Extrait du livre PDF

Transcription

Extrait du livre PDF
L'AURÉOLE DE LA PEINTURE
Ouverture Philosophique
Collection dirigée par Bruno Péquignot,
Dominique Chateau et Agnès Lontrade
Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux
originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques.
Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions
qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou non. On n'y
confondra donc pas la philosophie avec une discipline académique ;
elle est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la passion de penser,
qu'ils soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences
humaines, sociales ou naturelles, ou... polisseurs de verres de lunettes
astronomiques.
Déjà parus
Cédric CAGNAT, La construction collective de la réalité,
2004.
Alfredo GOMEZ-MULLER, La question de l'humain entre
l'éthique et l ' anthropologie, 2004.
Bertrand DEJARDIN, Terreur et corruption, 2004.
Stéphanie KATZ, L'écran, de l'icône au virtuel, 2004.
Mohamed MOULFI, Engels philosophie et sciences, 2004.
Chantal COLOMB, Roger Munier et la « topologie de l'être »,
2004.
Philippe RIVIALE, La pensée libre, 2004.
Kostas E. BEYS, Le problème du droit et des valeurs morales,
2004.
Bernard MORAND, Logiques de la conception. Figures de
sémiotique générale d'après Charles S. Peirce, 2004.
Christian SALOMON (textes réunis par), Les métaphores du
corps, 2004.
Pierrette BONET, De la raison à l'ordre. Genèse de la
philosophie de Malebranche, 2004.
Caroline GUIBET LAFAYE et Jean-Louis VIEILLARDBARON, L'esthétique dans le système hégélien, 2004.
Loïck ROCHE, La volonté. Approche philosophique et
analytique, 2004.
Salloum SARKIS, Les échelles de l'intelligence, 2004.
Jocelyne LE BLANC, L'archéologie du savoir de Michel
Foucault pour penser le corps sexué autrement, 2004.
Gisèle GRAMMARE
L'AURÉOLE DE LA PEINTURE
L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
FRANCE
L'Harmattan Hongrie
Hargita u. 3
1026 Budapest
HONGRIE
L'Harmattan [tafia
Via Bava, 37
10214 Torino
ITALIE
© L'Harmattan, 2004
ISBN : 2-7475-7156-4
EAN : 9782747571562
Abstraction
Le mazzocchio est cet objet singulier qui combine, à
Florence au XVème siècle, un usage vestimentaire en tant que
couvre-chef et une dimension artistique exceptionnelle comme
construction géométrique savante d'un tore mis en perspective.
Le mazzocchio est une "figure-symptôme " de l'oeuvre de
Paolo Uccello. Il m'est apparu que ce tore, dans des conditions
adaptées à la peinture d'un artiste contemporain, était présent
chez Akira Arita dont j'ai découvert l'oeuvre, récemment, à
l'occasion de sa première exposition personnelle à Parisi.
Depuis, je me suis demandé si cette construction abstraite, le
tore-mazzocchio, élaborée mathématiquement pour accéder à un
idéal de perfection, n'était pas un " objet introuvable ".
Correspondant à " l'accès sans cesse repoussé " d'une chose à
connaître, il aimante, de l'extérieur, la création artistique. Dans
l'oeuvre d'Uccello, comme dans celle d'Arita, j'ai constaté ce
c'est-à-dire le
que je nomme " l'effet-mazzocchio ",
mazzocchio déployé " dont le concept irradie tout le tableau
par le déroulement des lignes.
Je crois reconnaître dans le mazzocchio ce qui fonctionne
dans ma peinture à partir d'autres objets. Il matérialise la
construction mentale initiale désirée et a provoqué l'effet d'une
révélation.
A partir de l'architecture de la Renaissance, puis de la
peinture romaine antique ou de l'archéologie punique de
Carthage, ou encore de l'architecture de la maison Wittgenstein,
j'ai pratiqué le mazzocchio comme méthode (en référence au
Fondation ICAR, automne 2001.
" pliage comme méthode " de Simon Hantaï) sans le savoir.
J'évoque ici les prélèvements formels pris comme fragments
symptomatiques, réutilisés plastiquement et picturalement
comme structure de mes tableaux. L'entrée en peinture de ces
configurations produit des effets comparables à ceux du
mazzocchio, de déconstruction en reconstruction les lignes
tissent l'espace et le lieu. Ainsi, l'architecture comme principe
extérieur, tel un mazzocchio, est le modèle invisible mais
présent en dedans.
Marcel Schwob écrivait d'Uccello :
Il crut qu'il pouvait muer toutes les lignes en un seul
aspect idéal.
Il étudia l'architecture auprès de Brunelleschi, mais sans
intention de construire, seulement pour " observer la direction
des lignes ", dit-on. Les lignes de Brunelleschi qui ont inspiré
Uccello établissent, si cela est nécessaire, la relation
conceptuelle étroite qui existe de ce point de vue entre
architecture et peinture.
L'Ancienne Sacristie de San Lorenzo et la Chapelle des
Pazzi, premières architectures Renaissance de Brunelleschi à
Florence, associent le carré (le cube) et le cercle (la demisphère) : telle une couronne surplombant le cercle ainsi formé,
écrit L. H. Heydenreich. Par leur légèreté et leur pureté ces
deux édifices se définissent visuellement grâce aux lignes de
pierre grise pietra serena (pierre sereine) qui dessinent l'espace
intérieur. Reconnues comme " modèles " de ce qui sera ensuite
développé par la Renaissance, l'Ancienne Sacristie et la
Chapelle des Pazzi possèdent cet effet-mazzocchio pour
l'architecture en général et pour la peinture d'Uccello qui audelà, peut intéresser tout l'art.
Le goût pour la recherche perspective d'Uccello devint
sujet de moquerie, de mépris, de soupçon. S'inspirant des écrits
8
de Vasari mais d'un ton amical et presque complice, Marcel
Schwobl raconte qu'Uccello ne se souciait pas de la réalité des
choses mais de leur multiplicité et de l'infini des lignes, de sorte
qu'il fit des champs bleus et des cités rouges (...).
Et il avait coutume de dessiner des mazzocchi, qui sont
des cercles de bois recouverts de draps que l'on place sur
la tête, de façon que les plis de l'étoffe rejetée entourent
tout le visage. Uccello en figura de pointus, d'autres
carrés, d'autres à facettes, disposés en pyramides et en
cônes, suivant toutes les apparences de la perspective, si
bien qu'il trouvait un monde de combinaisons dans les
replis du mazzocchio.
Mais pourquoi cette figure de fantaisie (son emploi
attesté est une citation de mode) ou ce concentré de
problèmes de géométrie, est-elle "entre Paolo et Piero"
l'objet d'une telle faveur et d'un tel soin d'érudition? (...)
Telle est l'interrogation de Jean-Louis Schefer 2. En effet,
au-delà du goût pour le mazzocchio qui serait à envisager
comme "figure-symptôme" principale de la personnalité
artistique de Paolo Uccello, il faut prendre en compte ce que
l'on connaît par ailleurs du personnage. Sa réputation a souffert
des nombreux jugements défavorables dont le premier
responsable est Giorgio Vasari, la controverse se maintenant
jusqu'à aujourd'hui avec Federico Zeri par exemple.
Dans Vies des peintres 3 , Giorgio Vasari commence le
chapitre consacré à Uccello en regrettant tout le temps qu'il a
perdu dans ses recherches sur la perspective, car sans cela il
I Marcel Schwob,
Vies imaginaires, 1896, Petite Bibliothèque
Ombres, 1993, p. 76.
2 Jean-Louis Schefer, Paolo Uccello, le Déluge, P.O.L., 1999, p. 171.
Giorgio Vasari, Vies des peintres, Les Belles-Lettres, 2001, p. 37.
9
aurait été "le peintre le plus élégant et le plus original depuis
Giotto". Il poursuit en écrivant :
Sans doute, c'est une chose ingénieuse et belle, mais celui
qui en fait une étude trop exclusive perd son temps, se
fatigue l'esprit, le rend stérile et compliqué, et finit par
adopter une manière sèche aux contours anguleux. C'est
ce qui arrive à ceux qui veulent trop approfondir les
choses, de même qu'ils risquent souvent de tomber dans
l'isolement, la mélancolie, l'étrangeté et la pauvreté.
Vasari affirme que cette étude, si intense, nuisit à un tel
point à Paolo, qu'en vieillissant, le dessin de ses figures devint
de plus en plus mauvais. On connait aussi la remarque de
Donatello, souvent reprise, quand Paolo lui montrait "des
couronnes héraldiques, ou des bandes à soixante-douze faces et
à pointes de diamant, des copeaux enroulés sur un bâton, et
d'autres dessins curieux de perspective" (peut-être des
mazzocchi!) :
Eh! Paolo, ta perspective te fait laisser le certain pour
l'incertain. Toutes ces choses ne sont bonnes qu'à ceux
qui font de la marqueterie!
Des origines au XXème siècle, disait Martin Barré en
1974, l'art nous apparaît de plus en plus sur un plan
unique, c'est-à-dire que tout nous semble contemporain.
Letmpsoùlarifentqulpaséi
moisi et que les musées ne ressemblaient qu'à des
cimetières semble heureusement révolu.
Partageant le sentiment énoncé concernant un " plan
unique " où tout serait à notre disposition pour devenir
contemporain, je crée des ponts d'une époque à l'autre et je
tente de dégager ce qui s'exprime selon une ligne
10
ininterrompue. Les rencontres que je propose au gré de mon
expérience d'artiste, de la Renaissance à Wittgenstein, de
l'Antiquité au Minimalisme et vice versa sont aussi empreintes
de biographie.
11
Révélation
Je voudrais peindre des hommes et des
femmes avec ce je ne sais quoi d'éternel,
dont autrefois le nimbe était le symbole
et que nous cherchons par le
rayonnement même, par la vibration de
nos colorations.
Van Gogh, Lettre à Théo n° 351
• Auréole : cercle lumineux dont les peintres entourent
ordinairement la tête des saints. (..) Terme d'astronomie.
Couronne simple ou double qui se voit surtout dans les
éclipses.
L'auréole se manifeste par un rayonnement autour du
visage et parfois de tout le corps. D'origine solaire, il indique le
sacré, la sainteté, le divin. Il matérialise l'aura sous une forme
particulière.
La représentation de l'auréole dans l'iconographie
chrétienne serait issue de la vision de Jean dans l'Apocalypse 2.
Apocalypse vient du grec et signifie révélation. La vision de
Jean aurait eu lieu dans l'île de Patmos sous le règne de
Domitien entre 81 et 96 avant Jésus-Christ. C'est un texte
mystique, spécifiquement chrétien, au langage ésotérique. On le
retrouve à la fin du Nouveau Testament 3 :
Littré, Dictionnaire de la Langue Française.
Dictionnaire des Symboles, Jean Chevalier et Alain Gheerbrant,
Robert Laffont, 1982.
3 La Bible et les Saints, Guide iconographique, Flammarion, 1990, p.
34.
I
2
J'eus ensuite une vision. Voici : une porte était ouverte au
ciel, et la voix que j'avais naguère entendue me parler
comme une trompette me dit : monte ici, que je te montre
ce qui doit arriver par la suite. A l'instant je tombai en
extase. Voici, un trône était dressé dans le ciel, et,
siégeant sur le trône, Quelqu'un... Celui qui siège est
comme une vision de jaspe et de cornaline ; un arc-enciel autour du trône est comme une vision d'émeraude.
Vingt-quatre sièges entourent le trône, sur lesquels sont
assis vingt-quatre Vieillards vêtus de blanc, avec des
couronnes d'or sur leurs têtes. Du trône partent des
éclairs, des voix et des tonnerres, et sept lampes de feu
brûlent devant lui, les sept Esprits de Dieu. (...)
Et chaque fois que les Vivants offrent gloire, honneur et
action de grâces à Celui qui siège sur le trône et qui vit
dans les siècles des siècles, les vingt-quatre Vieillards se
prosternent devant Celui qui siège sur le trône pour
adorer Celui qui vit dans les siècles des siècles ; ils
lancent leurs couronnes devant le trône (...) 1 .
Les représentations de l'Apocalypse figurées à de
nombreux portails d'église au moyen-âge mettent en scène avec
précision cette vision. A la cathédrale de Chartres, au portail
occidental ou royal on retrouve le Christ en majesté entouré
d'une mandorle, auréole pour tout le corps sacré, symbole
d'immortalité. Sa tête est ornée d'un nimbe crucifère. Le nimbe
est un synonyme de l'auréole ; provenant du latin nimbus, il
désigne chez Virgile un nuage entourant les dieux. Dans le
domaine chrétien il s'agit du disque placé au-dessus ou à
l'arrière de la tête des saints. C'est le signe spécifique de la
La Bible de Jérusalem L'Apocalypse, Cerf, 1998, p. 2068.
-
14
sainteté. On reconnaîtra la mandorle comme une interprétation
de : "un arc-en-ciel autour du trône est comme une vision
d'émeraude" dans la vision de Jean. Dans l'Antiquité, l'arc-enciel c'est Iris, messagère entre les dieux et les hommes, grâce à
ce pont de lumière décomposée en couleurs. La vision de Jean
ne se déroule pas dans un ciel serein : il est question d'éclairs et
de tonnerres, de feu aussi. Les Vieillards, pour adorer le Christ,
se prosternent et lancent leurs couronnes d'or. L'auréole,
couronne d'or, appartient aux circonstances d'apparition de la
vision de Jean.
Il existe un autre mot pour exprimer la même notion que
celle de l'auréole, c'est le limbe. Littré explique qu'il s'agit d'un
terme de mathématique et d'astronomie pour parler du bord d'un
objet, des bords du soleil aussi. Il précise que dans l'éclipse
totale du soleil on voit encore un limbe, un grand cercle de
vapeurs dont la lumière serait aussi vive que celle de la lune
pour nous éclairer.
L'auréole de la couleur apparaît comme une vapeur dans
la nature le matin ou le soir. Goethe relate le phénomène dans le
Traité des couleursl, au chapitre des couleurs physiologiques :
30 - Pendant leurs travaux dans la Cordillère des Andes,
des savants aperçurent des auréoles claires autour des
ombres de leurs têtes qui se projetaient sur les nuages.
Ce cas, me semble-t-il, trouve place ici ; car, alors que
les savants fixaient tout en marchant l'image foncée des
ombres, il leur sembla que les images claires suscitées
dans l'oeil par celles-ci flottaient autour de ces ombres.
Lorsqu'on regarde un disque noir sur fond gris clair, on
remarquera bientôt, au moindre changement de direction
du regard, une auréole claire flottant autour du disque. Il
Goethe, Traité des couleurs, Triades, 2000, p. 103.
15
m'est arrivé quelque chose de tout à fait semblable.
J'étais assis dans les champs et je parlais avec un homme
debout en face de moi, mais à une certaine distance ; sa
silhouette se dessinait nettement sur le gris du ciel. Après
l'avoir fixée assez longtemps, je détournai un peu mon
regard, et je vis la tête de cet homme entourée d'une
auréole éblouissante.
Il en est probablement de même avec les personnes qui
voient des auréoles autour de leur tête lorsqu'elles se
promènent au lever du soleil près des prés encore
humides de rosée. Ces auréoles peuvent même apparaître
colorées du fait qu'interviennent des phénomènes de
réfraction. (..)
L'aura partage avec l'auréole une origine commune dans
son étymologie latine : aurum (l'or). Aurea veut dire :
splendide, rayonnant, bienheureux. L'aura et l'auréole ont hérité
de tous ces sens. L'une et l'autre sont tantôt un halo ou un cercle
doré, tantôt un halo de vapeur aux contours flous. D'or ou de
vapeur, l'aura signale la lumière et désigne la divinité de la tête
ou du corps. Auréole, Aura, Nimbe, Limbe, quatre termes entre
l'or et la lumière, la nuée et le halo pour distinguer ce qui est à
part, au-dessus, ailleurs'.
L'aura en art fut maintes fois commentée à partir du texte
de Walter Benjamine :
Selon le dictionnaire Latin-Français Garnier et le Gaffiot
• aura, ae, c'est le souffle, l'air, la brise mais aussi le rayonnement
notamment celui de l'or. On trouve en français 1 'aure que Littré
définit comme un souffle, un vent léger.
• aureolus, a, um : joliment doré, donnera auréole en français.
• aureus, a, um, adj. : couronne d'or.
• aureum, neutre : or.
2 Walter Benjamin, Ecrits français, Gallimard, 1991: "L'ceuvre d'art à
l'époque de sa reproduction mécanisée", p. 140.
16
Qu'est-ce en somme que l'aura ? Une singulière trame de
temps et d'espace : apparition unique d'un lointain si
proche soit-il. L'homme qui, un après-midi d'été,
s'abandonne à suivre du regard le profil d'un horizon de
montagnes ou la ligne d'une branche qui jette sur lui une
ombre - cet homme respire l'aura de ces montagnes, de
cette branche.
La perte de l'aura (ou de t'auréole de l'art) qu'analyse
Walter Benjamin n'est pas mon propos. Il n'en demeure pas
moins que sa célèbre définition :
l'unique apparition d'un lointain si proche soit-il
illumine tout son texte, si bien que l'on peut être conduit
à n'en retenir que la formule et oublier qu'elle survient
précisément au moment où l'auteur décrit son déclin, comme si
on découvrait l'existence de l'aura dans l'oeuvre d'art quand elle
menace de disparaître.
Si l'aura est aussi l'air, le souffle, elle suggère la
présence et l'effet produit par la conjonction de plusieurs sens.
L'aura est-elle " le vent de la peinture " comme Jean-Louis
Schefer le dit du rouge ?I, et " ce qui arrive " comme l'est le
monde selon Ludwig Wittgenstein pour qui " le monde est tout
ce qui arrive
L'aura lointaine qui m'intéresse c'est l'aura de l'art tout
entier. Invisible au créateur qui cherche, ressent et désire ; c'est
une construction mentale presque inaccessible qui apparaît
parfois sous une forme étrange.
"2
Jean-Louis Schefer, " Quelles sont les choses rouges ? ", Artstudio
n° 16, 1990, p. 19.
2 Ludwig Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus.
17
Diffamation
Renaissance et pseudo-Renaissance se distinguent, selon
Federico Zeri, en deux courants qui se seraient affrontés au
XVème et XVIème siècle en Italie'. Les artistes tels qu'Alberti,
Brunelleschi, Donatello, Verrocchio et Léonard de Vinci sont
classés comme " renaissants " tandis que d'autres tels que
Filippo Lippi, Botticelli, Gentile da Fabriano et surtout Uccello,
ne sont que " pseudo-renaissants ". Sans s'expliquer vraiment,
Zeri qualifie ainsi l'art de Botticelli en écrivant cependant que
cela semblera sans doute inacceptable. Ensuite, il développe
avec insistance l'autre " cas ", écrit-il, celui de Paolo Uccello. Il
ne nie pas le fait qu'il soit considéré comme un des pères
fondateurs du style nouveau. Il rappelle que sa renommée est
fondée en partie sur les trois tableaux de la Bataille de San
Romano, postérieurs à 1450 et réalisés lorsque l'artiste était âgé
de plus de cinquante ans. En quoi est-ce un argument ? La
Bataille s'est déroulée en 1432, de plus récents travaux datent
les tableaux d'avant 1450. L'essentiel de la polémique se situe
ailleurs. Zéri reprend l'opinion de Vasari et l'accentue :
La douce perspective de Paolo Uccello sert de prétexte à
une recherche qui est une fin en soi, détachée, étrangère
au corps, parfaitement homogène. Sa limpidité spatiale,
sa définition plastique et sa vérité psychologique
éclairent, chez Masaccio ou chez Donatello, l'homme sur
son être, l'aidant à saisir son essence et à se libérer des
mythes métaphysiques et des conventions sociales.
Federico Zeri, Renaissance et Pseudo-Renaissance, Rivages poche,
2001.
Conçue comme un exercice mathématique exclusif et
fermé, la recherche en matière de perspective produit des
images d'une irréalité abstraite et même inhumaine.
Federico Zeri ne dissimule pas sa désapprobation
concernant l'orientation d'Uccello ; il ne comprend pas. 11
semble même agacé et reproche à l'artiste la rigidité de ses
personnages, ce qu'il appelle leur formalisme irréel. Il prétend
aussi qu'Uccello ne parvient pas à représenter les visages et que
cela est le produit d'une connaissance non approfondie " de la
structure du crâne et des muscles faciaux " ! Voici le critère de
réussite. Les visages peints par Piero della Francesca, que Zeri
compte parmi les tenants de " l'authentique Renaissance ",
témoignent-ils d'une telle connaissance approfondie ?
Est-il fondé de parler de Renaissance authentique et de
pseudo-Renaissance ? Il apparaît que cette recherche de
prétendue authenticité conduit Federico Zeri à des jugements
sectaires et exclusifs, dommageables dans leurs conséquences
sur l'appréciation de l'art jusqu'à aujourd'hui, l'édition
italienne de cet ouvrage datant de 1983. Tout l'intérêt singulier
de l'art de Paolo Uccello lui échappe : " il n'y voit rien " !I Il
estime qu'Uccello rate ses oeuvres, ne tirant même pas profit
des connaissances qu'il possède en perspective.
Tous les reproches faits à Uccello par Zeri
m'apparaissent comme autant de qualités plastiques et
artistiques attachées aux oeuvres de toute époque. On devine
qu'il considère Uccello comme un maladroit. Or, c'est souvent
Je transforme le titre de Daniel Arasse On n'y voit rien —
Descriptions, Denoël 2000 — alerte essai où le ton vif et libre n'interdit
pas à l'auteur de se demander : " Que fait-on quand on regarde une
peinture ? ". Essai dans lequel D. Arasse regarde Tintoret, Titien,
etc...
20