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Épidémiologie des décès par surdose
chez les usagers de drogues
Mots-clés : Décès, Surdose, Stupéfiants,
Traitement de substitution aux opiacés,
Usager de drogue.
Epidemiological data on drug overdose deaths in France
Keywords : Deaths, Overdose, Drug,
Frank Questel*
Les données épidémiologiques sur les décès par surdose de stupéfiants en France proviennent de trois sources d’information : le registre du Centre d’épidémiologie sur les
causes médicales de décès (CépiDc), qui dépend de l’Inserm et repose sur les certificats
de décès, le fichier de l’OCRTIS (Office central pour la répression des trafics illicites
de stupéfiants) et l’étude DRAMES (Décès en relation avec l’abus de médicaments et
de substances) coordonnée par l’Afssaps. Les chiffres issus de ces trois sources ne sont
pas superposables car les domaines étudiés et les critères d’inclusion ne sont pas identiques. Cependant, on retrouve constamment l’augmentation récente des décès liés
à l’héroïne et à la méthadone et un faible nombre de décès attribué à la cocaïne. Une
sous-estimation du nombre de décès est probable. Une optimisation du recueil et une
coordination permettant le croisement des données sont nécessaires. La surmortalité
des usagers d’héroïne, de cocaïne ou de crack, est avérée : surdoses, comorbidités (infectieuses, cardio-vasculaires, psychiatriques), conduites à risque (agressions, accidents de la voie publique…) [1]. La surmortalité des usagers de cannabis est probable :
les décès par surdose de cannabis sont quasi inexistants, mais on retrouve une surmortalité indirecte (accidents de la voie publique, cancer du poumon) dans plusieurs
études (2, 3). Cet article présente les données épidémiologiques disponibles en France
concernant les décès par surdoses chez les usagers de drogues. Nous nous sommes
intéressés aux surdoses par stupéfiants illicites (héroïne, cocaïne, cannabis) et par
certains médicaments : sulfate de morphine, traitements de substitution aux opiacés
(buprénorphine haut dosage, méthadone). Les décès "indirects" liés aux comorbidités
somatiques et aux accidents de la voie publique ne sont pas étudiés.
Epidemiological data on drug overdose deaths in France come from three sources of information:
the Registry of epidemiology center on the medical causes of death (CépiDc) which depends from
INSERM and is based on death certificates, File OCRTIS (central office for combating illicit traffic in
narcotic drugs) and the study DRAMES (death in connection with the abuse of drugs and substances)
coordinated by Afssaps. The figures from these three sources are not identical because the areas studied and the criteria for inclusion are not identical. However, the recent increase in deaths related to
heroin and methadone is constantly found and the number of deaths attributed to cocaine is low. An
underestimation of the number of deaths is likely. An optimization of the collection and coordination
for cross-over is necessary.
LE REGISTRE CépiDc
Les données épidémiologiques proviennent de
trois sources : le registre CépiDc (Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès)
intégré à l’Inserm et qui repose sur les certificats de décès ; le fichier de l’OCRTIS (Office
central pour la répression des trafics illicites
de stupéfiants) ; l’étude DRAMES (Décès en
* Service de médecine interne toxicologique et addictologique, hôpital Fernand-Widal, 75010 Paris et service de
médecine légale, hôpital Sud-Francilien, 91000 Evry.
relation avec l’abus de médicaments et de substances), coordonnée par l’Afssaps.
4 Le CépiDc, répertorie les décès directement liés à l’usage de stupéfiants, via l’application de la classification internationale des
maladies (CIM 10) [4]. La cause présumée
du décès est codée à partir des informations
mentionnées sur le certificat de décès .
La CIM 10 prévoit 8 codes correspondant aux
surdoses de stupéfiants : par intoxication opiacée (F11), cannabis (F12), cocaïne (F14), hallucinogènes et autres psychostimulants (F16),
associations de stupéfiants (F19 ) ; par surdose
Le Courrier des addictions (12) – n ° 3 – juillet-août-septembre 2010
8
Opiate substitution treatment, Drug user.
accidentelle par stupéfiants (X42), suicides par
usage de stupéfiants (X62) ; décès par usage de
stupéfiants, contexte inconnu (Y12).
Le certificat de décès comporte deux parties
(5) : la partie supérieure, nominative, permet
au médecin de spécifier la date du décès et la
présence ou non d’un obstacle médico-légal à
l’inhumation. Elle est destinée à la mairie puis
à l’Insee pour mise à jour du Répertoire national d’identification des personnes physiques
(RNIPP) ; la partie inférieure, anonymisée,
permet de spécifier les causes du décès. Elle
est close afin de préserver la confidentialité et
est destinée à la DDASS, puis à l’Inserm qui
répertorie les causes médicales de décès. La
cause initiale est celle qui est prise en compte
pour les statistiques : elle est définie par
l’OMS comme "la maladie ou le traumatisme
qui a déclenché l’évolution morbide conduisant directement au décès ou les circonstances
de l’accident ou de la violence qui ont entraîné
le traumatisme mortel".
Les décès par surdose de stupéfiants répondent à la définition de la mort suspecte : mort
violente ou susceptible d’être en rapport avec
l’intervention d’un tiers ou une infraction
pénale. Dans cette circonstance, l’obstacle
médico-légal à l’inhumation doit être coché
et le circuit administratif du certificat fait
l’objet d’une procédure parallèle : le corps
est envoyé dans un institut médico-légal ; le
certificat de décès définitif est établi par le
médecin légiste après investigations médicolégales (autopsie, analyses toxicologiques).
La figure 1 résume le circuit administratif du
certificat médical de décès. Les limites du registre CépiDc sont les suivantes :
– La cause du décès mentionnée sur les certificats est souvent peu précise, voire fausse.
Une étude française récente portant sur 200
autopsies judiciaires effectuées dans l’Essonne
retrouve 44 % de discordance entre la cause présumée du décès après la levée de corps et après
l’autopsie (données non publiées).
– En cas de décès par surdose de produits
psychoactifs, la présence de stupéfiants n’est
pas toujours mentionnée. Lorsqu’elle l’est, la
nature du stupéfiant est rarement précisée.
– Les décès par surdose d’opiacés ne correspondent pas uniquement à des surdoses de
stupéfiants chez des usagers de drogues, ce
qui contribue à surestimer les chiffres ; décès
par surdosage en morphine dans un contexte
de soins palliatifs, accidentel (intoxication méthadone, antalgiques morphiniques) ou par
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Décès
Médecin Mort suspecte
Institut médico-légal
Certificat
Mairie
Certificat
(partie supérieure)
Insee
RNIPP
Certificat
(partie inférieure)
DDASS
CépiDc
Figure 1. Circuit administratif du certificat médical de décès.
Figure 2. Surdoses mortelles par usage de stupéfiants en France (1985-2006). Source : CépiDc/Inserm.
Figure 3. Évolution du nombre de décès annuel par overdose de 1990 à 2008 d’après
l’OCRTIS.
9
suicide non liés à un usage "toxicomaniaque".
À l’inverse, il existe une sous-déclaration des
surdoses de stupéfiants faisant l’objet d’une
procédure judiciaire (mort suspecte avec
obstacle médico-légal) : en effet, en référence
au secret d’instruction, certains instituts
médico-légaux n’établissent pas de certificat
de décès à l’issue des investigations. Ces décès sont alors répertoriés de "cause inconnue"
par l’Inserm (6).
Les résultats d’analyses toxicologiques manquent souvent, soit parce que ces analyses
n’ont pas été effectuées, soit parce que les résultats ne sont pas disponibles au moment de
la rédaction du certificat de décès. Cela est
particulièrement vrai en cas d’enquête judiciaire où les résultats des analyses réalisées
dans le cadre d’expertises pénales ne sont pas
transmis au CépiDc ou le sont avec un délai
important pouvant atteindre 2 ans (7).
La figure 2 rapporte l’évolution du nombre
de décès par usage de stupéfiants en France
depuis 1985 selon le CépiDc (Inserm).
On constate une augmentation des surdoses
entre 1988 et 1995. La diminution (-60 %)
entre 1995 et 1999 est contemporaine de la
diffusion des traitements de substitution aux
opiacés (TSO) [8, 9]. Une réaugmentation est
observée en 2000 et 2001 et peut en partie
être expliquée par le passage de la CIM 9 à la
CIM 10 (définition plus large, numérisation
des certificats permettant la prise en compte
de toutes les causes de décès mentionnées).
La poursuite de l’augmentation à partir de
2003 est attribuée à l’augmentation de la diffusion d’héroïne.
Concernant la nature du stupéfiant mis en
cause, les chiffres du CépiDc sont connus à
partir de l’année 2000, année de passage de la
CIM 9 à la CIM 10 (7).
Ci-dessous, à titre d’exemple, la répartition
des décès pour les années 2000 et 2007 : par
intoxication par associations de stupéfiants,
sans autre précision (F19) : 49,8 % (121) en
2000, 53 % (176) en 2007 ; par surdose accidentelle par stupéfiants (X42) : 18,6 % (46)
en 2000, 28,9 % (96) en 2007 ; par intoxication opiacée (F11) : 8,4 % (20) en 2000, 11,1 %
(36) en 2007 ; par suicide par usage de stupéfiants (X62) : 10,2 % (25) en 2000, 5,6 % (18)
en 2007 ; par intoxication à la cocaïne (F14) :
0,9 % (2) en 2000, 1 % (3) en 2007 ; par usage
de stupéfiants, contexte inconnu (Y12) : 12 %
(29) en 2000, 0 % en 2007 ; par intoxication
aux cannabinoïdes (F12) et aux hallucinogènes et autres stimulants (F15) : 0.
Ainsi, dans 85 à 90 % des cas, la nature du
stupéfiant n’est pas précisée. Les opiacés sont
les plus cités (10 % des cas environ) sans qu’il
soit possible de dire s’il s’agit d’héroïne ou d’un
autre opiacé. Le nombre de décès attribué à la
cocaïne est faible (2 à 3 par an). Il est nul pour
les autres stupéfiants (cannabis, amphétamines, hallucinogènes).
Le Courrier des addictions (12) – n ° 3 – juillet-août-septembre 2010
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Tableau I. DRAMES : résultats 2006, 2007, 2008 (le
produit cité est considéré comme étant principalement à l’origine du décès).
600
500
400
CépiDc
300
200
OCRTIS
100
0
7
85 6 7 8 9 0 1 2 93 94 95 96 97 8 9 00 01 02 03 04 05 06
19 198 198 198 198 199 199 199 19 19 19 19 19 199 199 20 20 20 20 20 20 20 200
Figure 4. Surdoses de stupéfiants 1985-2007 : comparaison des données OCRTIS et CépiDc, d’après
l’OFDT (7).
Les données de l’OCRTIS
L’OCRTIS (10) comptabilise les décès par surdose de drogues illicites et de médicaments stupéfiants et de substitution aux opiacés constatés par un service de police ou de gendarmerie.
L’enregistrement de la substance à l’origine
du décès se fait d’après les éléments matériels
présents sur les lieux : seringue, poudre, comprimé, flacon, lettre, ordonnance…
Sont pris en compte les décès faisant l’objet
d’une enquête préliminaire de police ou de
gendarmerie (décès sur la voie publique, dans
un lieu public ou au domicile). Les décès hospitaliers ne sont pas répertoriés, ce qui est l’une
des principales limites de ce recueil de données. Par ailleurs, la cause présumée du décès
n’est pas évaluée médicalement et les résultats
d’analyses toxicologiques éventuelles ne sont
pas constamment récupérés (figure 3).
Comme pour le CépiDc, le pic des décès est
atteint en 1994 (564) avec une prédominance
des décès par surdose d’héroïne (90 % des décès en 2004). Une diminution est constatée
dès 1995, année de la mise sur le marché des
TSO. La réaugmentation du nombre de décès
constatée à partir de 2003 par le CépiDc n’est
pas retrouvée par l’OCRTIS dont les chiffres
continuent à baisser jusqu’en 2006. On peut
suspecter un manque d’exhaustivité du recueil
des cas de l’OCTRIS. La tendance récente est
la réaugmentation des surdoses liée à l’héroïne
(autour de 25 décès en 2004, une cinquantaine
en 2008).
Concernant les substances : l’héroïne est majoritaire (60 % des décès en 2008) et en augmentation récente ; la cocaïne est peu citée : 9 cas
en 2003, 14 cas en 2004, 7 cas en 2005, soit 10
à 15 % des décès. Entre 1990 et 2000, le nombre
de décès annuel est inférieur à 10 : en 1994, année du pic des décès, moins de 10 cas liés à la
cocaïne sont signalés pour un total de 564 décès, soit moins de 2 % des cas. Les décès liés à la
cocaïne sont probablement sous-estimés car ce
stupéfiant n’est pas systématiquement recher-
ché lors des décès d’origine cardio-vasculaire
(infarctus du myocarde, troubles du rythme,
accidents vasculaires cérébraux de l’adulte
jeune), qui, de surcroît, ont souvent lieu à l’hôpital et échappent ainsi aux statistiques.
Une proportion non négligeable des décès (10
à 50 % selon les années) est attribuée à d’autres
substances, ecstasy, solvants, médicaments
dont méthadone et buprénorphine : un petit
nombre de décès attribués à l’ecstasy est signalé
en 1999 (2 cas), 2001 (une dizaine de cas), 2002
(2 cas) et 2003 (une dizaine de cas). Les chiffres
ne sont pas disponibles après 2003 ; les décès
attribués aux médicaments ne sont pas détaillés. Nous avons retrouvé, selon l’OCRTIS, 7
décès impliquant la méthadone et 6 décès impliquant la buprénorphine en 1997 ; la nature
des solvants n’est pas précisée.
L’enquête DRAMES
L’enquête DRAMES, coordonnée par l’Agence
française de sécurité sanitaire des produits de
santé (Afssaps) et le réseau des Centres d’évaluation et d’information sur les pharmacodépendance-addictovigilance (CEIP-addictovigilance), a pour objectifs de recueillir les cas
de décès liés à l’usage abusif de substances psychoactives, d’identifier les substances impliquées
(médicaments stupéfiants et TSO, substances
illicites), d’évaluer leur dangerosité et d’estimer
l’évolution du nombre de décès (11).
Le recueil prospectif des décès a débuté en
2002. Les cas sont notifiés par des toxicologues
analystes volontaires et experts auprès des tribunaux. Ces derniers, regroupés au sein de la
compagnie nationale des biologistes et analystes
experts, effectuent les analyses toxicologiques
dans le cadre d’une recherche des causes de la
mort à la demande des autorités judiciaires.
Sont inclus les décès répondant à la définition
A de l’Observatoire européen des drogues et
des toxicomanies : survenant dans un contexte
de psychose due à la drogue, dépendance, toxicomanie sans dépendance, intoxication acciden-
Le Courrier des addictions (12) ­– n ° 3 – juillet-août-septembre 2010
10
2006
2007
2008
Nombre de décès
directement liés
à la substance
168
192
217
Nombre de
laboratoires
16
15
19
Sexe masculin
83 %
86 %
81 %
Âge
33 ans
33 ans
33 ans
Antécédent dépendance ou abus
82 %
83 %
85 %
Naïf
3 %
4 %
6 %
Domicile ou voie
publique
91 %
87 %
92 %
Hôpital
3 %
6,5 %
4,5 %
Prison
6 %
6,5 %
3,5 %
Stupéfiants
illicites
95
110
113
Héroïne
59 (38)
84 (56)
62 (58)
Cocaïne
31 (13)
25 (18)
22 (16)
18
22
20
4 (2)
1 (0
4 (0)
Dont association
MDMA
LSD
1
-
-
TSO
51
72
84
Méthadone
31
61 (27)
63 (58)
Buprénorphine
20
12 (4)
21 (20)
Médicament
hors TSO
18
10
19
Morphine
9
5 (4)
14 (12)
Codéine
9
1
4
Tramadol
0
4
1
4 (solvants [3],
Iboga)*
0
2 (GHB,
kétamine)*
Autres produits
Cannabis : 35 %. Autres médicaments psychotropes :
40 %. Alcoolémie > 0,5 g/l : 30 %.
* Retrouvé seul.
telle ; causés par la prise d’opiacés (dont TSO), de
cocaïne, de stimulants, de cannabis ou d’hallucinogènes ; avec analyses toxicologiques réalisées
par des toxicologues analystes experts judiciaires
à la demande de l’autorité judiciaire. En sont exclus les accidents mortels de la circulation liés à
la prise d’une de ces substances et les suicides
médicamenteux.
Les observations collectées dans DRAMES sont
renseignées sur les circonstances de découverte
du corps, les données médicales préhospitalières
(fiches d’intervention du SMUR, ordonnances,
examen externe du corps), les résultats de l’au-
Mises au point
Mises au point
topsie, des analyses toxicologiques qui portent
notamment sur les stupéfiants (cannabis, héroïne, autres opiacés, cocaïne, amphétamines,
LSD, kétamine, GHB), les TSO, les opioïdes et
l’alcool. Les données ne sont pas exhaustives :
le nombre de décès notifiés dépend du nombre
de laboratoires experts participants (7 en 2002,
6 en 2003, 2004 et 2005, 16 en 2006, 15 en 2007,
19 en 2008). Par ailleurs, DRAMES ne s’intéresse
qu’aux "morts suspectes" avec enquête judiciaire.
Les décès sans obstacle médico-légal, notamment hospitaliers, ne sont pas pris en compte
(tableau I).
Enfin, l’objectif est qualitatif : il s’agit plus de répertorier les substances impliquées dans les décès que de comptabiliser le nombre de ceux-ci.
Nous ne prendrons en compte que les décès directement liés à la prise de substance (12).
Entre 2002 et 2005, le nombre de laboratoires
participant à l’étude est faible (6 à 7). À partir
de 2006, il est plus important et permet une
comparaison des chiffres. La majorité des décès survient chez des sujets de sexe masculin
et hors hôpital (domicile, lieu public). L’héroïne est la première substance impliquée :
elle est retrouvée dans 40 % et de façon isolée
dans 30 % des décès. Après une augmentation
nette entre 2006 (35 %) et 2007 (43 %), on note
une diminution relative du nombre de décès
liés à l’héroïne est notée en 2008 (30 %).
Le pourcentage de décès lié à la méthadone
est presque multiplié par 2 entre 2006 (18 %)
et 2007 (31 %). Cette tendance se confirme en
2008 (29 %), année de mise sur le marché des gélules. Il n’est pas possible de repérer les décès liés
à cette galénique. La buprénorphine haut dosage
est impliquée dans un faible nombre de décès
(10 % environ). En 2008, on la retrouve seule dans
la majorité des cas. Cette notion est nouvelle et
mérite d’être confirmée.
La cocaïne est impliquée dans 10 % à 15 % des
décès. Ces chiffres sont superposables à ceux de
l’OCRTIS. L’association à l’héroïne est fréquente.
Le cannabis n’est pas directement responsable
de décès, mais on le retrouve en association dans
35 % des cas. La fréquence de l’association à l’alcool et à d’autres médicaments psychotropes est
du même ordre de grandeur (respectivement 40 %
et 30 %).
La comparaison des données
Le tableau II résume les caractéristiques et les
chiffres 2007 des trois sources de données sur
les décès chez les usagers de drogue en France.
Leur nombre diffère selon les sources, car les
domaines étudiés ne sont pas identiques. Le CépiDc s’intéresse à tous les types de décès, alors
que l’OCRTIS et DRAMES ne s’intéressent qu’à
ceux qui font l’objet d’une procédure judiciaire.
Les décès CépiDc incluent les surdoses aux
opiacés chez les non-usagers de drogues. Ces
différences peuvent expliquer un nombre de
décès CépiDc plus important, en partie compensé par les cas suspects non renseignés et
répertoriés en "cause inconnue".
Il existe une sous estimation des chiffres
de l’OCRTIS qui ne devraient pas être inférieurs à ceux de DRAMES. En effet, ces
deux sources s’intéressent exclusivement aux
morts suspectes et l’OCRTIS inclut en plus
les suicides.
Les trois sources de données retrouvent une
augmentation des surdoses depuis 2006 avec
une prépondérance de l’héroïne et une augmentation récente des surdoses de méthadone.
La part des décès attribués à la cocaïne reste
faible (10 % à 15 % des décès). Une sous-estimation est probable. La Haute Autorité de
santé recommande la recherche de ce stupéfiant dans les décès d’origine cardio-vasculaire (13).
Les décès "médico-légaux" sont les mieux documentés. À ce titre, l’enquête DRAMES est
performante et la participation de la totalité
des laboratoires d’analyses experts saisis par la
justice est souhaitable. On doit favoriser l’implication des médecins légistes, plus à même
d’effectuer la synthèse des données cliniques,
autopsiques et toxicologiques.
Enfin, la qualité du "remplissage" du certificat
de décès et son exploitation doivent être améliorées. L’informatisation de la certification va
dans ce sens (14).
CONCLUSION
Le nombre de surdoses en France est quatre
à cinq fois moindre qu’en Allemagne et six à
sept fois inférieur à celui du Royaume-Uni. La
première explication est la large diffusion en
France des TSO. La deuxième explication est
une probable sous-estimation confirmée par
une étude préliminaire de l’OFDT consistant à
croiser les données issues des trois sources et
qui conclut à une sous-estimation de 30 % (15).
La réduction de la mortalité par surdose de
stupéfiants est inscrite comme l’une des priorités du plan gouvernemental de lutte contre
les drogues et les toxicomanies 2008-2011. Cet
objectif suppose comme préalable une évaluation plus précise et plus rigoureuse du nombre
de décès. L’optimisation du recueil des données
issues des trois sources existantes est nécessaire. L’interprétation de ces données doit être
affinée par une analyse croisée et comparée. v
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Tableau II. Caractéristiques et les chiffres 2007 des trois sources de données sur les décès chez les usagers
de drogue en France.
Produits
Mécanisme
Contexte
CépiDc (Inserm)
OCRTIS
DRAMES
Stupéfiants illicites ++
Stupéfiants illicites++
Stupéfiants illicites++
Médicaments opiacés et TSO ±
Médicaments opiacés et TSO ±
Médicaments opiacés et TSO++
Surdose usagers de drogue
Intoxication aux opiacés hors
usagers de drogue
Suicides
Surdose usagers de drogue
Surdose usagers de drogue
Tous décès
Mort suspecte
Mort suspecte
330
93
192
Décès 2007
11
Suicides
Le Courrier des addictions (12) ­– n ° 3 – juillet-août-septembre 2010