BB1 Lettres Françaises TH (fichier pdf 261kb)

Transcription

BB1 Lettres Françaises TH (fichier pdf 261kb)
Classe de Terminale H
Durée : 2 heures
Décembre 2015
Corrigé de l’examen de littérature
Domaine d’étude 1 : « Lire, écrire, publier »
Œuvre intégrale : Flaubert, Madame Bovary, 1857
Vous traiterez les deux questions suivantes :
Question 1
Dans le roman, Madame Bovary, que représente le personnage de Homais ? (8 pts)
I. H0MAIS = PERSONNAGE ESSENTIEL À L’INTRIGUE (rôle dramatique)
1. Omniprésence de Homais à partir de l’arrivée des Bovary à Yonville
L'étude des scénarios montre l'évolution générale du roman et comment Homais, d'abord simple
logeur de Léon, est devenu un personnage clef du roman, envahissant l'espace romanesque : il les
accueille à l’auberge, vient chez eux tous les jours, est le parrain de Berthe. Dans l’œuvre, son
personnage apparaît 223 fois, soit sous son nom Homais, soit sous le titre de pharmacien ou
d’apothicaire (soit plus que le prénom Charles ; seule Emma est plus présente !).
2. Rôle indirect mais déterminant de Homais dans l’intrigue
Il est chargé d’annoncer la mort du père de Charles à Emma (ce qu’il fait d’une manière particulière
) et à cette occasion il annonce qu’il a de l’arsenic dans son arrière-boutique, ce dont Emma se
souviendra. Il est donc le facilitateur de sa mort. C’est lui aussi qui incite Emma à aller à
l’opéra…où elle rencontrera Léon ou qui dit à Rodolphe et Emma qui vont en promenade à
cheval « De la prudence, surtout de la prudence » : promenade pendant laquelle Emma succombera
au charme de Rodolphe.
3. Rôle de « mauvais génie » pour le couple Bovary qu’il contribue à désunir
Il encourage Charles à entreprendre l’opération du pied bot alors que ce dernier ne possède pas les
compétences nécessaires ce qui anéantira la réputation de Charles et provoquera la séparation
définitive du couple.
II. HOMAIS = REPRÉSENTANT PRINCIPAL DE LA « BÊTISE » DANS LE ROMAN
1. Personnage vaniteux et imbu de lui-même
Il passe son temps à faire des discours creux ou erronés. Il a un avis sur tout (il a écrit un ouvrage
sur le cidre, a des théories sur le billard quand il fait une remarque à l’auberge, discute des mérites
des engrais lors des comices, etc…). Cet étalage de sciences se manifeste donc aussi bien oralement
que par écrit puisque qu’il se vante sans cesse d’être le correspondant du Fanal de Rouen. Dans
l’exercice de son métier de journaliste, il s’exprime avec emphase et truffe son texte de lieux
communs. Son discours est constamment agrémenté de termes techniques destinés à impressionner :
le rhume est rebaptisé « Coryza » ; la saignée, « phlébotomie » et le pied-bot, « stréphopode ».
2. Personnage aux connaissances superficielles
L’échec de l’opération du pied bot qu’il a lui-même encouragée le montre bien ainsi que les
remarques du docteur Canivet quand il apprend l’échec de l’opération : « il s’en alla chez le
pharmacien déblatérer contre les ânes qui avaient pu réduire un malheureux hommes en tel état ». Il
parle à travers des citations et ne semble pas penser par lui-même. Quand Emma s’empoisonne avec
l’arsenic qu’elle a dérobé chez le pharmacien, Homais, au lieu d’administrer un vomitif, conseille
d’effectuer une analyse, « car il savait qu’il faut dans tous les empoisonnements faire une analyse ».
Cette fausse rigueur scientifique fera perdre de précieux instants et coûtera la vie à Emma.
3. Personnage médiocre et lâche.
Homais nie toute responsabilité dans l'échec de l'opération d'Hippolyte, alors qu'il a persuadé
Charles à l’opérer. Il ménage Charles parce qu’il craint d'être sanctionné pour pratique illégale de la
médecine. Comme Charles dans l’opération du pied bot, il échoue à guérir l'aveugle avec sa «
pommade ». Mais Homais sait mener une campagne de presse qui condamne son adversaire, « une
batterie cachée qui décelait la profondeur de son intelligence et la scélératesse de sa vanité ».
III. HOMAIS = UNE FIGURE DU BOURGEOIS DU XIXème SIÈCLE
1. Homais est le symbole de tout ce que Flaubert déteste
Le goût pour le progrès, à travers les sciences notamment…et les différentes expérimentations.
2. Homais est un opportuniste, un arriviste capable de tout pour arriver à ses fins
Il use de la flatterie face à ceux qu’il considère comme supérieurs : avec Canivet dans la scène du
pied bot ; son attitude lors des comices face aux officiels et le retournement idéologique de la fin où
il rentre dans le « parti de l’ordre » parce qu’il veut obtenir la croix d’honneur. Le fait que le roman
se termine sur le triomphe de Homais révèle la déception de Flaubert devant l'ascension d’une petite
bourgeoisie avide et arriviste.
3. Homais a une dimension universelle
Homais vient de « homo » (homme). Ce terme générique fait du personnage le prototype du
bourgeois. Flaubert raconte certes l'histoire d'Emma Bovary, mais il a aussi pour objectif de
restituer l'arrière-plan sociologique de cette histoire : le sous-titre « Mœurs de province » le prouve.
Question 2 :
« Une défaillance de la personnalité, tel est le fait initial qui détermine tous les personnages de
Flaubert à se concevoir autres qu’ils ne sont. » Comment les propos de Jules de Gaultier sur
le bovarysme se manifestent-ils dans Madame Bovary ? (11 pts)
INTRODUCTION
Quelques noms de personnages de la fiction passent dans la langue commune pour désigner un
type humain, psychologique ou social : un Don Juan, un Tartuffe, un Rastignac. C’est le cas de
l’héroïne du roman, Madame Bovary, de Gustave Flaubert publié en 1857 qui dépasse largement le
cadre de la fiction romanesque pour devenir un mythe littéraire. Flaubert lui-même suggère cette
interprétation dans un passage de sa Correspondance : « Ma pauvre Bovary souffre et pleure dans
vingt villages de France ». Le critique Jules de Gaultier, analysant le personnage d’Emma, invente
en 1892 le « bovarysme » comme une « défaillance de la personnalité » qui conduit l’homme à « se
concevoir autre qu’il n’est », c’est à dire à se créer un soi imaginaire qui tente d’échapper au réel.
Nous analyserons d’abord le bovarysme d’Emma, puisqu’elle est celle qui présente dans le roman
les traits archétypaux de cette pathologie, puis nous élargirons le propos à l’ensemble des
personnages du roman. Pour finir, nous nous intéresserons au projet flaubertien, lequel use de
bovarysme dans l’écriture elle-même.
I - LE BOVARYSME D’EMMA
1. La lecture comme source première du mal d’Emma (la formation du personnage)
Les années passées au couvent constituent pour Emma des années d'intoxication mentale. Elle puise
dans les romans tout un réservoir de clichés romantiques qu’elle désespère de retrouver dans la
réalité. Le roman cite les icônes du romantisme littéraire : Chateaubriand (dont le Génie du
christianisme, lecture officielle du couvent est responsable de la religiosité morbide du personnage),
Lamartine, George Sand, Walter Scott…-mais plus encore ce sont les keepsakes, qui structurent la
rêverie d’Emma. Le réel est alors pour elle naturellement décevant. Elle s'enracine alors dans les
attentes de la « passion merveilleuse » (I,6) et rêve d'une « lune de miel » (I,7). Elle est dans
l’attente d’un univers de pacotille, niais et irréel. Emma a été perdue par la lecture de romans qui
ont imposé à son imagination un monde illusoire. Ainsi, le bovarysme d’Emma est d’abord une
maladie propre à la littérature ; maladie qui trouve son épilogue macabre lorsqu’Emma vomit sur
son lit de mort une bile noire qui est presque littéralement de l´encre (« un flot de liquides noirs
sortit, comme un vomissement de sa bouche »). Emma s’est nourrie de cette littérature du
romantisme au point d’en être empoisonnée et intoxiquée. Par ailleurs, son éducation au couvent,
dans un lieu protégé en dehors du monde, contribue à son incapacité à percevoir le réel pour ce qu’il
est. Flaubert jugeait par ailleurs sévèrement son personnage qu’il qualifie dans une lettre à
mademoiselle Leroyer de Chantepie de « femme de fausse poésie et de faux sentiments »
2. Les manifestations physiques et comportementales du bovarysme
Flaubert donne aussi dans le roman une observation médicale du bovarysme. Le bovarysme est une
maladie des nerfs, une irritabilité douloureuse, autant que de l’âme. Le motif de la vapeur apparaît
aussi fréquemment : la mère de Charles parle de ces vapeurs et de son désœuvrement. Les
symptômes évoquent aussi des troubles maniaco-dépressifs chez Emma. Elle passe de l’exaltation à
l’abattement et souffre d’une succession de crises dépressives et de périodes d'exaltation : des
symptômes de mélancolie, d'inertie, d'étouffement puis de d’un regain de désirs, significatifs d'une
pathologie dépressive : « défaillances » et « crachements de sang » somatisent le vide créé par le
départ de Léon (II,7). Elle est sujette à des crises qui affectent notamment sa capacité à ressentir en
démultipliant sas capacités sensorielles : « elle s’emplissait les yeux des splendeurs (…) aspirait le
parfum des juliennes blanches (…) prêtait les oreilles au silence… ». Flaubert se souvient là de ses
propres crises. On retrouve aussi chez Emma une tendance récurrente à l’extase mystique.
3. Le bovarysme, une figure de l’inassouvissement : Illusion et frustration
Le bovarysme est une incapacité à faire coïncider les désirs et la réalité. Il s’agit d’une disposition à
entretenir une éternelle frustration. Le bovarysme apparait ainsi comme la poursuite d’un désir dans
lequel entre invariablement une grande insatisfaction. Emma passe d’un désir à un autre sans rien
réaliser : tour à tour dévote, épouse empressée, mère attentionnée, amante fougueuse, mélancolique,
religieuse et mystique, musicienne….Emma se cherche et s’invente sans cesse de nouveaux
masques : « au fond de son âme cependant, elle attendait un événement » mais cet événement reste
inassouvi puisqu’il est de l’ordre du fantasme. L'image qu'elle se fait de « l'homme » est ainsi très
éloignée de Charles qui « ne savait ni nager, ni faire des armes, ni tirer le pistolet, et il ne put, un
jour, lui expliquer un terme d'équitation qu'elle avait rencontré dans un roman. Un homme, au
contraire, ne devait-il pas tout connaître, exceller en des activités multiples, vous initier aux
énergies de la passion, aux raffinements de la vie, à tous les mystères? » (I, 7). La fenêtre joue aussi
un rôle symbolique important : elle permet le vague rêve d’un futur indéterminé ou facilite une
communication avec un dehors chargé de promesses par opposition au renfermement de la maison
où le rêve s’éteint : « D’où venait donc cette insuffisance de la vie, cette pourriture instantanée des
choses où elle s’appuyait ? ». Finalement, le mal d’Emma est le ressort principal de la narration.
L’ennui et la frustration entrainant le mensonge de l’infidélité, les dettes, puis le suicide. La
souffrance d’Emma exprime un mal social déjà analysé par Balzac dans la physiologie du mariage
quand il parle des femmes qu’on « élève comme des saintes et qu’on marie comme des pouliches ».
II- LE BOVARYSME COMME CONSTANTE DE L’ECRITURE ET DE LA PENSEE
1. Le bovarysme et les autres personnages du roman
Si Rodolphe, figure du séducteur, parodie le bovarysme : « Ah ! si j’avais eu un but dans la
vie…. », les rêves de Charles sont teintés d’un bovarysme sage ou médiocre. Léon, lui, éprouve les
mêmes tourments qu’Emma. Quand il se félicite d’avoir enfin une vraie maîtresse cela rappelle le «
j’ai un amant » de Emma. Même Homais est atteint de bovarysme : il est très influencé par ses
lectures, même si elles ne sont pas romantiques ! il se fait le porte-parole des philosophes des
Lumières et n'a comme Emma, aucun recul critique sur ses lectures. La pensée des Lumières
devient dans sa bouche un ramassis de lieux communs. D’autre part, son admiration aveugle pour
les sommités le rend servile à l'égard des docteurs Canivet et Larivière comme Emma, face aux
aristocrates du château de la Vaubyessard ou face aux héroïnes romanesques. Enfin, il est
pharmacien mais se rêve médecin et donne des consultations dans sa boutique. Cependant, c'est un
personnage caricatural à côté d'Emma, et comme son pendant comique. Le dernier personnage
touché par le bovarysme est Charles lui-même : « pour lui plaire (…) il adopta ses prédilections, ses
idées, : il s’acheta des bottes vernies… » On peut observer la récurrence de ce processus chez la
plupart des héros de Flaubert, notamment chez Frédéric Moreau ou Bouvard et Pécuchet
2. Le bovarysme, objet de la satire flaubertienne
Le bovarysme est d’abord la satire chez Flaubert des excès du romantisme. Le bovarysme d’Emma
c’est la répétition conformiste des clichés vides mais la condamnation ironique de cette attitude
dépasse le cadre du seul romantisme et embrasse la société dans son ensemble, société à l’égard de
laquelle Flaubert a exprimé toute sa vie une grande méfiance et du mépris. Ainsi le bovarysme, qui
se répand chez tous les personnages, est-il la cible de l’ironie flaubertienne. Cette ironie se
manifeste par les boursouflures de style, les discours creux et pompeux qu’il s’agisse d’Emma, de
Homais, de Léon ou même de Rodolphe. Le bovarysme n’est alors qu’un des multiples visages que
prend la bêtise. Homais se prend pour un libre penseur et c’est tout un aspect de la politique
contemporaine qui s’effondre sous l’œil ironique de l’auteur. Le bovarysme est le visage que prend
la bêtise universelle dans ce premier roman, mais qui se répète durant toute la vie d’écrivain de
Flaubert.
3. Le bovarysme de l’écriture ou Le bovarysme de Flaubert: « madame Bovary c’est moi,
d’après moi… »
Flaubert a trouvé les germes du bovarysme en lui-même. Madame Bovary est une manière pour lui
de réfréner ses élans romantiques, lui qui est aussi nourri de cette littérature. De même, dans sa vie
personnelle, il s'est longtemps heurté à la réalité paternelle : il se rêve écrivain, tandis que son père
veut en faire un avocat; il préfère les voyages aux études et part pour de longs mois avec son ami
Maxime du Camp en Orient. Il est parfaitement conscient de cette insatisfaction permanente
lorsqu’il écrit à Louise Colet : « C'est un homme sage, celui-là, et qui ne demande pas à la vie plus
de joies qu'elle n'en porte et qui ne va [pas] chercher le parfum des orangers sous les pommiers à
cidre » (2 septembre 1846). Lui aussi souffre de l'ennui : « Je suis né ennuyé ; c'est là la lèpre qui
me ronge ». (Lettre à Louise Colet, 2 décembre 1846). On peut aussi établir un parallélisme entre la
quête d’idéal de l’héroïne et la quête de perfection stylistique de l’écrivain qui aboutit comme pour
Emma à un sentiment d’insatisfaction. De plus, Flaubert, avec Madame Bovary, s’est lancé dans
l’écriture d’un roman dont le sujet lui répugne. Et l’écriture du roman s’est accomplie comme une
thérapie par laquelle il s’agissait de guérir du « cancer du lyrisme ». Avec le bovarysme d’Emma,
Flaubert se moque de sa propre aspiration au lyrisme.
CONCLUSION : À travers le personnage d’Emma, Flaubert a cherché à représenter le désir
féminin dans toute sa complexité. Mais il ne faudrait pas réduire Emma à un simple type
psychologique, le roman étant d’abord une œuvre littérature et une quête stylistique. En effet, à
travers Madame Bovary, Flaubert a pu démontrer l’absolue supériorité de l’art en donnant vie à un
personnage qui n’est à l’origine qu’un être de papier.
1 point sera consacré à la présentation et à la propreté de la copie.