Colloque UEEH 2007

Transcription

Colloque UEEH 2007
UEEH
Colloque 2007
Les LGBTI : Evolution des représentations sociales et
révolutions culturelles
Médiation des savoirs
Intersexualité
Féminisme
Mouvement Homosexuel
Socialité
Médias LGBT
Transidentité
UEEH pôle colloque– Siège social : 52 rue d’Aix 13001 MARSEILLE – web : www.ueeh.org
Association loi 1901 J.O. du 11 juillet 1998 Page 3223, paragraphe 1756 Département du Vaucluse, sous préfecture de Carpentras N° SIRET : 42444340600014 Code APE : 913E
Colloque
Les LGBTI : « Evolution des représentations sociales
Et Révolutions culturelles »
Sam edi 21 j uil l et 2007 au Co nseil R égional PA CA
Constats, problématiques et perspectives
Les LGBTI sont des groupes récents en terme d’histoire “médiatisable” et “transmissible”. Les lesbiennes, les
gais, les bi, les trans, les intersexes existent depuis toujours, une évidence sur laquelle il convient de ne plus
reveni r. Mais dans la perspective de leur mémoire et de sa transmission, les LGBTI écrivent leur histoire depuis
peu et à des degrés divers qu’il convient de questionner dans une perspective de partage des savoirs, des
pratiques et des connaissances.
La visibilité/lisibilité des LGBTI ne peut être contenue dans le contexte si particulier du XXe siècle : la
déportation, la dépénalisation de l'homosexualité dans les démocraties avancées, la dépsychiatrisation des uns
(les homosexuelLEs), la psychiatrisation des autres dont les trans’ et malheureusement les intersexes entre autres
grands mouvements ; mais ce cadre historique en dit déjà long sur les flux et reflux des droits autant que des
discriminations. De l’individuel au collectif, le rôle des “pionniers” (militantEs et intellectuelLEs) a t-il participé
à l’institutionnalisation de ce paysage associatif moderne préoccupé tant par les questions de la santé et de la
prévention que par la parentalité et la sensibilisation contre les discriminations ?
La médiatisation de quelques figures historiques LGBTI comme la mobilisation face à la pandémie du SIDA ont
été des terrains propices à une explosion médiatique dont les différents groupes ont plus ou moins su tirer
bénéfice. Par ailleurs, ces mêmes groupes ne se sont-ils pas dotés de leurs propres réseaux de communication,
de leurs propres médias sans pour autant se couper des réseaux grand-public ? L’explosion médiatique s’est-elle
accompagnée d’une explosion des savoirs et des médiations ? Il convient d’analyser le rôle des médias dans la
perspective de l’évolution des représentations des LGBTI au cinéma et à la télévision comme l’énoncé d’une
nouvelle façon de les donner à « interpréter » dans l’espace public ?
Ces dernières années ont été incontestablement marquées par les luttes pour l’égalité des droits (le Pacs,
l’homoparentalité…), le devoir de mémoire (la déportation, les triangles roses, la figure médiatrice et
historique de Pierre Seel), la santé et la prévention (les rubans rouges, le statut des séropositifs…), la lutte
contre les discriminations (les programmes européens Equal, la Halde,…). Comment les LGBTI sont-ils acteurs de
leur “dé-discrimination” ?
En d’autres termes, l’évolution des représentations n’est-elle pas en soi une révolution culturelle ? Quels sont
les apports des LGBTI à la société : comment ces groupes enrichissent le social dans sa diversité et sa pluralité,
remettant en cause des « vérités surplombantes » : l’identité, le genre, la parentalité, l’orientation sexuelle. A
l’énoncé même des « vérités surplombantes », l’analyse des relations entre ces groupes même paraît pertinente.
Programme du Colloque
Au cœur du sujet, sinon au carrefour des mouvements d’affirmations, se trouvent deux thèmes majeurs : la
socialité et la culture LGBTI. Savoirs et connaissances disséminés aux quatre vents enrichissant les sociétés dans
lesquelles ces groupes s’affirment, s’affichent et agissent.
Ateliers pré colloque
Les UEEH sont un espace universitaire où se rencontrent des individuEs et des collectifs. Aussi nous avons
souhaité que la thématique du colloque s’inscrive tout au long de la semaine. L’objectif de ces ateliers précolloque est de permettre une implication et un échange entre des participantEs des UEEH sur leurs vécus de
discriminations, leurs parcours et leurs stratégies de prévention et de lutte. Ainsi que la préparation des
événements prévus lors de cette journée.
1
Colloque Samedi 21 juillet 2007
Tableau du programme du colloque qui se déroulera le 21 juillet 2007 à Marseille au Conseil Régional :
Horaire
9H00
9H30
Thème
Thématiques
Intervenants
Accueil des participants
Ouverture
par l’équipe des UEEH, EluE Conseil Régional, EluE Ville de Marseille, EluE Conseil
Général 13
9H45
10H10
La visibilité et la lisibilité
des LGBTI dans l’histoire
10H35
Pandémie du Sida et
mobilisation associative :
30 ans et la lutte
continue…
Pause
La mobilisation associative
face au VIH et ses apports
vers
l’associatif
pour
l’égalité des droits
12H30
12H30-14H00
14H00
Questions d’hier et
d’aujourd’hui
Aux
origines
de
l’Université d’Eté,
quelques questions que
nous nous posions (19751981)
Médias et médiatisations
Médias
classiques
et
LGBTIQ :
conflits,
convergences, paradoxes
et
représentations
sociales, de la presse à la
littérature.
15H30
Emmanuel Château
Christian Saout
Table ronde animée par
Jean-Christophe Goulier
Déploiement du
Patchwork des noms dans
le déambulatoire
Jacques Fortin
Catherine Marjollet
Geneviève Pastre
Echange avec la salle
16H00
16H30
16H45
Des questions de genre
à l’Egalité des droits
18H15
18H45 – 19H00
Dolores Martin
Echange avec la salle
15H00
17H45
Christian de Leusse
Pause déjeuner
14H30
17H15
Eric Puren
Echange avec la salle
11H00
11H20
11H35
9h45-10h10 : Visibilité et
invisibilité
des
homosexualités masculines
en milieux populaires de
1850-1914.
10h10-10h35 : 1977-2007,
30 ans de mouvement
homosexuel à travers les
UEEH
10h35-11h00, Histoire des
trans’ : la loi espagnole de
2007
Pause
16h45-17h15 :
Identités
sexuelles,
identités
nationales : représentations
historiques
et
instrumentalisation
politique des questions de
genre et de sexualité.
17h15-17h45 : La société
binaire en question
17h45-18h15 : Egalité des
droits : la socialité est aussi
juridique
Elsa Dorlin
Maud Thomas
Julien Tardif
Echange avec la salle
Clôture
20h00 Performances Mélanges de Genres dans le centre de Marseille
Pou r tous renseignements complémentai res, les référents et contacts au sein des UEEH sont :
Halim Anou [email protected]
Karine E spineira [email protected]
Le site des UEEH: www.ueeh.org
2
Les IntervenantES
Eric Puren, agrégé d’histoire-géographie, doctorant à l’ENS/LSH de Lyon. Thèse de doctorat en cours : Les
homosexualités masculines en milieux populaires en France de 1850 à 1914 : identités, représentations,
constructions de la masculinité.
L’histoire des homosexualités est balbutiante. Elle est au mieux un champ historiographique en constitution contraint à
la définition de son objet, de ses outils, de ses sources. Les rares travaux existants se sont situés dans la filiation de
l’hypothèse foucaldienne d’une invention contemporaine de « l’homosexualité » par l’institution psychiatrique ou dans
l’histoire culturelle des représentations. Ces travaux, indispensables, ont privilégié l’étude de discours et de
représentations produites, intériorisées et diffusées par des élites médicales ou homosexuelles. Ces démarches
fondatrices doivent êtres interrogés.
Y-t-il eu, en France, avant 1914, invention et généralisation d’un personnage spécifique identifié et réduit à son identité
sexuelle ?
Comment rendre compte des situations d’homosexualité c'est-à-dire de moments où elle apparaît, devenant ainsi
expérience et même événement pour ceux qui la vivent ?
Comment ses situations d’homosexualité évoluent-elles sous l’effet des grands mouvements qui traversent la société
française dans le second XIX° siècle : l’industrialisation et son corollaire l’urbanisation mais aussi ce lent mouvement
d’individualisation qui détachent progressivement les personnes de leur communauté d’origine notamment rurale ?
Nous ne cherchons pas ainsi à dégager un personnage global « homosexuel » mais à cerner sur près de 60 ans comment
des individus aux identités complexes (sexuelle, genre, sociologique…) se perçoivent et vivent leur sexualité.
Nous espérons, en ce sens, contribuer à l’élaboration d’une approche socio historique de l’histoire des homosexualités.
Christian de Leusse, président de Mémoire des Sexualités et organisateur du Salon de l’Homosocialité de
Marseille.
L’association Mémoire des Sexualités – Marseille existe depuis 1989. Elle a été crée dans l’objectif d’amplifier
l'action de l'association Mémoire des Homosexualités, crée à Paris en 1983.
Elle s'est donnée pour principales missions : Organiser des débats publics sur la sexualité, l'homosexualité, le couple
homosexuel et la lutte contre le sida. Ainsi, depuis 1989 l’association a organisé plusieurs dizaines de débats. Elle
organise chaque année lors du denier week-end de janvier le Salon de l’Homosocialité. Participer aux divers
moments de commémoration, en particulier celui de la Déportation des homosexuels par les nazis (1933-1945), tous
les ans, le dernier dimanche d’avril. Constituer un Centre de documentation sur la vie associative homosexuelle et
sur l'homosexualité, par l'archivage de documents et autres archives personnelles et/ou associatives, afin d’en
éviter la perte et d’en faciliter la sauvegarde. A terme, il conduira à la mise à disposition (pour la consultation et
les recherches universitaires) et la mise en réseau avec d'autres centres documentaires. (Extrait du site Internet de
mémoire des Sexualités : http://memoire.sexualites.free.fr/)
Lola Martin Romero, sociologue et sexologue ; travaille en formation et documentation au sein du service
d’information à destination des publics homosexuels et transsexuels de la ville de Madrid.
TRANSEXUALIDAD. DIVERSIDAD DE UNA REALIDAD (2004) – Transsexualité, diversité d’une réalité. Estudio sociológico
cualitativo sobre la vivencia de la transexualidad (étude sociologique qualitative sur le vécu transsexuel).
HOMOFOBIA EN EL ÁMBITO EDUCATIVO (2005) – L’Homophobie dans le milieu éducatif. Estudio cuantitativo sobre
actitudes de los estudiantes ante la homosexualidad (étude quantitative sur les comportements des étudiants face
à l’homosexualité).
ESTUDIO SOCIOLÓGICO Y JURIDICO SOBRE HOMOSEXUALIDAD Y MUNDO ISLÁMICO (2007) – Etude sociologique et
juridique de l’homosexualité dans le monde islamique. Coordinadora del proyecto y coautora del estudio
sociológico (coordinatrice du projet et coauteure de l’étude sociologique).
GUÍA DIDACTICA SOBRE TRANSEXUALIDAD PARA JÓVENES Y ADOLESCENTES (2007) – Guide pratique sur la
transsexualité à l’attention des jeunes et des adolescents. Elaboración de unos textos didácticos a partir de los
comic de Aniel, una chica transexual que dibuja sobre su propia historia (Conception d’outils pédagogiques sur la
base des bandes dessinées d’Aniel, jeune transsexuelle sur sa propre histoire) .
EXPOSICIÓN 30 AÑOS DE HISTORIA DE MILITANCIA GLTB EN ESPAÑA (Exposition de 30 ans d’histoire de la militance
LGBT en Espagne. (Coautora de algunos capítulos ; coauteure de plusieurs chapitres).
3
Christian Saout, administrateur de AIDES.
« L’histoire de AIDES commence en septembre 1984, avec une lettre adressée à quelques amis par le sociologue
Daniel Defert. “Face à une urgence médicale certaine et une crise morale qui est une crise d’identité, je propose
un lieu de réflexion, de solidarité et de transformation”, écrit-il suite au décès de son ami, le philosophe Michel
Foucault. »
(Extrait du site Internet : http://www.aides.org/)
Emmanuel Château, co-président d’Act Up Paris depuis 2006.
Act Up-Paris est une association issue de la communauté homosexuelle, veillant à défendre toutes les populations
touchées par le sida. C'est une association de personnes touchées par le VIH qui voient dans le sida avant tout une
question politique."
(Extrait du site Internet http://www.actupparis.org/)
Jacques Fortin, président de LGBT Formation, co-fondateur des Universités d’Eté des Homosexualités.
HOMOSEXUALITE : L’ADIEU AUX NORMES, Editions La Discorde, 2000.
LGBT Formation : l’association s’est donc donné pour mission de sensibiliser à l’homophobie les personnels ayant à
s’occuper des jeunes qu’il s’agisse des métiers de santé physique et psychique (médecins, infirmier/es,
psychologues, activité de prévention etc), des métiers de l’éducation (dont l’éducation nationale, l’éducation
surveillée etc), des métiers sociaux (éducateurs de quartiers, animateurs, assistanat social, conseil familial etc.),
des métiers de l’animation, du loisir et du sport, et de prendre part le cas échéant à la formation initiale de ces
personnels. Cette sensibilisation s’adresse aussi au secteur associatif en relation avec la jeunesse : associations
familiales, éducation populaire, scoutisme… Site Internet : http://www.lgbt-formation.org/
Geneviève Pastre, écrivaine, poétesse, éditrice, militante, et chercheuse indépendante en histoire,
sociologie, anthropologie, philosophie.
DE L’AMOUR LESBIEN, Paris, Horay, 1980.
ATHENES OU LE PERIL SAPHIQUE, Paris, Pastre « Les Octaviennes », 1987.
LE NOUVEAU MANUEL D'ORTHOGRAPHE, G. Pastre, 1991.
LE BIEN AIMER, G. Pastre, 1995.
LES AMAZONES, DU MYTHE A L’HISTOIRE, Paris, Pastre « Les Octaviennes », 1996, avec Louis-Georges Tin (dir.),
Homosexualités, expression/répression, Paris, Stock, 2000.
Site Internet : http://www.gpastre-editions.com/
Catherine Marjollet, psychanalyste, Cofondatrice de Lesbia, intervenante de LGBT Formation.
Aborder les questions de l'adolescence, de la sexualité et de l'homophobie en particulier peut provenir de plusieurs
champs : le mien est celui de la psychologie et de la psychanalyse. Cette approche n'est pas exclusive mais
complémentaire des autres approches : elle avance une causalité psychique à côté de la causalité sociologique, un
regard intérieur à côté d'un regard extérieur, un monde interne à côté d'une réalité externe.
Elle se réfère à l'approche individuelle et surtout personnelle de la question prenant en compte l'histoire et les
dynamiques psychiques de la personne ; elle se réfère aussi au fonctionnement de l'appareil psychique tel défini par
Freud notamment avec les instances de la première topique (rendre conscient ce qui est inconscient) et celles de la
seconde topique (choisir de devenir un sujet créatif de sa vie et assumer un Moi confiant, indépendant et adulte).
Extrait du site su site Internet de LGBT Formation : http://www.lgbt-formation.org/
4
Elsa Dorlin, maître de conférences en philosophie à l’université Paris I.
L'ÉVIDENCE DE L'ÉGALITÉ DES SEXES, Une philosophie oubliée du XVIIe siècle. Bibliothèque du féminisme,
QUESTIONS DE FEMMES, L’Harmattan, 2001.
LE CORPS, ENTRE SEXE ET GENRE, Sous la direction de Hélène Rouch, Elsa Dorlin et Dominique FougeyrollasSchwebel, Bibliothèque du féminisme, QUESTIONS DE FEMMES, L’Harmattan, 2005.
FÉMINISMES, Théories, mouvements, conflits. L'Homme et la Société n°158, coordonné par Marc Bessin et Elsa
Dorlin. Centre culturel CNL, Centre d'étude CNRS. QUESTIONS DE FEMMES, L’Harmattan, 2003.
LA MATRICE DE LA RACE, Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, La Découverte, 2006.
Maud-Yeuse Thomas, chercheuse indépendante, sociologie des transidentités.
Intervention de la table ronde off des 3e rencontres du CCOM (Centre collaborateur de l’Organisation Mondiale de la
Santé, Nice 13 juin 2007 : Stigma-queer http://natamauve.free.fr/Stima-queer/Stigma-q-thomas.html.
SOCIALITE ET SOCIALITE TERNAIRE, 2006 : http://natamauve.free.fr/socialite_ternaire.html
2 LESBOTRANS SE POSENT DES Q, Q comme Queer, sous la direction de Marie-Hélène Bourcier, Editions
GayKitschCamp, 1998.
Julien Tardif, Doctorant en sociologie, Laboratoire d’Anthropologie « Mémoire, Identité et Cognition sociale,
Université de Nice Sophia Antipolis.
Thèse de Doctorat de Sociologie en cours : «Désignation et gestion des personnes socialement disqualifiées dans
un service d’action sociale préventive : essai de sociologie pragmatique » sous la direction du Professeur JeanPierre Zirotti.
AXES DE RECHERCHE :
Axe 1 [Sociologie de la relation de service] : sociologie pragmatique et philosophie morale appliquées à la
relation de service en milieu associatif : ethnographie de l’activité de prise en charge professionnelle ou militante
de personnes disqualifiées (qualifiées de victimes de discriminations, de vulnérables, de délinquants…) et analyse
contextuelle des mécanismes de désignation des personnes humaines en tant qu’ « objets sociaux &
intentionnels ».
Axe 2 [Sociologie des politiques publiques en action sociale] : l’évaluation et la démarche qualité en travail
social sous l’angle de la sociologie des « instruments de gouvernance » & « dispositifs socio-techniques » de gestion
de personnes disqualifiées (analyse de réseaux, référentiel d’action, introduction des nouvelles technologie de la
communication et de l’information).
Axe 3 [Sociologie de l’action collective & du militantisme associatif] : les modalités d’engagements de la société
civile dans les questions politiques et morales : débats contemporains autour des figures éthiques de l’individu
concret et ordinaire (« différent », « en demande de reconnaissance », « dépendant », « attaché » à des
appartenances sociales …).
5
Annexes
Interventions et/ou compléments
1977-2007, 30 ans de mouvement homosexuel à travers les UEEH
Christian de Leusse
Quelques remarques préalables :
•
•
•
•
Privilège d'avoir participé à la longue histoire des UEEH et suivi les différentes étapes de l'émergence homosexuelle
Le rôle utile de la documentation (de l'association Mémoire des Sexualités Marseille) qui permet de rassembler rapidement les
éléments utiles d'autant que les délais ont été très serrés
Un point de vue parmi d'autres, inévitablement parcellaire (et subjectif), plus ou moins accepté compte tenu du foisonnement des
événements. Chacun a vu ou retenu autre chose, beaucoup de choses ont échappé au regard
Le contexte local marseillais a joué et joue un rôle non négligeable (vie associative locale, implication des hommes et femmes
politiques, etc.)
Introduction
Sans en avoir l'air, les UEEH ont été un creuset de la vie militante homosexuelle nationale (et parfois au-delà). Lieu de
rencontre et d'échange hors du maelström parisien, où les uns et les autres arrivaient à s'écouter, lieu de créativité
culturelle, lieu de proposition, lieu de concrétisation de tel ou tel projet collectif. En quelques jours, nous étions les uns
et les autres au fait des points de fixation du débat militant ou des personnalités les plus en vue. De nombreuses
fédérations, coordinations, réseaux sont nés (ou parfois mort-nés) ou se sont donnés rendez-vous aux UEEH.
- Le contexte de 1979
- 79-87, les 5 premières UEH
- 88-98, 10 années sans UEH
- 99-2002, la lame de fond
I-
I - 77-79 un contexte de discrimination (je reprends là mon intervention au colloque UEEH de 2002 "20 ans et après ?")
1- Quelques événements importants des années 70 :
1973: URSS, Paradjanov est emprisonné pour homosexualité et anticonformisme;
1974 : Giscard d'Estaing: abaissement de l'âge de la majorité qui de 21 ans passe à 18 ans
1975: Pasolini assassiné sur la plage d'Ostie, près de Rome
1976: Jérémy Thorpe, président du parti libéral en Angleterre démissionne pour homosexualité ;
1977: USA, Anita Bryant s'estimant choisie par Dieu, déclare "c'est le pêché d'homosexualité que je hais", 800
groupes gays manifestent contre les discriminations face à la coalition des droits humains de Miami ; En France,
Arcadie s'inquiète de la campagne qui se développe contre les homosexuels aux USA
1978: Les campagnes pour la liberté l'avortement se développe dans toute la France pendant 5 ans, la loi ne sera
publiée qu'en 1979 (Simone Weill s'illustre par son courage);
1979 : San Francisco un conseiller municipal homosexuel, Harry Britt, est nommé à un poste laissé vacant par
l'assassinat d'un conseillé municipal (M. Milk) qui avait avoué publiquement son homosexualité; Jean-Louis Bory
figure de la littérature, de la presse et de la télévision se suicide avant d'atteindre l'âge de 60 ans ; 1ère UEH à
Marseille ; Rencontre internationale de Francfort "Homolulu"; 25ème congrès d'Arcadie (parmi les personnalités
présentes: Michel Foucault, Jean-Paul Aron, Dr Tordjman, Pr. Klotz, Dominique Fernandez, et au banquet Roger
Peyrefitte et le sénateur Caillavet)
2- Le contexte législatif
Le 11 avril 1980, l'Assemblée Nationale abolit l'article 330 al.2, l'article qui discrimine les relations entre homosexuels
adultes (l'ordonnance de 1960 dite amendement Mirguet qui concernant l'OPP, l'outrage public à la pudeur, qui doublait les
peines lorsqu'il s'agissait d'homosexuels).
6
Mais maintient l'article 331 al.3 du Code Pénal mis en place sous le régime de Vichy en 1942 par ordonnance, confirmé
par la loi en 1945 (alors que le Sénat avait voté l'abrogation auparavant sous l'impulsion du sénateur Caillavet), qui
discrimine les relations avec (et entre) des mineurs situés en 15 et 18 ans en distinguant ce qui est homosexuels et
hétérosexuels.
Les homosexuels se mobilisent à Paris le 31 mai et à Marseille le 3 juin (à la salle Mazenod). Mais il n'y a d'autres
textes législatifs tjrs en vigueur :
-
l'interdiction de l'affichage des revues licencieuses (texte de 1949, confirmé par une ordonnance de 1958) et des
arrêtés ministériels du 1er semestre 1978 interdisent l'affichage de revues homosexuelles non pornographiques
les ouvrages et périodiques abordant le thème de l'homosexualité sont susceptibles de poursuite pour "outrage aux
bonnes mœurs"
quelqu'un qui se promène dans un jardin dans l'espoir d'y rencontrer quelqu'un d'autre peut être verbalisé pour
"attitude de nature à provoquer la débauche"
6 articles du Code Civil imposent l'obligation de ne pas s'écarter des bonnes mœurs (logement, famille…)
le ministère de la santé s'appuie sur la classification de l'OMS qui classe l'homosexualité parmi les maladies
le statut général de la Fonction Publique exige du fonctionnaire qu'il soit de "bonne moralité" ce qui permet
l'éviction des homosexuels de la FP
Et la Préfecture de Police de Paris dispose d'un service spécifique "le groupe de contrôle des homosexuels" et une
ordonnance du préfet de 1949 interdit aux hommes de danser ensemble.
3- Le contexte moral et idéologique
En 1973, un sondage SOFRES indique que 44% des français ne sont pas d'accord pour considérer l'homosexualité
comme un "fléau social", mais 40% des français y sont favorables.
Le Parti Communiste préconise en 1977 une révision de la législation sur l'homosexualité, mais ne va pas plus loin que
vers l'abolition de l'amendement Mirguet (qui sera abolit en 1980) mais n'accepte guère de parler de ce vice bourgeois.
L'extrême gauche est parcourue de contradictions, les uns résolvent leurs contradictions par la mise en place de
commissions internes homosexuelles au PSU, au CCA, chez les trotskystes de l'OCT ou de la LCR, mais au PCMLF on
stigmatise l'homosexualité comme un handicap, et LO vide physiquement les promoteurs de la revue Masques, lors d'un
meeting commun LO-LCR.
La gauche ordinaire n'a pas l'air d'avoir d'opinion, excepté le sénateur radical Caillavet qui ne manque pas de courage,
et Gaston Defferre qui reçoit les homosexuels du GLH de Marseille à la Fête de la Rose et met à disposition des locaux pour
la première UEH de 1979.
La droite au pouvoir manie la carotte et le bâton, la majorité législative (on l'a vu) abolit l'amendement Mirguet mais
maintient l'article 331 al.2. M. d'Ornano, ministre de la Culture, interdit la projection de 30 films à la Pagode en janvier
1978, Alain Peyrefitte parle de "l'obligation de délation".
L'extrême droite est violemment anti-homosexuelle si l'on en juge par l'attitude de Jeune Nation qui interrompt la
projection des films, saccage avec des barres de fer et emporte la caisse
Paris-Match fait ses gros titres avec les homosexuels ("La vague homo: la France atteinte à son tour"), profitant de
photos volées à la 1ère université d'été homosexuelle de 1979.
L'Eglise catholique est à la fois sur des positions doctrinales (cf. l'ex-Saint Office en 1976) et sur les positions dures de
certains évêques (cf. Mgr Elchinger à Strasbourg qui traitera les homosexuels d'infirmes quelques années plus tard). Au
Vatican en 1976, la Congrégation pour la doctrine de la Foi a publié 15 pages (mûri depuis 1968 avec la collaboration
d'experts internationaux…) sur la question du relâchement des mœurs, en référence à la loi naturelle, à l'ordre moral et au
péché mortel. Elle condamne tout en manifestant à peine une chrétienne compréhension les unions pré-conjugales, les
rapports homosexuels et la masturbation. Elle fait appel aux exigences positives de la vertu de la chasteté. Les lois sont
immuables en ce domaine, mais la société "favorise un hédonisme licencieux…les opinions erronées et les déviations
continuent à se répandre en tous lieux".
Le Conseil Œcuménique des Eglises est confronté à des positions très contradictoires, son congrès de mai 1978 oscille
entre "silence glacial" et "débats passionnés".
4- Les formes de répression des homosexuels
1974: avec l'abaissement de l'âge de la majorité, le nombre de délits homosexuels avec des mineurs chute de 1/3,
mais il reste l'article 331. al 2 (et la discrimination concernant ce qu'on appelle un mineur selon qu'on est homosexuel ou
hétérosexuel).
A ce moment, la DDASS des BdR fiche 89 travestis.
1975: le Compte général de la Justice indique que 179 homosexuels sont condamnés en France, dont 17 à Paris et
8 dans les Bouches du Rhône (la plupart du temps, il s'agit de prison ferme) et dont (puisque tout est noté) 110 célibataires et
50 mariés, veufs ou divorcés.
7
1977: la Police Judiciaire constate 100 cas de délits homosexuels avec des mineurs en France (il y a alors 3 138
personnes mises en cause pour attentat à la pudeur et 4 575 délits de mœurs). A Marseille, la police recense 70 prostitués
masculins, interpellés pour racolage.
1978: la Préfecture de Police de Marseille constate 9 attentats à la pudeur sur mineur de même sexe et 17 OPP
(outrage public à la pudeur) entre majeurs de même sexe.
En mars 1979, un débat important se tient à Marseille sur "Homosexualité et Répression" organisé par le GLH,
c'est l'occasion de faire le point, "le Monde", "le Matin de Paris", "le Provençal" en parlent.
Sur les lieux de drague, policiers et loubards sont dans une situation d'alliance objective contre les homosexuels.
D'un côté, la police fait un fichage systématique avec n° de SS, nom & adresse de l'employeur, nom de chacun des parents
… (en général cela va au bout d'un ou 2 mois dans les archives régionales de la police).
Dans les lieux fermés, la police effectue des "descentes", ex. à Marseille au sauna du Cours Julien en 1979, au
cinéma le Dragon à Paris (2 mois de prison avec sursis et 1 500 F pour 2 homos), dans un club homo le Lautréamont à St
Etienne (4 inculpés, 600 noms saisis, 60 auditions) en 1979, le Manhattan 11 personnes inculpées prises en flagrant délit
d'OPP, 8 condamnés et les 2 gérants condamnés à 2 000 F en octobre 1978 à Paris.
C'est aussi le temps des traitements psychiatriques pour soigner les homosexuels, sous l'impulsion de médecins
comme le Dr Amoroso. Nombre de condamnations sont assorties de mises à l'épreuve avec traitements psychiatriques (ex.
lorsque le Dr Buisson est condamné) et l'armée ne se prive pas d'y soumettre ceux qui arguent de leur homosexualité pour se
faire réformer.
Les licenciements pour homosexualité ne sont pas rares, à Marseille on cite 7 cas à ce moment.
5- Les affaires criantes des années 1978-1980
Au centre social Cézanne, à la cité Beisson d'Aix en Provence, le directeur est accusé dans le cadre d'une campagne
de moralisation pour avoir laissé les enfants s'exprimer dans son atelier de poésie gros mots, la mairie d'Aix, le journal le
Méridional alimentent une vague d'hystérie en 1977-78.
En janvier 1978, le festival de film de la Pagode connaît 10 jours d'affluence, lorsque l'interdiction (et le saccage)
arrive. André Gluksman et Guy Hocquenghem écrivent dans le Monde "La reine Victoria a encore frappé".
Le Dr Buisson à la Réunion est suspendu pour 6 mois par le Conseil de l'Ordre des médecins et condamné à 3 mois
fermes pour acte impudique avec mineur de même sexe, son jugement est cassé par la Cour de Cassation en dec.78.
Les tribunaux sévissent. Ainsi deux lesbiennes de Lyon sont soumises à un chantage de retrait de leurs enfants par
les tribunaux. Et un homosexuel marseillais est autorisé à ne voir son enfant qu'en journée alors que cet enfant réside avec sa
mère dans le nord de la France.
Il y a de nombreuses affaires impliquant des mineurs de moins de 18 ans: le Dr Buisson à la Réunion, Vigneux à
St Leu la Forêt, le Kaola à Marseille, l'affaire Dugué à St Ouen, le ministre autrichien Pahr à Strasbourg, mais compte tenu
du maintien de l'article 331 al.3, on est incapable de distinguer les mineurs de 15-18 ans des mineurs de moins de 15 ans.
A Marseille, le Dr Salem est inculpée en 1979 parce qu'elle accepte d'administrer des hormones aux transsexuels de
la rue Sénac qui la sollicite. Au même moment le Cabifoulet reçoit les transsexuels, en général prostitués hommes de 14 à 18
ans. La police refuse de coopérer, car elle veut d'abord des dénonciations.
En février 1979, une commission paritaire du rectorat d'Aix-Marseille entérine la révocation de Jean Rossignol,
représentant SGEN-CFDT, surveillant au Lycée Thiers, il a osé apposer une affiche au lycée pour un bal du GLH.
6- Le grand mouvement de mobilisation des homosexuels en France
En 1978, une bonne trentaine de GLH existent à travers la France (et une quinzaine de groupes de lesbiennes). A
Paris il y a les CHA (Comités Homosexuels d'arrondissement), le GLH PQ (politique et quotidien), le CHOP (comité
homosexuel de l'ouest parisien).
En mai 1978, se tiennent à Paris des Etats Généraux de l'Homosexualité avec le CCL (le centre du Christ
libérateur du pasteur Doucé), les CHA, le GLH PQ, des GLH, des groupes de lesbiennes de Paris et de Rennes, des Jeunes
homos chrétiens, l'asso pour l'éducation et la liberté sexuelle (mais Arcadie et Davis & Jonathan manquent à l'appel).
En août, une rencontre de détente et de lancement d'initiative avec des individus venant de toute la France s'était tenue dans
une belle maison de campagne Mazel, en Ardèche (on y entend parler du projet du journal "Gai Pied").
En novembre 1978, une rencontre nationale se tient à Lyon sous la houlette du groupe homosexuel de cette ville
Interlopes (dont l'un des animateurs est Jean-Paul Montanari aujourd'hui directeur du festival de danse de Montpellier
longuement interviewé dans son film par Yves Jeuland).
Les homosexuels réagissent plus rapidement aux actes homophobes en avril 1979 à la suite du refus du CROUS de donner
des chambres et des repas pour la 1ère UEH, une grande manifestation est organisée par le GLH sur les escaliers de la gare St
Charles. Le journal "la Marseillaise" se fait l'écho pour la 1ère fois d'un événement homosexuel et le GLH se souviendra de
cette manifestation comme de sa 1ère Gay Pride.). Ce refus du CROUS provoque le découragement des uns, mais provoque
un électrochoc chez les autres qui disent qu'on réussira ce rassemblement national malgré cela, en particulier grâce aux
hébergements chez l'habitant et grâce aux relations tissées avec les animateurs des salles de spectacle.
A l'été 1979, au moment de la 1ère UEH, on note l'existence de revues lesbiennes Désormais (animée par Elula
Perin) ou Quand les femmes s'aiment (animé par un groupe de lesbiennes). On en est au n° 35 de l'Agence Tasse (animé par
8
Alain Huet qui fait un important travail historique) (en Italie et en Espagne de la même façon des revues existent, on en est
par ex. au n° 20 de Lambda, bulletin d'info de l'Instituto Lambda de Barcelone).
Mais on en est aux tous premiers numéros de Gai Pied et de toute une série de journaux de Province comme on dit:
Gay West à Rennes (avec Mélanie Badaire), le Bal des tantes et la Plume taillée à Marseille, Pourquoi pas ? à Rouen… (ou
encore Info gai du Front de libération de Catalogne à Barcelone).
Lorsque le CUARH (comité d'urgence anti-répression homosexuel) se constitue à l'occasion de la 1ère UEH de
1979, c'est une convergence de tout ce mouvement de mobilisation qui couvre la France.
II- Les UEH de 1979 à 1987
Ces UEH s'inscrivent dans 3 mouvements qui se succèdent et/ou s'entremêlent : ceux des "Révoltés"des années 70, des
"Pionniers" de 81-82 : la dépénalisation "les 100 fleurs", ceux des "Années de plomb" : les années du SIDA.
Les Révoltés des années 70, avant d'être ceux dont nous venons de parler, c'était ceux du FAHR(Front homosexuel
d'action révolutionnaire), et des mouvances diverses issues de mai 68 (Comité pédérastique révolutionnaire, tendances du
MLF, Gouines Rouges, le journal "l'Antinorm" diffusé par des groupes du FHAR avec comme slogan "prolétaires de tous
les pays, caressez-vous !), ceux des courants d'extrême gauche (avec les mao "spontex" de "Vive la Révolution (VLR)" et le
n° spécial de "Tout") et les milieux de la recherche (avec les Anales de la Recherche en Sciences Sociales), ou encore de la
Mouvance Folle Lesbienne à Aix en Provence, les 1ères UEH sont marquées par ces courants antiautoritaires.
Dans la mesure où l'UEH est organisée par le GLH de Marseille, appuyé sur le réseau des GLH, globalement plus
branché sur le combat politique, avec la revendication de l'abolition des lois répressives comme toile de fond, elle est
davantage conduite par les militants pionniers de ce combat.
Des noms des détacheront pour ce combat politique, ils formeront l'ossature du CUARH (Hervé Liffran, Jean BoyerCavaillès, Jan-Paul Pouliquen, Jacques Fortin) qui sera fondé lors de la 1ère UEH (à laquelle s'en ajouteront d'autres dont
Françoise Renaud et Catherine Gonnard, du MIEL), mais il n'y aura pas qu'eux puisque d'autres groupes se créent lors de
cette rencontre marquée par la révolte antiautoritaire (mais aussi par les débats incessants sur l'âge de la majorité ou la
mémoire meurtrie des adolescences réprimées) le GRED (groupe de recherche pour une enfance différente) avec Gérard
Bach-Ignasse ou la prise de conscience du rôle fondamental de l'école avec le CHEN (comité homosexuel de l'éducation
nationale) avec Jacques Girard.
La conquête de la dépénalisation en 1982 change le contexte, même si la chaleur des combats collectifs joue un rôle
majeur pendant plusieurs années pour continuer à unir les efforts et revendiquer, pour écrire dans les média gays et mobiliser
les lectorats et les militants enfin assurés des succès qui peuvent être désormais emporté collectivement.
"Gai Pied" bien sûr joue un rôle majeur, mais aussi le CUARH avec son journal "Homophonies", la revue
"Masques", "Lesbia" entretiennent mais surtout s'appuient sur un renouveau extraordinaire. On est plus à l'âge des
samizdats et des journaux polycopiés à diffusion réduite, on arrive à l'heure de la vente en kiosque et en librairie. Les 1ères
émissions radio, voire les 1ères radios, comme Fréquence Gaie, apparaissent aussi.
1981: 2ème UEH (c'est alors tous les 2 ans) avec pour thème "Vivre gay, vivre libre". La gauche est au pouvoir, Gaston
Defferre ministre de l'Intérieur a reçu le CUARH et mit fin aux fichiers de police, mais la dépénalisation n'est pas encore
votée. La mobilisation militante est très forte.
1983 : "Vivre Gai en Méditerranée", avec volonté de laissé un espace pour les femmes du MLF, la référence à
"Lesbos" et "Mikonos" symbolise 2 espaces.
2 débats passionnés marquent cette UEH, l'un lié à la forte présence du Mouvement de Libération des Femmes avec le
double conflit qu'il superpose entre hommes et femmes, et entre lesbiennes militantes et lesbiennes discrètes favorables à
l'action souterraine dans le MLF, l'autre lié à la sortie avec perte et fracas des fondateurs du journal "Gai-Pied" d'un média
dans lequel ils ne se reconnaissent plus (derrière de Jean le Bitoux), autour de leur pamphlet "Gai-Pied au cul".
Quelques mots sur la fragilité de ces UEH, le GLH de Marseille est épuisé au sortir d'une UEH, il mène une vie
militante et festive au cours de l'année qui lui fait presque oublier l'éventualité d'une prochaine UEH. Et ce n'est souvent que
2 mois avant que les projets se précisent et les sollicitations extérieures s'amplifient. Il n'était pas rare que les marseillais
interrogés lors de la Lesbian & Gay Pride de Paris soient incapables de dire si la prochaine UEH allait bien pouvoir se tenir 1
mois et demi plus tard…
1985 : "Modes de vies, vie des modes", les initiatives les idées les projets se diversifient considérablement, et le SIDA
fait une incursion.
Avec cette UEH, nous avons les seuls "Actes" réalisées au cours de ces 5 premières UEH (l'idée de garder une mémoire
écrite ou iconographique n'est pas encore là, nous avons peu de traces de cette période), réalisés grâce au soutien du réseau
de minitel CMEC (et grâce à Jacques Vandemborghe et Jean le Bitoux pour l'association, nouvellement créée à Paris,
Mémoire des Homosexualités) à partir des conférences qu'ils ont organisées tous les jours de 15h à 17h avec les animateurs
de "Masques" et bien d'autres. C'est un document utile de confrontation sur les grandes thématiques du moment et les
analyses sur ce que nous vivons, par exemple Jacques Vandemborghe qui distingue déjà 5 périodes de notre courte
histoire : celle des années 50 (avec sa structure corporatiste autour d'Arcadie), celle des années 70 avec l'explosion du
FHAR, celle des années 75-80 où se met en place ce qu'il appelle "un phénomène d'expansion et d'irrigation sociale", celle
du syndicalisme gai (lobby et groupe de pression) en 79, et aujourd'hui dit-il, en 1985, "on entre dans la période" qu'il
qualifie un peu péjorativement de "fonctionnaliste". C'est aussi le moment de la confrontation pathétique entre les plus
mobilisés sur la nouvelle maladie, le SIDA, Daniel Defert et Frédéric Edelmann qui viennent de fonder AIDES, et de
nombreux gays à la fois incrédules et atterrés.
9
1987: "Créer" UEH foisonnante, littérature, entreprises commerciales, spectacles, création, écriture, mais en même
temps marquée par le déclin : moins de participants, montée du SIDA, l'essor des lieux commerciaux rend les UEH moins
essentielles, la présence du journal Gaie France (aux idées d'extrême droite, teintées de pédophilie) provoque un grave
conflit interne, dernière chose et non la moindre le GLH de Marseille est à la veille de son effondrement.
Ces années sont marquées par une importante diversification : média gay, créateurs, écrivains, avocats, médecins… les
mouvements d'Europe du Nord via l'IGA (International Gay Association c'est son nom alors), d'Espagne et d'Italie, ou du
Québec, les films, l'antiquité grecque, la santé (avec l'AMG, association des médecins gays), la FLAG (fédé des lieux
associatifs gais), le racisme et l'homophobie… Ce sont des années de soulèvement sans limites, débridées : nudité, enfance,
diversité des thématiques et des champs d'intervention, l'organisation est réduite (comparée à aujourd'hui) mais
l'inorganisation fait partie de la fête.
* C'est une période de passage de relais avec les plus anciens : Daniel Guérin (79), Arcadie, Yves Navarre, Françoise
d'Eaubonne, Gabriel Matzneff, FHAR, MLF, Geneviève Pastre…
* De rencontre avec ceux qui nous quitterons trop vite : Jean-Pierre Joecker, Jean-Marie Gombettes, Frank Arnal,
Gérard Vappereau, Michaël Polack, Gérard Bach-Ignasse, Pierre de Ségovia ou encore Franck Royon le Mée (musicien
marseillais prometteur).
* Le temps des 1ers échanges avec les pays proches.
* Le temps des rencontres avec ceux qui deviendront connus, et pour certains très connus : René de Ceccaty, Hugo
Marsan, Frédéric Edelmann, Daniel Defert, Christian Delorme, Joseph Caprio, Edmund White, Bernard Faucon,
Thierry Gamby, Michel Maffesoli, Catherine Lara…
* Le temps des échanges avec ceux parmi nous qui deviendront des militants connus, outre ceux déjà cités notons :
Patrick Cardon, Claude Lejeune, Mélanie Badaire (pseudonyme de Jean-Michel Rousseau)…
Les thématiques sont celles de la répression et de l'affirmation, les lieux de drague, mais aussi de la colère, de
l'exhibition, de la provocation, de l'organisation militante avec ses mots d'ordre en phase avec la dynamique sociale. Les 1ères
réflexions sur l'Education Nationale, la sexualité des mineurs, la question de l'âge de la majorité n'est pas loin ( 21 ans, 18
ans, 15 ans…), les femmes et la mixité, l'ouverture internationale, la prostitution, l'histoire (antiquité, moyen âge, XIXème,
XXème), les SM, les homos chrétiens, la transsexualité (en 1983 vient Marie-Ange Grenier qui vient de publier son livre aux
Ed. Persona dirigées par les animateurs de la revue "Masques"), la culture sous des nombreux angles, histoire et musique (les
castrats, les baroques ou Jean Genet), la danse, le théâtre, la voix (difficile d'oublier les voix de Thierry Roth-Platten
chantant "Carmen" ou de Suzanne chantant "On m'appelle Ziggy"), les arts plastiques et la photo (salut particulier à
Bernard Sellier), les opéras, le corps, les massages. Et enfin le SIDA, alors malédiction des gays, la recherche et la
prévention.
Mais peu à peu avec le minitel, les boites de nuit, les saunas, etc. de nouveaux lieux de rencontre, de nouveau réseaux se
créent. Certains entrepreneurs sont plus malins et voient déjà toutes les possibilités commerciales qui s'ouvrent (David
Girard a en particulier marqué cette époque, à Paris). Les petites annonces de Libération, puis de Gai Pied ont une place
importante. Chez les politiques, les syndicats, les églises, c'est encore le calme plat, hors quelques figures fortes et
courageuses. L'UEH est un havre de liberté d'expression, de rencontre, de liberté de vivre extraordinaire. Le cercle n'est pas
encore très large.
Mais "les 100 fleurs" liées à la dépénalisation, ce ne sont pas que les militants visibles aux UEH, c'est aussi
l'extraordinaire efflorescence des lieux commerciaux et des média commerciaux, c'est l'incroyable conquête de liberté
sexuelle à laquelle on assiste, à l'heure de la démobilisation militante (disparition des GLH, du CUARH, de l'UEH) à l'heure
de la montée du SIDA et de ce qui deviendra presque la seule mobilisation militante, la mobilisation contre le SIDA.
Le SIDA arrive comme un sinistre spectre dans cette explosion de bonheur.
La disparition de tant et tant d'entre nous va entraîner à la fois un repli sur soi de chacun, une démobilisation globale, un
reflux des combats militants, les plus actifs sont cassés, et certains peu à peu changent de combat.
Sans compter toutes les icônes que nous perdons, qui nous avaient communiqué peu ou prou leur énergie de Claus
Nomi à Rock Hudson, de Rudolph Noureev à Dominique Bagouet, de Guy Hocquenghem à Jean-Paul Aron.
D'autres combattants, d'autres militants se lèvent, et peu à peu la jonction se construit entre des militants de droits à
l'homosexualité et contre le SIDA.
Il n'y a plus d'acteurs pour un projet d'UEH de 1988 à 1998: 10 années - un peu tristes - sans UEH.
1999-2002 : la lame de fond
Les années SIDA les plus terribles sont passées. Ca et là, les militants se re-mobilisent. Le SIDA a fait apparaître
certains drames liés à la non reconnaissance du couple et de la succession entre 2 personnes du même sexe. Sans vergogne
des familles trahissent l'engagement affectif de leur fils pour un garçon et l'Eglise se fait fort de ramener à elle des âmes
pécheresses.
L'idée de la reconnaissance du couple via le partenariat civil avait fait son apparition chez les GPL dans la 2ème moitié
des années 80, désormais se constitue le collectif pour le contrat d'union civil, puis social autour de Gérard Bach-Ignasse et
de Jan-Paul Pouliquen, appuyé sur quelques députés sympathisants (Jean-Pierre Michel, Jean-Yves Autexier, Patrick
Bloche). Un réseau de soutien se constitue à travers la France.
Les nouvelles mobilisations politiques redonnent de la place aux revendications des droits par les homosexuels. Et
localement, le contexte politique paraît favorable, le gouvernement, la Région et le Département sont à gauche, et la mairie
paraît ouverte. Et puis, il y a la possibilité de donner du travail à un emploi-jeune, afin de décharger les membres du CA de
10
nombreuses tâches pratiques contraignantes. Sorti d'années d'hibernation liées à des raisons personnelles, Jacques Fortin,
toujours très intuitif, sent que le moment est venu de proposer le retour des UEH. Mais le contexte est différent, s'il y a un
renouveau associatif à Marseille avec les années 90, il n'y a pas d'association solide susceptible de porter un tel projet. Dès
97, Jacques prend contact avec des anciens du GLH (Jean-Pierre Léonetti, Alain Abignoli qui sera le 1er webmestre,
Mélanie Badaire, Gérard Goyet l'organisateur de nos soirées de fêtes, Christian de Leusse, Jacques Garry ou Jean-Luc
Van Haesebrouck) et surtout il active son réseau relationnel national (dont Pascale Bertault et bien d'autres), Marie Lou
Baldacci, présidente du CEL à Marseille s'y associera, elle deviendra co-présidente de l'UEEH, l'année suivante. Au cours de
l'année 98, une association se constitue ce seront désormais les UEEH, la formule ancienne a fait ses preuves, il y aura donc
continuité, ce sera la 6ème Université d'été. Jérémie Chambon, très motivé, est recruté comme emploi-jeune.
1999 : c'est l'année de la renaissance des UEEH, c'est aussi l'année du PACS. La force des UEEH c'est d'être en phase
avec le mouvement revendicatif national, que ce soit en accompagnement ou en opposition avec celui-ci.
"Relancer les UEEH, plus de 10 ans après sonnait comme un possible mauvais remake, mélange de nostalgie de vielle
comme le susurrait aimablement le milieu, et de concept ringard pour soixante-huitards harassés se cherchant un bain de
jouvence. Combien de fois ne me l'a-t-on pas suggéré ou carrément balancé à la gueule ! (…) J'ai bon espoir maintenant."
écrit J Fortin en introduction aux "Cahiers" florilèges réalisés après cette UEEH, en forme de revanche.
Ces Cahiers justement reflètent cette UEEH de reconquête, la mémoire vive de tant de ceux que nous aimions et qui
nous ont quittés, des noms de personnes connues (Gérard Bach-Ignasse, René-Paul Leraton, Frédéric Martel,
Geneviève Pastre, Christine Delphy, Evelyne Pisier, Suzette Triton-Robichon, Daniel Weltzer-Lang, Daniel Defert,
Jean le Bitoux, Guillaume Dustand, Peter Drucker ou encore Philippe Corcuff et Daniel Bensaïd), une forte réflexion
collective sur la "communauté" homosexuelle, des paroles d'ailleurs (de Roumanie avec Octavian du groupe Accept,
d'Afrique, sur les Turcs en Allemagne, sur les sportifs en Italie, ou sur la prostitution au Maroc), les mobilisations contre le
SIDA. Les femmes sont présentes mais se sentent trop minoritaires et pas assez respectées, écoutées, libres, elles disent avec
force leur souhait d'avoir plus de place dans les UEEH.
Marie-Hélène Bourcier est là et nous présente avec passion les Queer. Act Up organise ses rencontres de travail.
Madame H est déjà là, membre du CA des UEEH, et la fête devient extraordinaire, avec Gérard Goyet qui organise une
mini croisière en bateau dans la rade pour tous les participants, pour assister à un feu d'artifice en mer.
Dès la fin de cette UEEH, l'équipe animatrice veut recommencer. Ainsi, malgré l'épuisement, désormais les UEEH
seront annuelles.
2000 : Les thématiques foisonnent. Il y a 4 forums importants, sur la parentalité et l'homoparentalité (présentés par
Jacques Fortin, François Delor et Caroline Fourest), sur psychanalyse et homosexualité (qui a été surtout une foire
d'empoigne avec l'aide de Jeanne Favret-Saada), sur la mixité et les combats communs aux gays et aux lesbiennes (avec la
présence active de la coordination lesbienne nationale et de Christine Delphy), un grand forum sur les solidarités
internationales le de Roumanie, avec Eléna Goussiantinskaia qui s'occupe des Archives Gays et Lesbiennes de Moscou, un
chilien, un autrichien (Klaus Pirschner et Kurt Krickler) aux prises avec la montée de l'extrême droite dans son pays, un
hollandais (Gert Hekma), un catalan de Barcelone (Jordi Petit) porteur de la revendication sur le droit au couple en
Espagne ou encore un représentant du groupe marocain de lutte contre le SIDA (Habib et Othman). Mais il y a aussi Pierre
Seel qui parle de sa déportation en 1941, de la torture et de sa mobilisation forcée, la question des sans papiers avec
l'ARDHIS, la question de la visibilité homosexuelle dans l'enseignement, avec de nombreux enseignants, la question des
gays et des banlieues. Aldryx jeune prof d'éducation physique nous raconte les années difficiles de sa transformation
physique et son passage entre le genre féminin et le genre masculin. Ou encore la question de la bisexualité avec Daniel
Weltzer Lang et l'association Bi Cause.
Un atelier important se déroule pendant toute la semaine des UEEH, 3 garçons et 3 filles sont filmées pour raconter leur
"coming out" et cela donnera le film "Etre jeune et se vivre homo". Tandis que Jean-Michel Dariossecq organise le spectacle
sur les contes d'Hoffmann et Gérard Goyet sa fameuse kermesse érotique. Cette année là, Catherine Fabre, travailleuse
sociale à Tels Quels, note les UEEH, elle donne la note maximum pour la mixité (la présence lesbienne a frôlé, sans doute
pour la 1ère fois les 50 %), une note très moyenne pour les débats sans fin très franco-français sur le PACS, et une note nulle
pour la nourriture immangeable.
2001 : Les forums se poursuivent (sur la discrimination que subissent les LGBT dans de nombreux pays en particulier
en Turquie et en Argentine, sur le suicide des jeunes homos avec René Paul Leraton et Michel Dorais, sur l'écriture
comme jouissance avec plusieurs écrivains dont Erik Remès, Guillaume Dustand et Geneviève Pastre, enfin sur le devenir
des UEEH). Les ateliers prolongent ces thèmes sur l'Islam, le dialogue Nord-Sud, les réfugiés et demandeurs d'asile et en
particulier lorsque ce sont des personnes atteintes du VIH, l'éducation sexuelle à l'école avec Eric Verdier et Michel Dorais,
la parentalité homosexuelle avec Contact-Provence. Didier Eribon nous parle de Michel Foucault et François Delor
reprend la question de la psychanalyse. Les débats sur la misogynie aux UEEH font pendant à ceux sur la constitution d'un
réseau lesbien international (avec Claudie Ouellet du Quebec). Les CGL se construisent en réseau et l'Interpride profite de
l'occasion pour parler des différentes gay pride.
Colloque de grande ampleur "Etre jeune et se vivre homo" dans une grande halle de la foire de Marseille, il fait suite à
l'atelier filmé des UEEH 2000. Le ministère de la Santé est présent et soutien l'initiative. En 2003, ce film deviendra le
support de l'action de l'association fille des UEEH, LGBT Formation que créera Jacques Fortin en quittant la présidence des
UEEH.
2002 : Colloque, à la Région, "20 ans et après ? ", plusieurs des acteurs des années 80 racontent leur histoire et surtout
l'histoire collective d'un grand projet depuis la dépénalisation de 1982 (avec Gérard Bach-Ignasse), la libération lesbienne
11
et l'émancipation lesbienne vis à vis du mouvement féministe (avec Suzette Triton-Robichon), le CUARH et son journal
"Homophonies" (avec Jean-Michel Rousseau, plus connue sous le nom de Mélanie Badaire, et Catherine Gonnard), "GaiPied" (avec Jean le Bitoux), "Lesbia" (avec Catherine Marjollet), le cinéma homosexuel (avec Lionel Soukaz co-auteur
de "Race d'Ep" avec Guy Hocquenghem en 1979, et Yves Jeuland qui présente son film sur l'histoire du mouvement gay
"Bleu Blanc Rose").
Ce colloque est accompagné de plusieurs ateliers importants : sur le FHAR (avec Donald Suzzoni et Yves Clerget), sur
le lesbianisme radical (avec Natacha Chetcuti), sur les oubliés de la déportation (avec Jean le Bitoux co-auteur du livre
"Moi Pierre Seel, déporté homosexuel"et auteur de "les Oubliés de la Mémoire"). Sabrine Al'Rassace, Jean Thébaud et
Peter Drucker (sur les pays du Sud), Erik Rémès, Christophe Marcq et Cy Jung (sur l'écriture), Pierre-Olivier de
Buscher et Marie-Lou Baldacci (sur les états-généraux de la santé), Bénédicte Radal et Natacha Taurisson (sur les
transsexualité), Myriam, Othman et Aurélien (sur la prostitution masculine), William Fize et Jacques Fortin (sur
l'intergénérationel), Thierry Dionisi et Annie Feubos (sur l'homoparentalité), et encore le SM, le gode, le naturisme...
François Delor est là, sa conférence sur "la question de l'injure" est extrêmement suivie.
Les UEEH de 2002 sont marquées par la présence d'amis étrangers je pense en particulier à Eléna Goussiantinskaia qui
s'occupe des Archives Gays et Lesbiennes de Moscou, à Adijana Sisic vient de Bosnie, Marcin Lakomski qui vient de
Pologne, Alenka Jerse qui vient de Solvénie. Luis et Sergio parlent de l'Espagne et du Portugal. Sérine parle du Sénégal.
Cette UEEH est un feu d'artifice. Mais son organisation devient de plus en plus difficile. Les grands forums du soir sont
difficiles à gérer. L'équipe organisatrice croule sous les réclamations, les exigences et les petits conflits, le seuil des 500
participants est un seuil trop difficile à assumer, le choix de la dimension vacances "Club Méditerranée" entraîne des
interrogations de fond.
2003 : conformément aux conclusions du débat de clôture de l'UEEH de 2002, le choix est fait de ne pas faire les
UEEH, mais de tenir des Assises de re-fondation des UEEH qui dureront 3 jours d'intenses discussions. Toute l'organisation
est remise en cause et interrogée : l'un des points de départ est la question des coûts salariaux engendrés par l'emploi-jeune,
pourquoi ne pas se débrouiller seuls, en ce cas le CA devra s'investir beaucoup plus pour comprendre toutes les tâches à
accomplir et se les répartir. Mais bien d'autres questions arrivent, le CA ne veut plus avoir à panser toutes les plaies,
intervenir dans tous les conflits pour donner son arbitrage. Derrière cela se pose la question des violences, considérées à tort
ou à raison comme des violences sexistes, la question des relations entre les hommes et les femmes dans les UEEH, au bout
du compte se pose la question de la mixité jamais acquise, les femmes qui dépassent rarement le 1/3 des inscrits se sentent
presque toujours "minorisées", non respectées. Dès lors se pose la question de leur véritable participation aux décisions, et de
leurs libertés d'avoir leurs propres espaces. La question de l'implication des adhérents et adhérentes dans une université
d'été qui est la leur est enfin au cœur de la réflexion pour la reprise des UEEH: il n'est plus question qu'il y en ait qui
organisent et d'autres qui se fassent servir. La solidarité financière entre les participants doit être une valeur fondamentale.
Pour éviter l'image "Club Med", il faut limiter le nombre de participant et responsabiliser chacun.
Bien d'autres sujets sont abordés : Les UEEH ont un projet politique mais ne sont pas une organisation classique qui
"prend des positions", un espace pour que s'expriment tous les points de vue et toutes les composantes de la communauté
LGBT, les cultures, les orientations, les genres, avec une dimension de solidarité internationale forte, la question de la
dénomination des UEEH occupe une place importante parler des "homosexualités" ne reflète plus tout à fait le projet
collectif. Il est décidé aussi de mettre fin aux forums du soir qui mobilisent tous les participants aux UEEH sur des thèmes
certes importants mais où finalement peu de gens arrivent à s'exprimer.
Il faut noter la participation active et passionnante de Kursad, turc très engagé dans l'ILGA au plus haut niveau.
2004 : Le Colloque, à la Région, porte sur"les mobilisations en Europe contre l'homophobie, la lesbophobie et la
transphobie", organisé par Robert Simon (il sera la cheville ouvrière de la rencontre de l'ILGA Europe à Paris), avec
l'ILGA, le Conseil de l'Europe, le Parlement européen, mais aussi les différents mouvements militants européens ou non
(dont Line Chamberland du Québec, Peter Dankmeijer, Yves de Matteis, Christine Loudes).
Le CA s'est profondément renouvelé, avec Marie-Paule Lolo, Bruno Dion, Jean-Bernard Peyronnel ou Laurence
Tordo Rombaut, Tom de Pekin prend en charge les soirées et les fêtes. Pour la 1ère fois l'UEEH se mobilise très fortement
en faveur des sourds et malentendants, les "LSF", avec Didier Morel. Citons aussi la présence de Act-up Paris, du FAGC
qui fait de la formation sur l'homophobie en région parisienne, Florence Fradelizi qui avec ne constance remarquable anime
les séances de cinéma, Martine Gross qui s'exprime pour l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL)
sur les diverses formes de familles homoparentales, Pascale Ourbih présente le film "Thelma" sur la transsexualité, le
Collectif Homoboulot, Sandrine Dechaume sur la lecture et l'écriture, l'association Mix-Cité, le réseau Moules Frites (qui
regroupe les associations de jeunes gais et lesbiennes, ou l'Intercentres LGBT qui tient son rassemblement dans le cadre
des UEEH.
Florence Tamagne analyse l'histoire de l'homophobie en Europe et Louis-Georges Tin les discours homophobes, et
"les Verts" nous présentent les images du mariage de Bègles récemment célébré par Noël Mamère ce qui provoque bien des
débats. Internet, la Chine et le cinéma, la folle, l'homosexualité à travers la pub, etc. occupent les ateliers.
2005 : Le Colloque se passe pour la 1ère fois au Conseil Général 13, sur le thème "Féminisme et questions de genre",
avec le riche apport de Nicole Fernandez Ferrer du centre audiovisuel Simone de Beauvoir, les interventions de Elsa
Dorlin, Jean-Paul Rocchi, Marie Soutlages et Louis-Georges Tin.
9 cycles thématiques regroupent les activités: la visibilité lesbienne qui développe la thématique du colloque ; la
visibilité trans (avec Maud Yeuse, Karine Espineira, Jo Bernardo, Tom Reucher ou Karine Solène) ; la solidarité
internationale avec Marie-Paule Lolo et Hervé Caldo qui donnent la parole à Helem du Liban, à des LGBT de Turquie,
12
Lada Pasca de Moldavie, au 2ème festival de Cracovie, ou encore aux mobilisations françaises via l'ARDHIS et l'ILGA ; les
malentendants ; la santé, avec le CRIPS Ile de France, Act Up Paris, AIDES, Hélène Azera et Tom Reucher, mais aussi
Faïna Grossman sur le safer sex lesbien ; mémoire militance et société avec de très nombreux intervenants sur les luttes
passées et présentes en France (avec SOS Homophobie ou la création du RAVAD, réseau d'aide aux victimes d'agressions
et de dscriminations) ou dans divers pays (Québec, Espagne, Roumanie, monde islamique) ; les questions de genre via
l'écriture avec Pierre Guéry, les fanzines ou les courts-métrages ; la culture avec Queer Factory, Joao da Silva, Madame
H et Rémy Lange la musique, l'écriture, le cinéma, le cabaret, le théâtre et les marionnettes ; la détente enfin avec les
PopinGays, les soirées musicales ou la Play Party.
2006 : Le Colloque sur "Les discriminations LGBT au travail" organisé de main de maître pas Thomas Vaucouleur, se
déroule à l'Hôtel de Région, il porte sur les discriminations dans l'embauche ou dans l'emploi des Lesbiennes et des Gays, et
particulièrement des Trans, avec leurs conséquences psychiques pour les personnes, présentées par Eric Verdier, et le rôle
des réseaux LGBT (Autre Cercle, Homoboulot, SOS Homophobie) et acteurs sociaux (syndicaux en particulier) pour une
stratégie de prévention et de défense des personnes. Ce Colloque a été en particulier l'occasion d'entendre les témoignages
très émouvants de Bambi, July et Miguel (de Barcelone) dans leurs parcours de transition et leur insertion sociale dans leur
nouvelle peau.
Cette UEEH est plus récente dans nos mémoires. Est-il besoin de rappeler les débats et les fêtes ? Débats sur les
Intersexes (avec Vincent Guillot), autour du genre et des transgenres, ou encore de la transparentalité, sur l'homosexualité
au Moyen-Orient, sur l'écriture avec Pierre Salducci ou Béatrice Alonso, sur les persécutions des LGBT dans les pays
d'origine avec l'ARDHIS, sur les lesbiennes (porno, santé violences, massages…), sur les combats des Panthères Roses et
des Pantéras Rosa du Portugal, mais du théâtre, de la chorégraphie, du cabaret, de la musique, des contes, des corps en fêtes
et en photos, et l'apparition des super héros gays et lesbiens dans la BD vus par des passionnés des Flamands Roses.
Enfin, il faut souligner que les livres occupent toujours une place importante grâce à Jacques Ars (et sa "Bernique
Hurlante") qui a connu la toute 1ère UEH, et à la libraire "Les Mots pour le Dire" de Laurence et Delphine présente depuis
quelques années à Marseille, et aux UEEH.
30 ans d'histoire, de militantisme et de folies. Les UEEH sont décidément un moment exceptionnel vers lequel il est
difficile de ne pas revenir.
Christian de Leusse
Mémoire des sexualités
13
14
15
Association de lutte contre le sida déclarée le 26 07 1989 (loi de 1901) – SIRET 394 895 569 00025 – APE 913E
« All gay men and women must let ourselves feel colossally proud of such an achievement. Hundreds of millions of people
will be healthier because of us. Would that they could be grateful to us for saving their lives.
So many people have forgotten, or never knew what it was like. We must never let anyone forget that no one, and I mean no
one, wanted to help dying faggots. »
Larry Kramer, We Are Not Crumbs; We Must Not Accept Crumbs, Remarks on
the occasion of the 20th Anniversary of ACT UP, NYC's LGBT Community
Center, March 13, 2007
Dès la création du groupe à Paris en 1989, Act Up-Paris se définit comme un groupe activiste de lutte contre le sida issu de
la communauté homosexuelle. Les utopies du mouvement de libération sexuelle des années 70 paraissaient alors anéanties
par l’arrivée de l’épidémie de sida qui frappait particulièrement les gays.
Les premières associations de lutte contre le sida comme Aides et VLS étaient d’abord fondées sur l’accompagnement et la
solidarité avec les malades. En choisissant une approche revendicatrice, Act Up-Paris renouait les fils de l’activisme du
FHAR et de la génération précédente. C’est l’entrée du militantisme homo dans la lutte contre le sida : on passe d’une
politisation de l’homosexualité en 1971 à une politisation de la maladie. Pour Act Up, l’épidémie de sida était d’abord une
épidémie politique qui impliquait une prise de parole à la première personne et une réponse communautaire.
L’association développe alors une politique fortement inspirée de la politique queer de Michel Foucault autour des savoirspouvoirs et de la création de dispositifs stratégiques qui interrogent les rapports médecins/malades, la place des minorités
dans la société par le biais de la construction d’une expertise des malades et des personnes concernées ainsi que des
démarches de visibilité. En ayant à la fois recours à une communication agressive, au lobby et à l’action publique, Act Up
renouvelle profondément l’approche militante en France.
Volontairement provocateur, le travail mené par l’association contribuera largement à la spectaculaire mobilisation collective
de la communauté homosexuelle qui conduira un temps à une réduction des nouvelles infections de sida dans la
communauté. La lutte contre le sida désormais partie liée au militantisme homosexuel autorisera les avancées majeures dans
le domaine des droits LGBT intervenues depuis les années 90 (union homosexuelle, loi sur la discrimination et
reconnaissance sociale de l’homosexualité).
Après l’arrivée des trithérapies en 1996 face à une épidémie qui dure, on assiste au développement d’une banalisation de la
maladie qui remet profondément en cause les représentations liées au risque de transmission du sida. Malgré le fait que près
de 20% de la communauté gay est infectée par le virus, on peut parler clairement aujourd’hui d’un contexte de déni. Celui-ci
se traduit à la fois par l’absence de parole sur la maladie, le renforcement de comportements individualistes qui font le jeu de
l’épidémie ou la volonté de définir un nouvel agenda politique qui ferait l’impasse sur le sida. C’est ce déni qu’il s’agit
d’interroger ici comme la manifestation la plus évidente de l’impact et du traumatisme créé par l’épidémie sur notre
communauté.
16
Aux origines de l’Université d’été,
quelques questions que nous nous posions (1975-1981)
Jacques Fortin
Thèmes de réflexion
1° Les mots (maux) pour (se) le dire
génération sortie du silence
groupes de paroles
masques et visage découvert
nous sommes des enculés et vous ?
2° Pédés et Gouines, l’éternel mal/entendu.
Féminisme et séparatisme
La guerre des oppressions
Hommes et Femmes ?
L’assignation homosexuelle
3° Féminitude, folitude... , les illusions perdues.
Nos culs sont politiques
Contestations du pénis
Gouins et gouines ?
4° Subversion/ intégration, libération / Libertés...
Le dilemme des droits
Le piège des libertés démocratiques
5° L’insurrection tranquille...
Mme Lesbienne et mr Gai s’en vont en guerre
mais... qui est homosexuel ?
6° L’offensive libérale et l’étranglement par le Sida.
Niche de marché
La folie identitaire
Ordre normal, ordre moral... Mariage et parentalité ?
17
Figures d’identification et transmissions générationnelles
Catherine Marjollet
A partir d’une revue de presse rapide et d’un regard s`%ur les apports et les limites des médias lesbiens, de la
médiatisation des lesbiennes, des films de fiction mettant en scène des lesbiennes, nous analyserons comment
la représentation psychique de soi et l’image donnée à voir à l’autre s’articulent dans la construction
identitaire d’une personne. Dés lors, cette question ne concerne pas seulement les lesbiennes mais toutes les
personnes en devenir d’orientation sexuelle et d’identité de genre.
Concernant la représentation psychique de soi, en quoi l’image et son commentaire viennent constituer des
figures d’identification et de contre-identification parfois massives ou déniées ou déplacées pour constituer
une identité de genre ou une orientation sexuelle ? Pourquoi ces identifications occupent parfois toute la place
identitaire ? Comment permettre aux LGBT d’assumer et d’harmoniser leurs genres et leurs sexualités ?
Concernant l’image donnée à voir à l’autre, nous aborderons un autre thème essentiel : celui des transmissions
générationnelles entre LGBT.
En quoi les images médiatisées et datées permettent la constitution d’un patrimoine
psychique et socioculturel commun ?
Comment ce patrimoine permet de constituer des figures d’identification ?
Pourquoi ces transmissions générationnelles permettent aux jeunes LGBT d’échapper aux
risques dépressifs et suicidaires ?
Catherine Marjollet
18
La littérature esquisse d’une communication/ débats à l’UEEH 2007
Geneviève Pastre
Le rôle fondamental de la littérature gaie et lesbienne, dans l’évolution de notre histoire culturelle et dans la formation du
soi. Enfin le plaisir du texte sans voile.
1° Nous partageons tous et toutes l’expérience fondatrice de notre vie, de la découverte, de notre élan, de notre désir
spécifiques, irrésistibles et joyeux, qui se heurte frontalement à la réalité immédiate de la société et à toutes les images que
nous offrent les médias ; or nous ne pouvons pas vivre en marge, isolés, sans repères, sans une mutilation de nous -mêmes
voire une autodestruction. Il s’est produit dans les trente dernières années grâce à 68 puis au FHAR et au MLF (des tous
débuts) une véritable explosion de tous les archaïsmes des tabous, une libération des mœurs du dire et de la visibilité des
homosexualités. Et la littérature y tint et y tient une place capitale.
2° Il faut,en effet,distinguer les recherches théoriques très honorables mais visant à établir des lois générales « scientifiques »
, dont chaque individu ne reste qu’une illustration, et l’expression essentiellement et délibérément subjective, du roman de la
poésie de l’essai (au sens où l’entend Montaigne bien sûr) ; à travers les millénaires Sapho (et pour une part Platon) en reste
le paradigme. Cette écriture, sous la forme de récit de roman, d’autobiographies de chant de parabole de fiction, nous touche
directement, en tant que je -sujet au cœur de la vie dans notre destin singulier. Le « Madame Bovary c’est moi » peut
s’appliquer à toutes ces écritures qui nous révèlent à nous-mêmes, nous situent dans le temps, l’histoire, l’espace, les
sociétés, posent les questions que nous nous posons, ne cherchent pas à nous convaincre, mais nous invitent à nous identifier
à comparer à partager, à toucher nos sensibilités et nous émouvoir tout en nous faisant réfléchir.
3° Le livre plus encore que la TV les films les médias : un objet maniable transportable qu’on peut lire par bribes prendre pas
n’importe quel bout jeter reprendre apprivoiser lire cent fois n’importe où, sans avoir de rendre compte à personne, nous
laissant libre d’imaginer personnages et lieux, élargissant notre univers quotidien, l’éclairant.
Ce phénomène est particulièrement sensible et important pour nous gais et lesbiennes ; à des périodes où le non dit,
l’allusion, les contorsions ou distorsions, s’imposaient presque (Proust. Gide) mais où les révoltes provoquèrent scandales et
procès (Oscar Wilde, Genet) ou boycotts des textes triomphants, (Violette Leduc et moi-même), a succédé, avec des hauts et
des bas (encore aujourd’hui) une période plus ouverte totalement libre. Il existe une floraison de romans surtous les
continents (France Canada Japon USA etc), loin des stéréotypes et des pessimismes. Ce sont des tableaux de mœurs, des
milieux lesbiens ou gais, des passages et liens des mondes hétéros et homos, des analyses de caractères, des scènes de la vie
privée, sous des angles de vue très variés, humour, passions, incommunicabilité ou bonheurs etc (Catherine Hubert, Nina
Bouraoui, Lionel Duroi, Stephen Mac Cauley et des récits d’expériences plus propres aux gais (Hervé Guibert le rôle du
sida) ou aux lesbiennes (de la conjugalité à l’amour des femmes, Marion Page) .
4° En conclusion, il faudrait dire la multiplication des maisons d’éditions, la relative insuffisance de la critique malgré des
réussites (Masques et La Référence), mais aussi l’apparition d’une production commerciale et des effets de mode (le hard le
cul le polar, romans sentimentaux) et les difficultés de la diffusion, mais l’apparition des libraires, des sites, des radio s(
Fréquence gaie, puis tant d’émissions), mais aussi le bouche à oreille délicieuse le bouche à oreille. Enfin la réticence de la
presse et des médias hétéros, qui faussent et cloisonnent les regards, au lieu de les croiser dons une curiosité mutuelle
bienveillante et enrichissante pour tous et toutes.
Et place aux créations nouvelles !
NB le choix des auteurs ou ouvrages cités ici ne l’est qu’à titre indicatif et ne prétend aucunement à une quelconque
exclusivité.
Geneviève Pastre
19
La société binaire en question
Maud-Yeuse Thomas
Mon intervention porte sur une généalogie des révolutions conceptuelles, culturelles et sociales qui ont forgé le XXe
siècle. Je parle des mouvements féministe, homosexuel et transidentitaire qui ont remodelé le paysage binaire que
nous connaissons si bien. Je vais d’abord faire un point sur le groupe trans. Je suis partie de plusieurs fils :
- le groupe trans existe t-il ou ne sommes-nous toujours que des individus isolés, allant d’un sexe (physique et social)
à l’autre et ce faisant, validant le modèle binaire-cisgenre sans broncher ?
- quelles représentations culturelles du groupe trans’ ?
- quelles théorisations possibles ? Quels liens entre la théorie, les pratiques sociales et le militantisme trans ?
- quelles revendications sociales, outre la revendication de la dépsychiatrisation et ce que cela implique dans la prise
en charge ?
- quels rapports et relations entre le groupe trans politiquement émergent et les autres groupes sociaux dans ce
positionnement sociopolitique tels que le féminisme et le mouvement homosexuel ?
En sus, quels rapports entretiennent la théorie et la politique, la science et le gouvernement des moeurs ?
Quelques repères. Nous partons d’une situation où, face au modèle sociohistorique binaire (« il n’y a que deux sexes
et deux genre et rien d’autre »), la réponse gestionnaire a été l’exclusion ou le transsexualisme chirurgical à marche
forcée. C’est transsexe ou pas de papiers. Les transgenres étant priés de s’y plier ou de renoncer. En point de mire de
cette gestion rationalisable, l’invisibilisation des trans sur le modèle des intersexes et pour dire de cette « population
globale » qui n’en finit pas de se découvrir « hétérosexuelle ». Ce qui pose de manière explicite avec les trans et
intersexes : qu’est-ce qu’on opère et pourquoi l’on opère ou pas ? Nous connaissons la réponse : la renaturalisation du
mode binaire.
Il a fallu attendre les années 80 pour la création-visibilisation des associations et les années 90 pour leur politisation
avec l’Existrans. La visibilisation et la montée en puissance des trans au groupe social trans’, s’effectuent
partiellement sur le modèle homosexuel puis une intégration sous le signe LGBT et aujourd’hui, une ramification
avec les intersexes et les queers tout en signalant la disparition des bisexuels. Au cours de cette décennie, au contact
de la théorie queer notamment, nous sommes sortis du modèle hiérarchique binaire strict avec un regard en critique
radicale de l’essentialisme binaire et le type de société afférent. L’une des questions principales aujourd’hui est
l’identité et la socialité trans distinctes et autonomes de la socialité binaire. L’autre question est le sens de la transition
comme processus ouvert, non fini ou l’opération est une variable individuelle dans un contexte où les transidentitaires
sont désormais un groupe social.
De fait, la question que l’on me pose le plus souvent est (sous des formes diverses et plus ou moins angoissées) :
comment sort-on du modèle binaire ? Peut-on en sortir ? qu’y a t-il derrière le mur binaire ? Y a t-il seulement
quelque chose ? Bref, plus de peurs sous-tendues que de questionnements. L’autre type de question est : ne détruit-il
le modèle binaire ? Ici, c’est l’enjeu du pouvoir qui pointe son nez.
Révolutions conceptuelles, révolutions sociales
Nous avons longtemps buté sur l’enceinte binaire que le modèle pathologique aveuglait. Le transsexualisme relevait
alors du médicochirurgical au cas-par-cas, surgissant d’un nulle part et retournant dans l’anonymat. On retranche une
femme et on ajoute un homme à la population. La lutte homosexuelle a buté contre ce même modèle, conduit par le
clivage homo/hétéro. Le féminisme a butté directement sur le clivage homme/femme. Ces trois groupes sociaux
croisent le fer avec la société inégalitaire, et nous sommes producteurs de ce retournement, qui n’est qu’une partie de
la société et non toute la société. Ces luttes historiques ont produit deux révolutions conceptuelles et sociales très
profondes sur la société d’aujourd’hui.
Le féminisme jette les bases d’une première contestation : celle de la société inégalitaire mais nous avons toujours
beaucoup de mal avec la révolution conceptuelle de Beauvoir sur la distinction naissance/devenir. Sans doute parce
qu’elle n’a pas remis en cause ce plancher naturel que notre sexe symbolise. C’est la remise en cause de la notion
d’invariant et de socle, en l’occurrence le discours de la « différence des sexes » que ces trois révolutions effectuent.
20
Les homosexuels ont produit quant à eux/elles une révolution sur l’orientation sexuelle ; plus précisément, le lien de
l’identité sexuelle et la sexualité en invalidant la notion d’inversion. Les transidentitaires effectuent une troisième
révolution socioconceptuelle, aujourd’hui en lien avec les intersexes, que nous appelons par commodité « identité de
genre ». Mine de rien, nous posons la question du socle homme/femme de manière autonome du mythe naissancedevenir, ce qui fait dire à nos détracteurs qui s’y connaissent parfaitement, que nous transgressons la nature ou si vous
préférez la « fondement de la civilisation ». Nous reprenons à notre compte la révolution beauvoirienne et la
prolongeons en interrogeant ce naturaliste contemporain dissimulé derrière l’élégant essentialisme contemporain.
Auparavant, il n’y avait pas ces deux modèles en face-à-face, l’essentialisme et le constructivisme, mais ce surplomb
universaliste, cet index remplaçant la bible.
Le queer va en venir à une position anti-essentialisme et anti-assimilationnisme, y compris en direction de
l’essentialisme homosexuel passé au rang d’institutionnalisation en se débarrassant de l’encombrant questionnement
sur le genre. Mais ce faisant rebinarisant la question de la différence des sexes dans cette opposition caractéristique
que symbolise le rapport sexe/genre
Je vais m’arrêter sur la question du modèle binaire validé in extremis par le transsexualisme psychochirurgical (qui a
été l’argument principal pour nous stigmatiser) en insistant sur l’invisibilisation que permettait la pathologisation ;
cette dernière est une fonction politique et non une question médicale. Provoquons-nous, transgressons-nous ce
« fondement » ? Absolument. Je postule que l’identité est une croyance et une thèse politique et non un « plancher »
ou un surplomb validant un modèle métaphysique déterministe. La division actuelle entre « trans binaires » et « trans
queers » réside sur la fonction de critique politique et non sur les questions annexes telles que l’opération et la
question des papiers. Pour les unEs, la question de la dépsychiatrisation est un préalable politique ; pour les autres,
une prise en charge avec ce que cela implique. Les unEs valident le modèle binaire par adhésion à la reproduction
sociale, les autres créent et vivent l’aventure d’une socialité non-binaire.
A l’examen, l’homosocialité gère le créneau de l’orientation sexuelle, le groupe trans l’identité de genre. Le
féminisme aujourd’hui s’est étendu à toutes les questions, notamment avec le féminisme queer. Je n’oublie pas ici la
violence qu’il y a dans notre société à être une femme, à transitionner vers l’identité-femme, en sus d’être trans. Une
double oppression qui se canalise désormais vers les transgenres dans cette position entre-deux-chaises imageant si
bien le déni du modèle binaire. Pendant longtemps, chaque groupe autonomisé dans la stigmatisation a rejeté le
travesti comme symbole/référent négatif pour un accès mesuré au paradis binaire face au pouvoir magique de la
normalité. Nous savons aujourd’hui que la normalité est un dangereux fantasme politique de pureté. L’efféminé
apparaît également sous les plumes de gays tout aussi pressés d’acquérir une masculinité « réelle » comme des
lesbiennes radicales désireuses d’en finir avec cette même féminité et inventant un nouveau paradigme dans le couple
butch/fem mais, paradoxalement bute encore sur la lesbienne « lipstick ». A cet égard, précédant l’identité transgenre,
la culture drag a composé une des pages marquantes dans ces révolutions conjointes mais longtemps orphelines car
sans passerelles. Efféminé qui dans la hiérarchie des infériorisations fixe des critères de tri entre le sain et la
pathologique, cette nouvelle manière d’écrire et de faire le tri entre le bien et le mal dans cette généalogie sexiste et
raciste. Pour la conception queer que je défends, efféminé est un genre comme l’est le garçon manqué et la folle.
Après tout, les efféminés que je croise le plus souvent sont des femmes. Question de culture. De la différence des
sexes à la différence des races, se construit un échafaudage de croyances qui permet, après les asiatiques de désigner
les Amérindiens comme des populations au tempérament pathogène, efféminé et faible1. Exactement le profil que
certains auteurs adoptent pour désigner les trans’ qui somme toute, sont ce peuple caché, cette colonie invisible et
aujourd’hui ce village d’irréductibles non-binaires pointant l’hégémonie politico-scientiste de notre époque. Très
banal, les « experts » en transsexualisme, partant du terme d’efféminé chez les garçons (« de naissance »…) pour
valider (ou invalider) les prises en charge des suivis des transsexes.
C’est dire si le transsexualisme sert aujourd’hui de boussole à la renaturalisation en liquidant les révolutions
féministes, homosexuelle et la révolution intergenre qui pointe son nez.
Reste ce jeu de ping-pong narcissique et cruel sur la scène sociale entretenant violences et refoulements qui exigent
ensuite analyses, médiations, réparations et guérisons. Et donc experts et diagnostics. Violences dans les groupes
trans qui se disputent l’accès symbolique au « vrai » (vrai trans=vraie femme ou homme), au groupe intersexe
cantonné à incarner une erreur de la nature, cet ultime argument politique de la binarité. Chaque groupe discriminé
s’empare de cette division cruelle entretenant des conflits de retranchements. On entretient là un niveau phobique
culturellement acceptable et acceptée par la « population » qui y voit un légitime baromètre social avant de changer
d’avis avec la reconnaissance en ayant placée la valeur de tolérance au-dessus de la valeur d’appartenance. Une
histoire de combat ou le communiqué idéologique prend toute sa place dans ces articles rageurs permettant la non
responsabilité devant les actes. Voir le procès gagné par Colette Chiland récemment contre les militants d’Act-up, les
meurtres de trans passés sous silence ou focalisés sur un seul individu isolé désigné alors comme meurtrier et
déchargeant ainsi de toute responsabilité de l’idéologie binaire. En bref, reconduction de l’instance de la différencedes-sexes comme normalité. L’accès à ce pouvoir si particulier reste inchangé et c’est la raison de l’enjeu sur le genre
qui vient invalider la croyance en deux sexes sociaux. C’est sur le terrain des identités sociales que l’on contrôle, tri,
politise. D’où l’accès aux papiers d’identité qui doivent être « officiels » et distinguant dans les trans, ceux et celles
sui valident la société binaire et ceux et celles qui ne la valident pas.
1
Elsa Dorlin, La matrice de la race, généalogie sexuelle et coloniales de la nation française, Ed La Découverte, 4e de couverture.
21
Ce qui est interrogé, c’est la question politique des régulations constituées sous le poids de l’inégalité vendant un
modèle universaliste rassurant pour masquer toutes les colonisations, de la controverse de Valladolid à la controverse
trans. Après la question de l’église chrétienne, les femmes ont-elles une âme ?, la question de la psychiatrisation : les
trans ont-il/elles une âme ? Le vrai sujet étant un échange symbolique du type : échangerait appartenance fixée contre
discrimination par compétitions interposées en repoussant symboliquement les travestis, ultime avatar de la révolution
sociosexuelle inachevée et surtout totalement inaboutie.
Quelles interrogations de fond ?
Ce fameux « fondement », c’est la division homme/femme sous la forme d’une question simple et particulièrement
déroutante : qu’est-ce qu’un homme, une femme ? On bouscule à la fois le mode d’organisation de la société et avec
lui le mode de subjectivité, de socialisation, de séduction… On se souvient de la réponse de Monique Wittig, je ne
suis pas une femme, mais une lesbienne en ayant provoqué une critique si brutale qu’elle est restée largement
incomprise, l’époque n’y voyant que provocation et transgression. Wittig provoque une rupture si profonde qu’elle a
valeur de révolution conceptuelle. Une autre auteure, toujours non traduite, est la conception queer du
transsexualisme par Kate Bornstein, Gender outlaw. Kate pose déjà cette révolution conceptuelle en invalidant la
psychiatrisation et posant une autonomie de l’identité trans’. Elle repose la question entre les trans et les non-trans et
non plus entre le modèle déterministe et universel et une exception trans. Elle sort le transsexualisme de la réponse
uniquement chirurgicale et surtout de la lecture essentialiste. En féministe, elle sort le transsexualisme de la hiérarchie
binaire inégalitaire ; en lesbienne queer, elle le sort du clivage politique homo/hétéro. Je résume sa pensée par la
mienne : je ne suis pas une femme mais une transidentitaire.
Avec la question qu’est-ce qu’un homme, une femme ?, on n’en est plus à soulever tel ou tel invariant d’une équation
absolue que serait l’homme et la femme, mais le socle de cette conception reposant sur des déterminismes et des
variables. Poser cette question, c’est poser la question sur la conception de normes et donc de cette métanorme qu’est
la normalité comme référent atemporel et ahistorique aux côtés de normes que sont par exemple le rapport sexe/genre,
la division des sexes sur le modèle de la division des classes, etc. Nous posons donc que le corps est une variable -et
non un socle immuable, un point de départ absolu- d’une équation non fixiste et non déterministe, ce qui implique
qu’il y a une construction du corps comme il y a une construction du genre, de la sexualité, de l’identité de genre et de
l’identité sexuée et sexuelle. En bref, nous sommes sorti-es d’un modèle de poupées russes d’afférences simples,
expliquant le rapport sexe/genre, naissance/devenir pour un mode complexe de variables interdépendantes, plus ou
moins autonomes, ou l’explication causale ne tient plus, où le « sexe » ne « s’emboîte » pas dans le « genre ».
Il est donc temps de reformuler la définition sur la cause du transsexualisme et notamment cette vision d’un genre
opposé au sexe. C’est la définition binaire puisque l’on postule que le sexe produit/induit le genre (ou l’inverse
d’ailleurs, le genre produit le sexe dans cette symétrie appelée « coïncidence sexe-genre »). Je postule que c’est le
genre de développement qui est opposé au genre d’assignation. Et c’est ce genre de développement (Patrick Califia
l’appelle le genre de préférence) constituant l’individuation qui construit le rapport conjoint au corps et à la société.
Tant que nous validerons la réponse binaire d’une opposition du sexe avec le genre, nous validerons par omission une
opposition des termes qu’il est aisé de marginaliser, minorer et pathologiser.
Ce qui est interrogé, c’est ce « fondement » historique validant la croyance constituée par le fait de l’homme et de la
femme 1) comme fait de nature ; 2) comme identités réelles et viables indéniablement, c’est la dernière et la plus
puissance croyance de l’Occident. Cette croyance résiste à toutes les explications et changements jusqu’à présent.
Croyance qui reposait sur une biologie déterministe faisant lien entre la naissance (le « sexe) et le devenir (le
« genre »). En un siècle, nous sommes passé-es d’un « destin dicté par le corps » à un dessein donné par nos
chromosomes ; vision que les intersexes invalident définitivement. Là encore, les critiques font mouche : si l’on
bouscule ce socle, les conditions de ce que l’on pose ne sont-elles pas détruites ? Si ce socle, c’est le modèle binaire
comme symbole universel valable pour tous et toutes, en effet nous « détruisons ». Si ce modèle binaire n’est qu’une
partie d’un Tout universel, nous ne faisons que poser notre existence. Une existence viable, non menacée par une
théorie et un modèle qu’il soit politique, social, militaire, scientiste ou autre.
Il est temps de reposer deux points fondamentaux :
1. les trans, intersexes et androgynes ont toujours existé dans toutes les sociétés et toutes les époques. Certaines
sociétés ont inclus dynamiquement ces identités dans un système de socialités, d’autres non dont l’Occident. Nous
sommes dans une société démocratique et ne pouvons, même par défaut, valider un modèle socioculturel qui trie une
partie de la population sous des critères à géométrie variable. Tantôt les féministes pointant la société inégalitaire, les
homosexuels invalidant l’inversion sexuelle et les trans invalidant l’inversion de l’identité sexuelle en pointant
l’identité de genre. Il est manifestement utile de rappeler que les tyrannies politiques s’appuient toutes aujourd’hui sur
des modèles prétendument scientifiques.
2. La question de notre existence au statut d’intégration est posée en permanence par les trans : le transsexualisme
médico-chirurgical existerait-il si les transidentités avaient trouvé une place adéquate dans une société/socialité
multiple ? Faute de place et de médiation sur la scène des identités reconnues passés au rang d’habitus, la réponse
22
était vouée à la spéculation idéologique. L’émergence des nouvelles identités, notamment transgenre et transvariant,
androgyne et intergenre, est en train de changer la donne car le mécanisme binaire de reproduction est rompu par ces
sociabilités non binaires. Nous sommes passés d’une problématique de l’exception trans d’individus isolés au groupe
social des transidentitaires débordant largement le fait médico-chirurgical et donc les trans eux-mêmes.
Une fois le modèle binaire décapé de ses dénis, reproductions sociales et tyrannies intellectuelles, l’on constate que la
thèse essentialiste est une thèse qui trie les uns des autres dans la population globale, toujours aussi silencieuse,
validant par défaut ce modèle binaire de l’Homme et de la Femme.
Je terminerais comme suit :
Le modèle pathologique des pseudos-experts est-il un outil politique de normalisation/gestion de la population ? Oui
Est-ce que nous transgressons/contestons les valeurs, modes, modèles et le fondement de la société binaire ? Oui
La transidentité comme mode/modèle de vie/socialité est-il possible de manière autonome de la binarité ? Oui
La transidentité est-elle le seul apanage des trans ? Certainement pas. Trans signifie au-delà et non plus un aller
simple. Nous sommes désormais à l’orée d’une société multiple à X sexes sociaux et X genres sociaux. Une société
multi-identitaire à l’instar d’une société multiculturelle.
Maud-Yeuse Thomas
23
« Egalité des droits et représentations »
Julien Tardif
Document d’orientation :
« le concept d'égalité est-il suffisant pour comprendre l'enjeu posé par les questions LGBTI ? Vers une éthique
complémentaire de l’individu concret et ordinaire»
Julien TARDIF
[email protected] -06.68.80.02.40.
Doctorant en Sociologie
Moniteur - Allocataire Région PACA 2005 - 2008
Laboratoire d’Anthropologie
“Mémoire, Identité et Cognition sociale”
(LAMIC, E.A. 3179)
http://www.unice.fr/LAMIC
Secrétaire de l’association Polychromes
Référent du pôle Sciences Humaines et Sociales & Littérature
http://polychromes.fr/
Ce colloque est l’occasion d’investir la notion de « culture » en interrogeant ses relations avec les revendications LGBTI
(Lesbienne, gay, bisexuel-le, transsexuel-le, transgenre et/ou intersexué-e) au travers de la question suivante : en quoi la
notion de « culture » peut-elle servir de support pour un investissement militant dans le champ des revendications politiques
et morales ? Je souhaiterai développer l’idée qu’il existe différentes formes d’argumentations en terme moral ou éthique : les
revendications modélisées sur un aspect juridique (la revendication pour l’égalité des droits par exemple) n’étant que l’une
d’entre elles. Les formes du lien social investies à travers la notion de « culture » pourraient prendre leurs sources dans une
tout autre forme de revendication que l’on pourrait circonscrire avec le développement ces dix dernières années, des travaux
en philosophie et sociologie morale autour du concept de « reconnaissance sociale » (notamment les travaux du chercheur
allemand Axel Honneth pour ne citer qu’un des plus connus). La question est donc de savoir comment s’articule la sphère
juridique de revendications à cette, ou ces autres sphères où les questions culturelles prendraient place avec plus d’aisance.
Mais c’est oublier que le débat sur cette articulation à travers la question simple - en apparence - « existe-t-il des cultures ou
des identités LGBTI ? », est le plus souvent réduit (presque systématiquement) à la question d’un choix de société entre une
perspective communautaire et une perspective républicaine (pour le cas français). Peu perçoivent les enjeux de penser les
deux perspectives ensemble comme les deux faces d’une même pièce, celle de la complexité des phénomènes sociaux.
Je présenterai, pour tenter de sortir de ces apories, l’ouverture actuelle qui se fait jour en sciences humaines et sociales vers
le développement de débats contemporains sur les éthiques de « l’individu concret et ordinaire » en pensant la place réservée
dans les débats politiques à ces formes d’expressions et de revendications qui regroupent les notions d’intérêts, de
différences, d’attachement à des appartenances, le fait d’être en demande de reconnaissance, de respect… Ce, afin de fonder
de nouvelles perspectives socio-anthropologiques & psycho-affectives d’orientations non pas concurrentes mais
complémentaires aux formes juridiques (concepts d’égalité - de droits formels - de responsabilité – d’autonomie) et à la
représentation de l’individu abstrait qui y est rattachée.
Nous devons le regain d’intérêt en philosophie morale en France pour le concept « d’ordinaire » aux travaux de et-ou dirigés
par Sandra Laugier et Patricia Paperman, que je remercie chaleureusement pour nos discussions récentes qui m’ont fait
avancer vers la conceptualisation polarisée figure concrète vs abstraite de la personne morale et des régimes d’actions
afférents.
« Ce travail collectif rejoint des préoccupations récemment apparues pour le commun comme concept des sciences
sociales. Sur le plan politique, la revendication de l’ordinaire et du commun permet de considérer autrement les problèmes
de la démocratie, de la communauté, de l’égalité, et d’examiner à nouveaux frais les termes du débat qui opposent, depuis
longtemps, libertariens et communautariens. Sur le plan éthique, l’examen attentif des pratiques sociales communes, de nos
conversations et gestes ordinaires, de l’ordre des interactions publiques ou privées, permet de réorienter le questionnement
moral » (Claude GAUTIER, Sandra LAUGIER (sous la dir de), L'ordinaire et le politique, PUF, 2006).
24
Je montrerai en quoi la « lutte contre les discriminations » est une forme juridique récente d’argumentation pour l’Etat
français républicain ; adoption législative sous la pression européenne, qui n’est pas allée sans concession pour la lecture
« républicaine » des phénomènes sociaux. Cette dernière ne concevait jusqu’alors, la personne morale, que sous la modalité
de l’individu abstrait sans autres formes d’appartenances qu’à la « communauté nationale des citoyens ». En intégrant dans
le champ du régime juridique, la législation sur les « discriminations » (sexistes, racistes, en termes d’handicap ou de santé,
et homophobes depuis peu) c’est bien une plus grande diversité dans les modalités d’appréhensions des personnes humaines,
qui est ainsi reconnue juridiquement. Le politique du XIXème concédait à cette représentation abstraite de l’individu, une
représentation concrète conquise par les luttes ouvrières, sous la forme d’une société divisée en classes et intérêts
antagonistes. Les formes de visions et divisions du monde social furent alors structurées sur des rapports strictement
économiques (logiques d’intérêts). C’est l’époque intellectuelle marxiste de la réduction de tous les rapports sociaux à des
rapports de productions économiques. Axel Honneth montre en quoi la logique des « luttes pour la reconnaissance »
caractérisant davantage la société post-industrielle, intègre d’autres formes de «relations asymétriques», d’ordre non plus
uniquement socio-économique, mais aussi socio-affectif. La dissymétrie sociale ne se limitant pas aux composants matériels,
s’ouvre ainsi sur la prise en compte de mécanismes de « dénis de reconnaissance » – « rejets » – « humiliations », dans la
négation d’identités de groupes comme celles des personnes LGBTI et d’autres groupes minorisés.
Est-ce pour autant un pas de plus vers une société communautaire ? Ou une « (r)évolution » vers une société qui assume
davantage ce double aspect des représentations de la personne humaine, à la fois entité juridiquement abstraite (des citoyens
égaux en droit et responsabilité devant la loi) mais aussi impliquée concrètement dans un faisceau de relations sociales.
Relations qui sont des supports fondamentaux à la construction positive de soi, indispensable à tout épanouissement
personnel. La sociologie des réseaux sociaux s’intéresse notamment à la manière dont un individu procède pour trouver un
emploi, un logement ; et cela passe souvent par l’activation d’un réseau de relations qui ne serait pas directement la cellule
familiale et amicale, mais des connaissances qui pèsent quand même fortement sur les chances d’obtenir un poste ou un
logement. Cette sociologie ne nous permet-elle pas d‘identifier que ces formes d’attachements à des « proches » (intimes et
bien au delà) concernent toutes personnes humaines et pas uniquement des groupes minorisés, dont les appartenances sont
renvoyées à un usage stigmatisé de la notion de « communauté » ? Cette orientation se donne pour objectif d’identifier
différentes formes de revendications éthiques et politiques et d’analyser leurs relations d’implications mutuelles, comme je
viens de le proposer au sujet de la législation « de lutte contre les discriminations ». Le paris est donc d’appréhender la
notion de "communauté" et les revendications des groupes minorisés et leurs portées morales, dans une anthropologie du
partage et des formes coopératives d’échanges matériels et symboliques.
On se rappellera utilement des propos d’Alexis de Tocqueville qui indiquait que la revendication pour l’égalité juridique
n’est pas suffisante, pire elle peut être nuisible pour la démocratie, si elle rend aveugle aux autres formes de revendications
nécessaires au plein épanouissement. Dans son ouvrage De la démocratie en Amérique (1835), il articule le concept de
« liberté » avec cette passion nouvelle et irrépressible pour « l‘ égalité » des peuples démocratiques. Selon lui, sans la lutte
conjointe pour la « liberté », nous aurions pour seul avenir un « individualisme étroit où toute vertu publique est étouffée […]
retirant au citoyen toute passion commune, tout besoin mutuel, toute nécessiter d’agir ensemble […] si chaque citoyen à
mesure qu’il devient individuellement plus faible, et par conséquent plus incapable de préserver isolément sa liberté, s’il
n’apparaît pas l’art de s’unir volontairement à ses semblables pour la défendre, la tyrannie croîtrait nécessairement avec
l’égalité des conditions».
Nous pourrons ainsi éclairer de manière différente, le débat « communauté – société », à partir d’une perspective de
recherche qui déconstruit la notion de « communauté », pour ne pas en faire une entité homogène, une réalité substantielle du
social agrégeant une masse d’individus appréhendés sous un attribut visible et disqualifié (le sexe, l’ethnie, l’orientation
sexuelle, le questionnement sur le genre…). Mais bien plutôt, une perspective de revendication morale et éthique attachée à
une représentation concrète et ordinaire de l’individu.
Ce que l’on nomme la communauté LGBTI (vue comme une entité singulière et unifiée de l’extérieur), pourra être lue dans
toute sa complexité et sa diversité, sans oublier la question à ne pas éluder, des conflits internes qui la traversent. Pourquoi
sommes nous passés progressivement de la qualification mouvement Gay à la prise en compte de la question Lesbienne, et
plus récemment à l’invention de la qualification LGBT, et enfin, à l’adjonction toute récente du I de Intersexe ? N’est-ce pas
pour lutter contre la reproduction des principes de domination sexiste et autres, au sein même des groupes minorisés ? N’estce pas également dans le cas des questions BTI, d’obtenir que leur « différence » soit intégrée au même titre que les L & G
dans le régime juridique de la « lutte contre les discriminations » ?
Parler de cultures, de différences, et donc de formes plurielles de « représentations » de la personne humaine dans nos
sociétés contemporaines, a donc un sens sur le plan politique, et non des moindres : il s’agit comme l’indique Emmanuel
Renault que « l’exigence de reconnaissance de la différence peut en effet concerner les traits spécifiques de groupes
sociaux, qu'ils soient issus de l'esclavage ou de l'émigration, ou définis par un statut social inférieur (comme les femmes), ou
par une orientation sexuelle minoritaire (homosexuel(le)s et transsexuels). […] les dominations spécifiques dont ces
groupes font l'objet ne peuvent être comprises et critiquées adéquatement tant qu'elles sont conçues suivant le seul modèle
de la privation des droits universels et de l'inégalité économique ; elles doivent également être décrites en termes d'inégalité
de statut, ou d'inégalité de reconnaissance ». Et de poursuivre : « les politiques communautaires défendent l’idée que les
exigences de liberté et d’égalité universelles ne peuvent conserver leur sens que si les valeurs constitutives des identités
collectives ne font pas l’objet de dévalorisation ou de disqualification » (Revue Sciences humaines, « la lutte pour la
reconnaissance », juin 2006).
25
Axel Honneth a écrit La lutte pour la reconnaissance, grammaire morale des conflits sociaux, passages, les éditions du cerf,
paris, 2000 ; La société du mépris : Vers une nouvelle Théorie critique, édition la découverte, 2006 ; La réification : Petit
traité de Théorie pratique, Gallimard, 2007
Emmanuel Renault est l’auteur de, l'expérience de l'injustice - reconnaissance et clinique de l'injustice, La découverte 2004 ;
Mépris Social - Ethique et politique de la reconnaissance, Editions du passant, 2000.
Julien Tardif
***
26
LE PATCHWORK DES NOMS
Mouvement international, le Patchwork des Noms, né en France en 1989 s’inscrit dans la continuité d’un autre
projet, The NAMES Project Foundation, créée en 1987, organisation non gouvernementale, ayant la tutelle de
The AIDS Memorial Quilt, mémorial dédié aux victimes du SIDA.
L’association française compte aujourd’hui 300 panneaux de tissus matérialisant chacun une ou plusieurs
personnes disparues.
Les manifestations du Patchwork des Noms sont destinées à attirer l’attention du public sur l’épidémie, à
perpétuer la mémoire de ceux qui sont morts du SIDA, à combattre l’exclusion et la discrimination des
personnes.
Elles permettent aux familles qui le souhaitent d’affirmer la cause véritable du décès des leurs.
Elles créent un espace symbolique de réflexion et/ou d’émotion devant la mort.
Nous vous invitons donc à nous rejoindre dans le déambulatoire pour assister au déploiement de trois de ces
patchworks.
« …C’est une mosaïque immense constituée de panneaux cousus où les gens ont exprimés
quelque chose d’important sur celle ou celui qu’ils ont perdu.
La force de l’amour investie là-dedans s’y manifeste de manière extraordinairement
puissante. Ces gens là nous réapprennent quelque chose que, peut-être, l’humanité a su
avant, mais qui avait été un peu perdu de vue dans nos sociétés : une façon de faire survivre
le meilleur de ceux qui sont partis, de continuer à les aimer sans refuser la mort, sans
l’écarter de nos pensées, de la valoriser même, ce qui n’est pas l’accepter… »
Jonathan Mann
(L’Autre Journal – oct. 1990)
27
L'Autre Campagne
20/07/07 15:14
>> Citoyenneté et institutions >> Mettre en œuvre une autre politique de la sexualité et des libertés sexuelles et repenser les politiques familiales >> Contre
la récupération raciste du féminisme par la droite française
A lire aussi dans l'Autre Campagne
« Pas en notre nom ! » [1]
LIENS UTILES
NextGenderation
Contre la récupération raciste du féminisme par la
droite française
par Elsa Dorlin*
Tous les candidats de droite et d’extrême droite à l’élection
présidentielle semblent tout particulièrement préoccupés par la liberté
des femmes et développent une sensibilité et une attention quasi
obsessionnelles à l’égalité des sexes. Tout se passe comme si la
condition des femmes était devenue, comme par magie, une priorité
nationale en matière… de justice sociale ? Non, d’ « immigration ».
Jean-Marie Le Pen, Nicolas Sarkozy, Philippe de Villiers,
principalement, n’ont de cesse de nous rappeler que l’égalité des sexes
est un principe constitutif de « notre » nation et de « notre » culture,
voire un trait distinctif de « notre » civilisation, chrétienne s’il en est.
Que les femmes sont « chez nous » traitées comme les égales des
hommes, qu’elles jouissent de tous les droits comme de tous les
privilèges. Aussi, désormais, l’une des conditions d’admission sur «
notre » territoire des populations immigrées sera le respect
inconditionnel de ce qui relève, à les entendre, de l’essence de
l’Occident : l’égalité des sexes. Pour certains, les candidats à
l’immigration en France devront signer un pacte dans lequel ils
s’engagent
à
respecter
ce
qui est présenté comme une « coutume » bien de chez nous : le respect
des femmes. A l’image des Pays-Bas, on leur diffusera des vidéos de
femmes, seins nus sur les plages de la côte d’Azur, ou encore de deux
hommes s’embrassant tendrement sur la bouche, pour tester leur
tolérance à la modernité.
La campagne présidentielle française se fait ici l’écho d’un processus
déjà bien entamé. Tout a commencé avec l’Afghanistan et la guerre
déclarée de Bush contre les Talibans au nom du droit des femmes [2],
véritable cache sexe d’une croisade impérialiste, cela s’est poursuivi
avec le projet de constitution européenne, dans lequel on pouvait lire
que l’égalité des hommes et des femmes était un principe constitutif de
la culture et de l’histoire européenne sans pour autant qu’il soit suivi de
mesures constitutionnelles concrètes et ambitieuses en la matière [3].
On assiste donc à la racialisation d’un principe politique, celui de
l’égalité des sexes et, dans une moindre mesure, des sexualités :
l’égalité des hommes et des femmes est devenue un trait culturel voire
un patrimoine génétique hérité de la race des Francs ou des Gaulois.
Les politiques les plus nationalistes et les plus sécuritaires se font au
nom des femmes. Or, cette captation raciste du combat féministe
http://www.lautrecampagne.org/article.php?print=1&id=132
LIVRES
Nacira Guénif et Eric Macé, Les Féministes
et le garçon arabe, Paris, l’Aube, 2004.
Maryse Jaspard (dir.), Enquête nationale
sur les violences envers les femmes en
France, (ENVEFF), Paris, La
documentation française, 2003.
Page 1 sur 4
L'Autre Campagne
20/07/07 15:14
historique, de nos mouvements, de nos luttes, de nos victoires a trois
effets majeurs. Premièrement, elle vise à instrumentaliser le féminisme
dans le cadre d’une rhétorique au service d’un discours raciste plus ou
moins déclaré. Quand Marine Le Pen se fait le héraut de la cause des
femmes, elle séduit à peu de frais un électorat féminin
traditionnellement moins enclin à voter pour le FN, elle recouvre par là
même les propositions de son programme qui visent à favoriser le
retour à la maison massif des travailleuses, à limiter drastiquement le
droit à l’avortement, à favoriser une politique familialiste donnant la
priorité aux « mères françaises ». Deuxièmement, la captation par les
partis de droite de ce discours au parfum féministe a pour conséquence
d’occulter totalement la réalité des inégalités, des discriminations et des
violences dont font toujours l’objet les femmes, mais aussi toutes les
autres minorités sexuelles (gays, lesbiennes, transsexuelles), « chez
nous ». A ce titre, le cas des violences sexistes, homophobes,
lesbophobes ou transphobes est paradigmatique. La focalisation quasi
exclusive des politiques sur des violences « exotiques », telles que la
lapidation, l’immolation, l’excision… a pour effet de nous faire croire
que
la
violence
sexiste,
[4]
notamment, est l’apanage du « garçon arabe » , qui hante les halls et
les caves des cités HLM à la solde d’Al Qaïda, de « l’immigré africain
» polygame et adepte de vaudou, de « l’antillais rmiste » alcoolique et
jovial ; que seules désormais les femmes noires, descendantes de
l’immigration coloniale, migrantes ou réfugiées « doivent »
s’émanciper en se libérant de « leurs » hommes. Or, les enquêtes
sociologiques menées depuis plusieurs années ne cessent de le rappeler
[5] : la violence sexuelle (attouchement, viol, harcèlement, etc.) n’a ni
couleur, ni origine ; elle est transversale à toutes les classes sociales. La
violence conjugale tue une femme tous les trois jours en France –
faut-il le rappeler, Bertrand Cantat ne venait pas de la cité des 4000.
Et, si les femmes sont davantage exposées à la violence verbale ou
physique dans l’espace public lorsqu’elles vivent en grande précarité,
il n’en demeure pas moins qu’il n’y a pas d’angle facial du sexisme,
comme au bon vieux temps de l’anthropométrie raciste du XIXe
siècle. Troisièmement, la prise en otage de certains thèmes féministes
par les partis de droite a pour effet de racialiser le féminisme lui-même,
en orchestrant un choc des civilisations entre le voile et le string, taillé
de toute pièce. Ainsi, quand le FN lance à l’automne 2006 une
campagne d’affichage, il choisit, entre autres, une jeune « beurette »
cheveux lâchés, tee-shirt court, pantalon taille basse, piercing, pour
incarner le slogan frontiste. Il s’agit là d’exhiber une figure féminine de
l’assimilation clairement opposée à celle de la « jeune fille voilée »,
réputée hostile à la prétendue laïcité républicaine, stigmatisée comme
suppôt de la domination masculine.
A en croire les partis de droite, le féminisme est donc consubstantiel à
l’« Occident ». Mais de quel féminisme parle-t-on ? De ce même
féminisme dans lequel s’est drapé l’armée française en Algérie à la fin
du XIXe siècle pour aller « civiliser » ces « barbares d’Arabes » qui
séquestraient et voilaient leurs femmes et leurs filles ? Ce sont les
mêmes militaires, politiques et administrateurs coloniaux qui voulaient
libérer les femmes de « leur culture » et qui, « de retour dans leur
‘mère patrie’ […] ont été les plus fervents opposants aux luttes
féministes de la première vague » [6], pour les droits civils et civiques
http://www.lautrecampagne.org/article.php?print=1&id=132
Page 2 sur 4
L'Autre Campagne
20/07/07 15:14
des femmes. En face, en « Orient », exactement les mêmes partis de
droite néoconservatrice répondent aujourd’hui du tac au tac que la
dignité des femmes est chaque jour tout autant bafouée en « Occident
», comme en témoigne, selon eux, la publicité ou la pornographie. Le
problème n’est évidemment pas civilisationnel, ou même culturel, on
l’aura compris, mais bien politique. Nous savons que sur nombre de
combats, ces droites du monde entier avancent main dans la main
contre les revendications des mouvements féministes, gays et lesbiens ;
qu’il n’y a pas de meilleurs alliés que Benoît XVI, Bush, Le Pen ou
Ahmadinejad sur les questions d’avortement ou de mariage
homosexuel [7].
Or, les effets politiques de ces discours de haine sont catastrophiques
pour le féminisme lui-même, car, comme on l’a vu récemment sur «
l’affaire du voile », ils hypothèquent les coalitions, tant internationales
que nationales, entre les divers mouvements des femmes, en insufflant
dans ses rangs le soupçon d’ethnocentrisme – les féministes «
françaises » n’auraient pas à donner des leçons d’émancipation si
celle-ci se résume au droit de porter une mini jupe ; inversement, les
féministes « voilées » ne seraient pas des « vraies » féministes – ni
même de « vraies » françaises, selon leurs détracteurs, car elles
exhibent une image soumise des femmes. Sortir de cette aporie
infernale, c’est d’abord refuser cet antagonisme ethnicisant et
fallacieux qui opposent les « blanches » et les autres, les « occidentales
» ou les « françaises » et les « musulmanes »…, c’est d’abord
décoloniser un certain féminisme français qui s’est laissé séduire par ce
pseudo discours victimaire de droite et refuser que la lutte contre le
sexisme fasse le lit du racisme et de la chasse à l’immigré. Il s’agit
donc de refuser de penser la libération des femmes dans les termes
mêmes que nous imposent l’extrême droite, et qu’elle impose à la
scène publique, en dénonçant ce qui de fait est contradictoire avec tout
projet féministe : l’identité nationale.
Cela étant, si la rhétorique de la droite lepeniste ou sarkozyste sur
l’égalité des hommes et des femmes bénéficie d’une telle audience,
c’est qu’elle joue aussi sur les atermoiements de la gauche majoritaire.
Dans une certaine mesure, parallèlement à la diffusion dans la société
d’une certaine conscience féministe – même si cette dernière ne
s’identifie pas au féminisme historique –, la mise en minorité d’un
engagement féministe radical à gauche a permis qu’un féminisme de
mascarade émerge à droite. En 2007, qu’en est-il de l’application de la
nième version de la loi Roudy qui, dans sa version initiale de 1983,
entérinait un principe de justice pour lequel les mouvements féministes
se mobilisent depuis plus d’un siècle déjà : à travail égal, salaire égal ?
Qu’en est-il des mesures concrètes de lutte contre le plafond de verre ?
Qu’en est-il de la mise en place d’une véritable politique de garde
collective à l’échelle nationale, quand tant de femmes ne trouvent pas
de place en crèche pour leur enfant ? Qu’en est-il d’une véritable
solidarité avec les femmes du Sud qui viennent justement soigner «
nos » intérieurs, « nos » mioches, « nos » vieux et « nos » malades ?
Qu’en est-il d’une éducation sexuelle digne de ce nom au collège ?
Qu’en est-il d’une politique efficace de lutte contre le sexisme
proposant, par exemple, aux grands fabricants de jouets une charte de
l’égalité des sexes et des sexualités, pour qu’ils cessent d’inonder les
magasins de nécessaires à ménage rose pour petite ménagère modèle ?
Qu’en est-il de la parité « privée », quand 80 % du travail domestique
http://www.lautrecampagne.org/article.php?print=1&id=132
Page 3 sur 4
L'Autre Campagne
20/07/07 15:14
est toujours dévolu aux femmes ? Qu’en est-il du sauvetage de la
spécialité de gynécologie médicale et de la revalorisation de la carrière
des médecins pratiquant les IVG ? Qu’en est-il du remboursement de
la pilule ? Qu’en est-il de l’accès non seulement à l’adoption, mais à la
procréation médicalement assistée pour les couples gays, lesbiens,
mais aussi transsexuels ? Qu’en est-il justement de la
dé-psychiatrisation des trans identités, quand on sait que le «
transsexualisme » figure encore dans la classification de l’OMS des
maladies mentales ?
Pour faire contrepoids à la rhétorique féministe des partis de droite, qui
barbarisent des groupes sociaux ou des peuples au nom des femmes,
qui décident de qui sont les civilisés et qui sont les incivilisés, la
féminité empathique de telle ou telle candidate ne suffira pas : un réel
engagement anti-sexiste et anti-raciste est plus que nécessaire dans le
cadre d’un véritable projet de gauche et, ici et maintenant, dans le
campagne, pour empêcher qu’une politique rétrograde d’exclusion
sociale ne se fasse en notre nom.
Elsa Dorlin*
* Philosophe maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre du réseau féministe
NextGenderation.
[1] Je reprends ici le titre du texte manifeste « Pas en notre nom ! », lancé le 8 mars 2005 par le réseau
féministe NextGenderation à l’occasion de la journée internationale des femmes au moment de la campagne
pour
la
constitution
européenne.
Texte
disponible
en
ligne
:
http://www.nextgenderation.net/projects/notinournames/francais.html
[2] Cf. Christine Delphy, « Une guerre pour les femmes afghanes ? », Nouvelles questions féministes, vol. 21,
n°1, 2002.
[3] NextGenderation, « Pas en notre nom ! », op. cit.
[4] Voir Nacira Guénif et Eric Macé, Les Féministes et le garçon arabe, Paris, l’Aube, 2004.
[5] Maryse Jaspard (dir.), Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France , (ENVEFF),
Paris, La documentation française, 2003.
[6] NextGenderation, « Pas en notre nom ! », op. cit.
[7] Cf. Eric Fassin, « La démocratie sexuelle et le conflit des civilisations », Multitudes , n°26, 2006/3.
©2006-2007 L'Autre Campagne
http://www.lautrecampagne.org/article.php?print=1&id=132
Page 4 sur 4

Documents pareils