chapitre 1 - Le Publieur

Transcription

chapitre 1 - Le Publieur
Le Publieur est heureux de
vous donner à lire un extrait
de "L'Impasse", le livre de
Patrice Alain.
chapitre 1
Un beau dimanche de mars 200…
Il fait un temps superbe à Monaco pour le troisième
Grand Prix de Formule 1 de la saison. Il est 15 heures 25
et les pilotes de tête entament le 20e des 78 tours de l’épreuve
quand soudain, c’est le drame : les commissaires de course
brandissent des drapeaux rouges. Chacun comprend que
la course est suspendue !
Spectateurs et journalistes guettent en vain, sur les
écrans, la cause de cette interruption. Enfin l’on aperçoit,
à l’entrée du tunnel située après le virage du Portier, une
légère fumée : c’est là que s’est produit l’accident. Très
vite on découvre qu’il s’agit de la Ceverte bleu nuit
numéro 16 de Gégécat : elle est immobilisée au centre de
la piste. Il semble qu’elle ait heurté les glissières de sécurité
à l’entrée de ce tunnel, dont on sait qu’il est légèrement
en dévers : cette hypothèse est confirmée par les débris
du véhicule éparpillés à l’entrée du tunnel, à quelque
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300 mètres en amont de l’endroit où gisent le pilote et
ce qui reste de sa voiture.
Enfin la télévision nous livre en différé le film de
l’accident. Alors en tête du Grand Prix, Gégécat abordait le virage situé à l’entrée du tunnel. À cet endroit
très rapide du circuit, les pilotes ont enclenché la 6 e
vitesse et foncent à près de 280 km/h. C’est à cette
allure que Gégécat a heurté sur sa gauche les glissières
de sécurité, a perdu le contrôle de sa monoplace avant
de percuter la Depailler numéro 5 de Brunobal qui
venait de le doubler par l’intérieur. Suite à cette collision,
la voiture en perdition s’est heurtée à nouveau aux glissières avant de s’immobiliser à plus de 300 mètres du
premier impact !
Au vu de cette séquence diffusée à la vitesse réelle, le
choc semble terrifiant.
Après ce flash-back, la télévision donne à nouveau des
images en direct : ce qui reste de la monoplace accidentée
s’est tout de suite enflammé, mais l’incendie a été aussitôt éteint par les commissaires postés à proximité. Le
cockpit de la monoplace est presque intact, mais le reste
est dispersé. Complètement immobile, Gégécat est toujours à l’intérieur de sa voiture.
Quant à Brunobal, il est miraculeusement indemne
alors que tout le côté gauche de sa monoplace est
embouti : il a quitté son véhicule et ôté son casque. Il se
dirige vers la voiture de Gégécat. Il tente visiblement de
parler au pilote malheureux : est-il toujours conscient ? À
ce moment du drame, lui seul peut le savoir, lui seul le
sait. À l'intérieur du tunnel les images sont si sombres
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qu’on ne les distingue pas nettement : on est réduit à
deviner ce qu’on ne voit pas.
Il faut attendre près de deux minutes après l’accident
pour qu’arrive sur les lieux l’armada des secours : la sécurité, les ambulances et les médecins entourent la Ceverte.
Bien évidemment, on va tenter d’extraire Gégécat de son
habitacle. C’est ce que font les pompiers après avoir tenté
de parler au blessé pour savoir s’il est conscient ou non.
Les images le montrent totalement inerte et inconscient.
Les secouristes l’allongent sur une civière qu’ils vont
« préformer ». On met le blessé sous perfusion. Mais
pourquoi les secouristes n’essayent-ils pas d’ôter immédiatement son casque ? En revanche, on les voit protéger
au maximum ses vertèbres cervicales.
Après ces quelques minutes de premiers soins, les
médecins du circuit se concertent, sans doute pour se
mettre d’accord sur ce qu’il convient de faire à présent.
Apparemment, c’est l’évacuation de Gégécat qui fait
problème. En pareille circonstance, on évacue le pilote
s’il est transportable, si ses blessures sont sans gravité.
Dans le cas contraire, faute de pouvoir l’évacuer, on crée
sur place une cellule médicale.
Mais il semble que l’état du blessé est très préoccupant.
On peut craindre qu’il ne soit entre la vie et la mort.
Avec d’infinies précautions, on commence par lui enlever
son casque. Puis on applique sur son visage un masque à
oxygène et on met en place une minerve en vue de procéder à une trachéotomie. Comme son visage est pâle !
Sans doute est-il complètement inconscient… Une sorte
de large paravent est sorti d’une fourgonnette puis déplié
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devant l’épave. Plus d’image ! Ce maudit paravent nous
cache tout. Seul moyen d’information à notre disposition, les images fournies jusque-là par la télévision sont
désormais inaccessibles, et nous ne pouvons plus savoir
ce qu’il advient de Gégécat.
De leurs ambulances les pompiers extraient des lampes
halogènes sur pieds, les placent autour de la civière et les
allument. De cet éclairage indirect dans ce tunnel sombre
émane une atmosphère de chapelle ardente qui glace
totalement l’ambiance qui régnait jusqu’alors sur le circuit,
tant chez les spectateurs qui suivent cela sur grand écran
que dans les stands ou l’on regarde chaque image sur les
écrans de contrôle.
Les autres coureurs sont rentrés au stand et ont quitté
leur monoplace. Sur les écrans de contrôle ils scrutent ce
qui se passe. Quand ils voient les images rediffusées en
vitesse réelle ou au ralenti, tous ont l’air abasourdi par ce
qui vient de se passer, par l’intensité et la rapidité du
choc et par ce qui reste des véhicules après cette collision. Seul Brunobal est resté sur les lieux de l’accident. Il
faut dire qu’il est le cousin de Gégécat, qu’ils ont débuté
ensemble en F1 il y a plus de deux ans. Ils se connaissent
depuis près de quarante ans et sont inséparables sur les
circuits depuis leur arrivée soudaine en F1, il y a un peu
moins de trois saisons.
D’après les images de l’accident Brunobal n’en semble
nullement responsable : c’est bien la Ceverte qui est
venue, après le premier impact, heurter latéralement la
Depailler qui passait à l’intérieur pour l’éviter. Mais
Brunobal est visiblement tourmenté : que se passe-t-il
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dans sa tête en ce moment, sous ce soleil de mars où tout
était propice à la compétition ?
Quinze minutes passent, interminables, sans qu’on ait
aucun renseignement sur l’état de l’accidenté, ni même
aucun des staffs techniques émanant des écuries ou des
services de courses. La télévision, comme à son habitude,
meuble de publicités le vide des informations, ou se
borne à ne montrer que les stands… Et pourtant tout se
passe là-bas, à l’intérieur du tunnel, où des hommes se
battent pour sauver une vie ; et personne ne peut donner
aucune information, qu’elle soit bonne ou mauvaise.
Hors du périmètre de sécurité, Brunobal est suivi par
les caméras. Il ne tient pas en place.Visiblement, il s’impatiente. Enfin il force brusquement les barrages formés par
quelques commissaires, pousse vivement les personnes
du staff médical qui devaient sécuriser la zone, et s’avance
derrière le parapet rouge qui nous cache la scène, là, juste
derrière. Trente secondes après, il sort la tête basse. La
télévision s’attarde sur son visage, un visage défait sur
lequel il pose ses deux mains avant de s’écrouler en sanglots
sur le bitume monégasque.
Il est 15 h 42.
Tout le monde a compris : Gégécat n’a pas survécu à
ce terrible accident.
Un commissaire vient relever Brunobal, puis un pilote
resté derrière s’approche de lui et l’étreint pour le
réconforter.
C’est la stupeur dans les stands.Tous les pilotes ont dans
leur mémoire cette image de Brunobal agenouillé, pleurant
son camarade disparu à jamais. Ils baissent la tête, comme
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pour refuser la réalité de la situation. Pourtant ils savent
que c’est le risque de leur métier… Mais voir un ami
partir en course, c’est toujours très difficile.
Quelques minutes s’écoulent. On aperçoit la civière
de Gégécat que l’on transporte dans une ambulance. A
16 h 06 le micro du directeur de course informe les
concurrents et les spectateurs restés sur place que
Gégécat, pilote numéro 16 de la Ceverte, a trouvé la
mort dans cet accident : malgré la trachéotomie, les massages cardiaques et les chocs électriques pratiqués par les
médecins, il n’a pas pu être réanimé. Selon les premières
informations médicales, il serait mort sur le coup.
Le directeur aura même le singulier courage de déclarer
que la course doit continuer, et qu’un prochain départ
sera donné à 16 h 45.
Alors que l’on suit le trajet funèbre de l’ambulance sur les
écrans, le public siffle cette déclaration, et continue à siffler
comme pour rendre un dernier hommage au pilote défunt.
Les gyrophares des voitures de secours, que l’on aperçoit
au milieu puis à l’entrée du tunnel, forment comme une
guirlande scintillante d’aspect surnaturel.
À cet instant aucun des pilotes n’a l’idée ni surtout
l’envie de continuer la course.
Sur le sol de Monaco la carrière de Gégécat se termine
brutalement, à 43 ans. Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui
est à l’origine de cet accident qui met un terme à sa
jeune carrière et à son rêve d’homme ? Quelle a été la
véritable cause de cet impact ?
Qui sera la plus émue, la plus touchée par ce décès
brutal :Victoire, la femme de sa vie ou son ex-femme Sofia ?
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Pourquoi, pour la première fois, les avait-il invitées
toutes les deux à assister à cette course ?
Y étaient-elles ?