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L’œil des expositions
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Photomaton
Jusqu’au 20 mai
En Suisse
Esthétique du
Photomaton
Mis en place en 1926 aux États-Unis, le principe du Photomaton
a immédiatement séduit les artistes, au premier rang desquels les surréalistes,
qui n’ont quasiment plus cessé de l’utiliser depuis. Bénédicte Ramade
Jan Wenzel, Vorhang (Rideau), 2009, montage de quatre bandes de Photomaton, 41,7 x 31,7 cm. © Jan Wenzel/Kleinschmidt Fine Photographs.
Dissection
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Jan Wenzel s’est pris de passion pour l’objet même qu’est la cabine de photomaton. Après avoir « squatté » celle d’une administration, il a fini par en acquérir
une et en photographier le moindre rouage pour sa série Histoire instantanée.
Naturellement, le rideau rouge n’a pas échappé à cette dissection amoureuse,
élément du Photomaton qui a séduit d’autres artistes comme Naomi Leibovitz.
L’œil des expositions
Andy Warhol, Frances Lewis, 1966, acrylique et sérigraphie sur toile, douze panneaux, 162,5 x 167,6 cm, Lewis Foundation.
© 2011, The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc.
Factory
C’est la collectionneuse Ethel Scull qui est passée la première devant l’objectif
d’un Photomaton public sur Broadway en 1963, avant que Warhol ne finisse
par en installer un dans sa Factory. Par la suite, nombreux seront ses amis,
ses collectionneurs, mais aussi les wannabe de passage à se donner des airs
dans l’espace exigu de la cabine. Warhol se réservait ensuite de sélectionner
la « bonne » image, de retraiter par sérigraphie ces portraits caractéristiques
du pop art, machiniques et sériels, comme ici le portrait de Frances Lewis.
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L’œil
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PORTFOLIO photomaton
Cindy Sherman, Untitled, 1975, épreuve gélatino-argentique, 30,5 x 20,4 cm, collection Musée de l’Élysée, Lausanne,
courtesy of the Artist and Metro Pictures.
Pastiche
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Mars 2012
Avant que la photographe américaine n’amorce la série qui la rendra célèbre,
Untitled Films Stills, elle s’est approprié l’esthétique du Photomaton en se travestissant, style fin des années 1930. Elle emprunte les traits de l’actrice
Lucille Ball, héroïne du programme I Love Lucy dans lequel elle jouait une gourde
incendiaire. Sherman en livre une version qui pastiche autant le look Harcourt
qu’il ne célèbre les qualités réelles de la photographie automatique.
L’œil des expositions
Pour une histoire
du photomatique
!
Le Photomaton a innervé les pratiques de l’art du XXe siècle,
jusqu’à légitimement pouvoir prétendre à sa propre
esthétique dévoilée au Musée de l’Élysée à Lausanne.
A
Yves Tanguy,
Autoportrait dans un
Photomaton, vers
1929, épreuve
gélatino-argentique,
20,5 x 3,8 cm,
collection Musée de
l’Élysée, Lausanne.
vec « Derrière le rideau, l’esthétique
du Photomaton », Clément Chéroux, conservateur au département photographique du Centre Pompidou, et Sam Stourdzé, directeur du
Musée de l’Élysée, tissent une exposition
palpitante sur les relations complexes
d’une technique, d’une sociologie, d’un
loisir, d’un art à une esthétique. Mise au
point dans les années 1920 aux ÉtatsUnis par Anatol Josepho après bien des
balbutiements techniques, la cabine de
photographie automatique – d’un automatisme relatif puisqu’un opérateur doit
rester à proximité pour régler les optiques
et palier les caprices techniques – jouit
très rapidement d’un vif succès.
Le procédé et le prix – démocratiques –
font le reste : tout le monde au même
format, avec le même fond, les mêmes
contraintes, la personnalité fera le reste.
Son esthétique est une appropriation
collective de ces petits faits divers photographiques, avec ses accidents, ses mines
surprises, sa théâtralité de poche. Dès ses
prémices, le Photomaton séduit les artistes, surréalistes en tête, ce que montre
bien le catalogue.
Le retour de la bande d’identité
L’exposition offre deux axes majeurs.
L’un est dédié à la machine en tant que
telle avec son architecture – ce cubicule
d’où émergent deux jambes anonymes ! –, ses bandes à la manière d’un
petit film et son automatisme. L’autre axe
est dévolu à la question de l’identité,
l’image produite par le Photomaton
Autour de l’exposition
Infos pratiques. « Derrière le rideau – L’esthétique
photomaton », jusqu’au 20 mai 2012. Musée de
l’Élysée à Lausanne. Ouvert du mardi au dimanche
de 11 h à 18 h. Tarifs : 7 et 3 e. www.elysee.ch À lire :
le catalogue édité aux éditions Photosynthèses, 65 c.
Et Raynal Pellicer, Photomaton, La Martinière, 35 c.
répondant aux critères de l’identité judiciaire nomenclaturée par Alphonse Bertillon au XIXe siècle. Avec cette dernière
notion viennent celles de la ressemblance, de l’introspection, de la norme et
de la singularité.
Depuis quelques années, le Photomaton,
en passant au numérique, a perdu de son
unicité, mais on voit ressurgir quelques
spécimens à quatre vignettes distinctes
en longue bande. Cette zone d’intimité
et de narcissisme au milieu de l’espace
public reste un lieu à part et fantasmatique jusqu’à l’érotisme. Apple n’a-t-il pas
baptisé son application d’autofilmage
« Photo Booth », cabine photographique ? Preuve que, derrière le rideau, le
spectacle photographique et son esthétique modeste restent un objet de fascination, de collection compulsive, d’admiration et de défi à l’originalité. n B. R.
Questions à…
Clément Chéroux
Conservateur au département photographique du Mnam
L’engouement récent
pour le Photomaton
s’inscrit-il dans
la réhabilitation
historienne et esthétique
de la photographie
vernaculaire ?
Un mot d’abord sur
la photographie
vernaculaire. Ce terme
un peu barbare regroupe
toutes les photographies
(amateurs, de mariage,
d’identité, médicales,
documentaires, etc.) non
produites dans le but
de faire de l’art – ce qui
ne veut pas dire qu’elles
sont forcément exemptes
de qualités esthétiques.
L’engouement pour cette
iconographie ne date pas
d’aujourd’hui. Dès les
années 1920, les avantgardes qui cherchaient
à dépasser l’académisme
ont trouvé dans cette
iconographie les moyens
d’un renouvellement
du vocabulaire formel.
Les surréalistes se sont
passionnés pour les
photographies
anonymes et pour
les Photomatons.
Les constructivistes
et les artistes du Bauhaus
ont truffé leurs
publications d’images
amateurs ou de
photographies
documentaires trouvées
dans la presse.
Depuis les années 19601970 et, plus largement,
depuis les années 2000,
cette iconographie
vernaculaire fait un
retour en force dans le
champ de l’art. Ceci pour
deux raisons. Parce que
cela correspond tout
d’abord à un moment
d’expansion
économique pour cette
photographie
vernaculaire : les années
1960-1970
correspondent à
l’explosion de la
photographie amateur
en couleur, les années
2000 au développement
du numérique. Mais
aussi parce qu’à ce
moment-là les artistes
se posent des questions
(intimité, identité,
protocole documentaire,
etc.) dont l’iconographie
vernaculaire permet
particulièrement bien
Mars 2012
de rendre compte.
Automaticité =
authenticité. Est-ce
ce principe fondamental
qui explique le succès
du Photomaton ?
Il y a sans conteste une
poésie de l’automaticité.
Elle repose sur l’idée
chère à Roland Barthes
de « la mort de l’auteur ».
Ce n’est plus l’artiste mais
la machine qui fait le
travail. L’auteur disparaît
derrière la toutepuissance technologique.
Andy Warhol, qui est très
bien représenté dans
l’exposition, ne disait-il
pas qu’il voulait devenir
une machine ? Et c’est
finalement tout naturel
qu’il se soit emparé du
comble de l’automatisme
photographique : le
Photomaton. Il arrive
cependant au dispositif
de dysfonctionner. Il en
résulte une forme de
poésie de l’automatisme
qui vient alors se nicher
dans ses failles, ses
ratages et ses dérapages.
Quoi de plus touchant
qu’un Photomaton taché,
flou ou mal cadré.
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