Cimabue (environ 1250-environ 1302)
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Cimabue (environ 1250-environ 1302)
A.D.E.A. Cours d’histoire de l’Art 1er semestre 2002 / 2003 Cimabue (environ 1250-environ 1302) Cennini di Pepo, plus connu sous le nom de Cimabue, a joui d'une immense renommée auprès de ses contemporains, qui lui ont reconnu le mérite d'avoir affranchi la peinture florentine du formalisme conventionnel de l'art byzantin auquel elle était auparavant soumise, mais on ignore presque tout de son œuvre comme de sa vie. Dante le mentionne (dans le Purgatoire) comme le plus grand prédécesseur de Giotto et vante ses qualités de peintre d'histoire. Vasari, qui reste la principale source, fait débuter l'histoire de la peinture italienne avec son œuvre (il intitulera son livre Histoire des plus illustres architectes, dessinateurs, peintres depuis Cimabue). Une œuvre mal connue : Depuis la Renaissance, on retrouve dans les manuels d'art la référence à son œuvre, sans que, pour autant, celle-ci soit connue. Aucune toile signée ne nous est parvenue. Et les recherches récentes, comme celles de Lionel Venturi, ont surtout abouti à démontrer que la majeure partie des œuvres qui avaient été attribuées auparavant à Cimabue ne devaient vraisemblablement pas être de sa main. Les fresques : Quelques fresques de l'église supérieure d'Assise sont attribuées à Cimabue: Histoires de la Vierge, Histoires des Apôtres, les Quatre Évangélistes; deux crucifixions de style très byzantin, qui diffèrent peu de celles que peignait son contemporain Giunta Pisano, des Vierges en majesté entourées d'anges multicolores; elles connurent une grande vogue à l'époque. Parmi celles-ci, figure la célèbre Maestà de l'église de la Trinité, à Florence, qui comporte, au bas du panneau, sous le trône de la Vierge, quatre figures de prophètes, en buste, dont le traitement naturaliste retient l'attention. La Maestà d'Assise, entourée de quatre anges, avec saint François, est encore plus intéressante, notamment dans le visage expressif et personnalisé du saint, au vêtement animé, à la souple silhouette vêtue de bure, se détachant clairement dans un espace à trois dimensions, évoqué avec aisance. Les mosaïques : En fait, on ne sait que deux choses certaines: Cimabue a peint à Pise, en 1301-1302, un retable (malheureusement disparu) en collaboration avec Giovanni d'Apparecchio de Lucques, puis il a participé à l'achèvement de la mosaïque de l'abside de la basilique. Ensuite, on perd sa trace. La figure de saint Jean de cette mosaïque est donc la seule œuvre fournissant des indications authentiques sur ce «nouveau style» qu'il a créé, et dans lequel ses contemporains saluèrent le renouveau de la peinture ou même la naissance de la peinture italienne. Une jeunesse obscure : Certains historiens d'art ont cherché, sans grand succès, des traces de ses œuvres de jeunesse parmi les décorations collectives et anonymes du baptistère de Florence, notamment dans les mosaïques murales. Il ne serait pas invraisemblable que Cimabue ait fait là ses débuts. Mais on ne sait de sa jeunesse que ce qui a été rapporté par Vasari: son père, ayant décelé en lui un «esprit fin et pénétrant», l'avait envoyé étudier les lettres à l'université Santa Maria-Novella de Florence. Mais le jeune homme «séchait» souvent les cours pour aller observer les peintres grecs qui restauraient à l'époque la chapelle des Gondi; et «au lieu de s'appliquer à l'étude des belles-lettres», Cimabue «passait ses journées à faire ce à quoi le poussait sa nature, à peindre sur ses livres et ses papiers, des hommes, des chevaux, des maisons et autres fantaisies». Une nouvelle peinture italienne : Cimabue a été en contact avec les groupes d'artistes, nombreux au XIIe siècle à Florence (tels que Giunta Pisano, Coppo di Marcovaldo, ou les mosaïstes romains Cavallini et Torriti), qui cherchaient à affranchir la peinture de l'icône et à faire de la fresque un art différent de la mosaïque. C'est évidemment par son génie personnel, par un esprit créateur original que Cimabue s'est imposé comme le grand novateur; mais c'est en travaillant avec eux, parmi eux, au sein de ce grand essor culturel et mystique renouvelé par la philosophie franciscaine qui marque le XIIe siècle, qu'est apparue la figure légendaire de Cimabue. C'est en le situant dans son temps que l'on mesure son apport. Cimabue, au milieu de ses contemporains, marque le point de départ d'une orientation nouvelle de la sensibilité et de la technique. La nouvelle qualité du sentiment religieux imprégné de douceur, de simplicité et de familiarité franciscaines a entraîné l'assouplissement des figures peintes, commandé l'abandon de l'élégance sophistiquée des effigies byzantines. Par ce nouvel esprit, par cette spiritualité détendue et confiante qui s'introduisirent au temps de Cimabue dans les crucifixions pathétiques, les images des saints et de la Vierge, la peinture italienne se dégagera de l'esthétique du décor plat qui a régné en Europe du Ve au XIIe siècle. L'art de Cimabue et de ses successeurs immédiats a réclamé l'abandon de cette esthétique purement décorative qui limitait la peinture au décor de panneaux fixes (fresques, retables, antependia), pour instaurer le retour à l'esthétique naturaliste qui permettra l'élaboration, au cours du XIIIe siècle, du tableau autonome, de la peinture de chevalet illusionniste tels que nous les concevons. Duccio di Buoninsegna (1255 environ-1318 environ) Duccio est sans doute l’un des artistes du Moyen Âge sur lequel on est le mieux renseigné, grâce à un nombre exceptionnel de documents concernant sa vie et sa carrière. Cependant, la reconstitution de son activité jusqu’à l’exécution de la célèbre Maestà de la cathédrale de Sienne pose des problèmes critiques qui n’ont pas encore reçu de solution définitive. Sa personnalité fut, en effet, si originale à Sienne, à une époque où la peinture sortait difficilement, dans cette ville, des limites étroites d’une routine artisanale, qu’il s’imposa vraisemblablement dès ses premières œuvres, provoquant ainsi la naissance précoce d’une école. Et si l’existence d’un style «duccesque» est attestée à partir de 1285 environ à Sienne, le seul critère pour reconnaître la main du maître est celui de l’évaluation qualitative, critère toujours délicat et sujet à discussion. Il est significatif, à ce propos, que certaines œuvres recueillies sous le nom de «Maître de Badia à Isola», peintre anonyme généralement considéré comme son élève, aient été attribuées au jeune Duccio. En outre, la formation de l’artiste reste, en dépit d’innombrables recherches et hypothèses, obscure en de nombreux points. Son apprentissage, vraisemblablement chez Guido, peintre siennois au métier raffiné mais archaïque et dans lequel se reconnaissait la génération précédente, ne peut expliquer à lui seul l’épanouissement de son génie. L’ampleur de la culture de Duccio qu’attestent la Maestà et les œuvres antérieures qui lui sont attribuées indique d’ailleurs que son intérêt s’était porté au-delà des frontières de la tradition locale. Encore plus que la connaissance du néo-classicisme byzantin, tentative de renouvellement que la peinture byzantine accomplissait en revenant à ses sources hellénistiques, il faut sans doute considérer comme fondamentales dans la formation de Duccio les relations qu’il eut avec Cimabue. Que l’on accepte ou non l’hypothèse d’un rapport entre maître et élève entre les deux artistes et une éventuelle participation de Duccio aux fresques de l’église supérieure d’Assise, l’influence du Florentin sur le jeune Siennois devient un fait indéniable alors même que l’on consent à reconnaître dans la Madone Rucellai (Florence, Santa Maria Novella) le tableau dont un document nous apprend que les Florentins le commandèrent à Duccio en 1285. Attribuée jadis à Cimabue, dont elle emprunte strictement la composition, la typologie des visages et la technique picturale, cette Madone appartient en réalité à un monde spirituel différent, plus délicat et plus raffiné, plus sensible aux effets chromatiques et linéaires, plus attentif à la valeur affective des gestes et des rapports entre les personnages; la Madone Rucellai semble anticiper directement la poésie tendre et aristocratique de la Maestà. À ce tableau, qui révèle les attaches culturelles de Duccio en même temps qu’il donne la mesure de son originalité déjà pleinement définie, on a associé d’autres œuvres, telles que la Madone de Crevole (Sienne, musée de l’Œuvre de la cathédrale), légèrement antérieure, et le vitrail du chœur de la cathédrale de Sienne, de 1288, qui sont encore proches de Cimabue; la Vierge des Franciscains (Sienne, Pinacothèque) et d’autres panneaux conservés aux musées de Berne, Pérouse, Bruxelles et Londres (d’attribution discutée) marquent au contraire une évolution très personnelle vers le gothique, déterminée sans doute par les sculptures de Giovanni Pisano et par la connaissance de miniatures et des ivoires français. La ligne, fluide et animée, devient protagoniste de la composition, définit l’image et articule les formes en larges rythmes. La «Maestà» «Mater Sancta Dei – Sis causa Senis requiei – Sis Ducio vita – Te quia depinxit ita» («Sainte Mère de Dieu, donne la paix à Sienne et la vie à Duccio qui t’a peinte ainsi»). De cette prière le peintre signa la Maestà destinée à la cathédrale de Sienne; commencée en 1308, elle fut transportée en 1311 de l’atelier du peintre au maître-autel de l’église, au cours d’une cérémonie solennelle et au milieu de la liesse populaire. Conçue pour s’intégrer aux structures architecturales qui devaient l’accueillir, elle était peinte sur les deux faces: sur la face antérieure était représentée la Vierge avec l’Enfant parmi un chœur d’anges et de saints, de l’autre côté on voyait les scènes de la Passion. Elle était complétée par une prédelle illustrant l’enfance et la vie publique du Christ et par un couronnement dont la reconstitution est problématique. L’œuvre a été en effet sciée par le milieu et démembrée à la fin du XVIIIe siècle ; elle est conservée actuellement au musée de l’Œuvre de la cathédrale, mais quelques panneaux de la prédelle et du couronnement sont dispersés dans les collections d’Europe et d’Amérique ou perdus. L’importance attribuée à l’événement, l’enthousiasme populaire où le sentiment religieux se mêlait à l’admiration pour le chef-d’œuvre, révèlent, mieux que tout autre commentaire, la perspective historique dans laquelle se situe l’art de Duccio parvenu à sa pleine maturité. Si l’acceptation publique et officielle d’un langage nouveau fut si totale et si immédiate, c’est parce qu’elle se fit dans le respect d’une tradition trop enracinée pour être brutalement reniée. De l’art byzantin, Duccio conserve les schémas iconographiques et un certain nombre de formules figuratives, mais il ressuscite le caractère évocateur des premiers, change ou précise la fonction des secondes, dans une recherche consciente de définition stylistique. Ainsi, dans le tableau de la Vierge de majesté, la répétition de visages semblables permet d’évoquer la foule en adoration dans son anonymat extatique, alors que la valeur rythmique des gestes et des attitudes, la rigoureuse ordonnance des nimbes, les contours sinueux des draperies donnent une unité formelle à la juxtaposition des personnages. Dans les scènes de la Passion, le symbolisme conventionnel des thèmes sacrés se fond miraculeusement avec la participation émotive de l’artiste aux événements racontés et suscite une atmosphère lyrique dans laquelle chaque élément de la représentation évoque une dimension à la fois humaine et surnaturelle, qui précise et commente la situation spirituelle des protagonistes. La prédelle et le couronnement, exécutés en dernier, témoignent d’une évolution vers des formes plus grandioses et d’une certaine recherche plastique qui indique une réaction à l’enseignement de Giotto. Giotto (1266 environ-1337) Giotto di Bondone est né peut-être vers 1266, à Vespignano, dans les collines du Mugello, à l’est de Florence. Il fait sans doute son apprentissage dans l’atelier de Cimabue et entre très tôt en contact avec le langage figuratif de l’Antiquité, d’abord sur le chantier d’Assise autour de 1280, ensuite à Rome où il séjourne peu après. Il aurait ainsi peint, dans l’église supérieure d’Assise, des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament sur le registre supérieur de la nef. Vers la même époque, il renouvelle la conception du crucifix de bois peint avec la réalisation, à Sainte-Marie-Nouvelle à Florence, d’une œuvre d’un genre et d’un style nouveaux. De 1295 à 1298, aidé de nombreux collaborateurs, il illustrerait en vingt-huit fresques la légende de saint François dans l’église supérieure d’Assise et achèverait, de la sorte, le cycle décoratif entrepris à partir de 1277-1278, sous la direction de Cimabue. Périodiquement, à l’occasion de restaurations des fresques, l’attribution à Giotto est remise en question: aujourd’hui encore, Bruno Zanardi revient sur cet ensemble de peintures et l’attribue à Pietro Cavallini. En son temps, et avec justesse, André Chastel remarquait que, de toute manière, «le rôle exact de Giotto ne pouvait être établi», et qu’il faudrait savoir se contenter de présomptions. Appelé à Rome par le pape Boniface VIII pour préparer le jubilé de l’année 1300, Giotto décore de fresques la loggia du palais de Latran, y figurant le pape ouvrant l’année sainte, et réalise sur la façade de Saint-Pierre une mosaïque, avec pour sujet l’Embarcation des apôtres guidés par saint Pierre (dans le vestibule de l’actuelle basilique Saint-Pierre). À la demande du cardinal Jacopo Stefaneschi, il conçoit pour l’autel de la basilique un grand retable, le Triptyque Stefaneschi, qui doit prendre place juste au-dessous de la mosaïque d’abside représentant, en son centre, un Christ Pantocrator, détruit du fait d’un écroulement récent: Giotto peint alors, sur le compartiment principal du retable en direction de la nef, un Christ Dieu trônant en majesté (galeries du Vatican, État du Vatican). Quelques autres œuvres témoigneraient d’un séjour florentin: ce sont le polyptyque de la Badia (musée des Offices, Florence), la Vierge trônant de l’église de San Giorgio alla Costa et des fragments de fresques retrouvées à la Badia. Selon ce que rapporte Riccobaldo Ferrarese, dans sa chronique, il travaille aussi à Rimini et y peint, entre autres œuvres, le Crucifix du temple Malatesta (env. 1300-1303). De 1304 à 1306, il décore tout l’intérieur de la chapelle dite de l’Arena, à Padoue, en réussissant, pour l’une des toutes premières fois dans l’art occidental, la synthèse, sur le plan iconographique, des cycles marial et christique . De retour à Florence, il termine le retable de la Maestà dans l’église d’Ognissanti . Il se déplace de nouveau à Assise, pour mener à bien la décoration de la chapelle de la Madeleine, dans l’église inférieure (début de la deuxième décennie du XIVe s.). Vers 1317, à Padoue, il peint un grand Crucifix dans la chapelle de l’Arena et exécute un programme de fresques, à sujet astrologique, dans le palais de la Raison. Entre-temps, il a commencé à peindre dans la chapelle Peruzzi, à Santa Croce à Florence, les Histoires des deux saints Jean, qu’il achève plus tard, ainsi que le retable d’autel aujourd’hui conservé en Caroline du Nord, au musée Raleigh. Entre 1325 et 1328, il reçoit une très importante commande de la famille Bardi pour sa chapelle dans Santa Croce et y reprend, sous une forme plus réduite qu’à Assise, les grands thèmes de la légende franciscaine. Il conçoit, sans vraiment avoir le temps de le réaliser en entier, le retable d’autel. Peut-être recommandé par les Bardi, qui étaient les banquiers du roi Robert de Naples, Giotto se rend en 1329 à la cour de celui-ci et y séjourne, avec une partie de son atelier, jusqu’en 1333. Durant ces quatre années, Giotto revêt les principaux titres honorifiques d’un peintre de cour: en janvier 1330, il se voit conférer les droits et les honneurs de familiaris et de fidelis du roi Robert et accède ainsi à des privilèges considérables pour l’époque, tels que pouvoir paraître à tout moment à la cour, percevoir des gages, y être nourri et logé; le 16 mars 1332, il devient, suivant la titulature byzantine toujours en vigueur à la cour angevine, peintre de cour et maître d’œuvre (protopictor, protomagister operis), et dirige l’équipe des peintres qui travaillent au palais royal. De loin, il supervise la réalisation du polyptyque aujourd’hui conservé à la Pinacothèque de Bologne et celle du retable Baroncelli, confiée à ses plus proches collaborateurs restés à Florence, parmi lesquels Taddeo Gaddi. Rentré à Florence au début de 1334, Giotto tire parti des dignités qui lui furent données à la cour de Naples. Le 12 avril de la même année, il est chargé de la maîtrise d’ouvrage pour les travaux du dôme. Il conserve cette charge honorifique jusqu’à sa mort, en 1337 dans cette ville. Sous sa direction, en effet, ne fut construite que la base de la tour, à partir du 18 juillet 1334: Andrea Pisano reprendra les travaux et terminera les niveaux supérieurs, tandis que son successeur, Francesco Talenti, édifiera les étages à baies. Mais, à dire vrai, ce n’est pas le plus important, comme devait le reconnaître en 1340 Giovanni Villani: dans sa chronique (livre XI, chapitre XII), il montre que la commune de Florence n’a pas engagé Giotto en pensant seulement aux travaux projetés par la cité, mais parce qu’elle voulait disposer d’un artiste «expérimenté et célèbre» qui puisse cultiver ses relations avec les cours princières. De fait, dès 1336, la commune envoie Giotto à Milan «se mettre au service» d’Azzo Visconti que l’empereur venait de nommer vicaire impérial d’Italie. Simone Martini (Sienne, vers 1284 — Avignon, 1344). On ignore pratiquement tout de sa formation, on sait seulement qu'il apprit la technique de la fresque avec Memmo di Filipuccio. La première œuvre qui nous soit connue est une Maestà datée de 1315, et réalisée pour la salle du Conseil du Palais public de Sienne. L'emploi de la perspective qu'il y fait témoigne de sa connaissance de Giotto, mais montre également certaines innovations dans le rendu de la profondeur spatiale. À Naples, Martini peint un retable représentant saint Louis de Toulouse couronnant le roi Robert. Il entretient, à cette époque, des liens avec la maison d'Anjou. Ces contacts, qui datent de 1317, sont également à l'origine d'une autre œuvre majeure conçue pour la basilique inférieure de Saint-François d'Assise, la Légende de saint Martin. Dans cette réalisation somptueuse, qui retrace la vie du saint chevalier, profane et sacré se mêlent avec une invention subtile empruntant ses effets aux techniques les plus diverses: ivoire, émaux, enluminure, d'influence nettement française. En revanche, ses espaces, définis par des architectures, son élégance et sa perfection équilibrée, disent toute leur dette à l'approche rationnelle d'un Giotto. La vérité psychologique de ses personnages qu'il rend avec tendresse, la palpitation lumineuse de ses décors contribuent à créer un nouveau langage, celui du gothique international. Vers 1328, la fresque Guidoriccio da Fogliano du Palais public de Sienne illustre ce nouveau langage. Le Retable de l'Annonciation, exécuté en 1333, pour la cathédrale de Sienne incarne avec sa ligne pure et son rythme élaboré, le style gothique par excellence. En 1340, Simone Martini s'installe en Avignon, à la cour du pape Benoît XII. Il s'y lie d'amitié avec Pétrarque, pour qui il illustrera le frontispice du Vergilius cum notis Petrarcae, un codex de Virgile annoté par le poète. Il aurait également peint le portrait de Laure, premier du genre au Moyen Âge, mais malheureusement perdu. Les œuvres de la période provençale, dispersées ou très endommagées, permettent toutefois de mesurer l'aboutissement des conceptions raffinées du maître qui laissera sa marque jusqu'en plein XVe siècle. Pietro Lorenzetti Pietro – probablement l’aîné, si c’est bien à lui que se rapporte un document de 1306 – dut se former dans l’orbite de Duccio, dont les agencements iconographiques sont repris librement dans les six Histoires de la Passion du Christ peintes à la voûte du bras gauche du transept de la basilique inférieure d’Assise; ces fresques, ainsi qu’une Vierge entre deux saints dans la chapelle Orsini de la même basilique, sont habituellement tenues par la critique pour les témoignages les plus anciens qui soient restés de l’activité de Pietro. Quoi qu’il en soit, la première œuvre qu’on peut lui attribuer avec certitude est le grandiose polyptyque peint en 1320 pour Santa Maria della Pieve à Arezzo et dont les personnages, par leur humanité ardente, bien que retenue, comme par la plastique intense et comprimée des formes, s’apparentent à la sculpture de Giovanni Pisano. Après quelques années pour lesquelles sa présence à Sienne est attestée, l’artiste dut revenir, entre 1326 et 1329, à Assise pour y terminer le cycle de la Passion du Christ: la Déposition de la croix, l’Ensevelissement, la Résurrection, la Descente aux limbes et la monumentale Crucifixion comptent parmi les plus hautes expressions du génie dramatique du XIVe siècle italien, et leur modelé vigoureux et sec réapparaît dans une autre Crucifixion peinte à fresque dans l’église Saint-François de Sienne, probablement en 1331. Mais dans le resplendissant retable qui fut exécuté deux ans auparavant (1329) pour l’église de Santa Maria del Carmine à Sienne et qui est aujourd’hui à la pinacothèque de la ville, la plastique concise, rude et parfois même sévère que Pietro avait acquise par ses contacts avec l’art de Giotto et en vertu d’une certaine parenté de talent avec Giovanni Pisano tendait déjà à se dissocier en des compositions plus fragmentées et en un sentiment subtilement rythmique de la ligne, tandis que, dans les admirables historiettes de la prédelle de cette pala, l’artiste revenait tout simplement, en la développant avec une meilleure connaissance de la perspective, à la vision lyrique du Duccio de la prédelle et du couronnement de la Maestà. En 1335, il peignit avec Ambrogio, sur la façade de l’église de la Scala, les Histoires de la Vierge, qui furent détruites au XVIIIe siècle; avec une intelligence encore plus aiguë de l’espace, il réalisa entre 1335 et 1342 le triptyque de la Nativité de Marie pour la cathédrale de Sienne (aujourd’hui au musée de l’Opéra del Duomo). L’un des derniers chefs-d’œuvre de Pietro est la Vierge à l’enfant entre quatre petits anges (1340), autrefois à Pistoie et maintenant aux Offices: la plastique inspirée de Giotto s’y allie avec la resplendissante pureté du coloris siennois, en une vision de souverain équilibre, de fermeté dans la construction, de suave et radieuse gravitas. Ambrogio Lorenzetti La première œuvre qui subsiste d’Ambrogio Lorenzetti est la Vierge datée de 1319 et autrefois à Vico l’Abate, près de Florence; on n’y trouve pas de réminiscence de Duccio, mais l’influence de Giotto, qui n’aboutit pas tant à exalter, comme chez Pietro, la plastique moyennant des effets de contraste par le clair-obscur qu’à définir la structuration de l’image par la vigoureuse scansion des contours et par la ligne qui synthétise les formes, lesquelles s’individualisent dans les plans aux couleurs franches et vives circonscrits par elle. Les recherches qu’Ambrogio poursuivit de manière intuitive sur la perspective dans beaucoup de ses œuvres se ramènent de même à cette dialectique entre ligne et couleur, par laquelle se transfigurent sur un mode lyrique les rapports de profondeur spatiale que Pietro avait brillamment tirés de l’exemple de Giotto. Travaillant tantôt à Sienne tantôt à Florence, l’artiste attacha son nom non seulement à une série d’admirables tableaux, mais surtout aux fresques représentant Les Allégories et les effets du bon et du mauvais gouvernement et exécutées entre 1337 et 1339 au Palais public de Sienne; dans cette œuvre, d’un exceptionnel intérêt documentaire pour la vie du temps, Ambrogio sut exprimer, sous forme de valeurs très hautement poétiques, un ensemble complexe et même ardu de concepts doctrinaux. Soucieux d’exalter la sagesse et le dynamisme du gouvernement guelfe des «Neuf» sous lequel Sienne atteignit la splendeur, notamment par l’importance de ses réalisations publiques, ce cycle est l’unique exemple de peinture murale à sujet séculier qui puisse rivaliser avec les plus vastes ensembles de peinture religieuse du XIVe siècle. D’une autre série de fresques, qui suscita l’admiration de Ghiberti pour son extraordinaire puissance narrative, subsistent deux Histoires de l’ordre franciscain dans la basilique Saint-François de Sienne, tandis que, dans les fresques qu’il exécuta en collaboration avec des aides dans la chapelle de San Galgano sur le mont Siepi, Ambrogio semble s’être en partie inspiré directement de la Divine Comédie elle-même. Il est aussi l’auteur des plus anciens essais de peinture de paysage de l’art européen: outre ce qui a trait, dans sa grande composition du Palais public, à la vie dans la cité et la campagne bien gouvernées, on lui doit les panneaux des Miracles de saint Nicolas, autrefois à Saint-Procule de Florence et maintenant au musée des Offices, ainsi que deux petits tableaux, une Ville sur la mer et un Château sur le bord d’un lac, qui sont à la pinacothèque de Sienne. Ambrogio Lorenzetti donna la preuve de connaissances de la perspective très avancées et uniques pour son siècle dans l’Annonciation de 1344 (no 88 de la pinacothèque de Sienne), sa dernière œuvre connue. Mais l’intellectualisme très fin et le vif souci de recherche qui caractérisent une si importante production – Ambrogio fut aussi un cartographe réputé et peignit notamment une Mappemonde tournante, qui fut détruite au XVIIIe siècle – n’allèrent pas sans une pénétration singulièrement profonde et délicate des sentiments humains, comme en témoignent ses nombreuses représentations de la Vierge avec l’Enfant Jésus. Lorenzo Monaco Piero di Giovanni dit (1370-apr. 1425) Entré à vingt ans chez les Camaldules du couvent de Sainte-Marie-des-Anges, à Florence, Lorenzo Monaco épanouit son talent dans l’atelier d’enluminure qui fleurissait au monastère depuis le début du siècle. Mais le célèbre scriptorium n’était nullement fermé aux courants extérieurs: Lorenzo Monaco travaille sans doute avec Agnolo Gaddi, et ses premières enluminures (datées de 1394 et 1395) comme ses premières Madone (Rijksmuseum, Amsterdam; Fitzwilliam Museum, Cambridge; pinacothèque de Bologne) montrent qu’il n’ignore pas l’art de ses contemporains florentins: Spinello Aretino, Nicolo di Pietro Gerini. Elles révèlent surtout, dans la ferme définition et l’ampleur des formes, l’ascendant de leur prédécesseur, Andrea Orcagna. Mais la délicatesse et le sens narratif qu’il a retenu d’Agnolo Gaddi, la sensibilité aux rythmes linéaires des Siennois et au lyrisme des couleurs qu’il découvre par l’enluminure créent dans ses compositions un climat de grâce naïve ou de féerie mystique d’un accent très personnel et lui permettent d’assimiler, plus intensément qu’aucun des artistes toscans de son époque, les raffinements du gothique international. On peut suivre le développement de son œuvre en ce sens depuis le triptyque de la collégiale d’Empoli (1404), et les petits panneaux de l’Agonie au jardin des Oliviers ou des Saintes Femmes au tombeau (1408, musée du Louvre), puis dans le grandiose Couronnement de la Vierge (1413, musée des Offices, Florence) jusqu’aux Crucifixion peintes entre 1415 et 1418 (Florence, San Giovanni dei Cavalieri notamment). Durant cette période, l’allongement et la flexion des silhouettes s’accentuent, la lumière se fait contrastée, parfois irréelle. Les miniatures révèlent la même évolution qui aboutit, vers 1420, aux enluminures exécutées pour Santa Maria Nuova, où s’exprime la pleine maîtrise du peintre. C’est alors qu’il peint le grand retable de l’Annonciation et les fresques de la chapelle Bartolini à Santa Trinità de Florence: on y perçoit, avec l’expression d’une haute sensibilité poétique et mystique, un sens nouveau de la construction spatiale qui permet de supposer un contact avec Masaccio. Enfin dans l’Adoration des mages, exécutée sans doute pour Saint’Egidio de Florence, la sérénité et le recueillement de la Vierge et des rois, l’inquiétude, la stupeur du cortège massé derrière eux dans un paysage fantastique traduisent la subtilité du peintre, la spiritualité du religieux, qui sera le maître de Fra Angelico. Gentile da Fabriano (c.1370-1427) Il est né à Fabriano. Sa mère mourut avant 1380 et son père Niccoló di Giovanni Massi se retira dans un monastère pendant la même année: il y mourut en 1385. Dés 1408, Gentile da Fabriano travailla à Venise. Entre 1409 et 1414, il travailla à une fresque (maintenant perdue) dans le Palais du Doge, représentant la bataille navale entre les Vénitiens et Otto III, avant de s’établir à Brescia. Pendant les années vingt du XVe siècle, il travaillait à Florence, où il peignit son célèbre autel représentant l'Adoration des Mages (1423) maintenant abrité dans les Offices et considère comme un parmi les chefs-d’œuvre les plus importants du style gothique international. En 1425, il quitta Florence pour Siena et Orvieto (oú il peignit dans la Cathédrale La Vierge et Son Enfant) avant d'arriver ) Rome. Il mourut en 1427, pendant qu'il travaillait aux fresques (maintenant détruites) dans la Basilique de Saint-Jean-deLatran. Pisanello Antonio Pisano dit (av.1395-1455?) Peintre, dessinateur et médailleur italien. Formé à Vérone dans l’ambiance du gothique international, près de Stefano da Zevio, Pisanello reçut à Venise une impulsion nouvelle de Gentile da Fabriano: La Madone à la caille (Castelvecchio, Vérone), œuvre de jeunesse, témoigne de cette ouverture à une poétique nouvelle, qu’exprime encore L’Annonciation de San Fermo Maggiore, toute en lignes mélodieuses (env. 1426). La «manière» de Gentile se reflète également dans certains dessins où le sujet, sous une lumière frisante, est traité sans profondeur, comme un bas-relief. En 1431, Pisanello part pour Rome. À son retour, il donne ses œuvres majeures: Saint Eustache (National Gallery, Londres), Saint Georges et la princesse (env. 1436, Sant’Anastasia, Vérone). Il y dépasse la calligraphie décorative, les finesses purement ornementales: les fresques de Sant’Anastasia sont toutes en demi-teintes, presque en camaïeu dans la partie centrale. Les rehauts de couleurs sont réservés au fond, aux accessoires, aux gibets. La peinture, posée en couches minces, crée une transparence, une subtilité de modelé qui laisse à la ligne sa valeur dans l’ordonnance cohérente de la surface. Il naît ainsi une vision immatérielle dont les figures sans pesanteur s’imposent pourtant par une mystérieuse intensité spirituelle. Pisanello n’a pas cherché dans le thème chevaleresque le prétexte d’une scène d’élégance courtoise. Il s’attache à exprimer l’angoisse contenue des personnages, sur le visage immobile de la princesse, sur celui du héros, grave et exsangue, détournant les yeux vers le monstre qu’il doit affronter. Cette intuition des êtres, cet attachement à leur humanité est dans la ligne de Tommaso da Modena et d’Altichiero. Les différentes esquisses pour la Princesse de Trébizonde montrent, à partir d’une étude prise sur le vif, l’approfondissement ultérieur de l’intention psychologique qui fait de Pisanello un portraitiste pénétrant. Le groupe des cavaliers a gardé, au contraire, quelque chose d’immédiat, d’extérieur, qui l’isole de la scène principale; il traduit un caprice plus réaliste, une recherche un peu gratuite d’exotisme. Une grande partie de la carrière de Pisanello se passa hors de Vérone, sa ville natale. Son prestige était grand dans toutes les cours de l’Italie du Nord, Mantoue, Ferrare, Milan, qui l’appellent successivement. À Mantoue où il est appelé par les Gonzague, princes mécènes entourés d’humanistes, il réalise pour le palais ducal un cycle arthurien (fresques et sinopie, retrouvées depuis 1973).Il se rend aussi à Naples, près d’Alphonse d’Aragon. Pour la famille d’Este à Ferrare, il peint, outre des fresques, les deux portraits fameux de Leonello et d’une princesse, peut-être Lucia d’Este, aux profils fermement détachés sur un fond de fleurs précieuses (Académie Carrare, Bergame, et musée du Louvre). Pisanello avait fait en 1432 le portrait de Sigismond Malatesta, pour lequel il existe différents dessins. En 1438, c’est l’empereur d’Orient, Jean VIII Paléologue, venu en Italie pour le concile de Ferrare, qui pose pour lui et lui inspire sa première médaille. Dans cette forme d’art où il va trouver un remarquable prolongement à son œuvre de dessinateur (Codex Vallardi, musée du Louvre) et de portraitiste, Pisanello innove totalement par rapport à ses devanciers. Cette aptitude à adopter des modes d’expression variés, à assimiler des expériences étrangères, a permis à Pisanello de dépasser les charmes raffinés du style international. Son œuvre ne peut être définie comme un aboutissement du gothique: elle représente une ouverture sur les réalisations futures de la seconde moitié du siècle. Lorenzo Ghiberti (Florence, 1378 — id., 1455). Comme la plupart des maîtres florentins de son temps, Lorenzo Ghiberti a fait son apprentissage dans des ateliers d'orfèvres et, plus particulièrement, comme élève de Bartolo di Michelo. Une telle formation explique la prédilection qu'il eut pour la technique du bronze, qu'il préfère au marbre, pour le bas-relief, qu'il substitue à la sculpture en ronde bosse, et pour la ciselure de détails qu'il s'efforce de rendre aussi fins qu'apparents. Avant Donatello et Verrocchio, il fut le premier en date de ces grands sculpteurs-orfèvres du Quattrocento qui pratiquaient un art où la sculpture et la peinture ne se trouvaient pas franchement dissociées. Les portes du baptistère de Florence Ghiberti est encore inconnu quand, à l'issue d'un concours fameux qui l'oppose en 1401 à Brunelleschi et au Siennois Jacopo Della Quercia (1367-1438), il obtient de réaliser la seconde porte en bronze du baptistère de Florence. Il entreprend ce travail en 1403 et l'achève en 1424. Dans cette œuvre, le sculpteur n'ose guère s'écarter du schéma gothique adopté par Andrea Pisano, à qui l'on doit la première porte. Il dispose, presque sur le même plan, un nombre restreint de figures (illustrations de la vie du Christ) prises dans un encadrement quadrilobé qui rappelle la manière des quatre-feuilles décorant les soubassements d'un portail de cathédrale gothique. Plus tard, quand il se voit confier l'exécution de la porte d'honneur (commencée en 1425, achevée seulement en 1452), il rompt avec la tradition gothique. Cette porte, qui fait face à la cathédrale et que Michel-Ange estimait digne d'ouvrir sur le Paradis, est composée de dix panneaux représentant des scènes bibliques (cinq sur chaque vantail) qui sont autant de tableaux en bronze, sortes de grandes plaquettes, d'une extraordinaire habileté de facture. Les ressources de la perspective sont utilisées pour disposer sur plusieurs plans un grand nombre de personnages: les plus proches sont fortement détachés (presque traités en ronde bosse), les plus éloignés se fondent dans un lointain qu'exprime un relief de moins en moins accentué. C'est le chef-d'œuvre de Ghiberti, qui, de plein droit, rattache cet artiste aux origines de la Renaissance. Ce sculpteur-orfèvre est aussi l'auteur de plusieurs figures de bronze, sculptées pour l'église Orsammichele, dont un Saint Jean-Baptiste (1414) et un Saint Matthieu (1421-1422). Il a en outre réalisé les panneaux (Baptême du Christ et Saint Jean conduit devant Hérode, 1417-1427) qui décorent les fonts baptismaux du baptistère de Sienne. Au cours des dernières années de sa vie, Lorenzo Ghiberti rédige les Commentaires, traité en trois livres, commencé en 1447. Si les premier et troisième livres sont d'un intérêt secondaire, le deuxième constitue la première véritable histoire de l'art moderne; l'auteur y analyse les plus grandes personnalités artistiques des XIVe et XVe siècles. Donatello (Florence vers 1386 - Florence 1466) Donatello s'appelle en réalité Donato di Niccola di Betto Bardi. Il est né à Florence. Sa date de naissance est pleine d'incertitude et deux dates sont souvent proposées : 1383 ou 1386. Il se forme dans l'atelier de Ghiberti. Il travaille dans son atelier de 1404 à 1407. Auparavant, il a eu avant une formation d'orfèvre dans l'atelier de Brunelleschi. Il s'impose rapidement en tirant profit des leçons tirées de l'art antique. Ses premières statues sont d'inspiration religieuses. Elles sont toutes réalisées en marbre. Ses statues sont destinées à la cathédrale Santa Maria del Fiore (les quatre prophètes par exemple réalisés de 1415 à 1436) ou à l'église Or' San Michele où il réalise une série de saints patrons. Avec Saint Georges réalisée vers l'année 1415, il exécute sur le socle son premier bas-relief selon le procédé appelé relievo schiacciato : l'artiste réalise un relief par graduations infimes, ce qui donne plus l'impression d'un dessins que d'une sculpture. Donatello commence à utiliser le bronze avec la sculpture de Saint Louis de Toulouse (1422-1425). A vingt ans, il se rend à Rome en compagnie de Brunelleschi qui lui apprendre beaucoup sur les problèmes de la perspective. Là il prend connaissance de l'art antique. Son regard observateur lui permet de déduire des conséquences techniques concernant le polissage du marbre, le fini du bronze, l'aisance des mouvements et la façon de traiter le nu. Mais ces conséquences seront également spirituelles, abandonnant les cadres traditionnels pour un regard personnel du sujet abordé, y insufflant plus de psychologie. Cette vision personnelle se reflète lors de son deuxième voyage à Rome où il réalise un tabernacle pour la basilique Saint-Pierre ainsi que deux tombeaux. Sa statue de marbre appelée David réalisée entre 1408 et 1409 reflète cette recherche du raffinement, loin des règles du gothique. Plusieurs cités italienne font appel à Donatello où il peut poursuivre son oeuvre, car à Florence, le courant classique a du mal à comprendre Donatello. Entre 1423 et 1434, il réalise des fonts baptismaux pour la ville de Sienne. Il sculpte trois angelots, deux figures de vertus (la Foi et l'Espérance) et un bas relief en bronze doré appelé le festin d'Hérode. Devant le nombre important des commandes, il s'associe en 1425 avec Michelozzo, sculpteur et architecte. Leur collaboration dure jusqu'en 1433. Ils réalisent ensemble des tombeaux, la chaire extérieure de la cathédrale de Prato. Dans ces réalisations, l'aspect classique de Michelozzo tempère l'aspect innovateur de Donatello. De 1430 à 1433, Donatello retourne à Rome. Il y réalise deux tombeaux. De retour à Florence, pour la cathédrale, il conçoit une tribune pour chanteurs (la Cantoria) de 1433-1439. Il l'orne d'une bande d'angelots qui gambadent, lui donnant ainsi un aspect joyeux contrairement à celle de Luca Della Robbia plus sévère. Il est lauréat d'un concours pour lequel il exécute un carton de vitrail qui représente le Couronnement de la Vierge (1434-1437). En 1437, il reçoit une commande très prestigieuse, la réalisation des chambranles des portes de la cathédrale de Florence. Donatello doit répondre également à des commandes venant des autres cités italiennes. A Venise il réalise la statue de Saint Jean-Baptiste en 1438. Il ouvre un atelier à Padoue dans lequel il s'attèle à deux oeuvres importantes. Il s'agit en premier lieu du maître-autel de l'église Saint-Antoine qu'il travaille de 1446 à 1449. Ce dernier est orné de sept statues en bronze. Le second ouvrage est la statue équestre du Gattamelata, entièrement coulée en bronze et qu'il achève en 1453. C'est une réplique moderne de la statue équestre de Marc-Aurèle dans lequel nous découvrons un guerrier au visage dur et fier avec au centre une place, le Gattamelata. Cette dernière est commandée par la ville de Venise. Donatello y partira pour ensuite se rendre dans les cités de Ferrare, Prato et Sienne pour la deuxième fois. C'est dans cette ville il fait don d'un SaintBaptiste en bois en 1457 et réalise des portes pour la cathédrale. Il retourne en Toscane en 1454. Il réalise une statue en bois, celle de Sainte Marie-Madeleine. Il réalise les deux ambons de Saint-Laurent avec les panneaux de bronze de la Descente aux limbes, de la Résurrection et de l'Ascension. Donatello, à la fin de l'année 1457, se rend à Sienne. Il y exécute un Saint Jean-Baptiste en bronze de 1456 à 1457. C'est une statue qui reflète son dernier style où il conçoit des statues chargés d'expressions. De retour à Florence en 1459, il y exécute le portail sud pour la cathédrale, mais surtout Judith et Holopherne, un groupe en bronze commandé par Pierre de Médicis. Judith, sur un socle cylindrique coupé par un autre socle triangulaire, est debout, un glaive à la main droite et tenant contre elle de sa main gauche, Holopherne, assis et endormi. Pour découvrir tous les aspects de cette statue, le spectateur doit en faire le tour. Ici, Donatello oppose le drapé des vêtements de la femme à la nudité de l'homme, la rigidité du visage féminin au pathétique de celui de l'homme. Ensuite il se consacre uniquement aux ambons de Saint-Laurent. Sa santé décline et il confie de nombreuses réalisation à ces collaborateurs comme Bellano ou Bertoldo. Cependant ces derniers n'arrivent pas à rivaliser avec leur maître. Donatello meurt le 10 décembre 1466. Brunelleschi Filippo (1377-1446, Florence). A la jonction du Moyen Age et de la Renaissance, Brunelleschi, orfèvre et sculpteur puis architecte florentin, définit le premier, de façon exemplaire, les principes architecturaux du XVième siècle en couronnant la cathédrale de Florence d’un dôme d’une grande habileté formelle et technique. Cet artiste, que l’on peut désigner comme « le créateur du style de la Renaissance », n’aborde l’architecture que tardivement. Après avoir embrassé très jeune la carrière artistique, il devient membre de la Corporation des Arts de la Soie et reçoit un enseignement complet comprenant une sérieuse formation scientifique et mathématique. En 1399, il entre dans l’atelier de l’orfèvre Lunardo chez lequel la perfection de ses premières réalisations révèle une maîtrise précoce de la sculpture. En 1401, il participe à son premier grand concours. En effet le corps des marchands fait concourir nombre d’architectes pour la deuxième porte du baptistère de Florence. Malgré la dramatisation réussie, le sens du volume et le rendu expressif de ce bas-relief de bronze représentant « le sacrifice d’Abraham » (musée du Bargello, Florence, Italie), il est reçu ex æquo avec Lorenzo Ghiberti, mais il refuse de partager le prix et le concours est alors remporté par Ghiberti. Les confrontations suivantes avec ce dernier se révélant infructueuses, ne parvenant pas à obtenir de grandes commandes, il décide d’abandonner la sculpture. Ce qui n’avait pourtant point empêché la corporation des orfèvres de l’accepter comme l’un de ses membres dès 1404. Brunelleschi décide alors de se consacrer à l’architecture. Il séjourne plusieurs fois à Rome en compagnie du sculpteur Donatello et de Nanni di Banco. Ils étudient et interprètent l’antique qu’ils entendent ranimer car le gothique leur semble à bout de souffle. Brunelleschi entend remonter aux sources même de l’architecture romaine afin de rénover l’art de la construction et du goût. L’étude des monuments de la Rome Antique lui apporte nombre d’enseignements comme ceux de la disposition planimétrique et des rapports des éléments architecturaux entre eux, ainsi que des techniques de construction employées alors. Il saisit l’importance de la lumière en tant que « réalité mesurable » et celle de la géométrie en tant que système de représentation. Il expérimente un nouvel espace à la fois visuel et plastique. Il puise son inspiration aux sources grécoromaines de l’Antiquité et, s’appuyant sur les notions récentes de la perspective, il redéfinit l’édifice dans son contexte social et urbanistique en lui conférant une nouvelle spatialité. Appliquée à l’architecture, la représentation géométrique sur le plan, vaut comme principe de distribution : à des intervalles réguliers, des éléments portants, et comme réduction des rapports de poids et de poussées à un système en équilibre. Il met au point un engin optique basé sur la perspective qui lui permet d’embrasser et projeter sa future construction dans son environnement réel. Il conçoit la perspective comme structure géométrique de l’espace et l’architecture comme représentation rationnelle de cet espace. Ayant fait ses premières armes en tant que maître d’œuvre à Florence et Pise (citadelle et fortifications…), la cité florentine fait appel à ses talents d’architecte mais surtout de technicien et d’inventeur. Ainsi en 1418, après concours, il lui est demandé d’édifier le dôme de la cathédrale Santa Maria del Fiore. Cathédrale conçue par Arnolfo di Cambio dans les dernières années du XIIIième siècle et qui n’était élevée que jusqu’au tambour, un dôme étant impossible à édifier compte tenu des connaissances et du savoir-faire architectoniques de l’époque. Brunelleschi, par son bagage technique et son ingéniosité, remporte ce chantier imposant (1420-1446). La principale difficulté résidait davantage dans la réalisation technique de l’entreprise que dans sa conception. L’édifice s’élevait alors à hauteur du tambour (60 mètres du sol), et c’est sur une base octogonale (42 mètres de diamètre) que fut entreprise l’élévation de la coupole (40 mètres de hauteur) sans l’intermédiaire de pendentifs et sans système d’échafaudages. Le dôme s’élève à la croisée du transept au-dessus du maître autel. Les difficultés architectoniques furent résolues par le choix d’un dôme ogival qui s’auto-soutient par son profil, et par l’emboîtage hardi de deux coupoles : les pressions étant réparties d’une manière égale aux « angles » des panneaux, grâce à un ingénieux système d’éperons qui entretoisent les deux coques. Il n’existe en effet pas de contreforts extérieurs pour soutenir ce dôme, que seuls huit pans de marbre blanc rigidifient. La légèreté de la construction résulte de l’utilisation de briques, plus légères que la pierre, ainsi que par la disposition des assises de briques en « arrêtes de poissons ». Le choix de la forme surhaussée du profil est alors appropriée aux convenances d’une construction sans cintrage. Un lanternon élancé (12 mètres de haut) de marbre blanc s’appuyant sur de légers contreforts couronne le dôme, il est mis en place après la mort de Brunelleschi conformément aux plans établis par ce dernier. Cet ensemble architectural (112 mètres) particulièrement audacieux pour l’époque est le premier témoignage triomphant de la Renaissance, jamais égalé mais toujours pris pour modèle. Financé par la Gilde de la Soie, l’hôpital des Innocents (1419-1424) est le premier hôpital consacré aux enfants abandonnés de Florence. Fidèle à ses principes, Brunelleschi l’inscrit dans une double exigence d’urbanisme et de perspective. Implanté sur l’un des côtés de la Place de l’Annonziata, l’architecte l’intègre dans le jeu des perspectives du lieu en jouant sur la succession des plans et la profondeur du portique de la façade. Celui-ci est constitué de neuf arcades en plein cintre portées par de minces colonnes composites qu’encadrent deux pilastres dentelés à chacune de ses extrémités. Toutes les arcades sont conçues selon le même module carré (« cube ») supportant une voûte en petite coupole reposant sur des pendentifs. Le seul élément de décor est constitué par une série de médaillons placés dans les écoinçons des arcs au droit des colonnes. Ces médaillons de majolique bleue représentent des enfants emmaillotés en blanc, rappelant ainsi la destination sociale et bienfaitrice de cet hôpital. Ils sont l’œuvre de Luca Della Robbia. Les lignes de l’architecture, tant horizontales que verticales, sont soulignées en Pietra Serena (pierre grise locale) sur fond de surfaces blanches. Cet édifice est la manifestation d’un style nouveau en opposition à l’élancement gothique et à sa polychromie. En 1418, avec l’église San Lorenzo (Florence), Brunelleschi choisit de simplifier le plan de l’édifice en croix latine en ayant recours au concept basilical pour l’élévation. Il met en pratique l’utilisation d’un module de base carré. Il rythme verticalement l’église par la distribution des éléments portants (colonnes et piliers d’angles) et des pilastres, et horizontalement par les entablements et corniches, sans oublier les courbes des arcatures en plein cintre de la nef centrale et des collatéraux. Il oppose et souligne les lignes directrices de son architecture par l’utilisation de la Pietra Serena en contrepoint des élévations et des surfaces blanches, des jeux de quadrillages au sol, mettant ainsi en exergue le découpage des volumes calculés selon le module (« cube »). L’église San Lorenzo présente une nef centrale et deux nefs latérales à huit travées flanquées de sept chapelles. Le transept compte deux travées et sa croisée est surmontée d’une coupole. Le chœur (chevet plat) est encadré de deux fois deux absidioles. La nef centrale est rythmée par une colonnade corinthienne supportant par l’intermédiaire d’un chapiteau et d’un « entablement » une arcature en plein cintre, surmontée elle-même par de larges baies ouvertes au droit des travées, procurant ainsi un abondant éclairage. Le plafond plat, réminiscence des basiliques paléochrétiennes, est une succession de caissons carrés. Les nefs latérales, ou collatéraux, sont agencées selon le module de base et sont couvertes par des coupoles sur pendentifs. Ces coupoles sont éclairées par un occulus. Toutes les chapelles s’ouvrent par de grands arcs en plein cintre qu’encadrent des pilastres corinthiens supportant un entablement avec bandeau. La croisée du transept est marquée par quatre arcs « monumentaux » mis en valeur par les différents éléments de décor en Pietra Serena. Ils n’ont pour autre fonction que de soutenir, par l’intermédiaire de pendentifs, la coupole. Les principes de Brunelleschi sont mis en application : volumes répétés selon un module de base appliqué à l’ensemble de l’édifice ; utilisation de la Petra Serena pour mettre en valeur l’ensemble de la planimétrie de l’église, des lignes et courbes des différents volumes et enfin, le passage du plan carré (« cube ») au plan circulaire dans le cas des coupoles à l’aide des pendentifs. La perspective est le maître d’œuvre de cette réalisation, elle régit l’ensemble et répartit proportionnellement les éléments constructifs dans un jeu architectural, définissant une nouvelle construction et organisation de l’espace. Enfin la lumière joue sur les pleins et les vides et produit des jeux de clair-obscur grâce à la perspective. La Vieille Sacristie de San Lorenzo (1420-1429) (Florence) est le premier plan centré de la Renaissance, tout y est organisé autour d’un point central. Ce schéma représente le plan architectural idéal selon les architectes, son origine se retrouve dans les martyriae paléochrétiennes et plus particulièrement dans le plan du Saint Sépulcre de Jérusalem. La sacristie carrée est surmontée d’une coupole découpée en quartiers ouverts à leur base par des occuli ; un occulus zénithal sert de base à un lanternon. Les lignes directrices de l’architecture sont soulignées en Pietra Serena tout comme les éléments de décors: pilastres d’angles, cannelés et rudentés, à chapiteaux corinthiens ; entablement avec bandeau nu et une frise de disques faisant le tour de la salle, agrafes à volutes, ainsi que les pendentifs, la base et les quartiers de la coupole. Le décor en bas-relief et les médaillons sont l’œuvre du sculpteur Donatello. L’éclairage de la salle provient des occuli de la coupole, dont le zénithal, ainsi que par les séries de trois petites baies situées au-dessus de l’entablement. Le chœur de la Vieille Sacristie reprend une organisation similaire pour la construction de l’espace, un plan centré couvert par une coupole sur pendentifs, Pietra Serena, pilastres d’angles, entablement, frise à disques, écoinçons avec décor… Les portes des pièces adjacentes au chœur sont encadrées par deux colonnes soutenant un fronton lui-même surmonté d’un panneau décoré. Dans cette réalisation, Brunelleschi recrée une architecture à taille humaine, l’espace est rationalisé et régis par les mathématiques qui symbolisent selon l’architecte la beauté divine. L’église Santo Spirito (1444) (Florence) reprend tous ces enseignements, cependant le plan basilical de San Lorenzo y est amplifié. Les volumes y sont développés par le jeu des perspectives mettant en valeur les pleins et les vides. Le plan reprend la croix latine, il est associé à l’élévation basilicale que met en valeur l’utilisation des colonnes et arcatures, ellesmêmes surmontées par un large entablement ouvert de larges baies éclairant la nef centrale. Cet édifice reprend un module carré comme référence. Il présente une nef centrale (neuf travées) et deux latérales (huit travées) flanquées de chapelles (huit) inscrites dans un mur rectiligne après la mort de l’architecte. Les collatéraux font fonction de déambulatoire. La croisée du transept est couverte par un dôme reposant sur pendentifs, le chœur est entourée de chapelles. La planimétrie, les arcatures ainsi que tous les éléments verticaux et horizontaux sont soulignée par la Pietra Serena. Le vocabulaire décoratif est réduit : colonnes lisses, chapiteaux corinthiens, entablement et frise nus, pilastres dentelés. Les chapelles contribuent à amplifier les jeux des clairs-obscurs. La chapelle des Pazzi (1429-1444) (Florence) représente la synthèse, concentrée en un seul édifice, de toutes les recherches de Brunelleschi sur la perspective et l’organisation de l’espace. Cette salle capitulaire est à la fois un lieu de réunion pour les moines franciscains et un lieu funéraire. Nous n'aborderons pas cet édifice dans cet article, car l'importance de ce bâtiment justifie à elle toute seule le prochain article. La dernière construction attribué à Brunelleschi est le palais Pitti (1440) (Florence). C’est le prototype même du palais aristocratique de la Renaissance. Il est conçu selon la perspective, par la succession des plans, avec une répartition proportionnelle des pleins et des vides, des verticales et des horizontales. L’enveloppe murale de la façade est rustique et les premières assises ne sont pas équarries afin de renforcer la force et l’impression de puissance du palais. En 1446, à sa mort, Brunelleschi laisse un héritage important : un nouvel art de bâtir allié à la pureté et à l’élégance, une insistance sur les lignes et les transparences. Il met en place les bases d’un langage architectonique clair et logique, ramenant ainsi la forme architectonique et la structure à des formes géométriques pour les rendre plus lisibles. La perspective est dorénavant le maître d’ouvrage ; tout espace est désormais soumis aux règles de proportions et aux valeurs lumineuses soulignant les jeux des pleins et des vides. Brunelleschi, par son ingéniosité et sa culture, se pose comme un homme radicalement différent de ses prédécesseurs. Avec lui, l’architecte est aussi un créateur et non plus seulement un bâtisseur. Désormais, la conception moderne de l’architecte est celle qui affirme son rôle de responsable de l’ensemble de la réalisation. Par son intérêt pour les mathématiques, la géométrisation et la perspective, il est le grand rénovateur de l’architecture de l’Italie du XVième siècle. MASACCIO (1401-1429 environ) 1. Florence, l’humanisme et les «hommes nouveaux» Tommaso di Ser Giovanni di Mone Cassai, dit Masaccio, est né à Castel San Giovanni in Altura (aujourd’hui San Giovanni Valdarno, près de Florence). Il est mort à Rome à une date qui est certainement antérieure de peu à novembre 1429. Il est le célèbre auteur d’une partie des fresques de la chapelle du cardinal Brancacci dans l’église de Santa Maria del Carmine à Florence , qui sont considérées comme une des œuvres essentielles de l’histoire du naturalisme moderne en peinture (ces fresques ont été l’objet d’une remarquable restauration en 1990). Il est le seul peintre que cite Leon Battista Alberti, dans la dédicace de son Traité de la peinture (1436), parmi les grands novateurs de la Renaissance, avec l’architecte Filippo Brunelleschi et les trois sculpteurs Donatello, Lorenzo Ghiberti et Luca Della Robbia , artistes dont le génie est tel qu’on ne peut «les faire passer après aucun artiste aussi ancien et fameux qu’il soit dans ces différents arts». Des initiateurs de la Renaissance, on peut parler, en effet – et c’est peut-être pour la première fois dans l’histoire de l’art –, comme d’un groupe homogène qui forme un mouvement dont les membres sont unis par des liens très différents de ceux qui régnaient dans l’atelier artisanal. En outre, ce groupe élabore et adopte une nouvelle idéologie qui lui permet de justifier et de défendre sa propre diversité. On peut même reconnaître dans le caractère «intellectuel» du groupe un signe indirect, mais clair, du désir de ces novateurs de marquer la distance qui les sépare des anciennes pratiques, ainsi que d’affirmer le nouveau statut, plus indépendant, de l’artiste dans la société. La preuve en est dans l’intérêt de Brunelleschi pour les expériences scientifiques, dans celui de Donatello pour la «philosophie», et dans le style de vie «distrait» et «fantaisiste» qui a valu à Maso di Ser Giovanni le surnom péjoratif de Masaccio. À cause de la citation d’Alberti on a considéré les novateurs du groupe de Brunelleschi comme équivalents, dans les arts figuratifs, aux humanistes. Mais cela est loin d’être démontré. Les recherches de Tanturli semblent plutôt indiquer les liens de Brunelleschi avec la tradition littéraire «volgare» et une sympathie des milieux humanistes (à partir de Leonardo Bruni) pour son rival «gothique tardif» Lorenzo Ghiberti. D’ailleurs à cette époque, l’humanisme ne joue pas encore le rôle de déguisement idéologique et rhétorique qui a pour fonction de cacher la décadence effective de la cité italienne dans le domaine économique et politique. La découverte de l’antique s’est faite à Florence avec un esprit d’initiative proprement capitaliste et avec un réalisme tout à fait bourgeois. L’art des Romains aide à retrouver le vrai et à rompre avec les habitudes stylistiques de l’art gothique. Le style «héroïque», truffé de citations classiques, va de pair, en un certain sens, avec l’adoption du latin par les humanistes. Vers le milieu du siècle, dans les fresques des Hommes illustres peintes par Andrea del Castagno, ce style aura déjà des résonances fausses et ostentatoires. Mais, chez Brunelleschi, chez le jeune Donatello, chez Masaccio, ce style est encore parfaitement sincère parce que réaliste; il convient, en effet, à l’opinion que la classe dirigeante de Florence pouvait encore avoir légitimement d’elle-même. 2. Le néo-giottisme et la tradition gothique En ce sens, le néo-giottisme de Masaccio se distingue nettement des emprunts que beaucoup de ses contemporains font à des motifs du début du XIVe siècle: depuis le Maestro del Bambino Vispo jusqu’à Giovanni Toscani, depuis le Maestro della Madonna Straus jusqu’à Paolo Schiavo. Cette tendance à un retour aux sources et à un historicisme précoce est certainement commune à toute la culture florentine. Elle plonge ses racines dans les faits économiques auxquels on faisait allusion plus haut. Mais les variations sur le clair-obscur, schématiques et académiques, d’un Niccolò Gerini sont une chose; les évocations nostalgiques et précieuses des artistes qu’on vient de nommer en sont une autre; et c’est encore tout autre chose que la nouvelle interprétation que Masaccio propose de cet âge d’or de l’histoire florentine: il s’agit cette fois d’un retour à ce que Masaccio considère comme le «vrai» Giotto, dont la peinture est réduite à son essence plastique, «pure et sans ornement», ce que le Giotto de l’histoire ne réalisa jamais (sinon, peut-être, dans la chapelle Peruzzi). Dans le cadre de la perspective de Brunelleschi, les indications spatiales de Giotto retrouvent leur valeur d’organisation rationnelle de la réalité. Le sens du relief plastique, qui avait déjà opposé Giotto aux peintres de la génération précédente, prend des dimensions héroïques grâce à l’adoption systématique des ombres portées. Ce lien avec la peinture de Giotto n’est qu’un des aspects de l’importance que la tradition de la peinture médiévale eut pour Masaccio. Cette importance fut proportionnellement plus grande que celle que put avoir, respectivement, pour Brunelleschi et pour Donatello, la tradition de l’architecture et de la sculpture. La tradition gothique fut brisée par les plus anciens novateurs, grâce à l’exemple qu’ils trouvèrent dans maints témoignages de la sculpture et de l’architecture classiques. Ce ne fut pas le cas pour Masaccio. Les œuvres d’art qui lui permettaient d’imaginer l’aspect des héros de l’Antiquité étaient en effet des sculptures. Ces modèles, pour lui qui était peintre, appartenaient encore à la réalité mais non à l’art (bien que cette réalité fût de marbre et non de chair et d’os). Le problème du langage restait entièrement à résoudre pour lui, et ne pouvait l’être que dans les termes de la langue vernaculaire gothique et moderne. C’est pourquoi la façon dont il se distingue de la tradition est beaucoup plus subtile. C’est pourquoi aussi son rapport avec le gothique tardif contemporain est beaucoup plus complexe. Masaccio ne put certainement pas rester indifférent à la peinture dense et empâtée, d’un effet plastique certain, mais ne faisant guère appel au dessin, du giottisme «frondeur» qui va de Maso à Stefano, de Giusto de’ Menabuoi à Giovanni da Milano et à Giottino. C’est de cette tradition aussi que se réclament, à leur façon, des contemporains, tels que Gentile da Fabriano , Arcangelo di Cola da Camerino et Masolino da Panicale (1383-1440), le maître qu’une longue tradition historiographique assigne à Masaccio. Mais celui que la critique la plus récente semble préférer, son compatriote Mariotto di Cristofano, est un homme de culture encore plus traditionnelle, s’il est possible. Le clair-obscur sans hachures, peint et non dessiné, les figures «seulement illuminées avec des ombres sans contours» dont parle Lomazzo ont leurs sources les plus directes, en tant que technique picturale, non pas chez les épigones de la tradition giottesque florentine, mais dans les œuvres du plus célèbre peintre contemporain, Gentile da Fabriano (env. 1370-1427). Roberto Longhi a bien montré, à propos de La Madone du Palazzo Vecchio et du Polyptique de Pise (1426) comment les outils linguistiques traditionnels ont changé de fonction, et donc de sens, à l’intérieur du discours de Masaccio: le fond d’or qui fait fonction de paysage, comme un ciel incendié de soleil; les auréoles mises en perspective; la bordure dorée du manteau qui permet de détacher la masse plastique du fond; le clair-obscur qui n’est plus discret et enveloppant mais qui met en contraste l’ombre et la lumière, qui est abrupt et crée le relief; la ligne de contour, nettement marquée, qui ne fait pas ornement ni broderie, mais définit et délimite les formes dans l’espace. 3. Masaccio et les peintres contemporains Quel que soit l’artiste qui ait enseigné à Masaccio à empâter les couleurs, il faut bien garder présent à l’esprit qu’il fut dès le début l’enfant chéri du groupe des novateurs qui se réunissait autour de Brunelleschi. Il faut se rappeler les dates des premières œuvres «renaissantes» de Brunelleschi et de Donatello pour comprendre comment, vers 1420, à l’âge de dix-neuf ans, Masaccio était un artiste entièrement formé et qu’il pouvait non seulement avoir son propre atelier, mais influencer d’autres jeunes peintres: le «Maestro del 1419», Giovanni Toscani, Fra Giovanni da Fiesole, Andrea di Giusto, Francesco d’Antonio, Paolo Schiavo. En 1422, Masaccio avait déjà peint à fresque la grande scène de La Consécration de l’église du Carmine (dite Sagra del Carmine) dans un style qui, comme l’attestent les documents, devait être tout à fait moderne par le choix du sujet et par l’emploi de la perspective. La même année fut peint aussi le triptyque de l’église de San Giovenale à Cascia (Reggello) que, dans l’enthousiasme de la découverte, on considéra d’abord comme une œuvre de jeunesse de Masaccio lui-même (L. Berti). Mais, plus tard, on l’attribua plus justement à son jeune frère Giovanni, dit le Scheggia (F. Bologna), qui est probablement le même peintre que le Maestro del Cassone degli Adimari (L. Bellosi). On a là un témoignage indirect, mais très précieux, de l’accomplissement déjà tout personnel qu’avait atteint à cette date le style du jeune artiste. En se fondant sur cette hypothèse d’un Masaccio déjà entièrement formé et donc reconnaissable dès avant sa rencontre avec Masolino, Roberto Longhi a pu, avec une exactitude parfaite, distinguer rigoureusement la part qu’ont prise les deux artistes dans des œuvres comme Sainte Anne, la Vierge avec l’Enfant et des anges et les fresques de la chapelle Brancacci. 4. Masaccio et Masolino Masaccio put précocement échapper au système humiliant de l’atelier pour s’installer à son compte. Cela entraîna pour lui des difficultés financières, attestées par les documents. Ce n’est pas là un fait secondaire si l’on veut comprendre la conception nouvelle, individualiste, que Masaccio, en homme de la Renaissance, se fit de son métier d’artiste. Le nouveau statut social du groupe des novateurs implique la recherche de nouvelles formes d’organisation du travail et celle de nouveaux débouchés sur le marché de la peinture. On sait par les documents historiques que Donatello, l’ami et le protecteur de Masaccio, choisit quant à lui les formes juridiques de la «compagnie». Dans la «compagnie», deux artistes indépendants se lient pour un temps déterminé afin d’obtenir plus de commandes et contrôler plus facilement une grande partie du marché. Ce rapport de complémentarité économique élargit énormément l’horizon du vieil atelier. Dans la «compagnie», les personnalités ne tendent pas à se fondre. Mais les deux artistes collaborent selon des méthodes rationnelles de répartition du travail. Donatello, bien qu’il soit le meneur de jeu, n’arrivera jamais à faire de Michelozzo son alter ego, pas même d’un point de vue purement artistique. On ne connaît pas aujourd’hui, par insuffisance de documents historiques, quel type de rapports économiques Masolino et Masaccio décidèrent d’instaurer entre eux, en cette même année 1425 qui a vu naître la «compagnie» de Donatello et de Michelozzo. Cependant, tout laisse croire que les deux peintres furent, en droit et en fait, sur un pied d’égalité absolue. Il n’est pas douteux que l’«étourdi» Masolino n’a jamais été capable de comprendre et de s’approprier les innovations de son jeune compatriote. Mais il faut aussi se demander jusqu’à quel point il a vraiment voulu le faire, et s’il a vraiment cherché à dépasser un accord stylistique capable de donner à l’œuvre une cohérence suffisante pour que les commanditaires ne voient pas la différence de main. Il est vrai qu’en ce qui concerne les fresques de la chapelle Brancacci la présence des deux mains sur le même morceau de fresque (au centre de la scène qui comprend La Résurrection de Tabita) montre que, au moins à un certain moment, les deux artistes travaillèrent côte à côte. Mais cela ne fut certainement pas le cas pendant toute la durée des travaux que Masolino commença probablement seul en 1424 et qui furent continués en 1425-1427 par le seul Masaccio. Il en fut de même pour les autres œuvres où les deux artistes collaborèrent: Sainte Anne, la Vierge avec l’Enfant et des anges (1424-1425, musée des Offices, Florence); les fresques de la chapelle Branda (1425-1431, Saint-Clément, Rome); enfin, le triptyque à deux faces qui se trouvait autrefois à Sainte-Marie-Majeure à Rome (1425-1431; la partie centrale avec La Fondation de Sainte-Marie-Majeure et L’Assomption est actuellement au musée Capodimonte de Naples; le panneau de gauche avec Saint Jérôme et saint Jean-Baptiste et Saint Libère et saint Matthieu est à la National Gallery de Londres; le panneau de droite avec Saint Pierre et saint Paul et Saint Jean l’Évangéliste et saint Martin appartient à la Johnson Collection de Philadalphie). En ce qui concerne les fresques de la chapelle Brancacci, on a déjà établi depuis longtemps que Masolino a travaillé aux deux figures d’Adam et d’Ève à une époque antérieure à sa rencontre avec Masaccio. Il continua ensuite, en cherchant à suivre comme il le pouvait les innovations de son compagnon. Il réalisa la majeure partie de La Prédication de saint Pierre et de la double scène avec La Guérison de l’infirme et la résurrection de Tabita . À la chapelle Branda de Saint-Clément à Rome, ce sont au contraire les parties hautes, vraisemblablement les plus anciennes, l’arc d’entrée, l’intrados, la voûte et la paroi du fond avec la Crucifixion, qui montrent ce clair-obscur très dense et ces amples formes que peint Masolino quand il veut imiter Masaccio. Mais la distribution spatiale de la grandiose Crucifixion et l’ange de l’Annonciation ressortissent, comme on l’a observé, à la conception moderne de la perspective qui fut celle du jeune maître; enfin l’on pense généralement que l’Histoire de sainte Catherine et de saint Ambroise, peinte sur les parois, est postérieure à sa mort. Quant au triptyque de Sainte-Marie-Majeure, on sait ce qui a été peint par Masaccio lui-même: Saint Jérôme et saint Jean-Baptiste, à quoi nous proposerons d’ajouter certaines parties de Saint Pierre et saint Paul, les pieds et la main gauche de saint Pierre, toute la draperie bleue du bras droit de saint Paul et sa main gauche qui tient le livre. Masolino, pour sa part, ne cherche à imiter la grande manière de son jeune confrère que dans les figures des saints des panneaux latéraux, cependant que, dans la narration miraculeuse qui couvre les deux faces du panneau central, même les traces de perspective renaissante qu’on y relève appartiennent à une conception essentiellement «cosmopolite» de la peinture. Du point de vue de la chronologie, cela ne signifie pas que ces œuvres aient été réalisées à une date antérieure à la rencontre avec Masaccio. Selon toutes probabilités (comme pour l’Histoire de sainte Catherine et de saint Ambroise de Saint-Clément), c’est le contraire qui est vrai. Cela est confirmé par les fresques splendides dont Masolino décorera après 1432, pour le même commanditaire que celui de la chapelle de SaintClément, le baptistère de Castiglione d’Olona. Dans l’Histoire de saint Jean-Baptiste, Masolino reviendra en effet, avec beaucoup de naturel, au style doux et fleuri, à la lumière pure, à l’espace modulé jusqu’à l’infini de ses œuvres de jeunesse, antérieures à sa brève collaboration – qui ne durera pas plus de quatre années (encore en passa-t-il la moitié en Hongrie) – avec le jeune novateur. La logique qui préside à la distribution des parties exécutées par les deux maîtres dans toutes ces œuvres semblerait donc celle d’interventions successives. Ces interventions purent avoir lieu en des temps et en des lieux relativement espacés, sur des œuvres qui sont restées longtemps en chantier et que continuait celui qui à ce moment-là se trouvait sur place et avait le temps et la volonté d’y travailler. Si l’atelier médiéval est en décadence, il est évident que l’on est encore bien loin de l’«œuvre autographe», au sens moderne du terme. L’éventualité qu’un peintre (ou une équipe, ou une «compagnie» de peintres) puisse avoir en même temps deux chantiers dans deux villes différentes n’est nullement exclue. Sur ce point aussi, Giotto fut un précurseur. Il avait ouvert deux chantiers à la fois au temps où il peignait les fresques de Saint-François à Assise et de Saint-Jean-de-Latran à Rome. Aujourd’hui encore, c’est une pratique commune chez les artisans, en période de pénurie, que d’accepter n’importe quelle commande, indépendamment de toute possibilité réelle de les réaliser. On commence immédiatement les travaux, de façon qu’ils ne soient pas confiés à d’autres, sauf à les interrompre presque aussitôt pour mener à terme les tâches que l’on avait acceptées précédemment. Le retour inattendu de Masolino, après la mort de Masaccio, dans le groupe des peintres du «gothique tardif» constitue, si l’on y réfléchit bien, la meilleure preuve que la collaboration de deux hommes avait eu une base éminement pratique et qu’elle ne mettait pas profondément en cause les convictions artistiques des deux peintres.