Panorama de la nouvelle philanthropie

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Panorama de la nouvelle philanthropie
Le 21 janvier 2016
Panorama de la nouvelle philanthropie : du don à l’impact investing
d’après la conférence de Virginie Seghers,
Présidente de Prophil, Maître de conférences à Sciences Po.
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Introduction
 Le sujet : panorama du don à travers les cultures et les civilisations et surtout la façon dont, aujourd’hui, il est
pleinement économique et s’articule au service de l’innovation sociale avec d’autres sources de financement. La
philanthropie évolue et devient même parfois de « l’impact investing », terme qui n’a pas encore d’équivalent en
français mais qui désigne le fait d’investir en étant conscient et soucieux de son impact social et environnemental.
Virginie Seghers
 Elle vient d’une famille d’éditeurs et de poètes. Très vite, elle se consacre dans ses études aux articulations qu’il peut
y avoir entre l’économie et l’intérêt général, entre l’initiative privée et l’utilité publique.
 Très jeune, elle a dirigé une association reconnue d’utilité publique qui s’appelle ADMICAL, association pour le
développement du mécénat industriel et commercial dont le rôle est de fédérer des entreprises qui donnent, de les
encourager à le faire, de structurer leur action, de défendre leurs intérêts auprès des pouvoirs publics et de
promouvoir en France le mécénat d’entreprise. Le mécénat d’entreprise est le fait pour une entreprise de faire des
dons pour des causes d’intérêt général au travers d’une fondation ou en direct.
 Puis elle s’est intéressée à l’entreprenariat social, c’est-à-dire aux entrepreneurs dont la vocation est de répondre à
un problème de société. Elle monte le MOUVES, mouvement des entrepreneurs sociaux qui aujourd’hui fédère plus
de 400 entrepreneurs en France qui partagent ces convictions et mettent leurs talents au service du bien commun.
 Enfin, elle rencontre Geneviève FÉRONE avec qui elle crée son entreprise PROPHIL, pour accompagner des
entreprises et des entrepreneurs dans la prise en compte du bien commun au cœur même de leur modèle
économique articulant le don et l’investissement. Geneviève Férone a été pionnière en France de ce que l’on appelle
la notation extra-financière : le fait de noter des entreprises sur des critères de responsabilité sociale et
environnementale et non pas uniquement au regard d’un audit financier ou économique. Les entreprises ont, par la
nature même de leur activité, des incidences positives ou négatives que l’on peut appeler externalités, sur les
hommes et sur la planète. Geneviève Férone a créé les 1ers fonds dits d’investissement socialement responsable, elle
a ouvert la voie à ce qui est devenu le développement durable en Europe.
I – Quelques définitions
- La philanthropie est un joli mot, un mot qui peut paraître un peu désuet pour certains, anachronique :
philos = aimer + anthropos = l’homme  aimer l’homme. Est-ce désuet ?
- Le mécénat vient du nom propre Mécène, qui était le conseiller de l’empereur Auguste pour les arts et les lettres. Ce nom
est devenu un nom commun pour signifier l’ensemble des dons qui sont faits essentiellement dans le domaine artistique et
culturel. Aujourd’hui, on parle aussi de mécénat dans le domaine social et environnemental.
- La philanthropie est un acte profondément laïc, même si l’ensemble des grandes confessions appellent à la générosité, que
ce soit la dîme ou la charité chez les chrétiens, la zakat chez les musulmans, la tsédaka chez les juifs  il y a toujours une
injonction à donner lorsque l’on est croyant. La philanthropie se dégage de chacune de ces notions, s’en distingue parce
qu’elle est profondément laïque. Elle a connu une effervescence au moment des philosophes des Lumières et de la
Révolution française. Elle a été considérée dans la Constitution de l’an II par Camille DESMOULINS comme la nouvelle religion
qui allait conquérir l’univers. René RÉMOND, grand historien politique, disait que la philanthropie est ce qui consacre le
divorce du moral avec le religieux. On est dans la sphère morale et non religieuse.
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- La philanthropie est à la portée de tous. Elle n’est pas un devoir ou une obligation mais avant tout un plaisir et un ciment
de la société. Les historiens et les sociologues qui ont écrit sur le don montrent bien que tout don engendre un contre-don.
Si vous allez dîner chez des amis, vous allez apporter un bouquet de fleurs par exemple. Ce contre-don peut aussi être une
dette morale et c’est de cet échange que se structure, se pacifie la société. Marcel MAUSS montre à quel point le don, le
contre-don, et donc la philanthropie, sont consubstantiels à la notion de démocratie.
II – Histoire de la philanthropie
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- Au XIX siècle, la philanthropie a connu un essor considérable lié à :
 La révolution industrielle qui concourt à l’enrichissement très rapide de certaines familles. Dans la culture
protestante aux Etats-Unis ou en Angleterre, ces familles vont immédiatement penser à « give back », rendre à la
société ce qu’elles ont gagné, en structurant de grandes fondations qui pour certaines existent toujours (fondations
Ford, Rockefeller, Carnegie, la Frick Collection, le Guggenheim) et qui ont été les parangons de cette nouvelle
philanthropie industrielle de l’époque. Pour un protestant, il n’est pas condamnable de faire fortune, l’entreprise est
un outil prometteur dans un développement personnel et un développement économique. Par contre, ce qui est
condamnable, c’est de thésauriser. Le don et l’investissement étaient 2 pendants parallèles de cette forme de
redistribution de la fortune. Andrew Carnegie, qui a fait fortune dans les chemins de fer aux USA, a écrit un livre qui
s’appelle «The Gospel of Wealth » (« l’Evangile de la richesse ») dans lequel il dit clairement : « tout homme qui
meurt riche meurt déshonoré ». Aujourd’hui, quand on voit ce qu’a fait Bill GATES ou ce qu’a fait Mark ZUCKERBERG
en donnant 99% de sa fortune, on ne peut pas s’empêcher de penser que l’on est dans la même tradition de pensée.
 En parallèle, en Europe, vous avez le mouvement de l’économie sociale qui se structure par le mouvement
mutualiste des coopératives, avec des valeurs très profondes de gouvernance : un homme = une voix et des valeurs
de partage, non seulement des services rendus par les mutuelles entre tous ses adhérents mais également de
partage des éventuels profits qui seraient faits par ces structures. C’est un mouvement méconnu très important.
 Curieusement, le mot philanthropie est pendant un bon moment entré en désuétude avant de redevenir d’actualité
il y a une quinzaine d’années en France. Pourquoi cette désuétude ? Parce que principalement l’Etat-Providence
s’est emparé de différents thèmes et que nous sommes dans une culture majoritairement catholique où le don est
discret, où on ne doit pas s’en prévaloir et où il est du ressort de choix personnels, individuels et familiaux sans
chercher forcément à faire des émules ou entraîner ses réseaux personnels. Ce qui est très différent de la mentalité
anglo-saxonne où il est extrêmement bien vu d’être bien situé dans les classements des top philanthropists. En
France, on est dans une approche différente : les prélèvements obligatoires sont évidemment bien supérieurs et
nous avons transféré une partie de la responsabilité de l’intérêt général et collectif à l’Etat et aux collectivités
locales. Or, aujourd’hui, le budget de l’Etat souffre de quelques déficits chroniques et il revient à beaucoup d’entre
nous de nous mobiliser et d’œuvrer pour des causes d’intérêt général.
- La philanthropie d’aujourd’hui est dite nouvelle : pourquoi ? Quelques éléments de contexte.
 D’abord parce que le contexte mondial est profondément nouveau : d’une part, il y a une accumulation sans
précédent de la richesse dans les mains de quelques-uns (les dernières statistiques montreraient que les 1% les
plus riches de la planète détiennent autant que les 99% restant). Si on regarde la répartition géographique, on voit
que l’essentiel des fortunes n’est plus en Europe ni même aux Etats-Unis. La répartition des richesses se transforme
rapidement et le sujet de la redistribution de cette richesse est posé. Comment peut-elle être redistribuée ? On en
vient aux sujets d’investissements et de dons. On peut facilement imaginer que le barycentre de la philanthropie va
changer et qu’il va y avoir une éclosion de la philanthropie dans des pays dits émergents. Les quelques études qui
existent montrent que les philanthropes donnent en moyenne entre 7% et 10% de leur fortune. C’est amusant car
7%, ça correspond à la tsédaka juive et 10% à la dîme, même si certains vont jusqu’à 99% aux Etats-Unis. Cela
conduit à des centaines de milliards de dollars donc à une véritable manne philanthropique.
 Par ailleurs, vous avez aussi les entreprises qui se sont de plus en plus investies dans le champ de la philanthropie.
Les entreprises a priori n’ont pas dans leur objet social de donner. Pendant longtemps ça a même été considéré,
notamment en France, comme un abus de bien social. Il a fallu convaincre les pouvoirs publics qu’une entreprise
pouvait très bien donner, pour plusieurs raisons :
1- D’abord, parce qu’une entreprise est une communauté d’hommes et de femmes qui œuvre pour la
création d’une richesse matérielle ou immatérielle. Cette richesse n’a aucune raison de ne pas être
partagée par ceux qui y ont contribué directement ou indirectement et là, on retrouve cette notion de give
back, très américaine. Cela permet de valoriser, de faire connaître l’entreprise et non pas forcément l’un de
ses produits ou de ses services, comme une entité, un corps social sympathique, soucieux du tissu associatif
qui l’entoure. Cela s’appelle le mécénat de compétence : c’est le fait pour des salariés, des collaborateurs
d’une entreprise, sur leur temps de travail, de consacrer du temps à des causes d’intérêt général. A partir
du moment où c’est sur le temps de travail, il y a bien un manque à gagner sur la contrepartie du salaire
pour l’entreprise, donc c’est bien un don de l’entreprise à une association, à une ONG, à une autre
fondation, de l’intelligence, de la matière grise, du savoir-faire, parfois même du talent personnel de ses
collaborateurs, permettant ainsi de les valoriser. Cette forme de mécénat est extrêmement vertueuse
parce qu’elle n’est pas seulement financière, elle est aussi humaine. C’est une façon aussi de développer la
fierté d’appartenance des collaborateurs. Offrir une capacité, dans une entreprise, de s’impliquer ou de
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donner à des causes d’intérêt général, ou être valorisé dans son propre engagement associatif parce que
l’entreprise va vous donner un coup de pouce ou vous reconnaît comme individu engagé et altruiste, c’est
évidemment un plus considérable.
2- Autre motivation pour les entreprises : accompagner leur développement sur les territoires. Lorsqu’une
entreprise arrive sur un territoire, elle a besoin de connaître le tissu associatif pour développer d’éventuels
partenariats, pour prévenir aussi certains risques. C’est de l’intérêt bien compris : oui ! mais tant mieux si ça
peut la motiver à en faire davantage. Dans les pays anglo-saxons, on parle de corporate philanthropy
comme étant quelque chose d’absolument naturel. En France, quand on parle de mécénat d’entreprise, on
nous dit que cette expression est une contradiction. Il y a donc encore quelques combats à mener !
3- Accompagner aussi le développement à l’international : lorsqu’une entreprise se développe à
l’étranger, elle ne peut pas faire fi du tissu associatif local afin de répondre à différents sujets de
recrutement, de gestion des déchets, d’approvisionnement…, pour faire en sorte que la responsabilité
sociale et environnementale soit la plus exercée possible, pour accompagner tout cela par une action de
mécénat et de don. Pour une entreprise, accompagner sa responsabilité sociale et environnementale d’une
action philanthropique est devenu un sujet stratégique : cela permet de prévenir des risques de réputation,
accompagner une diplomatie locale et travailler intelligemment à développer son activité économique.
La mondialisation de l’information : les entreprises sont soumises à la vigilance des journalistes, à celle des
consommateurs devenus « consom-acteurs », mais aussi à beaucoup de réseaux, associations, activistes qui vont
être très attentifs à la façon dont elles exercent leur responsabilité sociale et environnementale et à ce qu’elles font
au titre du don. Cette mondialisation de l’information nous conduit tous aussi à nous sentir individus, citoyens,
consommateurs, responsables de nos actes. Du coup, la mondialisation de l’information et la facilitation du don ont
décuplé la prise de conscience et l’effet de cette prise de conscience agit sur la croissance du don.
Le dispositif juridique et fiscal : la motivation première n’est pas fiscale car le don coûte quand même. Nous avons
le meilleur dispositif fiscal d’Europe avec un dispositif juridique varié, pluriel, qui fait que chacun peut trouver le bon
véhicule juridique pour donner. Il y a encore à la marge des améliorations.
La motivation du don : on donne pour avoir bonne conscience, parce que l’on sait que si l’on donne, on va recevoir
une sorte de gratification (don et contre-don). Pour les entreprises, on donne pour toutes les raisons bien fondées
et parfois intéressées précitées et lorsque l’on est un très grand donateur, on donne souvent parce que l’on imagine
qu’avec ce don, on va pouvoir avoir un effet de levier sur d’autres donateurs et que l’on va pouvoir contribuer à
résoudre ou faire progresser certains sujets de société. Ex : quand Bill et Melinda Gates décident d’affecter il y a une
dizaine d’années 60 milliards de dollars à leur fondation et que, quelques mois plus tard, Warren Buffet décide
d’abonder cette fondation, l’exemple est criant. Aujourd’hui, la fondation Bill et Melinda Gates a un budget annuel
supérieur à celui de l’OMS et son action est plus influente que les grands organismes internationaux publics !
III – La fondation recouvre des réalités différentes en France
- L’association est un regroupement de personnes. La fondation est l’affectation de ressources financières ou immobilières à
la poursuite d’une œuvre d’intérêt général. C’est l’apport de façon irrévocable et inaliénable de biens ou de capitaux. Cette
définition a connu quelques assouplissements depuis une vingtaine d’années.
- Les fondations reconnues d’utilité publique par décret en Conseil d’Etat doivent immobiliser un capital important, les
fondateurs sont administrateurs mais de façon minoritaire (qui a envie de donner toute sa fortune à une fondation et d’être
minoritaire dans le conseil d’administration ?). Un équilibre est bienvenu c’est pourquoi il y en a peu en France.
- Les fondations abritées : elles vont s’abriter sous une fondation reconnue d’utilité publique. La plus connue est la
Fondation de France, grande institution créée par le Général de Gaulle et André MALRAUX qui a pour mission d’aider tous
ceux qui veulent aider. La Fondation de France a ses propres programmes qu’elle finance grâce à des donateurs individuels,
entreprises, fortunés… ; elle peut abriter d’autres fondations qui ont un projet d’intérêt général et qui peuvent dépenser
200 000 € sur 5 ans. Vous ne créez pas de structure juridique, de personne morale dédiée, vous allez juste ouvrir un fonds à
la Fondation de France. Aujourd’hui, il y a plus de 30 organismes en France qui sont capables d’abriter des fondations de ce
type (Fondation pour la recherche médicale, Fondation d’Auteuil, Caritas en lien avec le Secours catholique…).
- Si vous êtes une entreprise, vous avez le choix : vous pouvez très bien créer une fondation reconnue d’utilité publique (ex.
fondation Belem de la Caisse d’Epargne) ; une fondation abritée (ex. fondations Cartier, EDF, BNP-PARIBAS…) ; une fondation
d’entreprise qui a un statut plus récent où vous maîtrisez entièrement la gouvernance, vous êtes un peu plus maître à bord,
vous vous engagez aussi sur 5 ans sur un budget un peu plus faible que 200 000 €. Et, depuis 2008, il y a un nouveau statut
qui s’appelle le fonds de dotation. Celui-ci a été créé quand Le Louvre a vendu sa marque « le Louvre Abou Dhabi ». L’argent
de cette licence de marque entrait dans les caisses du Louvre et, le Louvre étant un établissement public avec une double
tutelle Ministère de la Culture et Ministère de l’Economie et des Finances, se retrouvait avec une manne financière à
dépenser dans l’année (annualité budgétaire) ! Pour garder cet argent, ils ont voulu créer une fondation reconnue d’utilité
publique, sauf que cela posait des problèmes de gouvernance et de délai (il faut à peu près 18 mois en France pour créer ce
type de fondation). Pressé de trouver une solution, le MINEFI a imaginé un nouveau statut qui est le fonds de dotation, aussi
souple à créer qu’une association (peut se faire du jour au lendemain, il suffit d’être 3 pour la gouvernance), et il ne faut pas
forcément immobiliser beaucoup d’argent (minimum 15 000 €). Les fonds de dotation se sont beaucoup développés.
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IV – Quelques chiffres sur la philanthropie
- Aux Etats-Unis : il y a plus de 100 000 fondations, ça représente 2,5 % du PIB. Les dépenses cumulées de ces fondations
sont de l’ordre de 70 milliards de dollars ; les actifs cumulés, c’est-à-dire les fonds qui sont placés par les fondations,
représentent plus de 800 milliards de dollars. La cohérence entre la mission d’intérêt général de la fondation et la façon dont
les fonds financiers sont placés en termes d’investissements devient un sujet très important.
- En Europe, on compte près de 130 000 fondations avec 400 milliards d’euros d’actifs cumulés.
- En France, il y a près de 4 000 fondations ou fonds abrités dont presque 1 800 fonds de dotation (qui n’ont même pas 10
ans d’existence). Il y a donc un boom de la philanthropie et des fonds de dotation depuis 7-8 ans. Les fondations reconnues
d’utilité publique sont à peu près 600 et les fondations d’entreprise près de 350. Ce qui est intéressant, c’est de voir que près
de 20% des entreprises françaises font du mécénat (vraie stratégie d’entreprise).
V – Quelle est la relation entre le don et l’investissement ? Quelles sont les nouvelles frontières de la philanthropie ?
- La frontière économique : la nouvelle génération de philanthropes qui arrive a 40-50 ans, ce ne sont plus des héritiers. Ils
vivent cette aventure philanthropique comme une start-up mais ne veulent pas récupérer d’argent avec. C’est pourquoi, si
c’est plus efficace d’investir dans des entreprises qui ont une finalité sociale, tant mieux car l’important pour eux est l’impact.
« L’impact investing » est le fait d’investir dans des entreprises à finalité sociale en pensant qu’on va avoir plus d’impact
social et environnemental par l’investissement que par le don. Des études réalisées évaluent à 1000 milliards de dollars le
poids de l’impact investing en 2020. Ces nouveaux philanthropes ne cherchent pas à s’enrichir à titre personnel, ils cherchent
simplement à avoir un effet de levier supérieur par l’investissement que par le don. Ex. Mark Zuckerberg, à la naissance de sa
fille, a choisi un statut de liable limited company, une entreprise dont la finalité est sociale et dont l’ensemble des profits doit
être réinvesti dans cette finalité. Cette entreprise vit comme une fondation mais une fondation n’aurait pas pu, pour des
raisons statutaires, juridiques, investir dans des entreprises sociales. M.Z. pense qu’avec la force de l’investissement, de la
R&D, la force de financement des structures commerciales, il ira beaucoup plus vite qu’avec des structures philanthropiques.
Cette porosité entre le don et l’investissement peut être à l’origine de nouveaux modèles économiques au service du bien
commun comme c’est le cas des fondations actionnaires. Ce sont des fondations qui sont propriétaires d’une entreprise (ex.
Rolex, Carlsberg, Tata en Inde, Bosch, Siemens,… appartiennent à des fondations). Au Danemark, 54% de la capitalisation
boursière est le fait d’entreprises détenues majoritairement par des fondations. Tous les économistes disent que s’il y a
encore des fleurons industriels danois, c’est grâce au statut des fondations actionnaires. Concrètement, ces entreprises ne
peuvent pas être rachetées car une fondation ne peut pas être rachetée, et il y a le maintien du patrimoine industriel et de
l’emploi sur le territoire national. 2e conséquence : la gouvernance, les administrateurs de ces fondations ont une double
perspective économique et philanthropique. C’est du 2 en 1. 3e conséquence : cela veut dire que les profits sont répartis
entre de nouveaux investissements dans l’entreprise et ce qui remonte comme dividendes à l’actionnaire. Or, l’actionnaire
est la fondation ; celle-ci a donc une manne d’argent considérable qui revient chaque année. Ex. chez Novo Nordisk, 130
millions d’euros remontent chaque année à la fondation pour soutenir des projets dans le domaine médical.
En France, il n’y a qu’une entreprise de ce type : Pierre FABRE. Ce dernier, un homme très humaniste, n’avait pas d’héritier et
était soucieux de la pérennité de son entreprise. Il a décidé de transmettre l’ensemble de ses actions à une fondation (87%)
mais aussi à ses salariés. Modèle inspirant, à l’heure de la désindustrialisation et de la déterritorialisation de notre économie.
Il y a aussi dans le monde de nouveaux statuts d’entreprise qui essayent d’articuler les deux : ex. les Flexible Purpose
Corporations en Californie. Elles articulent complètement le don et l’investissement. On ne pourra pas critiquer cette
entreprise de ne pas avoir fait le profit maximum à partir du moment où dans son objet social il y avait la finalité de donner.
- Une nouvelle frontière géographique existe en raison d’une nouvelle géographie de la richesse et des besoins, mais aussi
du fait de la dématérialisation du don (ex. les plateformes de crowdfunding qui mélangent don et investissement). Par cette
dématérialisation du don, on peut donner de partout, pour partout. Là aussi, on n’est plus dans cette relation de proximité.
Le crowdfunding a représenté l’année dernière 16 milliards de dollars et les études de la Banque mondiale l’estiment à près
de 90 milliards de dollars en 2020. On est sur des sommes très conséquentes qui peuvent être collectées par des petits dons.
- Les frontières politiques
 C’est à la fois réjouissant et à certains égards inquiétant. Inquiétant parce que l’on peut se dire que la philanthropie
pourrait être un nouveau trafic d’indulgences. Les fameux Zuckerberg, Gates… ne se sont pas forcément comportés
comme des gens exemplaires quand ils étaient entrepreneurs. Ce serait aussi intéressant de savoir où leur argent
personnel est placé, comment les montages fiscaux étaient réalisés dans leurs entreprises… Il n’y a pas toujours
harmonisation ou cohérence morale entre la façon dont ils ont pu optimiser certaines de leurs activités et leurs rôles
de sauveur de l’humanité et de la planète.
 Par ailleurs, il n’existe aucun organisme international de régulation de la philanthropie. Le problème est qu’en
matière de gouvernance, de grandes familles fortunées ont la capacité d’orienter les priorités sanitaires, sociales,
environnementales sans contrôle de la puissance publique. Certains considèrent que c’est extrêmement dangereux
et qu’il y a même des formes de contre-pouvoirs et de diplomatie privée qui s’exercent au travers du don.
On a tous à titre individuel ou collectif un rôle à jouer et la philanthropie est un formidable espace de liberté (personne n’est
obligé de donner). En même temps, il est important de savoir à certains moments prendre des distances, être vigilant et faire
en sorte que quelques-uns ne puissent pas avoir le monopole de sujets qui sont profondément des sujets de bien commun.
Bibliographie : Pour plus de renseignements et accéder aux documents de Prophil : site www.prophil.eu
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