psychanalyse et musique 1

Transcription

psychanalyse et musique 1
Des petits cris du bébé au chant du fort-da
(psychanalyse et musique 1)
Anchyses Jobim Lopes
Traduction: Sieni CamposDes petits cris du bébé au chant du fort-da
(psychanalyse et musique 2)
Anchyses Jobim Lopes
Traduction: Sieni Campos
Les oiseaux
reviennent
encore et
encore.
Le temps s'accomplit. Se construit
l´ évanescente forme
être
et
rythme.
Les oiseaux
reviennent. Toujours les
oiseaux
L'enfance retourne lentement.
CYCLE (II)
Orides Fontela
MOTS-CLEFS:
Psychanalyse-Esthétique-Musique-Langage-Temps-Jouissance
RÉSUMÉ: La musique comme l'art le moins interprété par la Psychanalyse. Quelques-unes des
idées de Didier-Weil sur la Psychanalyse et la musique. L'hypothèse que le langage musical soit à
l'origine du langage verbal. La question du temps dans la musique. L'hypothèse contraire, celle que
le langage verbal soit à l'origine du langage musical et de tous les autres arts . La musique comme
source du sentiment océanique mentionné par Freud et de la jouissance au delà du phallique décrit
par
Lacan.
KEYWORDS:
Psychoanalysis-Aesthetics-Music-Language-Time-Enjoyment
SUMMARY: Music as the artistic form least interpreted by Psychoanalysis. Some of Didier-Weil's
concepts about music and psychoanalisis. The hypothesis that musical language may be the origin
of verbal language. Music and time. The contrary hypothesis, that verbal language may be the
origin of musical language and all other artistic languages. Musica as origin of the oceanic feeling
mentioned by Freud and as origin of the enjoyment beyond the phallic described by Lacan.
INTRODUCTION:
Freud n'était pas un amant de la musique, au contraire, le fondateur de la Psychanalyse avait pour
elle une certaine répulsion. Compréhensible, tant par l'attachement de Freud au mot, que pour sa
révulsion à tout irrationnalisme. Non verbal, produisant des émotions incompréhensibles et des
sentiments océaniques, la musique constitue l' anti-thèse du tempérament réservé, méthodique,
contrôleur et un peu obsessif de Freud. Il connut Mahler lors d'une courte analyse, mais nous
sommes sûrs qu'il n'a jamais écouté aucune de ses compositions. En chacun d'entre nous presque la
musique est capable de causer l'extase. Quand Romain Roland cherche à savoir si le sentiment
océanique – de l´ éternel, illimité, sans frontières – ne pourrait être à l´origine psychologique des
religions, Freud répond qu´il ne peut découvrir traces de ce sentiment océanique en lui-même..
Quant à Mélanie Klein, bien qu´elle ait écrit sur un roman, une trilogie de tragédie grecque et des
films, nous n´avons pas connaissance du fait qu´elle ait cherché à travailler sur la musique. Lacan a
suivi le chemin de ses illustres prédécesseurs, son modèle d´art et d´ exemplification de ses idées est
la littérature, à des oeuvres comme celle de Joyce qui pénètrent dans la propre construction du
langage. Concessions faites par Lacan au surréalisme dans les arts plastiques et à certains exemples
du cinéma. La répulsion ou l´indifférence des principaux noms de la Psychanalyse explique en
partie pourquoi, malgré l´énorme influence que la Psychanalyse a eu sur la compréhension de tous
les autres arts, ayant également servi de fondement à de nouvelles propositions artistiques, comme
le surréalisme, la musique lui est restée un continent noir. Au cours de plus de cent ans d´histoire de
la Psychanalyse, nous pouvons compter sur les doigts de la main les auteurs qui osèrent essayer de
psychanalyser la musique. Jusqu'à deux décennies de cela, les auteurs qui ont osé le faire furent un
peu au delà de la question de la catharsis et de l'imagination évoquées par la musique.
Que la Psychanalyse soit passée le long de la musique est également explicable par le fait que, ayant
le mot comme point d'appui, le non-verbal soit resté en second plan. Mais seulement partiellement
explicable. Parmi les qualités universelles de l' homo sapiens se trouve sa musicalité. Il n'y a pas de
culture sans elle, il n'y a pas d'enfant qui ne: chantonne, danse ou joue avec les sons. Même un bébé
tenu dans des bras bouge souvent tout son corps, cherchant à accompagner le rythme de la musique.
Où se trouve, quand appliquée au phénomène musical, la Loi de Haeckel, tant adorée par Freud:
l'ontogénèse suit la phylogénèse? Comment chaque enfant peut-il porter en lui le goût apparemment
inné de la musique? Le phénomène musical ferait-il partie de l'antropogénèse? Le talent est déjà une
autre question, encore plus inexplicable par la Psychanalyse. Parmi tous les auteurs qui ont travaillé
ou travaillent sur l' Art et la Psychanalyse, sur lesquels nous ne nous arrêterons pas, nous en
rencontrons curieusement à peine un, contemporain, dédié à la compréhension de la musique par la
Psychanalyse et qui, peut-être pour s'en être aperçu, place tout autant l'une que l'autre face à
d'intéressantes questions: Alain Didier-Weil (1997, 1997, 1998, 1999). Nous utiliserons certaines de
ses formulations. Nous sommes contraints à une autre confession: les grands auteurs de l'
Esthétique, comme discipline de la Philosophie de l'Art, quand relus avec attention, ne sont pas non
plus arrivés à expliquer la musique. Elle se maintient le plus énigmatique, peut-être pour être le plus
profond, de tous les arts. Ceux qui s'aventurèrent à l'apprivoiser – Hegel, Schopenhauer, Nietzsche –
ne résolurent pas le mystère et soulevèrent un problème de plus: la relation entre la musique et le
mot.
Nous entrons dans le domaine où, bien ou mal, la Philosophie et la Psychanalyse se confondent. L'
ontogénèse suit la phylogénèse, énoncé si cher à Freud. En Philosophie nous avons le concept présocratique d' Arché – principe, origine, aussi bien dans le passé comme celui qui soutient et unit le
tout dans le présent et qui conduit vers le futur. C´est la musique l´Arché et l´ Haeckel du mot, ou le
contraire? Qui est venu en premier: l´oeuf ou la poule? La lecture de Didier-Weil suppose que la
musique soit venue en premier, ce qui peut-être remet en question le propre inconscient comme
langage.
Mais
commençons
par
le
début.
L´OEUF OU LA POULE – AU COMMENCEMENT IL Y AVAIT LE SON
Le premier penseur à considérer la musique comme plus qu´un appendice de sa théorie esthétique
fut Arthur Schopenhauer. Il ne l´a pas seulement considérée dans son système philosophique, mais
en a fait le noyau de sa métaphysique. Dans Le Monde Comme Volonté et Représentation (2005),
son oeuvre principale et le plus solide pilier de la pensée romantique allemande, qui ira déboucher
sur le unbewusste de Freud, l´art est prioritaire sur la science. C´est uniquement à travers l´art que
sont atteintes les idées, qui synthétisent les représentations produites par la Volonté aveugle et
irrationnelle. Pourtant, la vérité atteinte à travers toutes les manifestations artistiques, à l' exception
de la musique, bien que supérieures à la connaissance de la science, ont besoin d'un mouvement de
double médiation. La Volonté s'objective au travers des idées (platoniques), desquelles les oeuvres
d'art permettent l'accès à l'être humain: de la Volonté aux idées, de celles-ci aux oeuvres d'art.
Néanmoins, dans le système schopenhaurien la musique se distingue de tous les autres arts, n'ayant
pas le double mouvement en direction de la Vérité. La musique: il s'agit d'une objectivation
immédiate, d'une copie directe de toute volonté. La musique, donc, en aucune façon n´est semblable
aux autres arts, c'est-à-dire, copie d' idées, mais VRAIMENT COPIE DE LA VOLONTÉ, dont
l'objectivité sont aussi les Idées. Émanation directe de la Volonté, Schopenhauer postule sur la
musique comme une langue universelle antérieure à tout autre langage, plastique ou verbal. Toutes
les manifestations artistiques possèdent le don de momentanément libérer l' être humain de
l'individu, du vouloir, du désirer, qui lui est inné par le fait d' être également un être causé par la
Volonté. Mais ce don appartient beaucoup plus à la musique qu' à d' autres formes d'art. Dans cet
état de liberté du désirer, de passivité soumise, l'oeuvre est celui qui regarde et pénètre le spectateur.
Cette invasion, ce sentiment océanique, auquel nous accédons de façon bénigne, possède le don de
révéler non seulement ce que serait la source du tout existant, comme de sa réelle intensité. Et alors
le spectacle tragique de l'existence, les contradictions externes et de la propre Volonté en elle-même
peuvent
être
contemplées
et
acceptées.
Toutes les conceptions furent reprises par Didier-Weil à partir d'un prisme psychanalytique. La
musique n'est pas écoutée à partir d' une délibération interne qui permet de dire un non. Il s'agit d'un
oui absolu qui nous met sur la piste de ce qu'est le véritable sentiment de Bejahung. Il constitue
l'accès à un Réel qui est intraduisible par le mot. Si cela dépendait à peine de la musique nous ne
vivrions pas dans un monde clivé entre mot et musique, il n'y aurait pas de . Avant le mot, la
musique exprime un langage universel. Et dans l' infans se trouve la pulsion invocante, la plus
proche de l'expérience de l'inconscient, qui permet en même temps l'émergence du sujet de
l'inconscient, qui existe en puissance, mais pas en acte, et également cause l'expression d'un second
oui, intérieur, en réponse à l'appel de l'Autre. Au cours de toute son existence, la musique rappelle
ce Bejahung primordial, rappelle qu'il existe une parenté entre le sujet et l'Autre, par l'intermédiaire
de laquelle la plus méconnue des chansons, par exemple, récupère la commémoration initiale du oui
et la bande moebienne d'une Arché universelle. Pour Didier-Weil l'expérience apportée par la
musique est proche de l'expérience mystique, dans laquelle je suis océaniquement contemplé par
l'Autre, mais d'un mode opposé à celui de l'invasion de l'Autre et de son regard médusique comme
psychose. La musique permet que je me contemple et me réconcilie avec les contradictions, les
conflits, du tragique universel, en une grande célébration de l'existence.
Dans la séquence de la philosophie allemande du XIXème siècle , imbibée de Romantisme et
transformant chaque fois plus le trieb - terme très utilisé par Kant – soit vers l' irrationnel, soit vers
ce qui est en deçà ou au delà de la conscience, Friedrich Nietzsche fut un grand lecteur et critique de
Schopenhauer. Critique à propos de l' apologie schopenhaurienne du se laisser abandonner à la
contemplation de la Volonté. Critique de la passivité et du nihilisme du chercher à ne pas désirer,
tout comme le ne pas luter contre la nature ultime du monde. Nietzsche a critiqué les tendances qui
reflétaient aussi bien les précepts de la philosophie grecque, que les influences orientales en
Schopenhauer. Mais quant à la musique, Nietzsche peut être vu comme son meilleur lecteur et
principal disciple. Tant que sa première grande oeuvre, pour beaucoup la plus importante, lui a
donné le titre de La Naissance de la tragédie à Partir de l'Esprit de la Musique (1992).
Plus connue comme L' Origine de la Tragédie, dans ce livre la musique est de façon
schopenhaurienne à l'origine du tout existant, c'est elle qui, s' objectivant en images, à travers le
rêve, crée les figures à partir desquelles sont nés les deux dieux grecs originaux: Appolon e
Dyonisos. Corporifiée par les dieux qui synthétisent les forces antagoniques ou contradictoires – l'
un de la forme et de l'équilibre parfait, et l'autre du sentiment océanique et du ravissement – la
musique dévoile la diversité et le conflit qui se dédouble à partir de ce que Nietzsche a dénommé
l'Un Originaire. Du conflit entre Appolon et Dyonisos survient non pas la somme, mais la
multiplication
du
trieb
originel.
Dans sa théorie sur l'origine du théâtre grec, Nietzsche défendit que: premièrement il existerait une
extase mystique en l'honneur de Dyonisios, dans lequel toute la polis participait, ensuite l'extase
mystique est devenue une procession, où seulement une minorité chantait et dansait, pendant que la
majorité aurait été réduite au rôle de spectateur, jusqu'à ce que ce finalement la procession soit
confinée au milieu des montagnes. Des flans est né le public, qui assistait à un choeur qui
maintenait la fonction de chanter et danser, pendant qu'un acteur commençait à représenter les
archétypes à partir desquels se dédoublent les infinis conflits de l'Un Originaire. Outre chanter et
danser, le choeur commença à parler, ainsi que de la mimique l'acteur passa à la parole. Le dialogue
surgit quand le skené commença à être partagé avec un autre acteur. L'extase mystique originelle,
semblable à celle des bacchantes, et où dans sa contrepartie masculine les participants
s'habilleraient comme des satires, serait emplie de visions et de sentiments océaniques. Elle
constituait une menace au pouvoir et à la religion olympique officiels. La naissance du théâtre est
apparue comme une domestication partielle. Mais le chant et la danse, exécutés par le choeur vêtu
en satires, alternaient leur fonction comme celle de la parole, soit en direction du public, soit en
direction des acteurs. La musique et la danse se transformant en parole et dialogue, l'extase
originelle cédant à de brefs moments de catharsis et de jouissance esthétique. La naissance du
théâtre commémorerait mythiquement la propre naissance du mot, maintenant l'art sur le terrain
commun
entre
l'
Imaginaire
et
le
Symbolique.
La ligne de pensée établie par Didier-Weil court parallèlement à cette voie. Sa grande contribution
est de développer la question de la pulsion invocante, qui fut seulement esquissée par Lacan. Parce
que si cette pulsion, qui est celle qui amène le sujet à la surface, est la trace unaire, elle est inscrite
premièrement comme une forme musicale. La voix maternelle n'est pas invocante par ce qu'elle dit,
mais par le ton - appelé affection – de ce qu'elle dit. Et l'invoqué ne demeure pas semblable à une
simple réponse - informations ou réflexe -, qui serait seulement une voix, un son, un mouvement
labial mã (qui dans toutes les langues ressemble au mot qui désigne la mère), mais comme une
ouverture totale à l'existence. Ce qui est aussi invoqué est le geste, qui avec la croissance de l´infans
devient la danse, le plaisir de commémorer la légèreté du corps par le rythme. Ou également
l'ivresse dyonisiaque, plaisir que tous les enfants obtiennent en tournant jusqu'à perdre l'équilibre.
Le son originel invoqué, qui avec la croissance de l' infans est décomposé en sons élémentaires et
répété en syllabes, serait l'origine de la langue. La même voie nietzschienne, de la musique au mot.
Mot qui peut se placer dans l'extrémité d'une simple information ou d'un non-dit - le mot vide, sans
affection, sans transfert -, ou aller jusqu'à l'autre extrémité, la lecture littéraire, dont le noyau est la
poésie - le mot complet, qui réunit image et sens, catharsis et insight.
Il y a un substrat du mythe judaïque dans la pensée de Didier-Weil. Au début il y avait le Verbe (ou
le Logos, comme il a été traduit dans la Septante), cela n'a pas été un mot, d'autant moins une
signification, mais le signifiant le plus pur de tous, capable d'inscrire une trace dans le Rien, d'en
invoquer la lumière et tout mouvement qui se montre en elle. Le verbe (avec une minuscule) est
seulement venu bien après, avec la division du sujet, déjà assiégé par le verbal, qui dissimule aussi
bien que dévoile. Bien que Didier-Weil explique clairement les racines de ses idées par rapport au
judaïsme, son intervention dans un des derniers séminaires de Lacan (L'insu que sait de l'une bévue
s'aile à mourre) a produit des résultats apparemment opposés aux principes du maître ou d'une
interpretation réductive de la Bible (cela aurait-il été l'intention de Lacan, ou a-t-il créé un monstre
semblable à Frankenstein?): l'inconscient se structure comme un langage, pas saussuriennement
verbal,
mais
la
langue
nietzschiennement
musicale.
Que la musique soit un langage, il n'y a pas de doute. Hautement sophistiquée, représentée par un
nombre fini de signes graphiques dont la combinatoire est infinie, la vraie musique n'est pas celle de
la chanson de frustration amoureuse (bien que pour que cela elle soit très utile), ni celle qui crée une
petite histoire dans la tête de l'auditeur. De la chanson populaire au plus occulte dodécaphonisme, la
vraie musique est la plus abstraite des langages: mathématiques et logique des sentiments et des
passions. Les pythagoriciens il y a plus de deux mille ans ont travaillé la relation entre la musique et
les mathématiques. Au XXème siècle Susanne Langer, philosophe néokantienne experte en logique
moderne, a travaillé sur la relation entre la logique et la musique. Ce fut aussi Langer, et pas un
freudien, qui a formulé l'hypothèse que dans la pré-histoire de l'humanité (encore dans une préhumanité) le chant et la danse auraient été à l'origine du langage verbal. Les expressions collectives
de sexualité et l'agressivité, originellement désagrégeantes, sont devenues des instruments au
service de la cohésion du groupe. Avec les siècles (combien de millénaires?) la musique a été
décomposée en sons, les sons sont devenus des phonèmes et ont commencé à être répétés dans le
but de désigner des objets et actions. Les actions motrices de la danse ont diminué d'intensité et ont
été transformées en geste et mimique. Le larynx humain avec son infinie possibilité d'émettre des
sons, sophistication du larynx dont aucun cousin primat possède au moins un vestige, correspond au
gigantesque secteur cortical, qui conjointement aux secteurs de contrôle des mains et du visage
rendent grotesque l' homoncule de Penfield, figure qui est une représentation graphique de notre
humanité, secteurs corticaux étendus utilisés pour: le chant, le geste et mimique facial.
Bientôt,
l'
ontogénèse
récupère
à
peine
la
phylogénèse.
L'OEUF OU LA POULE? – AU DÉBUT IL Y AVAIT LE VERBE
Dans l' Esthétique de Hegel la poésie est décrite comme le sommet de l'art romantique laquelle, à
son tour, après l'art symbolique et l'art classique, construit le dessus d' une des triades les plus
caractéristiques de sa philosophie. Pour Hegel la poésie est onthologiquement au-dessus de la
musique. Nous insistons sur ce point : ce qui caractérise plus particulièrement la poésie est le
pouvoir de soumettre à l'esprit et à ses représentations l'élément sensible qui est que l'art avait déjà
commencé à être libéré par la peinture et par la musique. De cette façon la poésie est l'art le plus
dépouillé d'élément matériel, la musique utilise encore le son, ayant aussi son origine dans l'art
romantique, la musique assume l'emphase chrétienne dans la valeur infinie de la personne et du
libre-arbitre. L'art de la poésie est l'art universel de l'esprit qui devint libre et dont l'intériorité
prétend se réaliser complètement, se confondant pour ainsi dire avec la pensée, tout comme elle se
forme dans la fantaisie (...) de façon à ce que la réalité extérieure fasse place à la réalité intérieure
et
que
l'objectivité
existe
seulement
dans
la
propre
conscience
(...).
Est claire l'influence de la lecture des oeuvres de Hegel dans l'oeuvre de Martin Heidegger, et des
deux sur les idées de Lacan, qui, de même, a été l'un des premiers traducteurs du philosophe
existentiel allemand pour le Français. Bien que Heidegger ait cherché au maximum à s'éloigner de
la force d'attraction que ses idées - ainsi que celles de la phénoménologie et de l'existentialisme ont eu sur la psychologie du XXème siècle, le destin lui a été ingrat. Heidegger a toujours eu
comme objectif l'Être, l'ontologique par distinction à l' ontique. Mais même la thérapie existentiellehumaniste (bien que celle-ci ait bien plus du gestaltiste) est devenue une étape basique du
curriculum vitae minimum du cours de graduation en Psychologie au Brésil. Un des principaux
épigraphes de Heidegger est que le langage verbal structure l'acte de penser et ce n'est pas l' acte de
penser qui donne lieu au langage verbal. Normalement nous croyons que, quand l'enfant un peu plus
grand penserait déjà correctement, il commencerait alors à balbutier ses premiers mots. Il s'agit
d'une idée naïvement naturaliste, comme l'idée apportée par le commentaire empirique le plus
évident, que c'est le soleil qui tourne autour de la Terre. Pour Heidegger c'est le mot qui donne lieu à
la pensée et non pas le contraire, comme le pense encore la vieille metaphysique. Mot qui dans son
fondement
ontologique
est
le
mot
poétique
(poesis=création).
Comme cela est dit dans le vocabulaire du psychologue, nous naissons immergés dans un monde de
langage verbal. Peut-être même avant, une fois que la Psychanalyse s'oriente de plus en plus vers le
prénatal. L' infans institue qu'il s'agit d'un univers de sons répétés, articulés au long du temps et
capables de communiquer presque tout. Noam Chomsky et ses partisans, notamment Steven Pinker
(1995), ont basé par le biologisme américain, que les structures cérébrales du langage, malgré tout
l'innatisme qu'elles puissent avoir, conduisant à certaines structures universelles du langage, ont
besoin de cet univers qui entoure le mot pour ne pas s'atrophier : le mot comme aliment basique de
la
croissance
des
neurones.
Lacan, parmi ses formulations, a placé initialement le Symbolique comme le seul capable de
dompter les invasions permanentes du Réel et de percer également le narcissisme primaire. Le
Symbolique comme lieu du verbal, sait des conséquences désastreuses s'il est endommagé dans sa
formation primordiale: la forclusion. Dommages à l'intérieur ou en dehors ? C'est un excès de
dopamine, comme le veut la vieille psychiatrie, ou le Nom-du-père "en moins", que l'expérience
clinique avec des psychotiques, avec leurs familles et avec le moyen social nous amène à déduire ?
Un trou dans la toile du Symbolique produite par un trou dans le langage, où, déjà avant de naître, le
petit être est immergé, trou dans lequel : ni sujet, ni barre, ni autre, ni Autre, peuvent se configurer.
Didier-Weil dirait, en continuation au dernier Lacan, qu'il peut aussi ne pas avoir eu lieu l'appel de
la pulsion invocante. Des araignées saines peuvent construire des toiles de géométrie et de
nodulation impeccables, une excellente métaphore pour la notion de structure. Des araignées
nourries expérimentalement avec des hallucinogènes produisent des toiles sans quelconque rigueur,
soit très denses, soit avec des trous énormes. Constitué un trou ou un point opaque dans une toile
chaotique, tout continue de manière défectueuse : le monde externe (avec l'insertion d'hallucinations
et de délires), le corps (avec apparition de symptômes catatoniques, de transformations corporelles
schrébériennes et kafkaïennes), la pensée abstraite (avec la régression à la pensée concrète ou
désagrégée). Quelque chose se structure de manière satisfaisante, ou quand elle donne l'apparence
de s'être structurée, il suffit d' un clin d'oeil pour se défaire. Telle une mouche, soit le Réel s' enfuit
par le noeud opaque, soit il passe par le trou exagéré de la toile.
Dans cette direction du chemin le langage verbal serait l'archétype de n'importe quelle langue, et
également de diverses expressions artistiques, même la musique. Il n'existe pas de musique
primordiale que nous n' écoutions et de laquelle, ensuite, bien ensuite, nous ne commencions à
parler. N'importe quel type de langage est constitué d'un nombre fini d'éléments, combinés
conformément à un nombre minimum de règles, mais créant une combinatoire infinie. Pour
n'importe quel langage les règles peuvent être augmentées ou être transgressées, mais on dispose
toujours des éléments au cours du temps. Dans le cas du langage verbal, la syntaxe constitue la
disposition des mots dans la phrase et des phrases dans le discours, ainsi que de la relation logique
des phrases entre elles. Discours, terme qui vient du latin discurrere : parcourir, traverser. Bien, il se
prend un certain temps pour parcourir ou traverser quoi que ce soit. Pour Igor Stravinsky (1996) : la
musique pré-suppose, avant tout, une certaine organisation dans le temps, une chronomie, si vous
me permettez ce néologisme. Si le terme cronos est traduit par temps, nomos peut être traduit par:
partie, division du territoire, loi, chant. Utiliser les concepts de syntaxe et ou de chronomie est
seulement dire que, tout ce qui ne sera pas seulement image et totalité instantanées, donc constituant
un langage, peut être uniquement construit parce qu'il existe le temps. De façon Heideggérienne: le
temps
est
l'
Être,
instauré
par
le
mot.
Ainsi étant, c'est parce que nous parlons que nous pouvons écouter de la musique, que nous
pouvons intuitivement comprendre l'importance d'une langue qui ne succombe ou ne renforce un
sujet divisé -S - mais si, le fait se sentir à la maison sans étrangeté. Jamais trois minutes ne sont tant
salutaires qu'au travers d'une musique qui nous attire. C'est parce que nous parlons, et tout discours
verbal se construit sur une succession temporelle, que nous pouvons sentir l'effet des sons dont la
finalité ne peut être à peine que de fournir de nouvelles dispositions temporelles, bénignes (en
opposition aux malignes de la dépression et de l'ennui, où le temps s'arrête). La Bejahung initiale,
re-commémorée par la musique, est celle de l'instauration de ce temps primordial, dans lequel les
signes instantanés devinrent signifiants glissant au cours du temps. Que les significations soient : le
concept concret de la chaise, une froide formalisation mathématique ou tout le potentiel des
affections et des passions ; tout ceci est secondaire à l'instauration du temps et de l'Être. Dans ce
chemin, bien que la musique possède selon Arché le mot, elle devient invocatrice de la forme de
toutes les dispositions affectives, ce qui apporte en elle-même le bonus de ne pas diviser le sujet,
avantage dont tirent profit tous les autres arts. Principalement ces formes artistiques qui la
conjuguent de nouveau avec le mot : le chant et la poésie. D'une manière plus générique, la non
division du sujet justifierait la musique : la réconcilie et l'intègre au tragique inhérent au monde, qui
intègre corps et esprit au moyen de la danse et du chant et qui, bien que parfaitement abstraite, soit
le
plus
intime
et
sensuel
de
tous
les
arts.
CONCLUSION:
CONTRA
JACOBUS
Nous considérons que la voie qui part de Hegel est la plus cohérente avec la pensée de Lacan. A
propos de la voie de Didier-Weil, il est manifeste qu'elle suit son opposé, celle qui est commencée
par Schopenhauer. Comme cela a déjà été mentionné, il nous semble curieux que cela ait été Lacan
lui-même qui ait sollicité de Didier-Weil une intervention au séminaire L'insu que sait de l'une
bévue s'aile à la mourre. Tout comme la question de l'inconscient structuré comme langage pose la
question, quel langage ? Un langage saussuriènement verbal ? La musique comme mère de tous les
langages ? Une matrice chomskyenne biopsychosociale pour toutes les structures possibles de
l'esprit ? Le problème disant que la musique est à l'origine du mot, sur la voie SchopenhauerNietzsche-Didier-Weil, ou que le mot est l'origine de tous les autres langages, sur la voie HegelHeidegger-Lacan, peut très bien être un faux problème, une antinomie. La première voie peut suivre
la ligne du temps chronologique, aussi bien dans le sens de l'antropogénèse, que de sa récupération
dans le devenir humain de quelconque infans. Dans ce cas nous réussissons une conciliation avec la
tant chérie Loi de Haeckel : l' ontogénèse suit la phylogénèse. La seconde voie, une fois instauré le
langage, peut se rapporter au temps logique, décrivant les étapes où la compréhension de
quelconque type de langage pré-suppose le langage verbal, comme il peut vers elle retourner.
Question apparemment anecdotique, qui réduit le problème que la musique formule pour la
Psychanalyse seulement au biographique, peut aussi être détournée de façon à nous donner une
piste importante. L'infime écoute de l'appel musical dans l'oeuvre de Lacan, dans lequel pèse la
formulation nodale de la pulsion invocante, semble suivre la non écoute du maître Freud dans son
incapacité d' essayer certain sentiment océanique. En refléchissant sur l'origine de la tragédie selon
Nietzsche, sur l'extase dionisiaque et de bacchantes, Didier-Weil indique pour le lien de cet
enracinement primordial du sonore avec le féminin. Donc nous sommes dans le continent noir de
Freud - que nous diagnostiquons comme "le rationnel" - un illuministe du XVIIIème siècle, lancé
dans le chaos du XXème siècle, et essayant de comprendre la barbarie technologique.
À travers sa capacité d'atteindre une jouissance esthétique, c'est-à-dire que la musique est l' origine
du mot ou son opposé, l'oeuf ou la poule devient une question un peu byzantine, l' important est de
se demander dans des termes de psychanalitiques : quelle jouissance? Le terme jouissance
esthétique appartient à la Philosophie de l'Art depuis deux siècles, sachant que son étude est l'objet
principal des doctrines esthétiques à partir de Kant, néanmoins nous pouvons l'assimiler à celle de
jouissance féminine de Lacan, de la jouissance outre le phallus, en deçà ou au delà du clivage du
sujet, semblable à l'expérience mystique. Mais, malgré l' existence de similitudes, il y a un
différentiel entre la jouissance esthétique de la musique et la jouissance féminine, la chronomie,
l'instauration du temps, même d'un temps primordial, conduit au début de tout le manque. Tout
temps instaure le moment suivant, toute note conduit à son successeur. Même s'il y avait une
musique chronologiquement infinie, le temps construit le bourgeonnement de l'expectative et l'on
attend à peine quelque chose qui manque, où la musique, même si le sujet et l'Autre s'identifient ou
se fondent, n'existerait peut-être pas s'il ne contenait pas aussi en lui un petit objet a. Il se peut que
la jouissance conduite par la musique soit la seule dans laquelle a et le temps soient réconciliés,
dans laquelle la jouissance non phallique évite de succomber à la pulsion de mort, la douleur et la
destruction que le dyonisiaque conduit dans son invocation de l' Un Originaire.
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Membre Effectif et Psychanaliste du CBP-RJ, Médecin et Bachelier en Philosophie de l´UFRJ,
Maître en Médecine (Psychiatrie) et en Philosophie de l´ UFRJ, Docteur en Philosophie de l´UFRJ