans son schéma général
vise à promouvoir la gentrification. Tout simplement. En d’autres termes, [elle] fait partie
d’un programme plus vaste de régénération urbaine qui soutient la gentrification, processus
qui suppose toujours de s’interroger sur le potentiel d’un quartier et sur les moyens de
maximiser le profit. Donc elle tient compte de ces objectifs, contrairement à une
conception différente qui consiste à dire… Par exemple, si vous voulez rénover un espace, il
y a plusieurs façon de s’y prendre. L’approche actuellement utilisée est néolibérale, elle ne
s’occupe pas des besoins des populations locales. De cette façon, l’art public soutient
actuellement le processus de gentrification, parce que l’art public est considéré comme
faisant partie d’une stratégie de régénération urbaine, d’un processus d’embellissement.
Actuellement la rénovation urbaine signifie donc : comment produire du ‘grand art’ (super
art), comment créer des changements superficiels dans l’environnement public. […]
39
Le terme de gentrification est un mot anglais, forgé par des géographes anglo-saxons dans les années 1970 à
la suite du sociologue anglais Ruth Glass ayant créé ce terme en 1963 à propos Londres, pour décrire un
phénomène de (ré)investissement des centres-villes par des populations aisées venant des banlieues (suburbs),
dans un contexte de revalorisation et de rénovation des centres-villes dégradés.
61
Et c’est exactement mon problème avec l’art public. Il fait partie de la stratégie globale de
régénération de la ville. Or cette stratégie est implacable. Elle promeut l’inégalité, un
environnement inégal. C’est ça le problème. […] » (Entretien du 19 février 2009).
L’art public initié par la Ville ne serait ainsi qu’un instrument d’embellissement de la ville, un
simple élément de décoration au service d’une image de ville, censée attirée les investisseurs et non
tournée vers les populations résidantes. A l’inverse, I. Farouk conçoit ses projets artistiques en
fonction des populations locales les plus en difficulté. Par exemple, un de ses projets consiste à
concevoir un caddy pour les transporteurs informels du centre-ville, surnommés « pousseurs de
caddys » (trolley pushers), qui avaient jusque-là recours à des caddys de supermarchés volés. Le but
de l’artiste ici est de légaliser une activité qui répond à une véritable demande dans le centre-ville,
alors que la municipalité se bat pour supprimer ce type d’activités. On voit donc ici à quel point la
logique artistique d’I. Farouk est contraire aux objectifs municipaux et donc incompatible avec une
politique publique.
Dès lors, pour comprendre cette opposition, il est intéressant de reprendre la distinction
faite par T. Hall dans un article de 200840 entre deux catégories d’art public : d’un côté un art public
institutionnel et des projets iconiques qui correspondent à une vision officielle, voire commerciale,
de la Ville et qui sont menés dans l’intérêt propre des investisseurs, qu‘il s’agisse de la Ville ou des
acteurs privés ; d’un autre côté, des projets d’art public de quartier ou communautaires qui ont un
but plus identitaire ou social. Mais, si ces deux types de projets sont effectivement différents, voire
opposés, sont-ils pour autant nécessairement contradictoires ? La Ville de Johannesburg peut-elle
alors concilier ces deux objectifs comme elle prétend le faire ? Il s’agirait alors de se demander s’il
existe des projets d’art public communautaires municipaux.
Au final, on s’aperçoit que l’art public promu par la Ville est une forme d’art public
spécifique, en ce qu’il privilégie les objets d’art public « traditionnels », ce qui est en soi une limite à
la portée de ce que peut être l’art public. Et de fait, en comparant l’art public municipal avec d’autres
formes d’art public, on constate que celui-ci s’apparente plus, à l’heure actuelle du moins, à de l’art
public de type publicitaire qu’à de l’art public contestataire. Reste à savoir si cela peut évoluer sur le
long terme comme semble le sous-entendre C. van der Berg.
40
T. Hall, 2004, “Opening Public Art’s Spaces: Art, Regeneration and Audience”, in The City Cultures Reader,
M. Miles et T. Hall (ed.), Routledge, New-York.
62
b) Où sont les œuvres d’art public réalisées par la Ville ?
Ayant cerné le type d’art public auquel pouvait appartenir les œuvres d’art public produit au
nom de la politique d’art public, il s’agit désormais de comprendre où se trouvent ces œuvres dans la
ville et de voir à quelle logique répond cette répartition spatiale, et ceci à toutes les échelles.
-
La place privilégiée du centre-ville : le centre-ville, une métonymie de la ville ?
Mes entretiens et mes observations de terrain m’ont permis de dégager une spécificité du
centre-ville qui en fait un espace privilégié d’application de la politique d’art public de la Ville. Mon
but est ici de comprendre en quoi et pourquoi le centre-ville occupe une place privilégiée dans cette
politique, alors que la politique est une politique métropolitaine, donc a priori applicable à
l’ensemble de la métropole sans aucune distinction. Cette question de la place du centre-ville
renvoie à celle des modalités d’application de cette politique publique métropolitaine aux différentes
échelles urbaines. En effet, si la politique d’art public est appliquée de manière spatialement
différenciée dans la ville, selon les quartiers et les échelles, cela ne risque-t-il pas de compromettre
l’objectif d’unification métropolitaine pourtant fondateur de cette politique ? On peut alors se
demander si une application spatialement différenciée de cette politique par quartier, sans action
efficace et effective à l’échelle métropolitaine, ne conduit pas à favoriser une construction de la ville
comme somme, voire simple juxtaposition de quartiers, et non comme un tout, une unité. Je
m’interrogerai tout d’abord sur ce qu’est le centre-ville de Johannesburg, en vue de mieux
comprendre les enjeux qui l’animent et qui en font un espace privilégié d’application de la politique
d’art public, ainsi que d’analyser les raisons explicitement évoquées par les différents acteurs pour
justifier cela.
Le centre-ville de Johannesburg est, en effet, un espace difficile à définir parce que multiple
et changeant, comme tente de le montrer la carte ci-dessous :
63
Carte 2.1 :
Source : Pauline Guinard
Le centre-ville désigne tout d’abord le cœur historique de la ville, c’est-à-dire l’endroit où se
sont installés les premiers occupants de la ville en 1886, suite à la découverte de mines d’or dans la
région (Beavon, 2004). Le centre-ville de Johannesburg était donc initialement un simple camp de
mineurs, délimité à l’ouest par Diagonal et Harrison Streets, au nord par de Noord Street, à l’est par
End Street et au sud par Commissionner Street (cf. carte 2.1). Autour du Market Square, la place du
marché, la ville s’organisait en quatre sous-ensembles fonctionnels distincts : le sud-ouest dédié à la
finance ; le nord-ouest industriel ; le sud-est minier ; et le nord-est résidentiel. Dès les années 1890,
avec l’arrivée du train et la mise en place d’un réseau de transport interne, le centre-ville de
Johannesburg a connu un développement rapide, marqué par une forte augmentation de
population, un boom de la construction et un fort investissement commercial, industriel et
résidentiel. Ce phénomène a été particulièrement marqué dans les années 1930 et 1940, se
traduisant par une expansion spatiale du centre vers le nord avec les quartiers d’Hillbrow et de
64
Braamfontein. A la même période, la ville et son centre sont aussi progressivement transformés par
la mise en application du Natives Urban Areas Act de 1923 et du Slums Act de 1934, loi qui sous
couvert de lutte contre les bidonvilles aboutissent, comme le Natives Urban Areas Act, à une
ségrégation raciale croissante dans Johannesburg. Le centre-ville apparaît, au fil des expulsions de
populations noires, Coloured et indiennes, comme un espace de plus en plus réservé aux Blancs, et
ceci avant même l’application des lois de l’apartheid.
Dans ces conditions, le centre-ville continue de croître mais de manière limitée, et dès les
années 1950, s’amorcent les premiers signes de décentralisation vers les banlieues nord, avant que
ne s’enclenche un véritable déclin à la fin des années 1970. Dans le même temps, le centre-ville
connaît le début d’un changement racial qui se marque par l’arrivée de populations noires et le
départ de populations blanches, changement qui a pu faire croire un temps à une possible
déségrégation du centre-ville (Guillaume, 2001 ; Morris, 1996). Ce phénomène s’accélère dans les
années 1980-1990, conduisant à une véritable re-ségrégation de fait, alors que le centre-ville
s’enfonce dans une dynamique de crise économique et sociale qui se traduit notamment par un fort
taux de vacance et la hausse de la criminalité. Avec la fin de l’apartheid, le gouvernement sudafricain et la Ville de Johannesburg s’engagent dans une logique de revitalisation du centre-ville en
vue de changer à travers lui l’image de Johannesburg sur la scène internationale, mais aussi à
l’échelle nationale et locale. La métropole de Johannesburg, sous la responsabilité d’un conseil
municipal unique depuis 2000, a ainsi adopté en 2001 un « plan de développement spatial » (Spatial
Development Framework) pour l’ensemble de l’agglomération urbaine, qui sert de cadre à toutes les
opérations de rénovation urbaines, et dans lequel le centre-ville de Johannesburg occupe une place
privilégiée (Beavon, 2004 ; Beall et alii, 2002).
Or, depuis 2004, dans le cadre de cette stratégie de rénovation, le centre-ville de
Johannesburg a été institué, avec l’accord du gouvernement national, en « zone de développement
urbain » (Urban Development Zone –UDZ), c’est-à-dire en une zone qui bénéficie d’une prime à
l’investissement. Le but d’une telle mesure est d’inciter les investisseurs à réinvestir dans le centreville. Pour que cette mesure soit effective, le centre-ville a donc dû être délimité de manière très
précise (cf. carte 2.1). Cette définition administrative et économique du centre-ville étant utilisée par
tous les départements de la Ville, y compris le Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine,
et le JDA, les deux acteurs publics principaux de la politique d’art public de la Ville, c’est donc aussi à
elle que je me référerai pour la suite de mon étude.
Néanmoins, il est possible de définir des sous-ensembles dans ce centre-ville, selon leur place
dans le centre-ville et dans la métropole. De par leur fonction et les représentations auxquelles ils
65
sont associés, ces sous-ensembles sont des espaces plus ou moins attractifs, plus ou moins centraux.
Mais il faut observer que la centralité peut évoluer très vite à Johannesburg. Par exemple, Newtown,
ancien quartier industriel en déclin aux débuts des années 1990, a fait l’objet d’une opération de
rénovation urbaine, menée à partir de 1993 et destinée à faire de ce quartier un véritable district
culturel (Vivant 2007 ; Dirsuweit 1999). Si le projet est plus ou moins une réussite, il n’en reste pas
moins que Newtown est aujourd’hui un des principaux quartiers touristiques et culturels du centreville, voire de la ville, passant en quelques années du statut de périphérie urbaine à celui de centre. A
l’inverse Hillbrow, Berea et Yeoville peuvent être considérés comme des périphéries du centre-ville, à
la fois géographiques et fonctionnelles, puisque ce sont des quartiers résidentiels aujourd’hui
dépendants des services offerts dans le centre du centre-ville et réputés pour être des quartiers
dangereux, ce qui en fait des espaces évités, des marges urbaines en plein cœur de la ville. Pourtant,
ces quartiers n’ont pas toujours été des périphéries ou des marges, bien au contraire. De fait, ces
quartiers ont été les premiers espaces de desserrement dans les années 1950 à partir du CBD
(Beavon, 2004), devenant ainsi des centres secondaires de la ville. Puis, à la fin de l’apartheid, dans
un contexte de déségrégation résidentielle, ces quartiers sont devenus des quartiers cosmopolites
qui concentraient des services aux populations rares pour répondre aux besoins des populations
étrangères, ce qui contribuait à renforcer leur attractivité (Morris, 1996 ; Guillaume, 2001). Mais, à
partir du milieu des années 1990, la hausse des taux de criminalité, de pauvreté, de chômage et de
vacance dans les parcs de logements, en a fait de nouvelles périphéries du centre-ville. Ces exemples
caractéristiques des évolutions à l’œuvre dans le centre-ville de Johannesburg mettent en évidence à
quel point le centre-ville est un espace mouvant et pluriel. La question sera alors pour moi de savoir
en quoi l’art public peut être un facteur de définition ou de redéfinition de ces différents espaces, et
à travers eux du centre-ville en général.
Le centre-ville occupe donc une place à part dans la ville en tant que centre historique et
fonctionnel en déclin. Pourtant, la politique d’art public de Johannesburg, contrairement à celle de la
ville de Tampa qui lui a servi de modèle, ne comporte aucune référence explicite au centre-ville en
tant que quartier qui mériterait une attention particulière de la politique, alors même que ce centre
occupe une place privilégiée dans les politiques de rénovation urbaine. Le centre-ville aurait-il
néanmoins implicitement une place à part dans la politique d’art public ? Ceci est d’autant plus
probable que l’art public est souvent utilisé, par le secteur public comme le secteur privé, comme
instrument de la rénovation urbaine.
66
De fait, E. Itzkin, directeur adjoint du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine,
reconnaît que :
« […] Beaucoup d’œuvres d’art public récentes ont été installées dans les espaces du centreville qui sont en train d’être rénovés. Il y a plusieurs raisons à cela. Le centre-ville a une
importance particulière parce qu’il a une identité historique spécifique, en tant que point
de départ pour la construction de la ville. D’une certaine manière, il a une identité qui va
au-delà de lui. Il représente la métropole de Johannesburg tout entière […]. Une autre
raison d’ordre pratique est que là où des investissements sont faits, il est plus facile
d’obtenir de l’argent pour l’art public. […] » (Entretien du 2 février 2009)
E. Itzkin admet donc non seulement la place particulière occupée par le centre-ville dans la politique
d’art public, mais il met aussi une nouvelle fois en évidence le lien entre art public et rénovation
urbaine : l’art public est préférentiellement installé dans les quartiers du centre-ville en cours de
rénovation, parce que cela permet de capter une partie des investissements faits à cette occasion, au
profit de l’art public. En outre, E. Itzkin souligne également les caractères propres au centre-ville qui
contribuent à en faire un espace privilégié d’implantation de l’art public, à savoir notamment le fait
qu’il soit le cœur historique, ce qui en fait un symbole de la ville toute entière. Les raisons évoquées
par E. Itzkin concernant la place particulière du centre-ville dans la ville sont donc à la fois
économiques, en lien avec les opérations de rénovation urbaine, et symboliques, le centre-ville
incarnant l’image de la ville. Ce dernier aspect est d’autant plus important que, comme je l’ai
indiqué, la Ville essaie de réinventer l’image de la ville (cf. encadré 1.2). Dès lors, le centre-ville
représentant la ville elle-même, il est la cible principale des politiques visant à transformer l’image de
la ville, l’art public pouvant être un élément de cette stratégie.
Quant au JDA, conformément à la fonction initiale de l’agence, d’ailleurs d’abord créée sous
le nom de « Bureau du centre-ville » (Inner City Office - ICO) pour mener à bien des opérations de
rénovation dans le centre-ville, il accorde également une attention spécifique à celui-ci. Les raisons
évoquées par K. Harrison, directrice du Département aménagement et stratégie du JDA, à ce sujet
sont les suivantes :
« […] Je pense que c’est [le centre-ville], important tout d’abord parce que c’est un nœud de
transport de première importance. […] C’est aussi une aire résidentielle importante, et de
plus en plus à l’heure actuelle parce que le nombre de gens qui y vivent augmente. Ca [le
centre-ville] a aussi une fonction économique importante. Il y a eu une étude, il y a
plusieurs années de cela, qui a montré que les habitants de Soweto, qui ont un pouvoir
économique important dans la Ville de Johannesburg, venaient en majorité faire leurs
67
courses dans le centre-ville, et pas à Soweto […] Ca [le centre-ville] a aussi une fonction
commerciale, au sens où beaucoup des grandes banques y sont implantées. C’est le quartier
du gouvernement.
Les fonctions du centre-ville sont donc multidimensionnelles. Et c’est pour cela que c’est
important. Et ce sera toujours important parce que c’est un carrefour pour Johannesburg.
[…] » (Entretien du 2 avril 2009)
La réponse de K. Harrison est particulièrement intéressante parce qu’elle insiste sur la dimension
fonctionnelle du centre-ville à la fois en tant qu’espace résidentiel, nœud de transport, centre
économique, centre commercial et centre politique. Dans cette définition, on retrouve un ensemble
de critères qui font du centre-ville de Johannesburg un véritable lieu de centralité, que ce soit en tant
que lieu de concentration de biens et de services qui polarise l’espace environnant, ou en termes
d’accessibilité en tant que principal nœud du réseau de transport métropolitain. Le centre-ville de
Johannesburg est donc bien un centre de la ville, non pas tant par sa position géographique que par
sa situation dans la ville et par son rayonnement sur le territoire de la métropole (Ciattoni, 2005).
Néanmoins, ce centre est de plus en plus concurrencé par le développement de nouveaux centres –
le plus puissant étant celui de Sandton au nord de la ville (cf. carte 1.1) – qui tendent à capter
certaines des fonctions centrales du centre-ville, notamment économiques et commerciales. Ainsi
voit-on que le centre-ville de Johannesburg est entré dans une logique de déclin depuis les années
1980 (Beavon, 2004), contre laquelle les autorités municipales tentent de lutter depuis la fin de
l’apartheid par la mise en place de stratégies de développement, la création de l’ICO devenu JDA
s’intégrant dans cette logique. L’intérêt de la Ville, et donc du JDA, pour le centre-ville s’explique
donc par cette volonté de sauvegarder la centralité fonctionnelle du centre-ville alors que celui-ci
reste un nœud de transport primordial à l’échelle de la ville.
L’attention du secteur privé pour le centre-ville découle de la même logique, et donc
concerne avant tout les entreprises historiquement installées dans le centre-ville (cf. carte 2 .1),
particulièrement dans le CBD (Central Business District ou centre d’affaires), entreprises dont les
intérêts sont menacés par le déclin de celui-ci. C’est ainsi qu’on peut comprendre, par exemple,
l’opération réalisée en 2004 à l’initiative des compagnies minières de Main Street (cf. carte 2.2)
consistant à financer conjointement le réaménagement de leur rue en y installant des œuvres d’art
public autour du thème de la mine, en vue de revaloriser l’espace en question. L’art public est donc là
encore utilisé comme un outil de rénovation urbaine, de (re)développement urbain, alors que sa
concentration spécifique dans le centre-ville s’explique par la localisation des sièges sociaux des
entreprises qui financent le projet. Le centre-ville, même s’il n’est plus le centre unique de la
68
métropole, reste donc un centre économique important qui justifie qu’il occupe encore une place à
part dans la ville.
Ainsi l’intérêt du JDA et des acteurs privés pour le centre-ville semble avant tout s’expliquer
par des raisons économiques, et l’art public y est valorisé en tant qu’instrument de revalorisation
urbaine, en tant que créateur d’une image positive qui peut attirer à nouveau les investisseurs. A cet
argument, K. Harrison du JDA ajoute également un aspect symbolique du centre-ville :
« […] C’est [le centre-ville] symbolique en partie du fait de son histoire et de son
patrimoine. De fait, on ne trouve de bâtiments historiques que dans très peu d’endroits de
la ville, à l’exception du centre-ville, parce que Johannesburg est une ville jeune. C’est ce
qui rend le centre-ville unique. […] » (Entretien du 2 avril 2009)
On retrouve ici l’argument utilisé par E. Itzkin, concernant la dimension historique, voire
patrimoniale, du centre-ville qui est, en effet, le quartier le plus ancien de la ville, alors que celle-ci
est une ville jeune, fondée en 1886. Le centre-ville est donc aussi un espace particulier parce
qu’unique à l’échelle de la métropole, ce qui légitime sans doute un traitement particulier en termes
d’application des politiques publiques, notamment lorsqu’il s’agit de l’art public qui à terme peut lui
aussi devenir un élément du patrimoine de la ville, lequel peut à son tour faire l’objet d’une
valorisation économique par les acteurs de la rénovation urbaine, que ce soit le JDA ou le secteur
privé.
En revanche, aucune spécificité du centre-ville n’est ressortie de manière spontanée de mes
entretiens avec les médiateurs artistiques. Aussi, pour approfondir cette question, il me faudra sans
doute les interroger à nouveau en veillant à les questionner de façon systématique sur leur rapport
au centre-ville. Ainsi, si certains de ces médiateurs semblent plus attachés à certains quartiers de la
ville qu’à d’autres, cela tient essentiellement à leur histoire personnelle ou professionnelle. Par
exemple, L. Perkes d’Art At Work ! travaille préférentiellement à Sandton, parce que sa société et son
principal client y sont basés. Les interventions des médiateurs dans le centre-ville apparaissent donc
davantage liées aux commandes de la Ville qu’à un attachement propre de ces médiateurs au centreville. De manière assez significative, la seule artiste que j’ai interrogée qui ait évoqué la place
particulière qu’occupait le centre-ville dans son travail est une artiste qui est elle-même basée dans
le centre-ville, dans le quartier de Joubert Park (cf. carte 2.1), et qui réalise des œuvres d’art public le
plus souvent sous la forme de performances, mais qui ne participe qu’occasionnellement à la
politique d’art public de la Ville. Dorothee Kreutzfeldt, membre-fondatrice du Joubert Park Project
(JPP), collectif d’artistes indépendant, m’a ainsi expliqué que :
69
« […] C’est [le centre-ville] un étrange mélange d’inattendus, de chaos, d’ingéniosités, de
réalités, qui fait de cet espace la Ville de Johannesburg. Cet espace n’est pas sous contrôle,
il a ses propres règles, des règles étranges. Tous les efforts de la Ville pour redévelopper,
pour gentrifier cet espace, commencent seulement à se faire sentir maintenant. Jusque-là, ç’a
toujours été l’endroit le plus chaotique de la ville. […] » (Entretien du 5 avril 2009)
A nouveau le centre-ville est présenté comme un concentré de la ville toute entière. Mais à l’inverse
des arguments d’ordre économique ou symbolique mentionnés jusque-là pour expliquer la spécificité
et l’importance du centre-ville, l’intérêt de l’artiste pour celui-ci concerne son caractère désordonné,
incontrôlé, « chaotique », soit tout ce qui est assimilé par la municipalité ou les investisseurs privés à
un révélateur du déclin du centre-ville. Au contraire, pour D. Kreutzfeldt, tout ceci est une richesse,
une source d’inspiration artistique, que les opérations de rénovation du centre-ville tendent
justement à faire disparaître. Deux visions du centre-ville s’opposent donc ici, chacune reconnaissant
pour des raisons différentes, voire contradictoires, la place privilégiée du centre-ville dans la ville. La
question est alors de savoir dans quelle mesure ces visions et cette opposition se traduisent par des
formes d’art public différentes.
A côté des raisons économiques ou symboliques, il existe donc d’autres types d’attachement
au centre-ville, comme le prouvent les propos de D. Kreutzfeldt, ces raisons pouvant se renforcer ou
se contredire. Par ailleurs, j’ai personnellement ressenti, au-delà de toutes les raisons explicitement
formulées par les différents acteurs, un lien au centre-ville d’un autre ordre, plus irrationnel, plus
émotionnel, quelque chose qui fait que le centre-ville n’est pas un espace neutre. Les gens semblent
aimer ou détester le centre-ville, mais n’y sont jamais indifférents. Cette impression resterait à
confirmer, par exemple en organisant des questionnaires auprès des usagers de la ville et du centreville.
Parce qu’il apparaît un espace privilégié dans la ville, le centre-ville l’est aussi en matière
d’application de la politique d’art public. Il y a donc une différenciation spatiale en matière de
répartition des œuvres d’art public municipales dans la métropole, le centre-ville présentant une
surreprésentation de ces œuvres par rapport aux autres quartiers. Cette différenciation est-elle
valable à plus grande échelle, notamment à l’échelle du quartier ? Pour répondre à cette question, je
m’appuierai sur le cas du centre-ville.
70
-
Inégalité de répartition des œuvres d’art public dans le centre-ville
Les œuvres d’art public ne sont pas présentes partout et uniformément dans le centre-ville,
qu’il s’agisse des œuvres d’art public produites à l’initiative de la municipalité ou à l’initiative
d’acteurs privés. Au contraire, certains espaces semblent privilégiés tandis que d’autres semblent
évités, signe d’une inégale répartition de ces œuvres à l’échelle du centre-ville. Après avoir mis en
évidence cette inégalité spatiale, je m’interrogerai sur les logiques qui président aux choix des sites
selon les acteurs afin de saisir en quoi la démarche de la Ville en matière d’art public est ou non
spécifique, et de tenter d’expliquer cette répartition de l’« art public public » dans le centre-ville.
A partir de mes recherches faites dans les archives du Département des Arts, de la Culture et
du Patrimoine, et de mes observations de terrain, effectuées du 28 janvier au 10 avril 2009, j’ai
dressé un inventaire, le plus exhaustif possible, des « œuvres d’art public » dans le centre-ville de
Johannesburg. C’est cet inventaire qui m’a permis de réaliser la carte ci-dessous (le changement
d’échelle par rapport à la carte 2.1 vise à une localisation plus précise des œuvres d’art, aucune
œuvre d’art public n’étant recensée dans les parties du centre-ville hors carte 2.2) :
71
Carte 2.2 :
Source : Pauline Guinard
Sur cette carte, j’ai aussi représenté, en plus des œuvres d’art public réalisées à l’initiative de
la Ville, certaines œuvres d’art exposées dans l’espace public mais résultant d’initiatives privées. Ce
choix se justifie pour deux raisons : d’une part, parce que les œuvres en question, une fois réalisées,
ont été données à la Ville, et sont donc désormais sous la responsabilité du Département des Arts, de
la Culture et du Patrimoine, et gérées au nom de la politique d’art public ; d’autre part, parce que je
voulais mettre en regard les choix des sites d’implantation des œuvres, selon les acteurs à l’initiative
de celles-ci. Et effectivement, le choix des sites d’installation des « œuvres d’art public » n’est
évidemment pas fait au hasard, mais répond bien à une véritable stratégie d’acteurs, la question
étant alors de savoir si ces choix diffèrent selon la nature de ces acteurs (publics ou privés).
Concernant la stratégie des acteurs publics, Steven Sack, directeur du Département des Arts,
de la Culture et du Patrimoine de la Ville de Johannesburg, est très explicite quant aux modalités de
72
choix des sites. Il m’a ainsi expliqué que la sélection des sites se faisait généralement en deux étapes,
notamment quand le JDA était en charge du projet. Tout d’abord, est choisi le quartier
d’intervention, souvent un quartier à redévelopper, le centre-ville étant, comme je l’ai
précédemment montré, un espace privilégié en la matière. Puis, au sein de ce quartier, sont
déterminés des sites spécifiques selon différents critères, présentés par S. Sack de la manière
suivante :
« […] Premièrement, nous nous intéressons aux parcs, nous faisons beaucoup de choses
dans les parcs ; dans les centres de transport, là où se trouvent les taxis, les bus. Nous nous
intéressons aussi aux entrées de ville (gateways)…
Q) Comme dans le cas de l’Eland ?
R) Oui, exactement. On y installe des repères visuels (visual markers), des points d’entrée
dans la ville, des portes.
Et, le dernier type de chose que nous faisons, ce sont des sortes d’itinéraires, comme celui
pour 2010, sur la route vers le stade d’Ellis Park,… Il y aura de l’art public.
Enfin, l’autre façon de choisir des sites (place makers) se fait en fonction du nouveau
système de transport public, le BRT [Bus Rapid Transport system], de ses itinéraires. On
installe des choses sur les itinéraires des bus et dans les stations. Et même chose pour le
train du Gauteng. Donc tout ceci forme une sorte de géographie de l’art public [c’est moi
qui souligne], un cadre particulier dans lequel mettre de l’art public.
Enfin, la dernière chose concerne les œuvres qui sont une forme d’hommage rendu à une
personnalité importante : un homme politique, un membre de la communauté ou encore
un artiste important. Dans ce cas, l’emplacement sera choisi en fonction du lieu où vivait
cette personne, des endroits qui ont marqué sa vie. Par exemple, dans le cas de Brenda
Fassie, nous avons mis sa statue en face du Centre de Musique […]. Il y a donc une sorte de
logique thématique qui justifie le fait que vous mettez quelque chose quelque part. »
(Entretien du 2 février 2009)
On peut donc identifier à mon sens deux logiques de choix de sites :
- soit en fonction du type de lieu: un parc, une gare, une station de bus, un point d’entrée
dans la ville, une route, etc.
73
- soit en fonction d’un thème associé à un lieu : la route d’accès au stade, les routes du BRT,
le club de jazz d’un chanteur, la rue de la mine, etc.
Et pour l’une comme pour l’autre de ces logiques, les sites choisis sont de deux types : des lieux
précis ou des axes.
L’ensemble de ces sites forme selon l’expression même de S. Sack une « géographie de l’art
public ». Et en effet, sur la carte, certains espaces se détachent nettement du fait de leur forte
concentration en œuvres d’art public financées par la Ville : les entrées et les sorties d’autoroutes,
les entrées et les sorties de ponts, ainsi que certains quartiers comme Newtown, le CBD et de
manière plus récente Hillbrow. A l’inverse, d’autres quartiers semblent peu, voire pas du tout
affectés par la politique d’art public, que ce soit les quartiers périphériques de Yeoville, Dornfontein,
Troyeville ou encore Forsdburg, mais aussi autour de Joubert Park, en plein cœur du centre-ville. Le
centre-ville apparaît ainsi inégalement touché par la politique d’art public.
A partir de ce constat, je me suis demandée si cette inégale répartition des œuvres d’art
public réalisées par la Ville s’expliquait uniquement du fait des logiques de choix des sites telles
qu’elles m’ont été explicitées par S. Sack, ou bien s’il y avait une autre explication. Ce qui a
particulièrement attiré mon attention, c’est la correspondance entre la géographie des œuvres d’art
public et celles des CID. Or, on constate bien que le seul sous-ensemble du centre-ville non constitué
en CID, à savoir Joubert Park comme me l’avait fait remarquer Ismail Farouk, artiste mais aussi
géographe sud-africain, est aussi celui où l’art public fait défaut. Les autres quartiers périphériques
sans art public évoqués plus haut ont en effet été institués en CID plus récemment, ou sont en passe
de l’être, des projets d’art public se mettant en place de manière concomitante. Par exemple, à
Fordsburg, alors que les négociations pour la création d’un CID se sont achevées en décembre 2008,
un appel à projet était lancé en février 2009 pour réaliser une œuvre d’art public célébrant le passé
du quartier au niveau du tunnel souterrain marquant l’entrée dans le centre-ville par Fordsburg.
Simple coïncidence ou lien de cause à effet entre institution d’un CID et mise en place d’art public ?
Pour tenter de mesurer en quoi cette corrélation pouvait être significative, j’ai demandé à
Neil Fraser, qui a milité pour l’introduction à Johannesburg à la fois des CID et de l’art public, s’il
voyait une relation de cause à effet entre les deux phénomènes. Voici sa réponse :
« […] Je pense qu’il n’est pas à 100% exact de dire qu’art public et CID coïncident – il y a
des nouvelles œuvres d’art public dans certains des parcs publics rénovés, dans le
marché/station de taxis de Faraday, et à Hillbrow, tous des espaces dans lesquels il n’y a pas
de CID. Néanmoins, l’investissement dans l’art public est souvent fait là où il y a un CID,
74
parce qu’il garantit un environnement sûr dans lequel il est moins probable qu’il y ait des
dégradations ou du vandalisme, du fait que la présence d’un service de sécurité est connue.
[…]»41 (Mail reçu le 30 mars 2009)
Cette réponse est intéressante, parce qu’elle permet de nuancer mon observation initiale : la
corrélation entre CID et art public n’est pas totale puisqu’il existe des quartiers sans CID mais où il y a
de l’art public. Néanmoins, malgré ce que dit N. Fraser, ce n’est pas le cas dans le centre-ville, étant
donné que Hillbrow depuis fin 2008 a été institué en RID (Residential Improvement District), autre
forme du CID mais uniquement pour les quartiers résidentiels. N. Fraser reconnaît, d’ailleurs, qu’il
existe bien un lien potentiel entre CID et art public, l’institution d’un CID pouvant être un catalyseur
qui favorise la mise en place de l’art public. Intérêts publics et intérêts privés peuvent donc converger
en faveur de l’art public. Pour autant, les stratégies des acteurs privés concernant l’art public sontelles identiques à celles des acteurs publics ? Se renforcent-elles, ou bien se contredisent-elles ? Est-il
d’ailleurs possible d’identifier une stratégie commune à tous les acteurs privés ?
Si l’on regarde à nouveau la carte 2.2 et que l’on compare les deux projets d’art public initiés
par le secteur privé, celui du journal du Sunday Times et celui réalisé dans Main Street, on s’aperçoit
que ces deux projets répondent de manière assez évidente à des logiques spatiales différentes. En
effet, dans le cas de Main Street, il s’agit d’une opération initiée en 2004 par un certain nombre de
compagnies, majoritairement minières, ayant leur siège social dans Main Street, et consistant à
réaménager cette rue, notamment en y installant des œuvres d’art public, en vue de la rendre à
nouveau attractive dans un contexte de déclin du centre-ville. La géographie des œuvres réalisées
dans ce cadre répond donc à la géographie des entreprises qui ont investi dans le projet, ce qui
explique que toute la rue ne soit pas concernée par ce projet, mais seulement la portion de Main
Street entre Miriam Makeba Street et Gandhi Square. Le thème choisi, la mine, est aussi en accord
avec les intérêts des investisseurs. De même, comme l’a montré P. S. van Straaten42, le mode de
représentation adopté tend à célébrer le passé minier de la ville, quitte à omettre les souffrances des
travailleurs, pour la plupart noirs. L’art public met donc ici en scène une version du passé de la ville
qui n’est pas partagée par tous, étant dès lors plus exclusif qu’inclusif, contraire en ce sens aux
stratégies des autorités publiques.
41
“[…] I don’t think it is 100% correct to say that public art and CIDs coincide – there is new public art in some
of the upgraded public parks, in the Faraday multi market/taxi rank and in Hillbrow all of which are in areas
where there isn’t a CID. However, funding for public art is often made because the CID provides a safe
environment where there is less likelihood of defacing or vandalism because of the known security presence.
[…]”
42
P. S. van Straaten, 2008, “A tale of Two Cities? An Examination of the Re-imagining of Gold Mining History at
Gold Reef City and in Johannesburg’s Main Street”, master 2 d’art, Université du Witwatersrand.
75
Le projet mis en place par le Sunday Times en 2006 à l’occasion du centenaire du journal, et
intitulé de manière significative « Projet patrimonial du Sunday Times »43, a lui des ambitions très
différentes. En effet, comme l’a montré E. Itzkin44, au-delà de l’aspect promotionnel du projet, celuici se présente comme un projet à visée sociale, devant contribuer à la construction de la nation sudafricaine, autour des notions de réconciliation, d’identité multiculturelle et d’inclusion. On retrouve
là des objectifs partagés par la Ville, mais la stratégie spatiale adoptée par le Sunday Times est
quelque peu différente de celle de la Ville, non pas tant dans la logique de choix des sites
d’installation des œuvres, que par le mode de représentation de celles-ci. De fait, les sites des
œuvres d’art réalisées à l’initiative du Sunday Times sont choisis selon une logique thématique telle
qu’elle peut être utilisée par la municipalité. Par exemple, l’œuvre dédiée à Raymond Dart,
paléontologue australien ayant découvert en 1924 en Afrique du Sud le premier fossile
d’australopithèque alors considéré comme le « chaînon manquant » entre l’homme et le singe, est
placée à l’entrée de l’Origins Center, musée consacré aux origines de l’humanité (cf. carte 2.2). Par
contre, le mode de représentation choisi est délibérément minimaliste : l’œuvre dédiée à Raymond
Dart est une sculpture en béton de faible hauteur, placée dans la pelouse du musée, à peine visible à
première vue, comme le montre la photographie ci-dessous :
43
Sunday Times Heritage Project
44
E. Itzkin, 2006, “Sunday Times Centenary Heritage Project”, Term Paper, Université du Witwatersrand.
76
Photo 2.1 : La sculpture dédiée à Raymond Dart par le Sunday Times,
une œuvre d’art public minimaliste
Source : http://www.flickr.com/photos/
L’idée est, en effet, de rompre avec un art public monumental, en valorisant des œuvres à petite
échelle, non nécessairement figuratives, qui sont censées être découvertes par le public, et non
s’imposer à lui (Marschall, 2009). A l’inverse, la municipalité cherche plus à réaliser des œuvres d’art
public immédiatement identifiables comme telles, plus imposantes, voire iconiques.
Les stratégies des acteurs publics et privés ne sont donc pas systématiquement opposées, ni,
à l’inverse, nécessairement compatibles ou complémentaires. En outre, s’il est possible d’identifier
une stratégie publique, les stratégies privées semblent quant à elles différer selon les acteurs et leurs
intérêts. Quoi qu’il en soit, dans tous les cas, l’idée derrière la réalisation d’œuvres d’art public est,
d’une manière ou d’une autre, de marquer l’espace en vue de le transformer. Selon l’expression de
S. Sack, les sites d’implantation des œuvres d’art public sont ainsi appelés à devenir des ‘‘place
makers’’, c’est-à-dire littéralement des créateurs de lieux. Pour autant, une fois l’œuvre d’art
installée dans l’espace public, celle-ci échappe en quelque sorte à ses concepteurs. Elle est offerte au
public, libre à lui de s’en saisir ou non, de se la réapproprier ou de l’ignorer. Par conséquent, il y a
77
toujours un décalage possible entre intentions des concepteurs et modalités de réception par le
public. C’est cette distorsion potentielle que je me propose d’analyser en vue de saisir dans quelle
mesure les objectifs fixés par la politique d’art public, puis incarnés par les artistes, correspondent
aux perceptions, représentations et pratiques du public, à partir du moment où ces œuvres sont
installées dans l’espace public.
2) La réception des œuvres d’art public : de la mésinterprétation à l’indifférence, en
passant par le détournement
Pour comprendre les modalités de réception des œuvres d’art public par le public et leur
adéquation avec les objectifs de la politique d’art public, j’ai étudié plus précisément trois projets
d’art public réalisés au nom de la politique d’art public. N’ayant que deux mois et demi sur place, j’ai
limité ma recherche à l’étude de trois cas du centre-ville que j’ai choisis de manière à ce qu’ils soient
les plus divers et les plus représentatifs possibles. Un certain nombre d’œuvres d’art public du
centre-ville avait déjà fait l’objet d’études réalisées par des étudiants de l’école d’art de l’université
du Witwatersrand (Wits), études qui sont facilement accessibles à la bibliothèque. Parmi elles, le
mémoire de P. S. van Straaten sur Main Street ou encore les travaux d’E. Itzkin sur le projet du
Sunday Times et sur la statue de Gandhi installée sur la place désormais éponyme. Pour mener à bien
ma propre étude, j’ai choisi de m’appuyer sur ces recherches – même si ce ne sont pas des études à
proprement parler géographiques – et de m’intéresser plus particulièrement à des œuvres qui
n’avaient pas encore fait l’objet d’études spécifiques. J’ai ensuite cherché à isoler des cas selon :
−
leur localisation dans le centre-ville
−
le type de lieu d’implantation de l’œuvre
−
le médium utilisé pour réaliser l’œuvre (sculpture, statue45, mural, …)
−
le mode de représentation (figuratif ou abstrait)
−
le sujet traité
−
la date de réalisation
Mon idée était en effet d’étudier des cas avec des caractéristiques variées pour pouvoir déterminer
en quoi chacun des critères énoncés pouvait avoir une influence en termes d’impacts socio-spatiaux
et donc de réception.
45
Par statue, j’entends un type de sculpture particulière, à savoir, selon la définition du Petit Robert de 1997,
un « ouvrage de sculpture en ronde-bosse [en relief, qui se détache du fond] représentant en entier un être
vivant ».
78
C’est ainsi que j’ai choisi trois œuvres d’art public particulières : l’Eland par
Clive van der Berg dans Bertha Street au nord de Braamfontein ; la statue de Carl von Brandis par
David MacGregor face à la haute cour de justice, dans Pritchard Street ; cinq murals situés à cinq
endroits différents, généralement à des points d’entrée du centre-ville, et réalisés dans le cadre
d’une campagne de sensibilisation à la propreté intitulée « campagne d’éducation à
l’environnement » (Environmental Education Campaign) (cf. carte 2.2). Un récapitulatif des critères
de sélection pour chacune des œuvres est présenté dans le tableau suivant :
Tableau 2.1 : Les critères de sélection pour chacune des études de cas
Quartier
Eland
Braamfontein
Statue de
Carl Von
Brandis
Murals de la
campagne
d’éducation à
l’environnement
Type de
représentation
Sujet
Date
de lieu
Médium
utilisé
Entrée de
ville
Statue en
béton
Figuratif
Animal
2007
Place
Statue en
bronze
Type
Nom de
l’œuvre
1965
CBD
Figuratif
Entrées de
ville
Dispersion
dans le
centre-ville
Entrées de
pont
Personnalité
Rénovée
en 2008
Fleurs,
Figuratif
personnages,
et abstrait
mots,
2008
Mural
Station de
taxis
…
En outre, le fait que ces œuvres soient très différentes les unes des autres supposait aussi
d’envisager pour chacune une méthode d’enquête adaptée en vue, de cerner les pratiques, les
perceptions ou les représentations induites par la présence d’une œuvre d’art dans un espace public
donné. Cela m’a ainsi permis de tester la faisabilité et la pertinence de ces méthodes dans le
contexte du centre-ville de Johannesburg. Par exemple, le centre-ville étant réputé dangereux, je
n’étais pas sûre de pouvoir aisément réaliser des questionnaires dans la rue, sans susciter la
méfiance, voire l’hostilité des passants. Les études de cas qui suivent ont donc aussi une dimension
exploratoire, et visent à valider ou à invalider les différentes méthodes d’enquête.
79
a) L’Eland : une icône mal comprise ?
Il s’agit de montrer par cette étude de cas que le décalage pouvant exister entre objectifs de
production d’une œuvre d’art public et modalités de réception de celle-ci ne remet pas forcément en
cause la réussite du projet. Paradoxalement, l’incompréhension peut être un facteur de succès.
-
Projet et processus décisionnel : le choix d’une œuvre d’art public iconique
La statue de l’Eland résulte d’une initiative conjointe du JDA, du Département des Arts, de la
Culture et du Patrimoine et du Braamfontein Management District (BMD)46, CID de Braamfontein
constitué en 2004 notamment à l’initiative de deux grandes firmes sud-africaines ayant leur siège
social dans le quartier, à savoir SAPPI fabriquant de papier, et Liberty Life compagnie d’assurances.
Ancien quartier administratif, commercial et d’affaires, Braamfontein a en effet été soumis au même
processus de déclin que les autres quartiers du centre-ville à partir des années 1980. Aujourd’hui, du
fait des opérations de rénovation urbaines menées conjointement par le privé et le public, le quartier
tend de plus en plus à se définir à nouveau comme un quartier d’affaires mais aussi comme un
quartier universitaire, jouant en cela de la proximité de l’université de Wits. Le projet d’art public
s’inscrit donc dans le cadre de cette rénovation urbaine du quartier de Braamfontein conduit en
collaboration par des acteurs publics et privés, le Département des Arts, de la Culture et du
Patrimoine apportant sa caution d’expert dans ce domaine.
Le site choisi pour l’implantation de cette œuvre est de manière caractéristique un site
d’entrée de ville, répondant ainsi à l’une des deux logiques du Département des Arts, de la Culture et
du Patrimoine telles que je les ai dégagées précédemment. Ceci est d’ailleurs clairement explicité
dans le rapport de la Ville concernant la réalisation de l’œuvre (cf. annexes):
« […] Cette entrée est une voie d’accès principale vers le centre-ville en venant de
Braamfontein […] »47
Le site a donc été choisi en fonction de sa position stratégique dans le centre-ville, mais aussi par
rapport aux autres projets d’art public qui y sont menés. En effet, le rapport de la Ville précise que :
46
Pour plus d’informations, se reporter au site internet du BMD : http://www.braamfontein.org.za.
47
“[…] This gateway site is a key point of entry to the Inner City from Braamfontein […]”, Rapport du
Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine 2 août 2007.
80
« […] Le site renforce « l’arc culturel » (Cultural Arc)48, en liant Braamfontein au quartier
culturel de Newtown. […] »49
Enfin, à l’échelle micro-locale, le site choisi est un lieu de passage et de convergence, du fait à la fois
de la proximité de l’université de Wits qui draine chaque jour des milliers d’étudiants de tous les
quartiers de la ville, et de la présence d’un arrêt de bus majeur en termes de correspondances intraurbaines. En outre, dans le cadre des opérations de rénovation de Braamfontein, la place en question
avait été dès le départ conçue par le cabinet d’architectes ASM (Albonico Sack Mzumara) en charge
de son réaménagement, pour accueillir une œuvre d’art. Mais, comme Monica Albonico qui était à la
tête du programme de rénovation de Braamfontein me l’a expliqué, l’ampleur du projet a conduit à
en faire une opération à part :
« […] Nous avons travaillé pendant quatre ans à Braamfontein, en impliquant des étudiants
de Wits qui pouvaient être des journalistes, des aménageurs, des architectes. Et avec eux,
nous avons réfléchi à la manière de rénover le quartier. […] L’Eland devait être une œuvre
d’art majeure. On a donc décidé d’en faire un projet à part. […] » (Entretien du 9 mars
2009)
Dès lors, le choix du site apparaît comme résultant tout autant d’une proposition faite par des
acteurs privés que d’une logique propre au Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine de
la Ville. Dans ce cas, les deux logiques, privée et publique, convergent et se complètent, l’idée
implicite étant que l’impact visuel soit maximal pour que l’œuvre soit vue par le plus de personnes
possibles.
Une fois le site choisi, la procédure adoptée pour sélectionner l’artiste et l’œuvre à réaliser a
correspondu à la procédure habituelle suivie par les autorités publiques, telle que je l’ai présentée en
première partie, à savoir la nomination d’une équipe de médiateurs artistiques chargée de
déterminer l’organisation générale du projet. Dans ce cas, en effet, Trinity Session, qui avait déjà
collaboré à la réalisation d’un projet d’art public à Braamfontein dans Juta Street, a été recrutée pour
mener à bien la procédure de sélection de l’artiste pour ce nouveau projet. Trinity Session a ainsi
recommandé de mettre en place un appel à projet auprès d’un nombre limité d’artistes (cinq),
justifiant son choix, dans un rapport adressé à la Ville le 25 septembre 2006, à la fois par le nombre
48
La notion de ‘’Cultural Arc’’ ou arc culturel a été définie par Carolyn Hamilton, professeur d’histoire à
l’université de Wits, puis repris par le JDA en 2003 afin de désigner un secteur privilégié d’intervention
culturelle allant de Newtown à Constitution Hill, en passant par Braamfontein, le campus de l’université de
Wits et le pont Mandela.
49
“[…] The site feeds into the Cultural Arc linking Braamfontein to the Newtown Cultural District. […]”, Rapport
du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine 2 août 2007.
81
restreint d’artistes locaux disposant des compétences requises pour mener à bien un projet de cette
envergure – ce qui excluait d’emblée de lancer un appel à projet ouvert à tous, procédure par ailleurs
coûteuse – et par l’aspect plus participatif de ce type d’appel par rapport à la nomination d’un seul et
même artiste. Le rapport (cf. annexes) précise que :
« […] Ces dernières années, il y a eu des débats concernant le nombre d’artistes
suffisamment spécialisés et expérimentés pour réaliser des œuvres d’art public de
moyenne et de grande échelle. […] Trinity Session recommande qu’il soit proposé à la
commission une liste d’artistes à partir de laquelle un nombre limité d’artistes (5 de
préférence) soit retenu. […] Bien qu’il soit certain que plusieurs des artistes retenus
seront déjà des artistes réputés, cette approche est en quelque sorte plus inclusive
[c’est moi qui souligne] que de faire appel à un seul individu, et plus pratique d’un point
de vue logistique et budgétaire qu’un appel à projet ouvert à tous. […] »50
Il est intéressant de remarquer l’emploi de l’adjectif « inclusive » qui renvoie à certains des objectifs
de la politique d’art public de la Ville, notamment en matière de cohésion sociale et de participation,
révélant la stratégie argumentaire utilisée par Trinity Session pour convaincre son commanditaire de
la pertinence de ses propositions. Par ailleurs, même s’il est en quelque sorte regretté qu’une telle
procédure favorise la sélection d’artistes déjà connus (« Bien que »), cela peut en réalité être un
argument supplémentaire en faveur de cette procédure, puisque le rapport de la Ville (cf. annexes)
visait explicitement à la réalisation d’« une nouvelle œuvre iconique »51, c’est-à-dire d’une œuvre qui
devienne un véritable symbole. Or, faire appel à un artiste connu pour réaliser une « œuvre d’art
public » peut contribuer à la rendre iconique. Et c’est bien cette procédure qui a finalement été
retenue.
Pour ce faire, a été constituée une commission de sélection spécifique à ce projet, le
Braamfontein Art Committee, composée du directeur du Département des Arts, de la Culture et du
Patrimoine, S. Sack, d’un membre du JDA, Paul Arnot-Job, et « de personnes ou d’organismes [ayant]
des intérêts particuliers dans le projet », selon l’expression de S. Sack, soit des représentants de
50
“In recent years there has been some debate as to the number of artists sufficiently specialized and
experienced in the process and implementation of medium to large scale public artworks. […] The Trinity
Session recommends that the committee is presented with a list of artists from which a shortlist
(recommended 5) is determined. […]. While it is anticipated that several of the artists in the shortlist will
already have reputations that precede them, this approach is somewhat more inclusive than an invitation to an
individual and more practical from a logistics and budget point of view than an open call for submission.”,
Rapport de Trinity Session du 25 septembre 2006.
51
‘‘An iconic new artwork’’, Rapport du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine 2 août 2007.
82
SAPPI et de Liberty Life, des membres des différents CID du centre-ville, notamment celui de
Braamfontein, des professeurs de l’école d’art de l’université de Wits et un membre de Trinity
Session, auxquels il faut ajouter le directeur de la Johannesburg Art Gallery, certainement invité en
tant qu’expert artistique. La participation du JDA et du BMD se justifie d’autant plus qu’ils étaient les
deux organismes assurant le financement du projet, pour un budget total de 760 000 rands, soit
environ 76 000 euros, comme le précise le rapport de la Ville du 2 août 2007 (cf. annexes). La
commission était donc une commission mixte, mêlant acteurs publics et privés, investisseurs et
experts.
C’est cette commission qui a présélectionné cinq artistes, à savoir Churchill Madikida, Clive
van der Berg, Jeremy Wafer, Usha Seejarim et Retha Erasmus. Soit cinq artistes avec une réputation
déjà plus ou moins établie en Afrique du Sud et dans le monde, parmi lesquels figuraient deux
femmes et deux personnes de couleur, dont une femme de couleur, afin d’ « assurer une
représentativité des femmes et des artistes auparavant discriminés »52. Une telle contrainte s’inscrit
dans les politiques de quotas adoptées en Afrique du Sud depuis la fin de l’apartheid dans le but de
lutter contre les séquelles des discriminations passées. Ces cinq artistes ont proposé et présenté au
Braamfontein Art Committee cinq projets très différents comme le montre le rapport de Trinity
Session de mars 2007. N’ayant pas pu rencontrer tous les artistes présélectionnés, je me contenterai
de présenter et de commenter les projets des deux artistes avec qui j’ai eu un entretien, Clive van
der Berg qui a remporté le projet, et Jeremy Wafer, artiste et professeur à l’université de Wits. En
outre, les deux projets étant les plus opposés parmi ceux proposés, tant dans leur esthétique que
dans leur démarche artistique, leur comparaison permet de mieux saisir le pourquoi du choix final de
la commission.
En effet, le projet proposé par J. Wafer était un projet assez minimaliste qui consistait à
installer des chaises sur la place en question, face aux devantures des boutiques dans lesquelles
auraient été installés des écrans de télévision, diffusant en permanence des séquences artistiques.
Voici la photographie de la maquette de son projet, tel qu’il a été présenté à la commission de
sélection :
52
‘‘to ensure representation of women and previously disavantaged artists’’, Rapport du Département des
Arts, de la Culture et du Patrimoine 2 août 2007.
83
Photo 2.2 : Le projet de J. Wafer, une œuvre d’art public participative ?
Source : rapport de Trinity Session du 27 mars 2007
Le projet de J. Wafer ne se présentait donc pas comme une œuvre spectaculaire. Au contraire, son
projet était une invitation discrète à l’échange ou au partage dans l’espace public, par l’installation
d’objets du quotidien, banals, dans cet espace, devant conduire à une réflexion sur le sens même de
l’espace public. Mais, comme me l’a fait remarquer J. Wafer lui-même cela ne correspondait
vraisemblablement pas aux attentes de la Ville :
« […] Ce projet [celui de Braamfontein] supposait un processus à plus long terme et plus
large, sur la pratique même de l’espace. Le choix de la municipalité s’est porté sur
l’installation d’un objet, une sculpture, approche plus conventionnelle et plus simple. »
(Entretien du 2 février 2009)
On retrouve ici la conception de l’art public comme un art « traditionnel » qui privilégie les objets
d’art public consensuels, « conventionnels », tout en sachant que, dans ce cas précis, il ne s’agissait
pas de réaliser seulement un objet d’art qui serait « traditionnel », mais que cet objet devait aussi
être « iconique », c’est-à-dire qu’il devait créer l’événement, marquer les esprits de manière
immédiate, et non supposer un processus à plus long terme. Dès lors, on comprend que le projet de
J. Wafer n’ait pas été retenu.
A l’inverse, le projet de Clive van der Berg répondait beaucoup mieux à ces exigences. La
proposition de C. van der Berg consistait, en effet, à réaliser une statue en béton représentant un
élan de 5,5 mètres de haut pour un poids total de 20 tonnes. Voici la photographie de la maquette du
projet :
84
Photo 2.3 : Le projet de C. van der Berg, un œuvre d’art public iconique ?
Plantes
Source : rapport de Trinity Session du 27 mars 2007
Cette proposition répondait, en effet, aux exigences de la Ville en étant à la fois un objet d’art et une
icône potentielle, de par sa taille. En effet, les dimensions de cette statue en font une œuvre
exceptionnelle, pouvant être utilisée comme un élément promotionnel de la ville à l’échelle locale,
nationale voire internationale ; alors que dans le même temps, sa taille permet d’espérer en faire un
marqueur spatial local, incontournable pour les passants.
Par ailleurs, ce projet répondait aussi à un autre impératif, beaucoup plus officieux, imposé
par la Ville et que j’ai découvert par la suite. En effet, la statue devant être placée sur une route
présentant un trafic dense de bus, celle-ci devait être assez solide pour résister à un bus qui viendrait
la percuter ! Même si cette condition peut paraître quelque peu extravagante, elle n’en renvoie pas
moins à un véritable questionnement en termes de contraintes techniques et matérielles lorsqu’il
s’agit de produire une œuvre d’art destinée à être exposée en extérieur, c’est-à-dire soumise aux
intempéries, aux malveillances ou aux accidents. De ce fait, certains choix artistiques sont
conditionnés par des contraintes extérieures de durabilité ou d’entretien, ce que m’a confirmé C. van
der Berg, lui-même, à propos de ce projet :
« […] De toute évidence, quand la Ville passe commande, elle veut des choses durables, qui
restent en place un certain nombre d’années. Pour l’Eland, par exemple, j’ai eu à garantir
que la sculpture résisterait, même si un bus rentrait dedans. Parce qu’ils font un
investissement, ils veulent que leur investissement dure au moins une vingtaine
d’années. […]» (Entretien du 13 février 2009)
Pour autant, le projet de C. van der Berg n’a pas été uniquement conçu par rapport aux attentes de la
Ville. S’il les a prises en compte, son projet ne s’en inscrit pas moins dans une démarche artistique
85
qui lui est propre et qui consiste essentiellement à réactiver le lien entre présent et passé, entre
l’homme et son environnement. Pour lui, en effet, une œuvre d’art public se doit avant tout de
répondre au contexte local. Aussi tous ses projets sont précédés de recherches en vue de saisir le
sens historique, social ou économique d’un lieu. Ainsi, dans le cas qui nous intéresse, l’éland53 est
censé évoquer l’environnement « originel », « naturel » de ce lieu qui a depuis longtemps disparu au
profit de la ville. Les plantes installées entre les deux pans de bétons (cf. photo 2.3) symbolisent ce
lien entre nature et culture. Selon les explications présentées par C. van der Berg à la commission de
sélection et présentées dans le rapport final de Trinity Session de mars 2007 :
« […] L’Eland permet d’installer une grande représentation d’un éland à un carrefour
d’où il a depuis longtemps disparu. Cette image quelque peu désolée d’un animal
majestueux permettra, j’imagine, d’apporter de la beauté et de la grandeur à un lieu
très animé. J’espère qu’il sera aussi un emblème qui nous incitera à réfléchir à notre
relation au passé, et aux interactions entre les destinées environnementales, culturelles
et spirituelles. […] »54
Dans cette déclaration, on peut noter l’utilisation des termes d’« image » et d’« emblème » qui
s’accordent avec la directive de la Ville de réaliser une œuvre « iconique ». Mais, le but de C. van der
Berg avec ce projet n’est pas seulement esthétique, puisqu’il espère à la fois « apporter de la
beauté » et aussi amener le public, dans lequel il s’inclut par l’emploi de la première personne du
pluriel, « à réfléchir ».
Quoi qu’il en soit, c’est bien le projet de C. van der Berg qui a été choisi à l’unanimité par le
Braamfontein Art Committee, indice que le projet de l’Eland était sans doute celui qui correspondait
le mieux aux attentes de tous les acteurs (même si je n’ai pas pu avoir avec chacun d’entre eux un
entretien me permettant de déterminer précisément leurs attentes respectives). Je suppose aussi
que le nom même de C. van der Berg a également pesé sur la décision finale, ce dernier étant en
effet le plus connu des artistes en compétition, son nom pouvant, à lui seul, être un instrument
promotionnel permettant de faire parler de l’événement à l’échelle locale, nationale ou
53
L'éland est une espèce de ruminant de la famille des bovidés qui constitue la plus grande des antilopes
d'Afrique. Il ne doit pas être confondu avec l’élan qui lui est une espèce de cervidé d’Amérique du Nord, parfois
appelé orignal.
54
“[…] Eland places a large representation of an eland on a corner where it has long since disappeared. This
slightly forlorn image of a majestic animal would I imagine bring beauty and grandeur to a busy place. I hope it
would also be an emblem that prompts reflection on our relationship to the past, and to the
interconnectedness of environmental, cultural and spiritual destinies. […]”, Rapport de Trinity Session du 27
mars 2007.
86
internationale. Une fois la décision de la commission entérinée en août 2007, la mise en œuvre du
projet pouvait être entreprise. C’est ainsi qu’a été inaugurée, le 18 octobre 2007, par le maire de
Johannesburg, Amos Masondo, la statue de l’Eland. Le site internet de la Ville a d’ailleurs relayé
l’événement :
Page Internet 2.1 : Entête de l’article consacré à l’inauguration de l’Eland, le 22 octobre 2007 ou
quand l’Eland devient un outil promotionnel
“Eland adds beauty to Braamfontein” (“L’Eland embellit Braamfontein”) par M. K. Monday
Source : site internet de la Ville de Johannesburg, http://www.joburg.org.za
Cet article montre en quoi l’art public peut être un outil promotionnel. De fait, l’inauguration
de l’Eland a été l’occasion de parler de Braamfontein sous un angle inédit, comme un quartier
porteur de « beauté ». L’art public est donc utilisé pour véhiculer une nouvelle image de
Braamfontein, et donc du centre-ville. Reste à savoir si ce message a été reçu tel quel par la
population de Johannesburg, et dans quelle mesure cela se traduit dans les pratiques spatiales ou les
représentations des populations, notamment celles fréquentant l’espace public en question.
-
Des pratiques spatiales inchangées par la présence de l’Eland ?
Comme je l’ai évoqué précédemment, la place choisie pour l’implantation de cette œuvre, au
croisement de Bertha et Ameshoff Streets (cf. carte 2.2), avait été au préalable réaménagée par le
cabinet d’architectes ASM. En vue de (re)créer un espace public, des bancs, des espaces verts, du
mobilier urbain y avaient été implantés, ainsi qu’un espace laissé libre pour une future « œuvre d’art
public », selon le schéma suivant :
87
Schéma 2.1 : L’espace public après réaménagement au croisement de Bertha et Ameshoff Streets
1)
2)
Réalisation : Pauline Guinard
L’idée des architectes était, selon leur propres termes cités dans le rapport de Trinity Session
du 25 septembre 2006 (cf. annexes), de «donner plus de sens aux espaces publics à travers des
opérations de design innovantes et stratégiques »55, la réalisation d’une œuvre d’art public devant
s’inscrire dans cette logique.
Afin de saisir les pratiques spatiales des usagers de cet espace et de tenter de mesurer en
quoi celles-ci pouvaient être influencées par la présence d’une œuvre d’art, j’ai effectué une série
d’observations entre février et avril 2009, à plusieurs heures de la journée et de la nuit. A partir de
ces observations, en fonction du taux de fréquentation, des activités et de la localisation des
personnes présentes, j’ai distingué plusieurs temporalités correspondant à différentes pratiques
spatiales dans l’espace en question :
55
“Empowering public spaces through innovative and strategic design interventions’’, Rapport de Trinity
Session du 25 septembre 2006.
88
-
la nuit, de 18h à 6h, c’est-à-dire du coucher au lever du soleil, alors que l’Eland reste visible
grâce à des spots qui l’éclairent, l’espace est complètement déserté par les piétons. Seules
quelques voitures circulent. Ceci correspond à ce qui se passe la nuit partout ailleurs dans le
centre-ville. En effet, le centre-ville étant réputé pour être dangereux, l’espace public est
littéralement abandonné après la fermeture des bureaux et des magasins. La présence de
l’Eland ne modifie pas le phénomène. L’éclairage de la statue est d’ailleurs sans doute
davantage destiné à éviter que des véhicules ne la percutent, qu’à attirer des visiteurs
improbables.
-
les heures de pointe, à savoir de 7h à 9h et de 16h à 18h, c’est-à-dire les heures d’ouverture
et de fermeture des bureaux, des magasins et de l’université, sont les heures de forte
fréquentation. L’espace est alors soumis à un va-et-vient permanent de gens concentrés
autour de l’arrêt de bus (espace 1) sur le schéma 2.1). L’espace autour de l’Eland (espace 2)
sur le schéma 2.1) est lui quasiment vide, le vigile du BMD en charge de la surveillance de la
statue étant généralement la seule personne présente sur la place. Aux heures de pointe,
c’est donc l’arrêt de bus, et non la statue, qui polarise l’activité dans cet espace.
-
l’heure du déjeuner, entre 12h et 14h, est un temps de pause pour la majorité des
travailleurs et des étudiants, y compris pour le vigile de BMD qui s’absente alors de son poste
pendant une heure. L’espace est alors moins fréquenté qu’aux heures de pointe, mais plus
qu’aux heures creuses. Les gens viennent s’asseoir et se reposer sur les bancs, de manière
préférentielle sur ceux en face de l’arrêt de bus ou sur celui de la place, et plus rarement sur
la pelouse. Le choix du lieu et le taux de fréquentation à cette heure semblent très liés aux
conditions climatiques. Plus il fait beau, plus il y a de monde. S’il pleut, l’espace est déserté.
S’il fait chaud, les espaces à l’ombre sont recherchés, à savoir la pelouse et certains des
bancs en face de l’arrêt de bus, mais non le banc de la place ni l’estrade de la statue sur
laquelle les gens pourraient également s’asseoir, mais qui n’en font rien parce que ces
endroits sont alors en plein soleil.
-
les heures creuses, entre 9h et 12h puis 14h et 16h, sont les heures de travail. L’espace est
alors peu fréquenté : quelques personnes de manière ponctuelle à l’arrêt de bus ; le vigile de
BMD à proximité de l’Eland ; des personnes seules qui passent le temps, en lisant le journal
par exemple, sur la place ; et à deux reprises (le 4 mars à 10h20 et le 16 mars à 14h10) un
groupe d’ouvriers prenant une pause sur la pelouse, sans doute du fait d’un chantier à
proximité.
89
Quelle que soit la période considérée, mes observations laissent supposer que les pratiques
spatiales dans cet espace sont a priori peu, voire pas du tout influencées par la présence de la statue.
L’heure de la journée, les conditions climatiques semblent en effet plus déterminantes pour
expliquer la présence et la localisation des individus. Est-ce à dire que l’Eland, contrairement aux
attentes de la Ville, des investisseurs et de l’artiste, n’aurait aucun effet sur l’espace public et les
populations fréquentant cet espace ? Si les pratiques semblent peu affectées par l’installation de
cette œuvre d’art public, en est-il de même des représentations des usagers de cet espace ?
-
Les représentations associées à la statue : quel éland ?
Afin d’apprécier les représentations associées à cet espace et d’estimer en quoi la présence
de l’Eland pouvait les influencer, j’ai décidé de réaliser une série de questionnaires auprès des
passants fréquentant cet espace. Comme je l’ai indiqué précédemment, l’espace public sud-africain,
et particulièrement l’espace public du centre-ville de Johannesburg, est généralement un espace
véhiculant des représentations négatives, associé à la criminalité et à la violence, et suscitant des
réactions de peur plus que d’échange. Dans ces conditions, même si l’espace public en question
semblait se distinguer d’autres espaces du centre-ville par son taux de fréquentation et son caractère
mixte, je n’étais pas sûre de pouvoir mener à bien ce genre d’enquête qui suppose d’aborder les
passants pour leur poser des questions. Aussi, pour rassurer les gens et les mettre en confiance, je
me présentais comme une étudiante ayant besoin d’aide pour mes recherches, et j’utilisais mon
badge de l’université de Wits pour attester mon identité. De plus, en vue d’essuyer le moins de refus
possible, j’ai construit un questionnaire très court. Je l’ai testé auprès d’une dizaine de personnes, ce
qui m’a permis de vérifier son intelligibilité et de le rendre plus clair lorsque c’était nécessaire. Le
questionnaire que j’ai utilisé, par la suite, est donc le suivant :
90
Estimation par moi-même du sexe, de l’âge, et de la « race » de la personne interrogée.
1) Provenance : étranger, Sud-Africain, de Johannesburg ?
2) Raison de la présence sur la place : loisirs, courses, travail, étude, lieu de résidence ?
3) Appréciez-vous cet endroit ? Pourquoi ? Vous y sentez-vous en sécurité ?
4) Avez-vous remarqué la présence d’une œuvre d’art ?
5) Qu’est-ce que vous en pensez-vous ?
- vous aimez ?
- est-ce que cela représente quelque chose pour vous ? quoi ?
- pensez-vous que cela change quelque chose quant au lieu ?
Le but de ce questionnaire était somme toute assez modeste : je voulais savoir si les passants
remarquaient la présence de la statue, s’ils lui attribuaient une valeur positive, si elle évoquait
quelque chose pour eux, et enfin si elle contribuait à changer leur appréciation du lieu, questions qui
me permettaient d’apprécier le degré et les modalités de réception de cette œuvre par les usagers
de cet espace public. Les critères sociaux très généraux comme le sexe, l’âge, la « race »56 et la
nationalité, devaient me servir à déterminer si ces perceptions et représentations variaient selon ces
critères.
En termes de représentativité des personnes interrogées, tout en menant des questionnaires
aléatoires, j’ai essayé d’avoir un échantillon représentatif de la population observée dans cet espace,
tout en prenant en compte les différentes temporalités que j’ai dégagées ci-dessus. A cet égard, je
tiens à préciser que pour une raison pratique, je n’ai réalisé de questionnaires ni auprès des
automobilistes, ni la nuit.
Au total, j’ai ainsi réalisé 50 questionnaires entre le 2 et le 16 mars 2009. Le nombre de
questionnaires réalisés peut apparaître comme insuffisant, et c’est pourquoi ce travail ne doit pas
être pris comme un produit final, mais bien comme une étude exploratoire, aussi bien en termes de
méthode que de résultats. Par ailleurs, malgré mes craintes, il m’a été assez facile de réaliser ces
questionnaires, notamment grâce à la présence de l’arrêt de bus. En effet, les bus de Johannesburg
n’étant pas très fréquents ni très ponctuels, les gens attendant leurs bus, soit la majorité des
personnes présentes dans cet espace, répondaient facilement et cordialement à mes questions parce
56
Par race, je me réfère, sans y souscrire, aux catégories de Blanc, Noir, Coloured et Indien, utilisées pendant
l’apartheid parce que se sont aujourd’hui des catégories du recensement et qu’elles continuent d’être
employées par les Sud-Africains eux-mêmes.
91
que je leur permettais bien souvent de tromper leur attente. Par contre, il m’était plus difficile
d’obtenir des réponses des personnes présentes sur la place, ce qui bien évidemment introduit un
biais dans l’étude, même si, comme je l’ai dit précédemment, la place est généralement moins
fréquentée que l’espace en face de l’arrêt de bus.
Les résultats (cf. annexes) sont les suivants :
Concernant la population interrogée dans cet espace, j’ai découvert qu’elle était
assez représentative de la population totale de Johannesburg sur le plan « racial »,
puisque 8% des personnes interrogées étaient des Coloured, 12% des Indiens, 16%
des Blancs et 64 % des Noirs, contre 6% de Coloured, 4% d’Indiens, 16% de Blancs,
74% de Noirs à l’échelle de la ville selon le recensement de 200157. On peut
néanmoins remarquer une nette surreprésentation des Indiens, une légère
surreprésentation des Coloured et la sous-représentation des Noirs. Je n’ai pas
vraiment réussi à expliquer ce phénomène (proximité de l’université ? profil
spécifique du quartier ?), ni pu en tirer de réelles informations. Ceci confirme donc
seulement mon impression initiale d’un espace relativement racialement mixte. Dès
lors, la pertinence d’une catégorie « race » dans de tels questionnaires est
certainement à remettre en cause puisqu’elle n’apporte finalement que peu
d’informations supplémentaires.
En outre, on peut également observer une très nette surreprésentation des jeunes,
les 15-30 ans représentant 70% des personnes interrogées, pour 32% à l’échelle de la
ville. Ceci est bien évidemment à mettre en relation avec la proximité de l’université
de Wits et de plusieurs écoles secondaires, ce qui est confirmé par le fait que 64%
des personnes interrogées déclarent se trouver dans le quartier pour leurs études.
En matière d’appréciation du lieu, 64% des personnes interrogées disent aimer ce
lieu, les raisons spontanément et principalement évoquées pour justifier cela étant le
caractère sûr de l’endroit, sa propreté et son accessibilité. Par ailleurs, 68% des
personnes jugeaient également cet endroit sûr. La corrélation entre le fait d’aimer le
lieu et de le trouver sûr, et au contraire de ne pas l’aimer et de le trouver dangereux,
est forte puisque sur 32 personnes aimant cet endroit, 31 l’estiment sûr, alors que
sur 16 personnes ne l’aimant pas, 15 le jugent dangereux.
57
Voir: http://www.statssa.gov.za.
92
Si l’on s’intéresse désormais à la statue de l’Eland, sa visibilité ne fait aucun doute
puisque toutes les personnes interrogées avaient remarqué sa présence, ce qui
correspond à un des objectifs de la Ville. Par contre, les avis sur celle-ci sont plus
partagés : 54% des personnes interrogées apprécient cette statue, 30% ne l’aiment
pas et 16% sont indifférents. La corrélation entre le fait d’apprécier le lieu et la
statue, ou le contraire, est moins évident puisque seules 18 personnes sur 32 aimant
le lieu aiment aussi la statue, et 4 sur 15 n’aimant pas le lieu n’aiment pas la statue.
La présence de la statue est donc beaucoup moins déterminante dans l’appréciation
du lieu que le fait qu’il soit considéré comme sûr.
Par ailleurs, la majorité des gens, 28 personnes sur 50, déclarent dans un
premier temps ne pas savoir ce que représente la statue. A cet égard, je pense que la
volonté de bien faire des personnes interrogées et la crainte de donner une mauvaise
réponse, jouent en faveur d’une autocensure. En insistant un peu, la réponse la plus
fréquemment donnée, par 17 personnes sur 50, à propos de ce que pouvait
représenter la statue, était que c’était un animal : soit un animal non-identifié, soit
un springbok58, une vache, un taureau, un ‘‘kudu’’59, une chèvre ou bien encore un
éléphant, mais jamais un éland !
Il est aussi intéressant de remarquer que quatre personnes ont utilisé l’adjectif
« africain » (African) pour me décrire la statue. Or, à chaque fois, ces personnes
étaient blanches et sud-africaines. L’utilisation du mot « africain » est intéressante ici
parce que si « africain » signifiait « noir » pendant l’apartheid et renvoyait donc à une
catégorie de population discriminée, l’adjectif est aujourd’hui réemployé par la
municipalité sous un autre sens, plus positif, en tant qu’élément de définition de
l’identité de la ville à travers le slogan « Joburg, une ville mondiale africaine». Dès
lors, on peut se demander dans quel sens le terme « africain » est employé ici.
Renvoie-t-il à l’acception de l’apartheid ou est-il employé au sens contemporain ?
Dans ce dernier cas, pourquoi seuls les Blancs sud-africains utilisent-ils cet adjectif ?
Ne sont-ils pas eux aussi « africains » ?
Enfin, s’agissant de la question de l’effet éventuel de l’installation de l’Eland sur le
lieu, 30 personnes sur 50 perçoivent un changement, majoritairement dû à un
58
Le springbok est une antilope d’Afrique australe.
59
Le “kudu’’ désigne aussi une espèce d’antilope ; le mot vient du Xhosa iqudu, devenu en Afrikaans koedoe
puis kudu en anglais.
93
embellissement du lieu (9 fois évoqué), à une attractivité accrue du lieu (7 fois
évoqué) et à une nouvelle dimension symbolique du lieu (6 fois évoqué), mais sans
que ce symbole soit identifié. Les changements perçus et évoqués sont ainsi tous de
nature positive. Donc, soit les personnes interrogées perçoivent un changement et
celui-ci est positif, soit elles ne perçoivent pas de changement. Par ailleurs, ces
changements correspondent tous à un objectif évoqué ou par au moins un des
acteurs ayant participé au projet : la beauté par la ville et l’artiste ; l’attractivité par la
Ville et les acteurs privés ; l’aspect symbolique par l’artiste.
Au final, la réalisation de ce questionnaire m’a appris d’apprendre un certain nombre de
choses. Tout d’abord, en termes de méthode, il est possible, dans certaines conditions, de faire
passer des questionnaires dans l’espace public du centre-ville de Johannesburg. La présence d’un
arrêt de bus est ainsi un véritable atout, mais en même temps cela introduit un biais puisque
l’essentiel des personnes interrogées sont des personnes qui prennent le bus, ou le minibus60 si le
bus tarde trop, alors qu’à l’échelle de la ville, seuls 2,5% de la population utilise le bus et 12,8% le
minibus, contre 17,4% la voiture selon le recensement de 2001. Il serait peut-être intéressant de
trouver une méthode d’enquête qui permette aussi de saisir les perceptions et les représentations
des automobilistes pour voir si celles-ci varient en fonction du mode de transport et donc,
concrètement, de l’angle de vue sur l’objet en question. Ceci serait d’autant plus pertinent que
l’existence d’un feu tricolore en face de la statue suppose à cet endroit un arrêt qui peut être
l’occasion de regarder la statue sous un angle différent de celui des personnes attendant le bus. Par
ailleurs, le fait que les personnes interrogées prennent le bus est aussi l’indice d’une appartenance à
une certaine catégorie sociale qui induit sans doute un biais supplémentaire. De même, la proximité
de l’université implique également une surreprésentation des étudiants, autre biais social à prendre
en compte. Pour expliciter cela de manière systématique, les questionnaires, avant d’être conduits à
une plus vaste échelle, devraient inclure une question sur la catégorie socio-professionnelle de la
personne interrogée.
En termes de résultats, les questionnaires m’ont permis de dresser un premier portrait de la
population fréquentant cet espace. Il s’agit d’une population assez mixte sur le plan « racial », ce qui
contraste avec beaucoup d’espaces publics plus centraux du centre-ville à majorité noire. On
constate également une surreprésentation de jeunes et d’étudiants, confirmant la fonction de
quartier universitaire de Braamfontein. Ceci est déjà un indicateur du degré de « publicisation » de
cet espace qui apparaît comme ouvert à tous les publics sur le plan « racial », mais présentant une
60
Les mini-bus ou taxis collectifs sont des moyens de transports collectifs informels qui desservent l’ensemble
de la ville de Johannesburg et qui sont localement appelés combi.
94
certaine spécialisation sociale qu’il s’agirait de confirmer. Concernant la manière dont ce public
appréhende cet espace, la sécurité, ou du moins la représentation de l’espace comme sûr, est le
facteur déterminant dans le fait d’aimer un lieu ou non, ce qui est révélateur du contexte sud-africain
dans lequel le thème de l’insécurité est récurrent. La présence de la statue est dès lors très
secondaire dans l’appréciation du lieu. Pourtant, l’installation de la statue contribue sans doute de
manière indirecte à lutter contre le sentiment d’insécurité, puisqu’un vigile est chargé de la surveiller
en permanence. Sa présence renforce certainement la perception de cet espace comme sûr et
contribue de ce fait indirectement à une acceptation de la statue.
Enfin concernant la réception à proprement parler, il existe un décalage incontestable entre
ce qu’a voulu représenter l’artiste, un éland, et ce que voient les passants, tout sauf un éland. Pour
autant, cette statue est vue de tous et elle génère l’impression – diffuse parmi le public – de changer
quelque chose, d’apporter quelque chose en plus, ce quelque chose correspondant le plus souvent à
un des objectifs des différents acteurs. Il y a donc bien mésinterprétation sur ce qu’est l’objet, mais
l’effet produit semble plutôt correspondre aux objectifs escomptés par les acteurs en charge du
projet. En ce sens, le décalage effectif entre production et réception ne conduit pas à une remise en
cause des buts des concepteurs du projet. Pour autant, on peut se demander dans quelle mesure ce
décalage n’est pas l’indice qu’il peut exister des incompréhensions plus grandes qui
compromettraient plus profondément les objectifs initiaux des acteurs du projet.
b) La statue de Carl von Brandis : l’œuvre détournée
L’intérêt de cette étude de cas est de comprendre comment un trop grand décalage entre
objectifs de production et modalités de réception en matière d’œuvre d’art public peut conduire à un
détournement de l’œuvre par les usagers de l’espace public. Par détournement, j’entends un acte
qui consiste à modifier le sens (et/ou l’usage) déjà attribué (Hossard, Janin, 2005). L’idée est donc de
dire que la distorsion entre le sens donné à l’œuvre par ceux qui initient et produisent l’œuvre d’un
côté, et ceux qui la reçoivent de l’autre, peut être telle que ces deux sens deviennent incompatibles,
le sens conféré à l’œuvre par les usagers de l’espace public finissant par l’emporter sur celui attribué
par les concepteurs.
95
- Projet et processus décisionnel : la difficile gestion d’une œuvre d’art public héritée de l’apartheid
La statue de Carl von Brandis est une des rares statues d’art public de Johannesburg héritées
de l’apartheid, et correspond parfaitement à l’art public d’apartheid tel que je l’ai décrit, puisqu’il
s’agit d’une statue de bronze en pied, dédiée à la mémoire du capitaine Carl von Brandis (18271903), premier magistrat de la Ville de Johannesburg de 1886 à 1900. Cette statue a été réalisée par
David MacGregor à la demande de la chambre des mines du Transvaal et de l’Etat libre d’Orange
(Orange Free State), deux provinces de l’Afrique du Sud pendant l’apartheid. Puis elle a été donnée à
la Ville qui l’a inaugurée en 1965. Cette statue a dès l’origine été installée dans le square de la Cour
suprême de l’époque, aujourd’hui devenue Haute-Cour (High Court) du sud de la province du
Gauteng, sur Pritchard Street (cf. carte 2.2), selon une logique de choix de site thématique.
Depuis la fin de l’apartheid en 1991 et l’instauration d’une municipalité unique de
l’agglomération de Johannesburg en 2000 (Beavon, 2004), la responsabilité de cette statue, comme
de l’ensemble des « œuvres d’art public » héritées, revient au Département des Arts, de la Culture et
du Patrimoine de la Ville. La lutte contre les discriminations passées et la célébration de la diversité
culturelle figurant parmi les principaux objectifs de la politique d’art public (cf. annexes), l’existence
et le devenir de ces œuvres héritées de l’apartheid ont rapidement posé problème et suscité le
débat : fallait-il les déboulonner en vue de tenter de gommer l’apartheid ou au contraire les
conserver comme faisant aussi partie du patrimoine de la ville ? Les dirigeants du Département des
Arts, de la Culture et du Patrimoine ont opté pour la seconde solution, tout en adoptant une
stratégie de conservation active, c’est-à-dire une stratégie qui ne se contente pas de protéger les
œuvres, mais qui tend à les réinventer afin que le public se les réapproprie.
Ainsi, en ce qui concerne la statue de Carl von Brandis, il a été décidé non seulement de la
garder, mais aussi de la rénover et de réaménager l’ensemble de l’espace environnant. En effet,
comme je l’ai mentionné ci-dessus, la statue avait été installée dans le square de la Cour Suprême. Or
ce square, et donc la statue, étaient séparés de l’espace public par une grille, ainsi qu’on peut le voir
sur la photographie suivante :
96
Photo 2.4 : Statue de Carl von Brandis à son emplacement initial,
une œuvre d’art public hors de l’espace public ?
Statue
Grille
Cour de
justice
Source : Lewis Levin architecte en charge du projet
L’idée du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine, particulièrement défendue
par E. Itzkin, directeur du service du patrimoine, était de rendre cette œuvre d’art public à l’espace
public. La première solution envisagée pour cela consistait à enlever la grille. Mais, le personnel de la
cour de justice, et notamment des juges, se sont opposés à cette mesure par peur de se faire
agresser, ce qui s’explique sans doute par un fort taux d’agressions envers les juges mais qui est aussi
symptomatique des représentations associées à l’espace public dans le centre-ville. Finalement, un
compromis a été trouvé, consistant à déplacer la grille, de façon à ce que seulement la statue, et non
l’ensemble du parc, fasse partie de l’espace public. Voici le plan du projet :
97
Schéma 2.2 : Projet de déplacement de la grille de la High Court, rendre la statue de Carl von
Brandis à l’espace public
Grille
en
projet
Grille
existante
Source : Lewis Levin, architecte en charge du projet
La rénovation de la statue a donc été incluse dans un projet global plus vaste, visant à
repenser et à agrandir l’espace public environnant en réaffirmant le caractère public de cet espace et
de cette œuvre d’art qui, à proprement parler, n’était pas dans l’espace public. Le projet consistait
donc à repositionner la statue pour permettre aux passants de la (re)découvrir, voire de se la
réapproprier, tout en réaménageant l’espace public en y installant des bancs, des lampadaires, une
horloge, l’ensemble de ce mobilier urbain tendant à réactiver la fonction d’accueil, la dimension
publique de l’espace en question. Concernant plus précisément la statue, l’idée de Lewis Levin,
l’architecte en charge du projet, était de la surélever en vue, selon ses propres mots :
« […] de la cacher et de la montrer dans le même temps. […]» (Entretien du 20 février 2009)
De cette manière, L. Levin répondait aux hésitations et aux interrogations de la Ville à propos du
maintien de cette œuvre, héritage controversé de l’apartheid. En outre, cette opération de
surélévation permettait aussi d’installer des bancs aux pieds de la statue et de les protéger de la
98
pluie comme du soleil par une sorte d’auvent afin, selon le rapport du Département des Arts, de la
Culture et du Patrimoine (cf. annexes) de « rendre cet espace plus fonctionnel et plus accueillant ».
Pourtant, si cet espace se devait d’être « accueillant », il ne devait pas l’être trop, puisque comme me
l’a expliqué E. Itzkin et confirmé L. Levin, le but de la Ville était de permettre aux passants de
s’asseoir mais non de s’allonger, pour éviter que des sans-abris ne s’emparent de cet espace. La
forme des bancs, incurvés, est révélatrice de cet objectif.
A la différence du cas de l’Eland, ici, c’est bien la Ville, et plus spécifiquement le Département
des Arts, de la Culture et du Patrimoine, qui a eu l’entière responsabilité de mener à bien la partie du
projet concernant la statue, déléguant à L. Levin la réalisation concrète du projet, au nom de la
politique d’art public et de la « politique du patrimoine » (Heritage Policy) de la Ville, comme le
prouve le rapport du département sur cette opération (cf. annexes). Néanmoins, comme je l’ai
mentionné, ce projet s’inscrit, là encore, dans le cadre d’un programme urbain plus vaste,
concernant le renouvellement du quartier de la Haute-Cour mené par le JDA et KUM, la société
gérant un certain nombre de CID à Johannesburg, et particulièrement dans le centre-ville. Le
financement de l’ensemble de ce programme de quinze millions de rands (1,5 million d’euros), dont
326 000 rands (32 600 euros) alloués au projet concernant l’espace autour de la statue de Carl von
Brandis, soit plus de 2% du budget, a été essentiellement assuré par le JDA, et complété par des
contributions du secteur privé et de la Haute-Cour. Symboliquement, c’est d’ailleurs Laël Bethlehem,
directrice de JDA, qui a inauguré la statue le 1er juillet 2008, comme l’a rapporté une nouvelle fois le
site internet de la Ville.
Le projet autour de la statue de Carl von Brandis est particulièrement intéressant parce que
c’est un projet d’art public qui intègre à sa conception une réflexion sur l’espace public et sur le
patrimoine. Pour autant, au-delà des intentions, on peut se demander quel impact peut avoir ce
projet sur l’espace public et comment les usagers répondent aux aménagements proposés. C’est une
nouvelle fois par l’étude des pratiques et des représentations que je me propose de répondre à ces
questions.
-
Les pratiques : exemple d’un détournement d’usage d’une œuvre d’art public
De la même manière que pour l’Eland, j’ai effectué une série d’observations dans cet espace
de février à avril 2009. Néanmoins, les conditions d’observation étaient ici très différentes. En effet,
la place sur laquelle se trouve la statue de Carl von Brandis est située en plein cœur du centre-ville,
dans un endroit où peu de Blancs s’aventurent. La première fois que je me suis rendue dans cet
99
espace, le 4 février 2009 à 12h30, j’étais ainsi la seule Blanche. Il y avait pourtant beaucoup de
monde. Les bancs étaient tous occupés, mais uniquement par des Noirs, et majoritairement par des
hommes, lisant le journal, se reposant ou discutant les uns avec les autres. Cet espace apparaissait
donc comme un espace de sociabilité, d’échange, mais « racialement » homogène, voire
spatialement gendré. Tout au long du mois de février, je me suis rendue à cet endroit à différentes
heures de la journée, et j’ai fait le même constat. Seul le taux de fréquentation pouvait varier selon
les conditions climatiques et les heures de la journée.
Mais à partir de fin février-début mars, la population et l’ambiance dans cet espace ont
commencé à changer sans que je puisse, au départ, clairement identifier ce qui se passait. Ainsi, le 18
février à 11h30, je remarque un attroupement d’hommes noirs assis sur les bancs autour de la statue
et sur les marches. Certains parlent fort, de manière virulente ; d’autres semblent exténués, la tête
dans les bras. Pour la première fois, je me sens mal à l’aise, sans parvenir à comprendre ce qui se
passe et qui sont ces gens. Je prends alors la photographie ci-dessous :
Photo 2.5 : La statue de Carl von Brandis, objet de détournement ?
Auvent
Regroupement
inhabituel de
personnes
Source : Pauline Guinard
100
Le 3 mars à 12h, le nombre de personnes présentes sur la place est encore plus important, et
cette fois, il y a aussi des familles avec des enfants et des valises. Tout me laisse penser que cette
population est sans domicile. Les bancs ne sont pas tous occupés, mais beaucoup de personnes sont
assises ou allongées par terre, la tête sous un banc pour avoir de l’ombre, ce qui confirme le fait que
ces gens sont là depuis longtemps, puisque les bancs, selon un directive municipale, ne sont
confortables que pour une durée limitée et non pour s’allonger. L’auvent, quant à lui, est désormais
utilisé par ces populations pour mettre leurs affaires personnelles en sécurité.
Encore une fois, je me sens mal à l’aise et je n’ose pas demander à ces gens qui ils sont ni
pourquoi ils sont là. Néanmoins, je commence à faire des recherches, et je découvre qu’un centre
d’accueil de réfugiés zimbabwéens vient de fermer au Limpopo, province sud-africaine du Nord.
Certaines personnes ont pu être accueillies par d’autres centres d’accueil, parmi lesquels l’« Eglise
méthodiste centrale » (Central Methodist Church) de Johannesburg, qui se situe justement à
proximité de la Haute-cour, mais toutes les personnes n’ont pas pu être relogées. Mais, si ces
personnes sont bien des réfugiés zimbabwéens, pourquoi s’installent-ils précisément à cet endroit ?
Est-ce lié à la proximité de l’« Eglise méthodiste centrale », qui sans doute les nourrit à défaut de
pouvoir les loger ? Est-ce dû à la proximité de la Haute-Cour de justice qui leur assurerait une sorte
de protection ? Est-ce dû à la présence de bancs et de toilettes publics, rares dans le centre-ville ?
Sans doute, un peu des trois.
Dans ces conditions, la statue et l’espace public environnant étaient donc détournés de leur
usage premier de lieu d’accueil temporaire invitant à une réflexion sur le passé de la ville, comme le
définissaient les autorités publiques, pour devenir un espace de résidence par défaut mais à part
entière, pour des populations sans abri et sans ressources dont la présence même questionnait, au
présent, la faculté des pouvoirs publics à faire face à cet afflux de réfugiés. Dès lors, il semblait
s’opérer une véritable déconnexion entre le sens de la statue conçu par la Ville et l’utilisation
concrète que les populations présentes en faisaient, notamment parce que ces populations n’étaient
pas le public attendu ou visé lors de la conception de la rénovation de cette œuvre d’art. Le sens de
cette œuvre était alors inopérant, obsolète pour les populations présentes. La statue ne pouvait plus
« entrer en résonance » avec le public selon l’expression utilisée par E. Pieterse, professeur à
l’université du Cap et directeur du « Centre africain de recherche sur les villes » (African Center For
Cities), lors de notre entretien du 26 février 2009, pour m’expliquer ce qui, selon lui, était la cause
première du succès ou de l’échec de l’art public. Dans ces conditions, l’auvent entre la statue et les
personnes présentes sur la place n’était plus seulement un élément de protection contre le soleil ou
101
la pluie, mais devenait une véritable barrière entre art et public. La statue de Carl von Brandis ne
semblait alors plus à même d’avoir un quelconque sens dans cet espace, au-delà de son utilisation
pratique. Etait-il alors possible de réactiver le sens de cette statue, de manière à ce qu’elle fasse écho
à la situation contemporaine ? Etait-il possible de rendre à nouveau cette œuvre d’art publique ?
-
Performance publique au secours de l’art public : du détournement d’usage au détournement de
sens d’une œuvre d’art public
Le 12 mars 2009 à 15h30, dans le cadre d’un festival intitulé « Scénographies urbaines »
(Urban Scenographies) et accueilli par le Joubert Park Project, collectif artistique du centre-ville basé
au Drill Hall (cf. carte 2 .2), une vingtaine de personnes, artistes ou non, à l’initiative du couple
d’artistes Ingrid-Mwangi, se sont regroupées sur la place, face à la statue de Carl von Brandis, ont
formé un cercle, puis se sont allongés par terre pendant plus d’une demi-heure, en vue d’attirer
l’attention du public sur les conditions de vie des réfugiés zimbabwéens en plein cœur de
Johannesburg. La photographie ci-dessous a été prise à cette occasion :
102
Photo 2.6 : Performance d’art public en face de la statue de Carl von Brandis, ou comment
redonner sens à un objet d’art public
Spectateurs,
pour
l’essentiel des refugiés
zimbabwéens ainsi que
des passants
Participants de la
performance,
artistes ou non
T-shirt détournant
l’image de la
statue
Source : Site Internet ArtThrob, http://www.artthrob.co.za/
Tous les participants portaient un même T-shirt vert sur lequel avait été scannée la statue de
Carl von Brandis, transformée en « homme-arbre », et sur laquelle était écrit « Arbre urbain dédié
aux personnes ayant besoin d’un lieu de repos et d’ombre »61. L’image de la statue était donc reprise,
mais détournée en vue de servir le message de la performance, et de reprendre sens. Au
détournement d’usage de la statue s’ajoutait ainsi un détournement de sens celle-ci.
Un groupe de spectateurs, composé de réfugiés mais aussi de passants, s’est immédiatement
formé autour du cercle des participants à cette performance publique. Les gens se regardaient, se
demandaient ce qui se passait. Certains se sont même allongés au milieu du cercle, d’autres se sont
mis à danser. Au bout d’une demi-heure, les participants ont commencé à se relever, un à un.
61
“Urban Tree Monument for People needing a place of rest and shade”
103
Il s’est alors produit quelque chose d’inattendu : les réfugiés, les artistes, les passants se sont
mis à discuter, chacun expliquant son histoire, son projet, ses peurs. L’espace public devenait alors
un espace public au plein sens du mot : juridique, mais aussi social, en tant qu’espace de
rencontres, et politique, en tant qu’espace de débats et de controverses, la présence des réfugiés
zimbabwéens en Afrique du Sud étant un enjeu politique qui suscite de nombreuses polémiques au
sein de la population sud-africaine dans un contexte de xénophobie latente. Cette performance
publique a donc été l’occasion de susciter le dialogue dans l’espace public, réactivant ainsi le
caractère public de cet espace, tout en permettant d’attirer l’attention, notamment des médias, sur
les conditions de vie des réfugiés, et offrant ainsi un nouveau regard sur ces populations, en tant que
victimes et non en tant que menaces. The Times, quotidien sud-africain, a d’ailleurs consacré le
lendemain un encadré à l’événement au titre évocateur : « Un regard créatif sur les tragédies
zimbabwéennes »62. La performance a donc aussi permis de proposer une vision différente de
l’autre.
Par ailleurs, cet événement permet donc de comprendre le rôle complémentaire que
peuvent avoir objet d’art public et performance d’art public. En effet, si un objet d’art peut marquer
un espace public sur le long terme, la performance elle, parce qu’elle est éphémère et immédiate,
permet d’interagir avec le contexte, de répondre à une situation particulière. Cette articulation entre
objet d’art et performance dans l’espace public est sans doute un axe de recherche qu’il me faudra
développer, et ceci d’autant plus que, selon les déclarations précédemment citées de S. Sack, les
performances publiques sont le nouvel objectif prioritaire du Département des Arts, de la Culture et
du Patrimoine. En quoi objet et performance d’art public marquent-ils différemment l’espace
public ? Ces deux formes d’art public sont-elles nécessairement complémentaires ? La différence de
forme implique-t-elle par nature un contenu différent de l’art public ?
En définitive, cette performance a donc permis de redonner un sens à la statue de Carl von
Brandis, en la faisant entrer en résonance avec le contexte, alors que le sens assigné initialement par
les concepteurs du projet était devenu inopérant. Cette performance a donc bien modifié un sens
déjà attribué. Il y a eu détournement de sens en plus du détournement d’usage. Mais sans cet
événement, on peut se demander si l’œuvre d’art public en question aurait pu à nouveau faire sens
dans l’espace public. Que se passe-t-il en effet quand le sens d’une œuvre n’est pas perçu, reçu,
réapproprié d’une manière ou d’une autre par le public, quel qu’il soit?
62
“A Creative Look at Zim Tragedies” in The Times, 13 mars 2009, Johannesburg.
104
c) Les murals : de l’art public sans public ?
Par ce projet, il s’agit de s’interroger sur les modalités de réception d’œuvres d’art public à
qui les concepteurs ont assigné non seulement un sens mais aussi un message à faire passer. Dans ce
cas, le risque de décalage entre production et réception de l’œuvre est d’autant plus crucial qu’une
partie de la réussite du projet tient justement dans la capacité de l’œuvre à délivrer ledit message. La
distorsion, voire la non-réception du message, compromet ainsi la fonction de l’œuvre telle qu’elle
est conçue par les initiateurs du projet. Pour autant, ces œuvres d’art public peuvent-elles se réduire
au message qu’elles véhiculent ? Ces œuvres peuvent-elles avoir un sens au-delà du message, même
si ou surtout si ce message n’est pas reçu ?
- Projet et processus décisionnel : un projet à message ?
Le projet des cinq murals a été réalisé dans le cadre de la « campagne d’éducation à
l’environnement » (Environmental Education Campaign) menée d’octobre 2007 à juin 2008 par la
région F de la Ville de Johannesburg, une des sept régions de la ville, située au centre-sud et incluant
le centre-ville (cf. carte 1.1). Ce projet de 100 000 rands, soit près de 10 000 euros, a été initié et
financé par la Ville. Il impliquait différents départements municipaux, principalement celui des Arts,
de la Culture et du Patrimoine, mais aussi le Département de l’Environnement, celui de l’Education,
celui de la Santé et celui des Transports. Une entreprise de conseils en marketing, Z.A. ZEN, a été
recrutée par la Ville afin d’établir une stratégie et un cadre d’action adaptés à chaque cas, alors que
la réalisation artistique du projet a été confiée à Andrew Lindsay, directeur de la Spaza Gallery. Cet
artiste, basé à Troyeville (cf. carte 2.1), réalise depuis les années 1980 des murals, généralement
porteurs d’un message, selon une approche communautaire et participative qui consiste à impliquer
le plus souvent possible les populations locales, que ce soit dans la conception ou dans la réalisation
des projets, afin justement de s’assurer de la bonne réception du message transmis. La Ville a donc
fait appel à lui directement, sans organiser un appel à projets, sans doute parce qu’il paraissait de par
son expérience comme le plus à même de réaliser ce projet, sachant qu’il avait déjà travaillé avec la
Ville à de nombreuses reprises sur des projets similaires. Néanmoins, on peut s’interroger sur le
caractère juste d’une telle procédure de sélection qui choisit un artiste de façon pour le moins
arbitraire.
En termes de contenu, ce projet répond à deux objectifs. D’une part, un objectif éducatif,
comme l’indique le nom de la campagne elle-même et le slogan associé à celle-ci « C’est ma
105
ville(-centre). Laissons-là propre. »63. Il s’agit, en effet, de sensibiliser et d’informer l’opinion publique
quant aux questions de la propreté en ville, en vue de faire changer les comportements des usagers
de Johannesburg. Et plus particulièrement, le rapport de la Région F sur les projets artistiques de
cette campagne (cf. annexes) identifie comme « cible prioritaire : les habitants du centre-ville, les
migrants et les migrants-pendulaires »64. Ce projet est intéressant parce que non seulement le
message à véhiculer par ce projet est clairement défini – faire de Johannesburg une ville propre –,
mais aussi les personnes visées par ce message. A cet égard, le choix des personnes concernées est
révélateur des propres a priori de la Ville en matière de propreté en ville, puisqu’elle considère que
les personnes qui ont le plus besoin d’être sensibilisées à cette question sont les habitants du centreville et les migrants de toute sorte, soit en majorité des populations pauvres ou des étrangers au
centre-ville, à la ville, voire au pays. Serait-ce à dire que ces populations sont plus responsables de la
saleté en ville que les autres ? Au nom de quoi ? Le danger d’une telle approche est alors de légitimer
ou de renforcer des stéréotypes. Dans ce cas, le décalage entre production et réception du message
est alors potentiellement double, voire triple, puisque le message peut ne pas être compris, et même
s’il l’est, il ne l’est pas forcément par les personnes prévues, qui ne sont d’ailleurs pas elles-mêmes
nécessairement les plus concernées par ce message, malgré les a priori de la municipalité.
D’autre part, l’objectif de cette campagne est aussi esthétique, puisqu’elle vise à réhabiliter
les murals comme un genre artistique à part entière, avec la volonté de le distinguer clairement du
vandalisme. Ainsi, le sous-titre du document du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine
de 2007 proposant la mise en place de ce projet (cf. annexes) est : « Le vandalisme, ce n’est pas des
graffitis et les graffitis, ce ne sont pas du vandalisme »65. Dans ce même document, les murals sont
en effet présentés comme un élément d’embellissement de la ville, et du centre-ville, permettant de
susciter l’intérêt des investisseurs et des touristes :
63
“It’s my (inner) city. Let’s keep it clean.”
64
“PRIMARY TARGET MARKET : Inner City Residents, Migrants, Commuters”, Rapport de la Région F sur les
projets artistiques de la campagne d’éducation à l’environnement.
65
‘‘Vandalism is not graffiti and graffiti is not vandalism’’, Proposition du Département des Arts, de la Culture et
du Patrimoine pour une campagne de réhabilitation des murals.
106
« […] En même temps qu’il donne à la ville un aspect plus positif, ce projet permet aussi
potentiellement d’attirer à nouveau des touristes et des visiteurs dans le centre-ville
[…] »66
On retrouve ici la question de l’image du centre-ville qui est, comme nous l’avons vu, au cœur des
préoccupations de la Ville, la Coupe du Monde de football en 2010 apparaissant à cet égard comme
un enjeu et une opportunité à saisir pour montrer au reste du monde une image renouvelée de
Johannesburg :
« […] Avec la Coupe du Monde de football de 2010 dans moins de trois ans, Jozi67,
beauté du continent africain, sera enviée par les autres villes […] »68
Johannesburg cherche ainsi à se positionner comme modèle à l’échelle du pays, du continent et du
monde, cherchant à incarner son propre slogan de « ville africaine mondiale ». Le sens de la
campagne est donc ici aussi symbolique et médiatique.
L’objectif de ce projet est donc double : faire passer un message éducatif par les murals ;
redonner une place et un sens à un genre artistique, et par lui à la Ville de Johannesburg. Or, pour
répondre au mieux à ce double objectif, la Ville avait conscience que le choix des sites était capital,
les murs choisis devant être positionnés à des endroits offrant une visibilité maximale pour toucher
le plus de personnes possibles, et donc avoir le plus d’impact possible. Ainsi, dans le document
préalablement cité du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine (cf. annexes), une des
directives est :
« […] Ces murs devraient idéalement être situés à des carrefours stratégiques, à des
lieux de passages ou dans des parcs […] »69
De ce fait, il a été décidé que les sites choisis, limités à cinq du fait du budget, devraient être des sites
d’« entrées de ville » (entry points to the City), comme le mentionne le rapport de la région F et
l’étude de Z.A. ZEN. Pourtant, même une fois le site et le mur présélectionnés parmi les espaces
publics au sens juridique de la ville, le Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine devait
66
“[…] While enhancing the positive outlook of the city, the project also has the potentiality of attracting
tourists and visitors back to the inner city […]”, Proposition du Département des Arts, de la Culture et du
Patrimoine pour une campagne de réhabilitation des murals.
67
Jozi est un autre surnom donné à Johannesburg, le plus amical.
68
“ […] With the 2010 Soccer World Cup less than three years away, Jozi the beauty of the African continent,
will be the envy of others cities […]”, Ibid.
69
“[…] These walls should ideally be situated in strategic corners, passages or parks […]”, Ibid.
107
obtenir l’autorisation du département municipal chargé de la gestion du mur en question. Or, même
s’il s’agissait d’une demande d’un organisme de la Ville à un autre organisme de la Ville, ceci n’allait
pas sans poser des difficultés. Par exemple, comme me l’a expliqué A. Lindsay lors de notre second
entretien, concernant le projet de Market Street (cf. carte 2.2), le mur initialement choisi, sur
proposition de Z.A. ZEN, ne lui convenait pas, mais il n’a jamais pu obtenir à temps l’autorisation du
Département des Transports lui permettant de réaliser un mural sur les piliers de l’autoroute numéro
2 comme il l’aurait souhaité, alors que, selon lui, l’impact visuel aurait été plus important à cet
endroit :
« […] Par contre, pour le projet de Market Street, je n’étais pas d’accord avec le site choisi. Je
voulais faire quelque chose sur les piliers du pont de l’autoroute. Je voulais faire quelque
chose de grand, de gros. J’ai attendu la réponse pendant un mois, voire six semaines. Mais,
le projet devait être fini pour fin juin. […]
Nous avons attendu jusqu’au dernier moment parce que je voulais utiliser l’autoroute. Je
pensais que c’était mieux pour marquer l’entrée dans la ville. […]
On doit parfois couper court au projet pour avancer, sinon… Par exemple, pour ce projet,
je suis sûr qu’on pourrait toujours être en train d’attendre l’autorisation pour peindre sur
le mur ! […] » (Entretien du 23 mars 2009)
Ainsi, les sites finalement choisis sont le fruit d’un compromis entre stratégie marketing,
projet artistique et décision administrative. On le voit, le positionnement des murals aux « entrées de
ville » n’est pas toujours évident (cf. carte 2.2), et peut même compromettre la visibilité de ces
murals, et donc leur capacité à diffuser le message qu’ils incarnent. Au final, si l’on se reporte à la
carte du centre-ville de Johannesburg (carte 2.1), les sites choisis sont pour l’essentiel aux entrées de
ponts – Mandela Bridge pour le mur 3, Queen Elysabeth Bridge pour le mur 1 –, ou d’autoroutes –
autoroute numéro 1 pour le mur 2 ; autoroute numéro 2 pour le mur 5 –, soit préférentiellement des
axes routiers. Dès lors, on peut se demander quel impact ces murals peuvent avoir sur la population
non-motorisée par rapport à celle motorisée, plus à même de passer devant ces murals et donc de
les voir.
Cette localisation des murals a aussi été un vrai problème pour mes enquêtes. En effet,
n’ayant pas de voiture, il m’a tout d’abord été difficile ne serait-ce que de voir sur le terrain
l’ensemble des murals, premier indice d’un certain manque de visibilité de ces œuvres. Ensuite, en
termes méthodologiques, toutes les techniques d’enquête que j’avais expérimentées jusque-là
étaient inutilisables dans ce cas. En effet, ces murals étant situés sur des axes de passage,
108
généralement routiers, les pratiques induites localement par ces murals ne pouvaient être que
restreintes (regard, ralentissement…), et donc mes observations, limitées. De même, la réalisation de
questionnaires sur sites était impossible à moins d’arrêter les automobilistes pour les interroger et
de courir le risque de causer un accident. D’autres méthodes sont donc nécessaires dans ce cas pour
tenter de saisir les pratiques et les représentations potentiellement induites par ces murals, ceci
étant d’autant plus intéressant que le but même de ceux-ci est de changer les comportements et les
conceptions des usagers de la ville en matière d’environnement. Pour ce projet, il me semble qu’il
serait pertinent d’adopter une démarche inverse de celle suivie dans les autres cas : non pas partir du
lieu d’implantation des œuvres d’art public étudiées, mais chercher à recueillir des témoignages
d’usagers du centre-ville en leur montrant des photographies des murals en question afin de savoir
s’ils les ont déjà vus, s’ils se souviennent à quel endroit, s’ils comprennent le message véhiculé, ce
que ce message veut dire pour eux, si ce message peut influencer leur manière d’agir, etc. De cette
manière, on pourrait tenter de déterminer les modalités de réception effective de ces œuvres.
Si cet aspect me reste à explorer, j’ai néanmoins étudié un autre versant de ce projet, à
savoir sa dimension participative telle qu’elle est affichée par les autorités publiques, puisque de fait
cet aspect est valorisé en tant qu’il peut favoriser la diffusion du message, mais aussi sa
compréhension. J’ai ainsi cherché à comprendre qui avait participé à ces projets, de quelle manière
et comment, afin de saisir quelles conséquences pouvait avoir cette participation sur la réception et
la diffusion du message de ces murals.
-
Un projet participatif sans participants : quel impact sur la réception du message ?
Les objectifs participatifs de la « campagne d’éducation à l’environnement » sont clairement
évoqués dans le document de présentation du projet pour la région F en tant que pré-requis à la
réussite du projet (cf. annexes), et sont repris pour le projet spécifique des murals comme le prouve
le plan marketing réalisé par Z.A.ZEN :
« Stratégie pour les murals : impliquer les communautés locales dans la conception
artistique et l’exécution des murs peints […] »70
A partir de là, j’ai voulu savoir comment cela se traduisait dans la pratique. J’ai ainsi interrogé A.
Lindsay, chargé de l’exécution de tous les murals, à ce sujet. Ce dernier m’a expliqué que chaque
70
“Mural Strategy: To involve the local communities in the development of artistic concepts and execution of
painted mural […]”, Plan marketing Z.A. ZEN.
109
mural était un projet en soi, correspondant à une démarche particulière, avec en effet à chaque fois
une visée participative. Mais le manque d’argent et de temps a été une contrainte et une limite à la
réalisation de ces objectifs. Ainsi, seuls deux projets ont eu une véritable dimension participative –
les projets 1 et 2 –, les autres projets étant réalisés par l’équipe d’artistes travaillant habituellement
avec A. Lindsay.
Le projet 1, situé sur un des murs de la station principale de taxis collectifs du centre-ville, le
Metro Mall (cf. carte 2.2), a en effet impliqué des habitants du quartier, des artistes et des artisans
du centre-ville qui ont travaillé à partir de matériaux recyclés qu’ils ont eux-mêmes récupérés, en vue
de produire un mural d’un genre nouveau, en relief. Voici le résultat :
Photo 2.7 et 2.8 : Le mural du Metro Mall, quel message?
Affiche
publicitaire
Slogan de la
campagne
d’éducation
à l’environnement
Source : ZA ZEN
Source : G. Guinard, le 2 avril 2009, en entrant sur le pont
Ce projet, le premier qui ait été réalisé, est celui à qui a été attribué le plus d’argent (30 000 rands
soit près de 3 000 euros et un tiers du budget total) et de temps (trois semaines sur trois mois), ce
qui sans doute explique en partie pourquoi un processus participatif, lequel nécessite un minimum
de temps pour parvenir à informer, à intéresser, et à former les participants, a pu être mis en place
ici. Au final, selon A. Lindsay, c’est le mural qui a eu le plus de succès, et c’est d’ailleurs le seul pour
lequel il a eu un retour, en l’occurrence positif, de la part de la Ville. Quant à la réception du projet
auprès des usagers de la ville et plus spécifiquement auprès des « cibles prioritaires » définies par la
région F, seule une enquête conçue comme je l’ai évoquée plus haut permettrait d’apporter des
éléments de réponse. Pourtant, d’ores et déjà, indépendamment d’une éventuelle réussite du mural
110
sur le plan esthétique, on peut se demander quelle est la portée du message censé être diffusé par le
projet, puisque comme le prouvent les deux photographies ci-dessus le slogan de la campagne est à
peine visible, contrairement à celui de l’affiche publicitaire, alors même que le lien entre ce qui est
représenté sur le mural et le but de la campagne n’est pas évident. Dès lors, c’est bien la portée du
message et donc sa réception, sa compréhension et sa capacité à changer effectivement les
comportements des usagers de la ville qui sont compromises.
Le projet 2, à la sortie de l’autoroute numéro 1, sur Carr Street (cf. carte 2.2), est lui aussi un
projet participatif, mais cette fois réalisé en collaboration avec un groupe d’étudiants de l’école
d’architecture de l’université de Wits, et non avec des habitants du quartier. L’idée de réaliser un de
ces projets avec des étudiants de Wits résulte d’une collaboration antérieure entre ce même groupe
d’étudiants et l’équipe d’A. Lindsay autour d’un projet de mobilier urbain. Ici, le projet consistait une
nouvelle fois à travailler avec des matériaux recyclés en vue de produire un mural en trois
dimensions :
Photo 2.9 : Le mural du Carr Street, un mural apprécié ou ignoré ?
Slogan de la
campagne
d’éducation
à l’environnement
Source : Pauline Guinard, le 9 avril 2009
Là encore l’exécution du projet a été largement limitée par le manque d’argent et de temps,
l’achèvement du projet dépendant pour beaucoup de l’investissement des étudiants bénévoles. Ici,
c’est donc la participation des étudiants qui a en elle-même permis la concrétisation du projet. Pour
autant, on pourrait s’interroger sur l’effet de cette participation qui implique des étudiants – dont
certes l’université est située dans les environs –, mais non les habitants ou les autres usagers du
111
quartier. Dès lors, quel impact cette participation peut-elle avoir sur la sensibilisation des « habitants
du centre-ville, les migrants et les migrants-pendulaires », pourtant cibles privilégiées du projet ?
Néanmoins, on peut remarquer qu’un an après la réalisation de ce mural, ce dernier est
toujours intact, non-vandalisé, les couvercles de poubelles peints facilement amovibles étant
toujours là. Ceci est-il l’indice d’une indifférence des populations locales ou, au contraire, la preuve
d’un certain succès du mural auprès de celles-ci ? M. Neustetter, co-directeur de Trinity Session,
penche pour cette dernière option puisque pour lui :
« […] Finalement, quand l’œuvre n’est pas vandalisée, on peut dire que c’est un succès !
[…] » (Entretien du 11 février 2009).
Pour M. Neustetter l’absence de vandalisme serait ainsi quasiment un critère de réussite ou d’échec
d’un projet d’« art public ». Mais, ceci serait là encore à confirmer par une enquête approfondie. Et
même si ce mural est de fait apprécié par les populations locales, cela ne veut pas dire pour autant
que le message du mural est compris ni même perçu, bien que le slogan soit ici beaucoup plus visible
que dans le cas du projet 1 comme le prouve la photographie ci-dessus. La comparaison des
modalités de réception des projets 1 et 2 serait d’ailleurs intéressante, en ce qu’elle permettrait de
mesurer en quoi deux formes distinctes de participation et de représentation peuvent, ou non, avoir
des conséquences différentes sur la réception du mural par les populations locales, que ce soit sur le
plan esthétique ou en termes de message.
Les projets 3, 4 et 5 (cf. carte 2.2), par contre, ne sont pas vraiment des projets de type
participatif. En effet, toujours par manque de temps et d’argent, ils ont été exécutés par des artistes
travaillant déjà pour A. Lindsay comme ce dernier me l’a indiqué :
« […] Q)
Donc c’étaient des gens que vous connaissiez déjà ?
R) Oui. Oui. Vous savez, sans avoir recours à des gens qu’on connaissait, on n’y serait
jamais arrivés. On n’avait que trois mois, c’est peu de temps pour tout organiser. Et
d’autant plus qu’on avait peu d’argent. […] » (Entretien du 23 mars 2009)
Les artistes en question sont généralement des artistes locaux, habitant eux-mêmes le centre-ville,
mais aucun des projets à proprement parler n’a impliqué des populations locales non issues du
monde artistique.
L’absence de cette dimension participative est particulièrement frappante pour le projet 3,
situé à la sortie du Mandela Bridge (cf. carte 2.2). En effet, ce projet est quelque peu différent des
autres, parce que non seulement il faisait partie de la « campagne d’éducation à l’environnement »,
112
mais parce qu’en outre, il devait être un élément de célébration de la « journée africaine » (Africa
Day), journée fêtée partout en Afrique le 25 mai. Le mural prévu pour cette occasion a été conçu
comme un panneau de bienvenue, disant bonjour dans quelques-unes des langues parlées en
Afrique :
Photo 2.10 : Le mural de la « journée africaine », exemple-type d’une irrecevabilité du message ?
Célébration de la
diversité
culturelle
africaine
Slogan de la
campagne
d’éducation
à l’environnement
Quel lien ?
Source : Pauline Guinard, le 17 mars 2009
Ce mural est donc porteur de deux messages bien différents : l’un sur la propreté en ville et
l’autre qui invite à célébrer la diversité des langues africaines, bien qu’aucun lien explicite ne soit fait
entre les deux, ce qui compromet la lisibilité de chacun des deux messages, le message sur la
propreté en ville apparaissant d’ailleurs ici comme très secondaire.
En outre, concernant le message sur la diversité culturelle, il est intéressant de noter qu’au
moment même où cette œuvre était mise en place, en mai 2008, il y avait des attaques xénophobes
dans toutes les grandes villes sud-africaines, y compris à Johannesburg. La réalisation de ce mural
aurait pu être l’occasion d’organiser des groupes de rencontres, d’échanges, de réflexion autour de
ces questions, en vue d’inviter les populations d’origines diverses à renouer le dialogue. Mais, au
contraire, comme me l’a raconté A. Lindsay, ce projet a été mené comme si rien ne se passait, la
contrainte de temps primant sur le reste :
113
« […] Ce projet-là [projet 3] devait être fini pour la « journée africaine ». Je ne me souviens
plus quelle est la date exacte de la « journée africaine», mai ou fin mars. Donc, pour ce
projet, on était sous pression et on devait aussi inclure un message qui corresponde avec la
«journée africaine ». C’était un projet assez inhabituel parce qu’à l’époque, il y avait
beaucoup d’attaques xénophobes. Cette période était vraiment intéressante. Et nous, on
peignait : « Hello », « Welcome »… dans tous les dialectes symbolisant la culture africaine,
alors qu’au même moment, les gens s’entretuaient dans la gare de taxis. C’était une sorte de
farce. […]
Même pour celui-ci [projet 3], on n’a pas passé assez de temps dans la rue, alors que c’était
une période difficile, du fait de la xénophobie ambiante. Ç’a été la chose la plus étrange
que j’ai jamais faite. Je veux dire, il y avait la police pendant que nous étions là. Des gens
étaient arrêtés. C’était terrible. Comment peut-on faire quelque chose comme cela à cette
période ? C’était étrange. C’était comme faire semblant : disons « Bonjour », « Hello »…
alors que dans le même temps, des gens veulent vous tuer parce que vous êtes étranger.
[…] » (Entretien du 23 mars 2009)
Ici il n’y a donc pas seulement décalage entre le message produit et la réception, mais véritable
rupture. Le contexte xénophobe rend difficile, voire impossible, la réception d’un message qui vante
la diversité culturelle, surtout si ce message est délivré sans aucune mesure d’accompagnement
permettant de dépasser la xénophobie ambiante.
Cet exemple est révélateur des priorités de la Ville. Certes, les objectifs affichés pour cette
campagne sont de type participatif, l’idée étant de favoriser l’implication des populations locales
dans les projets artistiques et éducatifs en vue d’assurer une meilleure diffusion et réception du
message. Mais la Ville ne donne ni l’argent, ni le temps nécessaires aux artistes pour mettre en place
de tels processus. Dès lors, la portée du message est en elle-même compromise. En va-t-il de même
pour l’objectif esthétique du projet ?
Pour A. Lindsay, la réponse à cette question est négative :
« […] Les muraux restent. Et c’est toujours là qu’est le défi. Ces muraux vont probablement
être là pendant une dizaine d’années, alors que les affiches sur les bus [aussi réalisées dans
le cadre de la campagne d’éducation à l’environnement], etc., vont changer. […] »
(Entretien du 23 mars 2009)
Selon A. Lindsay, la campagne d’éducation à l’environnement, ainsi que son message, sont appelés à
disparaître, alors que les murals perdureront au-delà de cette campagne. Et de fait, ce qui a intéressé
114
A. Lindsay dans ce projet en tant qu’artiste, c’était de concevoir un nouveau type de murals, plutôt
que de diffuser un message qu’il qualifie lui-même d’« ennuyeux » (boring). Cette approche est en
elle-même une limite à l’efficacité de la campagne et à la portée du message, ce qui explique aussi
sans doute le faible lien entre ce qui est représenté sur les murals et le slogan de la campagne. Dans
ces conditions, l’aspect artistique étant détaché du message, il est possible de concevoir que portée
esthétique et portée éducative de la campagne ne soient pas corrélées : la non-réception du
message éducatif n’implique pas ici la non-réception du message artistique.
L’étude des murals montre donc à quel point le risque de distorsion entre production d’un
projet à message et réception de celui-ci est important, surtout si les démarches participatives
censées favoriser sa compréhension et sa réappropriation par les populations auxquelles il est
destiné sont négligées et que l’artiste qui réalise effectivement les œuvres se désintéresse du
message. Dès lors, la capacité du message à faire sens, à trouver son public, s’en trouve fortement
réduite. Demeure la question de la portée esthétique des œuvres, mais celle-ci reste encore à
démontrer.
En définitive, ces trois études de cas m’ont permis de mettre en évidence, selon trois
modalités différentes, le décalage qui pouvait exister entre l’intention qui préside à l’élaboration
d’une œuvre d’art public, le dessein de l’artiste qui est en charge de la réalisation concrète de
l’œuvre, et la réception qui en est faite par le public une fois l’œuvre exposée dans l’espace public.
A partir de là, on peut se demander si la distorsion entre objectifs et résultats, entre
production, réalisation et réception, est le signe d’un échec de la politique d’art public, ou si, au
contraire, elle est la condition de possibilité même de la (re)définition de la ville par l’art public. En
effet, l’œuvre d’art une fois installée dans l’espace public semble s’autonomiser par rapport à la
politique qui l’a produite, contredisant, détournant ou renforçant les intentions de cette politique. Si
ce hiatus peut être interprété comme l’indice d’une défaillance de la politique d’art public, il est
également susceptible d’être vu comme une potentialité, comme un interstice de possibles qui en
lui-même serait créateur de ville.
115
III.
L’art public peut-il faire ville ?
En réalisant de l’art public, la municipalité de Johannesburg entend changer la ville, la
transformer et la redéfinir. Toutefois les effets produits par ces œuvres d’art public sont le plus
souvent en décalage, voire en contradiction directe avec les objectifs escomptés. L’art public serait-il
alors incapable de changer la ville, ou la changerait-il, mais d’une manière inattendue ? Ainsi, non
seulement la Ville se définirait par la politique d’art public, mais en retour l’art public contribuerait
aussi à définir la ville au-delà des objectifs de la politique. Je m’interrogerai donc ici sur la ville que
peut produire l’art public, par rapport aux intentions initiales de la municipalité. Je me demanderai
ainsi dans quelle mesure l’art public peut produire une ville inclusive, unifiée et réappropriée, qui
deviendrait un exemple, voire un modèle, tout en cherchant à savoir comment la ville se construit en
tant que territoire métropolitain, laboratoire de la gouvernance urbaine.
1) Une ville inclusive ?
Il s’agit ici d’envisager en quoi l’art public parvient ou non à être un outil de construction
d’une ville inclusive, un facteur d’inclusion spatiale, selon un des objectifs de la politique d’art public
qui a notamment en vue de surmonter les divisions, les exclusions et les ségrégations héritées de
l’apartheid. L’inclusion spatiale peut être comprise par opposition à l’exclusion spatiale, comme un
processus qui permettrait à chaque citadin de se voir reconnaître le droit d’être de et dans la ville. En
ce sens, l’inclusion spatiale peut être de plusieurs ordres : matérielle – chaque citadin ayant le droit
d’être dans la ville, et donc d’avoir accès aux espaces publics – ou symbolique – chaque citadin ayant
la possibilité d’être de la ville, c’est-à-dire de se reconnaître dans la ville et de la revendiquer comme
sienne.
Je montrerai ainsi que si l’art public permet bien de mettre en évidence un défaut d’urbanité,
au sens d’un manque de lien social dans les espaces publics de la ville en partie hérité de l’apartheid,
il ne permet qu’incomplètement de dépasser les exclusions passées, qu’elles soient matérielles ou
symboliques, l’art public déplaçant celles-ci plus qu’il ne les abolit.
116
a) L’art public, révélateur d’un défaut d’urbanité
Selon la politique d’art public, celui-ci serait un outil pour créer de la « cohésion sociale »
(social cohesion), pour construire du lien social dans l’espace public. L’art public serait ainsi un
facteur d’urbanité, si l’on comprend l’urbanité en tant que ce qui renvoie à l’espace et au collectif en
ville (Dorier-Apprill, 2001), au savoir-vivre ensemble. Or, l’étude d’œuvres d’art public particulières
tend à montrer que l’art public, avant d’être un créateur d’urbanité, est avant tout le révélateur d’un
défaut d’urbanité dans les espaces publics de Johannesburg.
-
Un déficit d’« interactions sociales » dans l’espace public : le refus du projet de J. Wafer
Dans le cadre du projet de l’Eland, la proposition de J. Wafer et les raisons de son refus sont
particulièrement éclairantes concernant les carences en termes de pratiques collectives dans
l’espace public de Johannesburg. En effet, on le rappelle, l’idée de J. Wafer consistait à installer des
chaises devant les vitrines des boutiques de la place en question qui auraient été équipées d’écrans
diffusant en permanence des séquences artistiques, ceci en vue d’inviter les passants à s’asseoir, à
occuper l’espace public, à échanger leur point de vue à propos de ce qu’ils voyaient. Ce projet
s’intégrait donc dans la démarche artistique globale de l’artiste, qui définit l’art public comme :
« Un art qui opère dans la sphère publique, qui suscite des interactions sociales (social
interactions). » (Entretien du 2 février 2009)
Cette conception de l’art public est particulièrement intéressante en ce qu’elle implique d’interroger
la dimension sociale et politique de l’espace public, et non pas seulement sa dimension matérielle.
Par ce projet, il s’agissait pour J. Wafer de redonner une fonction et un sens collectifs à l’espace
public, en en faisant un espace de partage et d’échange, en y créant des « interactions sociales » et
donc du lien social. Or, c’est bien parce que cette dimension fait défaut dans l’espace public sudafricain et dans celui de Johannesburg, et plus spécifiquement de son centre-ville, que ce projet
posait problème et a été refusé par la municipalité.
En effet, l’échange, le partage, l’interaction ne semblent pas être des pratiques courantes,
habituelles, de l’espace public du centre-ville de Johannesburg. Cela résulte sans doute de la
conjonction de plusieurs facteurs. D’une part, le caractère racialement ségrégué de l’espace public
sud-africain pendant l’apartheid a empêché la constitution d’espaces communs à l’ensemble des
populations, quelle que soit leur race (Bonerandi, Houssay-Holzschuch, 2004). Historiquement, les
espaces publics ne sont donc pas des espaces de rencontre dans la différence, d’échange avec
117
l’autre. D’autre part, depuis la fin de l’apartheid, le sentiment d’insécurité qui règne à Johannesburg,
en lien avec un fort taux de criminalité, a entravé la constitution d’espaces publics en tant qu’espaces
d’échange et de rencontre, pour en faire des espaces évités parce que réputés comme dangereux. Ce
sentiment de peur et de méfiance des usagers de la ville vis-à-vis de l’espace public conduit dans bien
des cas à la privatisation de ces derniers, la privatisation juridique des espaces publics étant
paradoxalement un moyen de reconstituer des espaces publics au sens social, et même politique, à
l’image des centres commerciaux qui apparaissent à l’heure actuelle comme les principaux lieux de
sociabilité de la société sud-africaine. Dès lors, mettre en place un projet comme celui de J. Wafer
aurait nécessité d’engager un processus de réflexion à plus long terme sur ce qu’est et peut être
l’espace public à Johannesburg, qui aurait permis de prétendre en faire un espace de rencontres et
de débats, et non pas seulement un espace de peur.
Le refus du projet de J. Wafer révèle donc une caractéristique de l’espace public de
Johannesburg en tant qu’espace où le lien social est faible et les pratiques collectives rares, donc un
espace où l’urbanité, où le savoir-vivre ensemble, font défaut. Mais en même temps, ce refus est
aussi l’indice d’un choix délibéré de la municipalité de ne pas s’attaquer à ce problème. De fait, en
sélectionnant le projet de l’Eland, la Ville a fait le choix d’une œuvre iconique qui, si elle peut
marquer le lieu et les esprits, voire changer les représentations, n’en modifie pas les pratiques
spatiales qui restent largement influencées par des questions de sécurité, comme l’ont montré les
questionnaires. Dans ces conditions, le fait d’être dans l’espace public est plus souvent le résultat
d’une contrainte – prendre son bus par exemple – que l’effet d’un choix délibéré. Dans ce cas,
l’œuvre d’art public est choisie par la Ville et ses partenaires en fonction de la perception d’un défaut
d’urbanité, mais non de façon à ce que l’œuvre puisse agir sur cette carence, ce qui est
contradictoire avec les objectifs de la politique d’art public. Est-ce à dire que l’art public municipal ne
se donnerait pas les moyens de réaliser ses objectifs ? D’autres formes d’art public peuvent-elles
alors suppléer aux lacunes de cet art public municipal ?
-
Un manque de dialogue : le besoin de médiateurs
La performance d’art public organisée par un collectif d’artistes indépendants de la Ville
autour de la statue de Carl von Brandis le 12 mars 2009 est elle aussi révélatrice d’une carence en
urbanité, en même temps qu’elle parvient à créer du lien social. De fait, cette performance m’a
permis de saisir à quel point le dialogue dans l’espace public était possible mais difficile.
118
En effet, une fois la performance en elle-même achevée, la conversation s’est engagée entre
les participants et les spectateurs, soit en majorité des refugiés zimbabwéens. A ce moment-là, une
passante sud-africaine m’a prise à partie, me demandant si, en tant que ressortissante d’un pays du «
monde développé » (first world) selon ses termes, j’avais une solution à ce « problème », sousentendu celui des réfugiés, tout en m’expliquant que les Sud-Africains ne pouvaient pas aider ces
gens, parce qu’ils n’avaient déjà pas de quoi nourrir leur propre population. Ce qui est intéressant,
au-delà des propos en eux-mêmes, c’est que cette femme ait choisi de s’adresser à moi, et non pas
directement aux réfugiés. Ma présence semblait constituer pour elle une condition de possibilité à sa
propre parole, une nécessaire interface qui lui permettait de surmonter sa méfiance, voire sa peur à
l’encontre des réfugiés, pour exprimer son opinion à leur égard.
Cet incident est, en lui-même, symptomatique de la faiblesse de la pratique du dialogue dans
l’espace public, puisque l’échange ne semble possible que du fait de la présence d’intermédiaires,
qu’il s’agisse de moi ou des participants à la performance. En ce sens, l’organisation de performances
dans l’espace public, en tant qu’elles peuvent introduire des interlocuteurs et des médiateurs dans
ces espaces, apparaît plus à même de créer du lien social que l’installation d’un objet d’art public. Or,
si le directeur du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine aspire à développer cette
forme d’art public que sont les performances, celui-ci ne parvient pas jusqu’à présent à faire financer
ce genre d’opérations par la Ville. Mais alors, la capacité de la politique d’art public à créer du lien
social s’en trouve limitée. Au contraire, les objets d’art public réalisés par la Ville semblent non
seulement difficilement aptes à remplir cette fonction, mais semblent même devoir être protégés du
public.
-
La sécurisation des œuvres, indice de la faiblesse de la notion de bien commun ?
A l’image de l’Eland, nombre d’œuvres d’art public, une fois installées dans l’espace public,
sont protégées par des vigiles entièrement affectés à cette surveillance. Mais de quoi et de qui ces
œuvres sont-elles protégées ? Pour quoi et pour qui ?
Cette mesure peut être interprétée de diverses façons qui ne s’excluent pas nécessairement
l’une l’autre. Tout d’abord, il est intéressant de remarquer que les vigiles qui assurent cette mission
ne sont pas des employés municipaux, mais des agents des différents CID nettement identifiables par
leur uniforme. Ainsi, l’Eland est gardé par un vigile du Braamfontein Management District (BMD)
alors que Brenda Fassie est surveillée par un vigile du Newtown Management District (NMD). En ce
sens, les opérations de sécurisation des œuvres d’art public peuvent être vues comme un moyen,
119
pour les investisseurs privés qui sont membres des CID et contributeurs financiers à la réalisation de
ces œuvres, de « sécuriser leurs investissements » selon une expression de K. Shand, directrice
marketing de Kagiso Urban Management, société qui gère plusieurs CID de Johannesburg dont le
BMD et le NMD. Les œuvres sont donc protégées au nom des investisseurs privés. Pour autant, ces
mesures peuvent aussi contribuer à renforcer le sentiment de sécurité dans les espaces publics,
comme je l’ai montré dans les cas de l’Eland, ce qui correspond cette fois à un des objectifs de la Ville
et de la politique d’art public, donc d’acteurs publics, même si ce ne sont pas eux qui assurent
effectivement cette sécurisation. Les œuvres d’art public sont donc protégées par le privé au nom
d’intérêts privés et publics. Mais contre quoi ces œuvres sont-elles protégées et pourquoi ont-elles
besoin de l’être?
La réponse la plus évidente à cette question est bien sûr que ces œuvres doivent être
protégées du vandalisme ou de dégradations éventuelles, volontaires ou involontaires. Mais ce
problème n’est pas propre à Johannesburg. Il existe partout, sans pour autant impliquer à chaque
fois de telles mesures de sécurisation des œuvres d’art public. A Paris, par exemple, les colonnes de
Buren ne sont pas protégées, alors même qu’elles sont l’objet d’utilisations répétées, et parfois
dommageables, de la part des passants. Dès lors, la sécurisation des œuvres d’art public ne peut pas
être interprétée comme une contrainte liée à la nature même de l’art public. Elle ne peut procéder
que d’une démarche volontaire des acteurs à l’initiative de cette sécurisation, en lien avec la
spécificité des espaces publics de Johannesburg. De fait, les espaces publics sud-africains, parce qu’ils
ont été des espaces ségrégués, ne sont pas historiquement des espaces communs, reconnus et
partagés par toutes les populations. On peut par conséquent se demander si cette stratégie ne révèle
pas l’absence d’un sentiment de ce qu’est le bien commun, au sens d’un bien qui appartient à tous et
qui de ce fait est aussi sous la responsabilité de tous. Or, si une telle notion n’est pas partagée par
l’ensemble de la population, ceci expliquerait que les individus ne soient pas enclins à faire attention
à ces œuvres, à les préserver individuellement au nom de tous. Dans ces conditions, ceci peut sans
doute justifier que les œuvres d’art public aient besoin d’être protégées par quelques-uns, en
l’occurrence des vigiles, dans l’intérêt de tous.
Reste à savoir si ce type de mesure peut contribuer à diffuser le sentiment de bien commun
auprès des usagers de la ville. Le fait que les œuvres d’art public soient protégées par des vigiles des
CID et non par des agents municipaux semble déjà compromettre une telle perspective : les œuvres
apparaissent protégées au nom d’intérêts uniquement privés, et non au nom de l’autorité publique,
et donc du bien commun de la ville et de ses habitants. La sécurisation des œuvres d’art public révèle
ainsi non seulement une faiblesse de la notion de bien commun, mais peut aussi, de par la manière
dont elle est mise en place, brouiller, voire altérer cette notion, à tel point qu’il faudrait se demander
120
dans quelle mesure cette sécurisation des œuvres d’art ne nuit pas aussi au caractère public et
commun de l’espace en question.
En définitive, l’art public apparaît bien comme un révélateur d’un défaut d’urbanité affectant
les espaces publics de Johannesburg, que ce soit en tant qu’espace d’échange, de partage, de
dialogue ou en tant qu’espace commun. L’art public met ainsi davantage en lumière la faiblesse du
lien social dans les espaces publics qu’il ne paraît pouvoir lutter contre elle. Dès lors, en quoi l’art
public tel qu’il est promu par la politique d’art public peut-il être un vecteur effectif de cohésion
sociale, un facteur d’inclusion spatiale, que celle-ci soit matérielle ou symbolique ?
b) L’accès à l’espace public : une exclusion déplacée par l’art public mais non abolie
Je m’intéresserai ici à la capacité de l’art public à être un facteur d’inclusion spatial sur le plan
matériel, c’est-à-dire à la capacité de l’art public produit au nom de la politique d’art public à garantir
à tous un accès physique à l’espace public. Mon but est de montrer que faute de dépasser les
exclusions historiques, l’art public ne parvient qu’à les déplacer.
Comme je viens de le mettre en évidence, l’installation d’une œuvre d’art dans l’espace
public s’accompagne le plus souvent d’une sécurisation de celle-ci qui se traduit par la mise en place
de vigiles. Néanmoins, la sécurisation des œuvres d’art public ne se limite généralement pas aux
seules œuvres d’art, elle touche aussi les espaces publics dans lesquels ces œuvres sont implantées.
Ainsi, dans le cas de l’Eland, la mise en place de l’œuvre n’a pas seulement entraîné la présence de
vigiles autour d’elle, mais elle s’est aussi accompagnée de l’introduction de nouveaux panneaux sur
la place, y interdisant l’accès aux vendeurs de rue. De même, dans le cas de la statue de Carl von
Brandis, outre la présence d’un vigile, a été installé un mobilier urbain d’un genre bien particulier,
que l’on pourrait qualifier de dissuasif, à l’image des bancs incurvés destinés à empêcher les sansabris d’y dormir. Et l’on pourrait multiplier les exemples.
Les opérations d’art public semblent donc s’accompagner d’une mise en ordre et en sécurité
de l’espace public, qui conduit à restreindre l’accès physique de cet espace à certaines catégories de
populations jugées indésirables par les promoteurs de l’art public, comme les vendeurs de rue,
exerçant généralement leur activité de manière informelle, ou les sans-abris. Or, ces populations
sont déjà généralement des populations marginalisées, les aménagements urbains tendant à
121
renforcer leur marginalisation jusqu’à l’exclusion. On retrouve ici un processus proche de celui
analysé par M. Davis à propos du centre-ville de Los Angeles : il montre comment mobilier et art
urbains y ont été utilisés par la municipalité pour contrôler voire militariser l’espace public aux
dépens des plus faibles (Davis, 1997). L’art public est donc bien ici un moyen d’exclure certaines
catégories de population, en l’occurrence les pauvres, alors même que le but affiché de la politique
d’art public est d’« inclure la diversité dans tous ses aspects »71, qu’il s’agisse de la diversité raciale,
sociale, culturelle ou économique. Mais apparemment la diversité sociale n’inclut pas le bas de
l’échelle.
L’art public, au final, semble redéfinir les critères d’exclusion spatiale dans l’espace public
plutôt qu’il ne les supprime. A l’exclusion raciale de l’apartheid semble succéder un nouveau type
d’exclusion, cette fois d’ordre social, à l’encontre des populations les plus pauvres. En ce sens,
l’espace public à Johannesburg reste un espace d’exclusion, mais les exclus d’hier ne sont pas ceux
d’aujourd’hui. En quoi cette exclusion est-elle plus inclusive ? Peut-on établir des degrés quand on
parle d’inclusion ? Si tel était le cas, quels seraient alors les critères pour mesurer cette plus ou moins
grande inclusion spatiale : le nombre d’inclus par rapport au nombre d’exclus ? Une telle vision de
l’inclusion est dangereuse en tant qu’elle justifie les exclusions au nom d’une ville plus inclusive. Or si
les exclusions persistent, comment une ville pourrait-elle être qualifiée d’inclusive ?
Dès lors, parce que les exclusions de l’espace public perdurent, quoique sous d’autres
formes, la capacité de la Ville de Johannesburg à devenir une ville inclusive est compromise. Dans ces
conditions, on peut se demander dans quelle mesure l’inclusion symbolique n’est pas alors un leurre,
camouflant les exclusions matérielles effectives.
c) Une inclusion symbolique illusoire ?
Il s’agit ici de m’interroger sur la faculté de l’art public à être un facteur d’inclusion spatiale
sur le plan symbolique, c’est-à-dire à être un instrument permettant à toutes les populations de la
ville d’être représentées en elle et de s’y reconnaître, favorisant ainsi le sentiment d’appartenance
de tous à une même ville, alors même que la capacité de l’art public à être un facteur d’inclusion
spatiale sur le plan matériel paraît compromise. Pour cela, je me demanderai qui représente qui par
l’art public, et je m’interrogerai donc sur les conditions d’accès à la création d’art public et sur la
71
“[…] incorporate diversity in all aspects […]”, Politique d’art public de Johannesburg, décembre 2008.
122
manière dont est mise en œuvre cette représentation, afin de saisir dans quelle mesure les
populations concernées ont la possibilité de se reconnaître dans cet art. Enfin, je chercherai à
comprendre à quoi sert cette inclusion symbolique, si elle existe, alors même que perdurent des
exclusions physiques dans l’espace public.
- Qui représente qui ? La question de l’accès à la création de l’art public.
Selon la politique d’art public elle-même, l’art public ne doit pas seulement permettre de
représenter la diversité, il doit aussi autoriser les différents groupes de populations à exprimer euxmêmes leurs différences :
« A travers cet art, […] les individus et les groupes communautaires dans les quartiers
ont plus la chance d’exprimer eux aussi leur identités spécifiques. »72
Or, malgré cet objectif, le Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine et le JDA, principaux
initiateurs des projets d’art public, font appel à un nombre limité de compagnies artistiques – quatre
au total – pour réaliser leurs projets. Tous les projets d’art public dans lesquels la Ville est impliquée
passent ainsi à un moment où à un autre par une de ces compagnies, que ce soit Trinity Session, la
Spaza Gallery, Art At Work ou la Johannesburg Art Bank. Ces compagnies exercent donc un véritable
monopole quant aux commandes publiques d’art public. Ces médiateurs artistiques sont les seuls à
être autorisés par la municipalité à inscrire leur vision de la ville dans l’espace public, ce qui restreint
considérablement le nombre d’acteurs pouvant avoir accès à la création d’art public, et pouvant
donc s’exprimer légitimement dans l’espace public.
Ce monopole est d’autant plus problématique que ces médiateurs sont principalement des
hommes blancs, ce qui ne va pas dans le sens d’un rééquilibrage au profit des populations
discriminées pendant l’apartheid, bien au contraire. A cet égard, l’exemple de Trinity Session,
première et principale compagnie artistique à s’être spécialisée dans cette fonction de médiateur
artistique au service de la Ville, est symptomatique puisqu’elle est dirigée par deux hommes blancs,
Marcus Neustetter et Stephen Hobbs. Dans ces conditions, il est à craindre que l’art public ne
promeuve dans l’espace public qu’une vision univoque, partielle, voire partiale de la ville, qui si elle
célèbre certes la diversité, notamment raciale, de la ville, n’offre pas pour autant à chacun la
possibilité de participer activement à son élaboration.
72
“Through this art, […] individuals and community groups in neighbourhoods are also empowered to also
express their unique identities”, Politique d’art public, décembre 2008.
123
Le cas de l’Eland de C. van der Berg semble à cet égard éclairant en tant qu’œuvre d’art
public produite par un artiste blanc de sexe masculin. Or, l’étude de cette œuvre est particulièrement
révélatrice du décalage qui peut exister entre ce que veut représenter l’artiste, à savoir ici un éland
censé évoquer le passé naturel de l’espace d’implantation de l’œuvre, et les perceptions et
représentations des populations qui fréquentent cet espace, aux yeux desquelles cette œuvre
représente à peu près tout sauf un éland, les populations blanches étant les seules à voir dans cet
Eland un symbole africain. Cet exemple montre bien la possible inadéquation entre intention
artistique et réception de l’œuvre d’art par le public. Mais dans quelle mesure cette inadéquation
peut-elle être mise sur le compte d’une différence de couleur entre l’artiste et le public ? Cela
voudrait-il dire qu’un artiste ne pourrait représenter que le groupe auquel il appartient ? L’artiste
doit-il nécessairement appartenir au groupe qu’il représente pour pouvoir le représenter et parvenir
à ce que ce groupe en question se reconnaisse dans l’œuvre produite ? Cela tendrait à restreindre les
potentialités de l’artiste et de l’art public, lequel a pourtant une vocation à l’universel, à être compris
de tous.
Le danger d’une telle vision est de tomber dans un communautarisme simpliste qui
consisterait à considérer que chaque groupe ne peut parler que de lui-même, par conséquent à
enfermer chacun dans sa spécificité et sa différence, et à empêcher tout dialogue entre les groupes.
Or, au contraire, le fait que chacun puisse parler d’un autre que lui-même, et le représenter, est sans
doute une richesse et un signe d’ouverture. Précisément, l’art est ce qui permet de mieux saisir le
monde et de mieux se comprendre soi-même par le regard de l’autre73. Ce qui pose problème dans
l’inégalité d’accès à la création d’art public, ce n’est donc pas seulement le fait que les artistes blancs
masculins puissent représenter d’autres groupes de populations tandis que ces groupes ne peuvent
se représenter eux-mêmes, mais bien plutôt que ceux-ci ne puissent pas représenter d’autres
groupes qu’eux-mêmes, notamment le groupe des artistes masculins blancs.
Mais comment expliquer cette persistance d’inégalité d’accès à la création artistique alors
même que la politique d’art public prétend lutter contre ce phénomène ? Pour Bronwyn Lace, artiste
73
Qu’on me permette de citer ici ce passage, très juste à notre sens, de Proust sur l’art. « [Le style] est la
révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence qualitative qu’il y a dans
la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s’il n’y avait pas l’art, resterait le secret éternel de
chacun. Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est
pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir
dans la lune. Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous voyons le monde se démultiplier, et
autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns
des autres que ceux qui roulent à l’infini et, bien des siècles après que s’est éteint le foyer dont il émanait, qu’il
s’appelât Rembrandt ou Vermeer, nous envoient encore leur rayon spécial. » Marcel Proust, Recherche du
temps perdu, Tome III, Pléiade, p. 895
124
chargée du service éducation à la Bag Factory74, résidence d’artistes indépendante installée à
Forsdburg (cf. carte 2.1) et basée sur la collaboration entre artistes expérimentés et débutants, cela
est avant tout une question de formation :
« […] De fait, peu d’artistes sont capables d’élaborer un dossier de candidature pour
répondre à un appel à projet. C’est pourquoi à la Bag Factory, nous avons monté des ateliers
de création pour amener les artistes à travailler ensemble et à apprendre ensemble. Le
problème est avant tout un problème de formation. […] » (Entretien du 11 février 2009)
De fait, le problème de la formation des artistes est double. Premièrement, beaucoup
d’artistes, surtout ceux appartenant aux populations discriminées pendant l’apartheid, n’ont reçu
aucune formation artistique, les écoles d’art étant réservées aux Blancs pendant l’apartheid.
Deuxièmement, même pour ceux qui ont eu l’opportunité de recevoir une formation artistique, cette
formation était, et est encore essentiellement axée sur l’apprentissage des techniques artistiques ou
de l’histoire de l’art, alors que la formation pratique, comme par exemple le fait d’apprendre à
répondre à un appel à projet, est insuffisante, voire inexistante. C’est pourquoi la Bag Factory
organise des ateliers pour apprendre aux jeunes artistes à rédiger une proposition, présenter un
budget ou passer un entretien. La Bag Factory essaie donc de donner une formation minimale à un
maximum d’artistes émergents, afin de leur donner l’opportunité de pouvoir répondre aux appels
d’offre de la Ville en matière d’art public quand ceux-ci sont ouverts à tous.
La Ville elle-même est d’ailleurs consciente de ce biais. Et, comme me l’a confié E. Itzkin,
directeur-adjoint du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine, le recrutement de
nouveaux médiateurs artistiques, comme la Johannesburg Art Bank, a justement pour but d’ouvrir le
champ des acteurs de l’art public. En effet, non seulement l’équipe de la Johannesburg Art Bank est
mixte, puisqu’elle est dirigée par une femme blanche à sa tête, assistée de deux femmes noires et
d’un homme d’origine indienne, mais en plus, un des objectifs prioritaires de la compagnie consiste à
favoriser l’accès d’artistes encore peu connus, souvent issus de milieux défavorisés, au marché de la
création artistique. Pour ce faire, de nouvelles méthodes de recrutement des artistes sont mises en
place pour tenter d’accompagner encore un peu plus les jeunes artistes.
La méthode de sélection des artistes pour le projet Bram Fischer est à cet égard significative.
Ce projet d’art public lancé en janvier 2009 avait pour but de réaliser une œuvre dédiée à Bram
Fischer, militant afrikaner anti-apartheid, pour le centre culturel du même nom, récemment
construit à Bram Fischerville, au nord de Soweto. Pour ce projet, la Johannesburg Art Bank a mis en
74
Pour en savoir plus, consulter le site internet de la Bag Factory, http://www.bagfactoryart.org.za/
125
place une procédure de sélection qui consistait à organiser un atelier de travail entre un artiste
renommé et cinq artistes émergents, l’un d’entre eux devant être définitivement sélectionné par la
suite. L’idée de cette procédure était donc de permettre à un artiste peu connu de participer à un
projet d’art public, tout en lui donnant l’opportunité de se former auprès d’un artiste plus
expérimenté ayant déjà participé à ce genre de projet. Il s’agissait donc d’un projet à la fois artistique
et éducatif. Par ailleurs, la présence de cet artiste aguerri permettait aussi de rassurer le
commanditaire quant à la faisabilité et à la qualité du projet. Pour autant, la procédure de sélection
de l’artiste expérimenté et celle de la présélection des cinq autres artistes restent obscures. Je n’ai en
effet pas réussi à comprendre sur quels critères et comment ces artistes avaient été sélectionnés par
la Johannesburg Art Bank. On peut en effet se demander si une telle sélection ne révèle pas
purement et simplement de l’arbitraire.
Quoi qu’il en soit, c’est Niebuhr Hermann, artiste blanc de sexe masculin, qui a été choisi
pour être l’artiste de référence, alors que les cinq autres artistes étaient Jabukane Zwane, Raymond
Schoeman, Mahanlah Danny, Landi Raubenheimer et Nhlapo Senzo, soit quatre hommes noirs et une
femme blanche, ayant chacun le plus souvent déjà réalisé des œuvres d’art public et venant de
milieux plus ou moins défavorisés, mais vivant généralement encore difficilement de leur art.
L’atelier de travail, organisé le 13 février 2009, consistait en une visite du site d’implantation de la
future œuvre d’art public, et dans le visionnage d’un film documentaire consacré à la vie de Bram
Fischer, suivi d’un brainstorming devant aboutir à des propositions artistiques. Pour avoir assisté à
cette dernière partie de l’atelier, je dois dire que la relation entre N. Hermann et les autres artistes
était pour le moins à sens unique. En effet, N. Hermann a d’abord présenté sa manière de voir les
choses et a ensuite demandé aux autres artistes de réfléchir à la manière dont ils pourraient
travailler à partir de son idée. Par la suite, c’est d’ailleurs N. Hermann, seul, qui a sélectionné l’artiste
avec qui il allait travailler, en l’occurrence J. Zwane. Dès lors, on peut s’interroger sur ce que cette
procédure a concrètement changé par rapport aux procédures habituelles.
Certes, elle a permis à un artiste peu connu et issu d’un groupe de population discriminé par
le passé de participer à un projet d’art public, mais le rapport de force est resté le même, l’artiste
blanc expérimenté ayant l’ascendant sur l’artiste noir en devenir. Toutefois, si ce type de procédure a
des effets limités à court terme, il peut peut-être à plus long terme avoir une incidence plus
importante. En effet, d’une part, cette procédure permet de banaliser le fait que des artistes
émergents, pas nécessairement blancs ni masculins, puissent avoir leur place dans ce genre de
projet, ce qui contribue à ouvrir le marché de l’art public à de nouveaux acteurs et donc à lutter
contre le monopole de quelques-uns. D’autre part, cette procédure est sans doute aussi un moyen
pour les artistes débutants, comme J. Zwane, d’acquérir un savoir-faire qui leur permettra à l’avenir
126
de mener seuls un projet d’art public. Et de fait, si le problème est bien celui de la formation des
artistes, alors cela suppose de mettre en place des dispositifs d’éducation artistique qui ne peuvent
avoir d’effet qu’à moyen ou à long terme.
Les autres médiateurs artistiques sont eux aussi conscients de ce problème de formation,
non seulement sur le plan qualitatif, mais aussi sur le plan quantitatif. Les artistes en charge des
projets d’art public se plaignent en effet de ne pas être assez nombreux pour répondre aux
demandes de plus en plus importantes en matière d’art public. C’est d’ailleurs un des arguments qui
avait été utilisé par Trinity Session dans le cadre du projet de l’Eland pour organiser une compétition
entre un nombre limité d’artistes et non une compétition ouverte à tous les artistes, puisque selon
eux, seul un nombre limité d’artistes étaient capables de réaliser un tel projet. Cette idée m’a
d’ailleurs été confirmée par L. Perkes, co-directrice d’Art At Work :
« […] Le secteur [de l’art public] est trop petit. Il y a la possibilité de faire beaucoup plus de
choses. Je pense que nous devons tous contribuer à faire croître ce secteur. Trinity sait cela.
Nous le savons. […] » (Entretien du 18 février 2009)
La situation de monopole des quatre compagnies artistiques servant d’intermédiaires à la
Ville semble donc atteindre un seuil critique du fait que ces compagnies ne sont plus en mesure de
répondre à toutes les demandes d’art public. Si cette situation de monopole a sans doute été
pendant un temps voulu, voire recherchée par les médiateurs, elle semble à l’heure actuelle de plus
en plus subie, ce qui les incite d’ailleurs à travailler toujours davantage ensemble et non plus les uns
contre les autres. L. Perkes continue ainsi :
« […] Le seul moyen pour qu’on y arrive c’est de partager ce que nous apprenons […] »
(Entretien du 18 février 2009)
Une logique de partenariat se met donc peu à peu en place. Mais, comme A. Murdoch,
directrice de l’Art Bank, me l’a indiqué, ce phénomène est très récent et cette logique reste difficile à
mettre en œuvre, parce que :
« […] les gens sont très territoriaux (territorial). "C’est mon projet. Je le fais. Ne marche pas
sur mes pieds." C’est absurde qu’une organisation dépense dix mille rands [soit près de
mille euros] pour un projet, une autre dix mille pour autre chose… Si l’on mettait tout cet
argent en commun et si l’on faisait le travail d’expertise ensemble, on pourrait faire des
choses fantastiques. Cela commence lentement à se faire. […] »
127
L’emploi de l’adjectif « territorial » est particulièrement intéressant dans ce contexte, parce
qu’il souligne non seulement les rapports concurrentiels entre les différents médiateurs, mais il ancre
également cette concurrence dans une réalité spatiale. Et de fait, sur le marché de l’art public,
obtenir un contrat signifie avoir accès à l’espace public. Par la réalisation de leur projet, les
compagnies artistiques s’emparent ainsi de l’espace public de la ville, elles marquent implicitement
leur territoire dans l’espace urbain, au nom et à la demande de la Ville de Johannesburg. Le
monopole de ces compagnies comporte donc une dimension spatiale indéniable.
Ce monopole, même si celui-ci semble appelé à évoluer, est finalement préjudiciable pour
deux raisons : d’une part, parce que l’art public est susceptible de devenir un outil de domination
symbolique et spatial aux mains d’un groupe minoritaire, celui des médiateurs ; d’autre part, parce
que cela pourrait conduire à une non-appropriation, voire à un rejet, de ces œuvres par les
populations qu’elles sont supposées représenter alors que ces populations sont privées d’un accès à
l’espace public en tant qu’artistes et qu’elles ne sont pas autorisées à s’auto-représenter dans cet
espace. Dès lors, il faudrait se demander dans quelle mesure cette diversité que tente d’incarner l’art
public s’adresse véritablement aux usagers et aux habitants de la ville, ou si elle n’est pas plutôt
dirigée vers l’extérieur en vue de construire une image de ville qui se revendique en rupture avec
celle de l’apartheid. C’est d’ailleurs cette question de la reconnaissance de soi et des autres dans les
œuvres produites qu’il s’agit désormais d’examiner, en s’interrogeant sur la manière dont la diversité
prônée est représentée.
-
Comment ? Proximité ou rupture par rapport à l’art public de l’apartheid.
Pour la Ville, intégrer la diversité dans la ville suppose aussi d’y représenter cette diversité
pour l’intégrer de manière symbolique, l’art public devant être un outil privilégié de cette
représentation. Mais lorsque l’on parle de représentation, ne compte pas seulement ce qui est
représenté, mais aussi comment il l’est, les modalités de représentation pouvant elles aussi être
signifiantes et déterminer la manière dont l’œuvre sera reçue ou non par le public. C’est donc ces
deux aspects qu’il me faut à présent envisager.
La Ville de Johannesburg par sa politique d’art public poursuit le but de représenter des
personnages ou des objets qui étaient jusque-là exclus des représentations publiques parce qu’ils
n’appartenaient pas à la culture dominante, celle de l’apartheid. A cet égard, l’édification de la statue
de Gandhi en 2003 sur la place aujourd’hui éponyme est révélatrice de cette volonté de la
municipalité de représenter des populations discriminées par le passé : la statue de Gandhi est en
128
effet la première statue d’un homme non-blanc érigée dans l’espace public. De cette manière, la Ville
entend favoriser l’intégration, du moins symbolique, de populations jusque-là défavorisées. Pour
autant, le mode de représentation choisi pour cette statue pose problème, au sens où il recourt
exactement aux mêmes codes artistiques que ceux utilisés pendant l’apartheid, à savoir une statue
de bronze en pied installée sur un piédestal. A cet égard, la similitude entre cette statue de Gandhi,
censée rompre avec l’art public de l’apartheid, et celle de Carl von Brandis avant sa rénovation, qui
est une statue emblématique de l’art public de l’apartheid, est frappante, comme le montre les
photographies ci-dessous :
Photos 3.1 et 3.2: Les statues de Gandhi (à gauche) et de Carl von Brandis avant rénovation
(à droite), une ressemblance troublante
Source : site internet de la ville de Johannesburg,
http://www.joburg.org.za/content/view/394/144/
Source : site internet Beeldenstad,
http://beeldenstad.net/index2.asp?item
=1469
Du fait du mode de représentation, la différenciation entre art public de l’apartheid et post-apartheid
est brouillée. La question est alors de savoir si cela compromet la capacité des populations
discriminées pendant l’apartheid à se reconnaître dans ces œuvres post-apartheid, et plus largement
si cela nuit à la faculté de l’ensemble de la population fréquentant la ville de prendre conscience de
cette représentation de la diversité. L’enjeu de la reconnaissance de soi et des autres dans les
œuvres d’art public est un domaine qui me reste à explorer. Pour cela, mener une série de
questionnaires ou d’entretiens à partir de ces deux photographies en vue d’établir ce qu’évoquent
ces deux statues auprès des différentes populations de la ville permettrait sans doute d’obtenir des
résultats intéressants.
129
S’il semble que la Ville a donc bien contribué à diversifier les représentations publiques en
ville, notamment sur le plan racial, reste à savoir si le mode de représentation choisi permet aux
populations de reconnaître cette célébration de la diversité, voire de se reconnaître dans ces
œuvres.
- Pour quoi ? Une légitimation symbolique d’une exclusion de fait ?
En définitive, le décalage entre exclusion effective de l’espace public de certaines catégories
de populations et inclusion symbolique d’autres catégories anciennement discriminées est tel qu’on
peut se demander dans quelle mesure l’inclusion symbolique ne sert pas à masquer une exclusion
matérielle de fait de l’espace public de populations considérées comme indésirables. On retrouve ici
l’idée développée par G. Capron et N. Haschar-Noé (Capron, Haschar-Noé, 2007), à savoir que la
diversification peut être instrumentalisée à des fins sécuritaires et de contrôle qui impliquent
d’autres formes d’exclusion. A l’exclusion raciale de l’apartheid aurait ainsi succédé un autre type
d’exclusion, plus sociale et économique, mais qui n’en reste pas moins une forme d’exclusion.
Au final, l’art public déplace l’exclusion plus qu’il ne l’abolit. Dans ces conditions, comment
l’art public peut-il alors prétendre faire de Johannesburg une ville unie, unique, autour d’une identité
commune, si celle-ci n’est pas unifiante ?
2) Politique d'art public et identité urbaine : l'art public catalyseur d'identité ?
La Ville de Johannesburg envisage par la politique d’art public de « projet[er] son identité
collective et sa vision »75 de la ville. Un des objectifs assigné à l’art public est donc identitaire. L’idée
consiste à dire que l’art public, en tant qu’il permet de donner à la ville des symboles qu’elle s’est
elle-même choisie, peut favoriser l’identification de tous à la ville à travers la reconnaissance de ces
symboles communs, processus d’autant plus important que la ville entend se redéfinir. Il s’agit donc
ici d’examiner dans quelle mesure l’art public parvient effectivement à doter la ville d’une identité
commune qui serait reconnue par tous, facilitant ainsi la réinvention de Johannesburg comme
métropole unique et unie, dans l’espoir de dépasser les divisions de l’apartheid. Pour ce faire, je me
75
“[…] projects its collective identity and vision […]”, Politique d’art public, décembre 2008.
130
demanderai, avec J. McCarthy, en quoi identité et image de ville peuvent ou non être compatibles
dans le cadre d’une politique d’art public, afin de saisir selon quels critères la politique d’art public
peut être un instrument de construction d’une identité de la ville. Puis j’envisagerai les limites à cette
instrumentalisation de l’art en tant qu’outil identitaire en cherchant à comprendre en quoi l’art
public, parce qu’il peut être l’objet de réappropriations parfois conflictuelles et contradictoires, peut
aussi être davantage un facteur de divisions que d’unification. Enfin, j’examinerai dans quelle mesure
le processus identitaire à l’œuvre à Johannesburg par l’art public peut servir de modèle.
a) Une image de ville créatrice d’identité… et inversement ?
La politique d’art public de la Ville de Johannesburg est essentiellement une politique de type
top-down, c’est-à-dire une politique dans laquelle les décisions sont prises par les pouvoirs publics
sans réelle consultation des populations auxquelles cette politique est destinée. Dès lors, si l’on
reprend la distinction entre image et identité de J. McCarthy à propos des politiques d’art public, la
politique d’art public de Johannesburg peut être qualifiée de politique d’image, en tant qu’imposée
d’en haut, alors qu’une politique d’art public identitaire consisterait à prendre en compte les
populations locales (McCarthy, 2006). Pour autant, on peut se demander, comme le fait d’ailleurs J.
McCarthy, dans quelle mesure image et identité de ville sont compatibles, et même en quoi elles
peuvent s’influencer l’une l’autre. J’examinerai donc si et comment l’image qui semble imposée par
la municipalité par l’art public peut enclencher des processus identitaires ; puis je verrai, en retour,
dans quelle mesure l’identité de la ville est mise au service de l’image de la ville.
-
L’image peut-elle créer de l’identité? Le cas de l’Eland.
Le cas de l’Eland est représentatif d’une œuvre d’art public conçue comme une œuvre d’art
iconique censée changer urbi et orbi l’image du quartier de Braamfontein, voire du centre-ville et
avec lui de la ville, et plus particulièrement à l’extérieur, en vue d’attirer à nouveau des touristes et
des investisseurs. De ce fait, l’Eland correspond parfaitement à ce que J. McCarthy définit comme
étant constitutif d’une image de ville, instrument de la promotion urbaine, et non comme créateur
d’une identité de ville, reflétant les identités locales et pouvant faire émerger un sentiment
d’appartenance. Pour autant, cette image ne pourrait-elle pas être réappropriée par les populations
locales et contribuer par là à l’élaboration d’une identité locale ?
131
De fait, l’Eland a avant tout été conçu à des fins promotionnelles, afin de changer l’image du
quartier. Le fait que la statue ait été choisie pour apparaître sur la page d’accueil du site internet du
Braamfontein Management District (BMD), CID du quartier, est révélateur de cette volonté de faire
de l’Eland un outil du marketing urbain, une image et un symbole de la rénovation du quartier,
souhaitée et promue par les sociétés privées du quartier :
Page Internet 3.1 : Page d’accueil du BMD, l’Eland emblème de Braamfontein ?
Source : http://www.braamfontein.org.za/, le 28 avril 2009
Pour autant, l’étude des pratiques et des représentations associées à l’Eland permet de
montrer que cette image n’est pas seulement imposée aux populations locales : elle est aussi
réappropriée par elles. En effet, l’Eland semble devenir un élément permettant de définir le lieu, un
marqueur spatial : les gens se donnent rendez-vous à la grande statue, tournent à droite après
l’animal, etc., les différents noms et surnoms donnés à l’Eland étant révélateurs d’une certaine
réappropriation de la statue par les usagers de cet espace.
Ceci nous amène donc à repenser la relation entre image et identité du lieu. De fait, l’œuvre
produite a été imposée d’en haut, sans tenir compte des populations locales, en vue d’imposer une
nouvelle image du quartier comme le prouve l’utilisation promotionnelle de l’image de l’Eland faite
par le BMD. Néanmoins, cette œuvre est réappropriée par les populations locales, et en cela, l’Eland
132
ne change pas seulement l’image du lieu vis-à-vis de l’extérieur, il contribue aussi à redéfinir
l’identité du lieu pour les populations locales. L’image est donc bien ici un élément qui permet de
définir ou de redéfinir l’identité du lieu, même si au départ l’image à été construite sans tenir compte
des identités locales. Mais parce que l’identité est un construit en constante élaboration, l’image a
permis de nourrir cette identité. Le processus inverse est-il envisageable ?
-
Identité instrument de l’image ? Positionnement anti-apartheid comme élément promotionnel.
L’image que la Ville veut se donner d’elle-même par la politique d’art public est celle d’une
ville post-apartheid, voire anti-apartheid, c’est-à-dire d’une ville qui se positionne comme étant en
rupture par rapport à l’apartheid et à ses conséquences en termes d’organisation socio-spatiale.
C’est donc bien l’histoire du pays et de la ville, élément constitutif de leur identité, qui est utilisée en
vue de construire une nouvelle image de ville.
A cet égard, L. Bremner a montré à travers l’exemple du musée de l’apartheid de
Johannesburg comment la mémoire de l’apartheid devenait un argument de vente, un outil de
promotion urbaine de Johannesburg auprès des touristes et des investisseurs (Bremner, 2007). Le
rapport entre identité et image est dans ce cas inversé par rapport au cas de l’Eland : l’identité est
utilisée pour construire l’image. Mais cette image peut-elle agir en retour sur l’identité ?
Image et identité semblent en constante interaction. Dès lors, le fait que la politique d’art
public soit avant tout menée comme une politique d’image n’empêche pas qu’indirectement elle
participe aussi à la construction de l’identité des lieux, comme dans le cas de l’Eland. La question est
alors de comprendre si cette construction identitaire participe à l’unification de la ville autour d’une
identité commune comme le proclame la politique d’art public, ou si, au contraire, cette construction
identitaire est source de conflits qui iraient dans le sens d’une fragmentation identitaire au sein de la
métropole.
b) Les limites de l'art comme outil identitaire : vers une fragmentation de l'identité ?
Mon but est à présent de comprendre dans quelle mesure le processus – que je viens de
mettre en évidence – de construction identitaire en œuvre dans l’art public est porteur d’unité ou de
divisions dans la ville. Pour cela, je montrerai que l’art public peut être l’objet de réappropriations
133
conflictuelles qui peuvent aller à l’encontre de l’élaboration d’une identité de ville unique et unie ;
puis je me demanderai en quoi, même si ces réappropriations locales ne sont pas conflictuelles,
l’identité de la ville peut être une somme d’identités construites à l’échelle du lieu ou du quartier.
-
L’art public, enjeu de réappropriations conflictuelles
Une fois l’œuvre d’art public installée dans l’espace public, celle-ci échappe en quelque sorte
à ceux qui l’ont conçue ou créée. Elle s’autonomise. Dès lors, l’œuvre peut être ou non l’objet de
réappropriations par les populations locales, réappropriations qui, si elles se produisent, peuvent
être contradictoires, voire conflictuelles, aussi bien entre elles et que par rapport aux objectifs
initiaux des producteurs de l’œuvre.
A cet égard, il est intéressant de revenir sur le cas de la statue de Carl von Brandis. De fait, la
rénovation de la statue a d’abord été conçue par la Ville comme un moyen de se réapproprier son
patrimoine, même si celui-ci était hérité à l’apartheid, en vue de le réinventer, de lui donner un sens
nouveau dans un contexte post-apartheid. L’œuvre était ainsi censée représenter l’intégration de
tous dans la nouvelle nation sud-africaine, y compris de ceux qui avaient pu soutenir le régime de
l’apartheid, et ceci au nom de la réconciliation, thème majeur de la construction de la nation sudafricaine post-apartheid. Pourtant, le contexte social et politique a conduit à un détournement de
cette œuvre dans son usage et dans son sens par les réfugiés zimbabwéens et les artistes qui ont
organisé un sitting en face de l’œuvre le 12 mars 2009, faisant de la statue l’emblème d’une
revendication consistant à proclamer le droit de tous à avoir un abri. Dès lors, la statue était bien
l’objet de deux réappropriations, non pas seulement différentes, mais contradictoires et
conflictuelles : d’un côté, une réappropriation de la statue par la Ville, entendant faire de celle-ci le
symbole positif de l’acception et du dépassement de l’apartheid ; de l’autre, les Zimbabwéens et les
artistes faisant de cette statue le symbole négatif d’une ville incapable de couvrir les besoins
fondamentaux des populations qui se trouvent sur son territoire.
Ces deux figures correspondent sans doute à deux des facettes de la ville, au sens où la Ville
de Johannesburg est à la fois une ville en pleine transition démocratique qui tente de faire respecter
les droits de chacun dans la ville, mais aussi une ville du Sud qui est confrontée à d’importants
problèmes de pauvreté, de chômage et de violence. Néanmoins, on peut se demander en quoi et
comment ces deux visages de la ville sont conciliables en vue de construire une identité de ville
commune à tous les usagers de la ville, y compris aux réfugiés zimbabwéens. Dans ces conditions,
l’art public est aussi un enjeu identitaire et politique, porteur de conflits.
134
Ainsi l’art public, parce qu’il est l’objet de réappropriations diverses et multiples, peut être un
facteur de conflits et de divisions dans la ville lorsque ces réappropriations sont incompatibles. Pour
autant, même lorsque ces réappropriations sont conciliables, il n’est pas vain de se demander dans
quelle mesure ces réappropriations multiples peuvent conduire à l’élaboration d’une identité
commune à l’échelle de la ville.
-
L’identité de la ville, somme ou synthèse des identités de lieux ?
Il s’agit ici de s’interroger sur la possible synthèse à l’échelle métropolitaine des identités
créées par l’art public à l’échelle locale.
Que ce soit dans le cas de l’Eland ou de la statue de Carl von Brandis, on se rend compte que
l’image de ville conçue par la municipalité est réappropriée à l’échelle locale par les usagers de
l’espace public, l’œuvre d’art devenant alors porteuse d’identités individuelles et collectives,
diverses, multiples, parfois contradictoires. La question est alors de savoir si ces identités locales sont
capables de construire en retour une identité de ville, synthèse de ces identités locales, ou si, au
contraire, ces identités locales sont condamnées à être simplement juxtaposées dans l’espace
métropolitain, l’identité de la ville n’étant alors que la somme de ces identités locales. Dans ce
dernier cas, il est à craindre que cela ne conduise à une forme de fragmentation sociale, si l’on
comprend la fragmentation sociale comme « la disparition de la ville comme référent identitaire
commun »76.
Pour répondre à cette question, il s’agirait donc de comprendre si la métropole de
Johannesburg est ou non un référent identitaire pour les populations de la ville. Ceci nécessiterait
une étude plus approfondie à l’échelle de la ville, afin de tenter de savoir si la métropole de
Johannesburg occupe une place dans les représentations des habitants de la ville, quelle est cette
place, et si celle-ci diffère selon les quartiers de la ville, même s’il est clair qu’une telle évaluation est
difficile.
Malgré les questions que pose cette construction identitaire de la ville par l’art public, tant
en termes de divisions que de fragmentation potentielles, il n’en reste pas moins que la politique
76
C. Bénit et alii, 2007, « Fragmentations », in E. Dorier-Apprill, P. Gervais-Lambony (coord.), Vies Citadines,
Belin, p.31.
135
d’art public de Johannesburg s’affirme de plus en plus comme un exemple, voire un modèle pour
d’autres villes.
c) L'identité en formation peut-elle créer un modèle transposable ailleurs ?
Johannesburg est aujourd’hui la seule ville d’Afrique du Sud à s’être dotée d’une politique
d’art public. Par cette politique, la Ville ambitionnait de transformer son image et son identité afin de
dépasser le modèle urbain ségrégué de l’apartheid, pour s’ériger en une « ville mondiale africaine ».
La Ville de Johannesburg qui servait jusque là de repoussoir en matière de politiques urbaines, voire
de contre-modèle urbain, serait-elle en passe de devenir par sa politique d’art public un modèle pour
d’autres villes ?
-
La diffusion du modèle en Afrique du Sud ? Au-delà ?
Au cours de mes recherches, j’ai effectivement appris qu’un projet de transposition de la
politique anti-graffiti menée à Johannesburg dans le cadre de la politique d’art public afin de
revaloriser et de promouvoir le développement des murals, était en cours au Cap. Serait-ce le signe
avant-coureur d’une diffusion et d’une transposition de la politique d’art public de Johannesburg au
Cap ? Selon les propos de Zayd Minty, consultant culturel au Cap, la politique d’art public de
Johannesburg serait en effet actuellement utilisée « comme un exemple de bonne gouvernance »
(‘‘as an example of good practice’’) par la Ville du Cap.
Johannesburg semble donc aujourd’hui s’ériger en exemple, sinon en modèle, pour les autres
villes sud-africaines, et notamment pour le Cap, alors que cette dernière, tout comme les autres
villes-capitales de l’apartheid, avait justement servi de contre-modèle à Johannesburg pour définir sa
propre politique d’art public. Cette diffusion est d’autant plus intéressante que les deux villes font
figures de sœurs ennemies à l’échelle du pays, ayant plutôt tendance à se construire l’une par
opposition à l’autre, que l’une sur le modèle de l’autre. La politique d’art public pourrait-elle faire
exception ?
Il serait donc intéressant de suivre cette évolution afin de voir si la politique d’art public de
Johannesburg sera effectivement transposée au Cap, et si oui, selon quelles modalités. Au-delà du
Cap, on peut d’ailleurs se demander dans quelle mesure cette politique est aussi susceptible de se
diffuser à d’autres villes sud-africaines, à d’autres villes africaines ou même à d’autres villes du Sud.
136
Johannesburg serait-elle en train de devenir un modèle en matière d’art public pour les villes sudafricaines, africaines, voire pour les villes du Sud, comme New-York l’a été pour les villes du Nord?
La politique d’art public de Johannesburg pose aujourd’hui plus de questions qu’elle ne
semble en résoudre en matière de construction identitaire, sans doute parce que sa mise en place
est récente, appelant ainsi une étude à plus long terme afin de confirmer ou d’infirmer les tendances
observées, notamment à propos de la dialectique entre image et identité, et de l’articulation des
identités aux différentes échelles.
Quoi qu’il en soit, il apparaît déjà que la Ville par sa politique d’art public se dessine en tant
qu’exemple, non seulement de construction d’une image et d’une identité de ville, mais aussi « de
bonne gouvernance » pour reprendre l’expression de Z. Minty. Etant donné que l’art public semble
être un enjeu pour différents acteurs à différentes échelles, la politique d’art public apparaît comme
un objet d’étude privilégié pour comprendre les mécanismes de gouvernance urbaine qui se mettent
en place à l’échelle d’une métropole. C’est cette dimension que je me propose à présent d’étudier.
3) La politique d'art public, laboratoire de la gouvernance urbaine ?
La politique d’art public est une politique métropolitaine récente qui s’inscrit dans une
métropole qui est elle aussi en construction. Or, cette politique fait intervenir de nombreux acteurs,
publics comme privés, et ceci à différentes échelles. Aussi, la mise en place de cette politique
nécessite de créer de nouveaux mécanismes institutionnels, décisionnels et budgétaires ainsi que de
nouveaux modes de négociation et d’arbitrage entre acteurs. Cela suppose donc d’inventer une
nouvelle gouvernance urbaine, à supposer que l’on définisse la gouvernance urbaine « à la fois
comme dispositif de coordination d’actions collectives coopératives (acteurs, outils, processus) et
comme son résultat (conduites des actions collectives) » (Dubresson, Jaglin, 2008, p.18). En ce sens,
je me demanderai en quoi la politique d’art publique peut être lue comme un laboratoire de la
gouvernance urbaine à l’œuvre dans la métropole de Johannesburg. Pour cela, j’examinerai les
modalités de territorialisation de la politique d’art public, c’est-à-dire la modalité concrète selon
laquelle la politique d’art publique est appliquée aux différentes échelles, tout en cherchant à
déterminer en quoi cette territorialisation peut ou non contribuer à l’élaboration d’une ville juste
que la Ville aspire à mettre en œuvre. Puis, j’envisagerai dans quelle mesure cette politique peut être
l’occasion pour l’autorité métropolitaine d’affirmer son autorité sur le territoire métropolitain, et
137
contribuerait ainsi à construire ce territoire, même si cela se fait parfois aux dépens des populations
locales.
a) La territorialisation de la politique d’art public : facteur d’équité territoriale ou injustice
spatiale ?
S’interroger sur la territorialisation des politiques publiques, et plus particulièrement sur
celle de l’art public, revient à se demander quelles sont les modalités de mise en œuvre et de mise en
espace de cette politique. Ceci revient ainsi à examiner comment cette politique définie à l’échelle
métropolitaine est concrètement mise en place à plus grande échelle, et donc à déterminer si cette
politique est appliquée uniformément sur l’ensemble du territoire métropolitain ; si elle est
appliquée de manière différenciée selon les espaces dans lesquels elle s’applique en fonction des
besoins de ces espaces (spatialisation) ; ou bien si elle conduit à la mise en place d’un système
d’acteurs collectif et autonome dans ces espaces d’application (territorialisation au sens fort)
(Dubresson, Jaglin, 2005). L’enjeu qui sous-tend cette question est de savoir si les différenciations
éventuelles en matière d’application de la politique d’art public aux différentes échelles constituent
ou non des inégalités, voire des injustices.
-
Les modalités de territorialisation de la politique d’art public : une opposition centre-périphérie ?
Il s’agit ici de déterminer dans quelle mesure la politique d’art public fait l’objet
d’applications spatiales différenciées à Johannesburg, et ceci à différentes échelles, que ce soit sur le
plan qualitatif, certains espaces concentrant plus d’œuvres d’art public que d’autres, ou sur le plan
qualitatif, les modalités de mise en application de la politique pouvant varier d’un espace à l’autre.
A l’échelle métropolitaine tout d’abord, j’ai montré que certains espaces de la ville font
l’objet d’une attention particulière de la politique d’art public, en particulier le centre-ville. Il semble
donc y avoir ici une différenciation intra-urbaine en matière de politique d’art public qui n’est pas
seulement quantitative mais également qualitative. Sur le plan quantitatif, le centre-ville concentre
en effet l’essentiel des œuvres d’art public produites au nom de la politique d’art public, ce qui
constitue non seulement une différenciation mais aussi une inégalité spatiale au profit du centreville. Sur le plan qualitatif, il est apparu au cours de mes entretiens et de mes études de cas que la
dimension participative était quasi inexistante dans les projets d’art public du centre-ville, bien que
138
cela ne semble pas le cas ailleurs, notamment à Soweto (South-Western Township), plus grand
township77 de la ville (cf. carte 1.1), où des démarches participatives sont mises en place.
Par exemple, dans le cas du projet de rénovation de la gare de taxis de Baralink de Soweto,
initié par le JDA et achevé en octobre 2008, certaines œuvres d’art public produites dans ce cadre
ont été réalisées à partir de dessins d’enfants accomplis dans le cadre d’ateliers organisés par les
artistes dans les écoles du quartier, à l’image de la sculpture ci-dessous :
Photo 3.3 : Sculpture de main en béton de C. van der Berg à Baralink (Soweto), une œuvre d’art
public participative
Source : Site Internet de la Ville de Johannesburg, http://www.joburg.org.za/content/view/3720/253/
Cet exemple est d’autant plus symptomatique d’une application spatialement différenciée de
la politique d’art public à l’échelle de la ville que la compagnie artistique et l’artiste en charge de ce
projet, à savoir Trinity Session et C. Van der Berg, sont les mêmes qui ont réalisé l’Eland à
Braamfontein, au nord du centre-ville (cf. cartes 1.1 et 2.2), projet qui, comme je l’ai montré, n’a fait
l’objet d’aucune démarche participative. La politique d’art public de la Ville n’est donc pas mise en
77
En Afrique du Sud, on appelle townships les espaces urbains construits pendant l’apartheid, généralement en
périphérie éloignée de la ville-centre et séparés de celle-ci par de vastes espaces-tampons (buffer zones), en
vue d’accueillir les populations noires, Coloured ou indiennes.
139
place de la même façon, quantitativement et qualitativement selon les quartiers. Comment expliquer
le traitement différencié de ces espaces ?
Si l’on suit l’analyse de M. Miles concernant le rôle de l’art public dans les politiques
publiques, cette différence tient à la centralité même du centre-ville qui rend incompatible, selon lui,
objectifs internationaux en termes de promotion d’une image de la ville destinée à positionner celleci sur la scène mondiale, et objectifs locaux visant à la construction d’une identité partagée, lesquels
s’accompagnent alors généralement de démarches participatives (Miles, 1997). Quand il s’agit d’un
centre, comme dans le cas du centre-ville, les objectifs internationaux prendraient ainsi
généralement le pas sur les objectifs locaux, et conduiraient par là à négliger les populations locales,
ce qui ne serait pas le cas à Soweto. Et, de fait, la différenciation d’application de la politique d’art
public semble pouvoir se lire selon le modèle centre-périphérie78.
En effet, de même que le centre-ville de Johannesburg est un centre au sens géographique et
fonctionnel du terme, les townships sont à la fois des périphéries géographiques de la métropole et
des périphéries fonctionnelles, en tant qu’espaces subordonnés et dépendants du centre. Si les
townships ont certes été créés par le régime d’apartheid pour être des villes à part entière, ils ont en
réalité toujours été des marges urbaines, des espaces d’exclusion et de relégation, fortement
dépendants du centre, notamment en termes d’emploi (Guillaume, 2001). Ainsi, dans cette logique
centre-périphérie, c’est d’abord le centre qui a bénéficié de la politique d’art public, ce qui explique
le nombre important d’œuvres par rapport au reste de la ville avant que cette politique ne se diffuse
aux périphéries, ce que confirme K. Harisson, directrice du département Aménagement et Stratégie
du JDA :
« […] Ce n’est que depuis deux ou trois ans qu’on a commencé à travailler dans les
townships, à faire des opérations de renouvellement urbain dans les townships des projets à
part entière du JDA : par exemple, les projets de Kliptown (suscitant des opinions
divergentes), de Baralink, de Vilakazi Street, ou d’Orlando Est où de nouveaux travaux sont
prévus pour l’année prochaine. Ce sont de nouveaux projets pour nous. Les townships sont
donc une nouvelle priorité, alors qu’historiquement c’était le centre-ville. […] » (Entretien
du 2 avril 2009)
La rénovation des townships, après celle du centre-ville, semble donc le nouvel objectif du JDA, l’art
public étant appelé là encore à être un instrument à part entière de ces opérations de rénovation
78
Le modèle centre/périphérie en géographie renvoie à une opposition dans un système spatial entre deux
types de lieux : celui qui commande, qui est un centre et aussi souvent au centre ; et celui ou ceux qui sont
sous ce commandement, la ou les périphéries, généralement en position périphérique (Reynaud, 1981).
140
urbaine, à l’exemple de la sculpture de main de C. Van der Berg installée à Baralink
(cf. photo 3.1). Ceci peut être interprété comme le signe d’une redistribution effective de la politique
d’art public du centre vers les périphéries.
Pour autant, tous les townships et toutes les périphéries n’apparaissent pas également
touchés par ces opérations. En effet, de manière significative, les projets évoqués par K. Harisson ne
concernent que Soweto, et non les autres townships ou périphéries de la ville. Et on constate en
effet que les projets du JDA pour les townships sont essentiellement concentrés à Soweto. Ceci tend
à indiquer que Soweto occupe une place particulière parmi les townships dans les politiques
publiques de la Ville, et plus particulièrement dans la politique d’art public. A la logique centrepériphérie semble ici s’ajouter d’autres enjeux.
Il est clair que Soweto occupe une place à part dans l’histoire de la métropole de
Johannesburg. Soweto est, en effet, le plus grand township noir de Johannesburg : il s’étend sur une
superficie de 120 km2, soit un peu plus que la superficie de la Ville de Paris, et regroupe un peu moins
de 900 000 personnes selon le recensement de 200179, soit près d’un tiers de la population totale de
la métropole (cf. carte 1.1). Mais surtout, Soweto est associé à certains événements emblématiques
de la lutte contre l’apartheid, et fondateurs de la nouvelle Afrique du Sud démocratique, notamment
les émeutes de 1976. Ces émeutes ont pour origine le soulèvement d’écoliers du township, suite à la
décision du régime d’apartheid d’imposer l’Afrikaans80 comme seconde langue d’enseignement dans
les écoles, au même titre que l’anglais. La violence de la répression a marqué les esprits à l’échelle
locale, nationale et internationale. Ces émeutes ont ainsi été un véritable tournant dans la lutte
contre l’apartheid et ont fait de Soweto le symbole même de la résistance anti-apartheid. Soweto est
donc un espace constitutif de l’identité même de la nouvelle Nation sud-africaine, ainsi que de la
métropole de Johannesburg. Cette place particulière de Soweto dans l’histoire de la ville explique
sans doute que Soweto fasse l’objet d’une mise en œuvre spécifique de la politique d’art public, aussi
bien sur le plan quantitatif – puisque Soweto concentre plus de projets d’art public que les autres
townships – que sur le plan qualitatif – Soweto profitant de démarches participatives quasi
inexistantes dans le centre-ville.
79
Ce chiffre est contesté parce qu’il ne prendrait pas en compte les populations vivant à Soweto de manière
informelle. Selon certaines estimations, la population actuelle de Soweto pourrait facilement atteindre deux
millions d’habitants.
80
L’Afrikaans est la langue parlée par les Afrikaners, descendants des colons hollandais, et qui s’impose comme
langue d’administration pendant l’apartheid.
141
Le centre-ville et Soweto pourraient alors être pensés comme des exemples types,
caractéristiques d’une dialectique entre image et identité à l’échelle de la ville en matière d’art
public, au sens de J. McCarthy. Le centre-ville serait le lieu privilégié d’une politique d’art public
conçue comme une politique d’image, destinée à promouvoir la ville à l’extérieur, ce qui, comme je
l’ai montré, n’empêche pas en retour la création de processus identitaires. Soweto serait le lieu
préférentiel d’une politique d’art public mettant l’accent sur l’identité du lieu, au sens de ce qui
renvoie à « l’histoire d’une ville et [à] sa situation, qui lui confèrent une certaine spécificité »81. Pour
confirmer cette hypothèse, cela demanderait bien évidemment de mener une étude plus
approfondie de la mise en place de la politique d’art public à Soweto. Mais, d’ores et déjà, en
s’appuyant sur l’étude de cas du centre-ville que j’ai étudié, on peut s’interroger sur les
différenciations de la politique d’art public au sein d’un quartier.
A l’échelle du quartier, si je me fonde une nouvelle fois sur l’exemple du centre-ville, les
mêmes logiques centre-périphérie observées à l’échelle métropolitaine semblent se dégager aussi
bien sur le plan quantitatif que qualitatif.
D’une part sur le plan quantitatif, on observe en effet une surreprésentation des œuvres
d’art public dans les espaces centraux, à savoir le CBD, Newtown et Braamfontein, qui sont des
centres non seulement sur le plan géographique, mais aussi sur le plan fonctionnel puisque ce sont
les espaces les mieux desservis et les plus accessibles du centre-ville, du fait de la forte concentration
d’infrastructures de transports, et ceux qui concentrent emplois et services (cf. cartes 2.1 et 2.2). A
l’inverse, l’art public est sous-représenté dans les espaces périphériques. Néanmoins, il s’opère là
encore une diffusion de la politique d’art public du centre vers la périphérie, les quartiers
périphériques d’Hillbrow, Berea et Yeoville, étant devenus, dans le cadre d’opérations de rénovation
urbaine lancées par le JDA en 2007, les nouveaux espaces privilégiés d’implantation de l’art public.
Pour autant, cette logique est contrariée ponctuellement, comme dans le cas du Joubert
Park, centre géographique mais périphérie fonctionnelle, pour lequel la Ville ne semble pas avoir de
projet d’art public à court ni à moyen terme. Ici, il semble bien y avoir une autre logique qui infléchit
celle centre-périphérie en matière de répartition spatiale de l’art public, et qui est sans doute
corrélée à la répartition spatiale des CID dans le centre-ville. Dans les espaces constitués en CID, l’art
public est valorisé en tant qu’outil de rénovation urbaine à part entière, alors que dans les espaces
81
“[…] a city’s history and circumstances, which imbue it with a degree of distinctiveness […]”, J. McCarthy,
2006, “Regeneration of Cultural Quarters: Public Art for Place Image or Place Identity?”, in Journal of Urban
Design, vol. 11, n°2, p.245.
142
non-institués en CID, l’art public, du moins celui réalisé au nom de la politique d’art public, est le plus
souvent absent. Cette hypothèse d’une corrélation entre répartition spatiale des œuvres d’art public
et répartition spatiale des CID, celle de l’art public suivant celle des CID, reste néanmoins à
confirmer.
D’autre part, sur le plan qualitatif, il semble également y avoir une différenciation centrepériphéries : les projets d’art public des espaces centraux du centre-ville, comme l’ont montré mes
études de cas, sont non-participatifs, alors que ce n’est pas forcément le cas dans les espaces
périphériques. Ainsi, en juin 2008, dans les parcs de Hillbrow, Berea et Yeoville, des processus de
type participatif impliquant les enfants du quartier ont été mis en place par Trinity Session, en
collaboration avec les artistes choisis pour ce projet, Mpho Molikeng et Brenden Gray. Les
photographies ci-dessous montrent un de ces ateliers organisé à Hillbrow avec les enfants des écoles
du quartier (à gauche) et la réalisation artistique finale réalisée par les deux artistes à partir de ces
ateliers (à droite):
Photos 3.4 et 3.5 : Participation en acte, atelier préparatoire avec des enfants du quartier dans le
parc Donald Mackay à Hillbrow (à gauche) en vue de la réalisation d’œuvres d’art public (à droite)
Source : Trinity Session, novembre 2007-juin 2008
Ce projet peut en effet être qualifié de participatif, puisqu’il entend prendre en compte les
populations locales et plus particulièrement les usagers des espaces concernés par le projet, en
l’occurrence les enfants du quartier, principaux utilisateurs des aires de jeux des parcs. Ce sont ainsi
143
les ombres des dessins des enfants qui sont reproduits au sol par les artistes. La similitude entre ce
projet et celui de Baralink à Soweto est frappante. Certes, le fait que, dans les deux cas, la compagnie
en charge du projet soit la même, à savoir Trinity Session, y est sans doute pour quelque chose. Mais,
cela semble insuffisant pour expliquer ce phénomène, puisque cette compagnie était aussi en charge
du projet de l’Eland qui, lui, était non participatif. Dès lors, on peut s’interroger sur les raisons de
cette géographie de la participation qui semble privilégier les périphéries à toutes les échelles.
Tout d’abord, on peut se demander s’il n’y a pas un facteur temporel qui expliquerait ce
phénomène. En effet, qu’il s’agisse du projet de Baralink ou de celui d’Hillbrow, Berea et Yeoville, ce
sont tous des projets de 2008, alors que celui de l’Eland à Braamfontein par exemple, qui est un
projet explicitement non-participatif, date de 2007. Cela serait-il l’indice d’une inflexion progressive
de la politique d’art public en faveur d’une application plus participative de la politique ? Car en effet,
le projet des murals de la « campagne d’éducation à l’environnement » réalisé à la même période
que les projets d’art public d’Hillbrow, Berea et Yeoville mais dans des espaces centraux du centreville, comprenait lui aussi initialement une dimension participative. Mais le manque de temps et
d’argent a compromis l’aspect participatif de ce projet. Est-ce à dire que la participation est appelée
à se développer aussi dans les espaces centraux du centre-ville ? Ou y a-t-il une incompatibilité plus
profonde entre participation et centralité, comme le suggère M. Miles (Miles 1997), la centralité
étant un facteur limitant de la participation ? Répondre à cette question supposerait d’étudier
l’évolution de la politique d’art public de Johannesburg à moyen et à long terme afin de pouvoir
vérifier ou non cette tendance.
En définitive, que ce soit à l’échelle de la métropole ou des quartiers, il semble bien y avoir
une différenciation centre-périphérie quant à la façon dont la politique d’art public est appliquée : les
centres sont les espaces privilégiés d’implantation de la politique d’art public, ce qui se traduit par
une surreprésentation des œuvres d’art public dans ces espaces, alors même que la politique d’art
public y est appliquée de manière non participative ; les périphéries sont des espaces présentant
actuellement une sous-représentation d’œuvres d’art public, qui est sans doute appelée à évoluer du
fait d’une diffusion de la politique d’art public hors du centre, suivant une logique qui favorise les
démarches participatives. En ce sens, l’application de la politique d’art public est bien spatialement
différenciée puisqu’elle ne s’applique pas uniformément sur l’ensemble du territoire métropolitain.
Pour autant, on peut se demander si elle est véritablement spatialisée, au sens où elle tiendrait
compte des spécificités des espaces dans lesquels elle s’applique en vue de s’y adapter au mieux.
L’absence de démarche participative dans les centres semble une limite à ce processus. Dès lors, on
144
peut se demander s’il n’y a pas des degrés de territorialisation de la politique d’art public, là encore
selon une logique centre-périphérie, la politique d’art public étant plus spatialisée, voire
territorialisée, dans les périphéries que dans les centres. Cette hypothèse reste aussi à confirmer par
une étude comparative à différentes échelles et diachronique.
Quoi qu’il en soit, on peut d’ores et déjà constater une différenciation spatiale en matière
d’application de la politique d’art public. Est-ce juste ? Au nom de quoi la politique d’art public ne
devrait-elle pas s’appliquer uniformément à tous les espaces de la métropole, alors même que cette
politique est définie à et pour l’échelle métropolitaine ?
-
La territorialisation de la politique d’art public est-elle juste ?
Se poser la question du caractère juste de la territorialisation des politiques publiques revient
à se demander s’il est juste d’appliquer uniformément une politique publique sur l’ensemble des
espaces du territoire concerné par cette politique, même si ceux-ci sont différents, ou s’il faut, au
contraire, prendre en compte ces différences au vue d’appliquer le plus équitablement possible cette
politique publique sur l’ensemble du territoire concerné ? Selon L. Vodoz, si le but d’une politique
publique consiste à la fois à valoriser les territoires et à lutter contre les inégalités spatiales, ce qui
semble être l’objectif de la politique d’art public de Johannesburg, alors la justice spatiale
« correspond à une logique d'équité bien davantage que purement égalitariste »82. Ce qui serait
spatialement juste consisterait donc à appliquer les politiques publiques en fonction des besoins des
espaces, et non de la même façon à tous, dans la perspective d’une réduction des inégalités entre
eux. Ceci correspond à la logique redistributive prônée par J. Rawls dans sa Théorie de la justice
(Rawls, 1961), où il justifie les inégalités dans la mesure où celles-ci conduisent à une amélioration du
sort de tous, donc nécessairement aussi au profit des plus faibles. Les inégalités sont justes en tant
qu’elles permettent de parvenir à une plus grande équité (fairness). Ainsi le fait que la politique d’art
public de Johannesburg ne soit pas appliquée uniformément sur l’ensemble du territoire de la
métropole n’est pas en soi l’indice d’une politique spatialement injuste. Mais elle ne saurait être
juste qu’à condition que l’application de cette politique conduise à une plus grande équité
territoriale.
Or, certes l’application de la politique d’art public, en privilégiant les centres, semble
renforcer les inégalités territoriales existantes au lieu de les atténuer, ce qui apparaît contraire à la
82
L. Vodoz, 2008, « Territorialisation des politiques publiques et équité spatiale », Communication présentée
au colloque « Justice et injustices spatiales », Université Paris-Nanterre, 12-14 mars, p. 3.
145
notion même d’équité territoriale. Mais si l’on suit l’analyse de B. Bret qui tente d’appliquer les
théories rawlsiennes aux inégalités territoriales, la question du caractère injuste d’une inégalité est
plus complexe qu’il n’y paraît lorsqu’il s’agit d’espaces organisés sur le modèle centre-périphérie
(Bret, 2009). Dans ces conditions, il s’agit en effet non seulement de savoir si les politiques publiques
contribuent ou non à renforcer les inégalités territoriales, mais aussi de déterminer si la mise en
valeur du centre par l’art public peut être profitable à la périphérie. Si tel est le cas, alors favoriser le
développement du centre ne nuit pas forcément à la périphérie, mais peut au contraire permettre
son développement. Dès lors, l’inégalité d’application de la politique d’art public en faveur du centre
pourrait être juste. Et en effet, la politique d’art public semble progressivement se diffuser du centre
vers la périphérie à toutes les échelles. Si cette tendance se confirme et se généralise à toutes les
périphéries, y compris celles qui semblent délaissées aujourd’hui, comme Joubert Park, alors
structurellement, la politique d’art public pourrait être juste.
Reste que même si cette politique est juste sur le plan structurel, elle ne l’est pas
nécessairement sur le plan procédural. En effet, si l’on se réfère à la théorie de la justice d’I. M.
Young (Young, 1990) qui récuse celle de J. Rawls, notamment en considérant que toutes les inégalités
ne sont pas quantitatives et donc non redistribuables, c’est en fonction des procédures que l’on peut
qualifier une politique de juste ou d’injuste selon qu’elle permet ou non aux différents groupes
sociaux d’exprimer leur différence. Dès lors, les politiques non-participatives, c’est-à-dire celles qui
ne prennent pas en compte les opinions des populations locales, comme dans le cas politiques
appliquées aux centres, sont injustes.
La politique publique de Johannesburg pourrait ainsi être qualifiée de juste sur le plan
structurel. En revanche, sur le plan procédural, tandis qu’elle serait juste dans les périphéries, il
faudrait la qualifier d’injuste dans les centres. Comment dès lors qualifier globalement une telle
politique ? Une politique peut-elle être en même temps juste et injuste ?
Au final, j’ai donc dégagé des tendances en matière de territorialisation de la politique d’art
public, tendances qui resteraient à confirmer afin de pouvoir répondre à la question concernant le
caractère juste ou injuste de cette politique, et donc concernant sa capacité à construire une
métropole juste. Néanmoins, le simple fait que cette politique soit appliquée par la municipalité
n’est-il pas déjà le signe que la Ville, en tant qu’autorité commune qui s’affirme comme légitime à
agir sur le territoire métropolitain, crée par là même un territoire métropolitain, uni et unique ?
146
b) L’affirmation de l’autorité municipale : la construction d’un territoire métropolitain aux
dépens des populations locales ?
Il s’agit ici d’envisager dans quelle mesure la municipalité, en intervenant dans l’espace
public par l’art public, parvient à s’affirmer en tant qu’autorité légitime à agir sur cet espace, se
réappropriant ainsi l’espace public de la ville pour en faire son territoire. Ce problème conduit à se
poser la question de la réappropriation politique de l’espace public par la Ville au moyen de l’art
public, bien que ce processus semble se faire aux dépens des populations locales que la Ville est
censée représenter et servir, et non pas avec elles. Je chercherai donc en quoi la politique d’art
public est une manière pour la Ville de construire le territoire métropolitain, avant de m’interroger
sur l’absence des populations locales dans ce processus.
- Une réappropriation politique de l’espace public par la municipalité
Le seul fait d’intervenir dans l’espace public est un moyen pour la Ville de réaffirmer sa
compétence à agir sur lui. Or le statut même des espaces publics à Johannesburg est
particulièrement flou. A Johannesburg, les processus de privatisation des espaces publics qui
affectent d’autres grandes villes du monde dans un contexte de mondialisation et de métropolisation
(Ghorra-Gobin, 2001) se trouvent accentués notamment en raison du contexte historique de cette
ville, où la notion d’espace public a été tronquée du fait de la ségrégation. Dès lors, le fait que la Ville
soit légitimée à intervenir dans ces espaces est aussi brouillé.
Dans ces conditions, l’art public en tant qu’intervention de la puissance publique dans les
espaces publics, permet à la municipalité de réaffirmer sa légitimité et son autorité. En effet, grâce à
l’art public, la municipalité se réapproprie les espaces publics dans toutes leurs dimensions :
physiquement, en y installant un objet d’art ; juridiquement, en se posant comme propriétaire de cet
espace ; symboliquement, en assignant à cet espace sa propre vision de la ville ; et enfin
politiquement, en se revendiquant comme autorité légitimée à agir dans cet espace. En ce sens, l’art
public contribue à ce que la Ville (re)prenne possession des espaces publics, à ce qu’elle en fasse son
territoire, celui de la métropole et de l’autorité métropolitaine. La mise en œuvre concrète de la
politique d’art public contribue de cette manière à construire le territoire métropolitain, à lui donner
matérialité et sens, alors même que son existence est récente et encore incertaine.
147
Ainsi, comme l’a montré C. Ruby pour qui l’art public se définit avant tout par son mode de
financement, c’est-à-dire un financement public, et non par le fait qu’il se trouve dans l’espace
public, « les arts publics réalisent une forme d’inscription de la collectivité dans l’espace de la
ville »83. L’art public initié et financé par les autorités publiques est donc un acte politique, une
réaffirmation de l’autorité publique dans l’espace au nom de la collectivité. Or, paradoxalement,
dans le cas de Johannesburg, cette réappropriation politique de l’espace public semble se faire sans
cette « collectivité », sans la population locale, voire aux dépens de celle-ci, en particulier dans le
centre-ville. Comment peut-on expliquer ce phénomène ?
-
Des populations locales négligées, oubliées ou niées ?
Comme je l’ai précédemment mis en évidence, la participation des populations locales dans
le cadre de la politique d’art public est souvent secondaire, sinon absente, notamment dans les
espaces centraux, alors que cette politique est conduite en leur nom.
Les entretiens que m’ont accordés les acteurs de la politique d’art public ont montré que
tous sont conscients du peu de participation présent dans cette politique. Mais cela peut être plus ou
moins assumé, et même revendiqué, selon les acteurs publics. Ainsi, S. Sack, directeur du
Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine m’a expliqué que :
« […] on n’a jamais demandé aux gens de voter pour un projet ou quoi que ce soit de ce
type, principalement parce que nous n’avons ni l’argent, ni le temps pour cela. Vous savez,
à chaque fois que vous faites quelque chose en plus, il y a un coût supplémentaire. Nous
essayons toujours de consacrer le maximum d’argent à l’artiste et à la production de
l’œuvre d’art. […] » (Entretien du 2 février 2009)
Le faible degré de participation de la politique d’art public de la Ville semble ici parfaitement assumé
par S. Sack au nom d’arbitrages financiers. L’idée est en effet que puisque la Ville n’a pas beaucoup
d’argent pour l’art public, il est nécessaire de faire des choix afin d’utiliser au mieux le budget. En la
matière, le Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine privilégie le financement de l’artiste
et de l’œuvre d’art, au détriment de la participation.
83
C.
Ruby,
2002,
« L’art
public
dans
http://espacestemps.net/document282.html, p .1
la
ville »,
in
EspacesTemps.net,
Actuel,
148
Mais si S. Sack semble assumer la faiblesse de participation comme un choix délibéré, la
position d’E. Itzkin, directeur-adjoint du Département des Arts, de la Culture et du Patrimoine, est
quant à elle moins claire :
« […] C’est [la participation] un domaine que nous avons encore à explorer. […] C’est
quelque chose auquel nous commençons à réfléchir, mais ce n’est pas encore une de nos
activités principales. Il faut bien un point de départ.
Q) Donc c’est une de vos nouvelles priorités ?
R) Je pense que oui… après vous avoir parlé. »
(Entretien du 2 février 2009)
La réponse d’E. Itzkin est intéressante non seulement parce qu’elle confirme la faible place
de la participation des populations locales dans cette politique, mais aussi parce qu’elle laisse à
penser, par sa dernière réplique, que ce n’est pas forcément quelque chose que le Département des
Arts, de la Culture et du Patrimoine avait véritablement envisagé.
D’ailleurs, de manière assez révélatrice, lorsque je posais la question de la place de la
participation dans les projets d’art public, notamment dans le cas de l’Eland, la réponse que
j’obtenais le plus fréquemment était qu’il y avait bien une participation locale, en la personne des
représentants des entreprises privées participant aux comités de sélection des œuvres. Quand il
s’agit du centre, les acteurs locaux sont donc le plus souvent identifiés aux entreprises privées
locales, les populations locales restant les grandes oubliées de cette démarche participative. A ce
titre, certains de mes interlocuteurs m’ont même dit, de manière confidentielle (off-record), que de
toute façon il n’y avait pas vraiment de populations locales dans le centre, donc personne à qui
demander son avis. Pourtant, quand on se promène dans le centre, ce n’est pas l’impression que l’on
en retire. Au contraire, le centre, dans la journée du moins, est un espace très animé, très fréquenté.
Populations locales voudrait-il alors dire populations résidantes ? Mais là encore, cette assertion
semble fausse, le linge suspendu aux fenêtres de certains immeubles du centre-ville par exemple
attestant que le centre est un espace habité. On peut alors se demander si cette affirmation ne fait
pas allusion au fait que les populations résidantes du centre-ville sont souvent des occupants
informels de logements laissés vacants, n’ayant pas forcément la nationalité sud-africaine, et
résidant parfois illégalement sur le territoire sud-africain. Ce sont donc des populations qui ne sont
pas reconnues officiellement par la municipalité. Dès lors, la faiblesse du processus participatif dans
le centre-ville peut aussi se comprendre comme un refus des autorités publiques de reconnaître
l’existence même de certaines populations.
149
L’art public est donc bien un instrument politique pour la Ville. Par l’art public, la Ville
construit le territoire métropolitain, et dit implicitement qui en fait partie ou non, qui a le droit d’y
participer ou non.
Les raisons de la faiblesse, voire de l’absence de la participation des populations locales dans
le cadre de la politique d’art public, et plus spécifiquement dans le centre-ville, sont donc multiples, à
la fois financières, stratégiques et politiques. Quelles que soient ces raisons, il n’en reste pas moins
que la politique d’art public est un outil d’affirmation de l’autorité métropolitaine sur le territoire de
la ville, allant parfois contre les populations qu’elle est censée servir.
Finalement, la politique d’art public, par les mécanismes qu’elle met en place et les acteurs
qu’elle mobilise, apparaît bien comme une clef de lecture pertinente pour penser la Ville de
Johannesburg comme métropole en définition qui construit son territoire. Dans cette perspective,
l’art public est promu par la Ville en tant qu’outil de sa redéfinition. Par l’art public la Ville entend
dire quelque chose d’elle-même. Mais l’art public, parce qu’il a une existence propre au-delà des
objectifs et des fonctions que les différents acteurs lui assignent, échappe souvent à ses créateurs.
L’art public, créé pour dire la ville, la révèle et la crée en retour. L’art fait œuvre de ville.
150
Conclusion
Au cours de cette étude, qui a été conçue comme une recherche exploratoire en vue d’un
travail de thèse, certaines de mes hypothèses initiales ont été confirmées, d’autres ont été infirmées,
et enfin quelques unes sont restées en suspens, tandis que de nouvelles pistes de recherche sont
apparues. Je me propose donc de faire un bilan de mon travail, avant d’en dresser les apports et les
limites théoriques aussi bien que méthodologiques, puis d’en dégager un projet de thèse.
•
Bilan
Par cette étude sur la politique d’art public à Johannesburg, j’ai mis en évidence le contexte
de naissance de cette politique, ce qui m’a permis de saisir le pourquoi de sa création, fruit d’une
opportunité mais aussi réponse à un projet de ville, consistant à changer l’image et l’identité de
Johannesburg pour dépasser les héritages de l’apartheid. Pour ce faire, l’art public issu de cette
politique a été conçu en prenant pour contre-modèle l’art public de la période de l’apartheid. De
plus, on a vu que la rédaction de la politique d’art public s’appuyait quant à elle sur un modèle de
politique d’art public d’une ville du Nord, en l’occurrence Tampa. Mais quoique le texte de la
politique d’art public de Johannesburg ait été largement calqué sur celui de Tampa, j’ai pu montrer
que dans la pratique, cette politique s’écarte parfois fortement du texte du fait des acteurs et des
processus mis en œuvre, écartement qui peut être interprété comme une certaine réappropriation
de la politique par les acteurs de la ville, ainsi que comme le fruit d’un ajustement aux contraintes
locales.
Concrètement cette politique se traduit par l’installation d’un certain nombre d’œuvres d’art
dans l’espace public de la ville. Ses œuvres sont essentiellement des objets d’art public assez
151
conventionnels dont la répartition spatiale actuelle révèle une surreprésentation dans les espaces
centraux à toutes les échelles. Par ailleurs, j’ai mis en évidence qu’il existait un décalage entre les
objectifs de production de ces œuvres et la réception effective de ces œuvres par le public, allant de
l’indifférence au détournement, en passant par la mésinterprétation.
Pourtant, ce décalage ne doit pas être vu comme la simple preuve d’un échec de la politique
d’art public de Johannesburg puisque, comme je l’ai souligné, ce décalage est aussi porteur de
potentialités en matière de création de la ville, que ce soit par les réappropriations – parfois
conflictuelles – dont il fait l’objet, ou par les mécanismes de gouvernance urbaine qu’il suppose. L’art
public participe en effet à l’élaboration d’identités locales et à la construction d’un territoire
métropolitain.
Dès lors, si la Ville crée de l’art public, l’art public crée aussi en retour de la ville.
•
Apports et limites
-
Théoriques
En termes de contenu, il est donc apparu au cours de cette étude sur la politique d’art public
à Johannesburg qu’il existait un véritable décalage entre les objectifs de la politique et les résultats.
Et ceci pour plusieurs raisons.
Tout d’abord si la politique d’art public de la Ville a bien été conçue dans le cadre d’un projet
de ville en vue de dépasser les héritages de l’apartheid, notamment en matière d’exclusion et
d’inégalités spatiales, le texte de la politique en lui-même reflète peu ce contexte local puisqu’il est
calqué sur un modèle international de politique d’art public d’une ville du Nord, en l’occurrence
Tampa. Cette faiblesse d’adaptation et de transposition est une première limite à l’efficacité de cette
politique.
Par ailleurs, les rapports de force entre acteurs qui font vivre cette politique sont tels que sa
dimension économique visant à faire de Johannesburg une ville mondiale, attractive pour les
touristes et les investisseurs, prend souvent le pas sur ses objectifs sociaux. Cela se traduit :
- dans les formes mêmes de l’art public produit qui est essentiellement composé d’objets
d’art « traditionnels », consensuels et convenus, qui n’ont apparemment pas d’autres fonctions que
d’embellir l’espace public, mais qui visent peut-être plus profondément à le contrôler ;
152
- dans la géographie de cet art public qui est surreprésenté dans les espaces centraux,
comme dans le centre-ville, et ceci à toutes les échelles.
Dès lors, l’art public tel qu’il est promu par la ville est avant tout un art dans l’espace public,
incapable d’agir sur les dimensions sociales ou politiques de cet espace.
Enfin, l’œuvre d’art public une fois exposée dans l’espace public échappe aux motifs initiaux
de sa conception et de sa production. Elle est alors l’objet d’usages, de pratiques, de
réappropriations ou de réinterprétations qui peuvent ou non être conformes avec les objectifs de sa
réalisation. Ainsi, les trois cas d’œuvres d’art public que j’ai étudiés ont permis de mettre en
évidence différents degrés de distorsion entre production et réception de l’œuvre : indifférence,
mésinterprétation, détournement. Est-ce à dire que la politique d’art public est incapable de changer
la ville, de la redéfinir et de la réinventer comme elle prétend le faire ?
En fait, ce décalage n’est pas nécessairement le signe d’une défaillance de la politique d’art
public, il est aussi et surtout une condition de possibilité à la construction même de la ville, que ce
soit sur le plan identitaire, social ou politique. C’est finalement ce décalage, en tant qu’interstice de
possibles, qui est créateur. Si la Ville fait bien œuvre d’art par la politique d’art public ; l’art fait donc
en retour œuvre de ville.
Pour autant quelques questions restent à aborder ou à approfondir à l’issue de cette étude.
Premièrement, la question de l’articulation des échelles concernant les modalités
d’application et les effets de la politique d’art public est un enjeu crucial que je n’ai fait qu’évoquer
jusqu’à présent. Il me faudra réfléchir plus avant aux interactions possibles entre ces échelles, aux
complémentarités ou aux contradictions qu’elles engendrent. Par exemple, il s’agirait de comprendre
quels effets peuvent avoir les opérations d’art public menées dans le centre-ville à l’échelle de la
ville ; ou bien encore de s’interroger de façon plus approfondie sur la territorialisation, c’est-à-dire
sur la mise en application de la politique d’art public métropolitaine à plus grande échelle, afin de
déterminer dans quelle mesure celle-ci est une spatialisation ou une territorialisation au sens fort.
Ceci nécessitera de conduire des études comparatives dans différents quartiers de la ville et sur le
temps long.
Deuxièmement, le problème de la corrélation éventuelle entre répartition et diffusion
spatiales des CID d’un côté, et des œuvres d’art public de l’autre, est à approfondir. Pour cela, il sera
153
nécessaire de s’intéresser plus directement aux CID afin de saisir à quelle logique spatiale ils
correspondent et de comprendre en quoi et comment l’art public peut être lié à cette logique.
Troisièmement, le questionnement concernant le rôle des modèles dans la diffusion et
l’élaboration des politiques d’art public mériterait également d’être poursuivi. Il faudrait alors se
demander non seulement de quels modèles et contre-modèles Johannesburg s’est servie pour
élaborer sa propre politique, mais aussi en quoi la politique d’art public de Johannesburg peut à son
tour devenir un modèle ou un contre-modèle à l’échelle de l’Afrique du Sud, de l’Afrique, des villes
du Sud, voire des villes du Nord, selon un effet retour. Dans cette perspective, il serait intéressant de
comparer Johannesburg avec d’autres villes, par exemple Le Cap, qui semble à son tour vouloir
adopter une politique d’art public.
Quatrièmement et dernièrement, certaines des thèses et des notions auxquelles j’ai eu
recours tout au long de mon étude mériteraient d’être approfondies. Je pense ici à la thèse de la
compatibilité entre identité et image d’un lieu dans le cadre d’une politique d’art public, telle qu’elle
est développée par J. McCarthy. Cette thèse, en particulier dans le cas des centres, mériterait d’être
confrontée à celle de M. Miles, pour qui la centralité peut nuire à la conciliation de tels objectifs.
L’étude du centre-ville a montré que la réponse était sans doute complexe puisque si, dans le centre
du centre-ville, la politique d’art public semble bien avant tout une politique d’image qui donne la
priorité aux objectifs internationaux par rapport aux objectifs locaux, cela n’empêche pas que cette
image crée en retour une identité de lieu, voire de quartier, comme dans le cas de l’Eland. Dès lors,
pour clarifier ce problème, il serait souhaitable de mener des études dans d’autres centres de la ville,
et ceci à différentes échelles, par exemple dans un centre à l’échelle de la ville comme Sandton, et
même dans le centre d’un quartier qui est en lui-même un centre, comme le centre de Sandton, ainsi
que dans le centre d’un quartier qui est une périphérie à l’échelle de la ville, comme Soweto.
Sur le plan des notions, il serait certainement pertinent de s’interroger plus avant sur la
notion de fragmentation identitaire afin de déterminer ci celle-ci peut faire sens et être éclairante
par rapport au cas étudié. Pour cela, il me faudra trouver une méthode d’enquête qui permette de
mesurer, ou du moins d’appréhender, une telle fragmentation.
En définitive, les pistes de recherche qui se dégagent ici sont donc essentiellement
comparatives et diachroniques. Le but est de comprendre en quoi la politique d’art public de
Johannesburg est spécifique et/ou exemplaire, tout en s’interrogeant sur ses modalités d’évolution
et d’adaptations au cours du temps.
154
-
Méthodologiques
Concernant les entretiens effectués, j’ai pu constater qu’il est assez aisé d’obtenir des
rendez-vous avec les acteurs publics, les médiateurs et les artistes en charge de la politique d’art
public. La plupart d’entre eux m’ont d’ailleurs parlé très librement de leur travail, n’hésitant pas à me
faire part de leurs projets, de leurs difficultés, et même de leurs erreurs. J’ai ainsi eu accès à un grand
nombre de documents, plus ou moins confidentiels, dans une mesure qui est allée bien au-delà de
mes espérances. Néanmoins, certaines de mes hypothèses faites à partir de l’analyse de ces
entretiens, comme par exemple la complémentarité des conceptions de l’art public entre les deux
dirigeants du Département des Arts, de la Culture ou du Patrimoine, ou encore l’absence d’une place
particulière du centre-ville dans les discours des médiateurs et des artistes, seraient à confirmer par
d’autres entretiens avec ces mêmes acteurs, afin de s’assurer que ces conclusions ne découlent pas
d’un biais méthodologique dû à la façon dont j’ai mené chaque fois les entretiens. Parmi ces types
d’acteurs, la seule personne que je n’ai finalement pas pu rencontrer est Laël Bethlehem, directrice
actuelle du JDA, plus par manque de temps qu’autre chose.
Par contre, il a été beaucoup moins évident, voire impossible, de rencontrer les acteurs
privés contribuant financièrement à cette politique, ce qui introduit nécessairement une lacune
importante dans l’analyse. Dès lors, il me faudra réfléchir à un moyen d’intéresser ces acteurs pour
entendre également leur point de vue sur la politique d’art public de la Ville à laquelle ils
contribuent.
En matière d’observations et de questionnaires, les trois études de cas que j’ai conduites ont
été particulièrement fructueuses. En effet, j’ai tout d’abord pu constater qu’il était possible de
réaliser des observations et des questionnaires dans l’espace public du centre-ville de Johannesburg,
même si cela est plus ou moins difficile selon les lieux, les horaires et les circonstances, la limite
principale étant d’ailleurs plus souvent mes propres peurs et appréhensions que le refus des
passants. Ces observations et ces questionnaires m’ont permis d’avoir une première approche des
pratiques et des représentations des usagers de l’espace public en rapport, et parfois sans rapport,
avec les œuvres d’art public. Pourtant, ces observations et ces questionnaires sont parfois
insuffisants, notamment pour saisir les représentations associées à une œuvre ou à un lieu au-delà
du lieu lui-même. Ils se révèlent même inopérants dans le cas des murals pour des raisons pratiques.
D’autres techniques d’enquêtes, consistant par exemple à réaliser des questionnaires ou des
entretiens à partir de photographies dans d’autres endroits de la ville, restent à concevoir et à
expérimenter pour pallier ces manquements.
155
•
Projet de thèse
Dans le cadre d’une thèse, il me semble donc pertinent d’approfondir la question de
l’interaction créatrice entre ville et art à travers une politique d’art public dans le contexte d’une ville
post-apartheid comme Johannesburg. Il s’agit donc de se demander dans quelle mesure la Ville qui
crée de l’art public pour se définir, est aussi créée, en retour, par l’art public. Dans cette perspective,
il me faudra m’interroger sur :
-
le statut de l’art public dans la ville, à travers les fonctions que les différents acteurs lui
assignent et les représentations dont il est l’objet.
-
la production urbaine au moyen de l’art public, ce qui suppose de questionner la capacité de
l’art public à créer de la ville, à faire ville, en tant qu’espace et territoire (politique,
symbolique, vécu).
-
les modalités d’appropriations des œuvres d’art public et des espaces publics dans lesquels
ces œuvres sont installées par les différents usagers de cet espace (passant, habitant,
touriste), et ceci à différentes échelles (lieu, quartier, ville, pays, monde), tout en cherchant à
comprendre comment l’œuvre d’art public peut devenir patrimoine.
-
la manière dont se construit, se diffuse et est transposé un modèle, en portant une attention
particulière aux échelles et aux temporalités de ces processus.
Au final, l’enjeu est de comprendre comment à la fois la ville produit et est produite par l’art.
L’originalité du projet tient donc non seulement au fait que l’œuvre d’art est utilisée comme élément
à part entière pour penser la ville, mais aussi au fait que cette étude est pour la première fois menée
dans une ville du Sud, plus particulièrement dans une ville post-apartheid, soit une ville pour laquelle
la question de sa (re)définition, de sa (ré)invention est cruciale.
Mon projet s’inscrira donc dans trois corpus bibliographiques et théoriques :
-
un corpus sur l’art dans la ville, que j’ai déjà commencé à défricher dans cette étude autour
des thèses de J. McCarthy et M. Miles portant respectivement sur la conciliation possible
entre identité et image, et entre objectifs locaux et internationaux dans les politiques d’art
public. Ce pan de la bibliographie me reste à approfondir pour déterminer dans quelle
mesure ces thèses s’appliquent au cas de Johannesburg;
156
-
un corpus sur la ville post-apartheid, que je consulterai en m’intéressant plus spécifiquement
aux questions du patrimoine, de la mémoire, et de la réconciliation, et en m’appuyant
notamment sur les analyses de Z. Minty à propos de la fonction de l’art public comme
élément de réparation symbolique par rapport à l’apartheid ;
-
un corpus sur la fabrication des territoires, plus précisément sur la question de la
territorialisation discutée par A. Dubresson et S. Jaglin, question que je n’ai fait pour l’instant
qu’aborder assez sommairement parce qu’elle n’est apparue qu’au cours de mes recherches
sur le terrain, et non dans mon questionnement initial.
Sur le plan méthodologique, il s’agira de reprendre les techniques d’enquête qualitatives que
j’ai utilisées dans cette étude : entretiens, questionnaires et observations, en les améliorant et en en
développant de nouvelles à partir des limites que j’ai mises en évidence. Cette approche sera
complétée et enrichie par des outils d’enquête quantitative tels que la cartographie et le traitement
statistique des données obtenues.
Dans cette perspective, trois séjours de cinq mois sur le terrain, essentiellement à
Johannesburg et en Afrique du Sud, soit un séjour par an afin de mener à bien le projet sur une
période de trois années, seront sans doute nécessaires pour mesurer les évolutions de la politique
d’art public de Johannesburg à moyen terme et mettre en place des études comparatives à
différentes échelles. Le premier terrain pourrait par exemple porter sur l’étude de Soweto, et plus
particulièrement, étant donné la superficie de Soweto, sur certains quartiers qu’ils me restent encore
à définir, étude qui serait menée en parallèle avec celle de Sandton en vue d’apporter des éléments
de réponse concernant la territorialisation de la politique d’art public à Johannesburg et l’influence
de la centralité dans cette territorialisation. Le second terrain pourrait se faire hors de Johannesburg,
au Cap notamment, voire dans d’autres villes d’Afrique du Sud ou d’Afrique, pour travailler sur la
question des modèles. Le troisième terrain, enfin, pourrait être un retour à Johannesburg, et plus
spécifiquement sur les espaces précédemment étudiés, le centre-ville, Sandton, un ou plusieurs
quartiers de Soweto, afin de mesurer les évolutions par rapport aux premières études.
157
Table des illustrations
Cartes
Carte 1.1
L’organisation administrative de Johannesburg
Carte 2.1
Le(s) centre(s) de Johannesburg
Carte 2.2
L’inégale répartition des œuvres d’art public dans le centre-ville
Encadrés
Encadré 1.1
Les « autorités métropolitaines » en Afrique du Sud
Encadré 1.2
Les réinventions successives de Johannesburg à travers ses slogans depuis la fin de
l’apartheid
Pages Internet
Page Internet 2.1
Entête de l’article consacré à l’inauguration de l’Eland ou quand l’Eland
devient un outil promotionnel
Page Internet 3.1
Page d’accueil du BMD, l’Eland emblème de Braamfontein ?
Photographies
Photo 1.1
Le « monument des mineurs » de Johannesburg, exemple-type de l’art public de
l’apartheid
Photo 2.1
La sculpture dédiée à Raymond Dart par le Sunday Times, une œuvre d’art public
minimaliste
Photo 2.2
Le projet de J. Wafer, une œuvre d’art public discrète ?
Photo 2.3
Le projet de C. van der Berg, un œuvre d’art public iconique ?
Photo 2.4
Statue de Carl von Brandis à son emplacement initial, une œuvre d’art public hors de
l’espace public ?
Photo 2.5
La statue de Carl von Brandis, objet de détournement ?
Photo 2.6
Performance d’art public en face de la statue de Carl von Brandis, ou comment
redonner sens à un objet d’art public
Photos 2.7-2.8 Le mural du Metro Mall, quel message?
158
Photo 2.9
Le mural du Carr Street, un mural apprécié ou ignoré ?
Photo 2.10
Le mural réalisé pour la « journée africaine », exemple-type d’une irrecevabilité du
message ?
Photos 3.1-3.2 Les statues de Gandhi (à gauche) et de Carl von Brandis avant rénovation (à droite),
une ressemblance troublante
Photo 3.3
Sculpture de main en béton de C. van der Berg à Baralink (Soweto), une œuvre d’art
public participative
Photos 3.4-3.5 Participation en acte, atelier préparatoire avec des enfants du quartier dans le parc
Donald Mackay à Hillbrow (à gauche) en vue de la réalisation d’œuvres d’art public (à
droite)
Schéma
Schéma 1.1
Les acteurs intervenant dans la politique d’art public de la ville
Schéma 2.1
L’espace public après réaménagement au croisement de Bertha et Ameshoff Streets
Schéma 2.2
Projet de déplacement de la grille de la High Court, rendre la statue de Carl von
Brandis à l’espace public
Tableaux
Tableau 1.1
Comparaison de la forme des politiques d’art public de Tampa et de Johannesburg
Tableau 1.2
Confrontation des arguments utilisés par les dirigeants du Département des Arts, de
la Culture et du Patrimoine, S. Sack et E. Itzkin, en faveur de l ’« art public » par
rapport à ceux utilisés dans le texte de la politique d’art public
Tableau 1.3
Les motivations des médiateurs pour faire de l’« art public »
Tableau 2.1
Les critères de sélection pour chacune des études de cas
159
Bibliographie
Ouvrages
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163
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Bag Factory, http://www.bagfactoryart.org.za/
Blog d’Ismail Farouk, http://www.ismailfarouk.com/
BMD, http://www.braamfontein.org.za/
Johannesburg Development Agency (JDA), http://www.jda.org.za/
Ville de Johannesburg, http://www.joburg.org.za/
Ville de Tampa, Politique d’art public,
http://www.tampagov.net/dept_art_programs/programs_and_services/Public_art_guidelines/
164
Annexes
165
DEPARTMENT OF COMMUNITY DEVELOPMENT
ARTS, CULTURE AND HERITAGE SERVICES
PUBLIC ART POLICY
166
1. Preamble
A vibrant public art programme offers a range of benefits and opportunities for enhancing the
urban environment, increasing the use and enjoyment of public space, and building social
cohesion. Public Art provides a means of celebrating Johannesburg’s unique culture,
diverse communities and rich history. It offers shared symbols which build social cohesion,
contribute to civic pride and help forge a positive identity for the city. Through this art, the
City projects its collective identity and vision, while individuals and community groups in
neighbourhoods are also empowered to also express their unique identities.
Public art supports the creative industries, creating opportunities for artists, designers and
fabricators. Further, public art acts as a catalyst for development and economic growth
through raising confidence, attracting visitors and stimulating investment.
Public safety is another potential benefit of a vibrant public art programme. Where the urban
environment is upgraded through public art, this gives a sense that the area is being cared
for, and thus dissuades criminal activity.
The City recognises the cultural diversity of the Johannesburg’s population, and shall
incorporate diversity in all aspects of the Johannesburg Art in Public Places Programme.
The means of promoting diversity shall include the following:
a)
Commissioning artworks throughout Johannesburg’s neighbourhoods
b)
Ensuring representation of Johannesburg’s multi-cultural community among
selection panels and artists selected for commissions
c)
Acquiring artworks in a wide variety of styles and media
d)
Encouraging new art forms as well as established and traditional
forms of art
2. Mission
167
To celebrate Johannesburg’s unique character and identity and enhance the urban
environment through a vibrant, diverse city-wide programme of public art.
3. Purpose of the Public Art Policy
The Public Art Policy aims to promote good management of public art in Johannesburg, to
encourage new forms of creative expression, to create opportunities for artists, and to
provide for the ongoing maintenance of public art. The policy offers the rationale for the City
of Johannesburg’s Art in Public Places Programme, and identifies roleplayers,
responsibilities, and procedures to be employed in launching and implementing this
programme.
The objectives of the City’s Art in Public Places Programme are:
1. To enhance the public urban environment and profile the image of the city through an ongoing and dynamic programme of public art
2. To increase public awareness and enjoyment of the visual arts
3. To stimulate the creation of new works and the growth of arts-related businesses within
the city
4. The Public Art Action Plan
Each year the co-ordinator of the Art in Public Places Programme (the Manager: Public Art)
shall prepare a Public Art Action Plan that identifies prospective new projects and reports on
the status of ongoing projects.
The Public Art Action Plan will identify:
•
•
•
•
The status of ongoing projects
Prospective projects for the coming year
Budgets for prospective City projects
Public art projects initiated from outside of Council, including private developments, to be
reviewed by the City’s Public Art Approvals Committee
Development of the Public Art Action Plan should coincide and be co-ordinated with
Council’s annual Capital Budget planning. This planning process for public art is intended to
facilitate project identification, but does not preclude introducing projects at other points
during the year.
The Public Art Approvals Committee will review the Action Plan in order to select new
projects for the coming financial year. The selection will be made on the basis of opportunity,
impact and geographical distribution, as well as administrative capacity and available budget.
The following criteria will be considered in the selection process:
a)
b)
c)
d)
Projects where the artwork can have the greatest positive impact on
the site, the surrounding community, and on the City as a whole
Widespread and equitable of projects in neighbourhoods throughout
the City
Projects with strong pledges of community support or private
funding
Projects in the early stages of design that allow the artwork to be
fully integrated with the project design
168
e)
Equitable distribution across City Departments and UACs, based on
the portion of funds contributed to the Public Art Fund.
Once approved by the Public Art Approvals Committee, the Public Art Action Plan shall be
submitted to the Executive Mayor for approval.
5. Selection of Artworks
Depending on the project requirements and available budget, the selection of public artworks
can be done in the following ways:
1. Open Competition. The City calls for all qualifying artists to submit
proposals for evaluation by an art selection panel. Open competitions can generate
public interest and attention but may be by-passed by well-established artists. Open
competitions are also more costly and time-consuming to run because of the number of
submissions received.
2.
Open/Invitational Competition. The City invites specific artists as well as other interested
artists to submit proposals for jurying. This format allows opportunities for lesser-known
artists to participate, while attracting the higher profile and particular talents attached to
‘name’ artists.
3.
Invitational Competition. An invitational competition may be deemed appropriate for
attracting artists with a particular specialisation or having a special connection to the
subject matter of the proposed artwork.
4.
Direct Selection. The artist is chosen directly by the Public Art Approvals Committee or
Selection Panel.
5.
Direct Purchase of Existing Artwork
In the case of a competition, early notice should be given to artists that a competition is
pending. This should be widely advertised to reach a broad, diverse constituency. Proposal
calls will be made through newspaper notification and may be expanded through such
avenues as arts organisations, specialist publications and the City of Johannesburg Website.
The call to enter should contain all the information necessary for artists to make an informed
decision regarding entry.
Proposal calls must include:
•
•
•
•
Criteria for eligibility of entrants
Details of the project such as concept, location, site data, materials, budget, etc.
Submission requirements: format, media, maquette requirements, etc.
Procedural requirements including information on delivery and return of submissions
Proposals will be assessed according to the following criteria:
a)
b)
c)
d)
Consistency in meeting the requirements of the project brief
Appropriateness to the site or facility, its architecture and function
Artistic excellence, including quality of the artists’ previous work
Durability, maintainability and potential for vandalism.
169
6. Programme Staff
Responsibilities of City of Johannesburg personnel attached to the Art in Public Places
Programme will include:
•
•
•
•
•
Developing the Public Art Action Plan
Arranging meeting of the Public Art Approvals Committee
Implementing selected Projects
Liaising with City Departments and UACs
Consultation with community stakeholders and other interested and
affected parties
7. Public Art Approvals Committee
The Art in Public Places Programme involves the acquisition of unique products and services
which need to be evaluated by a specialised body of experts in consultation with community
representatives and other stakeholders.
A Public Art Approvals Committee (hereafter referred to as the PAAC) should accordingly be
established to guide the selection process.
The PAAC will be responsible for overseeing the selection of projects, sites and artists. The
Committee is also responsible for advising on other aspects of programme planning such as
review of design, fabrication and installation of artworks, maintenance, relocation and
removal of works from the City’s collection.
The PAAC will consist of nine core members representing a range of diverse interest groups
and communities. Committee members should be knowledgeable in public art trends and
artists, architecture, urban planning and related design fields. Diversity of cultural
background, professional skills and interests shall be considered in making appointments to
the PAAC.
Members of the PAAC shall be Johannesburg residents who are appointed by the Director of
Arts, Culture and Heritage Services. The term of office for the PAAC shall be for three (3)
years and no member shall serve more than two consecutive terms.
Committee members serve without compensation, but may be reimbursed for travelling and
other expenses consistent with City Policy.
In addition to regular Committee members, the following individuals are to be consulted by
the Committee wherever applicable: the Ward Councillors of the area for which the artwork is
proposed; officials from Johannesburg City Parks
or other affected Council Departments or UACs; as well as representatives from the relevant
heritage authorities to be consulted for public art projects intended for designated heritage
sites.
Meetings of the PAAC shall be chaired by the MMC for Community Development. The said
MMC may also exercise delegated powers to approve the acquisition of artworks as
recommended by the PAAC.
The role of the PAAC will include the following:
• To review and advise on all proposed artwork gifts and donations to the City
• To review and advise on public art projects implemented by the City of Johannesburg
• To advise staff on the operation of a maintenance programme for public art
170
• To encourage the development of public-private partnerships for public art
8. Artist Selection Panels
The Public Art Approvals Committee will advise on the artistic parameters for particular
projects, and may establish a selection panel to evaluate submissions and select the artist/s
who will be commissioned to complete the project, or the PAAC may act as the selection
panel themselves.
Selection Panels are ad hoc panels assembled to select an artist and/or artwork. Panels
should reflect the cultural, racial and gender diversity of the City. The number and
composition of the panellists may vary depending on the complexity, scale and location of
the project. In general, panels will have a minimum of three voting members and a maximum
of seven (striving to appoint an uneven number). Panel composition should typically include
the following as voting members:
•
•
•
•
Representative from the Department/s responsible for the facility
Ward Councillor and/or neighbourhood representative
Professional Artist/s
Architect or urban design professional
Community representatives will be invited to serve on selection panels to ensure community
input into the planning for each public art project.
9. Artist’s Warranties
Artists contracted by the City shall assure the following warranties:
•
•
•
The art is unique and original and does not infringe any copyrights
Execution and fabrication of the art will be performed in a professional manner
The art as installed by the artist will be free of defects in material and workmanship
10. Gifts and Donations
Historically, gifts of public art presented to the City have formed a major part of the collection.
Gifts of public art should continue to be an important source of new material. Funds for the
maintenance of the public art collection are however limited, as are the number of sites on
municipal property that may be suitable for gifts or other future public art projects.
A careful review process must therefore evaluate proposed gifts of public art according to the
mission, goals and selection criteria that guide the programme as a whole.
Proposed new gifts will be assessed and reviewed to ensure that the acceptance of such
gifts takes place in a fair and consistent manner and supports the goals of the City’s Art in
Public Places Programme. Proposed gifts of public art shall be reviewed by the Public Art
Approvals Committee in the same manner as proposals for commissions or purchases by the
City, and be subject to the same criteria that guides the public art programme as a whole.
Factors to be considered in assessing gifts will include the City’s commitment to creating a
diverse collection of public art, artistic merit, site suitability, as well as Council’s liability and
maintenance.
Memorial gifts shall also be judged on the following criteria:
1. Representation of broad community values
171
2. The person, group or event being memorialised must be deemed significant enough to
merit such an honour
3. The location suggested or chosen for the memorial should be appropriate: generally,
there should be a sound historical and/or geographical justification for the memorial being
located at a particular site.
The donor should underwrite the costs of installation and maintenance of the artwork.
Unless specific exemption is granted by the PAAC, the donor shall contribute 5% of the total
commission cost towards maintenance of the item concerned, to be deposited upfront in the
Public Art Fund.
11. The Percent for Public Art
The Percent for Public Art Policy requires that up to one percent (1%) of the construction
budget of all major city building projects (R 10 million or more) be devoted to public art. A
maximum of 1 % of major capital projects should be devoted to public art, and contributions
below that level are acceptable.
The one per cent for public art will be levied on all capital projects for building construction
/renovation carried out by the City of Johannesburg. The percentage is calculated on the
total construction/ renovation costs of public buildings and facilities, including design fees
and landscaping. All projects meeting these criteria will be deemed eligible for the public art
levy and contribute to the Public Art Fund unless Council approves specific exemptions for
particular projects.
Funds from the percent for public art will be used towards the development of art to be
displayed in public areas, including the commission, design, purchase and installation of
works of art, as well as the employment of administrative staff connected thereto.
The Percent for Public Art Policy shall be implemented through open and publiclyaccountable processes.
12. The Johannesburg Public Art Fund
The Public Art Fund is an account that is set up to receive funds appropriated for the City’s
Art in Public Places Programme. This includes funds from City appropriations for this
purpose as well as funds from donated to the City by private benefactors, developers or
other sources.
The City of Johannesburg may apply to external sources for funding of specific projects, with
the funds being deposited in the Public Art Fund.
The Public Art Fund shall be used exclusively for expenses relating to the Johannesburg Art
in Public Places Programme, including the administration, selection, commissioning,
acquisition, maintenance and relocation of works of art.
Construction projects contributing to the Public Art Fund will receive preferential
consideration in the allocation of artworks. However, not all sites may receive artworks. One
of the benefits of the fund is that it is not necessary that all public art projects be linked to a
city Capital project. There are places in the City that merit art projects where there is no
immediate construction planned.
13. Signage and Public Information
172
The City shall where appropriate provide a plaque or sign adjacent to the artwork furnishing
the name of the artist and title of the work, date and other relevant information.
The completion of a major public art project will be announced by a press release, a
dedication or unveiling ceremony or other means of communication.
The City will maintain a database of public art located throughout Johannesburg, describing
the artworks, documenting their history and recording their state of conservation. The
database will be made accessible to researchers and the broader public, with copies made
available at the Michaelis Art Library in the City’s Central Library Building and at the
Johannesburg Art Gallery.
14. Maintenance
Works of public art belonging to the City shall be inspected periodically and the City be
maintained in the best possible condition. The Office of the Manager: Public Arts will monitor
such maintenance. The City shall make reasonable attempts to consult the artist on major
changes or repairs that differ from those suggested in the artist’s maintenance
recommendations at the time of acquisition. Where appropriate, the City may offer the artist
the opportunity to do the work or to supervise it. The City shall however reserve the right to
make minor repairs without consulting the artist.
15. Alteration, Re-Siting, Removal or De-acquisition of Artworks from the Collection
The City may at its sole discretion relocate, remove or deacquisition a work of art. When
such steps are contemplated, prior consultation with the artist will however be sought. No
artwork shall be changed, relocated or removed from a site integral to the concept of the
work without first consulting with the artist if reasonably possible. The artist shall notify the
City of any change of address.
Relocation of a work of art may be recommended where the site has become inappropriate:
for example, it is no longer publicly accessible; the artwork may be at risk of vandalism; the
physical setting is to be radically altered or destroyed; or the artwork may be displayed to
better effect at a new site.
Because the City has a responsibility for conserving the Public Art Collection, the deacquisition of a work of public art should be a careful, deliberate and seldom-used procedure.
Consideration of removing an existing work from the collection should receive the same
careful review as a decision to acquire a new artwork. The decision-making process should
be informed by professional judgement, broad public interest, and Council’s stewardship role
of the City’s cultural heritage. Artworks should not be disposed of simply because they are
not currently in fashion, because their worth has not yet been recognised, or because they
may be challenging or controversial. Public art has a long historical tradition of controversy;
public art may continue to be controversial and often is.
A work of art may however be considered for removal or de-acquisition for reasons including
the following:
•
•
•
•
•
The artwork may be found to be offensive, hurtful or discriminatory
A work has received adverse public reaction, which is well-founded, from a significant
number of individuals or organisations.
The work causes excessive or unreasonable maintenance
It has been damaged irreparably or to an extent where restoration is impractical
It presents a physical threat to public safety
173
Any recommendation to remove a work of art from public view or de-acquisition the artwork
(remove from Council’s collection) should be made to the Public Art Approvals Committee
and shall require a majority vote of the full membership of the Committee. An artist whose
work is being considered for such removal or de-acquisition shall be notified and be invited to
address the Public Art Approvals Committee. The views of the Department/s responsible for
the site and other stakeholders will also be sought.
Final approval for de-acquisition shall be required from Council. The Administrator of the Art
in Public Places Programme will prepare a report for Council. The report will include:
reasons for suggested removal or de-acquisition; history and evaluation of the work; and
suggested courses of action and costs.
Where appropriate, the following courses of action may be considered, in order of
preference:
1)
2)
3)
Relocate the work of art
Remove the work from display and place it in storage
Exchange, sale or disposal of the work of art.
All proceeds from the sale of public works of art shall be deposited into the Public Art Fund
for the maintenance and repair of the City’s public art collection.
16. Removal of Unwanted Graffiti
Special attention should be given to keeping major landmarks and declared heritage sites
clear of unwanted graffiti. Working under the direction of the Manager: Public Art, an AntiGraffiti Rapid Response Unit will be responsible for the timeous removal of objectionable and
unwanted graffiti from key points. Further, the City should be pro-active in protecting
prominent sites from unsightly graffiti by, where appropriate, applying treatments to
discourage and/or repel graffiti.
17. Policy Review
Effective implementation of the Public Art Policy will require ongoing monitoring and review.
A review of public art policy and practice will be carried out over a three-year cycle.
174
Grilles d’entretiens
Pour les acteurs publics
1) Présentation de la politique d’art publique
de la ville
- date de création
- but de cette politique
- lien aux autres politiques de la ville
- rôle de la personne interrogée dans cette
politique : sa fonction, ses objectifs, ses
conceptions en matière d’art public
2) Moyens mis au service de cette politique
- moyens financiers (budget annuel ; mode de
financement – 1% art, mécénat…)
- moyens institutionnels (quel(s) service(s) de
la municipalité sont chargé(s) de cette
politique ; rôle de l’agence de développement
de Johannesburg – JDA ; délégation à des
entreprises
privées
pour
installation,
entretien…)
- moyens humains (nombre d’intervenants
publics)
1) Could you explain me what is « public art
policy » ?
- when was it created? Redefined (if it existed
during the Apartheid)?
- what do you mean by “public art policy”?
- how this policy is linked with other municipal
policies such as social policy or economic one?
- what is your personal commitment regarding
the public art policy: your function? your
goals? your own conceptions of public art
policy?
2) Means used to conduct this policy
- financial means (annual budget, mode of
financing – 1% of art, donations…)
- institutional means (which municipal
departments are in charge of this policy; what
about partnerships with public agencies –JDA,
private actors… > cooperation or conflict?)
- human resources (how many municipal
employees…)
3) Mode de prise de décision > prendre ex
d’une statue précise (ex. Eland à
Braamfontein)
- qui choisit les artistes en charge de la
réalisation d’œuvres d’art public ? Comment ?
Les
œuvres
d’art exposées
?
Leurs
emplacements dans la ville ?
- Pourquoi privilégier le centre-ville ?
Comment définissez-vous le centre-ville ?
3) Could you describe me the decision makingprocess (ex. Eland statue in Braamfontein)
- By who and how are chosen the artist in
charge of that policy? the works of art? their
location in the city?
- Why the inner city is especially concerned
with this policy? What is exactly the ‘inner
city’?
4) Résultats de cette politique
- nombre de projets réalisés, en cours, à venir
- existe-t-il des procédures d’évaluation
spécifiques de cette politique ?
- avenir de cette politique (quels projets,
inflexions, nouveautés envisagés)
- bilan personnel de l’interviewé sur la
politique d’art public menée
4) Evaluation of the public art policy
- How many projects already achieved?
Scheduled? In project?
- Is there any specific evaluation process
concerning this policy?
- How this policy is expected to evolve?
- What is your personal statement about the
public art policy in Johannesburg so far?
175
Grilles d’entretiens
Pour les artistes et médiateurs
1) Qu’est-ce que l’ « art public » pour vous ?
1) What is ‘public art’ for you?
2) Mode de participation à la politique d’art
public
- comment vous êtes-vous retrouvé impliqué
dans cette politique ? (démarche personnelle,
sollicitation de la municipalité…)
- à quelle occasion avez- vous participé à cette
politique d’art public ?
- à quelle fréquence y participez-vous ?
2) How do you contribute to public art policy?
- how have you been involved in that policy ?
(municipality request, personal step…)
- when and for which projects have you been
participating to that policy?
- how often do you participate to that policy?
3) Motivation personnelle et artistique à cette
participation
- pourquoi avez-vous eu envie de participer à
cette politique ?
- comment avez-vous conçu votre œuvre (lien
aux attentes du commanditaire, au lieu, aux
œuvres précédentes…) ?
- Dans quel but (symbolique, commémoratif,
provocateur, politique…)?
- lien à la ville de Johannesburg (lieu de
naissance, de résidence, de travail…)
4) Bilan de cette participation
- apport personnel (financier, renommée,…)
- d’autres projets prévus avec la ville ?
- avis général sur la politique d’art public
3) Why are you involved in public art?
- why participating to that policy?
- how do you conceive your projects of public
art (according to the commissioner, to the
place, …) ?
- What are your goals by doing public
art (symbolic, commemorative, political, …)?
- what are your personal bonds with the city
(you were born / live/ work here…)?
4) What is your assesment of your
participation to that policy so far?
- personal benefits (financially, fame,…)
- do you have other projects scheduled with
the city?
- what is your general statement about public
art policy?
176
Grilles d’entretiens
Pour les acteurs privés
1) Qu’est-ce que l’ « art public » pour vous ?
1) What is ‘public art’ for you?
2) Mode de participation à la politique d’art
public
- à quelle occasion avez- vous participé à cette
politique d’art public ?
- quelles sont vos relations avec les différents
services publics en charge de l’ « art public »
(Département des Arts, JDA,…)
- comment l’ « art public » s’intègre à votre
stratégie globale ?
2) How do you contribute to public art policy?
- how have you been involved in that policy ?
(municipality request, personal step…)
- what are your relations with the different
public agencies in charge of the public art
policy (Department of arts, JDA…)?
- how is ‘public art’ linked with our firm
strategy?
3) Raison de cette participation
- pourquoi participer à cette politique ?
- Dans quel but ?
- lien à la ville de Johannesburg ?
4) Bilan de cette participation
- apports (financier, …)
- d’autres projets prévus avec la municipalité ?
- avis général sur la politique d’art public
3) Why are you involved in public art?
- why participating to that policy?
- What are your goals by doing public art?
- what are your bonds with the city?
4) What is your assesment of your
participation to that policy so far?
- benefits (financially, …)
- do you have other projects scheduled with
the municipality?
- what is your general statement about public
art policy?
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189
190
City of Johannesburg
egion
PO
CJ Cronjé
Box 1477
Building
80
Joh
Tel
11 376 8529
+27(0)
www.joburg
.org.za
CAMPAIGN NAME: ENVIRONMENTAL EDUCATION CAMPAIGN
CAMPAIGN ELEMENT: ARTS PROJECT
PROJECT NAME:
CLIENT:
Concept, designing, message and
community involvement in beautifying the
Inner City through an artistic mural at five
entry points to the City
Shaun O’Shea
Manager: Stakeholder Management &
Liaison
Region F
011 376 8530
[email protected]
DESCRIPTION:
Artistic mural communicating the anti-litter
message in the city and beautifying a wall
which is an entry point to the city.
September 2007
DATE OF BRIEF:
November 2007 – June 2008
DELIVERY DATE:
191
R 100 000
BUDGET
October – June 2008
DURATION OF CAMPAIGN:
BACKGROUND:
The Executive Mayor of the City of
Johannesburg hosted an Inner City Summit
on 5 May 2007, which has resulted in an
Inner City Charter (Business plan for the
Inner City over the next 5-10 years).
An intense process of engagement with
stakeholders and officials were critical to the
formulation of this plan. The stakeholder
working groups were divided in to the
following sectors:
Residential Development
Economic Development
Public Spaces, Arts Culture and
Heritage
Social Development
Transportation
Safety, Security and Urban
Management
Issues raised as part of the Urban
Management Safety and Security sector are:
Previously conducted blitzes,
campaigns and clean ups were not
sustainable
Poorly capacitated systems of by-law
enforcement, service co-ordination,
responsiveness to public nuisances
and the decline of the city
Region F includes the Inner City and a large
portion of the south of Johannesburg and for
this reason the implementation of the Inner
City Charter is critical to the growth,
development and regeneration of the Region.
The environmental education campaign is an
important aspect of the regeneration of the
Inner City through the creation of awareness,
sustainability and stakeholder awareness,
buy-in, participation and .
192
The Environmental Education Campaign is
aimed at creating awareness, participation,
sustained community involvement in keeping
our city clean, ensuring that by-laws are
enforced and ultimately a reduction in crime
and grime.
This environmental education campaign
attempts to address the issues raised in the
charter by:
OBJECTIVE:
Continuous communication
about the charter, commitments,
progress and achievements to
regenerate the city
Creating and maintaining
awareness of by-laws relevant to the
Region
Sustainable clean ups, ensuring
community participation and
commitment to the campaigns
Educate all stakeholders on how
they can assist to improve their
environment
Encourage civic pride
The ultimate objective of the environmental
education campaign is to
1. Create awareness
2. Spread the information
3. Change the behaviour
of all Region F target audience.
KEY MESSAGES:
The City of Johannesburg’s by-laws are long
and complex it is envisaged that the agency
would extrapolate the main messages
relevant to our diverse target audience and
present them in a way that is understood
using both text and graphics.
Leaflets are required in the following
languages: English, Zulu, and French.
193
TARGET AUDIENCE:
The Inner City Charter included these sectors
and to ensure all areas are covered these
sectors are considered when evaluating the
target audience.
Sectors of the charter: Urban management,
Safety & Security, Public spaces, Arts,
Culture & Heritage, Residential development,
Social/ Human development, Transportation,
Economic Development)
PRIMARY TARGET MARKET
Inner City Residents, Migrants,
Commuters (Residential forums,
CPF, Body corporate, migrant
organizations) (PR, Advertising &
personal selling - community
involvement in clean up, volunteers
doing education and industrial
theatres in the area, through city
projects like the carnival)
SECONDARY TARGET MARKETS
Inner City Businesses this sector can
be reached through personal selling
at the JICBC meetings - possibilities
for partnerships and sponsorships of
advertising, communication/pr
Rational - Knowledge - ROI;
association with regeneration of the
area /campaign – reaching the target
market
Banking industry
Mining
Retail & food
Unions
Property owners
Insurance
Government
Entertainment
194
Manufacturing / industrial
(Standard bank, ABSA, First National,
Mining houses, Transnet, Telkom, Retails
Outlets (Edgars/ Edcon stores, foshini
group, Woolworths, Carlton Centre,
Braamfontien Centre, Clothing stores,
Food Stores/ restaurants, Theatres,
galleries, historical sites, liquor stores,
pubs, Legal facilities, con hill, high court,
hotels, Insurance companies), Industrial
Businesses (Manufacturing, production,
panel beating, filming); JICBC, Kagiso,
CJP, CIDS, Provincial government , etc)
Property Owners (SAPOA; Hotels;
Insurance co, Provincial government etc
Tertiary Institutions (CIDA, UJ, WITS,
JHB College, Boston College, Unisa,
CICI etc) Student involvement
research, volunteers as
ambassadors, through arts to
beautify the city graffiti corners,
murals, art in the parks, personal
selling etc, Horticulture
All Schools in the region (school of
the arts, preparatory, primary and
High schools in the area) Industrial
theatres, through arts to beautify the
city graffiti corners, murals, art in the
parks personal selling and influence
on parents, recycling bins, echo
programme WWF
All organized groups - region
(Churches, mosques, temples etc);
NGOs, Section 21 Companies,
Social Organizations,– advertising,
industrial theatres, personal selling
Formal & Informal Trader’s
organizations, Taxi Orangisations/
Associations / Ranks– advertising on
taxis, at the markets - educational
sessions through environmental
health, passing on the message to
their individual customers
Media (Editorials, press releases,
195
positive change stories, advertising
through Community papers,
Newspapers, Community radio,
Radio stations, Billboards, station
boards, taxis, buses, Screens in city,
)
Internal City of Johannesburg staff all
departments (all MOES – JDA,
EDU,JHB Tourism, City parks,
Water, Roads, EMS, Health, Sports
& Rec, Housing, Libraries & Info
services, Social services, Arts,
Culture & heritage, Central Public
Liaison, ward councillors, Ward
committees, mayoral committee,
Advertising Agency, speakers office
- junior council) PR / Personal selling
- Intranet/ Internet/ city newsletters,
internal competitions
SAPS; JMPD involvement in the
personal selling; handouts with
messages
Design, Edit, DTP and Print
REQUEST TO AGENCY
PRINT:
Quantity: 10 000 per language
Size: A5
Colour: Full colour throughout
Stock: 90GSM Web Gloss
DESIGN:
Hrs X 3 Booklets/Leaflets
4 X Authors corrections
4 x electronic proofs
2 x mock-up proofs
CONTENT:
Content generation (to include meetings,
researching, interviews, writing, editing and
proof-reading and co-ordinating with
designers to print-ready material)
196

Documents pareils