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Antagonistes calciques et inhibition de la sécrétion d’aldostérone M. Rossier*, **, A. Capponi** ✎ Le système messager calcique intracellulaire joue un rôle crucial dans le contrôle de la synthèse d’aldostérone par le système rénineangiotensine et le potassium. ✎ Le calcium agit au niveau nucléaire, en contrôlant l’expression de protéines spécifiques, et au niveau mitochondrial, en modulant le transport et la transformation du cholestérol en aldostérone. ✎ Le calcium impliqué dans la stimulation de la production d’aldostérone entre dans la cellule glomérulée à travers des canaux spécifiques (de type T). ✎ Les antagonistes calciques classiquement utilisés dans le traitement de l’hypertension (dihydropyridines) affectent principalement les canaux de type L et sont donc peu efficaces pour empêcher la sécrétion d’aldostérone. ✎ In vivo, la stimulation sympathique induite par la vasodilatation exercée lors de l’administration d’antagonistes calciques peut même aboutir à une activation du système rénine-angiotensine-aldostérone. ✎ Dans ce cas, un traitement combiné avec des antiadrénergiques ou des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine peut s’avérer plus bénéfique. ✎ Certains effets cardiovasculaires de l’aldostérone sont cependant bloqués par les antagonistes calciques seuls. ✎ Le développement d’antagonistes calciques pharmacologiquement plus sélectifs, dirigés contre les canaux de type T, s’avère donc nécessaire pour contrôler efficacement la sécrétion d’aldostérone. Une minorité très agissante *Division d’endocrinologie & diabétologie, département de médecine interne, ** Laboratoire central de chimie clinique, département de pathologie, hôpitaux universitaires, Genève, Suisse. Lorsqu’en 1563, Bartholomaeus Eustachius, qui pratiquait et enseignait l’anatomie à l’université La Sapienza, à Rome, décrivit pour la première fois les glandulae renibus incumbentes, ou glandes surrénales, il devait être loin de se douter qu’il faudrait près de trois siècles à ses émules pour découvrir la véritable fonction de cet organe qui coiffe le rein comme un bonnet phrygien. Le mérite d’avoir relancé l’intérêt scientifique pour le rôle physiologique de la glande surrénale revient en effet à Thomas Addison et à son observation clinique princeps de l’anémie adrénoprive, publiée en 1855. Des trois zones qui constituent le cortex surrénal, la plus externe et la plus mince, la zone glomérulée, contribue de façon cruciale au contrôle de la pression sanguine, par le biais de la production du minéralocorticoïde le plus actif, l’aldostérone, sous l’action de deux agents physiologiques principaux, l’angiotensine II (Ang II), une hormone polypeptidique, et le potassium extracellulaire. Stéroïde surrénalien “minoritaire” face aux abondantes quantités de glucocorticoïdes et d’androgènes synthétisés par les zones fasciculée et réticulée, l’aldostérone n’en joue pas moins un rôle majeur dans l’homéostasie hydroélectrolytique et volumique. Les effets de l’aldostérone s’exercent principalement, à travers sa liaison à des récepteurs nucléaires, sur les cellules du tube rénal distal et collecteur. L’hormone y induit surtout une réabsorption de sodium et une excrétion de potassium, effets qui se traduisent au niveau systémique par une élévation de la pression artérielle. Plusieurs situations physiopathologiques cardiovasculaires s’accompagnent d’une sécrétion inappropriée ou exagérée d’aldostérone, notamment les aldostéronismes primaires et secondaires (1). Deux solutions s’offrent alors au thérapeute : – empêcher le minéralocorticoïde d’agir sur ses récepteurs, en recourant à un antagoniste de l’aldostérone tel que la spironolactone ; – freiner ou bloquer la biosynthèse de l’aldostérone. Dans ce dernier cas, l’intervention porte essentiellement en amont, sur les agents qui stimulent cette synthèse, comme 101 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 3, juin 2000 Mise au point l’Ang II (inhibiteur de l’enzyme de conversion ECA, antagoniste du récepteur de l’angiotensine II, tel le losartan). En revanche, les outils pharmacologiques qui porteraient directement sur les mécanismes intracellulaires présidant à la biosynthèse de l’aldostérone sont quasiment inexistants. De récents développements quelque peu iconoclastes ou pour le moins inattendus suggèrent qu’une telle approche pourrait néanmoins s’avérer utile. Le cœur, source et cible de l’aldostérone Il apparaît en effet que, loin d’être l’apanage du cortex surrénal, l’aldostérone peut être produite par d’autres tissus et, en particulier, par le cœur. Non seulement cet organe est doté de l’arsenal enzymatique qui permet la transformation du cholestérol en aldostérone (2), mais il semble également constituer une cible de choix pour le minéralocorticoïde, notamment dans certaines situations pathologiques, telle l’insuffisance cardiaque. Par exemple, l’aldostérone serait à l’origine de la fibrose cardiaque interstitielle relevée dans certains modèles animaux d’hypertension induite par un traitement de DOCA-NaCl ou d’infarctus du myocarde. Ces indications expérimentales viennent d’ailleurs de recevoir confirmation d’un grand essai clinique, l’étude RALES (3), dans laquelle la spironolactone a induit une baisse spectaculaire de la mortalité de près de 30 % chez des patients souffrant d’insuffisance cardiaque sévère. Décrypter les signaux intracellulaires Dès lors, il peut s’avérer nécessaire d’interférer uniquement sur les sources pathologiques d’aldostérone, sans affecter les sites de synthèse physiologiques utiles. La connaissance des mécanismes de signalisation intracellu- laire qui mènent à la production de l’aldostérone pourrait, dans ce contexte, offrir d’intéressants points d’impact pharmacologiques. Aussi la recherche dans ce domaine a-t-elle considérablement progressé au cours de la dernière décennie, et l’on a réussi à déchiffrer une partie des messages qui activent la machinerie stéroïdogène. calcium qui contribue à cette montée provient de réserves intracellulaires ou du milieu extracellulaire (figure 1). Dans ce dernier cas, le cation pénètre dans la cellule en traversant la membrane par le biais de divers canaux, ouverts par l’angiotensine II ou le potassium. Ces voies d’entrée du calcium sont détaillées ci-dessous. Si l’action de l’aldostérone porte essentielIl s’agit ensuite d’identifier les cibles sur lement sur le métabolisme de deux cations lesquelles va agir le calcium. La mitochonmonovalents, le sodium et le potassium, drie, organelle qui, outre ses fonctions c’est un cation divalent, le calcium, qui est énergétiques, abrite l’essentiel des foncimpliqué de façon cruciale dans la biosyntions différenciées des cellules produisant thèse du stéroïde. En effet, les deux princiles stéroïdes, était une candidate plausible. paux stimulateurs physiologiques de la Effectivement, les variations de calcium synthèse de minéralocorticoïdes, l’angiocytosolique provoquées par l’angiotensine II, une hormone peptidique, et le tensine II ou le potassium sont répercutées, potassium extracellulaire induisent leur effet en causant de profondes perturbations de l’homéostasie calcique intracellulaire (4). Rappelons ici que la concentration de calcium libre à l’intérieur de la cellule, dans le cytoplasme est dix mille fois plus faible que la concentration de calcium du milieu extracellulaire. Tout en dépensant une énergie considérable pour main-tenir cette énorme différence de concentration, les cellules l’exploitent à des fins de signalisation. Ainsi, lorsque des cellules glomérulées surrénaliennes sont soumises à une stimu- Figure 1. Le rôle du messager calcique dans l’activation de la biosynthèse de lation induite par l’aldostérone. l’angiotensine II ou le En induisant une libération de calcium des réserves intracellulaires et un potassium, il se pro- influx calcique du milieu extracellulaire, l’angiotensine II et le potassium entraînent des changements de la concentration de calcium intracellulaire duit une augmentation [Ca2+] . Au niveau du noyau, le calcium active l’expression de certains gènes, i immédiate de la tels ceux de la protéine StAR et des enzymes stéroïdogènes. En outre, le calcium concentration de cal- provoque un transfert intramitochondrial de cholestérol. Ces actions concercium cytosolique. Le tées entraînent une augmentation de la production d’aldostérone. 102 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 3, juin 2000 voire amplifiées, au sein de la mitochondrie et ce phénomène permet une régulation de l’étape limitante de la stéroïdogenèse, le transfert intramitochondrial de cholestérol. Précurseur de tous les stéroïdes, le cholestérol doit, en effet, être mobilisé des gouttelettes lipidiques intracellulaires dans lesquelles il est stocké sous forme d’esters, hydrolysé en cholestérol libre, transféré à la membrane externe de la mitochondrie et, avec le concours d’une protéine appelée StAR (Steroidogenic Acute Regulatory Protein), doit passer vers la membrane interne où se trouvent les enzymes de la stéroïdogenèse. Le calcium mitochondrial contrôle cette dernière étape (5). Le noyau de la cellule est une autre cible du messager calcique. Par le biais de divers processus dépendant du calcium, tels que l’activation de kinases, l’Ang II et le potassium y induisent en effet l’expression de certains gènes, comme celui de la protéine StAR. Le résultat de l’action concertée du signal calcique sur ces diverses cibles dans la cellule glomérulée surrénalienne est une induction aiguë de la cascade stéroïdogène et de la production d’aldostérone sous l’effet de l’Ang II ou du potassium (figure 1). L’ion calcium intracellulaire joue donc le rôle de médiateur indispensable dans la transmission de l’information convoyée par les stimulateurs physiologiques vers la machinerie de biosynthèse des stéroïdes. On le voit aisément, l’intervention pharmacologique et, à plus long terme, thérapeutique sur les mécanismes intracellulaires de production d’aldostérone passe par la connaissance des sources et des cibles de ce messager calcique. Les voies d’entrée du calcium Comme nous l’avons vu ci-dessus, une partie importante du calcium amené à stimuler la synthèse d’aldostérone provient du milieu extracellulaire et une inhibition pharmacologique des canaux calciques responsable de l’influx du calcium devrait donc conduire à une diminution drastique de la sécrétion de ce stéroïde. Deux familles de canaux calciques sont exprimés fonctionnellement dans les cellules de la zone glomérulée des surrénales : les canaux dépendant du voltage (qui s’ouvrent en réponse à une dépolarisation de la cellule) et les canaux responsables de l’influx capacitif (activés lors d’une vidange des réserves calciques intracellulaires). Puisque l’Ang II, par l’intermédiaire de l’inositol 1,4,5-trisphosphate, induit une libération du calcium stocké dans les réserves et, simultanément, dépolarise la membrane cellulaire, cette hormone est donc capable d’activer les deux voies d’influx. Les canaux dépendant du voltage peuvent eux-mêmes être distingués en deux types selon leurs propriétés électrophysiologiques : les canaux de type T s’activent de façon transitoire, et cela à des potentiels encore très négatifs (de l’ordre de – 60 mV), alors que les canaux de type L nécessitent une dépolarisation plus marquée (jusqu’à – 40 mV) mais restent actifs plus longtemps. Ces derniers sont les cibles principales de la plupart des antagonistes calciques classiques, tels que les dihydropyridines, le vérapamil ou le diltiazem, couramment utilisés dans le traitement de l’hypertension (tableau I). Certains agents, particulièrement parmi les dihydropyridines, affectent également les canaux de type T, mais à des concentrations sensiblement plus élevées. Quelques médicaments, comme le mibéfradil, récemment commercialisé (voir ci-après), la tétrandrine, un alcaloïde dérivé d’une plante médicinale chinoise, ou le zonisamide, un agent antiépileptique, présentent une faible sélectivité en faveur des canaux T par rapport aux canaux L. Tous ces agents ont peu ou pas d’effet sur l’entrée de calcium induite par la vidange des réserves intracellulaires (influx capacitif). Bien qu’il existe des agents pour bloquer efficacement les canaux responsables de l’influx capacitif (SOC : Store-Operated Calcium Channels, et CRAC : Calcium Release-Activated Calcium Channels), ces substances sont loin d’être sélectives, et elles affectent également les canaux dépendant du potentiel. En outre, elles ne sont pas employées comme antagonistes calciques en clinique. Empêcher la sécrétion d’aldostérone in vitro en fermant les portes calciques L’inhibition de la sécrétion d’aldostérone par les antagonistes calciques a été démontrée maintes fois dans différents modèles de Tableau I. Sélectivité pharmacologique de quelques classes d’antagonistes calciques. Classe Exemple Dihydropyridines Phénylalkylamines Benzothiazépines Benzimidazolyl tétralines bis-Benzylistoquinolines Sulfonamides nifédipine (antihypertenseur) vérapamil (antihypertenseur) diltiazem (antihypertenseur) mibéfradil (antihypertenseur) tétrandrine (antihypertenseur) zonisamide (antiépileptique) L T SOC/CRAC +++ +++ +++ + + + + ? ? ++ ++ ++ sans effet ? ? sans effet + ? L’inhibition relative des différents canaux calciques de la cellule glomérulée est fondée sur l’IC50 de la drogue, déterminée in vitro par des méthodes électrophysiologiques. +++ signifie une efficacité élevée de la drogue sur le canal considéré (donc une IC50 plus basse que ++ et +). SOC/CRAC : store-operated et/ou calcium release-activated calcium channels. Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 3, juin 2000 103 Mise au point cellules glomérulées en culture ou fraîchement préparées à partir de glandes surrénales d’origine aussi bien animale qu’humaine. Une analyse pharmacologique minutieuse de l’effet de ces agents a permis de montrer que ce sont essentiellement les canaux calciques de type T qui sont impliqués dans le contrôle de la stéroïdogenèse (4), bien que l’influx capacitif, à travers des canaux insensibles au voltage, joue un rôle non négligeable lors d’une stimulation par l’Ang II. Cette sélectivité fonctionnelle observée (le calcium entrant par les canaux L, par exemple, est moins efficace que le calcium passant à travers les canaux T pour stimuler la biosynthèse d’aldostérone) est probablement due à une localisation cellulaire particulière de certains canaux, à proximité de protéines effectrices sensibles au calcium et impliquées dans le contrôle de la stéroïdogenèse (6). La diffusion très lente du calcium dans le cytosol permet alors de maintenir localement des microdomaines de concentration calcique élevée à des endroits fonctionnellement spécialisés de la cellule. Nous avons vu précédemment que la mitochondrie représente un site privilégié de l’action du calcium sur le contrôle de la stéroïdogenèse. En d’autres termes, la production d’aldostérone sera plus efficacement inhibée si l’on utilise un antagoniste calcique dirigé contre un type de canal fonctionnellement associé à la synthèse des stéroïdes. Peut-on inhiber de la même manière l’aldostérone in vivo ? L’inhibition du système rénine-angiotensine, par exemple, au moyen d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion, s’avère insatisfaisante pour diminuer la production d’aldostérone in vivo. C’est probablement dû à la participation d’autres agonistes contrôlant la stéroïdogenèse des cellules glomérulées, comme le potassium extracellulaire ou certains facteurs paracrines. Dans ce contexte, plusieurs antagonistes calciques ont donc été testés. Cependant, les résultats obtenus in vivo avec cette classe d’agents contrastent fortement avec l’efficacité observée sur des cultures cellulaires. En effet, dans la majorité des études publiées ces cinq dernières années (tableau II), un traitement avec différents antagonistes des canaux L, surtout des dihydropyridines, sur une période allant de 24 heures à 12 mois, s’avère relativement inefficace pour réduire la concentration d’aldostérone circulante, et une augmentation a même été observée dans plusieurs cas. Cette augmentation occasionnelle de la sécrétion d’aldostérone peut être expliquée en partie par l’action stimulante des anticalciques sur le système nerveux sympathique (due au réflexe via les barorécepteurs) et à l’activation β-adrénergique consécutive du système rénineangiotensine (figure 2, p. 106). Cette activation est également la conséquence directe de la diminution de la pression sanguine intrarénale, un stimulus puissant de la sécrétion de rénine. Il faut cependant noter que cette contre-régulation est également observée dans la pratique clinique lors de l’utilisation d’autres classes de médicaments antihypertenseurs (7). En outre, l’inefficacité des agents anticalciques à bloquer deux des trois classes de canaux calciques présents dans la cellule glomérulée et activés par l’Ang II illustre clairement les lacunes de cette approche monothérapeutique. En fait, les dihydropyridines agissent essentiellement sur les canaux de type L qui sont, comme nous l’avons discuté dans les études in vitro, les moins efficaces pour stimuler la synthèse des stéroïdes. Pourquoi les plurithérapies sont-elles généralement plus bénéfiques dans le traitement de l’hypertension ? L’antinatriurèse résultant d’une élévation de l’aldostérone est probablement un facteur limitant majeur à l’utilisation des antagonistes calciques seuls dans le traitement de l’hypertension, et c’est une raison pour laquelle une association avec une autre classe médicamenteuse d’antihypertenseurs (inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou bêtabloquants) est généralement préconisée. Une étude française récente montre d’ailleurs que seulement 50 % des patients hypertendus normalisent leur pression sanguine avec un seul médicament, alors que les autres nécessitent une bi-, voire une trithérapie antihypertensive (8). L’efficacité d’une combinaison entre les médicaments anticalciques et les antagonistes de l’Ang II, mis à disposition sur le marché plus récemment, reste à démontrer mais pourrait s’avérer tout à fait intéressante. L’administration simultanée de deux médicaments doit, bien entendu, faire l’objet d’une attention toute particulière à cause des interactions médicamenteuses possibles. Cependant, outre les effets synergiques attendus sur la pression sanguine d’une bithérapie antihypertensive, la combinaison des médicaments peut parfois présenter des avantages cliniques, en réduisant les effets secondaires associés à l’utilisation de chacun des médicaments isolément. C’est particulièrement vrai pour les anticalciques qui, dans les cas d’angine de poitrine, par exemple, soulagent par leur action vasodilatatrice les effets induits par les bêtabloquants, alors que ceux-ci, de leur côté, permettent de réduire une tachycardie souvent associée à un traitement par des anticalciques. Une solution possible : des antagonistes calciques spécifiques des canaux T Une contre-indication importante à l’utilisation des dihydropyridines et autres antagonistes calciques classiques (agissant principalement sur les canaux L) est leur effet inotrope négatif extrêmement néfaste dans 104 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 3, juin 2000 Tableau II. Effet in vivo des antagonistes calciques sur la concentration d’aldostérone circulante chez l’homme. Antagoniste calcique Combiné à Conditions physiopathologiques Durée du traitement Aldostérone ARP Nifédipine (dhp) - hypertension 1-4 semaines =/- + - hyperaldostéronisme 1 semaine - ? - hypertension 8 jours + ++ - hypertension 24 heures = = diurétique insuffisance cardiaque hypertension 4 mois 8 semaines = = = = - hypertension 24 heures = = - transplantation rénale 12 mois = = ACE-I ACE-I - athérosclérose chirurgie aortique hypertension hypertension normales hypertension hypertension hypertension insuffisance cardiaque coronopathie 1 semaine 5 jours 2 heures 12 semaines 3 jours 3 mois = = = = = + + = + ? ? + = ? + = + = + Yokoyama T et al. Nippon Naib Gakk Zasshi 1995 ; 71 : 1059-74. Yokoyama T et al. Nippon Naib Gakk Zasshi 1995 ; 71 : 1059-74. Fiad TM et al. J Clin Endocrinol Metab 1997; 82 : 457-60. Damasceno A et al. J Cardiovasc Pharmacol 1999; 34 : 346-53. Benatar D et al. Am J Ther 1998 ; 5 : 25-32. Landmark K et al. J Hum Hypertens 1995 ; 9 : 281-5. Krekels MM et al. 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Nicardipine (dhp) Nitrendipine (dhp) Isradipine (dhp) Amlodipine (dhp) Diltiazem (btz) 12 semaines 8 semaines péri/ postopératoire aigu 3 jours Références Abréviations utilisées : dhp : dihydropyridines ; btz : benzothiazépine ; ACE-I : inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine ; ARP : activité de la rénine plasmatique. les cas d’insuffisance cardiaque et pouvant même mener à une issue fatale. Cette importante limitation à l’utilisation de ces agents a stimulé les compagnies pharmaceutiques à développer d’autres classes d’anticalciques dirigés contre les canaux de type T. Le mibéfradil, par exemple, maintenant retiré du marché à cause d’interactions d’ordre pharmacocinétique avec d’autres médicaments, a été le premier antagoniste calcique à présenter une sélectivité pour les canaux T. Cependant, administré isolément, le mibéfradil s’avère un excellent antihy- pertenseur, sans aucune action négative, à dose thérapeutique, sur la force de contraction cardiaque (9). En outre, chez des rats uninéphrectomisés recevant un minéralocorticoïde avec une diète riche en sel, le mibéfradil atténue sensiblement la fibrose cardiaque, probablement grâce à un meilleur contrôle de la pression sanguine (10), ou en réduisant l’entrée de calcium stimulée par les hormones dans les fibroblastes (11). Nous avons observé in vitro que le mibéfradil prévenait efficacement la synthèse d’aldostérone induite par l’Ang II Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume IV, n° 3, juin 2000 ou le potassium dans les cellules glomérulées d’origine bovine, un effet qui pourrait, bien sûr, participer in vivo à l’action bénéfique du médicament sur la pression artérielle. Cependant, il faut noter que, chez les patients hypertendus, l’inhibition de la production d’aldostérone par le mibéfradil est plutôt faible et inconsistante (12). De même, chez quatre de nos patients souffrant d’un hyperaldostéronisme primaire associé à une hypertension réfractaire au traitement par les dihydropyridines, nous avons observé une normalisation complète de leur pres- 105 Mise au point Conclusion Bien qu’à la lumière de nos connaissances récentes des mécanismes cellulaires impliqués dans la synthèse de l’aldostérone, il soit tout à fait “justifiable” de vouloir contrôler in vivo les taux circulants d’aldostérone au moyen d’une pharmacologie dirigée contre les canaux calciques, la pratique nous démontre que cette approche est loin d’être efficace. Les raisons principales paraissent être, d’une part, l’intervention de mécanismes annexes Figure 2. Hypothèse physiopathologique expliquant l’augmentation paradoxale de la concentration d’aldostérone chez un patient hypertendu traité avec tendant à maintenir une volémie constante des antagonistes calciques. La diminution de la pression artérielle (PA) induite par les médicaments anti- par l’activation du syscalciques stimule le système rénine-angiotensine-aldostérone, soit directement tème rénine-angiotenpar une baisse de la pression sanguine intrarénale, soit par l’intermédiaire sine-aldostérone et, d’une stimulation du système nerveux sympathique (SNS). La présence de l’an- d’autre part, une phartagoniste calcique, qui inhibe essentiellement les canaux de type L, ne peut empêcher complètement l’influx calcique déclenché par l’angiotensine II macologie mal ciblée (Ang II) dans les cellules glomérulées, et donc la stimulation de la synthèse des antagonistes calciques utilisés. En d’aldostérone. Cap = canal responsable de l’influx capacitif. outre, la possibilité d’une synthèse extrasurrénalienne d’aldostérone, peut-être localisée dans certains sion artérielle après trois semaines de mibéorganes comme le cœur et contrôlée par fradil, alors que leur aldostérone sérique ou des mécanismes différents, ne doit pas être excrétée dans les urines de 24 heures avait ■ négligée. encore augmenté par rapport aux valeurs déjà élevées mesurées sous traitement avec les dihydropyridines. En résumé, il semble donc que le mibéfradil, bien que peu efficace in vivo pour Références empêcher la synthèse d’aldostérone, ait des propriétés hémodynamiques bénéfiques sur le système cardiovasculaire et puisse s’op1. Vallotton MB. Primary aldosteronism. Part I poser à l’action délétère de concentrations Diagnosis of primary hyperaldosteronism. Clin Endocrinol 1996 ; 45 : 47-52. élevées d’aldostérone circulante. 2*. Delcayre C, Silvestre JS. Aldosterone and the heart : towards a physiological function ? 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