PREMIÈRES RECHERCHES SUR LA FÉCONDABILITÉ DE LA
Transcription
PREMIÈRES RECHERCHES SUR LA FÉCONDABILITÉ DE LA
P R E M I È R E S RECHERCHES SUR LA FÉCONDABILITÉ DE LA F E M M E PAR M. CORRADO G I N I , Professeur à V Université de Rome, Rome, Italie. J'appelle fécondabilité de la femme la probabilité que la femme mariée soit fécondée dans le mois, abstraction faite de toute pratique malthusienne ou néo-malthusienne destinée à limiter la procréation. Il est inutile d'insister sur l'importance théorique et pratique qu'aurait la mesure de la fécondabilité. Nous aurions en particulier le moyen de décider quelle partie des différences que l'on observe entre les coefficients de natalité de différents pays, de différentes classes sociales, de différentes époques provient de causes physiologiques et quelle partie provient de causes volontaires. Il est inutile aussi de s'arrêter à démontrer que l'on ne peut pas mesurer directement la fécondabilité. On comprend aisément en effet que l'on n'est pas en état de mesurer les conséquences des pratiques malthusiennes et néomalthusiennes sur la natalité. Nous ne connaissons pas d'ailleurs la fréquence des avortements ovulaires qui ont lieu dans les premiers mois de la grossesse. On peut, au contraire, songer à une mesure indirecte de la fécondabilité, basée sur les considérations qui suivent. Supposons que les femmes mariées, disponibles pour la procréation, soient, pendant toute la période considérée, au nombre de n et aient toutes la même fécondabilité p. Dans ces hypothèses, le nombre des femmes qui, après le mariage, seraient fécondées pour la première fois dans le premier mois, sera pn; le nombre des femmes qui, après le mariage, seraient fécondées pour la première fois dans le deuxième mois, sera (l—p).pn; le nombre des femmes qui, après le mariage, seraient fécondées pour la première fois dans le troisième mois, sera (l—p)2.pn, et ainsi de suite. Or, les nombres que l'on obtient de la sorte constituent une progression géométrique, dont la raison est 1—p. En supposant que le pourcentage des avortements (ou des avortements et des morts-nés) et de même le pourcentage des grossesses plus longues ou moins longues que 9 mois soient les mêmes pour les produits des conceptions qui se sont effectuées dans les mois successifs du mariage, on peut substituer, au rapport entre les premières conceptions qui se sont effectuées dans le mois x+l du mariage et les premières conceptions qui se sont effectuées dans le mois précédent x, le rapport entre les premiers nés (ou respectivement les premiers nés vivants) venus au monde dans le mois x + 1 0 du mariage, et les premiers nés (ou respectivement les premiers nés vivants) venus au monde dans le mois x + 9 . 890 CORRADO G I N I Il est évident que la valeur de p, à laquelle on parvient par cette voie, est indépendante du nombre plus ou moins grand des femmes mariées qui ne sont pas disponibles pour la procréation, soit à cause de la stérilité du mariage, soit à cause des pratiques malthusiennes ou néo-malthusiennes. Il est évident aussi qu'elle est indépendante de la fréquence des avortements et des morts-nés. La valeur de p ainsi déterminée mesurerait donc, dans les hypothèses sus-mentionnées, la fécondabilité des femmes fécondables. Parmi ces hypothèses, il y en a pourtant une qui, évidemment, ne répond pas à la réalité: c'est l'hypothèse que toutes les femmes mariées fécondables aient la même fécondabilité p. Cette circonstance, dont on ne peut pas faire abstraction, n'empêche pas de parvenir à la mesure de la fécondabilité; la voie à suivre est pourtant un peu plus longue. Soit s—n le nombre des groupes dans lesquels les n femmes mariées peuvent être classées d'après leur fécondabilité, pi (^=1, 2,. . . ,s) étant la fécondabilité des femmes du groupe i et nix le nombre des femmes du groupe i qui, dans le mois x après le mariage restent encore à féconder. La valeur probable du nombre des femmes qui, après le mariage, sont fécondées s pour la première fois dans le mois x, sera S ^ - n ^ ; et la valeur probable du i nombre des femmes qui, après le mariage, sont fécondées pour la première fois s dans le mois suivant x + 1 sera 2 ^ ( 1 — ^ ) ^ 7 ^ . La valeur probable du rapport i entre le second et le premier nombre (si l'on convient de donner à chacune des valeurs possibles du rapport un poids proportionnel à la probabilité que cette valeur se réalise et au nombre qui en constitue le dénominateur) sera: %i(l-pùPinix ^iphix = 1- ^iPïKix 1 Mais — î ^iPi^iX 1 est précisément la valeur probable de la fécondabilité moyenne ^iPi^ix 1 des femmes qui, après le mariage, sont fécondées pour la première fois dans le mois x. Nous pourrons donc déduire la fécondabilité moyenne des femmes qui, après le mariage, sont fécondées pour la première fois dans le mois x, du complément à l'unité du rapport entre les femmes qui, après le mariage, sont fécondées pour la première fois dans le mois x + 1 et les femmes qui, après le mariage, sont fécondées pour la première fois dans le mois x. Ce calcul suppose justement les hypothèses suivantes, que l'on peut admettre sans difficulté: RECHERCHES SUR LA FÉCONDABILITÉ DE LA FEMME 891 (a) le nombre des femmes qui, dans le mois x étaient fécondables pour la première fois, après le mariage, et n'ont pas été fécondées dans ce mois, est égal au nombre des femmes qui, dans le mois x + 1 sont fécondables pour la première fois après le mariage. Cela revient à dire que l'on peut négliger les effets, d'un mois au mois suivant, de la mortalité, des migrations, des passages de la catégorie des femmes mariées non fécondables à la catégorie des femmes fécondables pour la première fois après le mariage (par exemple par cessation des pratiques limitatrices de la procréation, ou par élimination de la cause de la stérilité), ainsi que des passages inverses de la deuxième catégorie à la première (par exemple par effet de stérilité survenue ou d'adoption de pratiques limitatrices) ; (b) dans chacun des s groupes des femmes fécondables pour la première fois après le mariage, la fécondabilité n'a pas varié du mois x au mois x + 1.. En supposant en outre (hypothèse c) que la probabilité des avortements (ou des avortements et des morts-nés) ainsi que la probabilité d'une durée de la gestation supérieure ou inférieure à 9 mois, soient les mêmes pour les produits conçus dans le mois x et pour ceux conçus dans le mois x + 1, on pourra substituer, au rapport entre les femmes qui, après le mariage, sont fécondées pour la première fois dans le mois # + 1 et les femmes qui, après le mariage, sont fécondées pour la première fois dans le mois x, le rapport entre les premiers nés (ou respectivement les premiers nés vivants) du mariage qui sont venus au monde dans le mois x + 1 0 et les premiers nés (ou respectivement les premiers nés vivants) du mariage qui sont venus au monde dans le mois x + 9. On pourra par conséquent obtenir la mesure de la fécondabilité moyenne des primipares qui, après le mariage, ont conçu pour la première fois dans le mois x. Cette fécondabilité, à son tour, pourra être regardée comme sensiblement égale à la fécondabilité des primipares qui ont eu leur enfant dans le mois x + 9 du mariage. Le complément à l'unité du rapport entre les premiers nés (ou les premiers nés vivants) du mariage venus au monde dans le mois x + 10 et les premiers nés (ou respectivement les premiers nés vivants) du mariage venus au monde dans le mois x + 9 , nous donnera, par conséquent, dans les hypothèses (a), (b), (c) une mesure approximative de la fécondabilité moyenne des primipares qui ont eu leur enfant dans le mois x + 9 du mariage. Si on calcule la moyenne des rapports entre les premiers nés des mois du mariage x + 1 0 et x + 9 , x + 1 1 et x + 1 0 . . . ., x + ^ + 10, et x + ^ + 9 en donnant à chaque rapport un poids proportionnel au dénominateur, et si l'on prend le complément de cette moyenne à l'unité, on obtiendra, dans les hypothèses (a), (b), (c), une mesure approximative de la fécondabilité moyenne des primipares qui ont eu leur enfant dans les mois du mariage de x + 9 à x + ^ + 9. Voici les résultats obtenus pour quelques États. Ils se basent sur des données publiées par les statistiques officielles, sauf pour l'Italie, pour laquelle les données sont le fruit de recherches spéciales établies sur les registres d'étatcivil de 24 communes: 892 CORRADO GINI Fécondabilité moyenne des primipares qui ont eu leur enfant pendant les mois suivants du mariage: Pays Berlin Confédération australienne. Australie occidentale Nouv. Galles du Sud Victoria Tasmanie Italie (24 communes) Années 10-17 11-17 10-23 11-23 1894-1895 1917-1921 1895-1915 1893-1905 et 1916-1921 1898-1900 1905-1906 1900-1921 26.1 19.4 23.9 24.4 20.6 22.7 23.0 18.5 21.9 20.6 19.2 20.2 20.6 22.2 18.9 19.7 21.0 24.4 23.8 21.0 21.4 18.6 L'uniformité des résultats obtenus est remarquable, surtout lorsqu'on exclut du calcul les premiers nés venus au monde pendant le 10e mois du mariage, correspondant aux conceptions du premier mois du mariage. Pour le rapport entre les conceptions du 1 er et celles du 2e mois du mariage, on ne peut pas en effet admettre la validité de l'hypothèse (a), la fécondabilité étant, dans le premier mois, moindre que dans le 2e, à cause de la fréquente virginité de l'épouse, ni celle de l'hypothèse (c), les avortements ovulaires étant spécialement fréquents pour les produits conçus dans le premier mois à cause des voyages de noces et peut-être d'autres circonstances. L'obstacle à la fécondation représenté par la virginité augmente naturellement d'importance avec l'âge de l'épouse, mais, le premier mois passé, il ne paraît pas que la fécondabilité pour les épouses âgées soit plus faible que pour les plus jeunes. C'est là un résultat remarquable qui est mis en lumière par les données de la Confédération australienne pour la période 1907-1914, ainsi que par celles des Nouvelles-Galles du Sud pour la période 1893-1898. Un autre résultat important est que la diminution de la natalité qui s'est vérifiée de 1901/2 à 1911/12 dans le Royaume de Saxe, et qui a atteint la mesure de 50%, ne parait pas avoir été accompagnée par une diminution de la fécondabilité des primipares. Les méthodes et les résultats résumés dans cette note sont exposés avec des détails complémentaires dans deux mémoires présentés à 1'«Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti» le 1er juillet 1923 et le 13 juillet 1924, et dans l'article Decline in the Birth-rate and 'Fecundibility' of Women, in The Eugenics Review, January, 1926. Des recherches ultérieures sont en cours qui pourront peut-être permettre de recueillir d'autres résultats intéressants dans le nouveau domaine que la méthode proposée paraît ouvrir à la recherche statistique.