Le Barbier de Séville - biblio

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Le Barbier de Séville - biblio
Le Barbier
de Séville
Beaumarchais
Livret pédagogique
établi par Éloïse LIÈVRE-MOLKHOU,
attachée temporaire d’enseignement et de recherche
à l’université de Nice-Sophia-Antipolis
HACHETTE
Éducation
Conception graphique
Couverture et intérieur: Médiamax
Mise en page
Alinéa
Illustration
Rosine par Émile Bayard,© Hachette Livre-Photothèque
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.
© Hachette Livre, 2003.
43, quai de Grenelle, 75905 PARIS Cedex 15.
ISBN: 2.01.168707.1
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«toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants
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français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une
contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
SOMMAIRE
AVA N T - P R O P O S
4
TA B L E
6
D E S CO R P U S
RÉPONSES
AU X Q U E S T I O N S
10
B i l a n d e p re m i è re l e c t u re . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 0
Ac te I , s c è n e 2
Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 2
Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 1 7
Ac te I I , s c è n e 1 5
Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 4
Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 2 8
Ac te I I I , s c è n e 4
Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 5
Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 3 8
Ac te I I I , s c è n e 1 1
Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 4
Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 4 8
Ac te I V, s c è n e 6
Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 4
Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 5 7
BIBLIOGRAPHIE
CO M P L É M E N TA I R E
64
AVANT-PROPOS
Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre
en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de
préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace
d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires,
techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation
contextualisée, de l’imitation…).
Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs.
Le Barbier de Séville, en l’occurrence, permettra de travailler sur le
grand mouvement littéraire du XVIIIe siècle : les Lumières, d’étudier le
genre de la comédie, de refléchir aux procédés de l’argumentation,
tout en s’exerçant à divers travaux d’écriture.
Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois :
– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du
texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des
notes claires et quelques repères fondamentaux ;
– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les
élèves aux travaux d’écriture.
Cette double perspective a présidé aux choix suivants :
• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page,
afin d’en favoriser la pleine compréhension.
• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre
la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions
pouvant donner lieu à une exploitation en classe.
• Précédant et suivant le texte, des études synthétiques et des
tableaux donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de
l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres
et registres du texte…
• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à
faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages
4
de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur
fond blanc), il comprend :
– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe
après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions
courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens
général de l’œuvre.
– Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraits
les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage ; les notions indispensables sont rappelées et quelques
pistes sont proposées afin de guider sa réflexion et de l’amener à
construire sa propre lecture analytique du texte. On pourra procéder
en classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèves
pour construire avec eux l’analyse du texte.
– Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un document
iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet
d’un questionnaire guidé ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire
d’analyse et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement
à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de
Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupements de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents
complémentaires.
Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos
élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la
réflexion.
5
TABLE
DES CORPUS
Composition
du corpus
Corpus
« Malheureux gens
de lettres »
(p. 73)
Texte A : Extrait de la scène 2 de l’acte I du Barbier de
Séville de Beaumarchais (p. 63, l. 100, à p. 67, l. 179).
Texte B : Extrait de l’Hymne de l’automne de Pierre de
Ronsard (pp. 73-74).
Texte C : Lettre XXIII des Lettres philosophiques de
Voltaire (pp. 74-75).
Texte D : « L’Albatros », poème extrait des Fleurs du
mal de Charles Baudelaire (pp. 75-76).
Prémices du
féminisme
(p. 125)
Texte A : Extrait de la scène 15 de l’acte II du Barbier de
Séville de Beaumarchais (p.113,l.533,à p.115,l.589).
Texte B :Extrait de La Colonie de Marivaux (pp.125-126).
Texte C : Extrait de Consuelo de George Sand (pp.127128).
Texte D : Extrait de l’Essai sur la liberté considérée comme
principe et fin de l’activité humaine de Marie d’Agoult
(pp. 128-129).
La leçon de
musique au
XVIIIe siècle
(p. 148)
Texte A : Extrait de la scène 4 de l’acte III du Barbier de
Séville de Beaumarchais (p.138,l.172,à p.141,l.268).
Texte B : Extrait de la lettre XVIII des Liaisons
dangereuses de Choderlos de Laclos (pp. 148-149).
Texte C : Extrait de la Lettre modérée sur la chute et la critique
du « Barbier de Séville » de Beaumarchais (pp.149-150).
Texte D : Extrait de la Préface des « Observations sur
notre instinct pour la musique et sur son principe » de
Jean-Philippe Rameau (pp. 150-151).
Document E : Watteau, La Leçon de musique (p. 152).
Document F : Fragonard,La Leçon de musique (p.153).
6
Objet(s) d’étude
et niveau
Persuader et délibérer
(Première)
Compléments aux travaux d’écriture
destinés aux séries technologiques
Question préliminaire
Quels termes et expressions les textes convoquent-ils
pour désigner les écrivains ou le poète dans les quatre
textes ? Proposez un classement.
Commentaire
Vous étudierez les éléments qui font de ce poème un récit
pittoresque,avant d’en montrer sa valeur symbolique.
Persuader et délibérer
(Première)
Question préliminaire
Relevez et commentez les procédés d’énonciation
générique faisant des quatre textes des discours à
l’objet plus général que chaque histoire particulière
dans laquelle il s’insère.
Commentaire
Vous étudierez le texte comme un véritable discours en
mettant en valeur le caractère général de sa thèse,son
objet et ses revendications,ainsi que la rhétorique qu’il
met en œuvre pour défendre les idées qu’il contient.
Un mouvement
littéraire (Première)
Question préliminaire
Identifiez et étudiez le champ lexical de l’émotion et
du sentiment dans les textes.
Commentaire
Vous vous intéresserez au style particulier de cette page
des Liaisons dangereuses,dû à la personnalité de Cécile
mais aussi à sa découverte de l’amour,puis vous
étudierez l’utilisation que l’auteur fait du topos de la
leçon de musique.
7
TABLE
DES CORPUS
Composition
du corpus
Corpus
Jeux de dupes
(p. 169)
Texte A : Scène 11 de l’acte III du Barbier de Séville de
Beaumarchais (pp. 161 à 164).
Texte B : Extrait de la scène 2 de l’acte III des
Fourberies de Scapin de Molière (pp. 169 à 171).
Texte C : Extrait de la première partie de Manon
Lescaut de Prévost (pp. 171-172).
Texte D : Extrait de la scène 7 du premier tableau de
l’acte III d’Occupe-toi d’Amélie de Georges Feydeau
(pp. 172-173).
Péripéties, coups
de théâtre,
catastrophes
(p. 193)
Texte A : Scène 6 de l’acte IV du Barbier de Séville de
Beaumarchais (pp. 186 à 189).
Texte B : Extrait de la scène 6 du dernier acte de
L’Illusion comique de Pierre Corneille (pp. 193 à 195).
Texte C : Extrait de la dernière scène d’Iphigénie de
Jean Racine (pp. 195 à 197).
Texte D : Extrait de la dernière scène de La guerre de
Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux (pp. 197 à 199).
8
Objet(s) d’étude
et niveau
Un registre littéraire :
le comique (Première)
Compléments aux travaux d’écriture
destinés aux séries technologiques
Question préliminaire
Quels sont les différents types de comiques présents
dans ces quatre scènes ?
Commentaire
Après avoir montré que cet extrait de roman
s’apparentait bien à une scène de comédie, vous
étudierez les différentes formes d’ironies qui soustendent le jeu de dupes.
Un genre littéraire :
le théâtre (Première)
Question préliminaire
Quelle importance ont les objets,qu’ils soient éléments
du décor ou éléments des machines du théâtre,dans ces
catastrophes ? En quoi cette remarque permet-elle de
distinguer le texte de Racine (texte C) ?
Commentaire
Vous direz dans un premier temps en quoi consiste
la péripétie finale,puis vous montrerez qu’elle relève
d’une relecture du mythe et de la tragédie elle-même,
et vous étudierez le rôle des dieux,essentiels à l’univers
tragique.
9
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Bilan de première lecture (p. 206)
a Dans la Lettre modérée, Beaumarchais s’en prend essentiellement aux journalistes qui ont fait tomber sa pièce.
z Le premier acte du Barbier se déroule « dans une rue de Séville ». La particularité de cette rue est qu’elle n’offre à la vue que des fenêtres munies de
grilles. L’action des actes suivants se situe de l’autre côté de l’une d’entre
elles, dans l’appartement de Rosine, pièce qui jouxte sa chambre.
e Beaumarchais a réussi à respecter scrupuleusement l’unité de temps,
puisque l’intrigue du Barbier s’inscrit exactement dans une journée. Dans la
première scène, le Comte tire sa montre et constate : « Le jour est moins avancé
que je ne croyais » (l. 1). Au début du dernier acte, le théâtre est obscur car il
fait nuit, et dans la scène 2, Rosine dit qu’« il est minuit sonné » (l. 62).
r Le premier personnage à paraître sur scène est le comte Almaviva, grand
d’Espagne qui a quitté la Cour résidant à Madrid pour suivre à Séville une
jeune fille dont il est tombé amoureux.
t Au début de la pièce, le Comte est déguisé en abbé pour pouvoir approcher Rosine sans éveiller les soupçons. Ensuite, s’il ne dévoile pas sa véritable
identité mais dit s’appeler Lindor, c’est parce qu’il veut être aimé pour luimême et non pour son rang et sa fortune.
y Figaro est l’ancien valet du comte Almaviva, devenu apothicaire dans les
haras d’Andalousie, tout en étant poète et auteur dramatique, puis barbier à
Séville. Il est le meneur d’intrigue de la comédie.
u Les rapports qu’entretiennent Figaro et le Comte ne sont pas ceux que
l’on trouve traditionnellement entre un valet et son maître. En effet, Figaro
est très libre envers le Comte, il n’hésite pas à lui tenir tête, à lui faire des
réflexions. Son esprit et son intelligence de l’intrigue en font son égal.
i Bartholo est un vieux docteur, barbon tuteur de Rosine. Il est par-dessus
tout jaloux et colérique.
o Rosine est une jeune fille maligne et adroite qui n’hésite pas à tenir tête à
son tuteur et à utiliser la ruse pour se défaire de son emprise.
10
Bilan de première lecture
q Le Comte et Rosine communiquent par lettres (I, 3 ; II, 2 ; II, 14) et par
chansons (I, 6 ; III, 4). Mais, dans la scène 3 de l’acte I, ces deux moyens sont
liés puisque Rosine a laissé tomber un billet de sa jalousie en faisant croire à
Bartholo qu’il s’agissait de La Précaution inutile.
s Les deux valets de Bartholo sont l’Éveillé et la Jeunesse. Ces noms sont
comiques car ils disent le contraire de ce que sont les personnages : un jeune
homme « niais et endormi » et un très vieux domestique.
d Bazile est l’organiste maître de chant de Rosine mais aussi l’homme de
main de Bartholo. C’est lui que celui-ci charge de trouver un notaire pour
son mariage. Pour se défaire du Comte, il propose de le calomnier.
f Le second déguisement du Comte est celui d’un cavalier ivre.
g Rosine accuse Bartholo d’outrepasser les droits qu’il a sur elle en voulant
lire les lettres qu’elle reçoit.
h Pour retenir Bartholo qui veut se rendre auprès de Bazile, le Comte
déguisé en bachelier est obligé de se faire passer pour un espion à la solde du
docteur, de lui transmettre des informations sur le comte Almaviva, c’est-àdire sur lui-même, et de lui donner, pour preuve, la lettre qu’il a reçue de
Rosine.
j Figaro a pour mission de détourner l’attention de Bartholo afin que les
deux amoureux puissent s’entretenir un moment. Il parvient à s’emparer de
la clé qui ouvre la grille de la fenêtre de Rosine.
k À la scène 3 de l’acte IV, Rosine croit que Lindor l’a trompée parce que
Bartholo lui montre la lettre que le comte Almaviva, déguisé en bachelier, lui
a donnée. La jeune fille croit aussi alors que Lindor n’est qu’un intermédiaire
qui lui fait la cour pour le compte d’Almaviva.
l Une péripétie est un événement qui renverse la situation. À la scène 6, la
situation bascule une première fois lorsque le Comte dévoile son identité à
Rosine et une seconde fois lorsqu’ils se rendent compte que l’échelle qui
devait assurer leur retraite a été enlevée par Bartholo que Rosine, se croyant
trompée par « Lindor », avait mis au courant.
m C’est le notaire qui dénoue l’intrigue en mariant le Comte et Rosine.
w Bartholo arrive avec un alcade et des alguazils, autrement dit la police,
dans le but de faire arrêter le Comte et Figaro en flagrant délit de vol.
11
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Acte I, scène 2 (pp. 60 à 67)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 68 À 72)
a Pour présenter ses personnages, Beaumarchais utilise le motif des retrouvailles de deux individus qui ne se sont pas vus depuis longtemps. La présentation se fait alors en deux phases. Dans un premier temps (l. 59-67), les deux
personnages hésitent à se reconnaître et les interrogations qu’ils formulent
chacun en aparté fournissent au spectateur une description physique sommaire mais efficace de l’autre. On append ainsi que le Comte est caractérisé
par un « air altier et noble », tandis que Figaro a une allure « grotesque », c’est-àdire grossière et qui peut prêter à rire. Ces renseignements, appelés aussi
didascalies internes, donnent non seulement des indices sur les caractères respectifs des deux personnages mais aussi sur les classes sociales auxquelles ils
appartiennent. Les premiers adjectifs connotent l’aristocratie, tandis que le
troisième désigne le valet. Enfin, plus loin (l. 117 et 120), on apprend du
Comte que Figaro a été « mauvais sujet », « paresseux » et « dérangé ». Dans un
second temps, la présentation repose sur l’interrogatoire auquel le Comte
soumet Figaro pour apprendre ce qu’il est devenu pendant toutes les années
où il l’a perdu de vue. Beaumarchais utilise là un procédé bien connu de la
dramaturgie classique, à un détail près : l’inversion significative des rôles
– habituellement, c’est le valet qui questionne le maître sur sa situation ; ici,
c’est le contraire. Moins classique encore est le facteur qui préside à la rencontre et qui est donc le moyen de l’exposition : le hasard. Les critiques de
Beaumarchais ont condamné, au nom de la dramaturgie classique pour
laquelle tout doit obéir à la loi du nécessaire, cette rencontre fortuite.
z Comme le laisse deviner notamment la description de leurs allures, Figaro
est l’ancien valet du comte Almaviva – ce que confirme le texte plus tard
(l. 116-117). Cependant, leurs rapports ne sont plus exactement ceux d’un
maître et de son domestique. Bien que le Comte appelle Figaro « coquin »
(l. 67) ou « maraud » (l. 69), surnoms traditionnels des valets de comédie, s’établit entre eux une certaine égalité, voire un renversement de rapport, lorsque
le critère n’est plus la naissance mais l’esprit. L’égalité, toute relative, est
d’abord suggérée par la symétrie de leurs premières répliques (« J’ai vu cet
abbé-là quelque part », « Cet homme ne m’est pas inconnu », « Cet air altier et
noble », « Cette tournure grotesque ») et par le fait que le Comte demande
à Figaro de ne pas l’appeler « Monseigneur » mais « Lindor » : le déguisement
12
Acte I, scène 2
abolit la distance. Elle est ensuite explicitée par une célèbre réplique de
Figaro : « Aux vertus qu’on exige dans un domestique,Votre Excellence connaît-elle
beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? » (l. 121-123).
e L’apport d’informations est rendu vivant grâce au rythme endiablé sur
lequel s’enchaînent les répliques : celles-ci sont courtes, voire très courtes, et
de volume relativement semblable. Le Comte n’a pas la patience d’attendre
que Figaro fasse son récit, il le presse de ses questions. On peut particulièrement remarquer les interruptions des lignes 91 et 99 signalées par les points
de suspension : dans un cas, le Comte achève la phrase de Figaro ; dans l’autre,
il demande à Figaro d’abréger. C’est ensuite à Figaro d’interrompre le Comte
(l. 112 et 120), puis à nouveau au Comte, comme l’explicite la didascalie
« l’arrêtant » (l. 126) et la ponctuation (l. 130, 139 et 142).
r Ce passage n’est pas uniquement consacré à la présentation des deux personnages principaux, puisque leur conversation est interrompue à deux
reprises par le projet qui préoccupe le Comte. Une première fois (l. 78-83),
celui-ci demande à Figaro de l’appeler Lindor et non Monseigneur ; une
deuxième fois, plus significative, le Comte s’interrompt parce qu’il a cru voir
paraître Rosine à la jalousie ; enfin, c’est au tour de Figaro de suspendre luimême son discours : « Que regardez-vous donc toujours de côté ? » Ainsi
Beaumarchais construit-il une exposition dynamique : l’action, déjà entamée
dans la première scène avec l’attente du Comte, se poursuit en même temps
que les informations nécessaires à sa compréhension sont données au spectateur. Nous pouvons également remarquer, à ce propos, que Beaumarchais,
très attentif aux didascalies, inscrit dans les répliques de ses personnages des
indications scéniques (animation du décor, positions des acteurs, etc.).
t Figaro critique les rapports traditionnels entre noblesse et domesticité,
« grands » et « petits » essentiellement et à deux reprises. La réplique « Oui, je
vous reconnais ; voilà les bontés familières dont vous m’avez toujours honoré » (l. 7071) répond à l’injure dont l’a gratifié le Comte. Plus loin (l. 113-115), nous
trouvons : « un Grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal » ; et
enfin, la plus célèbre de ces répliques aux accents de revendications sociales :
« Aux vertus qu’on exige dans un domestique,Votre Excellence connaît-elle beaucoup
de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? »
y La première de ces répliques est ironique, c’est une antiphrase. En effet, elle
contraste avec le contexte immédiat qui l’a suscitée ; les termes « bontés » et
13
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
« honoré » sont antiphrastiques, puisqu’une insulte (« maraud ») ne saurait être
un bienfait : Figaro fait bien entendre le contraire de ce qu’il énonce. Les deux
autres répliques, elles, expriment la critique plus directement, en empruntant
leur forme à la maxime. On reconnaît ainsi l’utilisation du présent de vérité
générale (« fait », « exige »), une personnalisation générique ou collective (le
pronom de 2e personne du pluriel « nous », le pronom indéfini « on »), mais
aussi une structure spécifique fondée sur l’opposition, l’inversion, l’évidence
ou le paradoxe (faire le bien revient à ne pas faire le mal ; les maîtres ne sont
pas dignes d’être valets – l’interrogation ayant valeur de négation).
u Le vice que critique Figaro est l’envie, mais il dénonce aussi l’instrument
de l’envie, la calomnie, comme l’indique le verbe desservir. C’est ici la première
occurrence de ce qui deviendra dans la suite de la pièce un ressort dramatique. En effet, c’est par la calomnie que Bazile propose à Bartholo de se
défaire du comte Almaviva dans la scène 8 de l’acte II, et c’est ce projet que le
barbon met à exécution dans la scène 3 du dernier acte, produisant ainsi un
retournement de situation. Il est intéressant que Figaro introduise ce thème à
travers la citation d’un vers, car la calomnie dont il a fait l’objet auprès du
ministre reposait précisément sur le fait qu’il faisait lui-même des vers.
i Dans sa première tirade, Figaro dénonce le fait que l’homme de lettres au
n’a pas encore la considération qu’il mérite. La création littéraire,
puisqu’elle est jugée « incompatible avec l’esprit des affaires », est dénigrée. Si
Louis XIV et Colbert ont fait au siècle précédent un énorme travail d’institutionnalisation des pratiques artistiques, au nom de la gloire du monarque, si
certains écrivains ont commencé à obtenir revenus et protections, le statut de
l’homme de lettres est encore très fragile. Il doit lutter contre la censure, mais
aussi, bien souvent, exercer un autre métier pour vivre.
XVIIIe siècle
o Dans sa deuxième tirade, Figaro fait part au Comte de son étonnement de
n’avoir pas remporté un grand succès au théâtre. Il s’était débrouillé pour
réunir des spectateurs favorables à sa pièce ou même payés pour l’applaudir.
Cette peinture satirique présente le succès ou l’échec des représentations
théâtrales comme des phénomènes arrangés, par exemple lors des réunions
au café, et des luttes d’influence entre différentes factions, dont celle des
ennemis de la pièce, appelée cabale. Beaumarchais affirme donc de façon provocatrice et polémique par la bouche de Figaro que la réussite d’une pièce
ne tient pas au talent de l’auteur mais à sa personne sociale, à ses relations, à
ses amis.
14
Acte I, scène 2
q Les principaux procédés utilisés dans la satire de la troisième tirade sont
une figure de pensée, la métaphore, et une figure de construction, l’énumération. En effet, pour critiquer les habitants de la république des Lettres, c’està-dire visant essentiellement les journalistes, Figaro, sous la plume de
Beaumarchais, les désigne par des noms d’animaux péjoratifs : d’abord les
loups, rappelant la célèbre pensée « L’homme est un loup pour l’homme » ;
ensuite les insectes, parasites qui se nourrissent du sang des auteurs.
L’efficacité critique de ces métaphores est d’autant plus grande que Figaro se
livre à une énumération de neuf substantifs composée d’une première série
de termes métaphoriques (l’hyperonyme « les insectes » suivi des hyponymes
« les moustiques, les cousins »), et de leurs référents (« les critiques » puis « les
envieux, les feuillistes, les censeurs »), le terme de « maringouins » faisant la transition entre les deux séries, puisqu’il s’agit du nom de moustiques des marais
tropicaux mais aussi d’un jeu de mots sur le nom de Marin, protagoniste de
l’affaire Goezmann (voir la biographie, p. 10).
s Le spectateur peut immédiatement savoir qu’il va assister à une comédie,
dans la mesure où, dans le monologue du Comte comme dans la deuxième
scène, le texte signale la présence du ressort dramaturgique propre au genre
comique : le déguisement (« J’ai vu cet abbé-là quelque part. [...] Eh non, ce n’est
pas un abbé »). Un peu plus loin, le nom de Lindor par lequel le Comte
demande à Figaro de l’appeler est un nouvel indice : c’est précisément un
nom de comédie, qui introduit le dispositif, lui aussi typiquement comique,
du théâtre dans le théâtre. Plus globalement, les costumes, le langage utilisé
par les deux protagonistes, et surtout les jeux de scène (le Comte ne cesse de
se tordre le cou pour regarder la jalousie pendant que Figaro lui parle) sont
les signes évidents du genre comique.
d Les différents types de comiques présents dans cette scène sont donc
essentiellement le comique de gestes (indiqué par les didascalies) et le
comique verbal (voir les exemples d’ironie, de calembours, d’humour dans
l’étude du style de Figaro).
f Dans la deuxième partie de sa dernière tirade, Figaro fait le récit de sa vie
depuis son départ de Madrid. Ce récit est aussi l’exposé de sa philosophie.
Celle-ci est née d’une aversion pour la société, en particularité celle des Lettres
(« dégoûté des autres »). Figaro prône la supériorité du travail d’artisan sur le désir
de gloire en opposant « l’utile revenu du rasoir » aux « vains honneurs de la plume ».
La philosophie qu’il adopte pendant ses voyages peut être comparée à une
15
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
forme de stoïcisme : quel que soit ce qu’il lui arrive, il reste « supérieur aux événements », il « supporte » les malheurs et profite du bonheur, synonyme de bonne
humeur. Il choisit le rire et la gaieté face à l’adversité.
g Cette philosophie est explicitée par l’adverbe « philosophiquement » (l. 163164), par la question du Comte à la suite de la tirade de Figaro (« Qui t’a
donné une philosophie aussi gaie ? ») et, précédemment, par l’expression de
« joyeuse colère » (l. 149) employée par le Comte. Elle est résumée par une
célèbre formule : « Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer. »
La comédie apparaît alors comme un antidote au malheur. Les spectateurs
sont invités à profiter de cette occasion de rire et de se divertir.
h Figaro ne s’exprime pas comme on le fait habituellement dans une simple
conversation. En effet, ses répliques ne portent pas beaucoup de marques
d’oralité, elles sont au contraire très écrites. Cette caractéristique participe au
dispositif dramaturgique du théâtre dans le théâtre car, en prenant la parole,
Figaro entre en quelque sorte en représentation. Pour dire les choses encore
plus clairement, il « fait son numéro ». De fait, l’ancien valet n’est pas seulement barbier, garçon apothicaire, poète, auteur dramatique, satiriste, il est
aussi meneur d’une intrigue à laquelle il participe, c’est-à-dire metteur en
scène (voir la « répétition » de la scène 4 de l’acte I) et acteur.
j Le style de la gaieté chez Figaro utilise d’abord l’ironie et en particulier
l’antiphrase (l. 70-71 et 74), mais aussi une ironie plus subtile reposant sur
l’emphase (dans ses déclarations d’allégeance et d’obligation au Comte, qu’il
continue à appeler Monseigneur après que celui-ci lui a demandé de cesser,
l. 77, 84-85, 151 et 169-171).
On trouve ensuite des jeux de mots (l. 91 : « médecines de cheval » ; l. 108 : « au
tragique » ; l. 156 : « maringouins » ; l. 169 : « faisant la barbe à tout le monde »), des
métaphores (l. 98 : les « Puissances », etc.), des périphrases (l. 109 : « l’amour des
lettres » ; l. 161 : « léger d’argent » ; etc.). On peut aussi remarquer la pratique
d’une esthétique du contraste, entre des formules respectueuses et une certaine insolence, entre du vocabulaire concret et du vocabulaire abstrait.
Dans sa dernière tirade, on sera particulièrement sensible aux antithèses
(l. 160 : « de moi », « des autres » ; l. 161-162 : « utile », « vains » ; l. 165 : « accueilli »,
« emprisonné » ; etc.), aux rythmes ternaires et surtout binaires (l. 159-161)
auxquels celles-ci participent, ainsi qu’à nouveau à un contraste, entre l’accumulation des groupes construits sur le principe de la symétrie et les parataxes
et hypotaxes de la dernière phrase (l. 169-171).
16
Acte I, scène 2
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 73 À 77)
Examen des textes
a Le texte B place l’origine de la différence du poète dans son élection
divine. Il a en effet été choisi par Dieu et se trouve au centre d’une cérémonie dont le caractère magique est signalé par la répétition du chiffre « neuf » :
une muse le lave pour le rendre immortel, puis lui insuffle le souffle divin.
Ronsard met ici en récit la théorie de l’inspiration qui fait du poète un être
habité par un dieu qui lui transmet « la fureur » poétique.
z Les accumulations d’adjectifs et de substantifs ont pour valeur d’insister
sur l’isolement du poète. L’énumération traduit linguistiquement l’excès et la
violence du jugement des mortels à l’égard du poète qui est caractérisé par
son rapprochement avec d’autres êtres en contact avec le surnaturel (« Les
Sibylles, Devins, Augures et Prophètes »). On peut remarquer que l’effet de ces
accumulations est renforcé par une allitération en sifflantes et chuintantes
(« Insensés, furieux, farouche, fantastique ») et en [m] (« Maussade, mal plaisant »)
ou une assonance en [e] sur des mots courts (« hués, sifflés, moqués »).
e Voltaire appelle « gens de lettres » l’ensemble des personnes qui ont un lien
avec le savoir et les arts. Ainsi il est question dans son texte de poètes (Pope),
de dramaturges (Addison, Congreve, Crébillon, Louis Racine), d’auteurs de
romans (Swift) et de scientifiques (Newton), mais aussi d’actrices.
r Plusieurs procédés sont utilisés par Voltaire pour comparer l’Angleterre à
la France :
– l’économie des paragraphes : les deux premiers paragraphes minimisent
l’action de l’Angleterre par rapport à celle de la France, puis le troisième
inverse ce rapport. C’est une forme de contradiction ou encore de paradoxe ;
– l’opposition de l’institutionnalisation des arts au service de la propagande
royale à la reconnaissance du mérite ;
– la comparaison explicite (« comme en France », « imiter ») ;
– le comparatif (« récompenses plus honorables ») ;
– la tournure hypothétique (« M.Addison en France eût été de quelque académie ») ;
– la conjonction de coordination « mais » (par exemple, l. 3 et 28) ;
– l’ironie et la suggestion : lignes 14-18 pour l’ironie et tout le texte pour la
suggestion,Voltaire énonçant des propos pour en laisser deviner d’autres.
Ainsi, derrière l’éloge de l’Angleterre ou de la politique culturelle de
Louis XIV (§ 1 et 4), il faut lire la critique de la France des Lumières.
17
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
t Baudelaire choisit l’albatros comme symbole du poète parce que :
– c’est un oiseau qui vole bien mais qui se déplace difficilement sur la terre
ferme, comme le poète, à l’aise en poésie mais mal adapté à la vie sociale ;
– c’est un oiseau blanc susceptible de rappeler la pureté du poète ;
– c’est un oiseau marin : or Baudelaire a un rapport privilégié à la mer qui
symbolise l’Infini, l’Éternité et constitue un reflet des aspirations du poète.
Cf. « L’Homme et la Mer » : « Homme libre, toujours tu chériras la mer !/La mer est
ton miroir ; tu contemples ton âme/Dans le déroulement infini de sa lame,/Et ton
esprit n’est pas un gouffre moins amer. »
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Trois textes sont caractérisés par une énonciation personnelle qui est ici la
marque de l’inscription du locuteur, sinon de l’auteur, dans son texte.
Nous savons que Beaumarchais a nourri le personnage de Figaro de sa
propre existence, mais les répliques de cette scène, et en particulier la tirade
finale, font sentir toute l’amertume de Beaumarchais à l’égard de la société
qui a tardé à reconnaître son talent. Sa philosophie de la gaieté et de l’insouciance, qui s’exprime stylistiquement par les énumérations, les symétries et
les rythmes binaires, est née du souci et de « l’habitude du malheur ». C’est
dans cette faille humaine du personnage que s’inscrit l’auteur.
Dans l’extrait du poème de Ronsard, cette inscription est d’autant plus flagrante et signifiante que le nom du poète apparaît explicitement dans les
paroles que lui adresse la muse, comme si le texte portait en lui-même la
signature de son auteur. Le « je » présent dans les premiers vers peut donc
bien être identifié comme renvoyant à Ronsard et c’est son expérience personnelle de la condition de poète, caractérisée par un très grand orgueil et
une incessante volonté de se distinguer, qui est exprimée sous la forme d’un
récit mythologique.Voltaire est aussi présent dans son texte grâce à la 1re personne du singulier. Celle-ci fait de son texte un témoignage vivant (« j’ai
vu ») mais lui permet aussi de faire ouvertement ou de suggérer la critique de
la France (« J’avoue que c’est un de mes étonnements »). Il est très intéressant de
voir que Voltaire oppose à la fin du texte le « je » au « vous », à l’indéfini « on »
et à la 1re personne du pluriel « nous » : il distingue ainsi en lui le Français,
honteux de son pays, et l’écrivain qui peut en faire la critique.
Dans le texte D, la 1re personne du singulier n’apparaît pas, contrairement à
beaucoup d’autres poèmes des Fleurs du mal. Mais, dans le premier tercet, ce
18
Acte I, scène 2
qui semble le récit d’une anecdote objective est émaillé de la modalité exclamative qui traduit l’expression des sentiments du narrateur.
Commentaire
Introduction
« L’Albatros » est le deuxième poème des Fleurs du mal, au début, donc, de la
première partie, « Spleen et Idéal ». Cette place permet de le considérer comme
une introduction à la poésie baudelairienne, introduction qui se fait par l’intermédiaire de la figure du poète, comme dans le premier texte, « Bénédiction ».
Alors que dans celui-ci, long poème, ce sont les discours de sa mère, de sa
femme et de lui-même qui peignent le portrait du poète, « L’Albatros » est un
sonnet fondé sur une comparaison opposant les quatrains et le premier tercet
au second. Cette dualité mêlant récit anecdotique et pittoresque et symbole
fait de ce poème une allégorie de la condition de l’artiste.
1. Du récit anecdotique au symbole
A. Une petite scène maritime
• À la lecture des deux quatrains et à première vue, le poème semble rapporter une anecdote concernant le quotidien des marins. Ce statut narratif est
signalé par :
– l’inscription temporelle de la scène grâce aux adverbes de temps « souvent »
et « à peine », l’un indiquant la récurrence de la scène et l’autre la hiérarchisation des actions décrite dans l’une et l’autre strophes : le premier quatrain est
une présentation générale, le second saisit l’action dans son déroulement ;
– l’utilisation du présent d’habitude (« prennent », « suivent »), du passé composé (« ont-ils déposés ») et du présent de narration (« agace », « mime ») ;
– le vocabulaire pittoresque (« hommes d’équipage », « brûle-gueule ») ;
– les actions d’humiliation de l’oiseau par les marins, caractérisant ces derniers
comme des êtres cruels et grossiers. Le complément de but du premier vers
« pour s’amuser » est significatif à cet égard. Cette cruauté et cette bêtise sont
soulignées par la caractérisation de l’oiseau qui apparaît comme un être
sociable, doux (« suivent », « indolents », « compagnons ») et pur (« ailes blanches »).
• Le caractère anecdotique de ces premières strophes peut être confirmé par
des indices biographiques. En effet, on suppose que Baudelaire a pu être
témoin de la scène rapportée ici : par exemple, au cours du voyage qu’il commence sur le Paquebot-des-Mers-du-Sud et finit, pour rentrer plus tôt que
prévu, sur un autre bateau, entre 1841 et 1842.
19
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
B. La dimension symbolique de la scène
Cependant ce récit pittoresque est émaillé d’éléments qui indiquent très clairement qu’il ne s’agit pas d’une simple anecdote. Ces éléments sont :
– la désignation de l’oiseau qui n’est directe qu’une seule fois (v. 2) et se fait
ensuite par des périphrases personnifiantes : « compagnons de voyage », « rois de
l’azur », « voyageur ailé », « princes des nuées » (allusion à une périphrase traditionnelle désignant le poète : Ronsard était appelé « Prince des poètes ») ;
– l’opposition de l’oiseau aux marins (« hommes d’équipage ») qui sont indifférenciés alors que la singularité de l’oiseau apparaît. On notera l’utilisation des
indéfinis « l’un » et « l’autre » qui contraste dans la 3e strophe avec l’adjectif
démonstratif « ce », à valeur laudative, ou l’article défini (« l’infirme ») ;
– la caractérisation de l’oiseau par des adjectifs psychologiques et moraux qui
renforcent la personnification : « maladroit », « honteux », « gauche », « veule » ;
– la progression du poème également porteuse de symbole : il est d’abord
question des albatros au pluriel, puis d’un seul. Ce passage prépare la comparaison entre l’oiseau et le poète dans la dernière strophe ;
– d’autres termes ou métaphores qui suggèrent la dimension allégorique de
l’anecdote : le terme de « navire » plus poétique que celui de « bateau » (même
si « navire » est plus intéressant d’un point de vue prosodique) et surtout la
périphrase des « gouffres amers » désignant la mer. On peut y ajouter « les
planches », plus suggestif et elliptique que « le pont », les planches étant aussi les
planches du théâtre, lieu où se produit le poète dramatique.
2. Le sens du symbole : le poète maudit
L’étude de ces métaphores, qui détournent la simple anecdote, et de la comparaison finale du poète à l’oiseau, image traditionnelle de la poésie romantique (voir le pélican chez Musset dans la Nuit de mai), permet de saisir la
conception baudelairienne du poète : le poète moderne est un être de souffrance exilé au sein d’un monde où « l’action n’est pas la sœur du rêve », un être
dont les aspirations infinies se heurtent à la matérialité de l’existence.
A. Le poète exilé
• L’exil du poète est exprimé par l’opposition entre la capacité de l’oiseau à
voler et son incapacité à marcher sur la terre ferme. On relèvera les antithèses
suivantes :
– « rois de l’azur » opposé à « maladroits et honteux » ;
– « piteusement » opposé à « grandes » ;
20
Acte I, scène 2
– inadéquation entre le comparant et le comparé aux vers 8-9 : les « avirons »
sont des objets concrets, utilisés dans l’eau, alors que les « ailes », utilisées dans
l’air, sont porteuses de la connotation de légèreté, d’immatérialité ;
– « voyageur ailé » opposé à « gauche et veule », « beau » à « comique et laid » ;
– l’oxymore « infirme qui volait ».
• La dernière strophe explicite ce trait de la conception du poète, puisque y
figure l’adjectif « exilé » et les causes de cet exil : le poète est inadapté à la
vie terrestre, à la vie en société avec d’autres hommes parce qu’il est différent d’eux. Ses aspirations sont incompatibles avec la matérialité de la vie
courante. D’où l’opposition entre le ciel et la terre, la dimension verticale
et l’élévation caractéristique de l’oiseau (« ailes », « azur », « volait ») et la
dimension horizontale du monde des marins (« glissant », « planches », « sur le
sol »).
• L’exil est source de souffrance. C’est cette souffrance que la modalité exclamative de la 3e strophe tente d’exprimer et de transmettre au lecteur en suscitant sa pitié. C’est aussi pourquoi les gouffres marins sont « amers ».
• En revanche, l’harmonie caractérise la relation entre l’oiseau et son milieu
naturel, le ciel. Elle est exprimée par les sonorités : allitération en chuintantes
[s], [] et [f] aux vers 2 à 4 et assonance en voyelles ouvertes ; rythme régulier
(par exemple, au vers 3 : 3/3/3/3, mimant le vol calme de l’oiseau).
B. La grandeur du poète
La supériorité du poète, en quête de l’Idéal, et en cela plus proche de lui que
les autres hommes, s’exprime à la fois dans le récit allégorique et dans l’explicitation de la comparaison :
– La grandeur matérielle (« vastes » avec hypallage exprimant la fusion entre
l’oiseau et son milieu ; « grandes ailes » ; « ailes de géant »)…
–... est le symbole d’une grandeur de statut. Le poète ou son comparant, l’oiseau, sont humiliés par le commun des hommes, ils occupent le dernier rang
sur Terre, mais sont au-dessus de l’humanité du point de vue de leur élément,
l’Infini (« rois », « princes », démonstratif laudatif « ce »). Dans cet élément, c’est
lui qui se moque des hommes (« se rit des huées »).
Conclusion
En ouvrant son recueil sur la présentation, ici allégorique et pathétique, de sa
conception du poète, Baudelaire invite son lecteur à se mettre à sa place, à
devenir « [son] semblable, [son] frère » pour comprendre sa poésie.
21
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Dissertation
Le sujet invitait à s’interroger sur le problème suivant : le public et les auteurs
des œuvres littéraires sont-ils toujours hostiles à la nouveauté ? et si oui,
pourquoi ? ou bien savent-ils aussi l’apprécier et la rechercher ?
On peut répondre à la question par une réflexion dialectique.
1. La nouveauté est souvent mal perçue
A. Le public préfère reconnaître que connaître
Cela flatte son goût et sa culture.Voir la domination du parti des Anciens au
XVIIe siècle, qui défendait l’imitation des grands auteurs antiques contre le
renouvellement de la création.
B. La nouveauté peut faire peur
Elle constitue une perte des repères. La poésie contemporaine, par exemple,
qui cherche toujours à découvrir de nouvelles formes, exclut souvent son
public par son hermétisme.
C. La nouveauté est rare et difficile
Ce rejet de la nouveauté ne s’observe pas seulement du côté de la réception
des œuvres mais aussi de celui de leur production. Il n’est pas facile d’inventer du nouveau.
2. La nouveauté est cependant incontournable
A. Comme les sciences, la littérature et les arts connaissent le progrès
C’est la thèse des Modernes à la fin du XVIIe siècle, et en particulier de leur
chef de file, Perrault.
B. La nouveauté est excitante et intéressante
Le public aime dans la nouveauté la découverte et la surprise. C’est ce qui
explique le succès d’œuvres de fiction toujours plus fictionnelles (fantastique,
science-fiction).
C. C’est la nouveauté qui fonde l’originalité de l’auteur
C’est par la recherche du nouveau dans Les Fleurs du mal que Baudelaire
s’est distingué de ses influences à la fois classiques et romantiques : « [...] des
poètes illustres s’étaient partagé depuis longtemps les provinces les plus fleuries du
domaine poétique. Il m’a paru plaisant, et d’autant plus agréable que la tâche était
plus difficile, d’extraire la beauté du mal » (projet de préface pour la deuxième
édition).
22
Acte I, scène 2
3. L’écrivain a pour mission d’éclairer le « chemin nouveau »
Un des termes les plus importants dans la citation est le verbe enseigner.
L’écrivain ne doit pas rechercher la nouveauté pour la nouveauté mais pour
la transmettre à ses lecteurs. Il doit donc faire en sorte que la nouveauté ne
soit plus nouvelle.
A. La nouveauté de la forme ou des idées correspond simplement à une partie du
monde ou de la connaissance qui n’avait pas encore été révélée
Le drame bourgeois est né au XVIIIe siècle de la nécessité de représenter une
classe sociale en plein développement, la bourgeoisie, et de la nécessité de
s’adresser à elle. Le Nouveau Roman, apparu à partir des années 1950, adopte
une forme (objectivité, focalisation externe, absence de profondeur psychologique) qui correspond à la réalité de l’après-guerre.
B. L’écrivain est donc un explorateur
C’est lui qui doit découvrir de nouveaux territoires de la vie humaine,
comme Mme de Lafayette qui écrit, avec La Princesse de Clèves, le premier
roman d’analyse qui ouvre une fenêtre sur la psychologie et les sentiments.
C. L’écrivain est aussi un pédagogue
Il doit mettre ces connaissances nouvelles à la portée du public, abolir la peur
liée à la nouveauté. C’est ce que fait Voltaire en combattant les préjugés au
moyen de contes divertissants ou en diffusant la science de Newton par l’intermédiaire de la poésie (Épître à Madame du Châtelet).
Écriture d’invention
• Un discours de défense, ou plaidoyer, est un discours argumenté. Étant
donné que c’est l’accusé qui assure ici sa propre défense, on peut parler de
plaidoyer pro domo et attendre l’utilisation de la 1re personne du singulier ainsi
que des procédés rhétoriques qui expriment l’engagement du locuteur
(phrases exclamatives, interrogations rhétoriques, travail des rythmes, etc.).
• Pour le contenu, quelques suggestions :
– les « affaires » peuvent réclamer autant de passion que la littérature ;
– la pratique de la littérature peut être très instructive pour les affaires, être
l’occasion d’une ouverture d’esprit, d’une meilleure connaissance de ses
adversaires, un délassement qui permet de restaurer l’énergie dont on a
besoin pour les « affaires » ;
– on peut exercer deux activités complémentaires en s’organisant bien, en
divisant son temps de manière étanche entre les deux.
23
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Acte II, scène 15 (pp. 113 à 119)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 120 À 124)
a Bartholo, conformément au type du vieux barbon, est caractérisé par sa
jalousie qui fait de lui un tuteur tyrannique. Cette jalousie apparaît tout
d’abord dans la situation de la scène : Bartholo demande à voir la lettre que le
Comte déguisé a remise à Rosine lors de la scène précédente. Bartholo était
présent et l’on peut dire que sa vigilance à toute épreuve est un signe évident
de sa jalousie. Dans la scène 15, celle-ci est explicitée par une réplique de
Rosine (l. 547) et par le jeu de scène qui consiste pour Bartholo à aller fermer la porte afin que Rosine ne puisse pas s’enfuir.
z Lorsqu’on observe le système des pronoms et des appellatifs à l’œuvre
dans cette scène, il faut distinguer trois moments. Dans un premier temps
(l. 512-537), Bartholo tutoie Rosine et lui donne de petits noms affectueux :
« m’amour » (l. 517), « mon cœur » (l. 535). Ensuite, il passe au vouvoiement et
ne l’appelle plus que « Madame » (l. 579), puis « Rosine » (l. 586). Enfin, à partir
de la ligne 607, il revient à des termes d’adresse affectueux : « mon enfant »
(l. 607), « Ma chère Rosine » (l. 612), « mignonne » (l. 637).
Ces noms et pronoms participent au ridicule du personnage dans la mesure
où ils sont inadéquats : Bartholo est un vieil homme que l’amour pour une
fraîche adolescente qui ne l’aime pas rend risible, voire un peu pitoyable. Le
plus significatif de ces noms est l’expression « mon enfant », qu’on peut considérer ici comme une sorte de syllepse : au sens figuré, il exprime simplement
l’affection ; mais il peut être entendu au sens propre, car Rosine a bien l’âge
d’être « l’enfant » de Bartholo et non sa femme.
e Au début de la scène, juste après le départ du Comte, Rosine exprime ses
impressions à son égard, soit qu’elle ne puisse retenir son enthousiasme, soit
qu’elle veuille se jouer de Bartholo. Quoi qu’il en soit, on sent dans l’éloge
que contient sa première réplique (l. 514-515 : « ce jeune soldat », avec l’adjectif
démonstratif laudatif ; « esprit » ; « éducation ») des accents de jeune fille amoureuse. À la fin de la scène, Bartholo sorti, c’est un monologue (l. 644-653) qui
lui permet d’exprimer ses sentiments : on remarque la teneur affective de son
discours dans les interjections « Ah ! » (l. 644 et 646), la modalité exclamative,
les points de suspension, le passé composé (l. 645 et 649) qui traduit le regard
rétrospectif de Rosine sur ce qui vient de se passer, et enfin le vocabulaire
affectif (l. 645 : « chagrin » ; l. 649 : « senti », « rougissais »).
24
Acte II, scène 15
r La satire de la médecine apparaît dans le passage où Rosine feint d’être
évanouie et elle est très étroitement liée à la dissimulation que pratiquent les
deux personnages. En effet, non seulement Bartholo est incapable de se
rendre compte médicalement que Rosine joue la comédie (ce qui est une
façon de se moquer de ses capacités de diagnostic), mais, en plus, il « soigne » la
« malade » mécaniquement, occupé qu’il est à lire la fameuse lettre, en récitant
des formules toutes faites qui semblent vides de sens et sont surtout déconnectées de la situation : « L’usage des odeurs… produit ces affections spasmodiques »
(l. 598-599). La satire porte donc à la fois sur le docteur et sur le pédant.
t Le personnage de Rosine est un détournement de l’emploi d’ingénue
dans la mesure où cet emploi est ici utilisé au second degré. En effet, Rosine
n’est pas une ingénue, mais une jeune fille délurée et libertine qui joue à
l’ingénue. Sa ruse pour éviter d’être prise en flagrant délit consiste à faire
croire à sa naïveté. C’est ce qui apparaît dans la première partie de l’échange.
Rosine feint l’étourderie, gage d’une innocence naturelle (l. 520, 528 et
530). Devant la résistance de Bartholo, elle est cependant obligée de changer
de tactique et adopte alors le ton de la révolte (voir l’explicitation, l. 548).
C’est un second détournement du type de l’ingénue, car l’ingénue traditionnelle ne se rebelle pas et n’intervient pas dans la conduite de l’intrigue.
y Dans la troisième partie de la scène, celle de l’évanouissement, les répliques
de Rosine se dotent d’accents de tragédienne (l. 578-589). Elle troque le ton
de la révolte et de la revendication caractérisé par de nombreuses interrogations pour celui de la plainte, de la lamentation, dont la modalité exclamative
est la principale expression. Mais on observe aussi l’utilisation de l’hyperbole à
travers un vocabulaire excessif (l. 578 : « On me tuera » ; l. 583 : « Malheureuse » ;
l. 589 : « je meurs »). Le terme « fureur » est d’ailleurs directement emprunté à la
tragédie. On notera également la brièveté des phrases qui comptent six syllabes et forment avec celles de Bartholo de quasi-alexandrins blancs, d’autant
plus qu’on y trouve une rime et une allitération en sifflantes [f] et [] :
« J’étouffe de fureur !/Elle se trouve mal./Je m’affaiblis, je meurs. »
u Le champ lexical du mensonge est composé des termes suivants :
« Dissimulons » (l. 513), « feint » (l. 521 et 580), « ne pas le montrer » (l. 538-539),
« sans qu’elle en soit instruite » (l. 590-591), « en se tournant un peu » (l. 593),
« finement » (l. 601), « Qu’elle ignore » (l. 603-604), « fait semblant » (l. 605). Leur
répartition entre les différents personnages est intéressante : sur neuf, un
concerne le Comte, deux Rosine et six Bartholo.
25
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
i La stratégie de Rosine compte plusieurs phases. Elle consiste d’abord à
jouer l’innocence, la distraction, puis à feindre la révolte pour éviter d’avoir à
montrer à Bartholo la lettre du Comte, et enfin, devant la résistance du
tuteur, à simuler un évanouissement, puisqu’elle a déjà substitué la lettre de
son cousin à l’autre, dans le but de culpabiliser Bartholo. Rosine parvient
parfaitement à ses fins ; elle semble sortir vainqueur sur tous les plans.
o Comme le montre la distribution des termes du champ lexical du mensonge, Rosine n’est pas la seule à mentir. Bartholo pratique lui aussi la
dissimulation dans cette scène. Cependant, contrairement à Rosine, son
mensonge ne lui sert à rien, il se retourne même contre lui. On peut ainsi
dire que Bartholo est un « trompeur trompé » puisque, lorsqu’il trompe
Rosine en lisant la lettre dans son dos, il ne sait pas qu’elle l’a devancé en
remplaçant le billet compromettant par une missive inoffensive.Tout au long
de la pièce, Beaumarchais jouera ainsi à faire de Bartholo le responsable de
son propre malheur (voir en particulier le début de l’acte III).
q Pour faire en sorte que les spectateurs ne soient pas eux-mêmes les victimes des mensonges et des ruses à l’œuvre dans cette scène, Beaumarchais
utilise une forme particulière du langage théâtral, l’aparté : réplique régie par
une convention en vertu de laquelle un propos, bien que dit à haute voix, est
la représentation de la pensée muette d’un personnage, que les autres personnages ne sont donc pas censés entendre. Il y a, dans la scène 15, sept apartés
également répartis entre les deux personnages (quatre pour Bartholo, trois
pour Rosine). Ils permettent aux spectateurs de prendre connaissance de la
stratégie adoptée par chacun (l. 514 et 533-534), puis de la mise en œuvre
des plans (l. 569-571 : cet aparté est un peu particulier car Bartholo n’entend
pas les propos de Rosine non par convention, mais parce qu’il s’est éloigné
pour aller fermer la porte ; l. 590-591 et 595-596), et enfin du résultat de
l’opération (l. 602-604 et 611).
s Beaumarchais joue avec ses spectateurs ou lecteurs en plaçant dans la
bouche de Bartholo une réplique qui fait allusion non à l’histoire représentée, mais à son art dramatique et aux critiques qu’il a pu essuyer. En lui faisant dire « Nous ne sommes pas ici en France, où l’on donne toujours raison aux
femmes », Beaumarchais utilise une forme d’ironie : l’énoncé laisse entendre
clairement son contraire en le soulignant, à savoir que l’on est en France et
que c’est de la France que le dramaturge se moque. Ce clin d’œil sur l’écriture de la pièce rompt un instant l’illusion théâtrale.
26
Acte II, scène 15
d Dans la dernière réplique de Rosine – son monologue –, Beaumarchais
brise à nouveau l’illusion en compliquant l’intrigue de façon superflue. Il
défait tout ce que la scène vient de construire.Alors que Rosine a lutté pour
éviter le drame, la lettre du Comte lui « recommande de tenir une querelle ouverte
avec [s]on tuteur ». Tout est donc à recommencer ! Par cette phrase en apparence anodine, Beaumarchais invite ses spectateurs et lecteurs à jeter un œil
sur la fabrique de la comédie dans l’atelier du dramaturge.
f Rosine a raison dans sa révolte, même si celle-ci n’est au départ qu’une
ruse pour ne pas révéler son amour. Ses revendications et les arguments
qu’elle emploie pour dénoncer la tyrannie de son tuteur sont parfaitement
légitimes et justes. Comme dans un véritable plaidoyer, elle commence par
rappeler les faits contre lesquels elle s’insurge, en évoquant la lettre de son
cousin que Bartholo lui a remise « toute décachetée ». Le principal ressort de
son attaque consiste à faire valoir l’égalité entre les deux parties : Bartholo ne
doit pas en user avec elle comme il le fait, puisqu’elle ne se conduit pas mal
envers lui. En revanche, l’argumentation de ce dernier est irrecevable, puisqu’il se réclame « du droit […] du plus fort » (l. 576-577). Dans la réplique des
lignes 557-558, Rosine fait entendre une critique du mariage qui fait de la
femme un être irresponsable sous la tutelle de son mari. C’est toute la condition féminine de l’Ancien Régime que dénonce ici Rosine dans sa ruse.
g La scène est composée de cinq mouvements que l’on peut clairement
identifier à l’aide des variations de types de répliques. En effet, ce sont les
apartés de Rosine, ainsi que les déplacements de Bartholo qui rythment la
scène et qui permettent le passage d’un mouvement à l’autre. On peut donc
analyser la progression de la manière suivante :
– lignes 512-534 : Rosine joue les naïves ;
– lignes 535-573 : Rosine se révolte (jusqu’au déplacement de Bartholo) ;
– lignes 574-611 : la fausse évanouie et le trompeur trompé ;
– lignes 612-643 : Bartholo culpabilise (jusqu’à la sortie de Bartholo) ;
– lignes 644-653 : le monologue de Rosine.
h Le troisième mouvement, central, joue le rôle de pivot entre la première
partie de la scène et la seconde. Il est aussi un prisme inverseur. En effet, la
situation dans la seconde partie est le reflet inversé de celle de la première :
dans celle-ci, Bartholo exige de voir la lettre et Rosine refuse de la lui montrer ; au contraire, après l’évanouissement feint et la trahison de Bartholo,
c’est Rosine qui veut montrer la lettre et le tuteur qui ne veut plus la voir.
27
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Ce retournement de situation très net, semblable à celui d’un mécanisme, et
en particulier la contradiction de Bartholo, a une forte portée comique.
j Les didascalies, conformément à la théorisation du drame par Diderot, sont
bien plus nombreuses que dans la dramaturgie classique et plus longues et
précises. Elles contiennent des informations diverses : certaines, traditionnelles,
portent sur les déplacements des personnages (l. 569, 574, 610, 630 et 643),
d’autres sur leurs gestes et leurs positions (l. 572-573, 579-580, etc.). La plupart sont indispensables à la construction de la scène : l’action passe par elles.
Beaumarchais va jusqu’à noter les regards de ses personnages (l. 512, 601 et
639). Il fait donc acte de metteur en scène et de directeur d’acteurs autant
que d’auteur. Les didascalies sont très développées, très précises, très écrites,
comme si parfois le texte théâtral tendait vers le genre romanesque ou que le
dramaturge ne supportait pas d’être tenu à l’écart de l’énonciation.
Enfin, ces didascalies participent au comique de la scène : les gestes qu’elles
rapportent sont comiques (Bartholo prenant le pouls de Rosine tout en
lisant ; Rosine l’observant en cachette) et elles sont répétitives (comparer
l. 592 et l. 600).
k Les objets qui interviennent ici sont, par ordre d’apparition sur scène, la
« pochette » (l. 529), la porte (l. 568), les lettres (l. 570), le fauteuil (l. 580), le
flacon (l. 610). Bien sûr, de tous ces objets, ce sont les lettres, ou génériquement la lettre, les plus importantes. L’objet lettre a effectivement un rôle
récurrent et capital dans l’intrigue où il intervient sous des formes diverses :
ce sont des papiers, ou billets qui servent au Comte et à Rosine pour communiquer (acte I, scène 3 ; acte II, scènes 2, 14 et 15), qui font avancer l’intrigue (acte III, scène 2) et qui provoquent la péripétie fondamentale de la
scène 3 de l’acte IV ; mais c’est aussi un écrit, « papier » ou « parchemin », que le
Comte déguisé en soldat ivre produit à Bartholo (scène 14).
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 125 À 130)
Examen des textes
a La qualité que les hommes ne reconnaissent pas aux femmes dans le
texte B, et qui est aussi la valeur suprême du Siècle des lumières, est la raison.
En effet, Arthénice rappelle que, pour les hommes, les femmes n’ont pas « le
sens commun » ; c’est pourquoi elles-mêmes n’ont pas confiance en leurs
« lumières ». Mme Sorbin, elle, affirme que la raison est fonction de l’âge
28
Acte II, scène 15
(« l’âge de raison ») et non du sexe. Dans le vocabulaire masculin, la raison masculine semble s’opposer à la « sagesse » féminine, mais celle-ci n’a rien à voir
avec une quelconque aptitude intellectuelle ou spirituelle : il s’agit d’être
« sages » au sens de « vertueuses », c’est-à-dire aussi « obéissantes ». Mais
Arthénice retourne l’argument du manque de raison contre les hommes, en
disant que la tyrannie masculine elle-même est déraisonnable.
z La critique du mariage de raison dans le texte C est surprenante car la
liberté de la femme et l’expression de ses sentiments sont revendiquées au
nom de Dieu. Par tradition, la morale chrétienne prône le respect de la vertu,
de l’ordre moral et social – donc les mariages de convenances et d’argent –,
et non l’épanouissement du désir féminin. C’est en cela que George Sand est
anticonformiste.
e Le procédé rhétorique dominant dans le texte C est l’interrogation rhétorique. La modalité interrogative ne correspond pas à une véritable demande
d’information et permet d’exprimer les idées avec plus de force que la
modalité assertive en interpellant directement le destinataire du discours.
r Dans les textes C et D, la femme est comparée à une esclave : celle de
l’homme.
t D’après le texte D, la société dans laquelle la femme est considérée comme
inférieure à l’homme est une société hypocrite et déloyale. Elle se voile la
face, trahit ses membres par lâcheté.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
La dénonciation de la condition féminine s’appuie sur :
– Le combat contre les préjugés au nom de la raison : l’oppression masculine
repose sur des préjugés et non sur la raison ou la nature (textes B et D). La
condition féminine est telle parce qu’elle est devenue une habitude ; les
femmes ont été conditionnées par les hommes et les lois qu’ils ont écrites
(textes B et D ; voir les termes « arbitraire », « caprice »).
– La revendication de l’égalité et des droits qui y sont associés, notamment le
droit à la liberté, le droit à disposer d’elle-même : la femme a les mêmes droits
que n’importe quel citoyen (texte A).
Le droit de la femme à l’égalité (textes C et D) et à l’amour, le droit de choisir (textes A et C) sont des droits divins (texte C).
29
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Commentaire
Introduction
Au sein du récit, les dialogues entre les personnages sont l’occasion et le
moyen pour l’auteur d’exprimer des idées. Ici, la réplique de l’interlocuteur
de Consuelo s’étire en tirade. Elle constitue un véritable discours de type
épidictique, blâmant le mariage de raison, et met en œuvre une rhétorique
très claire et très efficace.
1. Du conseil particulier à la thèse générale
Ce discours présente tout d’abord une tension entre sa place et sa fonction
dans le récit et la thèse qu’il défend. George Sand utilise en effet une conversation d’ordre privée pour exposer des idées politiques et sociales. Le texte
peut donc en premier lieu être analysé comme le point de rencontre entre
une énonciation intime et une pensée générale.
A. La situation d’énonciation : une conversation intime
• Alors que le discours de l’interlocuteur de Consuelo, par sa longueur et sa
forme, sur laquelle on reviendra, ressemble à une véritable harangue publique,
il ne s’adresse qu’à une seule personne. Cet interlocuteur place son discours
sous le signe de la familiarité la plus étroite, celle des relations familiales ou
celle de la religion, en se comparant à un « père » puis à un « confesseur ». Sa
parole serait donc de l’ordre de la confidence et du secret.
• Son interlocutrice est désignée par le pronom de 2e personne du singulier,
plus familier que le vous et qui marque la distance et la politesse.
• Cette interlocutrice est également la destinataire du discours ; c’est à elle
qu’il est adressé et c’est sur elle qu’il doit produire son effet ; c’est elle qu’il
doit convaincre. C’est pourquoi la personne de la jeune fille est inscrite dans
le discours même : par l’utilisation des interrogations rhétoriques qui miment
le questionnement de Consuelo et l’obligent à épouser le raisonnement
qu’on lui tient ; par l’utilisation des impératifs qui l’impliquent dans le discours et la sollicitent (« sois donc certaine » ; « penses-y bien, Consuelo »). C’est
aussi une façon de renvoyer la jeune fille à son choix et d’affirmer sa liberté.
B. Un discours à portée générale
Malgré son cadre d’énonciation et l’inscription en son sein d’un destinataire
précis et unique, ce discours a une portée générale qui apparaît dans :
– des énoncés présentant une tournure générique proche de celle de la formule, voire de la maxime, faisant intervenir le présent de vérité générale,
l’article défini à valeur générique, les indéfinis (« La passivité de l’esclavage a
30
Acte II, scène 15
quelque chose qui ressemble à la froideur et à l’abrutissement de la prostitution » ; « le
vœu de virginité est anti-humain et antisocial »), ou encore le futur, des termes
désignant des entités génériques, l’adverbe « toujours » (« [...] ce qui distinguera
toujours la compagne de l’homme de celle de la brute […] ») ;
– un vocabulaire abstrait faisant tendre le discours vers la réflexion de type
philosophique plus que vers le conseil intime ;
– un glissement final du destinataire avec l’apostrophe ambiguë « Non,
femme ! » et le passage de la 2e personne du singulier à la 2e personne du
pluriel de politesse ou collective.
2. La condamnation du mariage de raison
George Sand démontre dans ce discours que l’institution du mariage telle
que la conçoit et l’utilise le XIXe siècle, c’est-à-dire réduite au mariage de raison préservant l’intérêt des familles et de la société, a en fait des conséquences funestes sur cette société, et même sur l’humanité tout entière,
comme sur le couple et les individus qui le composent.
A. Le mariage de raison : violation de la loi de Dieu
C’est de façon audacieuse et paradoxale, anticonformiste, que George Sand
appuie sa condamnation du mariage de raison sur l’idée de Dieu. Son raisonnement à cet égard est composé des éléments suivants :
– le mariage sans amour est comparé à l’esclavage à l’aide du champ lexical
de l’humiliation : « servage », « abrutissement », « prostitution », « dégradé » ;
– l’égalité entre l’homme et la femme, la réciprocité de l’amour et du désir
(les « instincts ») sont la « loi de l’humanité » dictée par Dieu ;
– en vertu de cette « loi de l’humanité », le mariage de raison est un acte de
désobéissance envers les commandements divins et se solde donc par une
punition divine : la monstruosité de la descendance de l’homme et de la
femme ainsi unis (l. 18-24) ;
– la femme a donc non pas le droit mais le devoir de se marier avec celui
qu’elle aime, le devoir et le « droit de choisir ».
B. Le mariage de raison : un avilissement réciproque des individus
Dans la deuxième partie du texte, George Sand développe un autre argument contre le mariage de raison, qui ne concerne pas l’avenir de l’humanité
mais les relations entre les individus. L’effacement de la femme et de ses
volontés (« t’annihiler ») au sein du couple est néfaste pour deux raisons :
– il « dégrade » les deux individus concernés en ce qu’il fait du mariage une
imposture (voir le champ lexical du mensonge : « trompé », « abusé », « enivré »,
31
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
« méprise », « piège »). La femme est ainsi moralement avilie parce qu’elle fait
croire à son mari qu’elle l’aime, le mari parce qu’il est aveuglé ;
– la femme éprouve du ressentiment à l’égard de son mari qui, parce qu’il ne
la comprend pas, perd à ses yeux toute qualité, sa « grandeur », sa « délicatesse »
pouvant servir de support à l’estime.
3. Une rhétorique de la foi et de l’audace
Ce blâme du mariage de raison s’appuie sur une rhétorique inspirée qui
montre que son énonciateur – le « vieillard » est en réalité une femme – est
impliqué dans cette profession de foi subjective et audacieuse, tout comme
l’est sa créatrice George Sand, femme cachée derrière un nom masculin.
A. Une rhétorique de l’implication
L’implication de l’énonciateur dans son discours ne passe pas par la présence
de la 1re personne du singulier, mais s’appuie sur d’autres procédés :
– l’interrogation rhétorique revêtant une valeur exclamative ;
– la modalité exclamative exprimant, comme l’interrogation rhétorique,
l’indignation ;
– la construction binaire des phrases, avec répétition de l’adverbe « là » et du
présentatif en système négatif « il n’y a pas » (l. 22-24) ; anaphore de « ne le
dégraderais-tu pas », de l’adverbe « où », etc. ;
– le rythme des phrases. Cadence majeure aux lignes 13-15, 18-22, etc. ;
– la structure de certaines phrases simples, à l’allure d’énoncés de vérité : « Ils
portent le sceau de la désobéissance ».
B. Un discours osé
Le discours du « vieillard » et la position de George Sand sont un discours
audacieux pour l’époque, anticonformiste et, pour certains, sans doute
blasphématoire. Cette audace passe par :
– une radicalisation du lexique. George Sand choisit des mots et des expressions frappants : « abjurer », « prostitution », « abrutissement », « monstrueux »,
« anti-humain », « haine », etc., mais aussi hyperboliques : « ils n’appartiennent pas
entièrement à l’humanité » ;
– les comparatifs et les superlatifs : « plus affreux et plus dégradants encore » ;
– l’accumulation d’adjectifs ou de participes passés (voir l. 31-32).
Conclusion
Face à l’audace de la rhétorique mise en œuvre dans ce discours et des arguments qu’il développe, on peut faire l’hypothèse que le récit romanesque est
un habile masque des idées féministes en germe.
32
Acte II, scène 15
Dissertation
Ce sujet appelle un plan dialectique. Il ne faut pas remettre en cause l’utilité
de l’œuvre pour la société mais en examiner les modalités et l’efficacité.
1. Les moyens d’action des œuvres littéraires
Les œuvres littéraires peuvent contribuer à améliorer la société en jetant un
regard critique sur elle. Cette critique peut passer par la connaissance, par la
dénonciation, ou par l’engagement proprement dit.
A. La connaissance de la société
La première étape d’une action est celle de la prise de conscience. C’est cette
prise de conscience des réalités du monde du travail minier, par exemple, que
permettent les descriptions et la narration de Germinal de Zola.
B. La dénonciation
Certains genres littéraires ont pour mission explicite de corriger certains
éléments de la société. C’est le cas de la comédie au XVIIe siècle. Molière
caricature et dénonce le vice de la dévotion hypocrite dans Le Tartuffe, etc.
C. L’engagement
L’écrivain peut enfin contribuer à l’amélioration de la société par son engagement proprement dit. C’est le cas de Zola prenant parti pour le capitaine
Dreyfus dans J’accuse, des écrivains surréalistes René Char, Robert Desnos,
Louis Aragon pendant la Seconde Guerre mondiale, etc.
2. Les limites de l’action des œuvres littéraires
A. L’œuvre abandonnée par son auteur
Alors que, dans le cadre de l’engagement, c’est la personne de l’auteur qui est
concernée, il n’est pas toujours là pour seconder ses œuvres dans leur mission. Certaines œuvres peuvent être mal interprétées et manquer leur but.
B. Des valeurs contraires au progrès
Certaines œuvres véhiculent également des valeurs contraires à celles qui
contribueraient à l’amélioration de la société. Par exemple, les valeurs de
Céline dans Voyage au bout de la nuit ou celles de Goethe dans Les Souffrances
du jeune Werther, qui amenèrent beaucoup de jeunes gens au suicide.
C. L’art pour l’art
Certains écrivains, en particulier des poètes, refusent que la littérature ait une
utilité consciente et voulue. Les poètes parnassiens (Gautier, Leconte de
Lisle) et, dans une certaine mesure, Baudelaire pensent donc que l’art ne doit
pas s’occuper de morale mais seulement de sa propre beauté plastique.
33
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
3. Une littérature de progrès tout de même
Même lorsqu’elle n’a pas comme but avoué l’amélioration de la société, la
littérature peut être source de bonheur individuel et de progrès social.
A. La littérature comme moyen d’évasion
• En permettant au lecteur d’échapper provisoirement à la vie quotidienne,
l’œuvre littéraire lui rend cette dernière plus supportable.
• Commenter ici un exemple de lecture personnelle, de plaisir de lecture.
B. La littérature comme connaissance de soi
La littérature peut permettre de se comprendre et de mieux vivre avec soimême. Si elle n’améliore pas directement la société en cela, elle rend meilleur
chacun de ses membres. Par exemple, Le Blé en herbe de Colette permet de
mieux comprendre les sentiments éprouvés lors d’un premier amour ;
Antigone d’Anouilh offre un exemple de révolte contre l’autorité et pose,
entre autres, la question du conflit de générations.
C. La littérature comme source de modèles
Certaines œuvres vont jusqu’à proposer des modèles de société sur lesquels la
nôtre pourrait prendre exemple. C’est la tradition de l’utopie, née avec
Thomas More.
Conclusion
Les attaques que peuvent subir les écrivains (Molière condamné pour son
Tartuffe, Diderot en prison, etc.) montrent que la littérature peut servir l’action
et même être action. Si elle était impuissante, on ne la craindrait pas.
Écriture d’invention
• On attend des élèves qu’ils sachent tout d’abord présenter un dialogue
(tirets, guillemets, etc.) et qu’ils respectent l’alternance des arguments et des
réponses à ces arguments dans la progression de la discussion.
• Quelques suggestions de contenu :
– le mariage est un signe que l’on adresse à l’autre/l’amour n’a pas forcément
besoin de ce signe ;
– ce signe peut aussi être adressé à ceux qui nous entourent. C’est un acte
individuel mais aussi social/on se marie pour soi ;
– le mariage présente aussi des commodités matérielles (rapprochement de
conjoints, assurance contre la précarité)/ce ne sont pas de bonnes raisons
pour se marier ;
– à une époque où l’on vit en couple sans mariage, celui-ci perd de sa signification/il apparaît comme un véritable choix et n’en a que plus de valeur.
34
Acte III, scène 4
Acte III, scène 4 (pp. 136 à 142)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 143 À 147)
a Le sous-titre de la pièce a déjà fait une apparition dans la scène 3 du premier acte. Rosine explique à Bartholo que le papier qu’elle tient sont les
paroles d’une chanson d’une « comédie nouvelle ». En fait, c’est un mensonge :
le papier est un billet adressé au Comte, qu’elle fait passer pour une chanson
afin de pouvoir la lâcher impunément dans la rue, d’envoyer Bartholo la
récupérer et inviter, dans l’intervalle, le Comte à ramasser la feuille. C’est
donc La Précaution inutile qui permet une première fois aux deux amants de
communiquer. Beaumarchais soigne la continuité de sa pièce, puisque, dans
la scène 4 de l’acte III, c’est ce même chant qu’Alonzo propose à Rosine
d’essayer. Cette fois, ce n’est plus par l’intermédiaire matériel du papier que
les amoureux communiquent mais par celui des paroles et de la musique.
z Ce sous-titre illustre parfaitement la situation de la scène et de toute la
pièce, puisque Bartholo y est trompé malgré toutes les dispositions qu’il
prend pour surveiller Rosine. Il tient à écouter le chant, mais, même s’il ne
s’était pas endormi, Rosine et le Comte auraient trompé sa vigilance en s’exprimant et en communiquant à travers la chanson. L’intrigue va même plus
loin que ce sous-titre : non seulement les précautions que prend Bartholo
sont inutiles mais elles sont également nuisibles. C’est Bartholo qui insiste
d’abord pour que Rosine prenne sa leçon avec Alonzo ; il est donc en
quelque sorte responsable de ce qui lui arrive, artisan de ses propres malheurs. Loin de le protéger, ses précautions se retournent contre lui.
e On peut identifier au moins quatre péripéties – ce qui est beaucoup dans
une scène relativement courte, si l’on tient compte de la présence d’une assez
longue partie chantée. Lignes 122 à 131, Rosine refuse de prendre sa leçon
de musique, suivant les directives de son amant de « tenir une querelle ouverte »
avec son tuteur. Puis elle se rend compte que le nouveau maître de musique
n’est autre que Lindor : c’est la première péripétie, qui, on le devine sans
qu’elle l’exprime, la fait changer d’avis (l. 131 à 150). Parce qu’elle a caché sa
surprise en faisant croire à une foulure, Bartholo décide qu’il n’y aura pas de
leçon : nouveau retournement de situation, nouvelle péripétie (l. 151). Mais
le Comte persuade le tuteur de ne pas contrarier sa pupille : la leçon aura
donc lieu (l. 165). Enfin, pendant le chant, l’endormissement de Bartholo
35
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
permet aux amoureux d’esquisser un geste de tendresse, qu’interrompt le
réveil soudain du vieillard, le schéma pouvant, selon la didascalie, se renouveler plusieurs fois : ce sont autant de mini-péripéties. On remarque que, dans la
première partie de la scène, ces revirements de situation sont très rapprochés :
par ce rythme soutenu, Beaumarchais joue avec l’attente, voire la tension, des
spectateurs et produit un comique particulier.
r Les péripéties de la deuxième partie de la scène sont signalées par la didascalie et fondées sur des jeux de scène, des gestes des comédiens. Celles de la
première partie utilisent également les didascalies mais aussi la modalité
exclamative exprimant la surprise (l. 131, 133-134 et 137) ou la prière
(l. 159), ainsi que le champ lexical de l’opposition (l. 153, 168 : « Non » ; l. 154 :
« j’ai eu tort » ; l. 161 : « m’empêchez » ; l. 163 : « Ne la contrariez pas » ; etc.).
Chaque péripétie est signalée par le trouble de Rosine.
t Le Comte vient en aide à Rosine grâce à une interrogation dite « totale ».
En effet, à la question « Le pied vous a tourné, madame ? », Rosine ne peut
répondre que par oui ou par non. Cela n’aurait pas été le cas s’il avait utilisé
une interrogation « partielle » et demandé, comme Bartholo : « Qu’avezvous ? » Le Comte suggère par là une réponse à Rosine, et ce d’autant plus
qu’il n’utilise pas la forme inversée (« Le pied vous a-t-il tourné ? ») caractéristique de la modalité interrogative, mais la forme de l’assertion. On peut
aussi considérer que le Comte souffle une réplique à Rosine. Ainsi, tout se
passe comme si, un instant, il devenait l’auteur de la pièce, inventant pour les
personnages les paroles qu’ils doivent prononcer.
y Le moyen dramaturgique d’expression du double jeu est l’aparté, mais un
aparté particulier. En effet, celui-ci n’a pas pour but de cacher à Rosine ce
qu’il dit à Bartholo, puisque Rosine sait très bien qu’il sert ses intérêts, mais
de faire croire à Bartholo qu’il est de son côté contre Rosine. Les apartés des
lignes 163-164 ou 188 sont en fait des masques, ils font partie du déguisement et de la feinte. Le spectateur – leur destinataire implicite – ne leur
donne pas le même sens que Bartholo – destinataire apparent.
u Le commentaire que Rosine fait de l’air qu’elle va chanter peut recevoir
deux interprétations : l’une littérale, l’autre figurée. Littéralement, Rosine décrit
le thème de la chanson : « un tableau du printemps ». Mais le printemps est aussi
un symbole : c’est la saison de l’amour. Ce qui fait plaisir à Rosine, ce n’est
donc pas le thème printanier du chant mais l’expression de son amour et de
celui du Comte. La suite du commentaire est plus claire encore. En évoquant la
36
Acte III, scène 4
sortie de l’hiver, un cœur prisonnier, en le comparant à « un esclave enfermé
depuis longtemps », Rosine parle, grâce aux figures de la métaphore et de la
métonymie, de sa propre situation. Le cœur captif, c’est elle ; « la liberté qui vient
de lui être offerte », c’est l’amour de Lindor qui veut la soustraire à son tuteur.
i L’ariette est une mise en abyme de la pièce par son titre d’abord et par le
prénom de Lindor qui y figure. Mais aussi par son contenu narratif. En effet,
le deuxième couplet décrit métaphoriquement, et presque allégoriquement,
la situation de Rosine. Bartholo devient une « mère » qui surveille sa fille, une
bergère qui « va chantant » – ce que Rosine est en train de faire. Le chant est
une « ruse ». La suite du couplet permet à Rosine d’exprimer sa peur d’être
découverte (« Mais chanter/Sauve-t-il du danger ? ») et le trouble adolescent
qu’elle ressent face à son premier amour (« Tout l’excite/Tout l’agite », etc.). La
fin du deuxième couplet rappelle la scène 2 de l’acte II dans laquelle Rosine
avait « feint de se courroucer » en apprenant que le Comte était amoureux
d’elle ; le troisième couplet fait allusion à Bartholo (« jaloux »).
o Cette réplique du Comte a un double sens. Pour Bartholo, elle signifie :
« Voyez-vous de quelle façon les idées romanesques de Rosine peuvent s’appliquer à vous, servir vos projets de mariage. » Pour le Comte et les spectateurs, l’application concerne l’amour de Rosine pour Lindor. En cela,
Bartholo n’est que le destinataire apparent de cette réplique adressée essentiellement au spectateur et faux aparté, puisque Rosine pourrait très bien
l’entendre, au double sens d’ouïr et de comprendre.
q Dans cette scène, Bartholo est ridiculisé. La tyrannie qu’il exerce sur
Rosine est dénoncée, mais il éveille aussi attendrissement et pitié. Il s’inquiète
lorsqu’il croit que Rosine s’est blessée, il va lui chercher un fauteuil, il ne veut
pas qu’elle fasse d’effort. On peut penser, même si son attitude reste ambiguë,
qu’il est de bonne foi lorsqu’il veut la ménager ou assister à la leçon. Enfin, le
fait qu’il s’endorme le fait apparaître comme un simple vieillard inoffensif.
Bartholo n’est peut-être pas si méchant que cela : il n’est peut-être qu’un vieil
homme qui court une dernière fois après sa jeunesse.
s Deux répliques peuvent, dans cette scène, relever de ce qu’on appelle, dans
le cadre de la tragédie, « l’ironie tragique » et qui concerne des répliques par
lesquelles un personnage fait allusion sans le savoir aux malheurs qui vont
s’abattre sur lui. Ainsi, lorsque Bartholo dit de la musique : « Je t’assure que ce
soir elle m’enchantera », les spectateurs ne l’entendent pas de la même manière
que lui. Pour eux, il s’agit d’une antiphrase : la musique ne l’enchantera pas,
37
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
elle sera l’instrument de la ruse dont il sera la victime. De la même façon, la
réponse « Parbleu ! », si affirmative, à la question équivoque du Comte (l. 188)
est pour les spectateurs antiphrastique.
d La didascalie de la fin de l’ariette a pour particularité d’être très longue et
très narrative. Elle décrit ce qui se passe pendant le chant, à la fois sur la scène
et du côté des musiciens, ou plus précisément elle raconte au présent de narration, mais avec deux allusions au passé immédiat de la scène – au passé
composé et au plus-que-parfait (« s’est assoupi » et « avait endormi »). Cette
didascalie ne se tient pas au style des indications scéniques, la plupart du
temps matérielles et laconiques. Ici, Beaumarchais affine sa peinture en utilisant un modalisateur et un article indéfini subtils : le Comte « se hasarde à
prendre une main » et non « prend la main de Rosine ». Il ne se contente pas
d’indiquer aux comédiens des mimiques pouvant exprimer les sentiments
des personnages, il essaie de faire sentir leur évolution (l. 261-262). Ces notations très précises peuvent ainsi faire penser aux romans du XVIIIe siècle, qui
les premiers ont fait de la sensibilité une valeur littéraire.
f Bartholo explicite ce lien au roman et au romanesque par sa réplique des
lignes 186-187. En effet, pour le barbon et son époque, l’amour est un sentiment purement romanesque. Les comédies de Molière sont des comédies de
caractère qui ont les vices des hommes pour sujet, alors que les bergères et les
intrigues champêtres qu’évoque Rosine sont issues du best-seller romanesque du tout début du XVIIe siècle, L’Astrée d’Honoré d’Urfé.
g Dans le premier couplet, on pourra reconnaître une assonance en [ɑ̃],
voyelle nasalisée, ainsi que les sons vocaliques ouverts dans « plaine »,
« ramène », « être », « pénètre », « feu », « fleurs » et « cœurs », qui symbolisent l’ouverture de ces derniers. Le deuxième couplet est dominé par des allitérations en
sifflantes et chuintantes (« bergère », « chantant », « son », « ruse », « abuse », « chanter », « danger », etc.) qui expriment la ruse et la dissimulation.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 148 À 154)
Examen des textes
a C’est par l’alternance des phrases rapportant le trouble de Cécile de
Volanges et de celles qui racontent la séance de chant que Laclos suggère la
relation entre la musique et l’expression du sentiment amoureux naissant.
38
Acte III, scène 4
z Dans la mesure où il attend le moment où les musiciens français « se rapprocheront de la nature » et ne soumettront plus la musique à des « lois absurdes »
et où il assigne à la musique la mission de « peindre la passion », on peut penser
que Beaumarchais se situe du côté des Bouffons.
e Nous pouvons dire que le texte de Rameau expose une conception classique de la musique, d’abord en ce qu’il s’agit pour lui de juger (le verbe revient
de façon très récurrente) la musique et non seulement de l’écouter et de la ressentir. Il analyse également la musique en termes de « principes », d’« effet » et de
« cause », qui sont des termes de la philosophie cartésienne. La raison est donc,
pour Rameau, le principal fondement du plaisir musical et la composition est
faite de règles, tout comme le théâtre ou l’architecture classiques.
r La volonté de considérer la musique comme une science apparaît dans
l’utilisation d’un vocabulaire cartésien mais surtout dans le dernier paragraphe, où Rameau explique que le principe de la musique est aussi celui de
« toutes les sciences soumises au calcul » et la compare en particulier à la géométrie.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Les textes C et D se rencontrent non dans leur conception de la musique,
mais dans la définition de son but. En effet, pour Beaumarchais, la musique
doit « peindre la passion », et pour Rameau, elle doit « remuer les passions ». Pour
les deux, la musique se nourrit d’émotions et les provoque. C’est ce qu’illustrent les textes A et B en mettant en scène ou racontant comment deux
jeunes gens expriment leurs émois amoureux à travers la musique qui augmente alors leur trouble. Les tableaux de Watteau et de Fragonard sont, à leur
tour, des représentations graphiques de cette interaction entre émotion et
musique. Dans le tableau de Fragonard, l’orientation des regards, la position
des bras du maître de musique, ainsi que la composition circulaire donnée
par la disposition des corps suggèrent l’intimité de la leçon, tandis que la
lumière, mettant en valeur la peau de l’élève, fait ressortir la sensualité. Dans
le tableau de Watteau, le jeu de regard suggestif est déplacé à gauche et seul
l’homme y participe, comme s’il convoitait la jeune fille innocente. On
retrouve par ailleurs une lumière comparable à celle du tableau de
Fragonard, l’émoi amoureux étant également signifié par la présence des
enfants, évoquant les amours antiques, au regard et au sourire espiègles.
39
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Commentaire
Introduction
Dans une lettre précédente, Cécile a raconté à son amie quel subterfuge avait
trouvé le chevalier Danceny pour lui exprimer son amour en cachette. Ne
pouvant plus supporter de le voir triste, elle va user du même procédé pour
lui répondre. Notre attention, dans ce court récit, doit être attirée par la
façon dont Laclos traduit stylistiquement le trouble de l’amour adolescent.
1. Le style de l’ingénue
Laclos prend soin de faire varier le style des lettres en fonction de leur auteur.
Ici, plusieurs éléments caractérisent le style naïf de l’adolescente ingénue.
A. La personnalisation
• La 1re personne, désignant Cécile, est très présente dans le texte.
• Mais on remarque surtout que Cécile s’adresse à sa correspondante en utilisant la 2e personne du singulier (« figure-toi »). Elle entretient donc avec elle
une relation de familiarité qui convient à leur âge.
• Les deux autres personnages dont il est question dans ce récit sont Danceny
et Mme de Volanges. Le premier n’est désigné que par le pronom personnel
objet de 3e personne. Il est singulier qu’il ne soit pas nommé (même au début
de la lettre), comme si Cécile avait peur de se trahir en écrivant son nom.
• Cécile parle de sa mère en écrivant « Maman » avec une majuscule témoignant de son autorité. Cette désignation indique bien quelle est la relation de
la mère à la fille : soumission et crainte de l’enfant envers l’adulte.
B. Le parler de l’adolescence
Cécile ne maîtrise pas encore parfaitement la langue. C’est peut-être, de la
part de Laclos, une critique de l’éducation insuffisante donnée aux filles dans
les couvents. Ces lacunes apparaissent dans les faits suivants :
– la brièveté des phrases : Cécile préfère la phrase simple à la phrase complexe, la coordination (« mais », « et après », « et moi », etc.) à la subordination.
Celle-ci est toutefois présente mais semble utilisée de façon maladroite, hésitante, répétitive (par exemple, plusieurs subordonnées de conséquence). En
tout cas, elle combine rarement coordination et subordination ;
– la prédominance d’un rythme binaire, souligné par l’emploi de la virgule :
« J’étais si troublée, que je n’osais le regarder. Il ne pouvait pas me parler, parce que
Maman était là. Je me doutais bien qu’il serait fâché, quand il verrait que je ne lui
avais pas écrit », etc. ;
– une syntaxe alambiquée, voire incorrecte : « il avait un air, qu’on aurait dit
40
Acte III, scène 4
qu’il était malade » ; « c’était d’un ton que j’en fus toute bouleversée » (il manque le
premier terme intensif de la subordination) ; « le cœur me battait » au lieu de
« mon cœur battait » ;
– un lexique limité et familier : abondance des verbes statifs avoir, être, faire.
Vocabulaire enfantin et familier (« Maman », « fâché », « bien pis », utilisation du
démonstratif « ça » dans « ça me faisait bien de la peine », etc.).
2. Le langage de l’amour
Cette façon d’écrire est due à l’âge de Cécile, mais aussi au trouble qu’elle
ressent face à l’amour.
A. Le style de l’amour
• Un style de l’intensité : nombreux marqueurs de l’intensité, comme des
adverbes renforçant les adjectifs (« si troublée », « si fort »), ou en système de
subordination de conséquence ; l’adverbe « bien » ; les superlatifs (« bien pis »).
• Un vocabulaire affectif : « troublée », « bouleversée », « peine », « j’avais bien peur ».
• L’expression de la perte des moyens grâce à la négation des verbes pouvoir,
savoir, oser : « je n’osais le regarder », « je ne savais quelle contenance faire », « sans savoir
ce que je faisais », « je ne savais pas », « je ne pourrais » ; grâce à la négation restrictive : « tout ce que je pus faire » (= « je ne pus que »). Ce trouble se retrouve chez
Danceny (« il ne me dit que ces deux mots ») et indique que l’expression de
l’amour ne peut se contenter du langage verbal.
B. Un langage extra-verbal
• Le regard : « je ne le regardai qu’un petit moment. Il ne me regardai pas, lui », etc.
• L’air : « contenance », « il avait un air ».
• La voix : les difficultés que rencontre Cécile à chanter, à produire des sons
avec sa gorge sont l’indice que celle-ci est nouée. Ce devrait être un signe
pour Danceny, signe que Cécile tente de masquer à cause de la présence de
sa mère en choisissant un air qu’elle ne connaît pas. On remarquera l’ambiguïté du pronom indéfini dans « on se serait aperçu de quelque chose ».
3. La leçon de musique : un intermédiaire
La leçon de musique est un moyen de communication pour les jeunes
amants à plusieurs titres.
A. Les fonctions de la harpe
• C’est matériellement que la leçon de musique sert aux jeunes gens à communiquer, par l’intermédiaire de l’instrument de musique. La harpe est
d’abord une boîte aux lettres.
41
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
• Le mot « harpe » devient alors une sorte de code secret : par exemple, dans
les paroles de Danceny rapportées au discours indirect (« il me demanda si je
voulais qu’il allât chercher ma harpe » est une façon de demander à Cécile si elle
a répondu à sa lettre).
• La harpe peut enfin apparaître comme un substitut pour Danceny. Il lui
prête l’attention qu’il voudrait accorder à Cécile : « Il se mit à accorder ma harpe. »
Il s’occupe de l’instrument, ne pouvant s’accorder avec Cécile.
• La leçon de musique, le chant sont aussi un moyen de communication de
l’amour, mais en négatif, puisque c’est l’impossibilité de chanter qui exprime
ce dernier. Laclos joue ici avec la tradition de cette scène.
B. La structure du texte
L’alternance des parties du récit consacrées à la manipulation de la harpe, au
chant, et des parties qui expriment les sentiments de l’énonciatrice peut être
considérée comme la matérialisation textuelle du statut d’intermédiaire de
l’instrument et de la leçon de musique.
Conclusion
Laclos offre dans ce texte une variation sur le motif de la leçon de musique,
en le prenant en quelque sorte à contre-emploi. La leçon de chant n’est plus
l’occasion d’une mise en abyme mais exprime les sentiments des deux
jeunes gens par leur impossibilité de chanter correctement, submergés par
leur amour naissant.
Dissertation
La citation invite à s’interroger sur la fonction de la musique, ainsi que sur
son fonctionnement. Quelle est son action et comment agit-elle ?
1. La musique est effectivement une affaire de sensibilité
A. La musique est expression d’émotions
Les chansons, par exemple, sont souvent composées sous le coup d’une émotion, d’un souvenir, pour commémorer l’une ou l’autre. Par exemple, la
chanson de Renaud Mistral gagnant a été composée lors de l’enregistrement
d’un album durant lequel le chanteur était éloigné de sa fille, éloignement
qui lui avait donné une violente nostalgie de l’enfance.
B. La musique suscite les émotions
• Elle s’adresse au cœur et à l’âme et transmet les sentiments. Ainsi, Julie de
Lespinasse écrivait dans sa correspondance en parlant de l’opéra de Gluck
42
Acte III, scène 4
Orphée et Eurydice : « Elle a été si profonde, si sensible, si déchirante, si absorbante,
qu’il m’était absolument impossible de parler de ce que je sentais ; j’éprouvais le
trouble, le bonheur de la passion. »
• L’expression musicale est d’ailleurs parfois plus efficace que le langage proprement dit, parce que ses instruments d’action touchent plus profondément
l’être humain : le musicien « rend les idées par des sentiments, les sentiments par des
accents ; les passions qu’il exprime, il les excite au fond des cœurs » (Rousseau, article
« Génie » du Dictionnaire de la musique).
2. La musique est consolatrice
A. La musique est un partage des émotions
Parce que la musique est produite indépendamment de son écoute, à la différence de la lecture, elle bannit toute solitude. Elle est forcément rencontre
entre deux éléments, sinon deux personnes : la musique et celui qui l’écoute.
Plus encore, elle permet de saisir la communauté des émotions humaines et
de se consoler en se disant : « Je ne suis pas seul(e) à éprouver cela. »
B. La musique est oubli du réel
La musique peut avoir un effet de divertissement au sens pascalien du terme.
Comme l’écrit Julie de Lespinasse, elle « entraîne ». Elle permet d’oublier les
préoccupations quotidiennes en isolant en quelque sorte l’auditeur du reste
du monde. Elle le permet mais aussi l’exige. C’est ce que suggère Rameau
dans le texte A : « Pour jouir pleinement des effets de la musique, il faut être dans un
pur abandon de soi-même. »
3. Limites de cette conception
A. La musique est aussi le produit de la raison et s’adresse à elle
Rameau fonde cependant l’efficacité de la musique sur des critères de rationalité. Elle ne touche que parce que le musicien maîtrise les règles complexes
de l’harmonie. On peut ainsi ressentir un plaisir tout intellectuel, cérébral à
l’écoute de certaines musiques : par exemple, les nouvelles musiques électroniques. L’émotion musicale peut donc être celle de la découverte, de l’admiration face à une virtuosité que l’on analyse rationnellement.
B. La musique est aussi l’instrument de la gaieté
Julie de Lespinasse et tous les partisans des Bouffons semblent réduire l’émotion musicale à la douleur, la tristesse, à son aspect sentimentale. C’est une
vision partielle et partiale. En effet, la musique peut aussi être l’instrument de
la fête, de la gaieté, comme le montre l’utilisation qu’en fait Beaumarchais
43
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
dans Le Barbier de Séville ou Le Mariage de Figaro. La musique vient ici soutenir le rythme et l’esprit des répliques du dramaturge.
Conclusion
Le sujet portait sur les effets de la musique sur l’individu et ses émotions. On
peut aussi s’interroger sur l’action de la musique dans les rapports de l’individu à la société. Ne dit-on pas : « La musique adoucit les mœurs » ?
Écriture d’invention
• On attend des élèves qu’ils sachent identifier et mettre en œuvre les
éléments caractéristiques de la chanson :
– des vers, généralement courts (les alexandrins sont rares en chanson) ;
– des strophes, unités à la fois prosodiques (rimes) et thématiques ;
– un refrain.
• Il faut qu’ils respectent la contrainte générique et formelle de l’exercice :
– l’expression de sentiments grâce à un vocabulaire affectif ;
– la mise en abyme (la chanson décrit la situation de son énonciation).
Acte III, scène 11 (pp. 161 à 164)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 165 À 168)
a À l’entrée de Bazile, le Comte, Rosine et Figaro sont épouvantés et très
contrariés car cette arrivée met en péril leur plan et risque de faire avorter
leur projet. En effet, si Bazile parle et dit ne pas connaître Alonzo, Bartholo
découvrira l’imposture. Les réactions de ces personnages sont marquées dans
le texte, au tout début de la scène, par trois répliques très courtes, de trois syllabes chacune, caractérisées par la modalité exclamative. Les deux premières
sont constituées de phrases nominales (le nom de Bazile et un juron) et la
dernière d’une proposition minimale. Le terme qu’elle contient et qui
désigne Bazile, le « Diable », hyperbolique, exprime aussi le désagrément des
protagonistes et la critique de l’Église.
z Figaro essaie d’abord de détourner l’attention en se plaignant de ce que
l’arrivée de Bazile va encore reporter la taille de la barbe de Bartholo. C’est
ce qu’exprime sa deuxième réplique : « toujours des accrocs », c’est-à-dire des
obstacles, et « deux heures pour une méchante barbe ». Il se sert donc du même
44
Acte III, scène 11
prétexte que dans les scènes précédentes pour masquer les véritables intentions des trois complices. Mais, dans cette réplique, Figaro joint aussi le geste
à la parole. Pour signifier son impatience mais aussi, peut-on penser, pour
couvrir la voix de Bazile qui répète sur un ton interrogatif le nom du seigneur Alonzo, Figaro « frappe du pied ». Cette didascalie inscrit la réplique de
Figaro dans le répertoire du comique de gestes.
e Un énoncé contient plusieurs sens ou valeurs. Il a d’abord le sens qu’exprime son contenu, indépendamment de la situation d’énonciation, puis ceux
que ce même contenu revêt dans une situation précise. La « valeur illocutoire »
d’un énoncé est l’acte de parole (déclaration, promesse, interrogation, interdiction, ordre, etc.) réalisé par tout énoncé. On appelle « valeur perlocutoire »
d’un énoncé l’effet concret que son énonciation produit dans une situation
donnée. Les énoncés des répliques des interlocuteurs de Bazile ont tous pour
but de faire taire celui-ci. La plupart ont donc une valeur illocutoire d’ordre.
Mais tous ont pour effet d’empêcher Bazile de parler ou d’être entendu, ils
couvrent sa voix et ses propos : c’est leur valeur perlocutoire.
r Cette entrée importune est en parfait accord avec le caractère et le rôle
dramaturgique de Bazile. Il n’est pas loin d’être le Diable personnifié, puisqu’il relève du type du « traître », vénal et corruptible. C’est à lui que l’on
doit dans la pièce le célèbre éloge de la calomnie de la scène 8 de l’acte II :
« Croyez qu’il n’y a pas de plate méchanceté, pas d’horreurs, pas de conte absurde,
qu’on ne fasse adopter aux oisifs d’une grande ville, en s’y prenant bien [...]. Le mal
est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le
diable [...]. Qui diable y résisterait ? » Le terme dont se sert Figaro pour désigner l’importun fait donc écho à cette célèbre tirade. Son entrée s’accorde
également à son rôle dramaturgique dans la mesure où il est l’adjuvant
de Bartholo et l’opposant au projet du Comte. Mais le caractère vénal du
personnage de Bazile inverse ce schéma à l’échelle de la pièce comme
à l’échelle de cette scène : finalement Bazile devient l’instrument de la
duperie du barbon.
t L’incompréhension de Bazile, qui fonde le quiproquo, repose sur le fait
que le Comte, depuis le début de l’acte, l’a fait participer à son insu à ses
mensonges. En effet, il a prétendu que Bazile était souffrant et qu’il venait le
remplacer, pour pouvoir transmettre des informations à Bartholo sur le
comte Almaviva. Le faux Alonzo a donc pris un risque en faisant participer à
son mensonge une personne susceptible d’infirmer ses dires.
45
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
y et u La stupéfaction de Bazile est exprimée par l’utilisation des modalités interrogative et exclamative portant sur des reprises de l’énoncé précédent, les points de suspension, et surtout les didascalies qui explicitent
l’étonnement. On observe d’ailleurs une progression marquée par ces didascalies. L’étonnement de Bazile est d’abord simple (« étonné »), puis exprimé
au comparatif (« plus étonné »), puis relayé par une stupéfaction de plus en
plus grande (« stupéfait », « effaré »). Celle-ci se change alors en colère croissante (« impatienté », « en colère ») avant de redevenir étonnement extrême,
cette fois exprimé à l’aide d’un superlatif (« au dernier étonnement »). Ces
didascalies suggèrent des jeux de scène, des mimiques de la part du comédien. Sa stupéfaction relève en cela autant du comique de gestes que du
comique de situation.
i La réplique de Bazile qui donne la clé de la scène est : « Qui diable est-ce
qu’on trompe ici ? Tout le monde est dans le secret ! » Bazile a repéré l’anomalie qui
réside dans le fait que tous les autres personnages parlent bas et l’exhortent à
se taire et qu’il n’en reste plus un seul susceptible de ne pas devoir entendre
ce que disent les autres. Cette réplique attire donc notre attention sur le fait
que l’enjeu de la scène est moins le quiproquo que la ruse à laquelle
Bartholo participe à son insu et dont il est la victime sans le savoir.
o Bartholo croit tromper Rosine et Figaro en préparant son mariage avec
l’aide d’Alonzo. C’est pourquoi il parle bas et demande à Bazile de ne pas
nier qu’Alonzo est son élève et de ne pas s’expliquer sur l’homme de loi. Il
veut éviter de mettre Rosine au courant. En faisant cela, il ne fait que jouer
le jeu de ses ennemis : en empêchant Bazile de parler, il ne lui permet pas de
révéler l’imposture du Comte. Les deux clans – Bartholo d’un côté, le
Comte, Figaro et Rosine de l’autre – ont le même but (que Bazile ne parle
pas), mais pour des raisons radicalement différentes et qui en réalité les opposent. Beaumarchais souligne la méprise de Bartholo en lui faisant répéter ce
que disent les autres personnages qui sont en fait ses ennemis, en lui faisant
faire bloc avec eux, parler d’une seule voix avec eux.
q Dans cette scène comme dans la scène 4 de l’acte III, le Comte joue en
quelque sorte un double jeu. Il doit empêcher Bazile de le trahir, mais il doit
aussi faire en sorte que Bartholo ne s’aperçoive de rien. Il fait donc semblant
d’aider Bartholo en le conseillant. Il lui souffle ce qu’il doit dire et en cela le
manipule. Le Comte se transforme donc ici en souffleur de théâtre, chargé de
rappeler leur texte aux comédiens qui l’ont oublié.
46
Acte III, scène 11
s Cette scène peut enfin apparaître comme une nouvelle satire de la médecine, dans la mesure où la situation oblige Bartholo à diagnostiquer une
grippe chez un sujet parfaitement bien-portant. Cette satire est soulignée par
le fait qu’il engage son honneur : « D’honneur, il sent la fièvre d’une lieue. » Le
docteur se moque sans le savoir de sa propre activité, il est sa propre victime.
d Ligne 512, le Comte appuie les propos de Bartholo et de Figaro : « Vous
nous faites mourir de frayeur. » Cette réplique a pour référent explicite la maladie que tous prêtent à Bazile pour le renvoyer chez lui et l’empêcher de
parler. Mais, si on la rattache à la situation que perçoivent le Comte, Figaro
et Rosine, la réplique prend un autre sens. Bazile ne les effraie pas parce
qu’il est malade (puisqu’il ne l’est pas) mais parce qu’il menace, par sa présence, le bonheur des amoureux. Elle relève donc d’une forme d’ironie : elle
énonce une chose tout en en signifiant une autre.
f Le rythme soutenu de cette scène est produit par la brièveté des répliques.
Certaines sont laconiques (l. 474-475, 480, 487, 510, etc.) et l’effet est renforcé par la modalité exclamative qui domine le dialogue. Les enchaînements
des répliques sont aussi responsables du rythme trépidant. Pour empêcher
Bazile de parler, les autres personnages l’interrompent (l. 467, 469 et 474) et
c’est souvent un rebondissement sur le dernier mot de la réplique qui permet de passer à la suivante. Il n’y a donc aucune suspension, aucun silence
entre les répliques. Cette hâte est justifiée par la situation : Bazile étant
gênant, les autres personnages essaient de s’en débarrasser.
g C’est l’incompréhension de Bazile qui est essentiellement à l’origine de
l’enchaînement mot à mot des répliques. Ce procédé donne lieu à un
comique verbal particulier : le comique de répétition, et culmine dans
l’échange des lignes 493 à 500 : l’expression « l’homme de loi » revient à six
reprises à la fin de chacune des répliques. Outre sa portée comique, cette
répétition a une dimension musicale, comme si chaque voix d’un orchestre
reprenait tour à tour une même mélodie.
h On peut observer que cette scène est composée de séries de répliques
caractérisées par le fait que tous les personnages prennent la parole l’un après
l’autre. On peut, par exemple, relever les séries suivantes :
– Rosine, Bazile, le Comte, Bartholo (l. 474-479) ;
– Bazile, Bartholo, le Comte, Rosine, Figaro (l. 486-490) ;
– le Comte, Figaro, Bartholo, Rosine, Bazile, puis tous (l. 511-520) ;
– enfin, Bazile, Bartholo, le Comte, Figaro, Rosine (l. 522-529).
47
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
C’est dans la deuxième partie de la scène que cette répartition est la plus systématique. Elle détermine l’organisation et la progression de la scène, qui
comprend deux parties (l. 454-503 et l. 505 à la fin), la seconde étant composée de deux séries de prises de parole. Dans la première, on observe des microstructures faisant alterner des séries de prises de parole successives de tous les
personnages et des moments de « dialogue » entre Bazile et Figaro (l. 462468), Bazile et Bartholo (l. 478-485), le Comte et Bartholo (l. 501-504).
j À la fin de la scène, tous les personnages s’adressent à Bazile en même
temps. Dans ces deux répliques (l. 521 et l. 532), ces personnages forment
donc une sorte de chœur chantant à l’unisson. Cette particularité fait ressortir le caractère arbitraire du langage dramatique.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 169 À 175)
Examen des textes
a La situation mise en scène dans le texte B ne paraît pas vraiment vraisemblable. On pourrait accepter que Géronte pense que Scapin est victime en
même temps que lui des coups de bâton qu’il reçoit, mais le valet lui fait
croire que ce qu’il sent n’est rien par rapport à ses propres souffrances. Or
Géronte ressent très bien la douleur. La vraisemblance voudrait donc qu’il
sorte la tête hors du sac et découvre la supercherie bien avant. Seul le ridicule du vieillard compense cette entorse au vraisemblable.
z Le point commun entre Scapin et le comte Almaviva est ici qu’ils tiennent
tous les deux, fictivement, deux rôles à la fois : Scapin est en même temps le
bourreau et la victime (apparente) ; Almaviva est en même temps l’allié
(apparent) de Bartholo et celui de ses ennemis. Dans les deux cas, cette ambivalence se traduit par un double langage qui prend la forme, dans la scène de
Molière, d’un dialogue au second degré.
e Le texte C, même s’il est un texte romanesque, a bien sa place dans notre
corpus de textes dramatiques dans la mesure où il constitue une véritable
scène dans le roman, avec entrée et sortie des personnages, personnages types,
etc. C’est une petite scène de comédie dans le roman.
r Le personnage du texte D, prénommé Étienne, est l’instigateur du piège
tendu à l’autre personnage, son ami Marcel. Il prononce des phrases qui sont
à la fois adressées à son interlocuteur direct et au spectateur et qui ont un
48
Acte III, scène 11
sens différent pour l’un et l’autre. Par exemple, en évoquant « la bonne farce », il
ne pense pas à celle que Marcel croit avoir jouée à son parrain mais à celle
que lui-même a jouée à son ami. Feydeau joue également sur le décalage
entre le ton et le sens des répliques d’Étienne. Celui-ci rit de la même façon
que Marcel, lui fait scrupuleusement écho, mais ses raisons sont différentes :
c’est la signification de l’opposition entre « Oh ! non ! » et « Oh ! si ! ». Le ton
similaire des deux répliques masque provisoirement leur différence et rend la
découverte de la supercherie plus drôle encore.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Pour que le jeu de dupes fonctionne, il faut que le personnage qui en est la
victime soit aveuglé par son désir, son but. La peur pousse Géronte à se
confier sans méfiance à Scapin. La volonté de garder Rosine pour lui et de
prendre toutes les précautions contre le Comte conduit Bartholo à suivre
sans aucune prise de distance les conseils d’Alonzo. Des Grieux, lui, est aveuglé par la passion qu’il éprouve pour Manon et ne voit pas l’évidence, à
savoir que l’autre frère prétendu de la jeune fille est sans doute, comme lui,
un de ses amants. Enfin, Marcel ne se rend pas compte qu’il est tombé dans
un piège, parce qu’il est trop occupé par le piège qu’il croit lui-même être en
train de tendre. Ces scènes de comédie apparaissent donc aussi comme des
réflexions sur la confiance et une critique de l’emportement, de l’excès, de
l’absence de prise de distance et de modération.
Commentaire
Introduction
La rencontre du prétendu « frère » de Manon a permis au héros Des Grieux
de s’introduire dans les milieux du jeu et de s’enrichir un peu. Mais, après
avoir été volé par ses domestiques, il est obligé d’accepter de jouer le rôle du
« petit frère » de Manon dans l’escroquerie du vieux G… M… Ce passage
constitue une véritable scène comique insérée dans le roman, mais qui est la
cible du comique dans cette scène ? qui est ridicule ? de qui se moque-t-on ?
1. Une scène de comédie
A. Les personnages
Les personnages mis en scène ici rencontrent les types de la comédie, et
notamment de celle de Beaumarchais Le Barbier de Séville. En effet, M. de
49
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
G… M… est un vieillard attiré par les jeunes femmes telles que Manon,
semblable en cela aux barbons de la tradition comique. Prévost se livre
cependant à un jeu de détournement de cette référence, puisque Manon n’a
rien d’une ingénue et il n’y a pas explicitement de personnages d’amoureux.
De plus, le texte suggère discrètement que M. de G… M… pourrait bien
aimer également les jeunes garçons :
– « Le vieil amant parut prendre plaisir à me voir » ;
– il a un geste équivoque : « il me donna deux ou trois petits coups sur la joue » ;
– il voit en lui un « joli garçon » ;
– il le met en garde contre la débauche parisienne, trahissant peut-être par là
sa propre pensée.
B. Une écriture dramatique
Au théâtre, le texte est composé exclusivement de dialogues et divisé en actes
et en scènes matérialisés par la typographie mais aussi par les entrées et les
sorties de personnages. Prévost utilise ici ces procédés pour signaler le début
et la fin de la « scène » et la structurer. On observera :
– la parole rapportée au discours direct, d’autant plus intéressant que ce procédé est assez rare dans le roman (l. 4 et sq., l. 17-28) ;
– le discours direct, relayé par du discours indirect (« en me disant que j’étais un
joli garçon ») ou narrativisé (« il m’ordonna de lui faire la révérence », etc.) qui mettent en valeur les gestes des personnages, équivalents des jeux de scène. De
même, des caractérisations comme « d’un air niais » ont valeur de didascalies ;
– les verbes de mouvement au début du texte : « vint me prendre par la main »,
« me conduisant » indiquant le déplacement, voire l’entrée des personnages.
C. L’explicitation du spectacle et du comique
Le texte explicite sa nature et son statut de scène comique par :
– la position de Manon, à la fois actrice et spectatrice de la scène. Elle ne
prend pas part au dialogue mais, public idéal de la comédie, perçoit tout le
comique de la scène comme l’indique la phrase : « Manon, qui était badine, fut
sur le point, plusieurs fois, de tout gâter par des éclats de rire » ;
– l’explicitation du comique par celle du rire. Dans un paragraphe précédant
cet extrait, le narrateur rappelle les raisons de cette comédie. Les complices
décident de faire passer Des Grieux pour le petit frère de Manon afin que le
vieux G… M… n’abuse pas trop d’elle et pour se « donner le plaisir d’une scène
agréable ». Les mots « plaisir » et « agréable » sont aussi significatifs que le mot
« scène ». À la fin du passage, le narrateur parle d’une « ridicule scène » : là encore,
50
Acte III, scène 11
on trouve à la fois la référence au théâtre et à la comédie classique dont la
mission était de dénoncer et corriger les ridicules.
2. Deux dupes pour un seul piège
Les armes de la moquerie dont les deux personnages de M. de G… M… et
Des Grieux sont les cibles inconscientes peuvent s’analyser en terme d’ironie : en effet, le sens des énoncés, qu’ils émanent du narrateur ou des personnages, ne s’interprète pas de la même façon selon le point de vue adopté.
A. L’ironie de la situation
Outre le fait que les complices jouent une comédie à M. de G… M…, cette
ironie-ci s’exerce surtout sur Des Grieux qui croit jouer un rôle mais à qui
Manon et Lescaut font en fait jouer son propre rôle, celui d’un enfant naïf
qui n’a aucune expérience de la vie :
– il occupe de fait une position d’infériorité ;
– les verbes indiquent clairement une manipulation physique, reflet de la
manipulation morale dont il est la cible : « prendre », « conduire », « ordonner » ;
– les pronoms personnels qui le désignent sont souvent en position d’objet.
B. L’ironie des dialogues
• Les répliques de Lescaut et même celles de Des Grieux sont porteuses d’un
double sens : celui que perçoivent le héros et M. de G… M… et celui que
goûtent les lecteurs.
• Ironie contre G… M… : les répliques adressées à Des Grieux (« Vous aurez
l’honneur de voir ici souvent Monsieur » et « faites bien votre profit d’un si bon
modèle ») présentent une ironie qui a pour cible le vieux G… M… Sa présence n’est pas un « honneur » mais une honte ; l’expression « un si bon modèle »
est antiphrastique ; « votre profit » est une syllepse (à entendre en même temps
dans son sens propre et dans son sens figuré, concret et abstrait). Les répliques
de Des Grieux sont à double sens : c’est au sens propre que les « deux chairs »
de Manon et du jeune homme « se touchent de bien propre », et ce n’est pas en
tant que frère, mais comme amant, qu’il aime. Enfin, M. de G… M… participe à la farce dont il est la victime en trouvant une ressemblance entre
Manon et Des Grieux, alors qu’ils n’ont aucun lien de parenté.
• Ironie contre Des Grieux : un enfant « fort neuf » peut désigner un enfant
qui fait ses premières sorties dans le monde mais aussi un enfant très naïf, et
c’est ce qu’est Des Grieux faisant sans cesse confiance à Manon ; « les airs de
Paris » peuvent renvoyer aussi à la débauche et aux dangers qui y règnent ;
« un peu d’usage le façonnera » peut aussi bien désigner l’usage du monde que la
51
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
pratique de l’escroquerie. Globalement, on peut dire que le comique naît du
fait que le portrait « de comédie » du « petit frère de Manon » n’est pas très éloigné
de ce qu’est en réalité Des Grieux.
C. L’ironie du narrateur
Le dispositif narratif du roman de Prévost est celui du roman-mémoires, à la
1re personne : un individu raconte sa propre histoire et occupe donc à la fois
la place du narrateur et celle du personnage. Ici, on peut percevoir une certaine moquerie du narrateur à l’égard de celui qu’il était :
– dans des effets de symétrie : « deux ou trois petits coups » répond à « deux ou
trois révérences » ;
– dans l’agencement de la scène : le texte comprend en effet deux moments,
un de dialogue et un où Des Grieux prend la parole (discours narrativisé)
pour « raconter à G… M… sa propre histoire ». Il s’agit donc d’une mise en
abyme de la scène qui est en train de se dérouler. Mais le narrateur prend ses
distances à l’égard de son personnage en ce qu’il explicite ainsi le fait que
c’est aussi son histoire à lui que Des Grieux met en abyme sans le savoir. Et
lorsque le narrateur dit : « son amour-propre l’empêcha de s’y reconnaître », cet
énoncé peut aussi bien s’appliquer à Des Grieux qu’au vieillard.
Conclusion
Dans une scène comique, il faut toujours se demander de qui l’on rit. Ce
n’est pas toujours de celui qu’on croit et, parfois, il arrive même qu’il s’agisse
des lecteurs ou des spectateurs eux-mêmes.
Dissertation
Le sujet invite à discuter de la validité de la définition bergsonienne du quiproquo. On pourra adopter le plan suivant :
1. Illustration du quiproquo comique et de son mécanisme
A. La rencontre de plusieurs histoires autonomes
Exemple du dernier acte du Mariage de Figaro, immense quiproquo dans
lequel chaque personnage a une attente qui ne correspond pas à la réalité : le
Comte croit avoir rendez-vous avec Suzanne et il trouve sa femme ; Figaro
croit être trompé et ne l’est pas ; etc.
B. La part du spectateur
Le quiproquo est un puissant ressort comique parce qu’il invite le spectateur
à se faire complice de l’auteur au-dessus des personnages.
52
Acte III, scène 11
2. L’ambiguïté n’est pas toujours comique
A. Le quiproquo au service d’un message sérieux
Dans Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, l’intrigue est fondée sur un
quiproquo plein de sens : même s’il n’aboutit pas au renversement des classes
sociales, il sert à dénoncer l’inégalité d’une société qui fait plus de crédit à la
naissance qu’au mérite. On reste dans le domaine de la comédie, mais elle a
une dimension sérieuse, voire cruelle, puisqu’on peut supposer que les valets
souffrent de leur illusion.
B. L’ironie tragique
La situation dont parle Bergson n’est pas toujours comique puisqu’elle peut
figurer dans une tragédie ou un drame. De nombreux personnages des tragédies de Racine prononcent des paroles porteuses de ce que l’on appelle ironie
tragique : le personnage dit quelque chose qui, pour le spectateur, a le sens
opposé. Dans la pièce de Musset On ne badine pas avec l’amour, Perdican se
joue de Rose qui interprète la situation de manière différente de ce qu’elle
est vraiment. Ainsi le quiproquo comique peut être, hors de la comédie,
méprise cruelle.
3. Le comique : une synthèse plus complexe
Le comique du quiproquo repose aussi sur d’autres ressorts du rire.
A. Les caractères et les thèmes
Le quiproquo ne peut être comique que s’il met en scène au moins un personnage ridicule (Géronte, Marcel, Bartholo) ou une situation typique de la
comédie (par exemple, le cocuage, comme dans Le Mariage de Figaro).
B. Comique d’intrigue et de gestes
Souvent le quiproquo repose sur le déguisement qui est lui-même un instrument de la comédie. Il est également soutenu par une gestuelle comique
(voir les gifles reçues par Figaro dans le dernier acte du Mariage).
Conclusion
La définition que Bergson donne du quiproquo est pertinente mais incomplète. Elle ne tient pas compte du fait que la rencontre de plusieurs histoires
peut figurer dans la tragédie : par exemple, dans Bérénice de Racine, on peut
penser que Titus et Bérénice ne vivent pas la même histoire et c’est ce qui les
sépare. Plus généralement, un texte littéraire contient toujours plusieurs
textes possibles.
53
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Écriture d’invention
L’intitulé du sujet indique que l’élève n’est pas tenu de rédiger complètement un texte narratif mais d’en faire le canevas, de façon schématique.
– Personnages : une bande d’amis de lycée, dont on distingue deux garçons.
– Enjeu : l’un veut se venger de l’autre qui lui a soufflé une petite amie.
– Ruse : pour cela, il lui fait une « fausse confidence » (il a surpris la jeune fille
en train d’embrasser un troisième garçon). Mais l’autre apprend par une quatrième personne, à qui le premier avait confié son projet, qu’il s’agit d’un
mensonge. Il fait alors dire à son ami par cet informateur qu’il a cherché à
attenter à ses jours de désespoir et qu’il est à l’hôpital entre la vie et la mort.
– Résultat : le trompeur reçoit la monnaie de sa pièce ; il est rongé par une
culpabilité dont il a lui-même créé les causes.
A c t e I V, s c è n e 6 ( p p . 1 8 6 à 1 8 9 )
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 190 À 192)
a Cette scène compte deux péripéties – ce qui est beaucoup pour une scène
relativement courte. D’abord, le Comte inverse la situation en révélant sa
véritable identité à Rosine. Croyant que Lindor la « vendait » au comte
Almaviva, Rosine ne voulait plus le suivre ; apprenant que Lindor est le
Comte, elle tombe dans ses bras. Le geste du Comte, indiqué par la didascalie
(« jetant son large manteau, paraît en habit magnifique »), rapproche cette péripétie
du coup de théâtre. La seconde péripétie est amenée par Figaro : l’échelle que
les complices avaient prévue pour leur fuite a été enlevée. Les voilà prisonniers : nouveau renversement de situation ; du bonheur suprême, on passe au
danger, non sans quelque prise de distance de la part de Beaumarchais vis-àvis de la dramaturgie classique. Ces péripéties déterminent donc trois mouvements dans la scène : avant la première péripétie (l. 163-202), entre les deux
péripéties (l. 203-213), et après la seconde (l. 214 à la fin).
z La première péripétie, ou retournement de situation, est d’abord signalée
par le moyen dramaturgique de la métamorphose vestimentaire : Lindor était
un pauvre bachelier et devient tout d’un coup un Comte richement vêtu.
Au sein de la réplique du Comte, ce changement est exprimé par un jeu de
pronoms, le Comte passant d’une énonciation à la 3e personne au « je » :
54
A c t e I V, s c è n e 6
« L’heureux homme que vous voyez à vos pied n’est point Lindor ; je suis le comte
Almaviva. » Le changement est donc autant dans le geste et dans l’habit que
dans les mots. Le seconde péripétie est marquée par la modalité exclamative
traduisant la surprise et l’inquiétude des personnages mais aussi des spectateurs, et par un jeu de mots sur le participe passé du verbe enlever : c’est
l’échelle qui a été « enlevée », alors que c’était à Rosine d’être la victime
(consentante) d’un enlèvement.
e Les péripéties de cette scène sont la conséquence d’événements antérieurs. Rosine a reçu froidement son amant, parce que Bartholo lui a montré
la lettre qu’elle lui avait écrite en lui disant qu’il la tenait d’une femme à qui
le Comte l’avait sacrifiée (acte IV, scène 3). Bartholo était en possession de
cette lettre, parce que le Comte avait été obligé de la lui laisser pour gagner
sa confiance et assurer son mensonge dans la scène 2 de l’acte III. La retraite
des complices est coupée, parce que, dans la scène 3 de l’acte IV, Rosine a
révélé à Bartholo son prochain rendez-vous avec Lindor.
r Pourquoi Figaro allume-t-il toutes les bougies ? Parce qu’il fait nuit, d’accord. Mais pourquoi les allumer toutes alors que cela risque d’attirer l’attention et que le Comte a le projet d’emmener Rosine pour l’épouser chez
Figaro ? Ici, la nécessité de l’espace scénique prime sur la logique. Beaumarchais fait allumer les bougies parce qu’il ne peut pas déplacer ses personnages. Le mariage doit avoir lieu sur place et on a pour cela besoin de
lumière, juste assez pour créer une atmosphère nuptiale adéquate.
t Certaines répliques résument l’intégralité ou une partie de l’intrigue.
C’est le cas de la révélation du Comte : « je suis le comte Almaviva, qui meurt
d’amour et vous cherche en vain depuis six mois » ; ou encore cette phrase de
Rosine qui rappelle la scène 3 de l’acte IV : « J’ai tout avoué, tout trahi. »
D’autres répliques, elles, racontent par avance le dénouement et la façon
dont Beaumarchais va nous y conduire : « [Bartholo] sait que vous êtes ici et va
venir avec main-forte » (c’est ce qui arrive dans la dernière scène, mais trop
tard) ; « vous serez ma femme » (c’est ce qui arrive dans l’avant-dernière scène).
y Tout comme certaines répliques de cette scène rappellent ce qui s’est passé
ou annoncent ce qui va se passer, certaines autres indiquent ce qui aurait pu
se passer. Ces événements qui n’auront pas lieu, mais auxquels les personnages, le dramaturge et les spectateurs ont pu penser, sont plus graves que les
événements actualisés par la pièce. C’est en cela que l’on peut dire que
Beaumarchais inscrit dans cette scène des germes d’un drame possible, ou
55
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
plutôt de trois drames possibles. Les deux premiers sont énoncés au moment
où Rosine ne sait pas encore qui est Lindor. Son histoire aurait pu être celle
d’une jeune fille qui quitte tout pour suivre un bachelier sans argent (l. 166169 et l. 182-184), ou celle d’une orpheline vendue à un riche comte par un
bachelier sans scrupule. Le dernier drame possible apparaît dans les répliques
de Rosine après la révélation du Comte : « Ah ! Lindor… Ah ! monsieur ! que je
suis coupable ! j’allais me donner cette nuit même à mon tuteur » et « Ne voyez que
ma punition ! J’aurais passé ma vie à vous détester. Ah Lindor ! le plus affreux
supplice n’est-il pas de haïr, quand on sent qu’on est faite pour aimer ? »
u Beaumarchais traduit l’évolution des sentiments de Rosine par le changement d’énonciation, les variations de ton et de style de ses répliques. La
didascalie initiale signale « un ton très composé », une certaine maîtrise, une froideur qui contrastent avec ses transports, son langage exclamatif, troublé des
2e et 3e parties de la scène. Ces inflexions sont surtout soulignées par le changement des pronoms grâce auxquels Rosine s’adresse au Comte : elle utilise
d’abord la 2e personne du pluriel de politesse, mettant ainsi de la distance
entre lui et elle, puis exprime sa colère et son dégoût par le « tu » avant de
retrouver le « vous », mais cette fois pour exprimer le plus grand respect.
i L’analyse des sentiments de Rosine passe par leur simple expression, verbale et extra-verbale (les larmes), mais aussi par leur commentaire. Dans sa
longue tirade, Rosine revient sur ses sentiments, son « remords » prochain, ses
« bontés » passées, sa « faiblesse ». Mais l’analyse est plus efficace encore dans les
maximes qu’énoncent tour à tour Figaro et la jeune fille : « la douce émotion de
la joie n’a jamais de suites fâcheuses » (l. 205-206) ; « le plus affreux supplice n’est-il
pas de haïr, quand on sent qu’on est faite pour aimer ? » (l. 212-213). On reconnaît
le présent de vérité générale et l’indéfini « on » qui permettent de dépasser
l’expression des sentiments dans leur analyse plus universelle.
o Beaumarchais exprime par l’intermédiaire de Rosine une pensée politique
et sociale revendiquant l’égalité des individus au-delà des distinctions de rang
et de richesse. « La naissance, la fortune ! Laissons là les jeux du hasard. » En utilisant la métaphore du jeu de hasard pour désigner ces critères de la hiérarchie
sociale, Beaumarchais se souvient peut-être de la pièce de Marivaux (Le Jeu de
l’amour et du hasard) dénonçant les mêmes réalités. Il exprime ainsi l’idée que
la place d’un individu dans la société doit être fondée sur son mérite et non
sur ses origines et ses biens, et annonce les revendications de la Révolution
française.
56
A c t e I V, s c è n e 6
q De nombreux éléments infléchissent cette scène vers le drame bourgeois,
caractérisé par son sérieux et sa dimension morale. Rosine, par exemple,
laisse tomber des larmes. Elle utilise également un vocabulaire relevant du
champ lexical de la morale en parlant du caractère « irrégulier » (l. 173), c’està-dire contraire aux règles de la bienséance et de la vertu, de son rendez-vous
avec le Comte, en utilisant l’adjectif « pures » (l. 177), les termes de « remords »
(l. 182), d’« indignité » (l. 185), de « punition » (l. 211).
s Dans sa dernière réplique, Rosine fait preuve d’une grande générosité à
l’égard de son tuteur. Malgré la tyrannie qu’il lui a imposée, elle renonce à se
venger : « Mon cœur est si plein que la vengeance ne peut y trouver place. » Par ce
renoncement, Beaumarchais place encore sa comédie sur le chemin du
drame. L’absence de punition de Bartholo préserve l’atmosphère de gaieté de
la pièce, mais la générosité de Rosine rappelle les élans de certaines héroïnes
tragiques pardonnant à leur bourreau. La générosité était, par exemple, au
XVIIe siècle, un ressort essentiel de la tragédie cornélienne.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 193 À 200)
Examen des textes
a L’Illusion comique de Corneille repose sur le dispositif dramaturgique de la
mise en abyme. En effet, la pièce présente une structure enchâssée : il y a une
pièce, et même plusieurs, trois actes de comédie et un acte de tragédie, à l’intérieur de la pièce. La mise en abyme est même double si l’on considère que
les spectateurs regardent le spectacle d’Alcandre offrant par la magie à
Pridamant de voir son fils qui joue lui-même un spectacle. C’est cette structure, cachée à Pridamant comme aux spectateurs durant toute la comédie,
qui est dévoilée dans la dernière scène, coup de théâtre contenu dans une
didascalie : « Ici on relève la toile et tous les comédiens paraissent avec leur portier, qui
comptent leur argent sur une table, et en prennent chacun leur part. »
z Voici la péripétie finale d’Iphigénie : Clytemnestre (et les spectateurs) croit
sa fille morte et apprend qu’elle a été épargnée. Il n’y a pas là de reconnaissance. Mais ce retournement de situation n’est que la conséquence d’un
autre rebondissement, non représenté sur scène : il s’agit du dévoilement par
les dieux de l’identité d’Ériphile, fille d’Hélène et de Thésée, également
appelée Iphigénie. Cette fois, on est bien en présence d’une reconnaissance.
57
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
e Dans cette dernière scène de la pièce de Giraudoux, une première péripétie est constituée par l’arrivée de Demokos, poète troyen chargé de composer le chant de guerre de la patrie et partisan du conflit pour cette raison. Il
s’oppose à Hector qui a décidé de rendre Hélène aux Grecs, dont Oïax est le
représentant. Pour éviter la guerre, Hector tue Demokos, mais celui-ci, avant
de mourir, accuse Oïax : c’est un nouveau motif de guerre et donc la seconde
péripétie. Pour matérialiser ces deux revirements, le dramaturge indique dans
les didascalies que le rideau commence à se baisser, puis se relève.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Pour Aristote et toute la dramaturgie classique, la péripétie doit être vraisemblable et nécessaire, c’est-à-dire d’abord que le spectateur doit pouvoir y
croire sans difficulté et ensuite qu’elle doit être liée aux événements précédents par un lien de cause à effet.
Le coup de théâtre de L’Illusion comique est inattendu mais parfaitement vraisemblable si l’on admet l’hypothèse du magicien. Il est de plus préparé par le
brusque changement de décor et de ton entre les actes : cette inflexion peut
donner à deviner au spectateur de quoi il retourne.
En revanche, pour une fois, Racine a pris un peu de liberté, toute relative, à
l’égard des règles. En effet, le sauvetage in extremis d’Iphigénie par l’existence
d’une autre Iphigénie, qui durant toute la pièce est connue sous le nom
d’Ériphile, relève de la coïncidence et semble manquer de nécessité. Mais
Racine justifie son dénouement, fondé sur une « reconnaissance » originale, de
deux façons : il place la péripétie sous le signe des dieux et de la fatalité, lui
rendant ainsi sa nécessité, et il s’appuie sur une version existante du mythe. Il
prévient toute critique dans sa préface : « Je puis dire que j’ai été très heureux de
trouver dans les Anciens cette autre Iphigénie, que j’ai pu représenter telle qu’il m’a plu,
et qui, tombant dans le malheur où cette amante jalouse voulait précipiter sa rivale,
mérite en quelque façon d’être punie, sans être pourtant tout à fait indigne de compassion. Ainsi le dénouement de la pièce est tiré du fond même de la pièce. » Il est vrai
que cette solution était pour les spectateurs de l’époque plus acceptable que le
miracle d’une autre version où Diane remplaçait la jeune fille par une biche.
Beaumarchais, comme souvent, met à distance les règles de la dramaturgie
classique en jouant sur le nombre, le rythme et l’éclat des péripéties.
58
A c t e I V, s c è n e 6
Giraudoux, lui, même s’il écrit à une tout autre époque, semble les respecter :
il n’est pas surprenant que ce soit par Demokos, belligérant hargneux tout au
long de la tragédie, que la guerre arrive finalement, et Giraudoux se sert pour
cela d’un ressort profondément humain, le mensonge et la vengeance, et
donc parfaitement vraisemblable.
Commentaire
Introduction
L’avant-dernière scène d’Iphigénie se termine par ce vers de Clytemnestre
apercevant Ulysse, qui avait soutenu le sacrifice d’Iphigénie : « C’est lui. Ma
fille est morte ! Arcas, il n’est plus temps. » La dernière scène dont est extrait le
texte à commenter dément ce dénouement pour clore la tragédie de façon
moins cruelle. Mais Racine prend soin de placer cette heureuse surprise sous
le signe des dieux et de la fatalité pour que la tragédie reste tragédie.
1. Une double surprise
Le retournement de situation porte en fait sur deux points :
A. Iphigénie en vie !
La révélation est soulignée d’abord par une opposition très marquée entre la
situation présente et la situation précédente :
– opposition mise en valeur par le parallélisme des tournures : « Ma fille est
morte ! » est démenti par « Votre fille vit », quasiment à la même place dans leur
vers respectif ;
– opposition des caractérisations dans la tirade-récit d’Ulysse : « heureux
moment », « de joie et de ravissement » s’opposent à « si mortel » (les deux éléments
étant de plus hyperboliques) et à « fatal », « funeste », « spectacle affreux » ;
– structure antithétique de la première partie du récit, qui oppose la menace à
sa résolution : premier temps de récit proprement dit marqué par l’anaphore
de l’adverbe « déjà » ; second temps constitué par les paroles de Calchas rapportées au discours direct, qui expliquent l’oracle du dieu et sauvent Iphigénie ;
– opposition réfléchie à l’intérieur du récit par deux éléments : l’opposition
entre Achille et l’armée renforcée par un chiasme (« voyait pour elle Achille et
contre elle l’armée »), l’action d’Achille ayant pour conséquence la division des
dieux ; l’existence de deux Iphigénie elles-mêmes antithétiques (« Un autre
sang d’Hélène, une autre Iphigénie ») ;
– enfin, la péripétie exprimée par la modalité exclamative associée à la brièveté des propositions et aux interjections dans les répliques de Clytemnestre.
59
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
B. Un messager inattendu
La surprise de Clytemnestre porte autant sur l’annonce que sa fille est en vie
que sur l’identité de celui qui s’est chargé de cette annonce. En effet, Ulysse,
comme le rappelle sa deuxième réplique, avait poussé au sacrifice. Le changement d’attitude du personnage est souligné par :
– l’utilisation du présentatif « c’est » suivi d’une subordonnée relative : « et c’est
vous qui venez me l’apprendre » (la nouvelle est d’autant plus incroyable que
c’est Ulysse qui l’apporte) ; tournure que reprend Ulysse : « Oui, c’est moi »,
« Moi, qui » ;
– le verbe « réparer » : Ulysse veut se racheter de sa conduite envers
Clytemnestre.
2. Une relecture de la tragédie et du mythe
A. Récit rétrospectif et bilan
La scène dernière de la pièce revient sur les événements passés. Elle clôt ainsi
la tragédie en la reflétant. Cette dimension rétrospective s’inscrit dans plusieurs éléments :
– les temps verbaux : essentiellement le passé composé renvoyant à un passé
proche, qui a encore des liens avec le présent ; on trouve également l’imparfait, temps de la description, qui sert ici à rappeler les principaux événements
de la pièce, comme s’ils avaient lieu une seconde fois pour rencontrer un
dénouement différent (aspect sécant de l’imparfait contrairement à l’aspect
global du passé simple qui saisit l’action dans sa totalité achevée) ;
– les adverbes de temps « longtemps », « tantôt », « déjà » répétés plusieurs fois et
rappelant la dramatisation de l’action tragique tendue vers son dénouement.
Adverbes qui s’opposent à « enfin » (v. 8) ;
– le sujet « jour » (v. 14) rappelant l’unité de temps que doit respecter la
tragédie ;
– la tirade d’Ulysse résumant l’action de la pièce : les vers 19-21 rappelant la
lutte d’Achille pour sauver sa bien-aimée renvoient à la scène 6 de l’acte IV
dans laquelle Achille menace Agamemnon ;
– ce retour sur le passé de la tragédie crée un effet de clôture. En effet, le récit
d’Ulysse fait écho à celui d’Agamemnon dans la première scène de l’acte I
(« J’offris sur ses autels un secret sacrifice »).
B. Une version rare du mythe
Le récit d’Ulysse est également une relecture du mythe d’Iphigénie. En
effet, dans la version la plus courante (Eschyle, Sophocle, Lucrèce et
60
A c t e I V, s c è n e 6
Horace), la fille d’Agamemnon était bel et bien sacrifiée – ce qui était trop
cruel pour les bienséances classiques. Une autre version (Euripide et
Ovide) voulait que la déesse Diane la remplaçât par une biche au dernier
moment. Racine a préféré aller chercher (chez Pausanias) le personnage
d’Ériphile, amante jalouse, morbide et méchante d’Achille, pour sauver son
Iphigénie.
3. La volonté des dieux
A. La part des dieux
Même si la substitution d’une Iphigénie par une autre n’est pas un véritable
miracle, le dénouement est quand même orchestré par les dieux, présents
partout et sous toutes les formes stylistiques :
– désignation explicite : « les dieux sont contents » (v. 1), « quel dieu me l’a rendue ? » (v. 11), et aussi vers 21, 26, 28, 41 ;
– désignation métonymique : « le ciel a voulu vous la rendre » (v. 2), « le ciel est
apaisé » (v. 8), « ô ciel ! » (v. 10) ;
– désignation allégorique : « la Discorde maîtresse » (v. 15).
B. La rémission d’Ulysse
Il n’est pas innocent que ce soit Ulysse qui vienne annoncer la nouvelle à
Clytemnestre. Nous avons vu que c’est une façon de réparer ses torts envers
elle, mais c’est aussi prouver sa soumission aux dieux. Ulysse, dans la pièce, est
celui qui défend le parti de la guerre et donc du sacrifice, et ce même si les
dieux avaient été contraires à ce projet. Il le dit au vers 6, il était « jaloux tantôt de l’honneur de [leurs] armes ».
De plus, dans la tradition littéraire depuis Homère, Ulysse est caractérisé par
sa ruse, c’est-à-dire qu’il est le représentant de l’intelligence humaine,
presque émancipée des dieux.
Dissertation
On pourra approfondir les pistes suivantes :
1. Justification de la lecture « dans l’ordre »
A. Le plaisir de la découverte et le charme du suspense
• Il favorise le processus d’identification.
• Il permet de vivre les aventures des héros en même temps qu’eux.
• Plaisir de l’angoisse dans l’attente du dénouement.
61
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
B. Le respect de l’ordre du livre
L’objet livre, l’organisation en chapitres ou en scènes successifs font l’objet
d’une attention de la part de l’écrivain et il faut respecter ce travail en lisant
« dans l’ordre » des pages.
2. Limites de ces justifications : pour une lecture dans le désordre
A. Certains textes ne sont pas conçus linéairement.
C’est le cas des recueils de poèmes : on peut lire Les Fleurs du mal en suivant
l’ordre choisi par Baudelaire ou en tenant compte de la date d’édition de
chaque poème (deux éditions des Fleurs, en 1857 et en 1861).
B. Lire pour étudier
La lecture « dans l’ordre » est une lecture de distraction, d’évasion, qui ne s’attache qu’à l’histoire racontée et qui ne concerne pas tous les genres littéraires. Lorsqu’on veut lire un texte au sens d’étudier, il faut sans cesse revenir
en arrière, faire des rapprochements entre les différentes parties, etc.
3. Une autre forme de découverte
A. La découverte du style de l’auteur
Pour découvrir le style de l’auteur, sa singularité, il n’est pas nécessaire de lire
« dans l’ordre » et de s’attacher à l’histoire. Flaubert, avec Madame Bovary, voulait faire « un livre sur rien » qui tiendrait par la seule force de son style. On
peut donc lire des pages de Flaubert sans lire le roman du début à sa fin : le
plaisir de la découverte sera là ainsi qu’une certaine forme de suspense.
B. Certaines œuvres font même de l’écriture l’aventure qu’elles racontent
Marcel Proust fait raconter à son narrateur, dans À la recherche du temps perdu,
comment il devient écrivain. On peut donc essayer de lire ces milliers de
pages « dans l’ordre », mais on peut aussi goûter, dans chaque volume, la
manifestation de cette aventure de l’écriture.
Écriture d’invention
Pour écrire la dernière scène du « drame possible » suggéré par la scène 6 de
l’acte IV du Barbier de Séville, il faut d’abord rappeler ce qu’est un drame.
C’est une pièce de théâtre mettant en scène des personnages issus de la bourgeoisie et destinée à la bourgeoisie. C’est une pièce de théâtre devant s’adresser à la sensibilité du spectateur, le toucher profondément par des sentiments
et de la morale, éventuellement faire couler ses larmes. Pour jeter les bases
de ce dénouement « dramique » comme dirait Beaumarchais, il faut donc
62
A c t e I V, s c è n e 6
modifier un peu les données de la pièce et pour cela oublier ce qui précède
et ne retenir que la scène qui sert de point de départ.
Mettons donc que :
– le comte Almaviva n’existe pas ; Lindor est Lindor, ou plutôt Dorlin,
obtenu par anagramme et pour rappeler le Dorval du drame Le Fils naturel de
Diderot, un jeune homme pauvre et ignorant qui sont ses parents ;
– Rosine (ce nom n’a pas besoin d’être changé) pleure beaucoup croyant
avoir été trompée par son amant, croyant être déshonorée à jamais, Bartholo,
ou plutôt Barreau (nom à la fois évocateur de la prison mais également à
connotation bourgeoise et non italo-comique), refusant de lui pardonner et
la chassant de la maison ;
– voilà Dorlin qui arrive pour enlever Rosine et la priver de sa vertu. Devant
ses larmes, il renonce à son projet criminel et pleure avec elle à chaudes
larmes ;
– Barreau, le tuteur tyrannique, surgit à son tour, s’emporte d’abord, interroge le jeune homme qui, en plaidant sa cause, fournit des informations capitales permettant à Barreau de reconnaître son fils qu’il croyait perdu depuis
toujours. Ils tombent dans les bras l’un de l’autre et Barreau unit bientôt
Rosine à Dorlin, ses « enfants ».
Et Figaro dans tout cela ? Pour savoir si Figaro a sa place dans un drame, c’est
une autre histoire : elle s’appelle La Mère coupable.
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BIBLIOGRAPHIE
C O M P L É M E N TA I R E
– Gabriel Conesa, La Trilogie de Beaumarchais, Presses universitaires de France,
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France, Paris, 1994.
– Violaine Géraud, Beaumarchais, l’aventure d’une écriture, Champion, Paris,
1999.
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Mariage de Figaro », L’Information littéraire, n° 33, avril 1981.
– René Pomeau, « Le Barbier de Séville : de l’intermède à la comédie », Revue
d’histoire littéraire de la France, novembre-décembre 1974.
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– Philip Robinson, Beaumarchais et la Chanson : musique et dramaturgie des comédies de Figaro,Voltaire Foundation, Oxford, 1999.