Genre et migration Giovanna Campani Université de Florence

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Genre et migration Giovanna Campani Université de Florence
Genre et migration
Giovanna Campani
Université de Florence
Introduction
1. Genre et migration
2. Migrations féminines vers l’Europe du Sud et modèle méditerranéen
3. Les mille et une femmes : pluralité des sujets, des voix, des
comportements… de la triple oppression à l’acteur social
4. Femmes immigrées et femmes européennes : le thème de
l’émancipation
5. Les multiples formes du travail domestique
6. Le regroupement familial et l’apparition de la femme maghrébine et
musulmane
7. Le trafic et la prostitution
8. Conclusion
Bibliographie
1
Introduction
Comme désormais une riche littérature internationale le souligne, les
migrations internationales ne sont pas « gender-neutral » : tout au
contraire, le genre, comme système social, conditionne tous les processus
migratoires, aussi bien pour les femmes que pour les hommes.
La prise en compte de la composante féminine dans les études sur les
migrations internationales n’est cependant pas très ancienne: elle date de
la fin des années soixante-dix. Quant à la prise en compte du genre
comme facteur crucial pour comprendre non seulement les trajectoires
migratoires individuelles, mais aussi les contextes migratoires en général,
elle ne date que du milieu des années quatre-vingt. (Hondagneau, Sotelo,
2003)
C’est aussi au cours de cette décennie, que les migrations féminines, qui,
d’ailleurs, ne sont nullement un phénomène nouveau1, ont eu un essor
quantitatif au niveau mondial et ont soulevé l’attention de plusieurs
organisations internationales (Nations Unies, BIT, UNHCR, OCDE).
Colloques, publications et recommandations se sont multiplié, ayant le
but d’analyser les différents aspects du phénomène et de faire des
propositions face aux nouveaux défis.
L’augmentation des migrations féminines est apparue comme un des
phénomènes entraînés par la globalisation: l’implication de plus en plus
de pays dans les migrations internationales, qui touchent désormais le
globe entier ; une nouvelle demande de main d’œuvre féminine dans les
pays du Nord ou, en général, dans les sociétés post-industrielles, voire
dans les pays riches ; des transformations socio-économiques radicales
dans les pays en voie de développement, qui ont provoqué la destruction
des économies locales et l’affaiblissement des structures familiales ; des
nouvelles guerres qui ont provoqué exils de masses de civils surtout
femmes et enfants2.
1
Les historiens nord-américains ont montré l’importance des femmes dans les
migrations transocéaniques du XIX siècle. Voir, par example, Schwartz-Seller M.
(1981): Immigrant Women, Temple University Press, Philadelphia
2
À l’intérieur de la réflexion sur les migrations de la part des mouvements contre la
globalisation néo-libérale, la question des migrations féminines est centrale. Le
phénomène est d’ailleurs souvent vu en manière complètement négative pour la
condition de la femme : voir, par exemple, la publication d’ATTAC, « Quand les
femmes se heurtent à la mondialisation, Paris, « Milles et une nuits, 2003
2
L’Europe du Sud, historiquement région d’exode, est devenue région
d’accueil au temps de la globalisation, c’est-à-dire dans ce nouveau
contexte de migrations internationales. Dès les premières migrations,
dans les années soixante-dix et quatre-vingts, la division de genre
s’impose comme une caractéristique de l’immigration : certains flux sont
exclusivement masculins, comme ceux d’Afrique du Nord et du
Pakistan; d’autres, comme ceux des Philippines presque exclusivement
féminins. On constate les mêmes dynamiques démographiques hommesfemmes en Italie, en Espagne et en Grèce, en moindre mesure pour le
Portugal.
La composante féminine est constituée de femmes seules, de différentes
origines, des Erythréennes et des Philippines, des Capverdiennes et des
Salvadoriennes, des Somaliennes et des Sri lankaises, qui viennent pour
le travail domestique chez les familles bourgeoises des grandes villes,
Rome, Madrid, Athènes. À certaines périodes, les flux féminins sont
quantitativement plus importants que les flux masculins, comme le
montrent, par exemple, les données statistiques sur l’immigration
féminine vers l’Italie du milieu des années soixante-dix jusqu’à
aujourd’hui : entre 1965 et 1990, le nombre de femmes immigrées est
augmenté de 63%, alors que celui des hommes du 58%. L’introduction
des législation relative au regroupement familial ne fait que renforcer la
composante féminine de l’immigration.
L’immigration féminine n’a pas tardé à poser toute une série de
problèmes autour du genre : comment la division sexuée du marché du
travail est modifiée par ces arrivées de femmes? Comment les immigrées
affectent les structures des services, se chargeant du travail de soin et
garde des enfants et des personnes âgées, auparavant délégués aux mères
de famille? Quelle est la relation entre les femmes autochtones et ces
nouvelles venues, par rapport à la problématique du changement des
rôles féminins ?
Des nouvelles questions surgissent au fur et à mesure que les flux se
modifient, avec l’arrivée des nouvelles composantes : femmes
maghrébines, égyptiennes, gambiennes, bengalies, pakistanaises pour le
regroupement familial ; femmes réfugiées d’Afrique subsaharienne ;
femmes trafiquées de l’Europe de l’Est. Avec les femmes musulmanes,
arrive en Europe du Sud le débat sur le voile –qui a tant échauffé la
France ; avec les Africaines – gambiennes ou somaliennes- le débat sur
les mutilations génitales féminines.
3
Au cours des années quatre-vingt-dix, les femmes immigrées –provenant
d’Amérique Latine, de l’Europe de l’Est ou du, Nigeria- prennent la place
des autochtones dans la prostitution. Cela relance le débat sur la manière
d’entendre la prostitution : s’agit-il d’une expression d’esclavage de la
femme dans une société patriarcale ou tout simplement d’un travail, le
travail du sexe ? La question se révèle d’autant plus complexe que la
prostitution des femmes immigrées s’accompagne de la recrudescence
des violences sur les femmes à travers le phénomène de la traite.
La migration féminine en Europe du Sud, caractérisée par une grande
complexité, a donc déclenché des nombreuses questions « de genre ». La
littérature sur les migrations féminines rend compte de cette complexité
et en est elle-même un reflet, se présentant comme un corpus d’études
académiques, des publications « militantes » d’associations et d’ONG, de
récits de vie (contes biographiques, recueils d’entretiens, témoignages),
qui représentent la prise de parole des femmes immigrées elles-mêmes.
À partir du milieu des années quatre-vingt-dix, l’Union Européenne a
aussi contribué à développer cette littérature, grâce à certains
programmes de recherche et de recherche-action3. Les rapports de
recherche se sont donc multipliés4. En particulier, la littérature sur les
femmes trafiquées doit beaucoup aux projets de recherche européens.
Dans ce papier, nous allons essayer de dégager les problématiques de
genre que les migrations posent aujourd’hui non seulement aux femmes
immigrées, mais à toutes les femmes, non seulement en Europe du Sud,
mais dans le monde entier.
1. Genre et migration
Comme Pierrette Hondagneu-Sotelo souligne, en faisant référence à la
littérature internationale sur les migrations féminines et sur la relation
genre-migration, on peut distinguer trois stades. Un premier stade,
correspondant aux années soixante-dix et au début des années quatrevingt pourrait être défini celle de « femmes et migration : « This early
phase of research sought to remedy the exclusion of women subjects from
3
Je me réfère en particulier au programme Daphne, financé par la Direction Générale
Justice and Home Affairs.
4
Surtout à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, quand l’Europe a financé des
programmes spécifiques consacrés aux thèmes de la violence sur les femmes, du
trafic, de l’intégration, etc.…
4
immigration research and to counter sexist as well as androcentric
biases. » (Hondagneau-Sotelo, 2003, p5)5. Vu l’occultation des femmes
dans les études sur les processus migratoires, cela représente déjà un pas
important, mais la majorité des études ne considèrent pas comment le
genre détermine les ensembles de relations sociales qui organisent
l’immigration et les institutions sociales aussi bien dans les pays de
départ que dans ceux d’arrivée ; ou, en d’autres termes, comment le genre
en tant que système social formes les processus migratoires pour tous,
hommes et femmes. Les études de cette période ou bien ajoutent les
femmes comme variable dans les processus migratoires ou bien
présentent des descriptions ethnographiques des femmes immigrées dans
les différents contextes. Il faut quand même rappeler un numéro spécial
de l’International Migration Review de 1984, consacré aux migrations
Féminines, qui est un peu le point de passage entre la phase un et la phase
deux.
Dans la deuxième phase, correspondant aux années quatre-vingt et au
début des années quatre-vingt-dix, le genre est reconnu comme un
ensemble de pratiques sociales qui forment et qui sont formées par la
migration. «Prompted in part by the disruption of the universal category
of « women » in feminist scolarship, by heightened awareness of the
intersectionality of race, class and gender relations, by the observation
that men possess, display and enact a variety of masculinities, and by the
recognition of the fluidity of gender relations, this research focused on
two aspects : the gendering of migration patterns and how migration
reconfigures new systems of gender inequality for women and men. »
6
(Hondagneau-Sotelo, 2003, p 7).
C’est dans les années quatre-vingt-dix que le race-genre-classe devient
une sorte de « formule trinitaire » pour interpréter les processus
migratoires et les positions des différents migrants. Cette approche se
révèle extrêmement utile dans un contexte international où la division
sexuée du travail détermine la demande de travail et de migration, où des
5
“Cette première phase de recherche essaye de remédier à l’exclusion des sujets
féminins de la recherche sur l’immigration et à répondre aux approches sexistes et
andro-centriques.”
6
“Poussée en partie par la rupture de la catégorie universelle de “femmes” dans la
littérature féministe, par la prise de conscience de l’interaction entre race, classe et
genre, par l’observation que les hommes possèdent, manifestent et pratiquent une
variété de masculinités, et par la reconnaissance de la fluidité des relations de genre,
cette recherche focalisa deux aspects: la dimension de genre des schémas migratoires
et comment la migration reconfigure des nouveaux systèmes d’inégalité de genre pour
les femmes et pour les hommes. “
5
femmes du monde entier émigrent vers les sociétés du monde riche (on
peut les appeler post-industrielles, d’un point de vue des caractéristiques
socio-économiques) pour être infirmières, domestiques, « enterreuses »,
euphémisme pour travailleuses du sexe ou prostituées.
La troisième phase, l’actuelle, regarde le genre comme un élément clef de
l’immigration. « In this current phase, research is beginning to look at
the extent to which gender permeates a variety of practices, identities and
institutions implicated in immigration. »7 (Hondagneau-Sotelo, 2003, p
9).
Aujourd’hui, l’incorporation dans le monde du travail, la globalisation,
les pratiques religieuses et les valeurs, l’économie ethnique, la
citoyenneté, la sexualité, l’identité ethnique sont questionnées d’une
manière qui montre comment le genre est incorporé dans une multiplicité
de pratiques quotidiennes et de structures politiques et économiques.
L’importance croissante du genre dans la recherche sur les migrations
internationales correspondrait d’ailleurs au contexte migratoire actuel :
Saskia Sassen suggère qu’une nouvelle « contre géographie » de la
globalisation est en cours, et qu’elle est en partie constituée par des
mouvements non autorisés de femmes, travailleuses domestiques,
travailleuses du sexe, ouvrières dans l’économie informelle… « Sassen’s
provocative work is always stimulating, and we can certainly think of a
myriad of occupations in postindustrial urban societies now almost
wholly dependent on the deliberate recruitement of foreign-born
women. In our post-industrial service economies, work that native born
women once peformed for free is now purchased in the global
marketplace. »8 (Hondagneau-Sotelo, 2003, p 10)
Ces trois phases, dans la recherche portant sur femmes et migration ainsi
que sur genre et migration, ont intéressé la littérature internationale en
général. Toutefois, dans le cas de l’Italie, il y a eu un léger décalage
temporaire, par rapport à la littérature internationale sur genre et
7
“Dans la phase courante, la recherche commence à regarder dans quelle mesure, le
genre perméase une variété de pratiques, identités, institutions impliquées dans
l’immigration”.
8
“Le travail provocateur de Saskia Sassen est toujours stimulant et nous pouvons
certainement penser à une myriade d’occupations dans les sociétés post-industrielles
urbaines qui maintenant dépendent complètement sur le recrutement délibéré de
femmes nées à l’étranger. Dans nos économies de services post-industrielles, le travail
qui était réalisé auparavant gratuitement par les femmes autochtones est maintenant
acheté sur le marché global.”
6
migration. La première phase –une littérature essentiellement descriptives’est achevé au début des années quatre-vingt-dix ; l’attention vis-à-vis de
l’articulation entre la migration et le genre date du milieu des années
quatre-vingt-dix, suite à la rencontre entre le mouvement des femmes
italiennes et les organisations des femmes immigrées. La dernière phase,
c’est-à-dire la prise en compte du genre comme élément clef de
l’immigration, est à peine commencée.
2. Migrations féminines vers l’Europe du Sud et modèle
méditerranéen
La présence des femmes immigrées venues seules pour des raisons de
travail apparaît tout de suite comme un des caractères particuliers du
modèle migratoire méditerranéen.
Cette présence féminine –concentrée dans le travail domestique- permet
d’ailleurs de clarifier les dynamiques économiques qui ont suscité
l’immigration dans des pays où le chômage est considérable
(Venturini,1990). L’insertion économique des nouveaux arrivants a en
fait eu lieu dans des « niches « du marché du travail, comme les
services, en particulier à la personne, l’agriculture, la pêche, les
constructions.
En fait, le passage des payse méditerranées, de régions d’émigration à
régions d’immigration9, n’a pas suivi le schéma des migrations postcoloniales ou temporaires qui avaient touché les pays de l’Europe du
Nord. Plusieurs chercheurs mettent en lumière comment, en Europe du
Sud, c’est un « nouveau modèle migratoire » qui est apparu, différent de
celui qui avait caractérisé l’Europe du Nord avant l’introduction de
politiques de restriction de l’immigration de travail dans les années
soixante-dix (Macioti et Pugliese, 1991 ; King, 2001).
Dans le modèle méditerranéen, la migration n’est pas gérée par des lois et
des politiques, mais elle a lieu de manière spontanée, en forme
irrégulière, attirée par des niches d’occupation dans l’économie
informelle. Le travail domestique constitue une niche où la demande de
main d’œuvre féminine immigrée est en augmentation. Il représente
d’ailleurs une niche d’emploi relativement stable, par rapport à la
précarité des travaux qui sont disponibles pour les hommes dans
l’agriculture, la pêche, la construction. La présence de flux de femmes
9
Ce passage a eu lieu entre la fin des années soixante-dix et le commencement des
années quatre-vingt suivants les pays.
7
qui viennent seules pour êtres domestiques à plein temps dans les
maisons constitue donc une des caractéristiques de l’immigration vers
l’Italie, et, plus en général, un élément du modèle méditerranéen.
Les dynamiques de la demande de travail provoquent d’ailleurs une
superposition entre division de genre et division ethnique : certains
groupes nationaux sont composés exclusivement ou presque
exclusivement, de femmes, comme les Philippines, alors que d’autres
groupes nationaux, comme les Sénégalais et les Marocains, ne sont
composés que d’hommes. Un rapport plus équilibré entre les hommes et
les femmes à l’intérieur de chaque groupe ethnique se produira seulement
au cours des années quatre-vingt-dix, quand le regroupement familial
commencera à intéresser plusieurs groupes et d’autres flux arriveront,
d’Europe de l’Est ou d’Amérique Latine, suivant les pays.
3. Les mille et une femmes : pluralité des sujets, des voix, des
comportements… De la triple oppression à l’acteur social
Quand les pays de l’Europe de l’Europe du Sud deviennent des lieux
d’immigration, la littérature internationale commence à s’intéresser aux
femmes migrantes, comme nous l’avons remarquée auparavant.
Les études font sortir les femmes migrantes de l’invisibilité et cherchent
des grilles d’analyse. Une des premières approches utilisées dans ces
travaux fait référence au passage de la tradition à la modernité (Michel).
Au cours des années quatre-vingt, cependant, plusieurs recherches,
conduites dans les payses d’immigration plus ancienne, montrent
comment cette approche dichotomique et évolutionniste est ambiguë.
Penser qu’au concept de tradition et modernité, correspondraient des
comportements, opposés, de subalternité ou d’émancipation ne tient pas
compte de la grande diversification de la population immigrée et de la
complexité de la situation dans laquelle les femmes immigrées se
trouvent, diversification et complexité que pourtant les études sur les
femmes immigrées en Italie ont mise en lumière.
La réalisation d’un projet migratoire de réussite sociale peut, par
exemple, demander la mobilisation de ressources « traditionnelles »
comme le maintien de réseaux sur la base de liens de parenté ou des
pratiques endogamiques…Insister sur l’approche évolutionniste traditionmodernité signifie que les immigrés doivent passer d’un stade à l’autre, la
notion d’intégration se confondant, pratiquement, à celle d’assimilation,
8
alors qu’il existe, par contre, différentes dimensions de l’intégration,
économique, sociale, culturelle…
Une autre approche qui est utilisée dans les premiers travaux sur les
migrations féminines est celui de la triple oppression. L’appartenance de
genre, l’ethnie et le type de travail prédominant, le travail domestique,
privé de reconnaissance sociale, rendraient les femmes immigrées
soumises à une triple marginalité, sociale, économique, culturelle… Cette
approche est commune aussi bien en Italie (Favaro, Bordogna, 1994),
qu’en Espagne, où sont publiés les premiers travaux sur les migrations
féminines, comme ceux de Carlota Solé (1994). « El concepto de raza no
está, hoy en día, tan unido a las cuestiones relacionadas con la
subordinación política, pero continúa siéndolo en términos de racismo,
como yo he mencionado en otras publicaciones (Solé, 1995). Dado que la
categoría de inmigración va substituyendo progresivamente a la de raza,
a causa de los flujos migratorios y el peso que tiene la distancia cultural
en relación con los procesos de integración, se puede hablar de la triple
discriminación de las mujeres inmigrantes. Esta discriminación a tres
dimensiones de las mujeres, se manifiesta en dos aspectos. En primer
lugar, el carácter de su trabajo, una vez se instalan en la sociedad
receptora: un trabajo en un mercado laboral segmentado por el género y
segmentado por la etnicidad. En segundo lugar, la cuestión de la
invisibilidad en la que se encuentran, tanto en la jerarquía laboral, de las
tareas que realizan, como también en la vida social. Invisibilidad no
significa solamente que la mayoría de mujeres inmigrantes quieran pasar
desapercibidas para evitar el rechazo, sino que tampoco se las toma en
consideración, ni en debates parlamentarios, ni, muchas veces, en los
medios de comunicación. En fin, no forman parte, o parece que no
formen parte, de la sociedad donde están trabajando y/o donde están
residiendo. “ (Solé, 2000)
Toutefois, au fur et à mesure que les études se multipliaient, l’image de la
femme immigrée comme victime est remise en question. L’élément
crucial pour analyser l’immigration féminine ne serait pas celui de la
triple oppression, mais la prise en compte de la grande multiplicité des
situations, suivant les diversifications des origines, des trajectoires
migratoires, des contextes territoriaux d’accueil, des réseaux. Dans ces
processus, les femmes seraient, avant tout, des acteurs. Ce passage de
l’approche de la triple oppression à la femme immigrée en tant qu’acteur
social influence la recherche sur l’immigration féminine dans les pays de
l’Europe du Sud, où l’immigration féminine est particulièrement
diversifiée.
9
Dans un de mes premiers travaux sur l’immigration en Italie, en
comparant l’immigration des femmes capverdiennes et des femmes
philippines, j’essaie aussi de conceptualiser les spécificités de chaînes
migratoires gérées par les femmes (Campani, 1991 La diversité des
origines affecte les trajectoires, les stratégies et les projets migratoires,
Les Philippines ont d’autres projets migratoires que les Capverdiennes :
les unes investissent dans des biens de consommation pour la maison ou
font des petits investissements productifs, les autres font vivre des
grandes familles. Mais la diversification des origines affecte aussi
l’accueil: une femme domestique philippine est payée plus qu’une
érythréenne ou une capverdienne, qui sont de femmes « di colore » (de
couleur).
D’autres éléments de diversification doivent aussi êtres considérés : à
côté des femmes qui viennent seules pour travail, il commence à y avoir
des autres typologies. Par exemple, les femmes chinoises, qui viennent en
Europe du Sud dans le cadre d’un projet d’entreprise familiale, et les
femmes maghrébines, qui commencent à venir pour regroupement
familial.
L’abandon d’une image homologuée, la femme immigrée victime de la
triple oppression, pour une vision bien plus complexe, est la conclusion à
laquelle les chercheurs sur ce thème arriveront aux cours de deux
importantes occasions de rencontre en Italie : le séminaire –pionnier en
Italie -Les milles et une femme, organisé à Milan en 1990 par la ville 10 et
le Colloque organisé à Ancône par Giovanna Vicarelli en 1993:
« Cittadine del mondo. Donne migranti tra identità e mutamento «
Citoyennes du monde. Femmes immigrées entre identité et
changement. ».
Aussi bien dans le colloque de Milan, Le Mille e una donna, que dans le
colloque d’Ancône, tous les chercheurs, qui en Italie ont commencé à
écrire sur le sujet –pratiquement toutes des femmes d’ailleurs- ainsi que
des travailleurs sociaux ayant à faire avec ce nouveau public, des
responsables d'ONG, des représentants des autorités locales et les femmes
immigrées qui ont commencé à faire entendre leur voix, y sont conviés.
Dans les deux colloques, les chercheurs insistent sur « la pluralité des
sujets, des voix, des comportements à propos d’une variété de situations
difficilement homologables entre elles qui ne peuvent pas être réduites à
des schémas pré-établis. » (Vicarelli, 1994, p. 7)
10
Voir la publication, aujourd’hui difficile à trouver, Comune di Milano, Le Mille e
una Donna, 1990.
10
Dans les travaux présentés au colloque d’Ancône, l’articulation entre le
genre, l’ethnie, la classe n’est pas encore l’approche méthodologique
dominante dans la recherche sur l’immigration féminine. Le genre,
l’ethnie et la classe apparaissent seulement sous la forme de la triple
oppression. Même la dichotomie tradition-modernité, opposant le
moderne et l’émancipé avec le traditionnel et le répressif, persiste dans
certains travaux, malgré les mêmes études refusent de cataloguer toutes
les femmes immigrées comme des femmes de la tradition, considèrent
que la plupart des femmes immigrées sont sur un parcours
d’émancipation à travers la migration et insistent sur leur « force », thème
qu’on retrouvera dans des nombreuses recherches dans les années à venir.
Le débat collectif induit toutefois aux dépassements de ces catégories.
La voie pour échapper aux pièges de la dichotomie tradition-modernité, et
à l’opposition femmes italiennes modernes-femmes immigrées
traditionnelles, est indiquée par Giovanna Vicarelli. Elle postule que les
immigrées sont des sujets actifs, capables de tracer leur propre trajectoire
entre deux mondes, entre deux cultures: » les immigrées elles mêmes sont
capables d’autonomie et développent une identité qui n’est pas celle de
leur passé, mais elle n’est pas non plus celle que les femmes
occidentales veulent; ce sont les immigrées elles mêmes que prennent
positions par rapport aux parcours migratoires, modes d’insertion dans
les sociétés d’accueil, mais, et surtout, par rapport à la collocation entre
leur culture et celle en transformation des pays d’accueil » (1994, p.9)
Les propos de Vicarelli sont intéressants : il reste cependant que dans le
colloque d’Ancône, ce sont des surtout des chercheurs italiens qui ont
parlé des immigrées et pour les immigrées. Il faudra attendre la prise de
parole des femmes immigrées dans la vie associative pour arriver à une
nouvelle conceptualisation de la migration féminine en Italie, et à une
nouvelle articulation entre la migration et le genre.
4. Femmes immigrées et femmes européennes : le thème de
l’émancipation
La question de la relation entre femmes immigrées et femmes de l’Europe
du Sud, elles-mêmes sorties à peine de sociétés patriarcales, commence
en fait à se poser au commencement des années quatre-vingt-dix.
Alors qu’aux Etats-unis et au Canada le débat autour du « Black
feminism » fait rage, le mouvement féministe de l’Italie, de l’Espagne et
11
de la Grèce est, au début des années quatre-vingt-dix, bien silencieux sur
les migrations féminines. D’un côté, les femmes de l’Europe du Sud ne
sont pas encore certaines de leur propre processus d’émancipation, de
l’autre, à cause de leur présence dans le travail domestique, les femmes
immigrées questionnent les mêmes bases d’une participation à la vie
active encore fragile des femmes de l’Europe du Sud.
En fait, en Europe du Sud, le problème va bien au-delà de la
confrontation femmes occidentales-femmes non-occidentales sur la
question la signification de l’émancipation, posée par les « Black
feminists » des Etats-unis et de Grande-Bretagne. La question qui se pose
en Europe du Sud est la possibilité même de l’émancipation par rapport à
la migration : est-il possible de penser à la migration comme un facteur
d’émancipation alors que les femmes immigrées sont enfermées dans les
maisons et dans le travail domestique ? Du coup, le rapport entre femmes
immigrées et sud européennes se présente comme une contradiction face
à la perspective féministe d’une lutte commune de toutes les femmes
pour changer le monde. Quelles perspectives communes sont-elles
possibles, du moment que les femmes immigrées travaillent, dans leur
grande majorité dans les maisons de femmes sud européennes, pour
subvenir aux travaux domestiques que ces femmes ne veulent plus faire,
ayant faits le choix de travailler en dehors de la maison ? si les femmes
sud européennes et les femmes immigrées sont imbriquées dans des
formes de dépendance réciproque, l’émancipation des unes impliquant
l’exploitation des autres, comment trouver un terrain commun d’entente,
voire de lutte ?
Dans un article de 1993, publié dans l’Oxford Encyclopédie des
Migrations, dirigée par Robert Cohen, je m’interrogeais sur la condition
des femmes immigrées travaillant dans le secteur domestique par rapport
à possibles trajectoires d’émancipation. Dans cet article, j’essayais de
garder une vision optimiste, en mettant en lumière la complexité des
stratégies des femmes pour la réussite de leur projet migratoire, en misant
aussi bien sur les investissements dans les pays d’origine, grâce
notamment aux importants différentiels de salaire, que sur des possibilités
de promotion culturelle dans le pays d’accueil.
Cette vision optimiste se basait, toutefois, sur un nombre limité de cas,
notamment des femmes philippines qui arrivaient à conquérir un rôle
directif dans les familles d’origine grâce à l’argent gagné. En plus, par
rapport à la situation précaire des hommes immigrés, le travail
domestique apparaissait relativement stable, garantissant une continuité
dans le séjour en Italie. Aujourd’hui, j’ai une idée moins optimiste des
12
possibilités émancipatrices de l’expérience migratoire dans la situation
italienne, et, en général en Europe du Sud, alors que le nombre de
femmes immigrées dans le travail domestique continue à augmenter et les
travaux dénonçant les multiples formes d’exploitation et les multiples
souffrances de cette condition se multiplient
Pour conclure, au début des années quatre-vingt-dix, commencent à être
posées les problématiques, qui relèvent de la relation entre genre et
migration dans le contexte sud européen. Le rapport entre les femmes
« occidentales » et les femmes immigrées ne s’articule pas seulement
autour de la différence entre les modèles d’émancipation possibles
(occidentales et non). Ce rapport implique aussi une réflexion sur la
division du sexuée du travail et le devenir du travail domestique. Que
signifie-t-il, dans une perspective de genre, le fait que le travail qualifiée
des femmes, en dehors de la maison, qui représente pour elles une
possibilité d’émancipation, puisse avoir lieu au prix de la relégation des
femmes immigrées dans les soins des enfants et des personnes âgées? En
d’autres termes, les femmes immigrées ne sont peut-être pas en train de
résoudre une contradiction de genre, en réduisant la conflictualité
potentielle entre les hommes et les femmes, dans les familles, au moment
où les femmes italiennes abordent une carrière ? Comme l’écrit Giovanna
Vicarelli en 1994 : « Le travail des immigrées semble capable d’atténuer
ou résoudre contradictions et déséquilibres sociaux typiques de nos
sociétés occidentales contemporaines. » (Vicarelli, 1994, p.9)
Même si elle n’est pas rendue explicite, l’articulation entre le genre,
l’ethnie et la classe implique cette problématique. Au moment où
j’écrivais cet article pour Robert Cohen, je ne doutais pas que la
problématique du travail domestique et de la relation femmes immigréesautochtones, serait devenues central pour tous les pays industrialisés, y
compris ceux qui n’avaient aucune tradition de travail domestique. Or, il
a été ainsi, dans le contexte de la globalisation.
5. Les multiples formes du travail domestique
En 2003, un livre édité par deux sociologues américaines, Barbara
Ehrenreich et Arlie Russell Hochschild, “Global Woman” devient un
bestseller. Le livre est un recueil de quatorze études préparées par des
experts de différentes régions du monde sur les relations entre marchés
globaux, migrations féminines et nouvelles formes d’exploitation. Le
livre dénonce les effets de la globalisation sur le travail féminin et en
particulier sur certaines typologies professionnelles que les femmes
13
occidentales ne veulent plus faire: le travail domestique, la garde de
personnes âgées, la garde des enfants. Ces travaux sont accomplis par des
femmes qui ont laissé à la maison leurs propres enfants pour pouvoir leur
garantir un meilleur avenir. Femmes qui sont souvent exploitées par
d’autres femmes.Il ne s’agit pas seulement d’une exploitation de nature
socioprofessionnelle.
Les auteurs du texte parlent d’une exploitation des sentiments, de la
sphère émotionnelle. Les immigrées sont obligées de traverser des
continents pour venir ici à garder nos vieux et nos enfants, en déterminant
pour leurs familles des vides affectives profonds. La globalisation a forcé
ces femmes à échanger leurs intimes liens familiaux avec des maigres
salaires, des travaux peu reconnus, mais nécessaires aux femmes
occidentales modernes et émancipées.
La demande de travail domestique pour les femmes immigrées en Europe
du Sud continue et augmente constamment : le vieillissement de la
population crée en fait une nouvelle demande. Aujourd’hui les femmes
immigrées qui viennent en Italie pour le travail domestique ne sont plus
seulement les « colf »11, qui prennent en charge les familles, s’occupent
de la cuisine et des enfants, mais les « badanti »12, comme on les appelle
maintenant, qui gardent les personnes âgées. La même chose se produit
en Grèce et en Espagne. Les nouveaux flux migratoires féminins, qui
proviennent, après 1989 et la chute du mur de Berlin, de l’Europe de l’Est
et des Balkans sont destinés à cette tache. Les femmes maghrébines
commencent aussi à arriver en Italie.
Les travaux sur le sujet se multiplient : les chercheurs veulent
comprendre pourquoi une telle croissance de la demande du travail
domestique dans les sociétés postindustrielles. Plusieurs études de
chercheurs et chercheuses d’Europe du Sud, comme la sociologue
italienne Laura Balbo (1994) ou l’Espagnole, Sonia Parella Rubio (2000),
mais aussi anglo-saxons, comme Jacqueline Andall (2000, 2002) ont
essayées de connecter un ensemble complexe de facteurs économiques,
sociaux et démographiques.
Parmi ces facteurs, il faut considérer les changements qui ont touché la
famille, l’entrée dans le monde du travail des femmes des générations
nées après la guerre, conséquence aussi de l’expansion de la scolarisation,
la baisse de natalité. Les protagonistes de ces changements ont été les
11
Colf veut dire: collaboratrice familiale, en Italien collaboratrice familiare.
.
12
Badanti, du verbe badare, garder- celle qui garde.
14
femmes, alors que la division des taches dans la famille a peu changé.
Comme l’écrit si bien Laura Balbo (1994), l’homme continue malgré tout
à maintenir sa participation exclusive au marché du travail, alors que la
femme se trouve dans l’obligation d’accomplir avec une double journée,
avec des logiques d’organisation incompatibles entre elles, et à souffrir
du stress psychologique que cette situation provoque, connue comme
« double présence ». même si les nouvelles générations masculines sont
un peu plus conscientes du fait qu’elles doivent collaborer au travail du
foyer, leur attitude se limite à donner une aide ponctuelle et c’est toujours
la femme qui signale quelles sont les taches et comment elle doivent être
faites. « On peut donc conclure que la plus grande participation de la
femme dans la sphère productive au cours des dernières années
présuppose une réduction de sa présence horaire au foyer, sans qu’il y
ait eu une réduction comparable des taches domestiques. » (Sonia Parella
Rubio, 2000, p. 282)
Parmi les taches domestiques dont les femmes doivent se faire charge, la
garde des personnes âgées est progressivement devenue une des plus
importantes, étant donné le vieillissement de la population. Dans un pays
comme l’Italie ou la Grèce, où le système de welfare a toujours été très
limité pour ce qui concerne l’attention aux enfants et aux personnes
âgées, le vieillissement de la population a signifié des nouvelles lourdes
responsabilités pour les familles et pour les femmes.
Jacqueline Andall (1998, 2000) considère que les gouvernements de
l’Europe du Sud, n’ont pas été en mesure d’adapter les services de
« welfare » à la nouvelle situation. Elle considère aussi que les
mouvements des femmes ont failli altérer la division de genre
traditionnelle dans le travail domestique. Résultat : les femmes qui
travaillent préfèrent payer elles-mêmes pour la garde des enfants et des
personnes âgés, mais ces taches sont encore vues comme des taches
exclusivement féminines. Comme l’a écrit la Women’s Lobby : « dans
ce contexte patriarcal, plusieurs familles européennes considèrent le
travail mal payé et non déclaré des femmes immigrées comme une
solution pour avoir à la fois une vie professionnelle et une vie familiale. »
(Women’s Lobby, 2004).
Dans son ouvrage, Gender, Migration and Domestic Service : The
politics of Black Women in Italy, publié 2000, Jacqueline Andall
questionne âprement la « solution » trouvée par les femmes italiennes
pour concilier travail en dehors de la maison et famille à travers le travail
des femmes immigrées. Elle examine en fait les relations entre les
femmes immigrées et le syndicat du travail domestique, API-COLF, ainsi
15
que les activités de l’association mixte, femmes immigrées et femmes
italiennes, Libere Insieme (Libres ensembles). après des années de
recherche, elle examine la rencontre entre des organisations syndicales
(API-COLF) et associatives (LIBERE INSIEME, une association où se
retrouvent, ensemble, de femmes italiennes et des femmes immigrées.
Cette « solution » semble d’autant plus contradictoire avec une
perspective d’émancipation de la femme en général, que les conditions
dans tous les types de travail domestiques sont précaires et difficiles. Les
recherches et les rapports des associations ou des syndicats insistent sur le
fait que les contrats de travail quand ils existent sont rarement respectés.
Une étude de la Filipino Women’s Council et No.di, Nostri Diritti (Nos
Droits) 13, montre que la condition d’immigrée irrégulière –à savoir sans
permis de travail- rend les conditions de travail encore plus difficiles. Or,
la question de l’immigration irrégulière apparaît de plus en plus centrale,
vu que, actuellement, en Italie, seulement une sur quatre des « badanti »
a un contrat régulier, les autres trois travaillant au noir (déclarations de
Rosi Bindi, ministre italien, mars 2007).
6. Le regroupement familial et l’apparition de la femme maghrébine
et musulmane
Nous avons dit qu’au commencement de la migration, une division
sexuelle marquée traversait les groupes, les femmes représentant jusqu’au
70-90% de certains groupes nationaux (philippines) et les hommes
d’autres (sénégalais, marocains). A partir de 1990, toutefois, la
stabilisation de l’immigration, ainsi que l’approbation de lois concernant
le regroupement familial, a pour conséquence le fait que certains groupes
immigrés, dans lesquelles les hommes étaient arrivés en premiers, font
venir leurs femmes. Parmi les groupes qui plus utilisent le regroupement
familial, ce sont les immigrés du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne.
Il s’agit d’un modèle migratoire « traditionnel », qui répète des schémas
expérimentés en Europe du Nord. La femme maghrébine est aussi la
femme musulmane, vis-à-vis de laquelle se manifeste, plus ou moins
explicite le préjugé d’une condition de subordination.
Toutefois, l’image stéréotypée de la femme maghrébine - la « compagne
du migrant » qui reste enfermée dans les périphéries urbaines - se brise
dans la complexité des situations que les chercheurs rencontrent dans le
contexte italien et espagnol. Dans ses premiers travaux sur ce collectif,
13
Il s’agit d’une association de femmes immigrées et italiennes.
16
Maria Immacolata Macioti (1999) soutient que les femmes musulmanes
sortent rarement seules sans le mari, suivant le diktat de la tradition, mais
elle leur reconnaît aussi une riche vie associative entre femmes. Les
formes de vie associative sont, d’autre part, très différentes.
Certaines associations ont, à leur origine, des groupes de prière dans les
mosquées, comme le montre Ruba Salih (2001, 2003), une palestinienne
qui a grandi en Italie et a préparé son doctorat en Angleterre avec une
thèse sur les femmes marocaines en Italie. Salih remarque comment les
femmes immigrées qui se réunissent dans les Mosquées arrivent à établir
des réseaux de solidarité transnationaux en focalisant sur l’identité
musulmane. D’autres chercheurs insistent sur le fait que l’approche des
femmes musulmanes à la religion peut être profond, mais il est moins
dogmatique que celui des hommes. L’Islam des femmes serait un Islam
de spiritualité et d’intériorité (Russo-Krauss, 2002)
Les femmes musulmanes participent aussi à un autre type d’association,
les associations mixtes et laïques. Ce sont d’ailleurs des femmes
maghrébines qui donnent vie à une des associations mixtes des femmes
immigrées et italiennes ensemble les plus intéressantes d’Italie, l’ALMA
TERRA/ALMA MATER de Turin « Né avec l’idée de donner visibilité
aux femmes migrantes, le centre a essayé de leur offrir des points
d’agrégation et des opportunités de valoriser leurs expériences.
« (Russo-Kraus, 2002)
Mais les femmes maghrébines et musulmanes en général qui participent à
ce type d’association représentent des typologies qui pourraient être
définies
« moins traditionnelles ». Si la majorité des femmes
maghrébines est arrivée en Italie ou en Espagne avec le regroupement
familial, dès la fin des années quatre-vingt, les chercheurs ont remarqué
la présence de femmes venues seules, veuves, divorcées, célibataires,
souvent en rupture avec le milieu familial d’origine. Ces femmes avaient
peu d’accès aux réseaux parentales traditionnelles ou à une vie
associative avec les compatriotes mâles. Elles ont donc participé à des
associations mixtes, en cherchant une relation avec les femmes italiennes.
L’immigration des femmes maghrébines vers l’Italie et l’Espagne n’est
donc nullement homogène. La littérature insiste d’ailleurs beaucoup sur
la typologie des femmes seules, qui partent à la fois à cause du travail et
de leurs positions difficile dans la société d’origine. Cette typologie
contredit l’image de la femme maghrébine et musulmane passive.
17
7. Le trafic et la prostitution
Nous allons consacrer le dernier paragraphe de notre réflexion sur genre
et migration en soulevant le thème du trafic et de la prostitution des
femmes immigrées. Si, déjà dans les années quatre-vingt, les études
asiatiques avaient parlé de la demande de femmes immigrées dans le
« sex-business » (Lim Lin Lean, 1989), en Europe, la connexion entre
immigration féminine et prostitution date des années quatre-vingt-dix.
C’est à cette période qui apparaît en Europe une forme spécifique de
migration irrégulière, le trafic des femmes pour l’exploitation
sexuelle. Ce phénomène est géré par des réseaux criminels transnationaux
–du Nigeria, d’Amérique Latine, du Sud- Est Asiatique, mais se connecte
aussi avec les transformations socio-économiques qui ont lieu dans
l’Europe de l’Est et dans les Balkans, dont une des conséquence est la
féminisation de l’émigration.
Les premiers travaux consacrés au phénomène sont produits par les
organisations internationales qui luttent contre le trafic, comme l’IOM,
L’Organisation Internationale des Migrations. De son côté, la
Commission Européenne –suite à une rencontre internationale à Vienne
sur le thème- finance des recherches dans le cadre d’un programme ad
hoc, le programme Daphné, consacré à la lutte contre la violence et
l’exploitation des femmes et des enfants.
A partir de la fin des années quatre-vingt-dix, dans la plupart des pays
européens, le thème de la traite et de la prostitution étrangère fait
d’ailleurs la une des journaux et des revues. Le résultat est que, dans la
perception de l’opinion publique, l’image de l’immigrée passe de la
domestique (la servante) à celle da la prostituée. Les immigrées sont aussi
accusées d’avoir multiplié l’offre dans le marché du sexe.
Les nombreux travaux scientifiques qui sont, par la suite, publiés, ne
peuvent toutefois éviter de prendre en considération le débat autour de la
prostitution, débat qui provoque la division entre les abolitionnistes et
ceux qui sont en faveur de la réglementation. Les deux camps
représentent, en gros, d'un côté ceux qui, au fond, souhaiteraient une
pénalisation des clients et, de l'autre, ceux qui voudraient que la
prostitution devienne un travail.
En fait la question de la prostitution des femmes étrangères renvoie
encore une fois au rôle des femmes immigrées dans les sociétés
européennes, celui de « remplir des vides » qui s’étaient créés à cause des
transformations sociales dont les femmes européennes avaient été
18
protagonistes. Comme l’ a écrit un sociologue italien Maurizio
Ambrosini : « Quelque chose d’analogue a ce qui a eu lieu à la lumière
du jour avec le travail domestique avec les « colf » et les assistantes à
domicile immigrées a lieu aussi dans le noir des rues avec l’achat de
services sexuels payés. Dans ce cas aussi, la riche demande occidentale
semble avoir besoin de chercher ailleurs des prestations qui cachent des
relations sociales qui ne peuvent plus êtres proposés vis-à-vis des femmes
autochtones. » (Ambrosini, 2005, p.8)
Ambrosini admet toutefois que l’analogie entre travail domestique et
prostitution n’est toutefois pas complètement évidente. La spécialisation
ethnique dans le marché de la prostitution montre en fait qu’il ne sait pas
d’une dichotomie femmes occidentales non-occidentales, les prostitués
venant en grande partie de l’Europe de l’Est, alors que les femmes
musulmanes ne sont pas touchées ou peu touchées par la traite.Cela
mériterait un approfondissement qui fait encore défaut dans la pourtant
riche littérature sur le thème.
8. Conclusions
Il est clair que, pour comprendre la migration feminine et la situation des
femmes immigrées, l’articulation entre le genre, l’ethnie et la classe est
une formule nécessaire. En meme temps les migrations féminines dans la
globalisation ont soulevé des nombreuses questions de « genre », qui
interrogent les roles féminins et masculins dans la société.
On a vu qu’une partie des occupations domestiques que les femmes des
sociétés post-industrielles faisaient dans le passé gratuitement est
aujourd’hui déléguée à d’autres femmes, exploitées dans leurs salaires et
privées de leur affectivité familiale. Pourquoi, malgré des années de
recherche féministe, ce processus n’est pas vu comme une menace à la
condition de la femme en général, sur laquelle pèsent de toute façon
certaines taches, pendant que la lutte pour un partage de taches
domestiques plus équitables entre hommes et femmes marque le pas dans
le monde ? Cela a lieu pendant que les services socio-éducatifs et socio
sanitaires ne cessent de se réduire, alors que l’idéologie de la privatisation
et du libre marché comme garantie du meilleur fonctionnement des
mêmes services…Dans ce contexte, les femmes immigrées risquent
d’être indispensables aux familles, aux enfants, aux personnes âgées et
aux malades européens encore pour un bon moment…
19
En Europe du Sud, aussi, l’arrivée des femmes immigrées a posé des
questions sur les rôles de genre qui sont restés sans réponse, aussi bien
s’un point de vue des politiques et de l’action des mouvements que du
point de vue de l’analyse scientifique.
Ces questions interrogent aussi la pensée et le mouvement feministe.
L’impact de la migration sur le féminisme a jusqu’à présent été limitée :
il est peut-etre temps que la pensée feministe aborde la migration
feminine dans le monde globalisée, dans la perspective de la construction
de théories et pratiques pour un féminisme multiculturel. Comme Wendy
Pojman a écrit: “For multicultural feminism to succeed, native feminists
will have to turn to migrant women. They will have to confront the
meanings and implications of women on the move to the merging of first
and third world feminism.”14
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