Hambourg, l`Europe et les frontières

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Hambourg, l`Europe et les frontières
« Hambourg, l'Europe et les frontières »
Allocution du Premier maire de Hambourg, Olaf Scholz,
prononcée au Thalia Theater le 19 mars 2014
Open City est le titre d’un roman de Teju Cole dont le personnage principal est un jeune psychiatre
originaire du Nigeria, qui déambule dans les rues de Manhattan. Dans ce roman, l’auteur décrit
l’atmosphère de beaucoup de villes cosmopolites et la vie de leurs habitantes et habitants, qui ont
souvent leurs racines dans d’autres parties du monde. Des récits comparables pourraient aussi avoir
Hambourg pour décor.
Hambourg est une ville cosmopolite, donc une ville ouverte sur le monde, qui entretient depuis des
siècles des relations avec le reste du monde. Le commerce ne connaissait pas de frontières, il
combattait les blocus continentaux et remplaçait les mauvaises cartes marines par de meilleures
cartes dès qu’elles étaient tracées. Tout cela favorisait les échanges culturels, qui se développèrent
spontanément. Et, bien entendu, les citoyennes et citoyens de la ville sont bientôt partis à la
découverte du monde et s’y sentent chez eux aujourd’hui encore. Et, bien entendu, Hambourg a
toujours attiré des gens du monde entier. Hambourg est une ville qui a depuis toujours accueilli de
nouvelles citoyennes et de nouveaux citoyens qui l’ont marquée de leur empreinte.
Cet esprit s’exprime dans la constitution de Hambourg : en tant que ville portuaire d’importance
mondiale, la ville libre et hanséatique de Hambourg est investie de par son histoire et sa situation
géographique d’une mission particulière. Elle veut être un médiateur au service de la paix entre toutes
les parties et tous les peuples du monde.
Arriver dans la grande ville
Hambourg est une Arrival City, telle que la décrit l’auteur Doug Saunders : une ville de migrations.
Avec l’augmentation de sa population à près de 1,8 million d’habitants depuis 200 ans, la tendance
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s’est encore accélérée. Rien que depuis le début de la deuxième moitié du 20 siècle, la composition
de la population de la ville a tellement changé que l’on recense aujourd’hui quelque 530 000 migrants
et descendants de migrants. Près d’un tiers des habitants de la ville est issu de l’immigration. Ces
nouvelles concitoyennes et ces nouveaux concitoyens sont venus parce qu’ils espéraient une vie
meilleure pour eux et pour leurs familles. Le dynamisme suscité par cet espoir est indispensable à la
prospérité autant qu’à la vie de la ville.
Hambourg est une ville en expansion dont la population croît. Elle devra donc constamment veiller à
ce que ce dynamisme n’achoppe pas sur des frontières, anciennes et nouvelles, peut-être
infranchissables. Faire payer un droit de barrage aux portes de la ville, comme cela se faisait encore
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jusqu’au milieu du 19 siècle, serait aujourd’hui une idée absurde ; mais sous une autre forme
également, aucun barrage, aucune frontière ne doivent entraver le développement de la ville.
Une frontière, qui n’est pas visible de prime abord est, par exemple, le manque de logements.
Aujourd’hui, il y a dans la ville environ 900 000 logements. Vers 2020, les besoins se chiffreront
probablement à un million de logements ; il faut donc en construire de nouveaux chaque année, pour
que toutes les habitants et tous les habitants de la ville aient une habitation agréable et à la portée de
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leur bourse.
Dans le domaine de l’éducation également, il peut y avoir des barrières insurmontables. Pour les
abaisser, Hambourg investit dans l’éducation des jeunes enfants et offre un réseau étendu de crèches
et de jardins d’enfants. Presque toutes les écoles primaires et secondaires accueillent les enfants
toute la journée. À Hambourg, presque tous les établissements d’enseignement secondaire, les
lycées comme les écoles de quartier, proposent des cursus conduisant au baccalauréat. C’est aussi
pour baisser ces barrières que Hambourg a créé une agence pour la qualification des jeunes, où
toutes les administrations de la Fédération et du Land œuvrent de concert pour assurer une
qualification professionnelle aux jeunes à la fin de leur scolarité. À Hambourg, l’école est gratuite : d’ici
la fin de l’année, les droits d’inscription pour la demi-journée dans les crèches et les jardins d’enfants,
qui ont déjà diminué, seront entièrement supprimés. Dans les écoles, les livres sont fournis
gratuitement et les universités sont gratuites : l’origine ne doit pas être un handicap.
L’aboutissement de la « Pursuit of Happiness » – la recherche du bonheur – dépend aussi de la
question de savoir si les frontières à l’intérieur de la ville entravent le développement du potentiel de
chaque individu. Si la ville de Hambourg prend au sérieux sa tradition cosmopolite, il faut qu’elle
abolisse ces frontières que ne sont pas visibles au premier coup d’œil.
Citoyenneté et cohésion
A fortiori dans une ville État aussi ancienne et ayant une tradition aussi riche que Hambourg, la
citoyenneté fait partie de la conception que nous avons de la collectivité. Pourtant, malgré l’ouverture
d’esprit de la ville, pendant de longues périodes au cours de l’histoire, la citoyenneté n’était accordée
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qu’à une petite partie des habitantes et habitants. Encore au début du 20 siècle, un système de
suffrage censitaire pré-démocratique privait la majorité de la population, dont toutes les femmes, ainsi
que le parti social-démocrate, qui était soutenu par cette majorité, du droit de représentation et de
participation. Ce n’est qu’en 1918/19, sous la pression de bouleversements révolutionnaires après la
première guerre mondiale, que la participation de l’ensemble de la population est devenue possible.
Une ville de migrations se doit de veiller sans relâche à faire des habitants de souche, mais aussi des
nouveaux arrivants, des citoyennes et des citoyens égaux en droit. Environ la moitié des immigrants
récents a déjà la nationalité allemande. Parmi les 50 pour cent qui ne l’ont pas, 137 000 pourraient la
demander conformément à la législation allemande actuelle. J’écris en ma qualité de maire à ces
137 000 habitantes et habitants de Hambourg et les invite à demander la nationalité allemande. Avec
beaucoup de succès : le nombre des naturalisations a beaucoup augmenté. Dans la seule année 2013,
nous avons célébré 7 329 naturalisations, soit deux fois plus qu’en 2009. Les cérémonies, qui se
déroulent dans la plus belle salle de l’hôtel de ville de Hambourg, témoignent de manière
impressionnante d’une intégration réussie.
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Une ville de migrations se doit aussi, dans son propre intérêt, de trouver des moyens de reconnaître
les qualifications acquises à l’étranger. Hambourg est le premier des 16 Länder à avoir adopté une loi
reconnaissant ces qualifications, qui va de pair avec la nouvelle loi fédérale sur la reconnaissance des
qualifications, de telle sorte que les qualifications dans des métiers reconnus peuvent maintenant être
validées au niveau de la Fédération et du Land. Nous voulons que, par exemple, un ingénieur afghan,
une infirmière diplômée formée en Syrie ou un médecin roumain puissent exercer ici aussi, dans la
ville, le métier qu’ils ont appris.
Dans une ville cosmopolite, les membres de religions différentes cohabitent avec des citoyennes et
des citoyens sans confession. À côté de l’Église luthérienne, à laquelle adhèrent la plupart des
habitants de Hambourg, il y a aussi depuis toujours des catholiques, des membres d’autres
confessions chrétiennes et la communauté juive, qui augmente de nouveau depuis la Shoah. Depuis
longtemps déjà, et beaucoup plus encore aujourd’hui, il y a aussi des musulmans et des alévites. C’est
pourquoi un pas important a été accompli dans la reconnaissance de cette nouvelle réalité lorsque la
ville, qui avait déjà des acccords avec l’Église protestante, le Saint-Siège et la communauté juive, a
passé accord avec les musulmans et les alévites.
Protection
Dans son roman, Teju Coles décrit la ville de New York comme une ville cosmopolite. Le personnage
principal, Julius, s’entretient avec Saidu, du Libéria, qui a erré de Tanger à Lisbonne puis a essayé de
se rendre aux États-Unis, où il attend d’être expulsé. Ce récit montre déjà combien la fuite et la
migration économique marquent l’image de notre monde.
Cela n’est pas nouveau. Ce genre de mouvement migratoire existe depuis longtemps déjà. Beaucoup
d’Allemands également ont fui et ont émigré. Des millions ont embarqué à Hambourg pour tenter leur
chance dans le nouveau monde.
Et beaucoup de citoyennes et de citoyens de la ville ou leurs ancêtres se sont réfugiés à Hambourg.
Jadis, c’étaient des juifs portugais qui ont pu s’établir à Altona, ou des Néerlandais persécutés pour
leur appartenance religieuse et, plus tard, des réfugiés ou des personnes déplacées d’Europe de l’Est
et d’Allemagne de l’Est. Aujourd’hui, la ville héberge plus de 10 000 réfugiés, qui ont demandé l’asile
en Allemagne ou veulent rester en Allemagne pour des raisons humanitaires. La ville y consacre
plusieurs centaines de millions d’euros. Si, comme en 2013, le nombre de réfugiés augmente soudain
très fortement, la recherche d’hébergements est à elle seule déjà un défi, et un défi de taille. Un défi
que la ville relève cependant avec un grand soutien et la solidarité de ses citoyennes et de ses
citoyens. Il est important pour moi qu’outre un hébergement, nous n’oubliions pas l’éducation des
enfants. C’est pourquoi la ville a décidé de donner aux enfants en âge d’aller à l’école de toutes les
familles qui ont cherché refuge chez nous la possibilité d’être scolarisés.
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En vérité, et ceci est amer, il y a dans nos villes des personnes, dont le nombre n’est pas connu, qui
n’ont ni papiers ni titre de séjour. Elles doivent s’attendre à tout moment à être découvertes et à ne
pas pouvoir rester en Allemagne. Nous ne devons pas ignorer cette réalité, qui fait partie de notre
quotidien. Pour empêcher de graves problèmes, Hambourg propose une prise en charge médicale. Et
lorsque les enfants vont à la crèche, au jardin d’enfants ou à l’école, leur situation irrégulière n’est pas
communiquée à l’administration des étrangers. Et les coûts sont bien entendu remboursés aux jardins
d’enfants et autres structures d’accueil.
L’Europe
D’un autre côté, la plus grande perméabilité des frontières de l’Allemagne profite depuis longtemps à
Hambourg. Il y a encore des frontières en Europe, mais celles qui séparaient les États membres de
l’Union européenne ont été abolies.
Hambourg est une grande ville d’Europe. Environ cinq millions de personnes vivent dans la métropole
et sa région. Cela fait environ un pour cent de la population totale de l’Union européenne, qui compte
quelque 500 millions d’habitants.
Hambourg fait partie d’un marché de l’emploi européen totalisant quelque 220 millions de travailleuses
et de travailleurs, qui peuvent choisir librement et sans restriction leur lieu de travail en Europe. C’est
un grand marché de l’emploi intérieur. Même si, à cause de nombreuses barrières linguistiques mais
aussi, sans doute, pour diverses autres raisons, la migration interne des travailleuses et des
travailleurs de l’UE n’est pas aussi développée qu’aux États-Unis, par exemple. La crise de l’emploi
qui a frappé tout récemment beaucoup d’États membres devrait cependant avoir contribué à accélérer
l’intégration du marché intérieur et à augmenter la mobilité. Cela est sûrement vrai pour les jeunes de
ces pays dont les perspectives professionnelles sont à long terme incertaines. Depuis peu, les
travailleuses et travailleurs de Bulgarie et de Roumanie jouissent eux aussi de l’entière liberté de
circulation. Pour l’Allemagne et Hambourg, cela devrait avant tout susciter une nouvelle dynamique de
croissance.
À propos : à la différence des États-Unis, les États membres de l’Union européenne ont des systèmes
de protection sociale très différents. Notamment en ce qui concerne la protection sociale des
chômeurs. D’après la logique du fonctionnement d’un marché de l’emploi européen – et, du reste,
d’après la logique et l’esprit de l’unité européenne –, il faudrait que ces systèmes de protection sociale
soient unifiés. Compte tenu du niveau élevé des prestations en Allemagne et dans quelques autres
États dont l’économie est prospère, comparativement aux autres États membres, cela ne devrait pas
être une perspective réaliste pendant longtemps. Les travailleuses et les travailleurs, par exemple en
Scandinavie, en Allemagne, en Autriche ou encore dans les pays du Benelux, n’accepteront pas une
dégradation de leurs droits, ce qui est compréhensible. Il faut donc, à plus forte raison, viser au moins
à rendre les systèmes de protection sociale mieux compatibles. D’une part, la liberté de circulation ne
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doit pas être restreinte et il faut refuser les tentatives réitérées d’attiser la peur et l’agressivité dans
des discours populistes sur le soi-disant « tourisme social » et s’y opposer. D’autre part, il ne faudrait
pas négliger le fait que la mobilité peut être amplifiée ou déclenchée par la perspective de transferts
sociaux, et veiller à ce que cette perspective soit la plus faible possible.
Les frontières extérieures de l’Europe
Alors que dans l’Union européenne, les frontières intérieures tombent et qu’un grand espace juridique
unique et un marché intérieur des biens, des services et de l’emploi voient le jour, l’Europe entreprend
de sécuriser ses frontières communautaires.
Ces frontières ne sont pas hermétiques. Pour les personnes qualifiées d’États tiers, l’Allemagne a
ouvert ses frontières dans le cadre du droit européen. Toute personne diplômée d’une université
allemande qui trouve un emploi adéquat peut de facto rester et s’établir durablement en Allemagne.
Celles qui ont acquis un diplôme de formation professionnelle en Allemagne et justifient d’un emploi
peuvent également rester. Grâce à la carte bleue européenne, toute personne justifiant d’un emploi
avec un salaire brut de plus de 46 400 euros par an peut venir avec sa famille et s’établir de facto
durablement en Allemagne. Les spécialistes de haut niveau, comme par exemple actuellement les
scientifiques, les mathématiciens, les ingénieurs, les médecins et les informaticiens, obtiennent
également une carte bleue européenne même s’ils gagnent moins. Dans ce cas, leur salaire doit être
comparable à celui des travailleuses et travailleurs nationaux, mais ne doit cependant pas être
inférieur à 36 192 euros par an. La carte bleue européenne facilite le recrutement de ces travailleurs
qualifiés, sans avoir à examiner si d’autres travailleurs doivent être pourvus en priorité de ces emplois.
Avec la carte bleue européenne, les conjoints également ont un accès sans restriction au marché de
l’emploi. La ville soutient cette évolution et elle a créé pour cela un centre d’accueil, le Hamburg
Welcome Center, où les étrangers qui arrivent dans la ville sont conseillés et aidés avec compétence
– pas seulement en allemand, et pas seulement sur les questions concernant les droits des étrangers,
mais aussi pour la recherche d’un logement, d’une école, d’une formation ou encore d’une place au
jardin d’enfants.
Pourtant, pour beaucoup d’autres, les frontières de l’Europe sont un mur auquel ils se heurtent. Et
toutes les frontières ne sont pas visibles. Par exemple, quand nous parlons de l’Europe ou de l’Afrique,
nous devons constater, même cinquante ans après la fin de l’époque coloniale, que les voisins ne
vont pas encore au-devant les uns des autres sur un pied d’égalité. Les raisons sont complexes et
multidimensionnelles ; la bonne volonté et l’aide économique ne sont pas suffisantes à elles seules
pour améliorer la situation. Cela est vrai aussi pour une coopération au développement, même si elle
est bien intentionnée et conçue avec doigté.
Contre la domination d’élites corrompues et autoritaires d’une part, le dumping commercial des
produits importés et le casse-tête de l’élimination des déchets (automobiles ou déchets électroniques)
d’autre part, « l’aide à s’aider soi-même » ne peut apparemment pas faire grand-chose. De même, la
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politique de la pêche poursuivie jusqu’ici par l’UE est sans arrêt la cible de critiques virulentes. Ce qui
lui est reproché : outre les prises illégales incontrôlées par des bateaux de pêche navigant sous faux
pavillon, ce sont aussi des chalutiers d’Europe qui écument les eaux devant les côtes de l’Afrique de
l’Ouest, condamnant les pêcheurs de ces pays au chômage et faisant d’eux des réfugiés. Il est tout
aussi problématique d’exporter des tomates au Ghana et des cuisses de poulet au Cameroun, privant
les paysans locaux de leurs moyens d’existence. Les barrières commerciales et des subventions
élevées aux produits agricoles d’Europe, qui dévalorisent les places commerciales africaines et les
produits de l’agriculture régionale, paralysent les initiatives des autochtones.
Tout cela contribue à ce que les hommes et les femmes, en particulier les plus jeunes et les actifs, qui
aspire au bonheur individuel, le recherchent en Europe plutôt qu’en Afrique.
Il est donc bien que des progrès aient été accomplis lors des négociations sur un nouvel accord
commercial international à Bali en décembre. Il importe de rendre les frontières dans l’ensemble
moins hermétiques, pour permettre l’échange de biens et de services en provenance des pays d’Asie,
d’Afrique et d’Amérique latine. Cela devrait contribuer à donner de l’élan aux économies nationales
des pays pauvres. Cela ne sera certainement pas préjudiciable a à l’Europe.
La frontière extérieure de l’Union européenne est cependant aussi une frontière très concrète pour
beaucoup de gens, qui veulent émigrer en Europe ou se mettre à l’abri derrière cette frontière. Les
images terribles de bateaux qui chavirent sont l’expression dramatique de la tentative d’innombrables
personnes de chercher refuge derrière de mur – par méconnaissance ou au mépris du danger de mort.
Ces images nous interpellent. Ces mêmes scènes qui se sont déroulée devant la côte italienne, et
que l’on ne peut pas oublier, se déroulent devant les côtes de Malte et dans le détroit de Gibraltar. Ou
encore dans les deux enclaves européennes sur le continent africain, Ceuta et Melilla. Et à la frontière
entre la Grèce et la Turquie. Et ces scènes ne se déroulent pas seulement en Europe. Aux actualités,
nous voyons des Africains qui ont cherché refuge en Israël protester contre leurs conditions de séjour.
Partout où, là-bas et ici, les niveaux de vie et les perspectives sont différents, des individus tentent,
souvent au péril de leur vie, de franchir des frontières qui sont de véritables forteresses, par exemple
entre le Mexique et les États-Unis. Une chose est certaine : les tentatives de beaucoup pour atteindre
l’Europe iront encore en augmentant. Il faut que l’Europe s’attaque aux problèmes qui en résultent, car
ils ne disparaîtront pas.
À Munich, Berlin et Hambourg, des travailleurs migrants et des migrants qui ont fui la pauvreté ont
érigé des camps, et revendiquent un droit de séjour et l’autorisation de travailler. Ils le font
indépendamment des raisons personnelles pour lesquelles ils souhaitent vivre en Allemagne. Un
certain nombre sympathisent avec ces migrants, qui sont en règle générale des hommes jeunes. Et
des slogans tels que « Refugees bleiben » (les réfugiés doivent rester), « Open Border » (frontière
ouverte) ou « Niemand ist illegal nirgendwo » (personne n’est illégal, nulle part ») en sont l’expression
concrète. La plupart admettent qu’il n’est pas raisonnable d’exiger « l’ouverture des frontières pour
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tous » et que plus il y a de réfugiés, moins cela les aide, mais ils exigent quand même une solution. À
juste titre. Mais à quoi une solution peut-elle ressembler ?
Le cosmopolitisme
Comme citoyennes et citoyens d’une ville cosmopolite, nous pouvons peut-être espérer trouver dans
le principe du « cosmopolitisme » des idées qui nous permettront d’avancer aussi dans le début public
sur des solutions. Kwame Anthony Appiah, enseignant à l’université né à Londres et ayant grandi au
Ghana, a écrit un ouvrage philosophique, Pour un nouveau cosmopolitisme, dans lequel cette notion
joue un rôle central. Ethics in a World of Strangers est le sous-titre de l’original en anglais. La question
d’Appiah est celle-ci : de quoi sommes-nous redevables aux étrangers en raison de notre état
commun d’être humain ?
Le cosmopolitisme est une aventure et un idéal, dit l’auteur. Et aucun devoir de loyauté local ne doit
nous faire oublier que chaque être humain a des devoirs envers tous les autres êtres humains. Selon
Emmanuel Kant, le respect moral de la dignité humaine est fondé sur l’« humanité en la personne de
chaque individu ». Dans un monde tel que nous nous l’imaginons, où les devoirs de loyauté régionaux,
nationaux et religieux coexistent pacifiquement, l’humanité n’est pas une vertu du dimanche et l’idée
du cosmopolitisme est une idée nécessaire.
On peut reconnaître ce lien, même sans avoir fait des études de philosophie, et en tirer des
enseignements pratiques : Kwame Anthony Appiah l’a illustré par l’exemple de son père. L’auteur
qualifie la position qu’il vaut la peine de défendre de cosmopolitisme partial. Son père, l’un des
meneurs du mouvement pour l’indépendance de ce qui était alors la « Côte de l’or », ne voyait pas de
contradiction entre la partialité sur le plan local et la morale universelle. Cela est vrai aujourd’hui plus
que jamais : dans ce « un seul monde » dans lequel nous vivons, et ce pas seulement depuis la
mondialisation numérique, on renonce à soi-même dès le moment où l’on ne voit que son propre bien.
Derrière ce constat, il y en a un autre : Seul celui qui prend sa propre vie au sérieux peut convaincre
de sa responsabilité envers les autres, le fait de prendre soin de soi est la garantie que l’on prend soin
du monde, a dit en substance le philosophe de Hambourg Volker Gerhardt. Et une chose est certaine :
l’ouverture complète des frontières de l’Europe aurait des conséquences dont on aurait de bonnes
raisons de s’inquiéter.
L’Allemagne ne pourrait plus être un État social et l’Europe ne pourrait pas en devenir un, parce que
l’État social ne peut pas apporter un soutien illimité à chacun, et sûrement pas au niveau actuel. Ou
bien, il faudrait que nous fassions de nouveau une distinction, comme c’était le cas à Hambourg au
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18 et au 19 siècles, entre « nos » pauvres et les pauvres « d’ailleurs », qui vivaient ensemble dans
les rues de Hambourg. Si les frontières sont ouvertes sans condition, il faudrait que l’Europe et
l’Allemagne acceptent les établissements humains informels dans les villes et à leur périphérie, que
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l’on trouve dans de nombreux endroits du monde.
Pouvoir vivre sans frontières dans le monde entier est une vision d’avenir importante. Mais si nous
voulions agir politiquement « sans frontières » dès maintenant, nous empêcherions cette vision
d’avenir de se réaliser.
À vrai dire, ceux qui réclament vraiment et sérieusement des frontières entièrement perméables sont
peu nombreux. Mais la perplexité règne. Elle se manifeste dans le fait que ceux, heureusement
nombreux, qui estiment qu’il faudrait faire plus pour ceux qui, pour différentes raisons, aspirent à venir
en Europe, ne trouvent pratiquement pas de mots pour exprimer ce que l’on peut faire. Sans doute
parce que chaque fois qu’une solution est proposée, il faut bien parler de limites si l’on veut éviter les
conséquences qui viennent d‘être esquissées.
La responsabilité commune de tous les États membres
Cela est clair : si l’Europe veut trouver une bonne réponse aux flux de réfugiés, elle ne peut le faire
qu’avec la participation de tous les États membres et solidairement. La pratique actuelle, selon
laquelle les réfugiés restent en fin de compte dans le premier pays dans lequel ils ont touché le sol
européen (sauf s’ils s’y soustraient en fuyant ou en migrant de nouveau) fait l’objet de critiques
répétées.
Une solution possible serait un système de quotas. Récemment, le Sachverständigenrat der
Deutschen Stiftungen für Migration und Integration, conseil d’experts des fondations allemandes pour
la migration et l’intégration, a donné des pistes pour une répartition équitable des « charges » selon
un modèle de quotas. D’après le calcul, qui prend en compte entre autres le nombre d’habitants et la
capacité de l’économie, l’Allemagne devrait accueillir à peu près autant de réfugiés qu’elle le fait
aujourd’hui, soit au total, selon la méthode de calcul appliquée, environ 16 pour cent de l’ensemble
des réfugiés arrivant en Europe. Une vingtaine de pays, dont la Grande-Bretagne, ainsi que, d’ailleurs,
l’Italie, devrait en accueillir davantage. Ce modèle de quotas, qui est basé sur la clé de répartition des
16 Länder appliquée en Allemagne, ne fait toutefois pas l’unanimité parmi les États membres de
l’Union européenne.
En Allemagne également, le niveau de vie n’est pas le même partout. Mais si un réfugié dépose une
demande d’asile a Brême et doit vivre pendant la durée de la procédure à Ingolstadt, cela est
acceptable, car le niveau de vie dans les deux villes est le même et, à quelques exceptions
regrettables près, il est assuré. Par contre, il est peu probable qu’un réfugié qui dépose une demande
d’asile à Amsterdam accepte d’aller vivre à Bucarest. Les conditions de vie sont trop différentes.
Pourtant, permettre à chaque réfugié qui est entré en Europe de choisir lui-même dans quel pays
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d’Europe il veut vivre ne serait pas une solution praticable. Les chercheurs du Sachverständigenrat
der Deutschen Stiftungen für Migration und Integration attirent l’attention sur le « risque moral », c’està-dire sur le risque que certains pays fixent pour l’hébergement des réfugiés des normes
d’hébergement qui soient les plus mauvaises possibles, afin de dissuader les demandeurs d’asile de
les choisir.
Quoiqu’il en soit, à la fin du chemin, c’est ensemble que tous les États membres de l’UE devront
assumer la responsabilité des réfugiés en provenance de pays tiers.
Les perspectives de la migration légale
Aucune solution « technique » ne nous dispense de répondre à la question d’Appiah : de quoi
sommes-nous redevables aux étrangers en raison de notre état commun d’être humain ? Chez Willy
Brandt, la réponse était : compassion.
Navid Kermani a rappelé dans une allocution intitulée « Vers l’Europe » – prononcée en 2005 à
Vienne – Paul Bowles, l’écrivain américain décédé, qui décrit dans ses romans des occidentaux las de
leur civilisation, qui fuient vers l’Afrique pour échapper à leur vie vide de sens. Selon Kermani,
aujourd’hui (…) toutes les pensions de la médina de Tanger sont peuplées de gens qui ne
demanderaient pas mieux que d’avoir une vie vide de sens en Occident – pourvu que ça soit une vie.
(…) Ils viennent de différentes régions du Maroc, de villages, de petites villes, de la métropole de
Casablanca. Trois ou quatre d’entre eux avaient fait des études ou suivi une formation, l’un était
ingénieur, l’autre mécanicien en automobile. Les autres n’avaient rien d’autre que leur courage. Cela
ne fait pas de différence. Au Maroc, ils ne trouveront de toute façon pas de travail. Je leur demande
quels sont les motifs qui les poussent à aller en Europe. Du travail, bien entendu, une vie normale,
pas plus. Un peu de sécurité, ne pas avoir à se battre chaque jour pour survivre, pouvoir fonder une
famille, ou pouvoir sortir au moins de temps en temps avec sa petite amie. La voiture et les vacances
ne font pas partie de la vie normale dont ils rêvent, il est plus important pour eux d’avoir assez
d’argent pour pouvoir en envoyer de temps en temps à leur famille.
Les travailleurs migrants, les réfugiés, ceux qui fuient la pauvreté, ceux qui font d’énormes efforts pour
atteindre l’Europe, font, comme l’indique le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, le
voyage ensemble : en courants mélangés. Les réfugiés et les travailleurs migrants d’Afrique voyagent
souvent dans le même bateau et les motivations des uns ne sont pas moins louables que celles des
autres. Mais, parce que la proportion de ceux qui doivent être à vrai dire considérés comme
travailleurs migrants, et la proportion de ceux qui quittent leur pays à cause de mauvaises
perspectives économiques, sont peut-être plus élevées que celle de ceux qui fuient la persécution
politique ou la guerre, il est justement important de réfléchir à des possibilités d’établir des règles
pour limiter la migration.
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Ce n’est pas parce que l’Allemagne ou l’Europe ont besoin de travailleurs qualifiés, cette limitation ne
serait pas juste. Car la migration de travailleurs qualifiés dont on a besoin est déjà possible d’une
manière ou d’une autre aujourd’hui, même si cela ne va pas toujours sans complications. Non, il faut
veiller à empêcher que des hommes et des femmes voyagent pendant des semaines et des mois,
traversent parfois des déserts, soient exposés à de graves dangers et tentent, au péril de leur vie,
d’entrer illégalement en Europe. Klaus Brinkbäumer décrivait déjà en 2006 dans son reportage dans
le Spiegel, pour lequel le prix Nannen lui a été décerné, l’ « odyssée africaine ». Avec John Ekow
Ampan, qui vit aujourd’hui en Andalousie, il a fait une deuxième fois le voyage du Ghana vers les
côtes de la Méditerranée en traversant le Sahara. Il donne une description impressionnante des
situations auxquelles des gens comme John Ekow s’exposent pour trouver un avenir en Europe.
Les perspectives de migration légale doivent être telles qu’elles ne mettent pas à mal les marchés de
l’emploi européens, tout en étant suffisamment attrayantes pour que le nombre de ceux qui quittent
leur pays au péril de leur vie diminue sensiblement. Cela serait une stratégie motivée par des raisons
humanitaires.
Une solution pourrait consister à faciliter l’obtention d’une autorisation de séjour et d’une autorisation
de travail à ceux qui ont un emploi concret en perspective. Peut-être peut-on aussi autoriser un
nombre limité à entrer en Europe pour y chercher du travail. Ce genre de concept existe en effet déjà :
avec le modèle de points proposé il y a un certain temps par la commission Süssmuth et appliqué
déjà aujourd’hui dans beaucoup de pays d’immigration comme le Canada. Les États-Unis ont instauré
un système de tirage au sort pour les candidates et candidats intéressés par un visa de travail et
remplissent certaines conditions de qualification. Europe devra apprendre des États qui ont une
expérience plus longue de l’immigration de travail à notre époque.
Les incidences de la liberté de circulation en Europe sur le marché de l’emploi européen ont fait l’objet
de nombreuses études, dont les résultats ont de quoi étonner. En Suède notamment, qui a ouvert son
marché de l’emploi il y a longtemps déjà, des difficultés ne sont que rarement rapportées. Cela devrait
s’expliquer par l’importance des conventions collectives, qui s’appliquent également aux nouveaux
venus.
On peut tirer de ces expériences des enseignements également pour l’immigration en provenance de
pays tiers vers l’Europe et l’Allemagne. Si l’on réussissait en Allemagne à revenir à un système de
relations de travail fondé sur des conventions collectives, si un salaire minimum légal pour tous et des
salaires minimum par branche protégeaient contre le dumping social, si le nombre des emplois
précaires dans le cadre de contrats de louage de services pouvait diminuer de même que l’abus des
contrats d’intérim, si le travail au noir et le travail informel diminuaient vraiment, l’Allemagne pourrait
offrir aux travailleurs migrants de pays tiers plus de possibilités que ce n’est le cas actuellement, sans
que les travailleuses et travailleurs qui vivent aujourd’hui en Allemagne en pâtissent. La Suède peut
être citée sur ce point en un exemple.
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Peut-être que les employeurs préoccupés – par le manque de travailleurs qualifiés qui se dessine –
pourraient proposer ceci aux syndicats et aux politiques : une ouverture prudente du marché de
l’emploi aux ressortissants de pays tiers en échange d’une réglementation commune du marché de
l’emploi.
Actuellement, l’autorisation préalable de l’administration du travail est souvent exigée pour pouvoir
embaucher des ressortissants de pays tiers. L’administration procède à un « examen de priorité » et
vérifie si l’emploi peut être attribué à des demandeurs d’emploi ressortissants de l’UE. Ce qui n’est
pas simple, vu l’étendue du marché de l’emploi européen. C’est ici que l’ouverture prudente du
marché de l’emploi pourrait être amorcée. Peut-être pourrait-on commencer par essayer d’autoriser à
conclure des contrats de travail avec des ressortissants de pays tiers sans examen de priorité dans
les secteurs où des conventions collectives ont été déclarées obligatoires pour tous selon la loi sur les
conventions collectives.
Sugarcandy Mountain
L’Europe devrait être aussi moins restrictive en ce qui concerne la délivrance de visas. Beaucoup de
jeunes scientifiques et d’artistes de pays tiers ont des difficultés à obtenir un visa. D’autres ne peuvent
pas rendre visite à des parents en Europe et quand des personnes aisées membres des classes
moyennes d’un pays d’Afrique ou d’Asie demandent un visa pour se rendre en Europe uniquement
pour faire du tourisme, on ne les croit pas. Les consulats des États membres de l’UE supposent
souvent que la « volonté de repartir » ‒ telle est la formule employée dans le droit allemand – fait
défaut. Les consulats des États membres devraient être incités à être plus courageux dans la
délivrance des visas. Peut-être que le projet européen de « frontières intelligentes » qui prévoit la
mise en place d’un système d’enregistrement des entrées et sorties des ressortissants extraeuropéens aux frontières extérieures de l’UE, ainsi qu’un programme d’enregistrement pour les
voyageurs feront avancer les choses. Les personnes qui restent dans le pays de destination après
l’expiration de leur visa sans y être autorisées, appelées les « visa-overstayer » pourront alors être
plus facilement identifiées. Une frontière plus sûre pourrait donc être la condition d’une pratique de
délivrance des visas moins restrictive.
Cela est important pour une autre raison également. Dans les pays extra-européens, par exemple en
Afrique, il faut aussi se faire une idée réaliste des possibilités de vivre en Europe.
Prenons notre pays, l’Allemagne, regardons les statistiques du chômage. Plus de la moitié de nos
chômeurs de longue durée n’ont pas de diplôme de fin de scolarité et pas de qualification
professionnelle. La reprise sur le marché de l’emploi, l’augmentation de l’emploi en Allemagne laissent
de côté ceux dont le niveau éducatif ou le niveau de qualification professionnelle n’est pas suffisant.
Et le nombre d’emplois peu qualifiés ne cesse de diminuer. Un coup d’œil sur l’évolution de l’emploi
par qualification à Hambourg de 2000 à 2010 permet de constater que l’emploi des personnes qui
n’ont pas suivi de formation professionnelle a baissé de plus de 15 pour cent en une décennie.
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En Allemagne, un pourcentage non négligeable de jeunes sera toujours non qualifié, ce qui sera un
problème pour le marché de l’emploi futur. Or, d’après une analyse réalisée pour la stratégie de
Hambourg pour la qualification de la main-d’œuvre, à l’avenir, les besoins en personnel non qualifié
seront faibles.
Cela nous amène à tirer une conclusion amère mais réaliste : les personnes qualifiées et formées du
monde entier auront leur chance en Allemagne. Ceux qui prennent la route ou le bateau en direction
de l’Europe et ne font pas partie de ce groupe de personnes qualifiées ne parviendront sans doute à
s’insérer sur le marché de l’emploi allemand que s’ils ont beaucoup d’ambition et au prix d’efforts
considérables. Une grande partie des emplois peu qualifiés se trouve aujourd’hui dans beaucoup de
pays émergents, et plus en Allemagne. Peut-être que s’ils connaissaient mieux la réalité européenne,
beaucoup seraient incités à rester dans leur pays et à continuer à tenter leur chance dans leur pays
en dépit de toutes les difficultés. Mais cela ne marchera pas si l’Europe reste une inconnue et une
« montagne de sucre candi » – comme le disait George Orwell en se moquant de ceux qui
promettaient une vie meilleure dans l’au-delà, au lieu de veiller à de meilleures conditions ici-bas.
Une intégration réussie
En tout cas, seuls ceux qui remplissent les conditions posées pourront rester. Cela vaut pour les
réfugiés comme pour les travailleurs migrants. Et cela ne sera pas différent si les conditions sont
modifiées dans le sens précisé ici. La pratique devrait toutefois toujours être en prise sur la vie, ce qui
signifie : lorsque l’intégration réussit pendant la procédure la plupart du temps longue, cela devrait
avoir des conséquences. Donc, celui qui a un travail qui lui permet de vivre, fréquente l’école ou mène
à bien une formation, doit pouvoir en récolter les fruits. D’autres changements dans la situation
devraient également avoir des incidences positives. Et non – comme c’est souvent le cas aujourd’hui
– avoir un effet plutôt négatif, parce que l’on est entré dans le pays pour d’autres raisons.
Les procédures d’instruction des demandes d’asile en Allemagne, comme dans beaucoup d’autres
pays sans doute, sont longues. C’est pourquoi il est juste que les demandeurs ne soient pas
condamnés à l’inactivité pendant toute la durée de cette procédure, mais puissent obtenir rapidement
une autorisation de travail. Cela leur ferait du bien, car leur confiance en eux et leur dignité seraient
renforcées. Toute personne qui préfère travailler et veut pouvoir assurer elle-même sa subsistance,
ne devrait pas avoir à être à la charge de l’État. Je suis très heureux que le nouveau gouvernement
s’approprie ce thème et veuille permettre d’obtenir une autorisation de travail au bout de trois mois.
Une intégration réussie devrait – indépendamment de l’issue de la procédure de demande d‘asile –
permettre de séjourner en sécurité en Allemagne. C’est pourquoi, par exemple, sur l’initiative de
Hambourg, le Bundesrat, la chambre des représentants des Länder, a demandé que l’expulsion des
jeunes qui n’ont pas obtenu l’asile soit temporairement suspendue. Ceux qui préparent un diplôme de
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fin de scolarité doivent ainsi avoir l’assurance de pouvoir rester. Et bien entendu, les jeunes doivent
pouvoir suivre une formation professionnelle sans se heurter à l’obstacle des règles du marché de
l’emploi, ce qui est heureusement possible depuis quelque temps.
Franchir des frontières pour trouver la sécurité a pour ceux qui fuient la guerre ou la faim une
importance existentielle. Il est vérifié dans le cadre des procédures de l’État de droit si c’est bien pour
ces raisons qu’ils ont quitté leur pays. Mais si pendant la durée de la procédure, ils réussissent à
s’intégrer, ils doivent pouvoir rester, même si à la fin de la procédure, l’administration ne reconnaît pas
les motifs de leur départ.
Un défi à la morale
Je le répète : nous avons la responsabilité, à Hambourg et en Europe, d’améliorer les perspectives
dans les pays d’origine. Nous avons donc le devoir de modifier notre politique douanière et
commerciale, et en même temps, de conduire une politique de coopération au développement
engagée, orientée sur les besoins et les connaissances sur place. Dans les pays riches, on peut faire
plus, dit Kwame Anthony Appiah, et cela est, dit-il, une exigence morale. Il a raison.
Mais nous savons aussi qu’en politique, les solutions simples sont très rares. D’aucuns estiment que
la « politique » et la « résolution des problèmes » sont inconciliables. Je ne partage pas ce point de
vue. Là où la solution ne se présente pas d’elle-même, il faut la chercher. Et de petits pas peuvent
être associés à de grands sentiments.
L’avenir de Hambourg dans une Europe unie – dans un monde qui s’ouvre de plus en plus à tous –
nous fixe les objectifs politiques communs. L’un d’eux est l’aplanissement des frontières
administratives qui entourent l’Europe. Car nous avons une responsabilité, pas seulement pour nousmêmes, mais aussi pour tous ceux qui ont le même droit de vivre sur cette planète. Kwame Anthony
Appiah a saisi le caractère de la politique lorsqu’il dit que d’une certaine manière, le cosmopolitisme
n’est pas le nom d’une solution, mais d’un défi. « À Hambourg, nous relevons le défi ».
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