Conférence MJNguetse_SILA2012 - Femmes écrivains et littérature

Transcription

Conférence MJNguetse_SILA2012 - Femmes écrivains et littérature
2012
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COMMUNICATION DE MARIE JULIE NGUETSE
« Approche stylistique de l’image de la femme dans le roman
féminin francophone camerounais des années 2000 »
Marie Julie Nguetse
Université de Yaoundé I. Courriel : [email protected]
Résume :
Le texte littéraire a montré sa capacité à changer le monde. Résultante des œuvres des
écrivains en tant qu’individus naturellement sociables, il ne peut mieux se comprendre que
par rapport à l’environnement de l’auteur. La stylistique, grâce à sa technique de décodage
des textes, passe pour l’une des sciences habilitées à rendre compte de cette fonction. La
présente réflexion a pour ambition de démontrer que le texte littéraire, grâce à la charge des
mots est une arme efficace de libération et que les auteures féminines francophones
camerounaises en usent à bon escient pour fustiger la société et en appeler à une redistribution
des rôles. En s’appuyant sur l’immanence textuelle mais aussi sur la sociologie du texte, elle
montre comment à travers l’écriture de Beyala, Miano et Bonono, on peut lire une certaine
lutte pour la valorisation de la femme. Pour cela, nous avons procédé à l’analyse du langage
de ces écrivaines. Nous avons étudié les champs lexicaux et les figures de rhétorique pour
arriver après interprétation à la conclusion que l’écriture des auteures, au-delà de la portée
esthétique, prône une visée éthique qui est la dénonciation des maux dont est victime la
femme.
Mots- clés : Femme - littérature– Révolte - Libération.
Cette communication a été incluse dans le site "Lire les femmes et les littératures
africaines" [http://aflit.arts.uwa.edu.au/] en novembre 2012 avec la permission de
l'auteure.
1
Abstract:
The literary text has proven its ability to change the world. As the result of the works
of writers being naturally sociable individuals, it can only be well understood within the
author’s environment. Owing to its text decoding technique, stylistics seems to be one of the
sciences liable to testify this function. The following article aims at proving that, owing to the
content of words, the literary text is an effective liberation weapon which Cameroonian
female French speaking writers rightly use to scrutinise society and call for a new role
distribution. Applying on the inner text as well as on its sociology, this piece of writing will
show how Beyala, Miano and Bonono express a certain struggle for women’s empowerment.
To achieve it, we have analysed the language of these writers. We have studied their lexical
champs and their rhetorical figures to reach after interpretation at the conclusion that their
writing, beyond its esthetical value, expresses an ethical view which is to focus on the evils
suffered by women.
Key words: Woman – literature – revolt – liberation.
Introduction
Nous sommes au 21ème siècle, à un moment où le débat sur l’image de la femme est de
plus en plus d’actualité. Nous comprenons que la littérature camerounaise, tout comme celle
d’ailleurs en soit imprégnée, notamment celle des deux dernières décennies, et pour aller
dans le fond de notre sujet, le roman féminin francophone. En effet les femmes, de plus en
plus présentes dans la sphère littéraire, ont compris la nécessité de défendre elles-mêmes leur
cause1. Elles écrivent, influencées par cette société à qui elles s’adressent et qui, inversement,
donne matière première à leurs textes. Les différentes auteures de notre corpus, parce que
appartenant à une même génération, semblent se réclamer d’un même architexte, l’achitexte
étant « considéré pour une période déterminée comme la somme des productions
romanesques » G. M. Eba’a (2002 : 82). Dans le cadre de ce travail, il s’agit de la période
marquée par le grand débat sur l’image et le devenir de la femme, particulièrement la
Camerounaise. La femme chosifiée est dès lors exaltée et mise en exergue par des écrivains,
mais aussi par les écrivaines. En effet, nous pensons que, l’écrivaine, parce que plus
concernée, peut mieux percevoir et exposer les problèmes relatifs à la femme. C’est dans
ce sillage de valorisation de la femme au travers de la langue que se conçoit le sujet de cet
article. Pour revenir à la femme, particulièrement à la Camerounaise, on se rend compte que,
jusqu'à une période encore récente, elle ne représentait pas grand-chose sur l'échiquier social
et, ravalée au second rang par l'homme, elle est celle qu'on ne consulte pas. Témoin ce texte
de la quatrième de couverture de Vie de femme (1983) :
« Une femme qui subit et fait subir se confesse […] elle raconte à sa manière les
décombres, les détritus et les gémissements d’une société traditionnelle en pleins
1
. Cf. annexe, de 1989 à nos jours nous comptons près de 103 romanciers parmi lesquels 35 femmes à peu près, soit un pourcentage
d’environ 67 % pour les hommes et 33 % pour les femmes.
2
bouleversements, où les effacements, les démissions et les prostitutions deviennent la
règle ».
Par la suite, on a commencé par accepter et encourager ce que nous pouvons appeler
l'émancipation de la femme, et la conférence de Beijing2 vient comme une sorte d’apothéose.
On pouvait dès lors considérer le problème de la femme comme résolu. Mais aujourd’hui, il
suffit de jeter un coup d’œil averti sur la société pour comprendre que ce problème reste
entier. Ce n'est pas l'actualité quotidienne qui nous démentirait, encore moins les œuvres
d'engagement littéraire telles que celles que nous avons sélectionnées comme corpus pour cet
article. Il s'agit de : Bouillons de vie de Solange Bonono, Contours du jour qui vient de
Léonora Miano, L’homme qui m’offrait le ciel et Femme nue, femme noire de Calixthe
Beyala. Nous ne sommes pas restée indifférente aux cris d'alarme de ces écrivaines ni sur leur
manière d’écrire, car nous trouvons la finalité de leur entreprise digne d’intérêt car en ce qui
concerne la femme Africaine, écrire, c'est vaincre une charge de responsabilités énormes qui
l'incarcèrent dans une société hautement conservatrice. Aussi, nous avons senti la nécessité
d'apporter notre modeste contribution à la construction du grand édifice que restent la
condition et le devenir de la femme. Notre préoccupation trouve son fondement dans le souci
d'attirer l'attention du public sur l’art romanesque de cette autre catégorie de femmes qui ont
pris pour résolution d’utiliser le pouvoir de la littérature pour réveiller les consciences et en
appeler à libération de la gent féminine.
Nombreux sont les penseurs, écrivains, politiciens qui se sont penchés sur le problème
de la femme africaine. Nous pouvons citer : Ikanga Ngossi Za Belega dont les travaux portent
sur l’image de la femme en Afrique noire à travers trois œuvres : Les Soleils des
indépendances d’Ahmadou Kourouma, Une si longue lettre de Mariama Bâ, L’Aventure
ambiguë de Cheikh Hamidou Kane. Dans ce mémoire, le chercheur nous confie qu’en
« En Afrique traditionnelle, la femme est un objet, elle l’est d’abord sous le toit
paternel avant de le devenir sous le toit conjugal. L’un et l’autre agissent au nom de
la coutume, et de fois de la religion selon le cas ». http:/www. stoa.org (p.1. date de
consultation : 05- 8 - 2010 à 20h).
Nous citons également les travaux de Jacques Chevrier qui, dans l’article : « Calixthe
Beyala : quand la littérature africaine féminine devient féministe. », dévoile au travers de
l’écriture de l’écrivaine, le militantisme de cette dernière, la lutte pour la démystification du
patriarcat et sa volonté de valorisation de la femme. Nous pensons à Augustine H. Assah, qui
dans son article : « Entre Senghor et Beyala : une affaire de controverse, de divergence et de
résonnance », dévoile elle aussi l’écriture révolutionnaire de l’auteure. Pour elle, Calixthe,
auteure révoltée, à travers sa plume, s’insurge contre le destin et contre le pouvoir
phallocratique. Dans Femme nue, femme noire, il est évident qu’elle va à l’encontre de
Senghor. En effet, son style agressif et pornographique n’est qu’une démystification de la
2
Articles 1-2-3 p.2) « Nous, gouvernements participant à la quatrième conférence mondiale sur les femmes, réunis à Beijing en septembre
1995[…]résolus à faire progresser les objectifs d’égalités , de développement et de paix pour toutes les femmes dans le monde entier ».
3
femme idéale que sublime le poète sénégalais. Ces études, essentiellement thématiques, ont
pour finalité la recherche de la revalorisation de la femme dans un contexte hautement
conservateur. Mais ici, nous voulons saisir le problème dans un cadre restreint et surtout plus
récent et le traiter à partir d'une certaine écriture qui aboutirait à une certaine vision du
monde. Nous chercherons surtout à cerner ce problème à partir d'un angle particulier qui est
le regard de la femme. Quel est donc le regard des écrivaines camerounaises sur la situation
de la femme ? Et comment, domptant la subjectivité et les difficultés d'une langue d'emprunt
réussissent-elles à mener à bien leur mission de dénonciation et de libération ?
A la lecture de notre corpus, nous avons été saisie par le ton révoltant des
personnages, leur caractère féministe beaucoup porté sur un amour à tendance violente et
révolutionnaire. Et au-delà de tout cela, la quête permanente d’un devenir meilleur. Dès lors,
il s’est posé la question de savoir si le roman, par le biais des mots, peut constituer une arme
de libération ? Répondre à une pareille question revient à saisir les romancières au moment où
elles écrivent, d’analyser leur écriture, d’y relever des écarts significatifs. Nous partons de
l’hypothèse selon laquelle il existerait chez les romancières camerounaises le recours à
certains procédés langagiers en vue de parvenir à la dénonciation des maux sociaux qui mine
la gent féminine. Nous pensons en effet que le choix des procédés langagiers spécifiques à la
satire sociale, et à la révolte s’inscrit dans l’élaboration d’une littérature de libération de la
femme. Notre recherche s’inscrit dans le cadre de la stylistique structurale. G. Molinié (1986 :
199) la définit comme « La recherche du caractère significatif dans une pratique
littéraire ». Pour y parvenir, l’on devrait procéder d’abord à l’indentification des faits, ensuite
à la description des systèmes langagiers et enfin à la traduction de ces faits observés. Nous
signalons que nous irons de temps en temps au- delà des textes en soi pour mieux les cerner.
Ainsi sommes-nous restée ouverte à la tendance sociologique, et à l’ethnostylistique que
préconise G. Mendo Ze et autres.L’ethnostylistique est, comme le dit G. Mendo Ze que
reprend (G.M.Eba’a, 2004 : 104),
« Une méthode d’analyse textuelle visant à établir un lien formel entre l’œuvre
littéraire et son contexte de production. Si l’œuvre littéraire est le produit d’un
homme […] elle ne véhicule pas moins une vision du monde, et le texte africain, en
particulier dominé par la recherche de l’identité culturelle et la puissance donnée à
l’art de la parole ne saurait être saisie en dehors de son contexte de production et de
réception».
D’un autre côté la partie interprétative nous a amenée à la signification même des
textes, une signification qui, à la lumière de la théorie sociocritique de Lucien Goldman nous
conduit à la traduction de la vision du monde des auteures. En effet, comme le dit le
théoricien, il existe un lien entre le réel et le social, une relation qui passe nécessairement par
des médiateurs parmi lesquels l’auteur.3 Nous nous proposons de bâtir notre travail sur trois
points. Il s’agira dans la première articulation, d’examiner le lexique des œuvres, ceci dans le
3
Goldman Lucien, Pour une sociologie du Roman, Paris, Gallimard, 1964.
4
but de mettre en relief la satire sociale. Pour ce faire, nous analyserons les registres de la
religion, de l’amour, et de la révolte. Dans le deuxième point, nos travaux vont s’étendre sur
l’étude de l’expressivité des écrivaines à travers les marques de l’oralité et la dénomination.
La troisième articulation, consacré à la significativité des textes, tout en traitant des rapports
auteures/environnement, nous permettra de mettre en évidence la vision du monde de ces
dernières.
1. Le Lexique au service de la satire sociale
L’écriture satirique est fortement présente dans notre corpus. La gent féminine est au
centre de la préoccupation des auteures qui luttent pour sa libération. Pour atteindre la finalité
choisie, elles passent par divers moyens parmi lesquels la satire sociale, avant d’aboutir à la
révolte proprement dite de la femme. Contours du jour qui vient et Femme nue, femme noire
s’ouvrent sur une indexation qui va se poursuivre tout au long de ces ouvrages. En effet
Musango, et Irène Fofo, les héroïnes narratrices portent chacune un doigt accusateur sur sa
mère et à travers elle sur la société, véritable responsable des maux dont elles souffrent. Et
voilà les auteures parties pour une longue satire sociale dans laquelle elles passent au peigne
fin certains faits de la société camerounaise. Pour ce faire, elles usent de lexies appropriées,
lexies que nous nous proposons d’étudier en les regroupant en des champs lexicaux. Nous
entendons par « champ lexical » un ensemble de mots appartenant à un même domaine. Parler
ici d’une étude des champs lexicaux, c’est mettre l’accent sur la nécessité d’une analyse du
lexique des œuvres, analyse dont la finalité est l’organisation des mots autour des registres
mystico religieux et affectif d’une part, révolutionnaire d’autre part. Dans ce chapitre, notre
souci est la mise en évidence de la corrélation entre ces divers champs et l’impact de leur
emploi.
1-1.
Le registre mystico-religieux
1 -1 -1. Le champ lexical de la sorcellerie.
Elles sont nombreuses dans le corpus, les lexies relevant du champ lexical de la
sorcellerie. Notons que nous sommes en Afrique, que nos auteures sont des Camerounaises.
En tant que individus socialement liés à ce contexte mystico -religieux parfois ravagé par les
guerres, il est normal que leur vocabulaire puise dans ce milieu. Aussi nous avons pu lire les
mots suivants :
« Démon », « vampire », « sorcière », « sang », « poudre blanche », « pouvoir », « magienoire »,« marabout « oracles »,« posséder »,« désenvoûter », « fantômes », « mal »,
« voyante », « ombre », « malédiction », « ténèbres », « totem », « sacrifice », «spectre », «
potion », « écorces » » « filtre d’amour », pour ne citer que ceux-là. Voici quelques
passages illustratifs :
« Elle avait fait brûler des écorces, avant de jeter au sol une poignée de cailloux qui, disaitelle, étaient ses oracles ». (C. J. V. p.21).
5
« Tu dois te débarrasser de cette petite, sinon elle te tuera. C’est un vampire […] Tu
crois qu’elle est ton enfant mais c’est un démon. […]Tu dois la chasser. Je viendrais ensuite
purifier ta maison […] Lorsque les épreuves avaient confirmé son essence démoniaque,
l’enfant subissait des sévices supposés déloger le mal. Cela durait plusieurs jours. Certains
enfants prenaient la fuite. Beaucoup mourraient » (C.J.V. p. 18-20-33).
Dans ces exemples, notre attention est attirée par les dénominations « enfant et
démon » et « petite et vampire » qui désignent la même personne (Musango). En procédant
à la définition de ces mots selon le Dictionnaire Larousse nous notons un grand antagonisme.
Démon : n.m. ange déchu ; diable / personne méchante (1988-301).
Enfant : n.c. garçon ou fille de moins de treize ou quatorze ans. /
caractère. (1988-370).
Personne de bon
Petite : adj. qual. Quelque chose de peu d’étendue, de peu de hauteur, de peu de volume /
qui est de peu d’importance par le nombre, la quantité et l’intensité. (1988-767).
Vampire :n.m. personnage imaginaire qui sortirait de sa tombe pour boire le sang des
êtres vivants.
Du point de vue connotatif, l’enfant est synonyme d’innocence et démon et vampire
synonyme de mal, de méchanceté. On ne peut être en même temps innocent et méchant. C’est
un paradoxe que Miano utilise pour critiquer la société. D’un autre côté nous remarquons que
les victimes de cette injustice sont une femme et son enfant. Nous connaissons la puissance de
l’amour qui généralement lie une mère et son enfant. Ici ce lien est rompu tel que l’exprime le
passage suivant :
« Celle-ci a été chassée par sa famille pour sorcellerie […] Une sorcière ! Exactement ce
qu’il nous faut. Nous allons faire descendre l’esprit sur elle. […] Toi, la petite sorcière aux
yeux jaunes, le miel peut guérir ton mal, sauf si tu es vraiment possédée » (C.J.V p. 45-207).
L’expression « yeux jaunes » nous fait penser en effet à la drépanocytose, puisque les
symptômes décrits sont ceux de cette maladie. Musango a une maladie héréditaire et nécessite
les soins. Mais cette maladie est attribuée à une cause mystique et l’enfant est condamnée et
chassée par sa mère, celle-là même qui lui a transmis ce gène. Bonono décrits les mêmes
croyances mystiques :
- « Toute une alvéole d’œufs pour envoûter une femme ? Un marabout lui avait demandé
d’aller au cimetière à minuit pour casser les œufs un à un en prononçant le nom de l’être
aimé » p. (B.V.75).
-« Nous vivons dans un univers magico-religieux où tout a une explication mystique.»
(B.V.p.45).
6
Dans Femme nue femme noire, Irène Fofo est violée à longueur de journée par des
hommes qui pensent se purifier au travers de cet acte.
« D’après toi, pourquoi tous ces hommes, hein ? Ne me dit pas que tu es naïve au point
d’ignorer que baiser une folle est un puissant remède contre les maux de la terre ? Tu as le
pouvoir de guérir les hommes avec ton sexe, l’ignorais-tu ? Quelle chance ! Ils sont prêts à
tout offrir … » (F.N. F.N. p.73)
Les auteures utilisent ces paradoxes pour montrer jusqu’à quel niveau les croyances
mystiques peuvent aliéner la société et créer des injustices. Il s’agit d’une satire qui aurait
pour but de dénoncer les maux sociaux tels que l’injustice, la prostitution.
1 -1 -2- Le champ lexical de la religion chrétienne
Dans le processus de la satire sociale que mènent les auteures, la religion n’est pas
mise en reste. C’est elle qui aliène les foules déjà fragilisées par les guerres et la misère. Les
masses n’espèrent plus qu’aux miracles du Très Haut qui est là, se manifestant par la bouche
des pasteurs de nombreuses églises d’éveil qui ne sont en majeure partie que des escrocs. Ils
sont là, promettant un paradis auquel ils ne croient pas, puisque, par la traite des femmes, « ils
s’attachent à être heureux sur terre ». Mais comment le dire aux fidèles extasiés ? Bonono et
Miano ont trouvé dans les mots à consonance religieuse, un moyen. Voici quelques exemples
suivis des passages illustratifs :
« Dieu », « ciel », « lumière », « pasteurs », « églises d’éveil », « temple », «
fidèle »,
« paradis », « âmes »,
esprit »,
«
miracles »,
« parole-libératrice »,
« prophétiser »,« culte », « congrégation »,« soutane »,« miracles », « lumineux », «
divin », « Porte ouverte du paradis », « Don de dieu », « Vie éternelle ».
Dans Contours du jour qui vient, nous lisons : « Le commissaire a été limogé à cause de
cette affaire. Ceux qu’il accusait de trafic humain sont les pasteurs d’une église d’éveil […]
je peux vous conduire sur les lieux où sont détenues les futures prostituées » (C. J. V. p.156).
Dans le souci de mieux faire passer le message, les auteures donnent des noms à
coloration ironique à ces églises et à leurs pasteurs. « La Porte Ouverte du Paradis »,
« l’Eglise de la Parole Libératrice » ; « Colonne du Temple », « Lumière », « Vie
Eternelle », « Don de Dieu »
« Temple » : n m. maison où habite Dieu et dans laquelle on peut le prier.
« Eternelle » : adj qual : se rapporte à quelque chose dont la durée est indéterminée.
Renvoie beaucoup plus au divin.
« Dieu » : n. p. être suprême qui a créé le ciel et la terre, et qui décide de toute chose.
Lorsque nous analysons ces noms, nous remarquons que les mots qui les composent
sont rattachés au sacré. Ils sont montés ainsi dans le but d’accrocher le fidèle qui pense que,
plus le nom du pasteur a la connotation divine, plus il est puissant et peut provoquer le
7
miracle attendu. L’analyse des lexies nous fait remarquer que leurs combinaisons produisent
un effet contraire à la pratique d’une foi saine. Ainsi les auteures peuvent aisément critiquer
la religion et dévoiler son côté néfaste. Surtout celui d’être l’une des causes cachées de la
prostitution et de l’émigration clandestine. Dans cette expression : « Combine spirituelle »
(p.117), Le mot « combine » efface tout le caractère sacré et bienveillant du mot « spirituel ».
Ici le fidèle n’est plus élevé vers le divin, mais rabaissé à la faiblesse humaine.
Voici les passages qui mettent en relief la vie cachée de ces hommes de Dieu qui, non
seulement sont de proxénètes professionnels mais sont en plus ceux-là qui « mettent les filles
enceintes » avant de les envoyer en Europe. Dans leur jargon ils appellent cela le nettoyage :
« Lumière veille à ce que tout soit parfait. […] S’il s’est laissé convaincre par Vie Eternelle
de la nécessité du nettoyage, ce n’est que parce que Don de Dieu lui a soufflé l’idée que des
hommes au goût particulier seraient attirés par une jeune fille enceinte. […] Lumière et
Don de Dieu ne croient en rien d’autre qu’au capitalisme […] ils ont créé la congrégation il
y’a trois ans et se sont lancés ensuite dans la traite des femmes […] Du matin au soir, des
nuées de femmes s’affairent dans la cuisine ... Ce sont aussi elles qui nettoient les soutanes.
[…] qu’elles soient ou non mariées, elles emportent chez elles les soutanes sales et les
ramènent parfaitement blanches » (C. J. V. p.93).
L’emploi répété de « soutanes » et l’insistance sur les soins que les femmes y
apportent a ici une fonction : celle de mettre en relief la colonisation spirituelle et
psychologique des femmes qui, même mariées, laveraient les habits des personnes autres que
leurs époux.
- « Une femme a ôté son foulard […] je t’avais dit qu’ils étaient nuls, ici. Allons à la Porte
Ouverte du Paradis ! Là-bas au moins, ils font des miracles […]. Tu sais, ce sont les fruits
du paradis. […] allons au Boogie Down ! Il y a des tas et des tas de Blancs. Plus besoin de
les chercher sur Internet ! » (C. J. V. p.117).
Comme la narratrice, nous disons :
« Les masques tombent. Ces femmes veulent un Dieu qui fasse des performances
spectaculaires ou qui leur donne un mari blanc. » (C. J. V. p.117).
Nous remarquons que la dénomination « femme » est très présente ici. L’image qui
se dégage est celle des victimes. Elles sont en effet la branche la plus touchée par ces églises.
Êtres fragilisés par la société, elles sont en quête d’un devenir meilleur. Qu’importe la voie
choisie, seule la finalité compte. Mais que leur réservent ces églises ? Plus de déceptions que
de bonheur, semble nous dire Miano. Témoin ce passage :
« La Demoiselle assiste fréquemment aux offices nocturnes de La Porte Ouverte du
Paradis. Elle en revient bredouille et épuisée » (C.J.V.p.183).
Il y a une sorte de contradiction entre la régularité des fidèles dans les temples et leur
vide spirituel. Les croyants sont déçus, notamment des femmes qui veulent des miracles
8
immédiats. (Argent, maris blancs) Par ce procédé ironique, Miano fait la satire de la société
camerounaise et en appelle à une reprécision des rôles sociaux.
1-2 Le vocabulaire de la prostitution
L’amour fait partie du langage des personnages de notre corpus. Il s’agit la plus part
de temps, d’un amour frustré. Les mots dont usent les écrivaines puissent dans les
profondeurs même de la prostitution. Nous avons pu dénombrer entre autres les mots et
expressions suivants :
« Baiser », « coïter », « jouir » , « sexe », « fantasme », « pédophile » « Prédateur
sexuel », « amour », « prendre une fille », « putes », « aimer », « vagin », « fesses »,
« charme »,« virilité »,
« mâle », « éjaculer », « sensualité »,« cul-gourmand »,
« abuser»,« avortement »,« sang », « enceinte », « érection », « masturbation », « croupe
mouillée », « gland », « amants », « plaisir », « verges » , « spasmes », « coucher avec
quelqu’un » ,« abuser de quelqu’un » , « fœtus » .« Pervers » , « fantasme », « sodomie »,
« transes organiques », « jouir », « gland », « plaisir », « fornication », « jouissance »,
« dépuceler », « luxure », « débauche », « violer », , « enculer », « pubis », « clitoris »,
« pute », « couple », « orgasme », « sperme », « chevaucher », « pornographique », « orgie »,
« fellateur », « dévergondé », « pilonner », Voici quelques passages illustratifs et les
commentaires faits autour.
« Ah oui, […] celle qui a fait un enfant à son beau -père ! […] c’est plutôt lui qui le lui a
fait et la mère de la gamine a pratiqué l’avortement à mains nues » (C. J. V. p.91).
A l’analyse, nous notons que les mots et expressions : « gamine », « faire un enfant
et avortement » ne vont pas ensemble. Le mot gamine renvoie en effet à un état d’innocence
et d’immaturité dans lequel on ne comprend pas encore la portée des notions « grossesse et
avortement ». La gamine est ici victime d’une double injustice : Par ce passage, l’auteure
dénonce les abus sexuels dont sont victimes les jeunes camerounaises.
« Vie Eternelle dit qu’il sait qu’elle verra bientôt son sang, qu’elle doit se tenir
prête. Ils vont travailler sur elle jusqu’à ce qu’elle soit enceinte » […] « Ils se masturbent
en vain. […] Ils n’épargnent pas la pécheresse. Ils la forent et se noient en elle, […] leur
sexe entre et sort de celui d’Endalé […] ils posent les mains à plat sur la moquette comme
pour faire des pompes après avoir introduit leur sexe dans le sien d’une main rageuse. »
(C.J.V. p.95).
Les mots « amour » et « rageuse » ne vont pas ensemble. L’amour appelle la
tendresse alors que la rage revoie à la violence et la haine. Nous comprenons que l’acte sexuel
dont il est question ici n’est pas consentant. Toutes ces lexies, « amant, sexes, gland,
érection, râle, spasmes », telles que combinées dans les phrases, font beaucoup plus penser
aux scènes de viol. Du point de vu des actants, un fait attire notre attention. Nous avons
plusieurs garçons « ils » et une seule fille « la ». La fille est connue et définie. « Endalé ».
C’est elle qui importe à l’auteure. En exposant cette scène, elle prend la défense de cette fille
9
en dénonçant l’injustice dont elle est victime. Cette situation est d’autant plus critique que ces
scènes de viol fomentées par des pasteurs sont appelées scènes de purification. Le même
scénario s’observe dans Bouillons de vie. Lisons ces passages :
« Si j’étais encore méchant comme avant, elle allait me sentir. J’allais bien baiser cette
Adala-là et elle allait se calmer […] et Niloki, grand cireur de pompes devant l’éternel
fantasme, jouit la bouche bavant » […] « Ah ! Voilà le pédophile de Collins ! Il ne prend
que les fillettes » (C. J. V. p. 55 - 68).
Dans Femme nue femme noire nous lisons ceci.
« Viens ici, dit-il à Fatou avec violence. Il entraîna dans la chambre, déchira ses
vêtements. Il la jeta sur le lit et une lame luisit dans sa main. Il épila ses aisselles, ses
jambes et son sexe. Il l’habilla en garçon et lui fit l’amour en la traitant de pute. […] Dès
lors, il l’arrosait de vin et l’aimait comme une tenancière. […] Il lui administrait des
claques sur les fesses avant de la posséder. Souvent, il se transformait en père scandalisé
par la désobéissance de son enfant, il la grondait puis la violait. » (F.N. F.N. p.85-86) […]
Le plaisir se précise dans son bangala qui se tend comme un bras autoritaire. Il me jette sur
le sol, m’écartèle, me pénètre avec fougue « Garce ! Garce ! Chienne ! Je vais te dresser
moi ! Et dans la violence qu’il assène, il pense mettre à bas ma suprématie sexuelle] (F.N.
F.N p. 23)
« Un vide sidéral s’est creusé dans mes entrailles. J’ai faim de plaisir. Je deviens
boulimique de désir comme si mon sexe s’était transformé en une grotte vorace. […] ce jour
sept peut être huit hommes m’ont fait l’amour avec une avidité abstraite. Deux d’ entre eux
m’ont pénétrée en même temps... L’un comme si j’avais été un garçon l’autre s’est contenté
de la banalité restante. […] cette dépravation me réjouit » (F.N. F.N. p 68-69)
A observer le champ lexical de l’amour ici, le vocabulaire assez péjoratif nous renvoie
à des rapports sexuels aux couleurs de la prostitution et de la délinquance. Aucune précaution
n’est prise. Aussi les personnages peuvent-ils utiliser les expressions que nous avons citées
plus haut et les combiner en des syntaxes singulières, sans considération pour des oreilles
sensibles. L’amour, si on peut le dire n’est point romancé comme le veulent les convenances
et la nature de la femme. Il est brut comme les personnages qui le jouent.
Aussi l’amour tendresse dont rêve la femme africaine ne sera finalement qu’un rêve
duquel on se réveille plus meurtri. Il n’y a qu’à rentrer dans L’Homme qui m’offrait le ciel
pour lire les lettres d’amour de François à Andela. L’expression « Mon amour » apparaît à
presque tous les débuts de lettres comme un leitmotiv. Aussi nous pouvons lire :- « Mon
amour » aux pages : 125 - 203 – 207 – 212 – 213.
« Je t’aime, murmura François […] nous fîmes l’amour dans une gamme de tristesse
[…] je t’aimais, je t’aime, je t’aimerai toujours, dit-il » (L ’H.O.C. p.210-211).
Mais ce bonheur sera si éphémère. Par cette manière d’écrire, où la répétition des mots
« amour » et « aimer » créent chez le lecteur une émotion forte, l’auteure démontre
l’intensité des sentiments de François pour Andela. Il s’agit d’un amour exceptionnel qui frise
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l’obsession. Il se dégage l’image de la femme tendresse, du blanc passionné dont rêvent les
filles noires prêtes à tout pour partir en Europe. La tension scripturaire ici est autant plus forte
qu’il s’agit d’un amour impossible : Andela est noire, François est blanc, marié, aime son
travail, et pour des raisons de préjugés raciaux et sociaux, ne peut divorcer au risque de perdre
son travail et l’estime de son peuple.
I-3 : Le champ lexical de la révolte
L’écriture de la révolte est fortement présente dans notre corpus. Voici quelques lexies qui
témoignent de ce fait :
« couillon », « couilles », « sang », « souffrance », « coups » « tortures », « mal »,
« machination », « huile bouillante » , « insultes », « volcan » ,« taillader »,« griffer », «
blessures », « mordre », « cri » , « défendre », « battre », « mort », « cadavre », «
cercueil ». « Agresseur », « blessure », « guerre », « combattant », « crise », « adversaire »,
« révolte », « injures », « libérer », « lutter », « défendre », « tuer », « frapper ».
Parce que victimes des contradictions de l’Afrique asphyxiante qui détruit la femme ne
lui laissant pour choix que la résignation, l’humiliation, l’asservissement, la mort ou l’exil, les
personnages féminins de notre corpus, telles des poules, de leur bec ensanglanté piquent. Les
auteures usent d’un vocabulaire acerbe pour rendre compte de cela. Et par la charge des mots,
elles expriment ce ras-le-bol de la femme. C’est l’image de la femme révoltée qui, ici, nous
est présentée. Andela, l’héroïne de L’homme qui m’offrait le ciel, en est un exemple
typique : voici quelques manifestations de son indignation devant l’égoïsme de l’homme :
« Espèce de couillon […] Aucun porte couilles n’a jamais réussi à me manger » (p.11- 67).
Le vocabulaire assez péjoratif témoigne du manque de considération pour la personne
décrite et de l’état d’esprit de révolte de la narratrice.
« Espèce de couillon » et « porte-couilles », ont une connotation péjorative.
« Il doit manger les cailloux de la souffrance » (p.20).
« Je vais le torturer, lui rendre coup pour coup tout le mal qu’il m’a fait » (p.20).
La femme qui hier était maltraitée, refuse à présent cet état de chose. Elle va plus loin
puisqu’elle prend le dessus et renverse la balance. Elle compte à son tour « torturer »
l’homme et lui rendre tout le mal qu’il lui a fait.
« Je raccrochai […] J’avais envie de l’attraper par le cou et de l’obliger à boire l’huile
bouillante de l’insulte ; j’avais envie de le faire marcher pieds-nus sur les larves d’un
volcan en éruption ; j’avais envie de taillader ses oreilles avec une lame et de saupoudrer
ses blessures de piment » (L’ H.O.C. p. 206-207).
Dans ces autres passages, notre attention est attirée par l’emploi des verbes d’action :
« Attraper », « Taillader », « Griffer », « Torturer ». Ces mots, prononcés par les
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personnages féminins des œuvres, démontrent leur esprit de révolte et leur passage à l’action.
Musango et Fofo, calmes au départ, parce que trop jeunes et désorientées, vont finir par se
révolter devant l’injustice sous laquelle ploie la femme.
« Alors qu’il veut m’entraîner avec lui sur la banquette […] je lui mords la main.
Cela me vient naturellement, et je mords sa peau froide jusqu’à ce que mes dents se
rejoignent et son sang coule insipide entre mes lèvres. Il pousse un cri, tente de se dégager.
Je lui arrache un bout de sa peau et le recrache sur la moquette. […] en me demandant
pourquoi j’ai tant tardé à me défendre. » (C. J. V. p.116).
[ Il s’impatiente, s’exaspère le bangala en l’agitant comme un fouet autour de mes lèvres.
« Prends-le vite râle t- il dépêche- toi » j’écarte mes dents et puis sans que j’en prenne
conscience je le mords. Il fait trois pas en arrière, danse sa douleur sous la lune ahurie puis
va loin très loin] (F.N. F.N p. 48)
Ici il y a révolte en ce sens que l’enfant qui était toujours docile, subitement, résiste à
son agresseur. Nous notons un changement d’état : le passage de la passivité à l’action. On
retrouve également le langage de la révolte dans Bouillons de vie. Kouba qui est constamment
battue par son mari infidèle n’en peut plus et passe à la violence verbale:
- « Si c’est toi que ces femmes cherchent, c’est la mort seulement […] il s’est jeté sur moi et
a commencé à me donner des coups [...] Je l’ai insulté jusqu’au boyau. Un cadavre n’a
plus peur du cercueil » (B.V. p.425).
C’est une révolte, beaucoup plus proche du suicide en ce sens que Kouba n’a pas
assez de ressources physiques pour vaincre son époux qui non seulement ne l’entretient pas,
mais la bat constamment. Mais son désir de voir sa situation changer est si fort qu’elle préfère
la mort. Au moins elle mourra libre. Il ressort de l’analyse du registre de la révolte que nos
auteures sont essentiellement révolutionnaires et passent par des mots à connotation violentes
pour traduire ce fait. Qu’elle ait connu l’amour tendresse (Andela) ou l’amour possessif
(Stéphanie) ou le viol (Endalé, Irène Fofo), qu’elle vive en Afrique ou en Europe, la femme
finit par se rebeller et sa colère est dirigée contre l’homme, son perpétuel oppresseur. Elle
cherche une éventuelle liberté. Mais l’aura-t-elle ? Une lecture approfondie de notre corpus
montre que l’analyse rhétorique n’est pas moins productrice d’effets. Aussi pour rendre
compte de ce langage imagé dont usent nos auteures, nous nous proposons dans le
deuxième point de faire une brève analyse des parémies et de certaines dénominations.
2. La Rhétorique de l’énoncé
2- 1. Les parémies comme marque de l’oralité
C’est par l’appropriation du français que l’écrivain africain peut mieux rendre son
message car il s’agit de s’adresser avant tout à un public pour qui le français est une langue
d’emprunt incapable de porter toutes les charges connotatives. Selon le Dictionnaire du
littéraire (2002 :410),
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« L’oralité est un mode de communication fondée sur la parole humaine et sans
autre moyen de conservation que la mémoire individuelle ». Par extension, elle désigne ce
qui, dans le texte écrit témoigne de la parole et de la tradition orale. Gervais Mendo Ze
(1994-168) définit les parémies comme « Les énoncés véhiculant un savoir culturel ramassé
dans des formules faites de nuances, d’insinuations et de suggestions ».
Nous avons, à travers l’ensemble du corpus, relevé de nombreuses des parémies :
-« Un cadavre n’a plus peur du cercueil »
- « Une femme avertie en vaut deux »
-« Quand une femme dérange, il faut la calmer avec une coépouse.»
-« On ne va jamais nulle part avec un homme marié »
Ces quatre premières expressions sont puisées dans le français populaire ou registre
familier. A l’analyse, on se rend compte que les phrases sont à la troisième personne du
singulier. Il s’agit de la forme impersonnelle puisque la parémie, généralement, ne s’adresse à
personne en particulier, cependant, concerne tout le monde et illustre une vérité générale. Le
temps de conjugaison est le présent d’éternité. Ici, nous nous rendons compte que ces énoncés
ont un destinataire qui est la femme. Les mots « on », « homme » rencontrés dans les
proverbes ayant été remplacés par le vocable « femme ».
Exemple : « Un homme averti en vaut deux » devient « Une femme avertie en vaut
deux ». NB : même le « on » de : « On ne va jamais nulle part avec un homme marié » a
dans le corpus une connotation de « femme ». On peut entendre : « Une femme ne va
jamais nulle part avec un homme marié ». Comme pour mettre en garde contre l’infidélité
conjugale. D’un autre côté, les images mises en relief sont celles de la femme. L’emploi de
ces images laisse entrevoir une société machiste. Les auteures nous entraînent dans une vision
du monde traditionnel africain où prédomine le système de polygamie que les hommes
cherchent à pérenniser parce que y trouvant leur compte. La femme est alors ravalée au
second rang, parfois à celui de l’enfant qui « dérange ». Dans Bouillons de vie nous lisons :
« Marcus se marie, […] quand une femme dérange, il faut la calmer avec une coépouse »
(B. V. p.115). Astuce des hommes pour justifier et pérenniser la pratique de la
polygamie. La femme, accusée ici à tort est contrainte par ce fait à la résignation.
-« Un cadavre n’a plus peur du cercueil »
Cela pourra être interprété comme : « advienne que pourra ». Ceci marque la
résignation des femmes maltraitées et battues. Thérèse que son mari bat tous les jours n’a
plus peur de ses coups et les accepte comme une fatalité.
« Il s’est jeté sur moi et a commencé à me donner les coups. […] Je l’ai alors insulté
jusqu’aux boyaux. Un cadavre n’a plus peur du cercueil » (B. V. p.42).
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-« Je l’ai insulté jusqu’aux boyaux »
Cette expression peut signifier : je lui ai dit des mots blessants.
-« Être le Macabo démangeur » Être inattaquable.
Image de femme forte, prête à se défendre contre la société. Symbolise la femme
émancipée.
« Je ne me calmerai que s’il s’en va. Je ne suis pas la patate que l’on mange même crue,
parce qu’elle a le malheur d’être sucrée. Je suis le macabo démangeur. On ne peut me
manger cru » (B. V. p.39)
- « Quelqu’un te met le doigt dans l’œil comme ça ? » Quelqu’un te cherche noise ?
Cela traduit l’image de la femme battue qui apprend à se révolter.
« Un jour on va entendre qu’il est entré dans les fétiches, ce n’est pas moi qu’il va
vendre ooo ! Quelqu’un te met le doigt dans l’œil comme ça ? » (B. V.p.43).
Dans L’homme qui m’offrait le ciel, nous pouvons également lire :
-
« Lorsqu’un poisson étouffe il cherche la rivière » (L’H.O.C. p.79).
A lire le texte, « le poisson » renvoie à l’image de la femme maltraitée qui rêve de
liberté. Cette expression renvoie à la quête de la liberté et explique l’exil des prostituées et la
révolte de la femme. Au niveau de la forme déjà, nous constatons que le mélange réussi des
deux genres (écrit et oral) relève d’un exploit louable pour les auteures. Par un jeu subtil elles
ont su couler les parémies dans leur discours de manière qu’elles gardent leur originalité.
L’analyse de ces diverses parémies montre comment par le biais des images, les auteures
présentent les divers visages de la femme. Etres résignés au départ, elles finissent, à force de
souffrance, par se révolter.
2- 2 Les interjections
Selon le Dictionnaire Larousse (1988 : 551), il s’agit d’un « mot qui exprime d’une
manière énergique et concise, un sentiment violent, une émotion, un ordre, ». Par ailleurs
nous entendons par interjection, ces mots ou expressions suivis de point d’exclamation, qui
permettent de commander, d’appeler ou de se plaindre et qui traduisent un sentiment ou un
état d’esprit. Solange Bonono use abondamment de ces expressions dans son discours ; ainsi
dans Bouillons de vie nous pouvons lire :
« -o oo ! » : « Un jour on va entendre qu’il est entré dans des fétiches, le Famla ou le
Kong, ce n’est pas moi qu’il va vendre o oo ! » (B.V.p.43).
« ooo ! » Traduit ici l’émotion forte qui anime la femme ; sa plainte et sa révolte. En
Afrique la femme appartient totalement à son époux ; il dispose d’elle, et peut la vendre dans
la sorcellerie.
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« -Aïe ! Aïe ! Aïe ! » : Elle traduit un état d’esprit : l’expression de la détresse et de la
douleur. Ici, il s’agit des pleurs de femme battue.
« Un jour il est rentré à minuit tout saoul et m’a réveillée brutalement en me traînant
par la cheville et par ma tête sur le sol. Je n’en peux plus ! Aïe ! Aïe ! Aïe ! » (B.V. p.43).
« -Hééééééé ! » : Marque l’étonnement et le mépris.
« Hééééééé ! Il y a des fous ici au marché ! Hein ! Ne me touche plus ! Tu es malade ? Ta
place est au centre « JAMOT ». Salaud ! » (B.V. p.128).
« -IIIICCHHH ! » : Marque le mépris, le dégoût. Réplique des femmes, surtout des
jeunes filles lorsqu’elles veulent éconduire un séducteur.
« Elle le parcourt des orteils crasseux au cervelet. Apres la dégradation du regard elle
rassemble la salive dans sa bouche maquillée et crache sa nausée en laissant friser un
« IIIIIICCHHH !» bien appuyé » (B.V. p.129).
-« Pouah ! » : Marque le mépris
« -Pouah ! On parle des hommes, tu parles de celui-là ? » (B.V.p.33).
Les femmes, de plus en plus conscientes de leur valeur et de leurs droits, expriment leurs
opinions sur le comportement des hommes violents et possessifs ; Il s’agit essentiellement
d’un sentiment de rejet (Hééééééé !), et de mépris (IIIIICCHHH !- Pouah !)
« -Aaaaaah ! » : est utilisé pour désapprouver quelqu’un. Comme pour dire que, ce qu’il
dit n’a pas de valeur.
« Aaaaaah ! Laisse-nous ça ! Tu es qui ! Tu es quoi ! Une foirée comme ça ! »
(p.129). Elle traduit l’état d’esprit de l’homme qui ne croit pas à la révolte de la femme ni
au changement de l’ordre des choses.
Les personnages féminins, parce que opprimés, gémissent et crient leur ras-le-bol, d’où
les différentes interjections. Toutes ces interjections, non seulement montrent le climat de
dépression et d’oppression dans lequel vit la majeure partie des femmes, mais en même
temps mettent en relief la femme qui déjà apprend à se révolter.
2- 3 L’Onomastique.
Ici nous nous limiterons juste à analyser les noms les plus marquants, ceux de
quelques héroïnes. Nous avons cité Andela, Musango, Ewendji, Irène Fofo.
« Ewenji » : n.p. de personne. Signifie en douala la lutte.
« Musango » : n.p de personne. Signifie en douala la paix.
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Tout au long de Contours du jour qui vient, Ewendji mène une lutte permanente
contre les maux sociaux qui l’assaillent de toute part. Victime de la misère, de l’injustice
sociale et des croyances mystiques, elle ira jusqu’à chasser sa propre fille de la maison. Cette
même fille représente la paix qu’elle devra retrouver à la fin de l’œuvre.
Dans L’homme qui m’offrait le ciel, à l’analyse, nous avons remarqué que le nom
« Andela » que porte l’héroïne de l’œuvre, beaucoup plus qu’une symbolique renvoie à
l’auteure elle-même : Beyala.
3. Significativité des œuvres
L’analyse des champs lexicaux nous a fait comprendre que par la charge des mots les
auteures cherchent à attirer l’attention du lecteur sur les maux sociaux dont souffrent les
femmes. Si les mots incitent à la révolte, les paremies tout en poussant à la révolte par
insinuation ouvrent les portes d’une liberté certaine. Mais il nous reste une interrogation, celle
de savoir comment la société elle-même réagit devant ces œuvres qui, la reflétant cherchent
avant tout à la transformer.
3 -1 : Rapports auteures et paysage socio-culturel
Dans le corpus le personnage féminin est en quelque sorte le reflet de la société. IL est
en effet la victime et la révoltée mise en relief dans le chapitre point. Il est celui vers qui vont
en priorité les leçons de morale que véhiculent les parémies. L’onomastique nous a orientée
vers un univers culturel précis qui est en priorité le Cameroun. En mettant en rapport les
noms de personnages et ceux des auteures, on se rend compte que ces personnages sont en fait
le reflet de la société camerounaise. Et pourquoi avoir choisi pour personnages principaux les
femmes ? Nous disons que ces écrivaines ont un message à passer. Par exemple elles
veulent montrer que dans cette société jungle, la femme, être faible et affaibli, est la victime
toute désignée. Si la femme adulte, celle de l’ancienne génération, est un avorton de la
société, la femme enfant et l’adolescente le sont davantage, puisque la mère-repère ne peut
que les conduire dans sa propre nuit, meublée de renoncements, de privations, d’humiliations,
de résignation et de mort. La jeune femme n’a pour issue que la révolte, une révolte vite
réprimée.
Dans Contours du jour qui vient, Ewenji paraît d’emblée comme un démon. Mais à
regarder de près, elle est autant victime que son enfant : victime d’une société qui vit ployée
sous le joug de la sorcellerie et de la prostitution ; victime d’une société où on a appris à la
femme qu’elle ne peut vivre qu’à travers l’homme, comme le témoigne ce passage :
« Tu crois qu’elle est ton enfant, mais c’est un démon que ta sœur Epeti a envoyé te
terrasser. […]Tu dois te débarrasser de cette petite sinon elle te tuera. C’est un vampire.»
(C. J. V. p.18).
Ainsi a commencé l’histoire de Musango ; long itinéraire qui nous a conduite à la
rencontre d’autres visages féminins, tous victimes des contradictions sociales. Il s’agit entre
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autres de jeunes filles conditionnées et prêtes à passer par tous les moyens pour s’envoler
pour l’Europe. Et comme Miano nous nous demandons :
« Combien étaient mortes avant d’arriver à destination ? Combien étaient encore en
Europe, leurs dettes s’étendant devant elle comme un océan ?» (C. J. V. p.80).
Beyala, semble donner une esquisse de réponse à cette question. Le contexte social a
changé certes, car il s’agit ici de la femme qui « a réussi » (Andela). Mais le tableau n’en
demeure pas moins sombre. La femme, même émancipée, se trouve confrontée à un autre
problème. Il lui sera quasiment impossible de réaliser son rêve qui est celui de se trouver
« son blanc », car tout en fait n’est que leurre. En effet, le monde occidental, malgré la
modernisation, reste le théâtre des préjugés sociaux et raciaux. Et l’image de la femme ici,
surtout la femme noire, n’est pas meilleure. Bref nos auteures, à travers les personnages
féminins nous font découvrir les différents visages de la femme camerounaise dont voici une
brève typographie :
La traditionaliste, conservatrice et protectrice ; la femme battue, généralement plus
jeune, illettrée et mariée précocement ; la fille mère, aux rêves brisés par cet homme qui l’a
trompée et qui ne l’épousera pas ; la femme moderne dite émancipée: libre, fière, égoïste,
matérialiste, révoltée. Elle est celle qui semble être le modèle parce que très tolérante et
acceptant les concessions, mais qui, elle aussi, sera victime de l’égoïsme et de l’infidélité de
l’homme. Il reste cette autre couche de filles, celles averties, qui semblent représenter l’espoir
de demain. Mais qu’est- ce qu’elles font ? Elles pensent à partir en Europe. Ce sont
« Nos sœurs aux envies exotiques qui ne s’intéressent plus qu’aux Blancs » (B.V.p. 32).
Cette liste représente les diverses images de femmes rencontrées dans notre corpus, du
moins les plus représentatives. Les personnages féminins ont des points communs, mais des
particularités qui ont pu permettre cette catégorisation. Juste à côté de la femme, nous avons
non seulement la société, grand moule où est formée cette dernière, mais le regard de
l’homme qui agit directement sur elle, la modifiant à volonté, ruinant ici sa vie, brisant là-bas
son rêve. Qu’en est-il alors de la liberté que recherchent ces femmes ?, car aucune ne semble
être libérée à la fin des ouvrages. En effet rares sont les cas positifs. Et si même positivité il y
a, ce n’est que des effluves dues à la combativité et à la révolte de quelques personnages
averties telles que Andela, Phalloga. Nous disons que la liberté que recherchent nos auteures à
travers les héroïnes pourrait mieux se comprendre sous le vocable de quête. Une quête dont
l’obtention n’est pas pour bientôt. Mais une quête dont certaines, à travers des changements
obtenus peuvent déjà gouter les promesses. En comme Bonono nous disons ceci :
« Elles jouent avec le vent coquin à dévoiler les charmes de la nouvelle femme
d’Afrique [….] Beijing a inventé une utopie salutaire pour le sexe faible. […] Depuis
qu’elles sont convaincues que les hommes ne sont pas leurs dieux, […] Elles sont heureuses
d’être femmes et surtout sont devenues une puissance sociale. Les hommes, ces dieux en
déchéance, ont du mal à l’accepter car petit à petit, l’utopie devient réalité, les femmes
arrachent leur liberté au quotidien » (B.V. p.102).
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Conclusion.
L’analyse des champs lexicaux nous a fait comprendre que l’emploi de certaines
lexies, n’est pas un fait du hasard : que ce soit par la répétition des mots ou la combinaison de
certains, les auteures cherchent à attirer l’attention du lecteur sur les maux sociaux dont est
victime la femme en général et la Camerounaise en particulier. Il en ressort que le message
des auteures passe par une écriture satirique. L’étude de la structure imageante laisse
apparaître au travers des parémies une invite à la libération. Cette étude met également en
relief le rapport auteure /environnement et nous fait découvrir que les personnages féminins
sont en effet le reflet de la société camerounaise en particulier.
L’intérêt de cette étude est porté vers le social. C’est le lieu pour nous de lever les
tabous sur certaines réalités camerounaises, voire africaines. La femme doit pouvoir sortir du
carcan dans lequel la société l’enferme depuis des générations. Et pour ce faire, Il faut bien
une certaine prise de conscience, résultante d’une crise de conscience certaine. Elle devra
hisser au sommet de la pente bien glissante le rocher de Sisyphe de la censure sociale riche
en interrogations stériles. « - Que veut-elle celle- là? Est-ce là le travail d'une femme ? ». Et
nous, nous pensons qu’elle veut montrer qu'une femme a quelque chose à dire. Et qui plus
qu'une femme peut prétendre à la légitimité de l'acte de prise de parole lorsqu'il s'agit de
parler de la femme? Il faut le dire par écrit, le dire pour convaincre et surtout trouver le
moyen de le dire.
Liste des signes et abréviations
C.J.V. : Contours du jour qui vient.
L’H.O.C. :L’homme qui m’offrait le ciel.
B.V. : Bouillons de vie.
F.N.F.N. : Femme nue femme noire
P. : Page.
Adj. Qual. : Adjectif qualificatif.
n.m : Nom masculin.
n. p.p : nom propre de personne
Références Bibliographiques.
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Nguetse, Marie-Julie - Sans Ɛl les dieux ne voleraient pas si haut, Yaoundé : Editions
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Werewere’ Liking - L’Amour cent –vies- Paris : Publisud, 1988 (roman)
Zanga, Tsogo - Vie de femme- Yaoundé : Editions CLE, 1983. (roman).
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