Ados alcool dangers
Transcription
Ados alcool dangers
Tiré à part no 489 nov. / dec. 2011 Le magazine de l’Apel PETIT-DÉJEUNERDÉBAT DE L’APEL NATIONALE Le 29 novembre 2011 Ados + alcool = dangers ! FAMILLE & ÉDUCATION EN IMAGES Retrouvez sur www.apel.fr une vidéo sur l’alcool et les jeunes, réalisée lors du petit-déjeuner-débat organisé par l’Apel, ainsi que le sondage exclusif Apel-OpinionWay “Les jeunes et l’alcool”. • Les jeunes et l’alcool, un flirt dangereux • Les parents : entre inquiétude et indulgence un sondage exclusif Apel-OpinionWay • “Les jeunes boivent surtout chez eux” interview de Marie Choquet, épidémiologiste • Questions de parents, réponses d’experts Xavier Pommereau, psychiatre, et Philippe Batel, addictologue Famille mille & éducation 3 Édito 88% Des parents informés pour prévenir des jeunes de 16 ans ont déjà bu de l’alcool dans leur vie. e 15 c’est le rang qu’occupe la France parmi les pays européens pour la consommation d’alcool des jeunes. 9% des jeunes de 17 ans connaissent des ivresses répétées. 7500e d’amende, c’est ce qu’encourt un commerçant ou un débit de boisson qui ne respecte pas l’interdiction de vente d’alcool aux mineurs. En cas de récidive, c’est un an d’emprisonnement et 15 000 e d’amende. © Frédéric Desmesure 2 Souvent liée aux événements heureux de la vie, la consommation d’alcool semble normale et habituelle. Elle est banalisée. Mais les modes de consommation d’alcool chez les jeunes ont changé. Les ivresses, qui étaient rares, se multiplient. En effet, 26 % des jeunes entre 15 et 19 ans et 35 % des 20-25 ans avouent avoir été ivres au moins une fois dans l’année écoulée ! Les jeunes ne boivent pas régulièrement, mais consomment, à l’occasion, des LES JEUNES NE BOIVENT alcools forts en grande quantité PAS RÉGULIÈREMENT, MAIS et en un minimum de temps. CONSOMMENT, À L’OCCASION, Par jeu, pour relever un défi, DES ALCOOLS FORTS EN pour “flasher”, ces binge drinking GRANDE QUANTITÉ ET EN UN sont lourds de conséquences MINIMUM DE TEMPS. dramatiques. Les journaux relatent régulièrement des drames résultants des consommations excessives : accidents de la route, violences, comas éthyliques.... De jeunes vies sont ainsi brisées et des familles endeuillées. Il est urgent que, nous parents, soyons informés de ces nouvelles pratiques de consommation d’alcool par les jeunes, mais aussi les très jeunes, afin de mettre en place une prévention indispensable. Nous sommes les premiers modèles pour nos enfants, il pourra être nécessaire aussi que nous nous interrogions sur nos propres pratiques. BÉATRICE BARRAUD, PRÉSIDENTE NATIONALE DE L’APEL RETROUVEZ TOUS LES RÉSULTATS DU SONDAGE SUR NOTRE SITE www.apel.fr Famille & éducation no 489 • Tiré à part • novembre - décembre 2011 Les jeunes et l’alcool, un flirt dangereux Des mairies qui interdisent aux mineurs de boire dans la rue, un ministère qui commande un rapport sur l’alcool et les jeunes, des faits divers relayés par la presse qui dressent le portrait d’une jeunesse s’enivrant sans limites : les ados d’aujourd’hui boiraient-ils plus et plus dangereusement qu’avant ? ◗ Paris, Lyon, Toulouse, Nantes… les unes après les autres les mairies ont interdit cet été les apéros géants Facebook et de boire de l’alcool dans la rue en soirée. Le ministère de la Santé a également commandé un rapport en début d’année sur l’état de la consommation d’alcool chez les jeunes. Verdict ? « Le fait de boire régulièrement a plutôt baissé chez les jeunes, mais les ivresses ponctuelles ont augmenté », analyse Yaëlle Amsellem-Mainguy, chargée d’études et de recherche sur la santé des jeunes à l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation). Les jeunes boivent moins, mais plus fort et plus vite. « Au lieu d’étaler les verres sur une soirée, les jeunes vont les boire dans l’heure. » Une tendance à la hausse depuis 2003. C’est le fameux binge drinking à l’anglo-saxonne qui semble gagner l’Hexagone. Et les filles ne sont pas en reste. Elles étaient 42 % en 2010, contre 30 % en 2005 à consommer de l’alcool à outrance. Quand boire est un jeu Les saouleries démarrent souvent à partir d’un jeu dont le principe est simple : le challenge. Des soirées où on doit écluser un maximum de verres avant de pouvoir rentrer. Des joutes sur le thème : “t’es pas cap”. « Aujourd’hui, les ados cherchent l’alcool qui les anesthésie et leur fera oublier toute la Famille & éducation no 489 • Tiré à part • novembre - décembre 2011 ➜ 4 Famille & éducation pression qui pèse sur leurs épaules », note Emmanuelle Peyret, addictologue. Pour Yaëlle Amsellem-Mainguy, rien de nouveau pourtant dans ce phénomène. « La consommation d’alcool reste liée à la jeunesse, au goût pour les nouvelles expériences et la perte de soi. C’est une pratique de génération, une manière de se revendiquer. Et cette consommation reste festive. » L’alcool en open bar Sauf que s’enivrer aujourd’hui est devenu beaucoup plus facile. L’arsenal législatif se veut pourtant plus strict. Adopté en juillet 2009, la loi Hôpital patients santé territoire a renforcé le pouvoir des maires pour interdire toute vente d’alcool à emporter aux À savoir ◗ LE COMA ÉTHYLIQUE Au-delà d’une certaine quantité d’alcool (2gl/sang), la personne s’endort et risque un coma éthylique (état d’inconscience). Dans cet état, les dangers sont le froid qui peut entraîner une hypothermie ; l’immobilité qui provoque des lésions musculaires (les muscles sont écrasés par le poids de la personne elle-même) ; l’étouffement dû à des vomissements ou, en position allongée sur le dos, à la langue qui chute au fond de la gorge. Dans les cas graves de coma éthyliques, les fonctions rénales, respiratoires ou circulatoires peuvent être atteintes. Le coma éthylique peut entraîner la mort. mineurs la nuit, moyennant des amendes revues à la hausse. Proscrits également les open bars tandis que les happy hours doivent proposer la même baisse de prix pour les boissons non alcoolisées. Mais cette loi est peu appliquée. Les petites épiceries qui ouvrent tard font leur chiffre avec l’alcool et rechignent à rogner sur leur marge. « C’est la nouveauté : on peut boire ce qu’on veut où on veut, déplore Emmanuelle Peyret. Et les mélanges possibles sont pléthores pour booster l’effet de l’alcool. Observez le marché des premix (voir encadré ci-contre). Et prenez le Red Bull, en vente partout, associé à de l’alcool fort, c’est détonnant. » Comment prévenir ? La prévention s’est organisée depuis longtemps. L’ ANPAA (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie) (1) intervient dans les écoles, même dès le primaire. « Nous leur apprenons comment résister à la pression du groupe, savoir dire non, développer un esprit critique, précise Élodie Crochet, chargée de mission à l’association. Il s’agit de développer des comportements adaptés. L’information sur les dangers de l’alcool ne suffit pas. » L’ANPAA intervient aussi auprès des parents. « Ils se sentent souvent désarmés », constate Isabelle de Nanteuil de l’école Paul Claudel, à Paris, qui a fait intervenir l’ANPAA auprès des parents d’élèves à la suite d’un incident dans l’établissement : deux collégiennes étaient rentrées de la pause de midi passablement éméchées. L’Apel de l’école a décidé de renouveler l’expérience. « Un anima- DE L’ALCOOL CONÇU POUR ÊTRE SÉDUISANT Les premix sont des boissons qui associent un soda à un alcool fort. Ils titrent en général à 5 ou 6 degrés. Le risque provient surtout du sucre qu’ils contiennent et qui accentue l’effet hypoglycémant de l’alcool. On les appelle aussi alcopops ou PAB (prêts à boire), ou encore RTD (ready to drink). Sur ce marché très prisé des jeunes, on trouve aussi les “malternatives” : des boissons à base de malt associées à des extraits de fruits, aromatisées avec des spiritueux ou additionnées à de l’alcool fort. Autre variante : les vinipops. Des vins aromatisés comme les coktails Dimitroff, Voodoo, Spirit ou Masaï. Leur marketing est ciblé pour plaire aux plus jeunes et aux filles. Conditionnés en canette ou en petites bouteilles, avec des couleurs flashantes qui rappellent l’univers du soda, ces mélanges très sucrés sont destinés à gommer le côté fort de l’alcool et à faire oublier finalement qu’on en consomme. C’est le cas de Smirnoff Ice (5,6 degrés), le plus vendu, un mélange de vodka, de bière et de citron très sucré. La Desperado Mas (3 degrés) mélange de la tequila à la bière pour en masquer le goût amer. Gloss de Suze cerise & gingembre (15 degrés) est très clairement ciblé filles avec ses couleurs rouge et rose qui évoquent le rouge à lèvres. Le Boomerang Red Hot (4,3 degrés), lui, mélange bière aromatisée et goût citron. Les marchands d’alcool n’ont jamais été aussi créatifs. LISE DAVID Famille & éducation no 489 • Tiré à part • novembre - décembre 2011 5 Nous leur apprenons comment résister à la pression du groupe, savoir dire non, développer un esprit critique. Élodie Crochet, chargée de mission à l’ANPAA (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie). teur prévention du Centre Emergence(2) est venu parler aux parents en octobre, précise Christiane Dupont, présidente de l’Apel. Les samedis soirs sont souvent très arrosés. Ma propre fille a plusieurs copines qui ont déjà fait des comas éthyliques. Les parents s’inquiètent beaucoup. II faut les tenir informés pour qu’ils puissent continuer à dialoguer avec leurs enfants. » À lire Alcool, les jeunes trinquent Marina Carrère d’Encausse, Anne Carrière, 2011, 18 € L’auteur, médecin et codirectrice du Magazine de la santé, sur France 5, tire une fois encore la sonnette d’alarme : le nombre de cas d’états d’ivresse augmente chez les jeunes, allant parfois jusqu’au coma, à l’agression sexuelle ou à des atteintes au cerveau irréversibles. Marina Carrère d’Encausse le répète, les parents ont un rôle essentiel à jouer dans la vigilance et l’interdit. Avec les précieux conseils de Philippe Batel, addictologue à l’hôpital Beaujon, à Clichy (92). Quand réagir ? Une baisse sensible et durable des résultats scolaires, un isolement, un mutisme inexplicable doivent donner l’alerte. « N’oublions pas, non plus que la consommation des parents a une grande influence sur celle des enfants, insiste Emmanuelle Peyret. Si les jeunes banalisent le fait de boire, c’est parce que nous le banalisons nous-mêmes ainsi que la société toute entière. » Mais entre laisser jeunesse se passer et jouer les parents fouettards, comment trouver la juste mesure ? « Il faut rester connecté au monde des ados, discuter l’air de rien, s’intéresser à ce qui se passe dans leur vie, conseille Emmanuelle Peyret. C’est le plus sûr moyen de rester averti, même si ce n’est pas facile. » « Il faut continuer d’alerter les jeunes, ajoute Yaëlle Amsellem-Mainguy. Ils savent qu’ils peuvent faire un coma éthylique, mais ils se disent : moi, je gère. Attention, toutefois, à ne pas trop les stigmatiser car ils pourraient se braquer contre le message. Nous vivons aujourd’hui dans une société très paternaliste et moralisatrice qui supporte de moins en moins les conduites à risque, même si elles restent occasionnelles. » ◗ LISE DAVID (1). ANPAA Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie : www.anpaa.asso.fr/ (2). Centre Emergence, centre de prévention et de traitement : Tél. : 01 53 82 81 70 Alcool, drogues chez les jeunes : agissons Daniel Bailly, Odile Jacob, 2009, 22,50 €. Pédopsychiatre à l’hôpital Ste-Marguerite, à Marseille, Daniel Bailly analyse, au-delà des risques de consommation, ce que révèlent ces comportements chez des adolescents qui recherchent des sensations extrêmes : des difficultés relationnelles et affectives… Pour les parents, quand s’inquiéter, que faire et quand consulter ? Alcool et adolescence. Jeunes en quête d’ivresse Patrice Huerre, François Marty et Nicole Czechowski, Albin Michel, 2007, 21,50 €. À la recherche de sensations fortes les ados boivent de plus en plus, de plus en plus jeunes et souvent en bande, associant parfois la boisson à d’autres produits toxiques. Ces médecins tirent la sonnette d’alarme et veulent qu’on lève ce tabou dont on ne parle souvent que lors d’un accident de la route. Les ravages, du collège aux grandes écoles, sont profonds et il faut étudier les racines de ce mal-être chez les jeunes. Brigitte Canuel Famille & éducation no 489 • Tiré à part • novembre - décembre 2011 6 DOSSIER Les parents : entre inquiétude et indulgence Selon vous, qu’est-ce qui est le plus inquiétant dans la consommation d’alcool chez les jeunes ? Inquiets de l’augmentation de la consommation d’alcool chez les jeunes, les parents font confiance à leurs propres enfants pour résister aux sirènes de l’hyper consommation. À la maison, le sujet n’est pas tabou et le dialogue est possible, cependant, les parents avouent leur impuissance et leur très relative indulgence si jamais leur enfant consommait de l’alcool de façon excessive. L’alcool chez les jeunes, un sujet d’inquiétude pour les parents 83 % des parents d’enfants scolarisés reconnaissent que la consommation d’alcool par les jeunes est pour eux un sujet de préoccupation, et cela, quels que soient leur catégorie socioprofessionnelle et l’âge de leurs enfants (même pourcentage de 6 à 16 ans). La consommation d’alcool est-elle une source d’inquiétude pour vous ? oui, tout à fait 38 % oui, plutôt 45 % non, plutôt pas 15 % non, pas du tout 2% NSP 0% OUI 83% NON 17% Un phénomène qui prend une tournure inquiétante dans l’esprit des Français qui considèrent que la consommation d’alcool augmente chez les jeunes, plus encore chez les filles (74 %) que chez les garçons (59 %). Selon vous, les jeunes aujourd’hui consomment plus d’alcool, moins d’alcool ou ni plus ni moins qu’à votre époque ? Pour les filles Pour les garçons plus d’alcool 74 % 59 % moins d’alcool 3% 4% ni + ni -d’alcool 22% 36% NSP 1% Ce qui inquiète le plus les parents Ce qui inquiète les parents, c’est avant tout l’augmentation de la quantité d’alcool consommée (40 % des parents le disent, dont 41 % des parents d’enfants de 0 à 6 ans), plus que l’augmentation de la régularité de la consommation (12 % seulement des parents l’évoquent). Quelle est la cause de cette évolution ? Pour 56 % des parents, c’est l’état d’esprit général qui explique cette augmentation de la consommation. Ils sont beaucoup moins nombreux (35 %) à évoquer le manque de contrôle des sorties ou les fréquentations des enfants. Les parents considèrent donc que la grande responsable de ces dérives, c’est la société elle-même, lorsqu’elle valorise, par médias interposés, des comportements excessifs, qui cassent leurs modèles éducatifs. C’est le cas, par exemple, du binge drinking (ou consommation d’un maximum d’alcool dans un minimum de temps), devenu en peu de temps un véritable phénomène de mode, qui influence, au-delà des injonctions parentales, des adolescents soucieux d’adopter pour le meilleur ou pour le pire les attitudes de leurs pairs. 1% Selon vous, qu’est-ce qui favorise la consommation d’alcool chez les jeunes ? L’état d’esprit général qui valorise la consommation d’alcool 56 % Le manque de contrôle des sorties et fréquentations des jeunes par leurs parents 35 % L’absence de contrôle dans les bars, cafés et discothèques 27 % L’insuffisance de contrôle lors de la vente en supermarché 25 % Le fait que les parents les autorisent à boire de l’alcool en famille 23 % Le manque de prévention en général 20 % NSP Famille & éducation no 489 • Tiré à part • novembre - décembre 2011 4% 7 E DAG PELN O A S SIF LU WAY EXCPINION O À la maison, tout va bien… Et concernant votre ou vos enfant(s), vous diriez qu’il(s) consomme(nt) plus d’alcool, moins d’alcool ou ni plus ni moins d’alcool que vous à votre époque ? Plus d’alcool 14 % Moins d’alcool 27 % Ni plus ni moins d’alcool 58 % NSP 1% Les problèmes d’alcool, c’est pour les autres, et les parents affichent une grande confiance vis-à-vis de leur(s) propre(s) enfant(s). Seulement 14 % des parents ayant un enfant de 12 ans ou plus estiment que sa consommation a augmenté par rapport à la leur au même âge. 58 % estiment qu’elle a stagné et 27 % considèrent même qu’elle a diminué. Le foyer apparaît donc comme un rempart face à une situation que les parents décrivent par ailleurs comme inquiétante. Dans ce contexte, le dialogue sur ce sujet semble possible, puisque 90 % des parents déclarent qu’il est facile d’aborder les dangers de l’alcool avec leurs enfants. On peut cependant s’interroger sur la nature de ce dialogue : n’est-il pas un peu superficiel ou trop formel, s’il consiste à dire que le risque, c’est seulement les autres ? Le fait qu’ils consomment de plus en plus de l’alcool de façon excessive, jusqu’à l’ivresse 40 % Le fait qu’ils consomment de l’alcool de plus en plus jeune 28 % Le fait qu’ils ne puissent plus envisager une soirée entre amis sans qu’il y ait de l’alcool 20 % Le fait qu’ils consomment de l’alcool de plus en plus régulièrement 12 % NSP 0% Mais finalement, les parents se sentent bien seuls pour réagir Le sujet de l’alcool n’est donc pas un tabou familial et 67 % des parents déclarent qu’ils se sentiraient à l’aise et bien informés face à un enfant qui a consommé de l’alcool de façon excessive. Ce résultat ne doit pas cacher qu’ils sont à l’inverse 31 % à s’inquiéter de la bonne manière de réagir. 45 % avouent qu’ils ne se sentiraient pas soutenus, ne sachant pas à qui s’adresser. 43 % reconnaissent qu’ils se sentiraient coupables devant une telle situation. Ils ne seraient que 37 % à réagir de manière compréhensive et indulgente. Finalement, ce qui n’est pas négligeable, c’est que plus d’un parent sur trois a le sentiment qu’il se retrouverait seul et démuni. ◗ SYLVIE BOCQUET Diriez-vous qu’aborder le sujet des dangers de l’alcool avec vos enfants est… ? Très facile 46 % Assez facile 44 % Assez difficile 8% Très difficile 1% NSP Facile 90% Difficile 9% 1% MÉTHODOLOGIE Étude réalisée auprès de 597 parents d’enfants scolarisés issus de deux échantillons représentatifs (de 988 et 1000 personnes) de la population française âgée de 18 ans et plus, interrogés du 19 au 21 octobre 2011 et les 27 et 28 octobre 2011. Famille & éducation no 489 • Tiré à part • novembre - décembre 2011 8 DOSSIER 9 Interview de Marie Choquet, épidémiologiste « Les jeunes boivent surtout chez eux » Marie Choquet, épidémiologiste, directeur de recherche honoraire à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a conduit en tant que spécialiste de l’adolescence de nombreuses études sur les comportements à risque des jeunes. Elle répond aux questions de Famille & éducation sur l’alcool et les jeunes. ivre, ou encore piéton avec des réflexes et une vigilance diminués. Le risque de mortalité lié aux accidents, mais aussi celui de séquelles avec des handicaps reste largement sous-estimé. Quel doit être le rôle des parents ? M. C. : Plus que dans les bars ou dans les Famille & éducation : La consommation d’alcool chez les jeunes est-elle en hausse ? Ils ne sont plus des consommateurs réguliers de vin, comme leurs parents. Ils boivent des alcools fort et recherchent l’ivresse. Marie Choquet : D’après les enquêtes internationales menées auprès des 13-15 ans et des jeunes de 16 ans et plus, la consommation d’alcool, qu’elle soit régulière ou ponctuelle, tend à augmenter chez les jeunes, alors que celle des adultes diminue. On note aussi que les jeunes de 16 ans et plus ne sont plus des consommateurs réguliers de vin, comme la génération de leurs parents. Ils boivent des alcools forts et recherchent l’ivresse. Est-ce le phénomène de binge drinking à l’anglo-saxonne ? M. C. : Pas tout à fait. Les jeunes Français peuvent consommer beaucoup d’alcool, mais ils veulent profiter de la fête et rester au même niveau d’ébriété toute la soirée, alors que dans les pays d’Europe du Nord, les jeunes recherchent avec le binge drinking une ivresse très rapide qui les mène à la perte de conscience. Mais dans un sens, le comportement des jeunes Français est presque plus dangereux. Ils ne sont pas assez ivres pour tomber sous la table, mais ils prennent leur scooter à la fin de la soirée. Le risque majeur de l’alcool n’est pas le coma éthylique, qui reste heureusement assez peu fréquent, mais le risque routier. Et cela que l’on soit conducteur d’un deux-roues, passager d’un véhicule conduit par un camarade un peu plus âgé, mais tout aussi Famille & éducation no 489 • Tiré à part • novembre - décembre 2011 boîtes de nuit, c’est au domicile des parents, au cours de fêtes chez les uns et les autres que les jeunes boivent de l’alcool. Dans les pays du Nord, les parents s’organisent collectivement. Ils veillent à ne pas laisser à disposition un bar trop bien garni, un adulte responsable au moins doit être sur place, et les jeunes sont hébergés ou raccompagnés. Contrôler et encadrer leur consommation d’alcool ne signifie pas les autoriser à boire, c’est faire preuve de pragmatisme. Parmi les risques liés à l’alcool, il ne faut pas négliger le risque de violence physique et sexuelle, et pas seulement pour les jeunes filles. Statistiquement, un garçon qui a bu court le même risque d’être victime d’abus sexuels de la part d’autres garçons. Les adolescents qui consomment de l’alcool deviennent-ils des adultes dépendants ? M. C. : Le plus souvent cela reste une consommation festive et transgressive, qui prendra fin au moment des études et surtout de l’insertion professionnelle. Les jeunes qui étudient dans les grandes écoles vivent parfois une adolescence tardive, avec des fêtes très alcoolisées, qu’ils n’ont pas connues plus jeunes car très investis dans le travail scolaire. Mais un adolescent qui n’a pas de difficultés particulières au niveau affectif, psychologique, scolaire, deviendra progressivement plus raisonnable. ◗ PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-NADINE ELTCHANINOFF Le comportement des adolescents a changé ces dernières années. J’ai trop laissé filé les choses. Isabelle, infirmière scolaire à Paris. Véronique, maman de Léo, 16 ans, Jeanne, 12 ans, et Anaïs, 9 ans. e « Dès la 3 , les soirées deviennent pour certains l’occasion de se saoûler. Nous avons connu un cas de coma éthylique l’an dernier. Il s’agissait d’un jeune préoccupé par une situation familiale compliquée, par ailleurs suivi en psychothérapie, et qui venait souvent me voir. Il est arrivé un jour au collège dans un état d’ébriété plus qu’avancé, il a été hospitalisé. Mais de façon générale, la consommation d’alcool reste occasionnelle. Elle est plus rarement révélatrice d’un mal-être profond qu’une consommation quotidienne de cannabis. » Il y a toujours de l’alcool dans les soirées. Léo, 16 ans. « Les soirées, c’est l’occasion de retrouver mes copains, d’écouter de la musique, de danser. Il y a toujours de l’alcool et parfois du cannabis. Je bois un peu, tout au long de la soirée, pour être dans l’ambiance. On mélange de l’alcool avec des jus de fruits ou du coca, c’est meilleur. Je connais mes limites, je n’aime pas me rendre malade. J’ai un copain qui a fait un coma éthylique l’an dernier. Il ne buvait pas trop d’habitude, mais cette fois-là il n’a pas su s’arrêter. » « L’an dernier, le passage en seconde s’est accompagné pour Léo de plus de liberté. Il était invité à des soirées, dormait parfois chez ses copains avec ma permission, comme quand il était au collège. Je lui faisais confiance. Jusqu’au jour où j’ai compris que ces soirées se tenaient au domicile de parents qui, en général, n’étaient pas présents, et la plupart du temps même pas au courant, et que Léo et ses copains buvaient et à l’occasion fumaient du cannabis. Il fallait que cela cesse. J’ai posé mes conditions : retour obligatoire au plus tard à 1 heure du matin et je tenais à avoir les parents au téléphone avant pour être sûre de leur accord. Évidemment il a protesté, m’a dit qu’il n’était plus en maternelle, mais j’ai tenu bon. La période de recadrage a été très dure. Un jour, Léo est sorti sans mon autorisation. Avec son père, nous l’avons mis en face de ses responsabilités : soit il s’engageait à respecter les règles, soit il poursuivait sa scolarité en internat. Depuis, tout est rentré dans l’ordre. Il ne dépasse jamais l’horaire autorisé. Quant aux abus d’alcool ou d’autres substances, je ne peux que lui faire confiance. C’est un garçon qui va bien, il a de bons résultats scolaires et beaucoup d’amis. » Famille & éducation no 489 • Tiré à part • novembre - décembre 2011 10 DOSSIER 11 Questions de parents, réponses d’experts Pas une fête sans alcool ! Soit, mais les parents doivent rester vigilants, fixer des limites, et accompagner au mieux leurs enfants. Comment aborder cette question avec son enfant ? Quels sont les dangers véritables qu’ils doivent connaître ? Les réponses de Xavier Pommereau, psychiatre, directeur du Pôle aquitain de l’adolescent au centre Abadie, au CHU de Bordeaux, et de Philippe Batel, psychiatre, addictologue, chef du service d’addictologie de l’hôpital Beaujon, à Clichy (92). PROPOS RECUEILLIS PAR CLAIRE ALMÉRAS Les parents ne doivent pas être complices de beuveries qui se passeraient chez eux. Xavier Pommereau Mon enfant commence à sortir. Que dois-je dire ? Dois-je lui interdire de boire ? XAVIER POMMEREAU : Les choses ne doivent pas se passer ainsi. Ce n’est pas au dernier moment, quand il sort que les questions doivent être abordées. D’abord, les ados aujourd’hui, ne supportent pas qu’on leur interdise quelque chose. À la moindre injonction, ils ruent dans les brancards. Donc interdire, c’est paradoxalement provoquer l’attitude redoutée. Et puis sur le pas de la porte, il peut promettre tout et n’importe quoi pour vous faire plaisir… La question de l’alcool peut être abordée avant, en rebondissant sur une émission de télévision, sur l’attitude d’un voisin… cela extériorise le propos. Il ne s’agit pas directement de lui. Il vaut mieux dire à son enfant : « Je ne suis pas plus inquiet que les autres parents. Mais ton père et moi voyons dans les médias, les dégâts causés par l’alcool, nous t’aimons et nous ne voulons pas qu’il t’arrive malheur. » Mon enfant veut organiser une soirée à la maison, comment faisons-nous pour que cela se passe bien ? X. P. : Les parents ne doivent pas être les complices de beuveries qui se passeraient chez eux. Il ne part pas non plus à une soirée avec une bouteille sous le bras. La fête a lieu chez vous : il n’y aura pas d’alcool. Que cela se fasse ailleurs et à votre insu, c’est autre chose, mais à la maison les parents doivent rester très fermes. Mon enfant, 15 ans, ne veut pas que nous restions à la maison pour sa soirée d’anniversaire. X. P. : Jusqu’à 16 ans, les parents ne laissent pas leurs enfants faire une fête seuls. Ils sont là. Et après, je conseille aux parents de rester dans les parages. Combien de parents me racontent l’état dans lequel ils ont retrouvé Famille & éducation no 489 • Tiré à part • novembre - décembre 2011 leur maison après une fête. Certaines soirées se terminent en orgie et les parents, là encore, ne doivent pas être complices. Tous les adolescents font des écarts de conduite, mais les parents ne doivent pas les laisser se débrouiller seuls, car ils ne savent pas faire seuls. Que répondre à mon enfant qui me dit que tous ses copains boivent ? X. P. : Il faut discuter de la différence entre boire en quantité raisonnable, pour être gai, et boire trop jusqu’à finir ses soirées le nez dans son vomi. Il faut expliquer que l’écart de conduite est réversible et pas trop grave, mais que le grand écart peut entraîner le jeune jusqu’à un point de rupture. Comme en danse, le grand écart peut provoquer une déchirure. Il y a une différence entre être ivre et ivre mort, un état qui de fait peut conduire à la mort. Mais les jeunes ne sont pas dupes, ils savent bien que celui qui boit tous les weekends jusqu’à s’en rendre malade a un problème, est malheureux. Que répondre à mon enfant qui me dit que, nous aussi les adultes, nous buvons. X. P. : Là encore, leur expliquer que tout est dans la mesure et que boire un ou deux verres d’alcool, cela ne constitue pas un danger. Mais les parents ont un devoir d’exemplarité, comme, celui de ne pas prendre le volant lorsqu’ils ont bu. ◗ qu’il ne doit pas dépasser. C’est cette méconnaissance qui pose problème. Ensuite, l’effet d’attente (le cerveau s’attend à…) est très important sur les conséquences de la prise d’alcool. Or, l’effet d’attente de convivialité, voire de “défonce”, est très fort chez les jeunes et augmente les effets de l’alcool sur l’organisme. Un ado n’a aucune idée de la quantité d’alcool qu’il ne doit pas dépasser. Philippe Batel Quels sont les effets de l’alcool sur les jeunes ? Sont-ils plus sensibles que les adultes ? PHILIPPE BATEL : Que ce soit chez le jeune ou chez l’adulte, à poids et âge égal, la tolérance physiologique à l’alcool est très différente d’un individu à l’autre. Mais entre 10 et 15 ans, un individu n’a pas le capital enzymatique suffisant pour métaboliser l’alcool. Cela se met en place progressivement avec les premières alcoolisations. Un ado, n’a par ailleurs, aucune idée de la quantité suffisante d’alcool pour être bien et ce Que puis-je expliquer à mon enfant pour qu’il ne boive pas jusqu’à l’ivresse ? P. B. : Vous pouvez lui expliquer qu’il est à un âge où il sensibilise et détermine son cerveau pour le reste de sa vie. Le centre de l’hypothalamus, cette zone du cerveau où se codent les émotions et le sentiment de satiété, est extrêmement sensibilisée par la prise d’alcool, surtout avant 20 ans et s’il est pris en trop grande quantité. Après 35 ans, confronté à des facteurs de stress (et ils sont nombreux et inévitables) la sensibilité de l’hypothalamus est réveillée. Alors la seule réponse satisfaisante au stress est celle qui a été trouvée entre 15 et 25 ans. Devenue adulte, la personne ne sait réagir qu’avec la prise de substances psychoactives. L’ivresse entraîne aussi des comportements à risque, pouvant aller de l’accident de la route jusqu’au suicide. C’est rare, mais l’accomplissement d’un suicide est favorisé par la prise d’alcool. Enfin un argument qui peut fonctionner avec les ados, c’est de leur faire prendre conscience qu’ils sont manipulés par les alcooliers qui sont en train de faire d’eux leurs futurs clients de demain ! Est-ce que je peux conseiller un nombre de verres maximum d’alcool à mon enfant qui sort avec ses copains ? P. B. : Ce genre de discours est vain. Les ados font de toute façon l’expérience de l’ivresse. Mais il faut accompagner son enfant pour limiter les risques. Lui dire : « Si tu bois, surtout ne reste jamais isolé, reste toujours avec le groupe ». On sait qu’en cas de coma éthylique, par exemple, l’isolement et le froid sont des facteurs aggravants. Ensuite, on peut lui conseiller de se fixer une quantité d’alcool à boire dans un délai raisonnable et lui recommander de penser à manger. Comment savoir si mon enfant boit trop ? P. B. : Tout simplement en lui posant la question. On fait de l’alcool un sujet tabou. Mais il faut ouvrir le dialogue avec ses enfants. On aborde le sujet de la contraception avec sa fille à 14 ans, la question des substances psychoactives doit faire partie des sujets que l’on aborde systématiquement. Et il ne faut pas hésiter à leur poser régulièrement la question. Peut-on proposer de l’alcool (une coupe de champagne) à un jeune lors d’une réunion de famille ? P. B. : Il faut attendre que la demande vienne de lui. Il ne faut pas le proposer d’office. Je ne crois pas à l’éducation culturelle et gastronomique de l’alcool. Aucune étude n’a montré que cela peut avoir un effet bénéfique sur le comportement de l’adolescent face à l’alcool. Que puis-je faire pour éviter le phénomène du binge drinking ou l’ivresse pour mon enfant ? P. B. : Les messages préventifs ne sont pas suffisants. Demandez à votre ado de vous raconter sa première ivresse, de vous dire ce qui était bien là dedans… et de voir avec lui que tout n’était pas si rose. L’adolescence est la période de la bravade et tous auront des anecdotes “formidables” à raconter, mais si l’un d’entre eux avoue l’envers du décor (se réveiller avec la gueule de bois ou dans un lit avec quelqu’un que l’on ne connaît pas, sans se souvenir de ce qui s’est passé, par exemple…), cela peut entraîner le changement de leur comportement. ◗ Famille & éducation no 489 • Tiré à part • novembre - décembre 2011 Apel service Des difficultés avec vos enfants ? «Je me suis aperçue que mon fils boit avec ses copains, mais il refuse de l’avouer. Comment faire ?» DES EXPERTS, CONSEILLERS SCOLAIRES, PSYCHOLOGUES ET JURISTES vous répondent (prix d’un appel local) QUE VOUS SOYEZ EN PROVINCE OU À PARIS. ◗ N’hésitez pas à les appeler. Vos appels sont anonymes. ◗ Lundi, mardi, jeudi, vendredi de 10 h à 12 h et de 14 h à 16 h.