Bird people Sawicki

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Bird people Sawicki
 Bird people de Pascale Ferran (France, 128 mn) par Jérémy Sawicki De l'influence des oiseaux sur le comportement des humains Bird people est l'histoire de deux histoires qui se réunissent parfois et rebondissent l'une
sur l'autre comme des ricochets, avant de se rejoindre définitivement. La singularité de ce film se
trouve dans ce que l'opposition narrative et formelle entre ces deux histoires crée malgré tout,
dans leur jointure, une cohérence et un caractère abouti au film de Pascale Ferran.
Construit en diptyque, Bird people raconte toujours l'histoire d'un passage de la terre au
ciel, de la prison de l'habitude à la liberté de la vie. D'abord, nous voyons ce « people » aller et
venir dans le métro parisien, tous dans leur pensée, expressifs ou introvertis, fâchés ou heureux,
la caméra les saisis comme sur le vif, avec la vivacité du documentaire. Ce n'est qu'avec
l'apparition de la voix-off interne des personnages, et avec la présence d'acteurs reconnaissables,
que le film bascule dans la fiction.
Gary et Audrey sont les « bird people », les deux personnages de cette histoire, ou plutôt
de ces deux histoires réunies par le sceau d'un moineau. L'introduction nous présente ces deux
personnages brièvement, par montage alterné. L'un est un homme d'affaire en mission, et semble
mener une vie morne et routinière, l'autre est une étudiante qui essaie de se faire un peu d'argent
en travaillant comme femme de ménage dans un hôtel Hilton près de l'aéroport. Ces deux
personnages connaissent une proximité géographique, mais leurs histoires se développent en
parallèle l'une de l'autre sans se rencontrer par un autre biais que celui du moineau, tout en
partageant une rupture avec leurs attaches, ou plus précisément un envol.
Ferran réalise l'exploit d'articuler, pour Gary, une rigueur filmique et narrative qui permet
une évolution claire de sa situation, ainsi que le déroulement minutieux des conséquences de sa
décision, puis, pour Audrey, une liberté de réalisation et une stagnation narrative qualifiable de
« poème cinématographique ». Quoiqu'opposées, les deux parties de ce diptyque se complètent et
se rejoignent par la présence fugace d'un moineau, par la rencontre d'Audrey et Gary sous deux
formes différentes, et s'achèvent enfin dans une même clausule qui font des deux histoires d'envol
une seule et même histoire de liberté.
Bird people n'est pas un film linéaire où se suivent des scènes de circonstance ne servant
que de pivots au développement narratif. Bien au contraire, nous observons chez Ferran un amour
de la scène longue, développée, puissante et indépendante du reste du film. Pensons à la longue
conversation sur skype entre Gary et sa femme, où tous les états de nerfs se succèdent à travers
des ellipses, des errances dans le périmètre d'une chambre d'hôtel, un épuisement des
personnages. Il en va de même de cette magnifique scène où le moineau pose pour le peintre
japonais et contemple les dessins achevés.
Si Bird people est un film ni tout à fait réaliste ni tout à fait fantaisiste, et qu'il n'est pas
tributaire d'une narration tenue et cohérente, il tire justement sa beauté de ce qu'il rejette à la fois
la complète et rigueur et la complète liberté, pour devenir un film sur le hasard, sur la possibilité
que des choses extraordinaires adviennent au sein de l'habitude, et de même dans la réalisation, la
naissance de la liberté (les plans dans le ciel sur la musique de Bowie), sur le terreau de la rigueur
(les champs / contre-champs entre Gary et sa femme).