les droits de la défense à l`épreuve des alternatives aux poursuites
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les droits de la défense à l`épreuve des alternatives aux poursuites
LES DROITS DE LA DÉFENSE À L’ÉPREUVE DES ALTERNATIVES ∗ AUX POURSUITES PÉNALES Manuel TIRARD Maître de conférences à l’Université Paris Ouest Nanterre, membre du CRDP Co-directeur de l’Université d’été de Minsk I) Champ d’étude : 2 difficultés / précisions sur les termes du sujet (1) La première concerne la notion d’alternatives aux poursuites pénales1 On adoptera une approche large, i.e. que l’on considèrera à la fois : - d’une part, au sens strict, les modes de règlement alternatifs permettant d’éviter les poursuites pénales [i.e. que l’action publique n’est pas (encore) exercée]. Sans exclure les autres modes, on s’attardera ici sur la composition pénale qui est, à côté d’alternatives réparatrices comme le rappel à la loi ou la médiation pénale, une véritable alternative punitive. - mais également, d’autre part et plus largement, les alternatives impliquant un exercice des poursuites pénales selon des modalités nouvelles (l’action publique est ici mise en œuvre), avec pour exemple caractéristique la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), sorte de « plaider coupable » à la française2. * La forme orale de l’exposé a été en partie conservée. La présentation est à jour au 1er juillet 2011. 1 V. l’article 40-1 du Code de procédure pénale (ci-après CPP) : « Lorsqu’il estime que les faits qui ont été portés à sa connaissance en application des dispositions de l’article 40 constituent une infraction commise par une personne dont l’identité et le domicile sont connus et pour laquelle aucune disposition légale ne fait obstacle à la mise en mouvement de l’action publique, le procureur de la République territorialement compétent décide s’il est opportun : 1° Soit d’engager des poursuites ; 2° Soit de mettre en œuvre une procédure alternative aux poursuites en application des dispositions des articles 41-1 ou 41-2 ; 3° Soit de classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient ». Sur la présentation de ces différents modes, v. les ouvrages de droit pénal général. 2 Il faut noter que le champ d’application de ce « plaider coupable » (expression utilisée par commodité) a encore augmenté avec la loi n° 2011-1862 du 13/12/2011 relative à la répartition (…), validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2011-641 DC du 08 déc. 2011, consi. 11 et s. Ce choix s’explique pour 3 raisons : - d’abord une raison pratique eu égard au temps imparti qui nécessité de faire des choix ; - ensuite car ces deux alternatives (composition pénale et CRPC) sont représentatives des mutations qui nous intéressent en France, faisant une place centrale au consentement des prévenus (logique de contractualisation) et générant des « procédures pénales accélérées »3 ; - enfin car elles ont connu une utilisation grandissante depuis leur instauration4. (2) La seconde difficulté porte sur l’appréhension des droits de la défense Si l’existence de ces droits de la défense est, à première vue, admise partout et par tous, ce vocable n’en reste pas moins souvent difficile à définir exactement5 : - que ce soit par la loi ou par la jurisprudence ; - reste la doctrine où les définitions varient quelque peu6. Quoi qu’il en soit et partant de là : - dans une première approche stricto sensu, les auteurs renvoient le plus souvent lorsqu’ils abordent les droits de la défense à l’énoncé de droits subjectifs processuels / garanties procédurales dont les plus souvent cités sont, parmi d’autres7 : . le droit de se défendre soi-même ou d’être assisté par un avocat, 3 V. not. C. VIENNOT, La procédure pénale accélérée. Étude des transformations du jugement pénal, Thèse Paris 10, 2010. 4 V. les statistiques sur le site Internet du Ministère de la Justice. 5 Pour une approche approfondie, v. G. GIUDICELLI-DELAGE in L. CADIET (dir.), Dictionnaire de la justice, PUF, 2004, pp. 364-368. 6 Le Vocabulaire juridique Capitant les définit en matière pénale comme « l’ensemble des prérogatives qui garantissent à la personne suspecte (…) la possibilité d’assurer effectivement sa défense dans le procès pénal », PUF, 9ème éd. 2011, p. 307. 7 Pour une illustration synthétique, v. T. GARÉ et C. GINESTET, Les droits de la défense en procédure pénale, in R. CABRILLAC, M-A. FRISON-ROCHE et T. REVET (dir.), Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, 15ème éd. 2009, pp. 523543 . V. également, S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, Litec, 5ème éd. 2009, pp. 406-426 ; ou encore B. BOULOC, Procédure pénale, Dalloz, 22ème éd. 2010, p. 35. 2 . le droit d’être informé de la nature et de la cause de l’accusation, . et, plus généralement, le respect du principe du contradictoire, qui consiste « pour les parties à un procès (…) à prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge (…) en vue d’influencer sa décision et de la discuter »8, . (…) Ces droits sont protégés tant aux niveaux interne (Constitution) qu’international (mondial et régional ; avec en particulier la CEDH9 dans ce dernier cadre ; applicable en Allemagne, mais pas en Biélorussie). - mais il faut aller plus loin. En effet, dans une seconde approche cette fois lato sensu, ces droits de la défense « expriment l’essence même du procès »10. Ainsi, autour de la notion générique de procès équitable et, « dans une conception élargie, (ils) complètent le droit au juge dans l’architecture du droit au procès (par définition équitable) »11. Cela démontre que les droits de la défense sont proches bien que distincts, en particulier, du droit d’accès à un juge impartial et, encore plus généralement, des autres principes de la procédure pénale. Cela introduit à la difficulté de définir exactement les frontières des droits de la défense, et donc les frontières de cet article ; ce qui mène, nous allons le voir, à articuler le plan et la démonstration sur cet axe. II) Problématique Les droits de la défense se sont développés au fur et à mesure de la démocratisation de la société et de l’affermissement de l’État de droit, en concernant de plus en plus les 3 phases de la procédure pénale : - avant le jugement, - pendant le jugement, - et après le jugement. 8 Par exemple CEDH, 23 juin 1993, Ruiz-Mateos. Sans oublier les sources du droit de l’Union européenne, en particulier la Charte des droits fondamentaux. 10 L. CADIET, S. AMRANI-MEKKI et J. NORMAND, Théorie générale du procès, PUF, 2010, p. 627. 11 Id., p. 549. 9 3 Or, le développement des modes alternatifs aux poursuites pénales modifie cette donne puisqu’il s’agit de faire prévaloir d’autres considérations ; en premier lieu la célérité et le désengorgement des tribunaux, ou à tout le moins de concilier la tradition pénale avec ces nouvelles considérations. La problématique qui se pose est donc celle de l’adéquation (de la « conciliabilité ») entre les droits de la défense, inscrits dans la tradition de l’État de droit, et les nouvelles alternatives aux poursuites pénales qui obéissent à une autre logique. Voila pourquoi cette étude, même si elle est axée sur le cas français, intéresse tous les pays. III) Plan À l’étude, il semble que certains des droits de la défense, pris stricto sensu comme des garanties procédurales, soient remis en cause (I). Mais le danger est plus important lorsqu’il est constaté que cette remise en cause est d’autant plus dangereuse qu’elle affecte le contexte dans lequel s’insère ces droits et dont ils sont indissociables, à savoir globalement les principes directeurs de la procédure pénale (II). I) UNE CERTAINE REMISE EN CAUSE DES DROITS DE LA DÉFENSE À première vue, les nouveaux modes alternatifs (rappelons qu’il s’agit, dans notre étude, de la composition pénale et de la CRPC) sont compatibles avec les droits de la défense (A), si tant est que l’on en considère le principe général et non pas toutes les modalités pratiques. En effet, en y regardant de plus près, i.e. en adoptant une approche non pas théorique mais concrète et précise, les dangers sont réels bien que sous-jacents (B). A) Une compatibilité théorique apparente On l’a dit, les droits de la défense sont protégées dans des termes proches par le droit français et européen / international (jurisprudence de la CEDH particulièrement). Si l’on tente de faire une liste des droits de la défense pour essayer de voir quel est leur sort 4 dans les alternatives qui nous intéressent, il apparait que : - (a) le principe du contradictoire ne trouve pas véritablement à jouer en tant que tel car, par définition, ces procédures reposent sur le consentement du prévenu. Toutefois, certains droits de la défense liés au principe du contradictoire existent tout en étant adaptés : - (b) ainsi en va-il du droit d’être informé de la nature et de la cause de l’accusation portée. Même particulières (elles constituent des propositions et non des « accusations » au sens classique du terme), les procédures alternatives laissent une place à l’information des prévenus. En effet, tant dans la composition pénale que dans la CRPC, la proposition est formulée par écrit par le Parquet et détaillée dans un procès verbal (PV). La notification des charges est donc essentielle, ainsi que l’accès au dossier de la procédure … ce qui serait sans effet si le prévenu ne disposait pas de temps pour organiser sa défense. - (c) dans le cadre classique, le droit d’avoir du temps pour préparer sa défense est un des droits qui nous intéresse. En matière de modes alternatifs le prévenu peut disposer d’un certain temps. Ce n’est pas tellement un temps pour préparer sa « défense » (car on est dans un cadre consensuel), mais c’est un temps de réflexion (composition : pas de délai obligatoire minimum a priori ; 10 jours de réflexion peuvent être demandés dans la CRPC). - (d) concernant encore le droit d’être entendu : c’est facultatif pour la composition, mais le juge du siège qui va homologuer la CRPC a l’obligation d’entendre le prévenu avec son avocat ; - (e) justement, le droit de se défendre soi-même ou d’être assisté par un avocat est respecté. L’avocat est en principe présent dans la composition pénale, sauf renonciation ; et obligatoire dans la CRPC, et ce tout au long de la procédure (on ne peut y renoncer, art. 495-8, al. 4 CPP). Cela est conçu comme une expression centrale du respect des droits de la défense. C’est ainsi qu’un auteur a pu écrire que « cette procédure (le plaider coupable) respecte pleinement les droits de la défense puisque la prévenu ne peut pas renoncer à l’assistance d’un avocat »12. 12 F. MOLINS, Le Procureur, nouveau pivot de la justice pénale ?, in Le nouveau procès pénal après la loi Perben II, Dalloz, 2004, p. 381. 5 - (f) de même, le droit de se taire & de ne pas s’auto-incriminer est protégé13: pour respecter ce droit il semble que le recours au juge soit primordial, et ce dans les deux procédures (les textes parlent de « validation » pour la composition, art. 41-2 CPP ; et « d’homologation » pour la CRPC, art. 495-9 CPP). Ainsi, dans sa décision de 2004 concernant la CRCP, le Conseil constitutionnel a déclaré que l’intervention du juge du siège n’était pas liée par la proposition faite par le Procureur, qu’il gardait tout son libre arbitre d’homologuer ou non (en présence de l’avocat du prévenu) et, enfin, que le fait que, même en cas d’échec, le PV ne pourrait servir dans le cadre de la procédure « normale » (art. 495-14 CPP), garantissait au prévenu le respect du droit de ne pas s’auto-incriminer inhérent à la présomption d’innocence.14 - (g) enfin, même s’ils ne sont pas tout le temps cités par la doctrine comme droits de la défense stricto sensu : . droit de faire appel pour le prévenu : il existe pour la CRPC (pas pour la composition pénale … mais ce peut-être considéré comme « moins grave » car la sanction est peu élevée). . en ce qui concerne ensuite la motivation des décisions, le juge du siège qui intervient dans la CRPC a cette obligation dans son ordonnance d’homologation (495-11 CPP). Ce n’est pas explicite dans les textes pour la composition, mais on peut penser que le juge, dans le cadre de sa validation de la procédure, agit de manière proche. . en ce qui concerne enfin la publicité des décisions, il faut surtout remarquer que la censure du Conseil en 2004 a porté sur ce point : les audiences d’homologation de CRCP n’étaient initialement pas publiques ; ce que le Conseil a censuré15. En définitive, 2 constants paraissent pouvoir être effectués à ce stade : d’abord et d’une manière générale, malgré des adaptations réelles inhérentes à la rationalité consensuelle de ces procédures alternatives, le principe des droits de la défense reste tout de même présent ; ensuite et de façon spécifique, ces droits paraissent plus présents dans la CRPC que dans la composition pénale, ce qui n’est pas illogique car la première peut déboucher sur des sanctions plus lourdes que 13 Mais faut-il classer ce droit comme un droit de la défense ? Il n’est pas explicitement prévu dans l’art. 6 §3 de la CEDH. Pour une réponse positive, v. J-P. COSTA, Les droits de la défense selon la jurisprudence de la CEDH, Gaz. Pal., 5 oct. 2002, p. 4. 14 Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, consi. 109 à 111. 15 Ibid., consi. 118 (pas a priori pour composition pénale, surtout que le prévenu n’est pas forcément entendu par le juge ; art. 41-2 CPP « peut procéder à l’audition de l’auteur des faits … »). 6 la seconde. Toutefois, il faut dépasser ces constats « théoriques » … B) Une incompatibilité pratique sous-jacente Une fois dépassées les constatations générales et théoriques, il n’en reste pas moins que la remise en cause des droits de la défense se matérialise à plusieurs points de vue. Outre la mise entre parenthèses du principe du contradictoire évoqué précédemment, 2 sujets posent surtout problème : le droit à l’avocat (1), le droit de ne pas s’auto-incriminer (2). (1) concernant le droit à l’avocat sa présence est réelle ; mais le problème réside plus dans son rôle. Ne passe-t-il pas de contradicteur à « simple » conseiller ? Ainsi, dans la première interprétation donnée par le Ministère de la Justice concernant le rôle de l’avocat dans la CRPC, la circulaire était explicite puisqu’il était indiqué que « la loi (…) ne prévoie pas (en revanche) de ‘négociation’ sur la peine entre l’avocat et le procureur de la République, qui est totalement libre de choisir la ou les peines qu’il entend proposer à l’auteur des faits, sans tenir compte des éventuelles observations de l’avocat »16. Si cette phrase a été retirée par la suite, il y a là une idée qui semble malgré tout marquer le rôle de l’avocat et qui a été résumée par Jean-Luc WARSMANN, rapporteur de la loi créant la CRCP : « le texte tel qu’il ressort des deux Assemblées ne prévoit aucune négociation, il est simplement question d’une proposition qui est acceptée ou pas »17. S’il ne s’agit pas de résumer la situation à ces interprétations, force est tout de même de constater que l’intervention de l’avocat est, dans son principe, plus celle d’une aide que d’un contradicteur. Si la proposition/sanction n’est pas, dans son principe, susceptible d’être discutée, le rôle de l’avocat se trouve directement diminué (c’est une aide formelle et non matérielle)18. (2) pour le droit de se taire & de ne pas s’auto-incriminer : cela semble remis en cause avec ces procédures négociées, nonobstant le recours au juge du siège qui reste formel ; ainsi, en matière de composition pénale, le rôle du juge est limité (seule « validation ») ; dans la CRPC cela semble 16 Circulaire du 2 septembre 2004 cité par B. NIANG, Le ‘plaider coupable’ en France et aux États-Unis au regard des principes directeurs du procès pénal, thèse Paris 1, 2010, p. 414. 17 Id., p. 415. 18 Cela pourrait d’ailleurs être interrogé eu égard à la jurisprudence de la CEDH qui pose le principe que « la nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à un accusé », et qu’il appartient à l’État « d’adopter les mesures positives permettant à la défense d’être effective et concrète » (not. CEDH, 9 avr. 1984, Goddi c. Italie, §27). 7 un peu différent car il va plus loin (« homologation »). Ceci étant, il existe 2 types de problèmes liés : - d’abord, le juge n’a que le pouvoir de « valider » / « homologuer » ou de refuser la proposition du Procureur ; autrement dit il ne peut la modifier. N’est-ce pas la preuve du risque que le juge devienne une sorte de « chambre d’enregistrement » des nouvelles procédures, et qu’il n’évalue pas véritablement la sincérité du consentement ? D’ailleurs, selon les statistiques19, les refus sont très limités. - ensuite, plus globalement et presque sociologiquement, il faut réfléchir sur le degré de pression qui va être exercé en amont sur le prévenu (et son avocat), nonobstant la présence juridique en aval du juge du siège (ou même de l’avocat). Ce problème, qui existe depuis le début, est accentué par les évolutions du droit français. Voici au moins 3 situations qui peuvent interpeler : . depuis une loi de 2002, la composition pénale (comme la CRPC) peut être proposée même pendant la garde à vue. N’est-ce pas exercer une certaine pression, même si la présence obligatoire de l’avocat en garde à vue atténue (à terme ?) ce problème20 ? . de même, depuis une loi de 200921, le Parquet peut mettre en place en même temps une procédure de CRPC et une procédure de poursuite classique, la seconde étant en attente de résolution de la première. N’est-ce pas là encore une pression supplémentaire qui s’exerce sur le prévenu même si, théoriquement, les procédures sont indépendantes l’une de l’autre (finalement le prévenu sait bien que l’échec de la CRPC aura pour conséquence son renvoi devant le tribunal correctionnel ; dès lors est-il nécessaire de le lui formaliser directement)22. 19 5% des audiences de validations / d’homologations aboutissent à un refus. V. V. PERROCHEAU, La composition pénale et la CRPC : quelles limites à l’omnipotence du parquet ?, Droit & Société, n° 74, 2010, pp. 55-71, p. 67. Soit le Parquet fait très bien son travail, soit le contrôle n’est que formel et explique ces statistiques. 20 De même, dans la CRPC, si le prévenu demande un délai de réflexion (comme c’est son droit, nous l’avons vu supra note 5), il peut dans l’intervalle être placé en détention à la demande du Procureur (art. 495-10 CPP). Cette situation est certes exceptionnelle, mais ne reflète-t-elle pas encore une fois une forme de pression sur le prévenu qui le poussera à accepter l’alternative proposée ? 21 Loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, renversant sur ce point la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. Crim., 4 oct. 2006). V. F. Defferrard, La dénaturation du « plaider coupable », Droit pénal, 07/08 2009, pp. 5-7. 22 Il faut remarquer que le Conseil constitutionnel n’a rien trouvé à redire, notant que les droits de la défense étaient respectés. Décision n° 2010-77 QPC du 10 déc. 2010 (notamment eu égard à la présence de l’avocat et à l’article 49514 … pourtant théorique : cf. supra p. 7). 8 . enfin, il faut souligner que la jurisprudence récente de la Cour de cassation est étonnante sur l’interprétation de l’art. 495-14 CPP, censée pourtant favoriser la non-incrimination. En effet, ajoutant à la loi, la Cour a pu reconnaitre que l’utilisation du PV d’échec de la CRPC n’entrainait pas automatiquement la nullité de toute la procédure ultérieure23. N’est-ce pas là une violation des garanties de la présomption d’innocence en tant que droit de ne pas s’autoincriminer ? Comme le soulignait Mireille DELMAS-MARTY il y a 15 ans déjà : « comment ne pas tenir compte (aussi) du pourcentage de pression qu’afin de réaliser une économie pour la justice on peut exercer sur l’accusé par le biais de ces alternatives ? »24. En définitive, les prévenus auront sûrement tendance à accepter les arrangements proposés, peu important finalement la vérité … TRANSITION Au terme de cette partie, deux positions semblent pouvoir être tenues lorsque l’on interroge la compatibilité entre, d’une part, les droits de la défense entendus stricto sensu et, d’autre part, les alternatives aux poursuites pénales à partir de la composition pénale et, surtout, du plaider coupable : - soit une attitude plutôt théorique selon laquelle, certes, les droits de la défense sont aménagés mais ils restent présents ; et ces aménagements seraient inévitables compte tenu de la nature consensuelle de ces procédures : le « compromis » trouvé sera à la fois inévitable et le meilleur. - l’autre position, qui est pratique, invite à plus de circonspection puisque certains de ces droits paraissent clairement remis en cause dans leur effectivité. - s’il nous semble que l’étude menée jusque là penche plutôt pour la seconde branche de l’alternative, cela parait d’autant plus vrai lorsqu’est pris en compte le contexte dont les droits de la défense sont indissociables, i.e. les principes directeurs de la procédure pénale. 23 Cass. Crim., 26 oct. 2010 et 30 nov. 2010. Il faut, pour entrainer la nullité au-delà du simple retrait du PV correspondant, prouver l’existence d’un grief causé à la défense. De plus, si nullité il y a, celle-ci ne concernera pas l’intégralité de la procédure. 24 M. DELMAS-MARTY (dir.), Procédure pénale d’Europe, PUF, 1995, pp. 501-502. 9 II) UNE REMISE EN CAUSE CERTAINE DU CONTEXTE INHÉRENT AUX DROITS DE LA DÉFENSE Les droits de la défense, qui constituent stricto sensu des garanties procédurales, sont indissociables d’autres garanties. En adoptant une telle vision lato sensu, on se rend bien compte que les atteintes portés par les nouveaux modes alternatifs sont profondes (A), ce qui nécessite d’interroger ensuite globalement ces évolutions (B). A) Les mutations des garanties connexes aux droits de la défense Sans pouvoir reprendre toutes les garanties de la procédure pénale, il faut souligner que les droits de la défense sont incorporés dans un contexte particulier ; autrement dit ils sont substantiellement liés à d’autres principes de la procédure pénale comme le droit au juge (1) ou encore les garanties relatives à la preuve pénale (2). Or : (1) Sur le premier aspect, si les alternatives ici étudiées ne portant pas atteinte au droit au juge (car il y a validation / homologation), il en va différemment du droit à un bon juge (i.e. impartial et indépendant). C’est donc par rapport au principe de séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement qu’un problème se pose. Conformément à sa jurisprudence précédente25, le Conseil constitutionnel a retenu en 2004 que l’homologation du juge du siège pour la CRPC entrainait la non violation dudit principe26, raisonnement aussi valable pour la composition. Pour rester sur la CRPC, les textes prescrivent seulement aux juges de vérifier « la réalité des faits et leur qualification juridique » (art. 495-9 CPP), et non la culpabilité du prévenu qui est acquise sans débats. Si le juge peut refuser l’homologation sur ces motifs, le Conseil constitutionnel en 2004 est allé un peu plus loin en considérant que « le président du Tribunal de grande instance pourra également refuser d’homologuer la peine proposée si les déclarations de la victime apportent un éclairage nouveau sur les conditions dans lesquelles l’infraction a été commise ou sur la 25 Le recours au juge a été mis en place suite à l’annulation en 1995 par le Conseil constitutionnel (Décision n° 95-360 DC du 2 fév. 1995) de la précédente procédure qui excluait justement cela, ce qui pouvait entrainer une confusion entre autorités de poursuite et de jugement 26 Supra note 14. Puis la décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006 marque une inflexion, en mentionnant qu’il était loisible au législateur de confier le pouvoir d’homologation de la transaction à un magistrat du parquet comme à un magistrat du siège, dès lors qu’aucune mesure pouvant faire l’objet de la transaction n’était de nature à porter atteinte à la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution (consi. 42). 10 personnalité de son auteur »27. Néanmoins, il n’en reste pas moins que la culpabilité est acquise sans réels débats de fond : le juge ratifie plus qu’il ne juge. Dès lors, de la même façon que les pouvoirs limités du juge du siège posent problème par rapport au droit de ne pas s’auto-incriminer, l’alternative du « tout ou rien » qui lui est offerte parait ne respecter le principe de séparation ici évoqué que de manière formelle28. (2) Par ailleurs, fondée sur la présomption d’innocence, la charge de la preuve incombe par principe au Ministère public. Le procès pénal vise à mettre en place un débat pour évaluer la culpabilité, sachant que c’est toujours au parquet d’apporter les preuves de cette culpabilité. Or les nouveaux modes alternatifs dispensent souvent cette recherche au nom d’un aveu consensuel qui est dangereux faute de corroboration : « l’organe de poursuite, à qui incombe la recherche des preuves, en est déchargé par l’exercice de son pouvoir de négociation »29 ; le juge du siège n’ayant pas de prérogatives particulières pour contrôler les conditions de recueil de cet aveu. (3) Au final, d’autres questions se posent plus généralement par rapport au principe d’égalité devant la loi / la justice face à ces procédures multiples pour des infractions similaires, voire identiques (peine inférieure ou égale à 5 ans). Un même délit peut ainsi donner lieu à des réponses sensiblement différentes (jugement « normal », composition pénale, CRPC) selon le tribunal qui est concerné : certains auteurs ont d’ailleurs déjà démontré que les pratiques n’étaient pas les mêmes au sein de différentes juridictions françaises30. Il existe certes un principe de personnalisation des peines … mais ce principe est ici aussi traditionnellement entendu comme devant permettre à un juge, après examen des faits et de la personnalité du prévenu, de faire varier la peine. Ici ce résultat est obtenu en amont par la négociation ; plaçant encore une fois les citoyens incriminés dans une position différente par rapport 27 Supra note 14, consi. 107. On rappellera que seulement 5% des audiences de validations / d’homologations aboutissent à un refus ; supra note 19. 28 Ne pourrait-on d’ailleurs pas interroger la compatibilité de cette intervention du juge avec la décision du Conseil constitutionnel de 1995 déjà citée (supra note 25) ? En effet, dans cette dernière, le Conseil affirmait que le prononcé et l’exécution de mesures négociées, « même avec l’accord de la personne susceptible d’être pénalement poursuivie (...) requièrent la décision d’une autorité de jugement (nous soulignons) ». Or, peut-on parler de « décision », i.e. l’« action de trancher une question » (Dictionnaire de l’Académie française en ligne) lorsque le juge se contente « d’homologuer » (« Entériner, valider officiellement un acte pour lui donner force exécutoire », Dictionnaire de l’Académie française en ligne) ou de « valider » l’accord sans aller au fond des choses ? 29 B. PEIRERA, Dalloz, 2005, p. 2041. 30 V. l’étude de L. AUBERT, Systématisme pénal et alternatives aux poursuites en France : une politique pénale en trompe-l’œil, Droit & Société, n° 74, 2010, pp. 17-33 (comparant les pratiques, très différentes, aux tribunaux de Bobigny et de Bordeaux). L’auteur parle en synthèse d’une « ‘auberge espagnole’ », p. 32. 11 à la loi31. En définitive, la phase du procès est l’endroit où les droits de la défense lato sensu sont traditionnellement les plus prégnants puisque exercés face à un juge impartial qui arbitre des débats orientés en vue de démontrer une (éventuelle) culpabilité. Or, par définition, les modes alternatifs assèchent le conflit en amont du procès. La présence du juge (du siège), formellement acquise et pensée comme permettant un contrôle, n’est-elle pas alors que (très) théorique ? Avec l’effacement du rôle classique du juge du siège, il apparaît que les droits fondamentaux des prévenus risquent « de demeurer théoriques (…) lorsque la stratégie défensive est confrontée à des alternatives qui entrainent de réels avantages au plan des intérêts les plus immédiats de l’accusé : en principe éviter la prison »32. Ceci étant, il reste à questionner ces mutations profondes. B) Des mutations à interroger Le développement des modes alternatifs aux poursuites met en lumière de profondes mutations qui doivent être questionnées à un double titre. D’abord, elles représentent un paradoxe pour la place actuelle des droits fondamentaux dans la procédure pénale (1). Ensuite, elles génèrent certains risques globaux (2). (1) Paradoxe / contre-courant : l’histoire des droits de la défense, et plus généralement des garanties de la procédure pénale, est celle d’un accroissement au fur et à mesure de la progression de l’État de droit. Ainsi, si on prend en compte les 3 phases dans lesquelles ces droits jouent et si on reste stricto sensu sur les droits de la défense : - ils sont classiques dans la phase de jugement (i.e. le procès). - mais, en amont et en aval de ce jugement, les évolutions récentes sont importantes : . à ce dernier titre les possibilités de faire appel ont augmenté (cf. l’appel en assise depuis 2000), tout autant que l’on a assisté à une « judiciarisation de l’application des peines »33 sous l’influence européenne. 31 Dans une position formelle, le Conseil constitutionnel a reconnu qu’il n’y avait pas violation dudit principe en 2004, supra note 14, consi. 114. 32 M. DELMAS-MARTY (dir.), supra note 24, p. 501. 33 T. GARÉ et C. GINESTET, supra note 7, p. 540. 12 . en ce qui concerne la phase précédent le jugement, c’est surtout au niveau de l’enquête que ces droits étaient le plus limités. Or, sous la pression de la CEDH, les évolutions sont réelles, le meilleur exemple étant, très récemment, la réforme dans la garde à vue en France obligeant la présence et l’intervention substantielle et effective de l’avocat dès le début de celle-ci34. Dans l’articulation de l’équilibre entre poursuite et droits fondamentaux, ces derniers sont prégnants dans un État de droit. A contrario, les modes alternatifs ne représentent-ils pas un mouvement inverse ? La célérité et le désengorgement des tribunaux sont-ils véritablement des objectifs qu’une justice moderne peut promouvoir avant la défense de l’État de droit ? (2) Dangers pour la procédure pénale et le droit pénal : plus généralement, le développement des procédures négociées interroge l’évolution du sens du droit pénal : - d’abord avec l’évolution dans ces procédures du rôle du Ministère public. En effet, le juge du siège ne décide pas de la culpabilité, ni ne prononce de peine au sens classique du terme. On arrive à une situation dans laquelle le rôle du Parquet devient prépondérant35. Comme le synthétise Bertrand DE LAMY, « avec la composition pénale et le plaider coupable, les délits punis d’un maximum de cinq ans d’emprisonnement - ce qui est loin d’être négligeable passent petit à petit d’un traitement juridictionnel à un traitement simplement judiciaire faisant la part belle au parquet. La marginalisation ici possible de la procédure publique, orale et contradictoire marque un tournant important de la procédure pénale (…) »36. On est donc en face à une « autre manière de juger »37, qui rappelle certains éléments de la procédure accusatoire : l’idée, pour rétablir l’ordre social, n’est plus d’atteindre la justice, mais de régler un différend. On arrive à une situation dans laquelle la fonction de juger se trouve partiellement déplacée. Ainsi le rôle accru du Parquet dans les procédures alternatives place ce dernier dans une situation d’effectuer un « préjugement »38, ce qui n’empêche pas un accord 34 Sur les condamnations régulières de la France ayant abouti à l’adoption de la loi du 14 avr. 2011, v. not. CEDH, 5e Sect., 14 oct. 2010, Brusco c. France. 35 V. le dossier spécial dans Droit & Société, n° 74, 2010. 36 B. DE LAMY, Procédure et procédés (propos critiques …) in S. CHASSAGNARD et D. HIEZ (dir.), Approche critique de la contractualisation, LGDJ, 2007, pp. 149-165, p. 161. 37 A. VALOTEAU, La jugement sur reconnaissance préalable de culpabilité : une autre procédure de jugement ou une autre manière de juger ?, Droit pénal, n° 5, 2006, étude 8. 38 Juger vite, juger mieux ? Les procédures rapides de traitement des affaires pénales, état des lieux. Sénat, rapport d’information n° 17 (2005-2006) de M. ZOCCHETTO, p. 50 (citant le Procureur général J-L. NADAL). 13 donné (au moins tacitement) par les juges du siège39. - ensuite, dans la continuité, le droit pénal défend traditionnellement l’intérêt général / l’ordre public par des procédures et des garanties adéquates. Ce faisant le droit pénal, droit unilatéral, a une fonction symbolique importante : garantir l’harmonie sociale par le prononcé de sanctions suite à une procédure qui aboutit à un jugement. Cette fonction est ainsi transcendante aux prévenus et plus généralement aux citoyens pour défendre l’intérêt général. Or, avec les nouveaux procédés ici étudiés, sous-tendus par l’idée de contractualisation et de privatisation40, le droit pénal se transforme. La volonté de rechercher l’acceptation de l’auteur des faits répréhensibles diminue la légitimité de la peine en introduisant une part d’immanence, ce qui altère d’autant la symbolique sociale du droit pénal. Ce développement (ou plutôt ce retour historique) de la contractualisation, présent d’ailleurs dans de nombreux autres domaines du droit41, n’est pas anodin, car l’État s’est justement construit en réaction aux logiques contractuelles. Nous sommes donc aujourd’hui face à un risque de « reféodalisation du lien social »42 dépassant le seul droit pénal. Or, souvent, la liberté de négociation n’est qu’un gage apparent de liberté. Pour conclure, on peut se demander avec Mireille DELMAS-MARTY il y a déjà plus de 15 ans si nous ne sommes pas face à une situation dans laquelle « le risque existe que les procédures négociées ne soient guère autre chose, à l’ère de la dérégulation et du néolibéralisme, que l’introduction de l’économie de marché dans l’administration de la justice pénale »43. Voilà pourquoi le développement exponentiel44 de ces procédures alternatives accélérées parait devoir être limité et à tout le moins mieux encadré. 39 V. V. PERROCHEAU, supra note 19, pp. 69-70. C’est ce qui explique en grande partie pour l’auteur les taux très limités de refus des compositions et CRPC. 40 V. Y. BENHAMOU, Vers une inexorable privatisation de la justice ? Contribution à une étude critique de l’une des missions régaliennes de l’État, Dalloz, 2003, p. 2771. 41 Conseil d’État, Rapport public 2008, Le contrat, mode d’action publique et de production de normes, EDCE, n° 59, La Doc. fran., 2008. 42 A. SUPIOT, Homo juridicus, Seuil, 2009, p. 166 (en détails pp. 172 – 175). 43 M. DELMAS-MARTY (dir.), supra note 24, p. 581. 44 V. supra note 2 avec l’augmentation très récente du domaine du plaider coupable. 14