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FAIRE SAVOIR PAROLE D'EXPERT 56 Lumière Intense Pulsée : son utilisation est-elle possible hors du secteur médical ? Par le Dr François Strawczynski cabines 240 | mai 2011 Depuis quelques années, l’usage des lampes flash s’est répandu dans les instituts de beauté, principalement dans le domaine de l’épilation. Ces appareils, qui reposent sur le principe de la lumière intense pulsée (IPL), sont apparus dans les années 90 à côté des lasers qui prenaient alors de plus en plus d’importance dans l’activité médico-esthétique. DR À cette époque, les principales Pourtant, aujourd’hui, la plupart des applications de ces lasers acteurs de ce secteur considèrent que étaient : les limites ont été atteintes et qu’il est •le resurfacing ablatif (laserabrasion) urgent de définir un cadre cohérent •Photorajeunissement •Traitement des lésions pigmentaires •Traitement des lésions vasculaires •Traitement de l’acné •Photothérapie dynamique •… par les lasers CO2 et Erbium ; afin de réguler cette activité. le détatouage et le traitement des La question n’est pas nouvelle. Déjà en lésions pigmentaires (Lasers Q-Switch, 2001, un groupe de travail mis en place Yag ou Alexandrite…) ; par la CSC (Commission de Sécurité Ces applications logiquement réser- des Consommateurs) avait fourni vées aux médecins ont malheureu- • •le traitement des lésions vasculaires (Laser à colorants pulsés, KTP, etc.). sement été mises quelques orientations, en particulier : Le champ d’application de ces lasers •Mettre à jour la se situait aux frontières de la derma- réglementation et tologie, l’angiologie et la cosmétologie. la classification des lasers et lampes Deux faits importants expliquent la problématique que l’on rencontre aujourd’hui : • flash. •Interdire l’usage des lasers à toute La situation actuelle résulte de l’affrontement entre deux corporations sur un des marchés les plus considérables qui puissent exister, l’épilation en œuvre dans quelques instituts de beauté, certaines sociétés commerciales n’ayant pas hésité à encourager les esthéticiennes à Le premier est que la lampe flash, personne n’ayant technologie apparentée aux lasers, pas la compétence n’entrait pas dans la même classifi- médicale ou n’exerçant pas sous la indications. cation que ceux-ci et se trouvait donc responsabilité effective d’un médecin. Ceci est à l’origine des plaintes dépo- accessible et utilisable par des profes- Mettre en place une formation obli- sées par les dermatologues à l’en- gatoire pour les personnels de cabinets contre des esthéticiennes dans de d’esthétique (comme cela a été fait nombreuses régions de France. pour les instituts de bronzage). La question est la suivante : les esthé- sionnels non-médecins. •Le deuxième fait fondamental a été la découverte de l’application de ces technologies (lasers et IPL) pour une • • mettre en avant ces nouvelles Distinguer les applications qui ticiennes doivent-elles être privées nouvelle approche de l’épilation dite seraient exclusivement destinées aux de cette nouvelle technologie qu’est définitive. médecins et celles qui pourraient être l’IPL et à terme doivent-elles perdre Quelle est la situation actuelle ? Tout déléguées à des personnels compé- au profit des médecins ce marché simplement, elle résulte de l’affronte- tents ou mises en œuvre en institut de l’épilation qui leur était acquis et ment entre deux corporations sur un hors de toute présence médicale. qui représente l’un des piliers écono- des marchés les plus considérables qui •Élaborer un texte de loi permettant miques de leur activité ? puissent exister, l’épilation, affronte- de contrôler les personnes comme les Après avoir rappelé brièvement ce ment attisé par les sociétés commer- matériels. qu’est l’IPL, son mode d’action, ses ciales qui profitent de la situation de flou réglementaire. •Etc. applications et ses risques, nous ferons quelques propositions pour D’un côté, les médecins qui découvrent Cet avis de la CSC date du 13 juin 2001. l’épilation comme nouvelle source de Depuis cette date, aucune action, tenter de dénouer ce conflit. profit et comme base essentielle pour aucune décision n’est intervenue et les rentabiliser des appareils très coûteux. questions évoquées à cette occasion De l’autre, les esthéticiennes (voire les restent aujourd’hui sans réponse. coiffeurs ou d’autres paramédicaux) Les lasers ne sont contestés par lumière de forte intensité qui fonc- qui, poussées par la demande de leur personne en tant que matériels à usage tionnent sur un mode pulsé (Lumière clientèle, se lancent dans l’acquisition strictement médical. Intense Pulsée). de la lampe flash, malgré la menace Quant aux lampes flash, toujours Physiquement, l’appareil se compose d’être poursuivies pour exercice illégal accessibles légalement aux non- de deux parties : de la médecine en vertu de la loi de médecins, elles se sont perfec- 1 - Le corps ou boîtier qui renferme l’ali- 1962 limitant leur pratique de l’épila- tionnées et enrichies de nouvelles mentation électrique et les systèmes tion à la cire ou à la pince. applications. électroniques de contrôle. Qu’est-ce que la lumière intense pulsée ? Les lampes flash sont des sources de 57 PAROLE D'EXPERT Les applications de l’IPL 2 - L’applicateur ou illuminateur qui est La difficulté consiste effectivement composé d’une lampe, en général au à détruire la cible sous l’effet de la Xénon, couplée à un système optique et chaleur sans endommager les tissus champs d’application, contrairement parfois de systèmes de refroidissement. voisins. au laser dont l’action est beaucoup Contrairement au laser, la lampe flash L’intérêt de l’IPL est d’avoir plusieurs plus spécifique. couvre un large spectre (entre 400 Pour parvenir à cet objectif, il faut La plupart des lampes flash équipées et 1 200 nanomètres), ce qui permet maîtriser certains paramètres : des filtres correspondants peuvent d’atteindre plusieurs cibles ou chromo- 1. Le spectre de longueur d’onde : il doit avoir les applications suivantes : phores, dont les principaux sont : correspondre au chromophore choisi Épilation lumière de forte 1. La mélanine contenue dans les poils. de la façon la plus sélective possible. Traitement des lésions pigmentaires intensité qui 2. L’oxyhémoglobine contenue dans 2. L’intensité du flash ou pulse : c’est Traitement des lésions vasculaires les vaisseaux. la fluence, intensité lumineuse en Traitement de l’acné 3. L’eau présente dans les couches watt/cm2. Photorajeunissement superficielles de la peau. 3. La durée du flash : cette durée varie À chaque cible correspondent des en fonction de la taille de la cible et doit L’épilation plages de longueurs d’onde appropriées être ajustée en relation avec l’intensité. L’IPL permet l’épilation progressive- qui sont obtenues grâce à des filtres 4. La forme du pulse : un pulse correct ment définitive à la fois dans les indica- adaptés. doit être carré, c’est-à-dire attei- tions médicales et dans les indications gnant rapidement le niveau d’énergie esthétiques. Les lampes flash sont des sources de fonctionnent sur un mode pulsé. Mode d’action des lampes flash 58 programmé, maintenant cette énergie •Sur le plan médical pendant toute la durée du pulse. - L’hirsutisme : pilosité des zones L’un des effets de la lumière sur 5. Le séquencement d’impulsion : normalement glabres chez la femme, les tissus est d’être absorbée dans technologie déjà utilisée dans le en rapport avec un déséquilibre certaines conditions. domaine du laser, le découpage du hormonal. Lorsque l’énergie lumineuse est pulse en sous-pulses séparés par des - L’hypertrichose : pilosité excessive absorbée par son tissu cible, elle se intervalles de repos permet d’aug- sur des localisations normales, d’ori- transforme en chaleur. C’est pourquoi menter la sélectivité de la cible par gine ethnique ou génétique. on appelle ce mode d’action de l’IPL la rapport aux tissus environnants. photothermolyse sélective. C’est le cas par exemple dans l’épilation - Sont concernés les sujets de photo- Photo = lumière des peaux sombres où l’on trouve de type I à IV, avec des poils sombres, sur Thermo = chaleur la mélanine aussi bien dans les poils des zones précises comme le visage, Lyse = destruction que dans la peau. Le séquencement du les aisselles, le maillot, les jambes Sélective = orientée sur une cible pulse permet de détruire les poils sans pour les femmes et pour les hommes précise brûler la peau. le torse et le dos. •Sur le plan esthétique Différences entre IPL et laser IPL cabines 240 | mai 2011 Lasers Non-monochromatique (plusieurs longueurs d'ondes) Monochromatique (une longueur d'onde) Non-cohérente (ondes pas en phase) Cohérente (ondes en phase) Défocalisée Focalisée (ondes parallèles) L’objectif est de détruire le follicule du poil en chauffant la mélanine, pigment brun contenu dans la tige et le bulbe. Le poil n’étant vulnérable qu’en phase de croissance, il faudra plusieurs séances pour traiter complètement une surface. Le filtre sélectionne en général des longueurs d’ondes supérieures à 600 nm (orange et rouge) afin d’éviter la compétition entre plusieurs chromophores. Absorbée par la mélanine, l’énergie lumineuse se transforme en chaleur. Lorsque la température atteint 70 °C pendant une milliseconde, le follicule DR est détruit. Tous les paramètres sont importants : sélection du patient, choix des La limite d’efficacité est la profondeur prudent avec les personnes à photo- réglages, application du traitement… des lésions pigmentaires, la meilleure type foncé. L’ensemble de la procédure ne souffre indication étant les lentigines solaires. Les traitements vasculaires avec l’IPL aucune approximation, les risques sont délicats. La fenêtre thérapeutique étant soit l’inefficacité, soit des effets Les lésions vasculaires (espace compris entre des paramètres secondaires potentiellement graves. L’IPL traite de nombreuses lésions inefficaces et des paramètres dange- C’est pourquoi la pratique de l’IPL vasculaires bénignes et superficielles : reux) est étroite. exige une formation de base approfondie, y compris pour les indications purement esthétiques. Les lésions pigmentaires Seules sont concernées les lésions bénignes : •Lentigines solaires •Lentigos séniles •Taches café au lait •Nævus de Becker •Nævus mélanocytaire •Angiomes plans ou stellaires •Télangiectasies, veinulectasies •Couperose •Érythrose •Cicatrices hypervascularisées La profondeur des vaisseaux, ainsi que la dynamique circulatoire rendent les traitements aléa- La pratique de l’IPL exige toires au niveau des une formation de base membres inférieurs. Il Le chromophore est l’hémoglobine et est conseillé de prati- la cible la paroi des vaisseaux. quer préalablement À l’image de la mélanine du poil au à l’IPL des séances de contact du follicule pilaire, c’est l’hé- microsclérose. approfondie, y compris pour les indications purement esthétiques. moglobine du sang qui est chauffée et qui détruit le vaisseau dans lequel L’acné elle circule. Ce n’est pas un traitement de première Le diagnostic d’une lésion pigmentaire Le paramétrage se fait dans ce cas intention mais dans les acnés sévères n’est pas toujours aisé. C’est pourquoi aussi en évaluant le diamètre du vais- et persistantes, l’IPL peut avoir une cette indication doit être strictement seau, ce qui va déterminer la durée action complémentaire bénéfique. réservée aux médecins. d’impulsion. Le principe consiste à provoquer une Tout soupçon de lésion maligne Le spectre lumineux efficace se situe lésion thermique sur les glandes séba- implique une biopsie préalable. dans les zones d’absorption optimale cées par l’intermédiaire des vaisseaux La cible est ici aussi la mélanine de l’hémoglobine, à savoir entre 500 et sanguins qui les irriguent. contenue dans les mélanosomes mais 600 nanomètres (couleurs vert-jaune). La production de sébum, ainsi que les paramètres sont différents de ceux La mélanine est ici en compétition l’inflammation diminuent et l’acné utilisés par l’épilation. avec l’hémoglobine. Il faudra donc être s’améliore. 59 PAROLE D'EXPERT Le photorajeunissement On notera des résultats positifs dans supérieur de quelques semaines, Cette application découle des résultats les deux ou trois premières séances voire quelques mois, pour obtenir les obtenus sur les lésions pigmentaires et avec en plus une amélioration de la résultats. vasculaires. texture cutanée. Elle s’adresse aux personnes présen- Cette application originale et spéci- Il y a donc deux formes de rajeunisse- tant des signes de vieillissement fique de l’IPL est souvent mal inter- ment possibles avec l’IPL : cutané associant justement taches prétée. On lui substitue une autre Le photorajeunissement propre- brunes et rougeurs. approche du rajeunissement cutané, ment dit qui, du fait des cibles visées le remodelage, concept qui a été (taches brunes et lésions vasculaires) •Lésions pigmentaires - Lentigos solaires développé avec des - Éphelides lasers mais qui peut - Lentigos séniles aussi s’envisager - Melasmas avec la lampe flash. •Lésions vasculaires Le remodelage - Télangiectasies consiste à chauffer - Rosacée les - Couperose profondes de la - Rougeur diffuse peau afin de créer couches doit être réservé aux Les suites d’une séance d’IPL sont dépendantes de la sélection du patient et des paramètres utilisés pour l’application choisie. La réjuvénation ou photostimulation qui vise à stimuler la production de collagène. Cette formule pourrait être pratiquée par les esthéticiennes après une un processus d’acti- 60 médecins. Les résultats sont obtenus grâce à un vation des fibroblastes et donc à terme large spectre lumineux qui permet de d’une production de néo-collagène. cibler les deux chromophores présents : Par cette action de stimulation colla- mélanine et hémoglobine (filtre autour génique, on vise une amélioration de formation correspondante. Risques liés à l’IPL Il existe plusieurs catégories de de 530-560 nm). l’élasticité et de la tonicité cutanées. Le soin peut porter sur le visage mais Un spectre lumineux plus proche des risques liés à la pratique de l’IPL. aussi le cou, le décolleté ou les mains, infrarouges est ici utile. 1. Les risques liés au matériel d’une façon générale toutes les zones Il faudra compter un nombre de Les lampes flash sont souvent fabri- photo-exposées. séances plus important et un délai quées et distribuées par des sociétés compétentes mais ce n’est pas toujours le cas et les critères exigés sur le plan technologique ne sont pas suffisants (marquage CE) pour mettre l’opérateur à l’abri de dysfonctionnements nocifs. En particulier les petites machines sans réserve suffisante d’énergie électrique ne délivrent pas de « pulses carrés ». L’intensité réelle délivrée peut varier au-dessus et au-dessous de l’énergie programmée, combinant à la fois inefficacité et risques de brûlures. 2. Les risques liés au diagnostic Les dermatologues mettent en garde, à juste titre, sur les dangers d’utiliser la lampe flash hors contexte médical : •Danger de faire disparaître une DR lésion cutanée sans qu’un diagnostic cabines 240 | mai 2011 ait été posé. Il n’est pas toujours aisé de faire la différence entre une tache DR brune bénigne et une tache potentiellement maligne. •Danger aussi de traiter des lésions •Les risques de réactions cuta- nées liés à la prise de médicaments photosensibilisants ou bien liés à une apparemment bénignes mais pouvant maladie contrindiquant l’exposition à avoir une cause pathologique. la lumière intense. Exemple : pilosité liée à un problème hormonal ou une tumeur. 3. Les risques liés à l’utilisation de l’IPL Recommandations pour une bonne pratique de l’IPL Nous pensons que la pilosité, sauf cas Les suites d’une séance d’IPL sont particuliers, n’est pas une maladie et dépendantes de la sélection du patient que par conséquent l’épilation n’est et des paramètres utilisés pour l’appli- pas un acte médical. cation choisie. En particulier le photo- Il reste que manipuler une technologie type, ainsi que le degré récent d’expo- potentiellement dangereuse pose sition solaire et l’intensité du pulse. un problème de compétence et de Les suites habituelles d’une séance responsabilité pour celle ou celui qui d’épilation sont la présence d’une la met en œuvre. rougeur transitoire (quelques heures). C’est pourquoi un certain nombre de Dans le cas d’une lésion vasculaire, il précautions sont nécessaires, permet- est fréquent d’observer un œdème tant d’aboutir à ce que l’on pour- 6. Utiliser des appareils validés par une localisé, ainsi que rait appeler une commission d’expert (le marquage CE la formation de bonne pratique de n’est sans doute pas suffisant dans ce fines croûtelles. la Lumière Intense domaine) ou bien distribués par une Pulsée en milieu société commerciale accréditée. esthétique. 7. Exercer son activité dans un envi- 1. Avoir reçu une ronnement adéquat, tenant compte des règles élémentaires de sécurité Quant aux taches pigmentaires, elles deviennent d’em- Manipuler une technologie potentiellement dangereuse pose un blée plus foncées problème de compétence formation solide avant de s’éliminer et de responsabilité théorique et (cabine close, port de lunettes, pas de progressivement pour celle ou celui pratique, forma- miroir, extincteur…). tion sanctionnée 8. Avoir une assurance en responsa- par un diplôme. bilité professionnelle correspondant en quelques jours. qui la met en œuvre. Lorsque l’énergie délivrée a été trop 2.Avoir l’obligation spécifiquement à cette activité. importante ou quand la peau est de réactualiser cette formation de 9. Avoir un contrat d’entretien brune, le risque est d’avoir des brûlures façon régulière. annuel avec une société spécialisée. du premier voire du deuxième degré 3. Respecter de façon absolue les appli- 10.Déclarer tous les incidents survenus avec cloques et formation de croûtes. cations non médicales à savoir : dans la pratique de l’IPL à un comité Des réactions d’hyperpigmen tation temporaires peuvent se •Épilation durable •Photoréjuvenation de vigilance. 11. Respecter la déontologie en évitant produire, de même que des zones 4. Appliquer à leur clientèle les mêmes les publicités tapageuses et/ou d’hypopigmentation. obligations que les médecins dans mensongères (épilation définitive en leurs domaines : 3 séances ; disparition des rides…). Signalons enfin deux risques classiques liés au maniement de la lumière en général et qui doivent impérativement être prévenus : • Les risques oculaires liés à l’action • •Information détaillée •Consentement éclairé •Délai de réflexion •Devis Dossier client Cette liste de recommandations, non exhaustive, pourrait faire l’objet d’une charte de bonnes pratiques, dans l’esprit de la proposition que j’avais de la lumière intense sur la rétine qui 5. Recourir à un avis médical dès lors présentée devant le tribunal de Caen rend obligatoire le port de lunettes qu’un doute existe par rapport à un en 2001 pour défendre une esthéti- aussi bien pour le patient que pour cas particulier (pilosité pathologique, cienne de cette région victime d’une l’opérateur. lésion cutanée douteuse…). plainte. l 61