TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MONTREUIL N° 0907461

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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MONTREUIL N° 0907461
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE MONTREUIL
N° 0907461
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SOCIETE EURODIF
SOCIETE OMNIUM PARTICIPATION
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M. Hamzawi
Rapporteur
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M. Toutain
Rapporteur public
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Audience du 24 février 2011
Lecture du 10 mars 2011
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19-02-045-01-01
19-04-02-01-04-04
C+
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif de Montreuil
(1ère Chambre)
Vu, en date du 15 septembre 2009, l’ordonnance par laquelle le président du Tribunal
administratif de Cergy-Pontoise a transféré la requête n° 0907461 au Tribunal administratif de
Montreuil ;
Vu la requête, enregistrée le 29 juin 2009, présentée pour la société EURODIF, société
par actions simplifiée, et la SOCIETE OMNIUM PARTICIPATION, société anonyme, dont les
sièges respectifs sont 4 Rue Rougemont à Paris (75009) et 20 rue Saint Fiacre à Paris (75002),
représentées respectivement par Mme R. née B., président et M. L., président-directeur général,
par Me Duchatel ; les sociétés EURODIF et OMNIUM PARTICIPATION demandent au
tribunal :
1°) la majoration du déficit de la société OMNIUM PARTICIPATION au titre de
l’exercice clos en 2005 ;
2°) qu’il soit mis à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros au titre de l’article
L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutiennent que l’administration a méconnu les dispositions du 5° de l’article 39-1
du code général des impôts dès lors qu’elle n’admet en déduction du résultat une provision que
dans l’hypothèse où la charge est devenue définitive ; que la provision en litige doit être admise
en déduction du résultat imposable dès lors qu’elle remplit les conditions prévues par les
dispositions susmentionnées ; que la société EURODIF est fondée à constater une provision
déductible en retenant un taux statistique d’utilisation effective des chèques cadeaux, attachés
aux produits vendus au cours de l’exercice, mais non encore présentés comme moyen de
paiement à la clôture du même exercice ; que les provisions relatives aux charges rattachées à
des programmes de fidélisation sont admises en déduction du résultat dès lors que ceux-ci font
naître une obligation définitive à l’égard de ses clients bénéficiaires ;
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Vu la décision par laquelle le délégué chargé de la direction des vérifications nationales
et internationales a statué sur la réclamation préalable ;
Vu le mémoire, enregistré le 15 décembre 2009, présenté par le délégué chargé de la
direction des vérifications nationales et internationales qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que la probabilité doit être rattachée à une charge de l’exercice en cause par
des évènements en cours ; que la provision afférente à l’avantage n’est fiscalement déductible
que s’il existe une obligation définitive de la part de l’entreprise à l’égard de la société, ce qui
n’est le cas que pour les droits acquis pour les clients qui ont réalisé plus de 300 euros d’achats,
seuil requis pour l’émission des chèques cadeaux, et que ces droits n’ont pas encore été
sollicités ; que s’agissant des droits acquis pour les clients n’ayant pas atteint le seuil de
300 euros aucune obligation d’émission de chèques cadeaux ne pèse sur l’entreprise ; qu’il
appartient à la société requérante de produire le détail du calcul de la provision afin de
déterminer la fraction de ladite provision déductible pour les clients ayant atteint un seuil d’achat
de 300 euros ; que la prise de position formelle dont se prévaut la société EURODIF ne la
concerne pas mais un contribuable distinct ; qu’au demeurant la lettre du 5 novembre 2008 dont
se prévaut la société requérante n’indiquait pas que toutes les sociétés membres du groupe
Omnium de Participation et ayant instauré un système de fidélisation de leur clientèle seraient
admises à constituer une provision afférentes aux chèques cadeaux en franchise d’impôt ; que ce
courrier mentionne expressément que l’abandon du rehaussement de la société Devred ne saurait
constituer une prise de position formelle de l’administration ; que la société requérante ne
démontre pas que le système de fidélisation de sa clientèle est rigoureusement identique à celui
mis en place par la société Devred ;
Vu le mémoire, enregistré le 29 janvier 2010, présenté pour les sociétés requérantes, qui
concluent aux mêmes fins que la requête ;
Elles ajoutent que l’administration ne peut opposer une fin de non-recevoir tirée de
l’incompétence du tribunal administratif de Cergy-Pontoise dès lors que l’acceptation partielle de
sa réclamation du 26 mai 2009 mentionnait que cette décision pouvait être contestée devant ce
tribunal ;
Vu le mémoire, enregistré le 14 juin 2010, présenté pour les sociétés requérantes, qui
concluent aux mêmes fins que précédemment ;
Elles ajoutent qu’en vertu de l’avis non contentieux du Conseil d’Etat du
27 octobre 2009, n°383.197 la société EURODIF est en droit de constituer une provision en
franchise d’impôt dès la première vente réalisée dans le cadre d’un programme de fidélisation
sans que la constitution de la provision soit subordonnée à l’accumulation de points résultant de
plusieurs ventes ;
Vu la lettre en date du 27 janvier 2011 informant les parties en application de l’article
R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision à intervenir est susceptible d’être
fondée sur un moyen soulevé d’office ;
Vu le mémoire enregistré le 3 février 2011, présenté par la société OMNIUM
PARTICIPATION, en réponse au moyen d’ordre public qui lui a été communiqué le
27 janvier 2011 ;
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Vu le mémoire, enregistré le 15 février 2011, présenté par le délégué chargé de la
direction des vérifications nationales et internationales qui prend acte de la lettre du 27 janvier
2011 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 24 février 2011 :
- le rapport de M. Hamzawi, rapporteur ;
- les conclusions de M. Toutain, rapporteur public ;
- et les observations orales de M. R. pour le compte de la direction des vérifications
nationales et internationales,
Considérant que la société EURODIF, qui exerce une activité de vente au détail
d’articles de textiles, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle
l’administration a réintégré dans ses résultats imposables de l’exercice clos en 2005 les
provisions pour risques qu’elle avait constituées afin de faire face aux charges induites par un
programme de fidélisation qu’elle avait engagé auprès de ses clients ; que par la présente
requête, la société OMNIUM PARTICIPATION, société mère du groupe fiscalement intégré
constitué sur le fondement des dispositions de l'article 223 A du code général des impôts et à ce
titre seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe dont fait
partie sa filiale EURODIF, remet en cause ces rehaussements et demande en conséquence la
majoration de son déficit de l’exercice clos en 2005 ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par l’administration :
Considérant qu’aux termes de l’article L 190 du livre des procédures fiscales : « Les
réclamations relatives aux impôts, (…), relèvent de la juridiction contentieuse (…)/Relèvent de
la même juridiction les réclamations qui tendent à obtenir la réparation d'erreurs commises par
l'administration dans la détermination d'un résultat déficitaire (…)Les réclamations peuvent être
présentées à compter de la réception de la réponse aux observations du contribuable mentionnée
à l'article L. 57, ou à compter d'un délai de 30 jours après la notification prévue à l'article
L. 76 (...) » ; et qu’aux termes de l’article R.312-1 du code de justice administrative : « Lorsqu’il
n’en est pas disposé autrement par les dispositions de la section 2 du présent chapitre ou par un
texte spécial, le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel
a légalement son siège l'autorité qui, soit en vertu de son pouvoir propre, soit par délégation, a
pris la décision attaquée (…) » ; qu’il résulte de ces dispositions que le tribunal territorialement
compétent pour connaître d'un litige relatif à la détermination d’un résultat déficitaire est celui
dans le ressort duquel a légalement son siège l'autorité qui a notifié les redressements ou émis la
réponse aux observations du contribuable, soit en l’espèce, le délégué chargé de la direction des
vérifications nationales et internationales dont le siège légal est dans le ressort du tribunal
administratif de céans ; que par suite la fin de non recevoir opposée par l’administration tirée de
l’incompétence territoriale du tribunal pour statuer sur le présent litige doit être écartée ;
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Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne la loi fiscale,
Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en
matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : « 1. Le bénéfice net est
établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (…) notamment : 5° (…) Les
provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des
évènements rendent probables, à condition qu’elles aient été effectivement constatées dans les
écritures de l’exercice... (…) » ; qu'il résulte de ces dispositions qu'une entreprise ne peut
valablement porter en déduction et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes
correspondant à des pertes ou charges qui ne sont supportées qu'ultérieurement par elle, qu'à la
condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles
d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent, en outre, comme
probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'enfin,
elles se rattachent par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par
l'entreprise ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que la société EURODIF a mis en place un
programme de fidélisation de sa clientèle, consistant en l’octroi à un client d’un droit d’obtenir
un chèque-cadeau d’un montant de 15 euros utilisable dans l’année qui suit son émission dans
tous les magasins de l’enseigne « Eurodif », à partir d’un cumul d’achat de 300 euros enregistrés
sur une carte « Privilège » ; qu’elle a comptabilisé, au titre de l’exercice 2005, des provisions
pour faire face aux risques que les clients détenteurs de cette carte fassent valoir leurs droits à
bénéficier de ces chèques ; qu’à la suite d’un dégrèvement accordé par l’administration avant
l’introduction de la présente requête, portant sur la provision correspondant aux clients
détenteurs de la carte « Privilège » qui avaient atteint le seuil de 300 euros d’achats et
disposaient d’un chèque-cadeau en cours de validité à la clôture de cet exercice, seule demeure
en litige la provision, d’un montant de 1 635 906 euros, constituée par la société requérante à
raison du risque d’utilisation des chèques-cadeaux susceptibles d’être émis puis utilisés par ceux
de ses clients ayant déjà, à la date de clôture de l’exercice 2005, soit atteint les 300 euros
d’achats sans avoir encore réclamé leur chèque-cadeau, soit effectué des achats pour un montant
inférieur à 300 euros, étant précisé que, dans cette dernière hypothèse, la provision était
déterminée à partir d’une évaluation statistique traduisant la probabilité que les clients atteignent
le seuil de 300 euros, demandent et utilisent le chèque cadeau au cours de l’exercice suivant ;
que, contrairement à ce que soutient l’administration, l’obligation de la société EURODIF à
l’égard du client résulte de l’entrée de ce dernier dans le programme de fidélisation, matérialisée
par la première vente ouvrant droit à un chèque-cadeau et non à compter de celle par laquelle le
client a atteint le montant cumulé d’achat de 300 euros d’achats qui lui permet de bénéficier de
ce chèque ; que, de ce fait, la charge impliquée par l'utilisation de ce chèque se rattache par un
lien suffisamment direct à cette première vente pour justifier qu'elle fasse l'objet d'une provision
déductible à la clôture de l'exercice au cours duquel cette vente a été enregistrée, quand bien
même l’achat permettant d’atteindre le seuil requis de 300 euros ne serait effectué que lors d’un
exercice ultérieur ; qu'il suit de là que la société est fondée à soutenir que c'est à tort que
l’administration a refusé d’admettre en déduction de son résultat la provision en litige ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société OMNIUM PARTICIPATION
est fondée à demander la majoration de son déficit au titre de l’exercice clos en 2005 à raison de
la provision en litige ;
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Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative :
Considérant qu’il y a lieu dans les circonstances de l’espèce de mettre à la charge de
l’Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de
justice administrative ;
DECIDE:
Article 1er : Le déficit de la société OMNIUM PARTICIPATION est majoré d’un
montant de 1 635 906 euros.
Article 2 : L’Etat versera à la société OMNIUM PARTICIPATION la somme de
1 500 euros.
Article 3: Le présent jugement sera notifié à la SOCIETE OMNIUM PARTICIPATION
et au délégué chargé de la direction des vérifications nationales et internationales.
Copie en sera adressée au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction
publique, et de la réforme de l’Etat.
Délibéré après l’audience du 24 février 2011, à laquelle siégeaient :
M. Barbillon, président,
M. Ouillon, premier conseiller,
M. Hamzawi, conseiller,
Lu en audience publique le 10 mars 2011.
Le président,
Le rapporteur,
Signé
Signé
A. Hamzawi
J-Y. Barbillon
Le greffier,
Signé
H. Herber
La République mande et ordonne au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction
publique et de la réforme de l’Etat en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis
en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à
l'exécution de la présente décision.