Les Swinging Sixties en Angleterre (1964-1970)
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Les Swinging Sixties en Angleterre (1964-1970)
Bertrand Lemonnier Les Swinging Sixties en Angleterre (1964-1970) ©Editions Berlemon 2014. 125 pages. Toute reproduction interdite. 1 TABLE DES MATIERES Introduction p. 3 CHAPITRE 1………………………………………………………………. p.4 Le travaillisme wilsonien au pouvoir - Les leaders : Harold Wilson et Edward Heath - Elections et pratiques du pouvoir - Réformes et vie politique CHAPITRE 2……………………………………………………………….p.23 La quête d'une stratégie économique et sociale - Les difficultés économiques et financières - Un bilan entrepreneurial contrasté - Planification, politique industrielle et essor technologique - La dégradation des relations industrielles CHAPITRE 3……………………………………………………………… p.42 Les révisions de la politique étrangère - L'Angleterre, le Royaume-Uni et le Commonwealth - Vers l'intégration européenne - Les rapports anglo-américains et la contestation de la guerre du Vietnam CHAPITRE 4……………………………………………………………… p.54 Les mutations de la société - Les peurs sociales : immigration et délinquance - Inégalités sociales et régionales - La civilisation des loisirs - La permissive society CHAPITRE 5……………………………………………………………….p.77 Les transformations culturelles - L'Etat, la culture et l'éducation - Le rôle central des médias - Mod et Pop : l'esprit des Sixties Conclusion…………………………………………………………………. p.110 Bibliographie………………………………………………………………. p.111 Discographie……………………………………………………………….. p.115 Liste des tableaux………………………………………………………….. p.117 Index 2 INTRODUCTION En octobre 1964, après treize années de gestion conservatrice, le leader travailliste Harold Wilson devient Premier ministre, bien décidé à moderniser la Grande-Bretagne et à "relever les défis du futur". Par sa personnalité et son sens politique, Wilson marque de son empreinte une période qui se caractérise par des mutations accélérées : avancées scientifiques et technologiques, progrès du niveau de vie et de la consommation, triomphe des médias et de la culture de masse, essor d'une société plus tolérante et plus "permissive". Le pays n'en demeure pas moins, à bien des égards, l"homme malade de l'Europe" et le diagnostic est inquiétant. La croissance économique reste globalement décevante et la monnaie fragile ; les ambitieux programmes économiques et sociaux ont des effets limités, tandis que les relations industrielles se dégradent ; la politique étrangère est marquée par la "révision déchirante" des objectifs de grande puissance mondiale. En dépit d'un bilan très contrasté, les années 1964-1970 n'ont rien perdu de leur pouvoir de fascination, ne serait-ce qu'à travers l'épopée des Beatles et des Rolling Stones, le Swinging London ou les grandes séries télévisées. Les années Wilson se confondent en grande partie avec le Golden Age des Sixties et la mémoire des peuples demeure sélective, oubliant les difficultés pour se souvenir d'avoir vécu une période exceptionnelle à bien des points de vue. Cet ouvrage reprend en partie le contenu de The Wilson Years, publié voici quinze ans à l'occasion de programmes de l'agrégation d'anglais. L'objectif demeure toutefois identique : proposer une courte mais rigoureuse synthèse d'une période assez exceptionnelle et aujourd'hui mieux balisée par l'historiographie britannique. Il serait vain de prétendre être exhaustif sur ces quelques années décisives dans l'histoire occidentale ; l'essentiel est d'appréhender ce qui fait la cohérence et l'originalité de la deuxième moitié des années 60, d'analyser aussi la nature des profonds changements qui touchent la vie quotidienne des Britanniques. Certains lecteurs pourront regretter le peu de place accordée, par exemple, à la littérature ou aux arts, mais nous avons voulu privilégier ce qui fait d'abord l'esprit d'une époque révolue mais encore largement présente dans les mémoires. Entre mythes durables et dures réalités, les Swinging Sixties méritent un détour ! 3 Chapitre 1 Le travaillisme wilsonien au pouvoir Harold Wilson, l'homme à la pipe Les leaders : Harold Wilson et Edward Heath En 1964, à la veille d'élections générales très incertaines, ce sont les hommes et leurs personnalités qui peuvent faire la différence. Dans le camp travailliste, Harold Wilson s'est rapidement imposé après le décès en janvier 1963 d'Hugh Gaitskell, incontestable leader depuis 1955. Dans le camp conservateur, l'image des Tories est singulièrement écornée depuis 1963, en raison de scandales impliquant des membres du gouvernement. En 1962, l'affaire Vassall met en cause pour espionnage un haut-fonctionnaire de l'Amirauté et compromet par voie de conséquence deux ministres (dont Lord Carrington); en 1963 l'affaire Profumo devient un scandale national sans équivalent depuis 1945. Cet épisode peu glorieux a des conséquences politiques très sérieuses. Au centre de "l'Affaire", il y a le secrétaire d'Etat à la Guerre, John Profumo, qui entame en 1961 une liaison amoureuse avec une très jeune femme, Christine Keeler, une demi-mondaine aux mœurs douteuses. Les "révélations" que fait la jeune femme à la presse en janvier 1963 inquiètent le pouvoir politique, dans la mesure où l'attaché naval à l'ambassade soviétique à Londres est impliqué dans cette affaire. En février 1963, Profumo se défend très mal et affirme à la justice que ses relations avec Miss Keeler ont été "entièrement innocentes", mensonge qu'il réitère en mars à la Chambre des Communes. En juin, acculé par l'opinion, les journaux et ses amis politiques, Profumo est contraint de démissionner, tandis qu'un rapport officiel innocente d'autres hommes politiques aux prises avec la rumeur et considère que la sécurité du Royaume n'a pas été menacée. Parallèlement, Christine Keeler devient une vedette des médias, sollicitée par tous les journaux populaires en mal de sensationnel. 4 Ces affaires ont pour effet de déstabiliser le Premier ministre Harold Macmillan, jouissant pourtant depuis 1959 d'une très bonne cote de popularité (79% d'opinions favorables en 1960, record de l'après-guerre!). Affaibli également par la maladie, Macmillan se résigne à la démission en 1963 ; il est remplacé par Lord Home, qui renonce à la pairie pour être nommé Premier ministre sous le nom d'Alec Douglas-Home. Le nouveau gouvernement conserve la même ligne politique que celle de Macmillan, tout en faisant entrer la jeune garde conservatrice (Edward Heath et Anthony Barber). Il a ceperdant la lourde tâche de préparer et d'affronter les élections d'octobre 1964. Le contexte politique est donc favorable à Harold Wilson, qui ne pouvait guère imaginer en 1960 devenir le prochain Premier ministre britannique. C'est l'apogée d'une brillante carrière politique, commencée après la Seconde guerre mondiale dans le gouvernement Attlee, et qui se poursuivra dans les années 70 (Wilson est Premier ministre de 1974 à 1976, jusqu'à son remplacement par James Callaghan). Né en 1916 à Huddersfield (entre Manchester et Leeds) et mort en 1995, James Harold Wilson (anobli en 1976 sous le nom de Baron Wilson of Rievaulx) est incontestablement l'une des grandes figures politiques de l'après-guerre, même s'il ne peut être comparé à des hommes de la stature d'un Winston Churchill. Il entre au 10, Downing Street à 48 ans, ce qui fait de lui le plus jeune Premier ministre du siècle — jusqu'à Tony Blair, 44 ans aux élections de mai 1997. Ses origines "modestes" ont maintes fois servi d'argument électoral. Dans le système hiérarchisé des classes britannique, Wilson est plus précisément issu d'une lower middle class provinciale (le Yorkshire), non conformiste et plutôt d'opinion libérale. Il fait ses études à la Wirral Grammar School de Bebington (Cheshire) et ne fait donc pas partie du cercle fermé des anciens élèves des public schools. Boursier d'Oxford, il y fait de très brillantes études (Jesus College) en philosophie politique et économie (PPE), obtenant de nombreuses distinctions et récompenses. Trésorier du Club libéral de l'Université, il n'a guère de sympathie pour la "jeunesse dorée du marxisme" — ce sont ses propres termes — qui dominent le Club travailliste du même établissement. Nommé enseignant à Oxford, il travaille notament sur le chômage sous la direction du professeur William Beveridge (libéral), l'auteur en 1942 du rapport sur les assurances sociales et l'un des grands architectes du Welfare State. Sa carrière politique débute véritablement après la Seconde guerre mondiale, avec un certain nombre de postes ministériels dans le gouvernement Attlee, notamment la présidence du Board of Trade. Il démissionne en 1951 avec les Bevanistes (gauche du parti) et se consacre alors à des activités très diverses. 5 Membre du shadow cabinet à la suite du retour au pouvoir des Conservateurs, il prône une modernisation du Labour. Il s'investit pleinement dans sa tâche parlementaire (il est député de Huyton, faubourg de Liverpool), tout en gardant des liens étroits avec le monde de l'entreprise comme consultant. Il est alors réputé pour être un excellent technocrate, mais un homme politique de second plan. Par des traditions familiales et son attachement à William Beveridge, Wilson aurait pu devenir le leader d'un parti libéral rénové, mais son ambition et il se convertit très progressivement au travaillisme. Une conversion de raison, non de passion. En réalité, depuis 1947, Wilson a laissé de côté le dogmatisme idéologique pour adopter une ligne politique très prudente — c'est-à-dire majoritaire — au sein du Labour. Plutôt de centre-droit de 1947 à 1951, puis de centre-gauche dans les années 50, il s'attire une relative méfiance de la gauche comme de la droite du parti. Jusqu'à la fin des années 50, les idées politiques de Wilson sont plus ou moins associées à celles d'Aneurin Bevan, un mineur gallois devenu l'un des grands tribuns du Parti travailliste, attaché à un socialisme non marxiste très proche du trade-unionisme. S'il conteste en 1960 la réélection de Gaitskell au poste de leader, c'est moins par fronde idéologique — Wilson défend le maintien de la clause 4 du parti et l'extension des nationalisations — que par ambition personnelle. Gaitskell parvient d'ailleurs l'année suivante à imposer sa vision pragmatique et très modérée de l'avenir du mouvement travailliste (Signposts for the Sixties, 1961), qui servira largement de base électorale à son successeur politique. L'arrivée de Wilson à la tête du Labour en 1963 ne produit donc pas de révolution interne et de crise majeure. Le nouveau leader est se positionne "à gauche du centre", mais il est bien devenu un "centriste", décidé à rassembler la gauche et la droite autour d'une image rénovée et "moderne" du travaillisme de gouvernement (ce que certains sont appelé ironiquement le parti "conservailliste"). La campagne de 1964 est à cet égard révélatrice de la tactique politique de Wilson : les propos anti-américains ont disparu des discours, le rôle mondial de la Grande-Bretagne est de nouveau d'actualité — y compris "à l'Est de Suez". Face à des conservateurs décontenancés et à une gauche travailliste qui n'a aucune solution de rechange, le futur Premier ministre donne l'image d'un leader patriote que ne renieraient pas certains tories. Ce qui n'empêche pas une critique extrêmement sévère — et injuste — des thirteen wasted years conservatrices. L'homme ne manque pas de qualités, à la fois politiques et humaines. Pragmatique, intelligent et cultivé, il se forge très habilement dans les médias 6 une image de méritocrate et de bon père de famille aux goûts simples (le fumeur de pipe qui regarde la télévision), ce qui le rend populaire dans les classes moyennes inférieures, souvent hostiles à l'Establishment politique. Il manifeste un intérêt non feint pour la famille et la religion (il est méthodiste et marié à la fille d'un pasteur), tout en apparaissant très ouvert au changement et au modernisme. Il aime le sport et la musique, s'intéresse aux sciences et aux technologies et il apparaît en cela proche des préoccupations des nouvelles générations (les 20-40 ans), même si l'homme est loin d'être aussi cool et with-in que la jeunesse remuante des Swinging Sixties. L'idée-force de ses programmes politiques (en 1964 comme en 1966 et 1970) demeure l'adaptation de la GrandeBretagne au monde futur. Cette adaptation demande certes du temps, mais aussi des efforts en matière d'éducation et de culture, des audaces en matière technologique, ainsi qu'un rôle accru de l'Etat, tout à la fois éducateur, planificateur, investisseur, réformateur… Base du travaillisme d'après-guerre, le Welfare State demeure la clé de voûte du système social, mais il s'inscrit dans une autre perspective que celle des années 50. Wilson mise sur une prospérité durable et l'augmentation générale du niveau de vie, sur l'atténuation des barrières sociales et des inégalités régionales, en bref il appele de ses vœux une classless society prospère et réunie autour d'un projet moderne et fédérateur. Assez peu contesté, parceque mal connu avant 1963, l'homme Wilson n'a pu masquer durant ses années de pouvoirs ses défauts les plus évidents : une tendance à l'autoritarisme et à gouverner en solitaire (hors une petite équipe de familiers), une certaine irrésolution (prudence?) politique, une tendance à l'intrigue, au technocratisme, une image trop superficielle, une absence de véritable idéal politique et parfois un entêtement irraisonné (ainsi dans son refus de dévaluer la £). Mais ce sont là des défauts banals dans le monde politique, et il faudrait plutôt insister sur le caractère novateur de la personnalité de Wilson sur l'échiquier politique des années 60. Tout comme Macmillan — surnommé SuperMac — avait surpassé Gaitskell par son habileté professionnelle à la radio, à la télévision, dans la presse comme à la Chambre des Communes, Wilson écrase tous ses adversaires potentiels par son sens de la communication. L'usage très habile qu'il fait de ses "origines modestes" ou "humbles" (son père était un ouvrier chimiste qualifié à Huddersfield) pousse même les Conservateurs à rompre avec leurs traditions élitistes et à se choisir un leader tout aussi "humble", "ordinaire" et "méritocrate", en la personne d'Edward Heath. Une étude comparée des deux grands leaders des années 64-70 ne manque pas d'intérêt et permet de tirer des enseignements sur les nouvelles mœurs 7 politiques britanniques. On a souvent relevé les ressemblances entre Wilson et Heath : même âge, même milieu modeste, même éducation (grammar school, puis Oxford), mêmes études d'économie et politique, mêmes qualités de technocrate et de gestionnaire, même intérêt pour les nouvelles technologies, une passion commune pour le sport et la musique, ainsi que des convictions religieuses et morales affirmées. Edward Heath, né en 1916, est pourtant issu d'une famille encore plus modeste que celle de Wilson — son père fut un petit charpentier à la tâche avant de créer sa petite entreprise et sa mère fit des ménages — mais dans une bourgade plus bourgeoise qu'Hudderfields, Broadstairs, petite station balnéaire sur le déclin et fief conservateur depuis des lustres. Les études à Chatham House (la grammar school locale), puis au Balliol college d'Oxford n'ont pas le brillant de celles de Wilson, mais le jeune Ted est un peu artiste, jouant bien du piano et espérant devenir un jour chef d'orchestre. Les futurs ministres travaillistes Roy Jenkins et Denis Healey fréquentent aussi le Balliol college, mais pas dans le même camp politique : Edward Heath est alors président de l'Union des étudiants d'Oxford et de l'Association conservatrice de la même université. Après une guerre "honorable", Heath devient fonctionnaire dans l'administration civile, puis travaille dans une banque. C'est en 1950 qu'il devient MP d'un faubourg de Londres, Bexley et qu'il adhère au groupe réformateur One Nation, avec la jeune garde tory des Powell, Maudling et Macleod. Son ascension politique est alors très progressive, dans l'ombre de Churchill puis de Macmillan : chef des Whips conservateurs en 1955, ministre de 1959 à 1964 (chargé notamment de l'adhésion au Marché Commun, puis du commerce), avec une temporaire disgrâce à la fin de l'ère Macmillan. La meilleure chance de Heath est incontestablement la défaite conservatrice de 1964, qui lui permet de s'imposer dès 1965 comme leader aux dépens de R.Maudling. Pour la première fois dans son histoire, le parti conservateur se donne un leader issu du monde ouvrier. Critiqué après la défaite électorale de 1966 — notamment par la droite du parti et par quelques aristocrates méprisants et révanchards —, Heath attend patiamment son heure et compte sur les fautes de son adversaire travailliste. Il modèle aussi son image. Moins brillant et beau-parleur que Wilson à la radio et à la télévision, le célibataire Heath ne peut guère s'appuyer sur la famille ; il préfère cultiver dans les années 60 une image de sportif de haut-niveau, à travers la pratique assidue (et très remarquable) de la voile. Les élections de 1970 sont pour Heath un triomphe personnel, mais aussi la récompense d'années de patience politique. 8 Elections et pratiques du pouvoir Les élections générales à la Chambre des Communes rythment la vie politique britannique tous les 5 ans, sauf en cas (fréquent) d'élections anticipées. Avant 1964 se sont déroulés cinq scrutins : ceux de juillet 1945 et de février 1950 ont vu la victoire des Travaillistes menés par Clement Attlee, ceux d'octobre 1951 , mai 1955 et octobre 1959 la victoire des Conservateurs, menés par Churchill puis par Macmillan (cf. tableau 1) Tableau 1 Les élections générales et les Premiers ministres depuis 1945 Année 1945 1950 1951 1955 1959 Conserv. 39,8 43,5 48 49,7 49,4 Labour 47,8 46,1 48,8 46,4 43,8 Centre* 9 9,1 2,5 2,7 5,9 1964 1966 1970 1974 (fév.) 1974 (oct.) 1979 1983 1987 1992 1997 2001 2005 2010 Autres 2,8 1,3 3 3,9 2,5 43,4 41,9 44,1 47,9 11,2 8,5 1,5 2,3 46,4 37,9 35,8 43,9 43,5 42,3 41,9 31,4 31,7 32,4 36,1 43 37,1 39,2 36,9 28,3 30,8 34,4 44,4 40,7 35,2 29 7,5 19,3 18,3 13,8 25,4 22,6 17,8 17,2 18,3 22 23 2,7 5,7 6,7 5,4 4,6 4,3 5,8 7 9,3 10,4 11,9 PM** ATTLEE ATTLEE CHURCHILL EDEN MACMILLAN WILSON WILSON HEATH HEATH WILSON THATCHER THATCHER THATCHER MAJOR BLAIR BLAIR BLAIR puis BROWN CAMERON * Libéraux jusqu'en 1979, puis Alliance en 1983 et 1983 et Libéraux-Démocrates en 1992 et 1997 ** Premiers ministres accédant à ce poste (ou confirmés) après les élections générales. Certains PM n'accèdent à cette fonction qu'après des démissions : MACMILLAN en 1957 suite à la démission de EDEN, DOUGLAS-HOME en 1963 suite à la démission de MACMILLAN, CALLAGHAN en 1976 suite à la démission de WILSON, MAJOR en 1990 suite à la démission de THATCHER, BROWN suite au retrait annoncé de BLAIR en 2007. Les années Wilson sont marquées par trois élections générales, qui se suivent à des termes relativement rapprochés : 15 octobre 1964, 31 mars 1966 et 18 juin 1970 (Tableau 2). Les élections de 1964 se déroulent au terme normal, dans un contexte d'usure du pouvoir conservateur, mais avec des résultats très incertains. La victoire des Travaillistes de Wilson est d'ailleurs très faible, 9 Tableau 2 : les résultats des élections générales (1964-1970) 1964 1966 1970 sièges votes % sièges votes % sièges votes % Cons. 304 12001396 Lib. 5 3092878 Trav. 317 12205814 43,3 11,2 44,1 253 12 363 11418433 41,9 2327533 8,5 13064951 47,9 330 6 287 13145123 46,4 2117035 7,5 12179341 43 Autres 0 348914 Total 630 27655374 1,3 100 2 630 452689 7 27263606 100 7 630 903299 28347798 3,1 100 puisque le Labour n'obtient que cinq sièges de majorité aux Communes, avec un écart de 0,7% en nombre de votes. Il s'agit donc plus d'une défaite conservatrice (49,4% des voix et 365 sièges en 1959) que d'une victoire travailliste (43,8% et 258 sièges la même année). L'échec est particulièrement patent pour Alec Douglas-Home, qui espérait bien renverser une tendance négative depuis les scandales de 1962-63. En revanche, le surprise vient du bon résultat des Libéraux, menés par Joseph Grimond. Cet avocat de 51 ans , député depuis 1950, espère faire renaître en Angleterre la grande force politique libérale, en déclin depuis l'entre-deux-guerres. Avec 11,2% des voix, les Libéraux obtiennent leur meilleur résultat depuis 1954, score qu'ils ne dépasseront qu'en 1974. De toute évidence, Jo Grimond n'a pas trop souffert de l'effet négatif d'une indiscrétion révélée par le magazine satirique Punch avant les élections, selon laquelle le leader libéral aurait parlé des Beatles comme "quatre tignasses à demi-illettrées de Liverpool"; il faut dire que la surenchère démagogique des autres formations à propos du groupe a souvent atteint les limites du ridicule, ainsi l'equal time Beatles Pact signé de manière informelle entre Conservateurs et Travaillistes. Les autres formations — Communistes, Nationalistes écossais et gallois, Républicains irlandais et Indépendants — n'ont alors guère de réprésentativité. En 1965, la majorité parlementaire travailliste tombe à 3 sièges à la suite d'une élection partielle, mais la tendance de 1966 reste favorable au Labour selon les différents sondages d'opinion. L'élection partielle de Hull North, gagnée par les Travaillistes, conforte Wilson dans sa décision de dissoudre le Parlement et de provoquer de nouvelles élections générales. Ces élections n'ont d'autre but que de tester la popularité du Premier ministre et la confiance que lui accordent les Britanniques, tout en assurant une représentation 10 parlementaire plus confortable. Le programme Time for Decision insiste sur le caractère durable de l'alternance : you know Labour governement works dit un slogan, tandis que les Tories répondent par Action not Words, à travers un programme très conservateur sur le plan économique et social. Les libéraux se positionnent "ailleurs", dans le rôle d'un parti alternatif, aux positions de plus en plus radicales (écologie, régionalisme, droits des minorités, réduction des dépenses militaires), mais aussi très européennes. Toutefois, le parti libéral ne peut espérer devenir un parti de gouvernement sans une réforme de la loi éléctorale et les millions de suffrages qui se portent sur lui ne lui donnent qu'un très médiocre représentation aux Communes. Encore plus qu'en 1964, la campagne est très médiatisée, se résumant à un "combat des chefs" (Wilson-Heath-Grimond), sans danger pour le Premier ministre au pouvoir. Comme attendu, les Travaillistes remportent en 1966 une victoire confortable (+ 3,8% des voix et un gain de 46 sièges), tandis que les Conservateurs retrouvent leur étiage du début des années 50. La victoire est trompeuse. Dès l'année suivante, les élections locales montrent bien l'érosion du parti travailliste, sur fond de difficultés économiques et sociales: les Conservateurs prennent le contrôle du Greater London Council, ainsi que de nombreuses grandes villes (Birmingham, Bristol, Cardiff, Coventry, Liverpool — fief électoral de Wilson—, Manchester, Nottingham, Plymouth, Southampton et bien d'autres). Au sein du parti, la gauche — rassemblée notamment dans le groupe Tribune — se démarque de plus en plus de la politique de leur chef, surtout en matière de politique étrangère. Tribune est le nom d'une revue fondée par Sir Stafford Cripps, chancelier de l'Echiquier entre 1947 et 1950. Michael Foot, ancien bevaniste et militant antinucléaire et pacifiste, en est le directeur, prompt à critiquer Wilson et son gouvernement, "vendus" selon lui aux banquiers de la City, aux Américains et aux Rhodésiens. Sur un sujet aussi délicat que l'intégration européenne, les travaillistes de gauche comme Michael Foot ou Richard Crossman rejoignent des Travaillistes de droite (ainsi Douglas Jay) dans leur refus d'entrer dans le marché Commun des Six. L'idéal de la Little England dépasse les clivages politiques traditionnels. Un certain nombre d'hommes de la génération de Wilson commencent aussi à marquer leurs différences. Roy Jenkins, un fils de mineur passé par Oxford, ministre de l'Intérieur puis des Finances, européen convaincu, attend patiamment son heure ; Denis Healey, ancien communiste devenu antisoviétique, ministre de la défense de 1964 à 1969, ne cache pas ses ambitions personnelles ; James Callaghan, issu du peuple et proche du peuple, ministre des Finances puis de l'Intérieur, est un farouche défenseur du pouvoir syndical 11 et ne manque pas de le faire savoir. Un peu plus jeune que ces trois "prétendants" (seul Callaghan deviendra Premier ministre), Anthony Wedgwood (dit Tony) Benn apparaît comme le véritable fils putatif de Wilson et le représentant d'une gauche travailliste moderne et sans complexes. Les années 1968 et 1969 ne sont guère favorables à Wilson, dont la popularité s'effrite. Le programme du Congrès travailliste de 1969, Agenda for a Generation, tente non sans succès de redynamiser des troupes un peu démobilisées. La meilleure conjoncture du début de l'année 1970 pousse Wilson à chercher une deuxième fois une sorte de plébiscite populaire. Il annonce le 18 mai la dissolution du parlement, pour un scrutin fixé le 18 juin. La campagne est courte, toujours très personnalisée (Wilson, Heath et Thorpe pour les Libéraux). Les travaillistes ont une fois de plus tout misé sur la personnalité de leur leader, dont la confiance est totale : now Britain's strong let's make it great to live in, tel est le grand slogan du Labour wilsonien. Le temps est exceptionnellement clément (the fine weather campaign, disent les journaux), les sondages sont très bons et Edward Heath ne paraît pas soutenir la comparaison médiatique avec Wilson. La défaite de juin est donc un coup extrêmement rude — et inattendu — pour le Labour, une divine surprise pour les Tories. L'excès de confiance, l'usure du pouvoir, les maladresses politiques de Wilson, le bilan économique et social médiocre sont sans doute autant d'éléments d'explication de ce revers. L'ampleur de la déroute est imprévue, tout comme l'échec cuisant des instituts de sondages, qui pronostiquaient une tranquille victoire travailliste : le swing national approche les 5%, 88 circonscriptions changent de majorité, l'électorat jeune — très sollicité après l'abaisssement de la majorité à 18 ans en 1969 — ne s'est guère intéressé au scrutin et les fiefs gagnés par le Labour en 1964-66 son revenus dans le giron conservateur. Ce que Wilson et le Labour n'ont peut-être pas assez bien perçu dans la deuxième moitié des années 60, c'est l'atténuation des conflits idéologiques et la très grande modération de l'électorat. D'une certaine façon, Wilson a su gouverner au "centre", mais il n'a pas toujours su répondre aux attentes d'une majorité électorale qui se conforme de plus en plus aux idéaux de la classe moyenne. Si une très grande majorité des Britanniques — y compris d'ailleurs ceux qui votent conservateurs — restent attachés aux valeurs du Welfare State, l'heure n'est plus comme dans les années 50 à l'acceptation de sacrifices salariaux ou fiscaux. Les Britanniques veulent ressembler aux autres peuples d'Europe occidentale et connaître la même hausse de niveau de vie, la même stabilité économique et les mêmes taux de croissance. L'Etat est de plus en plus critiqué pour sa lourdeur bureaucratique, sa fiscalité pesante, ses contraintes industrielles ; on lui demande en revanche 12 de mieux assurer le respect de la loi et le maintien de l'ordre, dans un contexte de montée de la délinquance. D'une manière générale, les Britanniques aspirent à des degrés divers à plus de libertés indivividuelles et collectives, un idéal que les Travaillistes ne semblent plus représenter à la fin des années 60 dans une partie notable de l'électorat modéré. De 1964 à 1970, l'exécutif est dominé par la personnalité de Harold Wilson, tant et si bien qu'on parle volontiers d'une présidentialisation du régime. Comme le montre le tableau 3, les remaniements sont assez nombreux de 1964 à 1970 et traduisent les aléas de l'action gouvernementale, surtout à partir de 1966. Ces aléas ont au moins deux origines, d'une part la volonté autoritaire de réformer le fonctionnement de l'exécutif, d'autre part la poursuite des querelles intestines au parti de Wilson. La volonté réformatrice de Wilson est réélle. Il s'agit pour lui de rajeunir l'effectif et de revoir les prérogatives des grands ministères d'Etat : c'est ainsi la création du Department of Economic Affairs, distinct du Trésor, d'un Ministère de la Technologie, d'un Ministère du Développement Outre-Mer et d'un Ministère du Territoire et des Ressources Naturelles, la transformation du ministrère de l'éducation en un grand Secretary of State for Education and Science, la création aussi de postes de rang inférieur pour les arts, le sport, la formation professionnelle. L'inflation des postes reste mesurée, en dépit des critiques conservatrices à ce sujet : 101 ministres tous rangs confondus (90 en 1963), dont 25 membre du Cabinet. Le gouvernement est toujours le résultat d'un subtil équilibre sociologique — des notables de l'upper class aux méritocrates de la working class, en passant par toutes les strates de la middle class — et politique. Sur ce dernier point, Wilson ne se contente pas de respecter les tendances de son parti et de faire appel aux syndicalistes, il s'entoure aussi de personnalités étrangères au monde politique. L'un des choix les plus singuliers est celui du nouveau Ministère de la Technologie, confié en 1964 au secrétaire général du Transport and General Workers Union (TGWU) Frank Cousins. D'origine populaire, Cousins est connu pour ses positions favorables au désarmement unilatéral et au maintien de la "Clause IV" du Parti (qui s'engage depuis 1918 à distribuer les fruits du travail "sur la base de la propriété collective des moyens de production et du meilleur système d'administration ou 13 Tableau 3 : Les titulaires des principaux ministères et postes parlementaires (1964-70) Lord Chancellor of Great Britain Chancellors of the Exchequer 1964-1970 Lord Gardiner 1964 James Callaghan 1967 Roy Jenkins Secretaries of State for Foreign Affairs (puis en 1968 & Commonwealth Affairs) 1964 Patrick Gordon-Walker 1965 Michael Stewart 1966 George Brown 1968 Michael Stewart Secretaries of State for Home Affairs 1964 Sir Frank Soskice 1965 Roy Jenkins 1967 James Callaghan Secretary of State for Defence 1964 Denis Healey Secretaries of State for Health 1964 Kenneth Robinson (& Social Services en 1968) 1968 Richard Crossman Secretaries of State for Education 1964 Michael Stewart 1965 Anthony Crosland 1967 Patrick Gordon-Walker 1968 Edward Short Secretaries of State for Employment 1964 Ray Gunter 1968 Barbara Castle President of the Board of Trade 1964 Douglas Jay 1967 Anthony Crosland 1969 Roy Mason Secretaries of State for Wales 1964 James Griffiths 1966 Gledwyn Hughs 1968 George Thomas Secretary of State for Scotland 1964-70 William Ross ------------------------------------------------------------------------------------------------Leaders of the House of Commons 1964 Herbert Bowden 1966 Richard Crossman 1968 Fred Peart Leader of the House of Lords (Lord Chancellor) Government Chief Whips 1964-70 1964 1966 1969 Lord Gardiner Edward Short John Silkin Robert Mellish contrôle populaire des industries ou services" ) ; il est assisté dans sa tâche par un intellectuel, le romancier et homme de science C.P.Snow (l'auteur de Strangers and Brothers), qui avait lancé à la fin des années 50 le débat sur the two cultures , constatant la coupure grandissante entre les scientifiques et les "littéraires", avec pour effet l'appauvrissement général de la pensée. La réorganisation des structures gouvernementales n'est cependant pas motivée par des considérations purement médiatiques. Il s'agit selon Wilson de gagner 14 en efficacité et en compétence : mieux vaut en d'autres termes un technocrate compétent qu'un amateur brillant. Le pragmatisme de Wilson, lié à la personnalisation de son pouvoir, n'a pas que des avantages sur le plan politique : les querelles de personnes ont ainsi souvent pris le pas sur les querelles idéologique. George Brown (au Foreign Office entre 1966 et 1968, et qui démissionne officiellement pour dénoncer le pouvoir excessif du Premier ministre) et James Callaghan (chancelier de l'Echiquier puis à l'Intérieur) n'ont pas ménagé les critiques et les intrigues. La solidarité gouvernementale — particulièrement du Cabinet — a rarement été respectée, à l'exception de courtes périodes d'euphorie fin 1964 et fin 1966. L'impression de cacophonie domine souvent, surtout lorsque des "indiscrétions" savamment distillées dans la presse mettent en difficultés tel ou tel ministre. Méfiant vis-à-vis de certains de ses ministres et de leurs administrations, Wilson se replie autour de son cabinet privé (son secrétariat, ses conseillers et hommes de confiance) et fait remonter nombre de dossiers au 10, Downing Street. La tendance à gouverner en fonction des états d'âme de l'opinion, et donc des sondages, ne va pas non plus dans le sens d'un partage des responsabilités. La popularité de Wilson évolue très sensiblement entre 1964 et 1970 (cf. tableau 4), avec des écarts considérables, ce dont le Premier ministre tient le plus grand compte dans ses prises de décision. Tableau 4 : évolution de la popularité d'Harold Wilson (1964-1970) % de satisfaits Source : Gallup Moyenne Cote maxi Cote mini écart Wilson 1 59 66 48 18 Wilson 2 41 69 27 42 Réformes et vie politique De 1964 à 1970, la vie parlementaire est marquée par un certain nombre de débats récurrents au XXème siècle. Le premier est celui de l'amateurisme de l'organisation parlementaire. Les députés doivent-ils être enfin considérés comme de véritables professionnels de la politique, avec des émoluements corrects et des horaires adaptés ? La Chambre des Communes peut-elle prétendre être — dans son fonctionnement comme dans l'image qu'elle donne — un modèle de démocratie ? Sur le plan des horaires, la Chambre continue à ne fonctionner que 32 semaines par an, avec un très longue interruption estivale, et la plupart des séances importantes sont nocturnes (les votes se déroulent majoritairement à 21h45). L'indemnité parlementaire de £ 1750 est relevée en 1964 à £ 3250 par an, plus £ 500 de frais de secrétariat et quelques 15 avantages (téléphone, chemin de fer, création d'un fonds de retraite). Cette réforme était devenue indispensable pour permettre aux députés les moins fortunés ou n'ayant pas d'autres sources de revenus de se rendre facilement à Londres ou d'y louer un logement présentable. De fait, les députés sont désormais considérés comme des fonctionnaires et non des amateurs à mitemps. Dans un même souci de modernisation, le gouvernement prend un certain nombre de mesures : extension de la durée des sessions, rôle accru des commissions parlementaires, création d'un Parliamentary Commissionner chargé des plaintes contre l'Administration centrale. En revanche, les projets d'introduction de la télévision au Parlement échouent, en contradiction avec le rôle désormais politique de ce média. En effet, depuis Macmillan, le Premier ministre n'hésite pas à s'adresser directement au public à la télévision, tandis que les députés et les ministres participent à des débats et des émissions politiques prolongeant le débat parlementaire Le deuxième débat est celui de la composition sociale de la Chambre. En dépit des déclarations d'intention — et notamment celles de Harold Wilson — , la Chambre est très loin d'être le reflet exact de la société britannique. La middle class intellectuelle est ainsi surreprésentée (avocats, journalistes et écrivains, enseignants) ; au sein du parti travailliste, les enseignants sont la profession la mieux représentée, en augmentation de 1964 à 1970, alors que les députés issus de la working class (mineurs, syndicalistes) passent de 64 à 54 pendant la même période ; au sein du parti conservateur, la représentativité upper class/middle class reste très nette, en dépit des origines modestes du leader (les administrateurs de société, avocats, riches propriétaires et farmers sont très majoritaires). L'une des tendances les plus importantes des années Wilson est donc le recul relatif des working classes au sein du Parlement et la percée spectaculaire des professions liées à l'édition et aux médias (la Chambre compte, en 1970, 60 journalistes de presse, radio et télévision, ce qui pose un certain nombre de problèmes en matière de démocratie). Sur le plan des origines scolaires des députés, il n'y a pas eu non plus de véritable démocratisation : sur 630 députés, 30% sont des produits des public schools, 10% viennent d'Eton, 40% ont fréquenté Oxford ou Cambridge et 75% ont un diplôme universitaire. Un troisième débat concerne la chambre des Lords, dont la réforme est plus ou moins à l'étude depuis 1945. L'institution par Macmillan en 1958 des pairies à vie, liée à l'extinction des pairies anciennes, fut un premier élement de renouvellement. En 1963, le droit de renoncer au titre de Lord pour siéger aux Communes permit une certaine mobilité entre les deux Chambres. Le Premier 16 ministre use alors très largement de son droit de nomination : les Lords comptent en 1970 125 pairs à vie créés par Wilson, soit presque le tiers de la Chambre. Ces nominations ont pour effet de diversifier quelque peu l'échantillon sociologique des Lords, sans pour autant le bouleverser. On y trouve notamment des hommes d'affaires et des industriels, des universitaires, des syndicalistes et quelques "vedettes" comme l'alpiniste Lord Hunt et l'acteur shakespearien Lord (Laurence) Olivier. Dans les années 64-70, la présence à la tête des grands partis de deux méritocrates, Harold Wilson et Edward Heath, est une occasion idéale pour tenter de réformer l'institution de la Haute Chambre. En février 1969, un projet de réforme prévoit de réduire le droit de vote des pairs héréditaires et de rééquilibrer les tendances politiques au sein de l'assemblée. Il est considéré par ses adversaires comme le fruit d'un véritable complot des méritocrates : les plus conservateurs y voient la volonté de supprimer une noble et respectable institution, les plus réformateurs y voient une manœuvre destinée à éviter sa suppression pure et simple. Devant une opposition résolue (à droite et à gauche), Wilson doit renoncer à inscrire la réforme dans le programme de son gouvernement. Si les réformes des grandes institutions politiques sont restées bien modestes, le système de pouvoir a néanmoins évolué sensiblement de 1964 à 1970. La concentration du pouvoir dans les mains d'une petite élite n'est certes pas nouvelle, mais elle prend sous l'ère Wilson deux aspects plus complémentaires qu'antithétiques: la personnalisation à la tête des instances de pouvoir (aussi bien au gouvernement que dans les organisations syndicales et patronales) et la technocratisation — déjà évoquée — des élites dominantes. Les réformes wilsoniennes de l'administration vont nettement dans ce dernier sens. L'Administration centrale (Home Civil Service) passe en 1968 sous l'autorité d'un ministère spécifique, le Civil Service Department ; une école d'administration est créée (Civil Service College) et les hiérarchies de fonctionnaires simplifiées. Les restructurations administratives touchent la plupart des grandes autorités de l'Etat: la justice et la magistrature sont réorganisées par les Administration of Justice Acts (1969-70) et le Justices of the Peace Act (1968); l'armée (professionnelle depuis 1960) est l'objet d'une attention toute particulière, non en termes de subventions, mais de rapports inter-armes et de relations avec les autorités de tutelle. Les nouveaux objectifs de politique étrangère obligent aussi à une redéfinition des pôles de décision : unification des services diplomatiques, intégration en 1968 du ministère du Commonwealth dans celui des Affaires étrangères, multiplication 17 des services spécialisés dans les affaires européennes. Au bout du compte, les années 60 marquent nettement une phase de décrue dans les effectifs du Civil Service. Au total, les civil servants passent de près d'un million en 1960 à 700 000 en 1970, la baisse étant tout aussi significative dans le secteur industriel national (-150 000) que dans le secteur tertiaire (- 144 000). A l'échelle locale, la grande réforme attendue d'un redécoupage des circonscriptions ne s'est pas concrétisée avant 1972 et le Local Governement Act, mais elle a été activement préparée par diverses commissions (Commission Crowther-Kilbrandon en 1969). Voté par la Chambre conservatrice en 1963, le London Government Act débouche sur la création du Greater London Council, organe indépendant de gouvernement du Grand Londres. Le GLC devient l'un des grands enjeux des élections locales et son pouvoir dépasse très largement le cadre géographique qui lui est attribué. Plutôt conservateur dans les années 60, devenu un bastion du travaillisme de gauche dans les années 80, le GLC est supprimé en 1986 par Margaret Thatcher... Les six années de pouvoir travailliste ont laissé à l'opposition parlementaire le temps de se réorganiser en vue d'une éventuelle alternance. Les Tories ont connu dans les années 60 une période d'opposition aussi longue qu'après la Seconde guerre mondiale (1945 à 1951), mais les circonstances apparaissent plus favorables. D'une part, l'échec de 1964 n'a été que relatif et les Conservateurs auraient pu gagner ces élections, d'autre part la désignation élective du leader en 1965 a permis l'émergence de Edward Heath, réponse opportune à l'"animal politique" Wilson. Face au gouvernement Wilson de 1964, composé de brillantes individualités, Heath ne peut faire moins que de lui opposer un shadow cabinet placé sous le signe de la compétence, de l'efficacité et de la jeunesse. A côté des caciques et des "poids lourds" du parti comme Douglas-Home, Macleod, Maudling, Butler, Lord Carrington se place une nouvelle génération de "jeunes turcs" comme Margaret Thatcher, Peter Walker ou Robert Carr. Les projets du shadow cabinet ne manquent pas d'ambition et tout le parti manifeste pendant les années Wilson une importante activité militante. En 1965, le programme Putting Britain Right Ahead est à la fois libéral et européen, assez modéré pour rassurer les plus conservateurs et susceptible de séduire certaines franges des classes moyennes. A partir de 1966 et jusqu'en 1970, les Conservateurs entreprennent avec succès la reconquête des positions perdues. Le manifeste d'octobre 1968, Make Life Better, prend appui sur les échecs travaillistes en matière économique et sociale, tout en faisant de nouvelles propositions. Confronté à une aile droite très active (Enoch Powell) et à une aile réformiste peu éloignée des travaillistes modérés 18 (ainsi le Bow Group, fondé en 1951) la marge de manœuvre de Heath reste étroite. Ces clivages droite/gauche sont de plus accentués par des divergences internes sur l'affaire rhodésienne et sur l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, ainsi que sur la stratégie à suivre pour contrer la personnalité d'Harold Wilson. Dans sa volonté de rénover le parti conservateur, Edward Heath est surtout inquiété par tous ceux qui — en l'absence d'un véritable parti d'extrême-droite — défendent des idées ultra-conservatrices, voire d'extrême-droite. Enoch Powell est probablement l'un des plus brillants politiciens de sa génération (ce que rappelait d'ailleurs Tony Blair à l'occasion de sa mort en février 1998), qui aurait pu devenir le grand leader tory des années 60-70. La personnalité fantasque et imprévisible de cet ancien professeur de civilisation grecque, fin lettré, grand connaisseur d'Hérodote comme de la philosophie allemande, n'a cependant pas réussi à éviter les errements et les revirements cocasses. Impérialiste après la guerre (qu'il termine au grade de général), puis défenseur de la Little England dans les années 50, il prend fait et cause pour le modèle libéral et démissionne périodiquement de postes gouvernementaux secondaires. Sa grande action d'éclat, en avril 1968, est de stigmatiser dans un discours célèbre l'immigration des coloured people. Une prise de position grossièrement xénophobe et en grande partie opportuniste, qui lui vaut d'être éjecté du shadow cabinet. La victoire de Heath en 1970 signe la fin de ses ambitions de leader charismatique d'un torysme populiste, mais il demeure alors une figure majeure du parti, bien implantée dans les Midlands industriels. Plus réfléchie et organisée que la pensée d'Enoch Powell est celle du Monday Club, groupe né en réaction à la politique d'Harold Macmillan, jugée désastreuse pour le Royaume. Impérialistes et attachés à la grandeur passée du Royaume, les politiciens du Monday Club défendent les intérêts blancs en Afrique du Sud et en Rhodésie, parlent de décadence morale et sociale en ces temps de société permissive, et dénoncent le "fléau socialiste" comme si le Labour était une composante de l'Internationale communiste. Conscient des dangers d'une extrême-droite tory, Heath cherche à se démarquer nettement du Labour sur le plan idéologique, tout en proposant des solutions concrètes aux problèmes socio-économiques. La réaffirmation du great divide entre Travaillistes et Conservateurs marque le retour à un stratégie d'affrontement droite/gauche et au rejet des formes consensuelles du "conservaillisme", appelé dans les années 50 "butskellisme" (contraction de Richard Butler et de Hugh Gaitskell). Le Labour est ainsi présenté comme un parti égalitariste, bureaucratique et étatique et le parti tory comme le garant des 19 libertés économiques et de l'initiative individuelle — sans pour autant remettre en cause les grands acquis du Welfare State. De fait, un grand nombre de responsables conservateurs sont liés à la fin des années 60 au monde de l'industrie et des affaires, ce qui se traduira en 1970 par une forte progression de ces professions au sein du nouveau Parlement. L'ascension politique du jeune turc Peter Walker est représentative du nouveau dynamisme tory, qui trouvera son aboutissement en 1975 avec l'élection de Margaret Thatcher comme leader. Fils d'un petit épicier de Gloucester, Walker quitte l'école à 16 ans "pour faire fortune". Il devient millionnaire en se lançant dans les assurances et les affaires, tout en menant une brillante carrière politique. Elu député en 1959 (à 28 ans!), il se rapproche de Heath en 1965, dont il devient le secrétaire particulier, puis le ministre de l'Environnement en 1970. De 1964 à 1970, le parti conservateur demeure donc la seule alternative politique au travaillisme wilsonien, une configuration bipolaire qui marginalise tous les "petits" partis, y compris ceux qui ont un prestigieux passé. C'est le cas du parti libéral de Jo Grimond puis de Jeremy Thorpe, dont les bons résultats électoraux — 9 sièges en 1964 puis 12 en 1966 — ne laissent pourtant aucun espoir d'accéder au pouvoir, en dehors d'une hypothétique coalition avec le Labour. De fait, l'image du parti libéral des années 60 tend à se confondre avec celle que donne Wilson d'un travaillisme réformé. En cherchant à séduire les jeunes, les intellectuels, les minorités ethniques, les régionalistes, les proeuropéens, les Libéraux radicalisent leurs positions sans vraiment afficher une ligne directrice très claire. La classe ouvrière n'est guère séduite, les classes moyennes préfèrent la sécurité des deux grands partis, les intellectuels radicaux se tournent plus volontiers vers la Nouvelle Gauche, les régionalistes ont désormais des structures politiques plus représentatives. Les années 60 voient en effet l'essor remarquable des partis nationalistes . Au pays de Galles le Plaid Cymru ou Welsh National Party (fondé en 1925 par John Saunders Lewis dans le but d'obtenir l'indépendance) obtient 175 000 voix au pays de Galles en 1970, après l'élection de Gwynfor Evans dans la partielle de Camarthen en 1966. Les Nationalistes gallois passent ainsi de 4,8% des voix en 1964 à 11,5% en 1970. En 1969, les cérémonies d'investiture du prince Charles comme prince de Galles se passent dans une atmosphère très tendue. En Ecosse, le Scottish National Party (fondé en 1934) obtient de très bons résultats aux élections locales, puis nationales après 1966. En mars 1967, une élection partielle donne au SNP 28,2% des voix et en novembre 1967, une femme, Winifred Ewing entre à Westminster, après avoir battu le Labour. En 20 1970, les Nationalistes écossais connaissent leur plus haut score historique avec 11,4% des voix (2,4% en 1964 et 5% en 1966). La question de la dévolution — en partie réglée en 1997 par le nouveau statut proposé par Tony Blair et approuvé par référendum — est ouvertement posée dans les années 60 où le vote écossais devient une donnée politique majeure. Les Travaillistes n'y répondent pas, tandis que les Conservateurs, par opportunisme, se contentent de déclarations de principe sur la création d'une Assemblée écossaise (Heath à Dundee en 1968). En Ulster, la situation politiques est plus troublée, en raison de la montée des "ultras" à la fin des années 60, aussi bien du côté des nationalistes catholiques que des unionistes protestants. Le Sinn Fein — branche politique de l'IRA — parvient à faire élire des sympathisants de la cause sous des étiquettes diverses, ainsi le candidat d'un éphémère Republican Labour à Belfast West. Même si l'Ulster Unionist Party (protestant) domine largement depuis les années 20 la représentation politique en Irlande du Nord, il ne peut empêcher la concurrence d'ultrasunionistes, bien décidés à ne faire aucune concession aux partis catholiques (lire aussi page X les implications du conflit irlandais). Restent les extrêmes, qui n'ont jamais eu en Grande-Bretagne une grande audience. A gauche, le Parti communiste (les Commies) ne revendique que 35 000 membres et il est surtout implanté dans le monde syndical, sans forte influence dans les cercles intellectuels et étudiants. Il connaît dans les années 60 un lente érosion, consécutive aux événements de Budapest en 1956 ; sa condamnation des événements de Prague en 1968 et sa nouvelle ligne "titiste" ne lui permettent pas de retrouver ses positions de 1945-50. La faiblesse politique (et non syndicale) du Parti communiste a deux effets principaux sur la vie politique britannique : elle permet d'une part le maintien au sein du Labour d'une aile gauche marxiste très active ; elle laisse d'autre part le champ libre à l'émergence d'une Nouvelle Gauche capable de séduire les jeunes, les intellectuels et une frange des classes moyennes. La Nouvelle Gauche anglaise s'organise dans les années 1960 autour de la New Left Review. La New Left Review naît en décembre 1959 de la fusion entre Universities and Left Review (Oxford), revue aux idées socialistes à préoccupations éthiques, esthétiques et sociales et The New Reasoner, publié par des communistes en rupture de parti après les événements de Budapest. Agrégat de sensibilités politiques allant du travaillisme de gauche en rupture de parti (l'Independant Labour Party) au trotskysme internationaliste (Socialist Labour League et International Socialists), au maoïsme, en passant par quelques électrons libres anarchistes, situationnistes et des communistes dissidents, divisée idéologiquement, la 21 Nouvelle Gauche réalise en Angleterre son unité dans un certain nombre de batailles politiques menées depuis la fin des années 50. La première bataille est celle d'une croisade pour la Paix et le désarmement et contre la fabrication de la Bombe nucléaire, que mène l'infatigable Bertrand Russell à travers la CND (Campaign for Nuclear Disarmament).. La seconde se confond avec la contestation de la guerre américaine du Viêt-Nam et connaît son apogée en 1968, au moment des troubles universitaires. A droite, si l'on met à part le powellisme et quelques groupes ultraconservateurs issus des tories, les extrêmes demeurent très marginaux. On note toutefois dans les années 60 une réelle progression des partis nationalistes et xénophobes, en relation avec l'immigration des coloured people issus du Nouveau Commonwealth. En 1966, l'Union Movement de l'ex-leader fasciste Oswald Mosley obtient 3,7% des voix . Au début de l'année suivante est créé le National Front à partir de la fusion de la League of Empire Loyalists, le British National Party et la Racial Preservation Society. Le programme du National Front prévoit un arrêt immédiat de l'immigration, le rapatriement des immigrants (de couleur) habitant en Grande-Bretagne, soutient sans réserve les mouvements unionistes d'Ulster et réclame des peines plus sévères pour les délinquants. Certains scores du NF dépassent les 10% aux élections municipales, mais aux élections de 1970, le parti d'extrême droite ne totalise que 3,6% des voix. En conclusion, les élections de 1970 ne marquent pas tout à fait la fin des années Wilson. Si Edward Heath a pour objectif de rompre avec les années Wilson et déclare qu'il "va changer le cours de l'histoire de la Nation", il se heurte assez vite aux mêmes difficultés économiques et sociales que son prédecesseur, laissant ainsi l'opportunité d'un retour politique de Wilson en 1974-76. Tableau 4 bis détail dees élections de 1970 Leader Parti Leader depuis Lieu (Leader) Dernière élection Sièges gagnés Changement Vote populaire % Edward Heath Conservative 28 July 1965 Bexley 253 seats, 41.9% 330 77 13,145,123 46.4% Harold Wilson Jeremy Thorpe Labour Liberal 14 February 1963 18 January 1967 Huyton North Devon 364 seats, 48% 12 seats, 8.5% 288 6 76 6 12,208,758 2,117,035 43.1% 7.5% 22 4.5% Swing 4.9% 1% Chapitre 2 La quête d'une stratégie économique et sociale La célèbre Mini Austin Les difficultés économiques et financières La Grande-Bretagne des années 60 — tout particulièrement de 1964 à 1970 — a obtenu des résultats inférieurs, sinon très inférieurs à ses voisins continentaux (France, Allemage, Italie) dans la plupart des domaines économiques. On parle alors volontiers de "déclin", de "malaise" (The English Disease), d'"homme malade de l'Europe". Le taux de croissance du PIB est resté autour de 3% par an, contre 5% en moyenne pour les autres grands pays d'Europe occidentale. Le PNB/habitant en 1951 est le cinquième du monde en 1951, puis, le neuvième en 1961 et le quinzième en 1971, derrière le Japon. La part du Royaume-Uni dans le commerce mondial, qui était de 30% en 1913 et encore de 22% en 1938 et en 1951, baisse dans les années 1950 pour atteindre à peine 15% au début des années 1960 puis autour de 10% à la fin de la décennie. Le déficit budgétaire atteint de 1960 à 1968 1,1% du PNB en moyenne, à comparer au 0,5% américain et aux excédents dégagés en France et en RFA. Parallèlement, la part des produits manufacturés britanniques dans le marché mondial régresse de 24,6% en 1950 à 17,1% en 1964 et 11,3% en 1970. La production industrielle a certes connu une forte évolution de 1960 à 1965 (+ 30%, après une stagnation relative dans les années 50), mais elle se ralentit nettement de 1965 à 1970, ce qui accentue l'écart avec la France et la RFA. Plus grave encore, la productivité augmente beaucoup plus lentement que dans les autres pays. Les résultats de la productivité du travail, mesure-test des capacités innovatrices d'un pays, sont médiocres. Le pays fait certes un peu mieux que les Etats-Unis, mais l'écart de productivité avec la première puissance économique du monde demeure sensiblement le même dans la longue durée. La France, la Belgique, l'Allemagne dépassent en 1973 le Royaume-Uni sur les bases communes de la productivité américaine. 23 Tableau 5 : croissance de la productivité dans les années 1960 (en %, moyenne annuelle) Etats-Unis + 3,2 Japon +9 Roy.Uni + 3,4 Italie +7,2 RFA France + 4,7 + 6,8 Il apparaît avec le recul que le déclin relatif provient de la résolution très imparfaite de problèmes structurels anciens, révélés au grand jour par la compétition internationale des années 60. Ces problèmes sont complexes et peuvent se résumer en quelques points : premier point, le déclin absolu des industries de base (mines de charbon, sidérurgie, textiles naturels, constructions navales), dont la crise remonte pour certaines au début du XXème siècle ; second point, la détérioration de la compétitivité internationale des industries manufacturières, confrontées à un marché beaucoup plus ouvert et concurrentiel qu'avant-guerre. Là aussi, les faiblesses constatées en matière de productivité, d'innovation, de recherche-développement ne datent pas des années 1960 et remontent pour certains secteurs industriels au début du siècle ; troisième point, le leadership technologique, partiellement acquis avant 1945 dans des secteurs comme l'aéronautique la chimie de synthèse, l'électricité et l'électronique, les machines-outils, est très largement entamé par la toutepuissance technologique américaine et par les innovations réalisées par l'Allemagne, la France, l'Italie, le Japon dans les années 1950 et 1960. De ce point de vue, la politique volontariste de Wilson en matière de science et de technologie n'a pas pu inverser la tendance. La permanence de problèmes stucturels, malgré — ou à cause de ? — la coupure de la guerre de 1939-45, a suscité nombre de débats et de tentatives d'explication. Certains auteurs comme Corelli Barnett ont privilégié la thèse du pays vainqueur, à l'appareil productif intact et vieilli, contrairement aux puissances vaincues (Italie, Japon, Allemagne) et à la France. D'autres auteurs comme Sidney Pollard ont plutôt stigmatisé les politiques économiques dirigistes, qui n'ont pas permis de développer l'investissement productif, c'està-dire de moderniser durablement et efficacement l'appareil de production industriel. Une fiscalité très décourageante, des choix keynésiens contestables, des pesanteurs culturelles ont accéléré un déclin qui n'avait peut-être rien d'irrémédiable. Ces thèses seront largement reprises par les Conservateurs des années 70 pour critiquer le bilan des travaillistes en 1964-70, et en 1974-79. Les difficultés que rencontre le pays ne trouvent pas leur résolution miraculeuse dans les Golden Sixties. Bien au contraire, la Grande-Bretagne 24 apparaît de plus en plus comme une nation qui n'a pas su prendre le grand tournant de la croissance. La défense illusoire de la monnaie et la gestion conjoncturelle des crises, la réputation déclinante des entrepreneurs britanniques sont deux aspects complémentaires d'un échec des élites, qu'elles soient politiques ou économiques. La défense de la Livre sterling constitue l'un des aspects les plus évidents de l'entêtement de Wilson en matière économique. De toute évidence, le Premier ministre n'a nullement l'intention d'être le successeur de MacDonald (1931) et de Attlee (1949), deux Travaillistes qui ont dû se résoudre — non sans succès pourtant — à pratiquer des dévaluations. En 1964, le bilan conservateur n'est certes pas désastreux (une inflation à 4%, un chômage inférieur à 2% de la population active, une croissance proche des 5% par an), mais ces bons résultats provoquent un déficit extérieur attendu et un déficit record de la balance des paiements courants (£ 800 millions prévus pour 1964, £ 747 millions effectifs). La seule mesure de bon sens reste une dévaluation, mais Wilson s'arqueboute sur le statut international de la Livre, acquis non sans mal depuis 1950. Monnaie de réserve — après le dollar — dans les années 50, librement convertible en 1958 (au taux d'une livre pour 2,80 dollars), la Livre demeure fragile et surévaluée. De 1958 à 1964, la Grande-Bretagne manque de réserves de change, les prix de gros industriels augmentent et les résultats à l'exportation sont médiocres. La politique conjoncturelle de stop-go fait repousser toute perspective de dévaluation : Macmillan puis Douglas-Home cherchent avant tout l'équilibre entre croissance, balance des paiements et inflation. Aucune véritable solution valable ne s'offre à Wilson comme substitution à la dévaluation : la déflation serait politiquement désastreuse avec des risques de hausse de chômage, de stagnation des salaires et de conflits avec les Trade-Unions ; la taxe sur les importations, instituée en 1964, en totale contradiction avec les accords du GATT (1947) et les règles de l'AELE (Association Européenne de Libre Echange) est supprimée deux ans plus tard. Temporiser ne fait qu'accentuer les effets pervers du refus de dévaluer la monnaie. La spéculation contre la £ et un début de panique financière obligent en novembre 1964 le gouvernement à relever le taux d'escompte et à emprunter au FMI (un nouvel emprunt est effectué en mai 1965). La situation de l'année 1965 n'est pas plus encourageante, en raison du déficit persistant de la balance des paiements et surtout de l'augmentation importante des salaires et des revenus, en dépit de l'action du National Board for Incomes and Prices, organisme chargé de contenir cette augmentation par la concertation sociale . De 1960 à 1965 l'indice des traitements et salaires est passé de 135 à 185 (base 25 100 en 1955), rattrapant puis dépassant la hausse des prix de détail — le coût de la vie augmente de 17%. Les revenus réels passent ainsi pendant la même période de l'indice 114 à l'indice 129, soit une augmentation de 12%. Le 20 juillet 1966, après des hésitations nombreuses, est mis en place un véritable plan d'austérité, avec hausse des impôts et des taxes, du taux de crédit et un bloquage des prix et des salaires pour six mois : tous les ingrédients d'une nouvelle politique de stop conjoncturelle ! La dévaluation n'est de fait plus évitable, mais il faut encore attendre plus d'un an pour qu'elle se réalise sur la base d'une Livre pour 2,4 dollars, soit une dépréciation de 14,3%. La dévaluation du 18 novembre 1967 n'a guère d'effets positifs sur la balance commerciale ni sur la balance des paiements, cette dernière restant très déficitaire : £ 461 millions en 1967, £ 398 millions en 1968 et £ 387 millions en 1969. En revanche, elle induit des mesures d'accompagnement qui accentuent l'austérité : taux d'escompte porté à 8%, réduction de £100 millions des dépenses publiques, impôts sur les entreprises industrielles qui passent de 40 à 42,5%, fin de la gratuité totale de la médecine. Le plan de janvier 1968 va dans le même sens, avec des mesures qui sont symboliquement mal perçues dans le camp travailliste. Si l'annulation des commandes de l'avion F111 américain ou l'accélération du retrait des troupes de Sa Majesté stationnées "à l'Est de Suez" étaient attendues le report du passage à 16 ans de l'âge de la scolarité obligatoire ou la suspension de la distribution gratuite de lait dans toutes les écoles sont perçus comme des économies qui remettent en cause certains idéaux du travaillisme de l'après-guerre. Le budget de mars 1968 comme les mesures prises en mai et en novembre sont nettement déflationnistes et généralement impopulaires: augmentation des impôts et des taxes diverses (le whisky n'est pas épargné!), hausses de salaires plafonnées à 2,5% par an (pour les plus bas revenus). En septembre 1968, Londres doit malgré tous ses efforts financiers recourir à la coopération internationale pour soutenir le sterling — menacé par des conversions massives en monnaies plus fortes — et pour consolider en partie la balance commerciale. Ces mesures conjuguées, tardives mais efficaces, permettent en 1969-70 une relance conjoncturelle, qui donne artificiellement confiance à Wilson pour les élections de 1970. Les fortes tendances inflationnistes de la fin des années 60 n'ont paradoxalement pas permis au Royaume-Uni de rester dans le peloton de tête des pays industrialisés en matière de niveau de salaires. En dépit des revendications toujours plus pressantes des syndicats, conscients d'une stagnation du pouvoir d'achat, l'écart s'est creusé avec les autres pays d'Europe (+ 10% en France, +18% en Italie, + 35% en Belgique, + 60% en RFA, chifffres de 26 1970). Aux Etats-Unis, les salaires sont de 2 à 3 fois plus élevés selon les branches de l'économie ! A la fin des années 60, les Britanniques ont bien conscience d'avoir été déclassés sur le plan économique et vivent de manière un peu résignée cette descente en deuxième division. La politique de la Livre forte a été payée cher de 1964 à 1970: augmentation de la fiscalité d'Etat de 32 à 43%, augmentation du chômage de 65%, taux d'inflation passant de 3% à plus de 5%, fléchissement de la consommation et stagnation de la productivité du travail. Seul le secteur tertiaire semble avoir bien traversé la crise de la fin des années 60. Les profits de la City ont progressé de près de 20% entre 1964 et 1970 et Londres demeure le second centre mondial pour les bourses de capitaux et de matières premières, le premier pour le secteur des assurances ; Dans des secteurs comme le tourisme, les communications, les services, la distribution, les taux de croissance et d'expansion sont très similaires à ceux d'autres grands pays d'Europe continentale. En dépit de ces bons résultats, il est d'usage d'incriminer l'entrepreneurial failure pour tenter d'expliquer les médiocres résultats de l'économie dans son ensemble. Un bilan entrepreneurial contrasté La mauvaise gestion, à la fois de l'entreprise et des conflits industriels qui la traversent, est bien souvent la résultante d'une culture d'entreprise qui n'a pas su (ou pu) évoluer avec son temps. L'entrepreneur n'est certes pas le seul à pouvoir endosser la responsabilité de l'échec, mais il est inévitablement en première ligne en tant qu'employeur et producteur. Les difficultés de nombre d'entreprises industrielles entre 1965 et 1970 et leur déclin relatif au niveau mondial prennent trois aspects dont la conjugaison s'avère parfois désastreuse (ce que nous verrons à travers l'exemple de Rolls Royce-aviation) : - Une gestion laxiste des conflits industriels avec les syndicats. En cas de conflit, les entrepreneurs — suivant volontiers l'exemple de l'Etat avec les secteurs nationalisés — cèdent sur presque tout afin de préserver la paix sociale, sans d'ailleurs toujours y parvenir. Et les concessions faites sur les salaires, le temps et conditions de travail, la gestion des personnels sont généralement répercutées sur les prix. - Un manque d'investissements dans la production. Les raisons en sont multiples et complexes, et elles ne peuvent se réduire aux incidences du stop-go, cycles courts de croissance et de récession qui caractérisent l'économie britannique depuis la fin des années 50. La baisse des bénéfices liée aux concessions sociales n'incite pas à l'investissement massif, mais les entrepreneurs ont aussi trop tendance à attendre des subsides de l'Etat. De leur 27 côté, les merchant banks — selon une vieille tradition — ne s'engagent guère plus dans l'industrie nationale qu'à l'époque victorienne. La tentation est grande d'investir sur les marchés rentables de la City, de réaliser des OPA , d'acheter des actions et des obligations, de tenter sa chance dans les économies émergentes du Commonwealth, plutôt que d'acheter des machines, de construire de nouveaux locaux, de transformer les vieilles chaînes de production, de restructurer l'organigramme directorial, acheter des ordinateurs, de faire la promotion des réalisations industrielles effectuées. La faible rentabilité du secteur industriel (et du capital) incite à choisir des secteurs plus lucratifs, les services mais aussi l'agriculture, précocement modernisée. De fait, la productivité du travail dans l'industrie, si elle est supérieure à celle d'avantguerre (+ 3% en moyenne de 1960 à 1970), reste inférieure à celle des autres grands pays européens (France + 5,2%, RFA 5,6%, cette dernière dépassant au début des années 60 la productivité britannique). - Une baisse de qualité des produits. En bout de chaîne, c'est la réputation des produits industriels britanniques qui est en jeu. Si cette réputation est excellente dans les années 50 et encore intacte au milieu des années 60, elle se détériore de 1965 à 1970 et surtout après 1970, au point de devenir un véritable boulet pour toute l'économie, particulièrement à l'exportation. L'industrie automobile nationale — innovatrice et performante depuis 1945, avec de grands succès commerciaux comme l'Austin Mini en 1959 — en est un exemple archétypal. Paralysé par des grèves, handicapé par de mauvais choix industriels et financiers (les fusions n'ont pas amélioré la productivité), le groupe Leyland amorce en 1968 un déclin plus qualitatif que quantitatif : délais qui s'allongent, qualité de fabrication et de finition en baisse, service après-vente défectueux, exportations en chute libre. Pendant ce temps, l'industrie américaine en profite : Ford et Vauxhall (GM), renforcent leurs positions tandis que Chrysler absorbe la vieille firme Rootes. L'industrie aéronautique est un autre exemple de ce naufrage industriel. La déconfiture de Rolls Royce à la fin des années 60 et au début des années 70 est symbolique des choix politiques et économiques, et notamment des rapports ambigus entretenus entre l'Etat et l'industrie depuis 1945. Elle est à l'époque ressentie comme un drame national, sans précédent dans l'histoire industrielle britannique (aujourd'hui il est à noter que la vente de la branche automobile à Volkswagen ne suscite absolument plus aucune passion). Depuis 1914, Rolls Royce est une image de marque de l'industrie nationale, symbole de l'excellence technologique, à l'épreuve des querelles politiques et des aléas de l'économie. Contrairement à beaucoup d'entreprises de haute 28 technologie britannique, RR est dirigée dès l'origine par des ingénieurs. Son président sous l'ère Wilson, Dennis Pearson, déclare en 1969 que l'objectif de la firme n'est pas le profit, sans quoi elle serait devenue un promoteur immobilier et non un constructeur de moteurs d'avion ! En réalité, ingénieurs et banquiers estiment tacitement que ce joyau de la couronne est une "entreprise privée nationale", faute d'être nationalisée. L'entreprise va d'ailleurs chuter sur une prouesse technique qui ne trouve pas les financements nécessaires à son exploitation à l'échelle mondiale. Le turbo-réacteur RB211 intéresse l'industrie aéronautique américaine (notamment Lockhead) mais sa mise au point en 19681969 coûte plus cher que prévu. Les banques, puis l'Etat (à travers l'IRC) colmatent les brèches. Les Conservateurs, de retour au pouvoir en 1970, constatent un véritable désastre financier et nomment Lord Cole, ancien président d'Unilever à la tête de l'entreprise. Cela ne suffit pas à sauver la firme, déclarée en faillite le 3 février 1971, avant d'être nationalisée. Les Conservateurs ont donc, contre toute logique économique, sauvegardé les bijoux de famille et poursuivi la même logique interventionniste que les Travaillistes. On peut comprendre là l'origine du malentendu politique qui a toujours existé au sein du Parti tory entre Edward Heath et Margaret Thatcher. L'affaire Rolls Royce, tout comme les difficultés de l'automobile et la croissance décevante de l'industrie britannique, ne doivent pas occulter les importants changements qui se produisent dans le monde de l'entreprise dans les années 60. Les fusions et les concentrations d'entreprise se sont accélérées à un tel rythme que la Grande-Bretagne a en 1970 l'industrie la plus concentrée du monde occidental européen. En 1970, les entreprises de moins de 200 employés ne représentent plus que 10% de la production manufacturière et la main-d'œuvre des 100 plus grosses entreprises passe de 20 000 à 30 000 personnes en moyenne. Avec les géants Shell, Lever, ICI sont nés de fusions et acquisitions des groupes comme General Electric, British Leyland, Allied Breweries, Bass Charrington. L'Etat a très largement encouragé ce processus de concentration et de rationalisation. Déjà fortement implantée avec Ford et GM (Vauxhall) depuis les années 20, l'industrie américaine absorbe en 1967 Rootes, qui passe sous la coupe de Chrysler. En 1968 est créé sous les auspices du gouvernement travailliste d'Harold Wilson un grand groupe résultant de la fusion de BMC et de Leyland, BLMC, capable de concurrencer en théorie les grands groupes européens, français (Renault), italiens (Fiat), allemands (VW), ainsi que les multinationales américaines implantées en Grande-Bretagne. De plus, le processus de multinationalisation s'est largement développé, sur le modèle d'Unilever et de la plupart des sociétés américaines, ainsi la fusion 29 Dunlop-Pirelli. Enfin, la concentration a permis d'augmenter dans toutes les grandes entreprises le budget consacré à la rercherche-développement (ICI dépense dans les années 60 en R&D l'équivalent du budget annuel de recherche des universités). Les entrepreneurs sont aussi devenus à la fin des années 60, dans le contexte de la société du spectacle des Swinging Sixties, des vedettes des médias (presse populaire, radio, télévision). Les plus connus sont bien sûr les entrepreneurs de la mode, des médias, de l'industrie musicale, mais la plupart des grands patrons s'affichent désormais à la télévision et dans les pages des feuilles populaires. De nouveaux feuilletons apparaissent, particulièrement sur la chaine privée ITV qui ont pour protagonistes des capitaines d'industrie. Les Redresseurs de torts (Righters of Wrong) relatent ainsi l'histoire de la société pétrolière Mogul dans un sitcom de patriotisme romanesque. Les grands patrons de l'industrie ne sont désormais plus issus des grandes familles fondatrices, même si ces familles (comme les Lever, Cadbury ou Tate) ont encore de nombreux représentants dans les conseils d'administration ou contrôlent les firmes par leur actionnariat (ainsi la famille Thorn avec le groupe multinational de l'éléctricité et élecronique EMI). La moitié des présidents sont en fait secondés par des managers-directeurs généraux qui sont les véritables patrons de l'entreprise : c'est ainsi le cas dans la plupart des filiales anglaises de sociétés américaines. Quelques figures d'entrepreneurs se détachent et montrent que les patrons anglais ne sont pas seulement des loosers dans les années Wilson : lord Kearton, patron hors norme de Courtaulds, ancien ingénieur chimiste, à sa manière très blairiste avant la lettre, Sir Geddes, patron de Dunlop qui a succédé à son père et mené à bien la fusion avec Pirelli, Sir Duncan, à la tête de Rio Tinto Zinc, l'une des sociétés minières les plus prospères du monde, Arnold Weinstock, d'origine modeste et qui a mené à bien la fusion permettant l'expansion rapide de General Electric, alors première entreprise électronique européenne. L'esprit d'entreprise n'est pas non plus tout à fait mort dans l'Angleterre des années 60 si l'on se réfère à deux célèbres success stories. C'est la réussite de Terence Conran, ancien élève d'un lycée technique et diplômé en design, propriétaire dans les années 50 d'une petite fabrique de meubles, puis en 1964 du premier magasin Habitat, et qui est à la tête dans les années 70 et 80 d'un immense empire industriel et commercial (qu'il devra vendre au moment de la récession de 1992-93 pour repartir à zéro dans la restauration). C'est aussi la réussite de Richard Branson, hippie dans les années 60, créateur d'une petite entreprise indépendante de disques (Virgin) et 30 aujourd'hui la plus grosse fortune d'Angleterre après celle de la famille royale, à la tête d'un empire dans l'industrie des loisirs et des médias. En conclusion, la fin des années 60 marque moins l'échec de l'entrepreneur et de l'entreprise que l'échec d'une politique dirigiste qui a largement déteint sur les élites entrepreneuriales. Un échec qui s'est accentué dans les années 70 et que la crise mondiale a fortement révélé. Planification, politique industrielle et essor technologique Après une pause dans la politique dirigiste entre 1951 et 1961, les médiocres résultats économiques de la politique du stop-go (le stop de 1960-62 est particulièrement mal vécu et débouche sur un chômage record début 1963) relancent le débat sur la planification souple de l'économie. En, 1962-63 est mise en place la structure tripartite du National Economic Development Council , qui réunit chaque mois des ministres, des chefs d'entreprise et des représentants syndicaux. En même temps, le gouvernement conservateur crée l'office (permanent) de développement économique (Economic Development Office), aux compétences élargies. L'office prépare les discussions du Council mensuel, coordonne les commissions industrielles des Economic Development Committees et fait des propositions de planification à long terme. Le document de 1963, intitulé Growth of the UK to 1966 , est un plan quinquennal de croissance assez flou, en dehors de l'objectif irréaliste d'un taux de croissance comparable aux pays comme l'Allemagne, la France et l'Italie. Le plan est annoncé dans l'indifférence générale, alors qu'en 1964 le Premier ministre Harold Wilson parvient au pouvoir avec la volonté affichée de "moderniser l'outil industriel" . L'une des premières mesures prises par H.Wilson est la création d'un ministère de plein exercice des Affaires économiques (Department of Economic Affairs), indépendant des Finances et du Trésor. Le DEA, dirigé jusqu'en 1966 par l'ancien syndicaliste George Brown publie sans tarder le National Planning pour les années 1964-1970. Ce document largement médiatisé — presse, radio et télévision lui font une très large publicité — a pour objectif de soutenir la croissance, fixée à une moyenne de 3,8% par an et de favoriser la productivité, dont l'augmentation attendue est de 3,4% par an. Il sera en partie abandonné en 1966 en raison des nouvelles orientations délflationnistes du gouvernement. Il comporte des aspects salariaux, à travers le contrôle des prix et des salaires, et aussi des aspects régionaux importants. Inspirée des années 30 (les zones sinistrées) et des années 40 (les zones économiques pendant la guerre), la politique régionale pose le principe d’une intervention centralisée de l'Etat. En 31 1964, après consultation avec les autorités locales, le Royaume-Uni est découpé en 11 régions économiques, ayant chacune une "capitale" administrative : - Les trois"nations", aux structures régionales préexistantes : Ecosse (Edimbourg) /Pays de Galles (Cardiff)/Irlande du Nord (Belfast), déjà autonome. - L'Angleterre, divisée en 8 régions : Nord (Newcastle)/Nord-Ouest(Manchester) /Yorkshire-Humberside (Leeds) /Ouest Midlands (Birmingham) /Est Midlands (Nottingham)/East Anglia (Norwich) /Sud-Ouest (Bristol)/Sud-Est (Londres). Dans ces régions d'intérêt économique sont mises en place des structures spécifiques : un conseil consultatif de planification (Regional Economic Planing Council) et un organisme executif composé d'autorités locales et de représentants de l'Etat (Regional Economic Planning Board). Une telle organisation s'apparente davantage à une déconcentration qu'à une décentralisation ; les autorités hésitent entre deux tendances contradictoires : créer des emplois dans les zones déprimées ou organiser le mouvement spontané des migrations de population et des créations industrielles vers le Sud-Est, au poids économique de plus en plus écrasant. La rationalisation — traduisons la restructuration de l'industrie — est l'un des objectifs les plus constants des gouvernements Wilson, par-delà les aléas conjoncturels et les mauvais choix financiers. Les efforts de l'Etat pour moderniser l'appareil ont été réels, mais ils se sont inévitablement heurtés aux triples contraintes d'une croissance trop faible, d'une £ surévaluée (jusqu'en 1967) et de salaires élevés (surtout entre 1969 et 1970, où se produit un "rattrapage" après deux années d'austérité). La Gauche travailliste aurait souhaité que le gouvernement lance un programme de nationalisations comparable à celui de 1945. Elle est en partie comblée. En 1965 est créé la British Airports Authority, organisme public qui regroupe les aéroports de Londres ; les transports routiers sont nationalisés en 1968, à travers la National Bus Company (passagers) et la National Freight Company (marchandises), tandis que les transports de Londres (London Transport, 1969) et les Ports (Docks and Harbours, 1966) sont modernisés et rationalisés. De nouvelles entreprises publiques sont créées dans le domaine financier (Caisse d'Epargne en 1969) , tandis que la Poste devient une corporation publique. Dans le domaine industriel, seul l'acier — dénationalisé par les Conservateurs en 1953 — est concerné, avec la création de National Steel Corporation (Iron and Steel Act, 1967). La production d'acier connaît d'ailleurs un une spectaculaire progression dans les années 60 (28 millions de tonnes 32 produites en 1970, deux fois plus qu'à la fin des années 40, en pleine période de reconstruction), avant l'effondrement des années 70. Pour le secteur privé, le discours officiel rejoint les préoccupations "technologistes" du Premier ministre, qui crée en 1964 un Ministère de la Technologie (Mintech) et fait voter en 1965 un Science and Technology Act. La loi permet la création de toutes sortes d'instituts de coordination scientifique et technique (Science Research Council, par exemple). Quant au Mintech, il s'attache à promouvoir la recherchedéveloppement à encourager l'innovation et à rationaliser les secteurs industriels publics. Le gouvernement engage pour cela nombre d"experts", et d'économistes professionnels. L'inflation d'économistes dans les sphères du pouvoir est un signe des temps. Alors que Keynes paraissait marginal et isolé jusqu'aux années 40, le capitalisme d'Etat en emploie une dizaine en 1960, 70 en 1966, 120 en 1967 et 262 en 1973 ! En 1966 est créé l'IRC, initiales de Industrial Reorganization Corporation, établissement public indépendant du gouvernement, chargé selon la formule d'Harold Wilson, "de faire entrer de gré ou de force les entreprises dans le XXème siècle. Les buts de l'IRC ne sont ni philantropiques (sauver les industries en péril) ni étatiques (asseoir le contrôle de l'Etat sur certains secteurs). Les objectifs de l'IRC sont en réalité très proches d'une merchant bank et les rapports avec les milieux bancaires de la City sont très étroits et souvent ambigus. Il s'agit avant tout de permettre aux entreprises de retrouver le chemin du profit et de mieux faire face à la concurrence internationale. La politique de modernisation a trois volets : un volet recherche-développement, souvent pris en charge par les ministères concernés ; un volet industriel, à travers des regroupements et des fusions, ainsi dans l'automobile ou l'électricité ; un volet technologique, avec la fondation de sociétés à capitaux publics comme Nuclear Power Group. Véritable organisme privé de planification publique, l'IRC est actif dans les années 60, mais il se fait aussi des ennemis. Le patronat critique son interventionnisme trop direct et brutal et les syndicats s'inquiètent en raison des emplois supprimés dans les restructurations. Certains syndicalistes sont inquiets du rôle exact tenu par l'IRC dans le processus des fusions et des concentrations industrielles, dans lequel les capitaux américains sont très souvent engagés. De plus, il semble que l'IRC — appliquant ainsi des directives données par les hommes politiques — n'ait guère favorisé l'investissement industriel dans les secteurs lourds. Dans la sidérurgie et la métallurgie, l'IRC n'a pas encouragé l'achat de nouvelles machines automatiques, capables d'améliorer la productivité et de mettre l'industrie nationale au niveau de la 33 concurrence. La raison est moins industrielle que financière : les nouvelles machines sont de fabrication étrangère (américaine, allemande) et leur achat risque de mettre en péril les grands équilibres (la balance commerciale, la balance des paiements). Malgré des tentations protectionnistes, l'IRC n'a pas plus les moyens de contenir l'agressivité financière et commerciale des EtatsUnis sinon en procédant à des regroupements défensifs. Les investissements américains au Royaume-Uni, considérables depuis 1950, n'ont en eux-mêmes rien de scandaleux et on s'en félicite plutôt dans les milieux officiels en raison des fréquents transferts de technologie. Ils s'accompagnent cependant d'une hégémonie du dollar sur les marchés financiers, d'une influence très forte sur les banques d'affaires londoniennes et d'un impérialisme industriel sans états d'âme. Pour certains auteurs polémistes de l'époque, l'Angleterre est devenue une "colonie américaine" (titre d'un best-seller paru à la fin des années 6O), bradant son patrimoine industriel au profit de grands groupes financiers réalisant d'opportunes OPA. Le constat est peut-être excessif, mais il est significatif des liens de dépendance qui s'établissent à tous les niveaux (financiers, industriels, politiques, économiques, culturels) entre le RoyaumeUni et son ancienne colonie devenue superpuissance mondiale. L'évolution de l'industrie automobile est significative de l'appétit des investisseurs d'outreAtlantique. Très paradoxalement, c'est après la suppression de l'IRC par les Conservateurs revenus au pouvoir que se produisent les sauvetages les plus spectaculaires du patrimoine industriel national (Rolls Royce, les chantiers navals écossais). L'Etat joue un rôle de premier plan dans la recherche-développement, qui devient une priorité nationale sous les gouvernements travaillistes entre 1964 et 1970. L'effort sur le long terme est réél puisque les dépenses de recherchedéveloppement atteignent £ 1 milliard par an, soit presque 2,5% du PNB , dont 70% assurés par l'Etat. Il existe un retard réel à combler dans le domaine de l'innovation : le nombre de brevets britanniques ne représente que 13,2% du total dans les dix premiers pays industrialisés (Etats-Unis exclus) au début des années 60. A travers le Mintech, l'Etat se réserve de nombreux domaines d'intervention tels l'énergie, les transports, les matériels pour l'armée, les technologies spatiales, les grands projets industriels comme l'avion franco-britannique Concorde. Des projets qui ne sont pas tous rentables économiquement. Le Concorde est l'exemple-type d'une "pure réussite" technologique, mais aussi d'un ratage commercial mémorable. En 1962, 40% des dépenses totales de R&D le sont dans les secteurs stratégiques de l'espace, des technologies militaires et 34 des combustibles nucléaires. Un partie de la Gauche pacifiste ne manque pas de critiquer l'opacité des recherches menées dans ce secteur et les gaspillages qui en résultent. En 1965, le ministre de la défense Denis Healey renonce au projet d'avion TSR2, après avoir dépensé £ 120 millions d'argent public. L'énergie atomique, gérée par l'Atomic Energy Authority, représente une grande part des dépenses étatiques en matière de recherche-développement. Le Trésor alloue chaque année £50 millions à l'AEA et fournit à la fois l'armée et l'Electricity Generating Board. Son président en 1964-67 est Sir William Penney, le chef de programme de la bombe H britannique. Inversement, les recherches chimiques et électroniques sans buts militaires sont en grande partie financées par les entreprises privées. La firme chimique ICI dépense ainsi chaque année £ 14 millions en recherche-développement. Employant plus de 6000 chercheurs, ICI-recherches a pour vocation d'élaborer de nouvelles molécules de synthèse, dans les matières plastiques, la pharmacie, les textiles. Les trois science-based industries, la chimie, l'électricité-électronique, l'aéronautique emploient 65% de tous les scientifiques de l'industrie. Cela ne laisse aux autres secteurs que 35% des scientifiques, chiffre très bas par rapport à celui des Etats-Unis, où la recherche-développement est mieux répartie. Le cas exemplaire d'ICI et de quelques grandes firmes ne doit pas masquer les faiblesses structurelles de la recherche-développement. Selon le Department of Scientific and Industrial Research (DSIR), la recherche est insuffisante dans des secteurs comme les contructions navales, les machines-outils, le bâtiment et faible dans les industries de biens de consommation courants (vêtement, alimentation, ameublement, où la "forme" du produit prime sur sa composition). Par rapport à l'Allemagne, elle est très inférieure dans les matériels électriques, les instruments de précision, les produits chimiques et l'automobile. L'automobile ne représente dans les années 60 que 10% des dépenses de recherche, chiffre comparable à celui de la France, mais inférieur à celui des Etats-Unis (15,6%) ou de l'Allemagne (presque 20%). C'est pourquoi le Mintech peut, à partir de 1968, subventionner des entreprises privées souhaitant appliquer des techniques nouvelles à la rentabilité aléatoire. Une politique de subventions contestable, dans la mesure où elle permet à des firmes en difficultés de se maintenir en vie sous couvert de "politiques d'innovation". Le système scolaire et universitaire britannique a dû s'adapter après 1945 aux nouvelles exigences de la "société technologique" tant vantée par Wilson . Cela n'a pas été sans certaines pesanteurs culturelles. Au début des années 1960, l'un des rares scientifiques élu au Parlement, Martin Madden, souligne - dans 35 l'indifférence générale des élites attachées aux "humanités" — la faible représentativité des scientifiques (ingénieurs compris) à la tête des grandes institutions universitaires, politiques et de la presse. Ainsi, sur les 60 directeurs des collèges d'Oxbridge, 8 seulement ont reçu une formation scientifique, essentiellement en mathématiques. Ce handicap culturel n'a jamais empêché l'excellence de la science britannique dans de nombreux domaines — la biologie moléculaire, par exemple — ni l'existence de dynasties de savants. Mais il a enfermé les scientifiques dans un monde éloigné de l'Establishment politico-culturel et économique, ce qui n'a pas encouragé les vocations scientifiques — et encore moins techniques — au sein des plus prestigieuses écoles et universités du Royaume. D'une certaine façon, la prestigieuse Royal Society est le reflet de ce malaise. Même si l'institution s'est ouverte dans les années 60 aux sciences humaines et à la science appliquée (Christopher Cockerell est ainsi récompensé pour son invention de l'hovercraft), elle donne encore l'image d'une oligarchie assez fermée. La formation des entrepreneurs et des cadres d'entreprise s'est toutefois beaucoup améliorée depuis les années 50. En ce qui concerne l'encadrement technique, on trouve à la fin des années 60 de plus en plus de techniciens supérieurs et d'ingénieurs issus des universités de technologie. De plus, les "nouvelles universités" nées dans les années 60 ont, particulièrement dans le Nord industriel, des rapports étroits avec les entreprises. En ce qui concerne les cadres supérieurs et les chefs d'entreprise, la vogue américaine du management, qui a déferlé dans les années 50, a permis l'essor des Business schools en dépit de l'absence d'une véritable tradition d'écoles de management et de commerce. Des établissement de bon niveau se sont ouverts comme la London of Business Studies à Regent's Park, qui se veut le pendant britannique de la Harvard Business School, la Manchester Business School (mois élitiste et plus proche des réalités du terrain industriel). Les diplômés des Business schools vont tenter au début des années 70 une entrée en force dans l'industrie britannique, mais parfois en vain : les firmes (même les grandes) préfèrent encore former leurs cadres par promotion interne et recyclage. Au mieux, elles recrutant directement leurs stagiaires pendant leur cursus universitaire et non à la sortie des Business schools. De plus, les préjugés contre l'université demeurent forts. Le président d'ICI estime par exemple dans les années 60 que les universitaires sont timides et hésitants ou obstinés, surtout par crainte de se tromper. Les formations scientifiques et techniques ont aussi pu se développer dans les années 1960, grâce aux liens tissés avec les industries, notamment de pointe. 36 La société Shell est probablement un précurseur dans le domaine des relations toujours délicates entre les universités et les entreprises. Elle fut la première firme, dès 1910, à recruter directement les diplômés des universités, notamment ceux des redbrick universities, mieux formés aux nouvelles siences et techniques (ainsi Manchester). D'autres entreprises (de pointe) comme ICI, Glaxo, Monsanto se sont rapprochées de l'université de Cambridge dès les années 50, finançant d'ambitieux programmes de recherches. Au nord d'Oxford et au sud de Cambridge, des cités scientifiques se sont développées autour des prestigieux colleges, qui développent des formations scientifiques de haut niveau. Certaines universités régionales sont également réputées pour leurs filières technologiques de haut niveau, parfois ultra-spécialisées (le pétrole, la brasserie à Birmingham, l'électronique à Liverpool, la chimie appliquée à Edimbourg, les fibres synthétiques à Leeds, le verre à Sheffield, le textile à Belfast) et qui obtiennent des subventions à la fois de l'Etat et des entreprises privées. Les "nouvelles universités" créées dans les années 60— notamment dans le Bassin de Londres — auraient dû s'ouvrir naturellement aux nouvelles technologies, ainsi qu'aux nouvelles formations du management. Elles ont certes privilégié les "nouvelles matières" , mais plus dans les sciences humaines (psychologie, sociologie) que dans la technologie ou le marketing. En 1970, seuls 30% des départements scientifiques des "nouvelles universités" ont des contacts étroits avec les industries et seulement 20% des étudiants souhaitent soutenir leur Phd en collaboration avec une entreprise. Seule l'université de Warwick, près de Coventry, a tenu ses promesses d'être une passerelle entre l'école et l'industrie; elle a en effet développé des filières réputées en mathématiques, informatique, génie civil, commerce et management d'entreprises. Les trois vieux collèges techniques victoriens se sont rénovés en 1956 en prenant le nom de Colleges of Advanced Technology (CATS) et entre 1957 et 1960 six nouvelles écoles ont été ouvertes à Bradford, Bristol, Chelsea, Northampton, Cardiff et Loughborough, accueillant 14 000 étudiants en 1965. A la même date sont créés les Polytechnics de niveau supérieur, tandis que les Colleges of Advanced technology deviennent en 1966 des "universités de technologie" délivrant de véritables diplômes universitaires. Malgré leur appellation, les universités de technologie se détournent trop souvent dans les années 70 de leur vocation première pour devenir des établissements plus généralistes, où se développent même des études artistiques et de sciences sociales ! Tous ces efforts n'empêchent pas une forte émigration des cerveaux 37 britanniques, essentiellement vers les Etats-Unis. Stigmatisé dans les années 1960, par les Travaillistes, le brain drain prend d'inquiétantes proportions. Entre 1962 et 1966 ont émigré vers les Etats-Unis 16 561 scientifiques et ingénieurs européens de haut niveau, dont 30% de Britanniques. Paniqué par la perspective d'une grave pénurie de cerveaux, le gouvernement Wilson renverse la tendance de 1967 à 1970, mais l'offre devient rapidement supérieure à la demande. Le nombre des ingénieurs chimistes double ainsi de 1964 à 1969, mais beaucoup ne trouvent pas encore de situations conformes à leurs diplômes. La dégradation des relations industrielles La période 1964-70 est marquée par une sensible dégradation des relations industrielles. A l'arrivée de Wilson au pouvoir, le Trades Union Congress est une énorme organisation qui regroupe 175 organisations, dont une douzaine forment des fédérations et 150 des Unions , ce qui rassemble directement ou indirectement près de 300 syndicats et plus de 8 millions d'adhérents (10 millions en 1970). La présence au pouvoir des Travaillistes accentue encore ce lien structurel : de nombreux leaders politiques ont été dirigeants syndicaux, tandis que la political levy assure au Labour une partie des cotisations syndicales retenues à la source. Ayant perdu tout penchant révolutionnaire — contrairement par exemple à l'Italie et à la France —, le Trade-unionisme est devenu un état dans l'état, une forme d'Establishment défendant sans relâche tous les avantages acquis, particulièrement ceux du Welfare State. Le consensus sur ces avantages est quasi général dans les années 60, à l'exception de l'opinion de quelques francs-tireurs conservateurs. Tout au plus remet-on périodiquemement en cause la political levy, mais aussi le closed shop system (monopole d'embauche d'ouvriers syndiqués) et la retenue à la source des cotisations. Fortement marqués par le chômage et par la crise industrielle des années 30, les dirigeants du TUC et des grands syndicats afiliés (Amalgamated Engineering, National Union of Mineworkers, Transport and General Workers) ont deux objectifs simples mais sans nuances : maintenir coûte que coûte l'emploi industriel, augmenter les salaires et le pouvoir d'achat de leurs membres. Toute résistance de l'Etat (dont l'arbitrage peut être refusé en fonction du collective bargaining) ou du patronat à ces exigences sans cesse renouvelées se paye au prix fort, celui du conflit, de la grève, du lock-out et parfois de l'action "sauvage" qui échappe théoriquement aux mots d'ordre syndicaux. De 1964 à 1970, si l'on exclut les charbonnages, la moitié des grandes 38 grèves ont lieu dans les industries à gros effectifs comme l'automobile — la syndicalisation y est très forte, y compris au sein des filiales de firmes américaines— et les constructions navales, ainsi que dans les transports. Le niveau des conflits industriels reste relativement bas de 1964 à 1967, mais il est en nette augmentation à la fin des années 60 (cf. tableau 6), avec en 1970 un record de jours de grèves depuis la fin de la guerre. L'"état de grâce" entre le pouvoir et le TUC dure en fait quelques années, grâce aux contacts étroits entre le DEA et le TUC ; on peut même parler d'un ministère à deux têtes, le ministre officiel George Brown et le ministre officieux George Woodcock, à la tête des Trade-Unions. Les accords de 1965 sur les prix et les revenus scellent en quelque sorte le pacte Labour-TUC, mais les partenaires tablent sur une croissance forte illusoire et sur des taux d'investissement fantaisistes. Les espoirs d'un Corporate State harmonieux se heurtent aux réalités économiques et provoquent des conflits graves en 1966 (la grève des marins dure un mois et demi). Tableau 6 Effectifs syndicaux totaux, du TUC, nombre de grèves et total des journées perdues. Total syndiqués TUC grèves journées perdues 1964 10 218 000 8 7771 012 2524 2 277000 1965 10 325 000 8 867 522 2534 2925 000 1966 10 262 000 8 787 282 1937 2398000 1967 10 190 000 8 725 604 2116 2 787 000 1968 10 193 000 8 875 381 2378 4 690 000 1969 10 472 000 9 402170 3116 6846 000 1970 11 179 000 10 002204 3906 10980000 La fin des années 60 marque en effet une grave détérioration des relations industrielles dans un pays qui aurait plutôt besoin de paix sociale pour combler ses retards de productivité. Les budgets d'austérité de 1966 puis de 1968-70 suite à la dévaluation de 1967, sont marqués par un important transfert de ressources de la consommation intérieure vers les exportations. Cette politique économique est mal acceptée par des syndicats qui estiment avoir fait trop de concessions depuis 1964 : augmentation de la fiscalité, qui finit par toucher les skilled workers, bloquage des salaires en 1966, permanence d'un taux de chômage relativement élevé qui rend illusoires les objectifs de plein emploi (cf. tableau 7). 39 Tableau 7 : la progression du chômage entre 1960 et 1975 (nombre de chômeurs indemnisés en Grande-bretagne) 1967 600 1960 393 1968 601 1961 377 1969 597 1962 500 1970 640 1963 612 1971 792 1964 414 1972 876 1965 360 1966 391 Des grèves ont lieu dans de nombreux secteurs au printemps 1966, non sans influence sur la situation économique générale. Le 15 mai 1968, un arrêt de travail national est décidé par l'Amalgamated Union of Engineering and Foundry Workers pour protester contre la politique des prix et des revenus du gouvernement Wilson. En juin 1968, la Commission Donovan sur les relations industrielles dénonce les mouvements de grève "sauvages" et préconise une nouvelle règlementation. Des sanctions pénales sont notamment prévues contre ceux qui lancent des grèves en violation des engagements pris dans les contrats collectifs. La grève est de plus en plus impopulaire en raison des inconvénients quotidiens (surtout dans les transports), mais aussi de l'absence de limites légales : les conventions collectives prévoient dans certaines branches des préavis de grève, mais ceux-ci ne sont pas obligatoires, pas plus que les votes à bulletins secrets, ou les procédures de conciliation. Le ministre travailliste de l'Emploi et de la Productivité, Barbara Castle, approuve les principales recommandations de la commission Donovan, ce qui renforce le militantisme syndical sinon le radicalisme politique dans certaines grandes branches professionnelles du TUC (transports, métallurgistes). Jack Jones, qui ne cache pas ses opinions communistes, est ainsi élu à la tête du très puissant syndicat des transporteurs. Un "Livre blanc" de 1969 (In Place of Strife: A Policy for Industrial Relations) tend à préciser le rôle des principaux partenaires dans les conflits sociaux et à réglementer la grève. Destiné surtout à l'opinion publique, le Livre blanc est assimilé par certains à une "atteinte au droit de grève" ; il pose en réalité les bases d'un syndicalisme rénové ( celui qui triomphera dans les années 90) : préavis de grève, consultations à bulletins secrets dans les entreprises, procédures obligatoires de conciliation. In Place of Strife rencontre une opposition résolue et oblige Wilson comme Barabara Castle à une reculade peu glorieuse. Le secrétaire général, modéré, du TUC, George Woodcock, est 40 remplacé par un "dur", Victor Feather. Le gouvernement accepte un "compromis", qui se solde par l'abandon du projet de 1969 et par des augmentations de salaires importantes (10% soit trois fois plus que les objectifs annuels). C'en est bien fini de la règlementation des revenus et des objectifs de concertation salariale. La dérive des prix et des salaires commence bien en 1969, sans pour autant règler — bien au contraire — les problèmes structurels : manque de compétitivité industrielle et chômage chronique. Les années Wilson se terminent ainsi dans la plus grande confusion sociale. 41 Chapitre 3 Les révisions de la politique étrangère La guerre en Ulster Le maintien de la puissance britannique — ou plus exactement de la puissance anglaise — demeure l'un des axes de la politique wilsonienne, en dépit d'une conversion à certain réalisme en matière de relations extérieures. Il n'y a pas eu de véritable innovation entre 1964 et 1970 et même une certaine continuité avec les politiques menées depuis l'affaire de Suez en 1956. L'illusion des "relations spéciales" avec les Etats-Unis et les liens étroits avec le Commonwealth demeurent les deux axes majeurs de la politique étrangère, auxquels il faut ajouter un troisième axe européen, initié par Harold Macmillan en 1963. Enfin, les années Wilson sont marquées par la détérioration des relations de l'Angleterre avec les principales composantes du Royaume, et particulièrement l'Irlande du Nord. L'Angleterre, le Royaume-Uni et le Commonwealth Le processus de décolonisation de l'immense empire britannique — qui continue à susciter bien des nostalgies — est pratiquement achevé au moment où Wilson accède au pouvoir. Cela n'empêche pas le Premier ministre de tenir un discours de puissance un peu anachronique en 1964, proclamant que "les frontières de la Grande-Bretagne sont sur l'Himalaya". Dans les faits, le Foreign Office pratique avec l'accord de Wilson une politique de prudence et de repli, poursuivant l'œuvre de décolonisation entamée par les Travaillistes dans les années 40, puis les Conservateurs dans les années 50. De 1964 à 1970, un certain nombre de pays deviennent indépendants : la Gambie en 1965, le Guyana, le Bostwana, le Lesotho et les Barbades en 1966, le Yemen du Sud en 1967, l'Ile 42 Maurice, le Swaziland en 1968, les Iles Tonga et Fidji en 1970. En 1967 le gouvernement annonce qu'il met fin dans un délai de moins de 10 ans à la présence militaire britannique en Malaysia et à Singapour — bases qui coûtent au Trésor plus de £ 300 millions par an —, tandis que les troupes stationnées en Arabie saoudite et à Aden se retirent des lieux en janvier 1968 (A Aden, de 1964 à 1967, les troupes britanniques ont perdu 57 hommes dans le maintien de l'ordre et les conflits de frontière avec le Yemen du Sud). De nouvelles réductions des forces britanniques outre-mer sont annoncées en 1968 par Wilson dans un discours fait en janvier à la Chambre des Communes : toutes les bases en dehors de l'Europe, de la Méditérranée et de Honk-Kong doivent être fermées avant 1971 ; la force sous-marine d'extrême-Orient est délocalisée vers le bassin méditérranéen ; les dernières bases du Golfe persique sont abandonnées. De plus, la défense aérienne de la Malaysia et de Singapour est assurée, suite à la conférence de Kuala Lumpur par les Britanniques, les Australiens et les Néo-zélandais. Ces décisions s'inscrivent en fait dans un contexte très large de crise économique et de réduction drastique des dépenses militaires entre 1966 et 1968. Après avoir en février 1965 confirmé tous les engagements stratégiques pris par ses prédecesseurs et annoncé un important effort de dépenses militaires (6,3% du PNB prévus pour 1965), Wilson et son ministre de la Défense Denis Healey doivent vite revoir leurs ambitions à la baisse. Le Royaume a-t-il les moyens financiers d'entretenir ses nombreuses bases stratégiques (Gibraltar, Malte, Chypre, Aden, Singapour et Honk Kong pour ne citer que les principales), son arsenal nucléaire (les sous-marins Polaris), son armée stationnée en Allemagne (55 000 hommes), son armée régulière ? La réponse est négative : la Grande-Bretagne n'a plus les moyens de sa puissance et ne peut rivaliser avec les Etats-Unis ou l'URSS. Dès la fin de 1965, des projets d'avions sont annulés, ainsi que l'achat d'un cinquième sous-marin. En 1966, les effectifs de la Territorial Army sont fortement réduits et intégrés dans une nouvelle structure nommée Territorial and Army Volunteer Reserve (TAVR). Les résultats se font sentir rapidement. Si les dépenses militaires ont doublé de 1945 à 1950, elles n'augmentent plus que de 65% de 1960 à 1970 et la part de la défense dans le PNB passe de 6,3% en 1965 à 5,3% en 1969. Les effectifs globaux baissent dans toutes les armes pendant la même période : - 10 000 dans la Royal Navy, - 91 000 dans la Territorial Army, -50 000 dans la Royal air Force. Les programmes et dépenses engagés sont sérieusement revus à la baisse dans les budgets de 1968 et 1969. Les commandes d'avions F111 américains sont remises 43 sine die, tandis que les nouveaux projets sont entrepris en collaboration avec des partenaires américains ou français (l'avion Jaguar). A la fin des années 60, l'Empire britannique n'est plus qu'un mirage, avec une vingtaine de dépendances, souvent très lointaines et trop petites pour acquérir une véritable autonomie. Certaines de ces dépendances continuent à alimenter des tensions internationales, comme Les Falklands (revendiquées par l'Argentine) et surtout Gibraltar, que le gouvernement espagnol réclame avec un grande insistance dans les années 60. Le 17 octobre 1964, l'Espagne franquiste décide le blocus de Gibraltar, ce qui n'émeut pas outre mesure le Foreign Office. Un referendum organisé par Londres en septembre 1967 donne une écrasante majorité d'habitants du rocher favorable au maintien dans le Royaume-Uni. En 1968, une résolution de l'ONU réclame la rétrocession de Gibraltar à l'Espagne, mais Wilson ne peut guère accéder à la demande de l'ONU contre l'avis des habitants de Gibraltar. Les conséquences de ce maintien sont à la fois diplomatiques — les rapports avec l'Espagne sont durablement détériorées — et économiques — le Rocher coûte très cher au regard de sa superficie et de son nombre très réduit d'habitants. La structure d'accueil de la plupart des pays décolonisés est le Commonwealth (seul le Yemen du Sud, marxiste, refuse d'en faire partie), objet de toutes les attentions gourvernementales depuis 1945. De 1964 à 1970, ce ne sont pas moins de 15 pays qui adhèrent au Commonwealth, qui représentent près de 2,8 millions de km2. La plupart sont très pauvres comme la Tanzanie, la Gambie ou le Lesotho, certains à la très forte croissance démographique comme la Tanzanie. Le Commonwealth compte donc en 1970 32 états, avec d'importantes inégalités de richesse (Le Royaume-Uni et les Dominions blancs ont un niveau de vie très élevé), de population (l'Inde et le Pakistan sont parmi les pays les plus peuplés du monde) et de statut politique (cohabitent des monarchies, des républiques et des régimes autoritaires, la Reine étant le "chef" de cet amalgame politique). Si le Commonwealth perd de son attrait commercial — 30% du commerce britannique sont réalisés au début des années 60 avec ses membres, seulement 20% à la fin de la décennie —, il apparaît peu convaincant sur le plan politique. Association plus morale que diplomatique, le Commonwealth est de plus traversé par de graves crises diplomatiques, qui mettent en jeu son existence et sa crédibilité internationale. De 1966 à 1969, les tensions qui règnent rendent même impossible la tenue des conférences annuelles de l'organisation. En 1961, c'est le départ de l'Afrique du Sud de l'apartheid, condamnée par Londres et par la plupart des capitales. Entre 1963 et 1966, l'Indonésie organise des actions 44 de guérilla contre la Malaysia, ce qui oblige les troupes britanniques et du Commonwealth à intervenir. D'août à septembre 1965, un nouveau conflit de frontière éclate entre l'Inde et le Pakistan. L'ONU — avec l'aide active de l'URSS — parvient à imposer un cessez-le-feu entre les deux anciennes parties de l'Empire britannique des Indes, mais ce n'est qu'une accalmie provisoire avant la guerre de 1971 et la création du Bangla-Desh à la place du Pakistan oriental. En 1967-69, le Nigeria (indépendant depuis 1960) est ensanglanté par une guerre civile, en raison de la sécession des provinces du Centre-Ouest sous le nom de Biafra. Londres soutient le Nigeria, non sans ressentir une certaine gêne en raison de l'évolution de la situation militaire. En effet, la guerre civile et la famine provoquent de 1968 à 1970 la mort d'au moins deux millions de Biafrais, dont beaucoup d'enfants sous-nutris. Les images terribles d'enfants moribonds sont diffusées dans la presse et à la télévision et provoquent dans l'opinion un mouvement de sympathie pour les victimes, relayé par l'organisation humanitaire Oxfam. En 1965 éclate l'affaire rhodésienne, qui va déstabiliser quelques mois le Premier ministre britannique. En effet, Wilson cherche à trouver en 1964-65 une solution négociée à l'indépendance de la Rhodésie du Sud, dont le gouvernement blanc de Ian Smith ne veut pas garantir les droits de la majorité noire. Une rencontre a lieu à Londres en octobre 1965 entre Ian Smith et Harold Wilson, ce qui met en colère les Travaillistes de gauche et provoque des agitations au sein de la Nouvelle gauche étudiante (ainsi à la London School of Economics). La volonté de compromis de Wilson est assimilée assez brutalement à une volonté de compromission et ne débouche que sur l'indépendance unilatérale de la Rhodésie le 11 décembre 1965. Le gouvernement Wilson souffle ensuite le chaud et le froid, rompant toutes relations diplomatiques et décidant des mesures de rétorsion économique (très défavorables aux intérêts britanniques dans la région), mais gardant des contacts personnels avec Ian Smith. Cette voie moyenne permet au Premier ministre de satisfaire une opinion publique hésitante et d'éviter également une intervention militaire, diplomatiquement envisageable en raison du soutien de l'ONU et de la plupart des grandes puissances, mais politiquement très hasardeuse. Wilson risquait en effet d'être attaqué par une coalition réunissant les Conservateurs favorables à Ian Smith et les Travaillistes hostiles à toute vélléité militaire néo-coloniale. L'image du Premier ministre ne sort cependant pas grandie de ses rencontres en 1967 et 1968 avec Ian Smith à bord de cuirassés de la Navy : faute d'une politique déterminée, ces tête-à-tête spectaculaires ne débouchent sur rien d'autre que le renforcement du nationalisme et du racisme 45 des Rhodésiens blancs. A l'intérieur, Wilson rencontre l'opposition de la Chambre des Lords, qui refuse de voter des sanctions contre le régime de Ian Smith. Les Lords peuvent jouer sur l'ambiguïté de la diplomatie britannique, qui condamne la Rhodésie, mais est refuse de s'associer à l'embargo économique contre l'Afrique du Sud, décidé par certains pays du Commonwealth. Bien plus grave que la lointaine Rhodésie apparaît la crise qui secoue l'Irlande du Nord à la fin des années 60, point de départ d'une guerre civile qui va durer trente ans (jusqu'aux fragiles efforts de paix des années 1997/98). Certes, les rapports anglo-nord-irlandais — tout comme les rapports anglo-écossais et anglo-gallois — n'entrent pas directement dans la problématique des relations internationales. Il n'empêche que la montée des nationalismes, les vélléités d'indépendance écossaise et le développement de la violence en Ulster dépassent le seul cadre de la politique intérieure pour devenir des affaires de dimension internationale, à travers les relations avec l'Eire mais aussi en raison du poids de la minorité américaine d'origine irlandaise. Du point de vue catholique — et pas seulement extrémiste — la question irlandaise est d'abord une question coloniale, qui n'a été qu'imparfaitement réglée lors de la partition de 1921/22. L'Irlande du Nord comprend depuis 1921 les six comtés d'Ulster qui sont restés fidèles à la Couronne d'Angleterre lors de la partition de l'île ; elle est déchirée depuis toujours par l'opposition entre la minorité catholique (30 % des habitants environ) et la majorité protestante (essentiellement des Presbytériens d'Ecosse, des Anglicans et des Méthodistes). Les Protestants se rassemblent plutôt dans la partie orientale, alors que les Catholiques ont la majorité dans l'Ouest et dans certains quartiers de Belfast (Falls Road). Jusqu'aux années Wilson, l'Irlande du Nord bénéficie d'un statut spécial lui donnant une forte autonomie interne, avec un Parlement régional siègeant à Belfast et un gouvernement. En réalité, le pouvoir est entièrement aux mains des Protestants (Parti unioniste) et les rares députés catholiques ne siègent même pas au Parlement. A partir de 1963, le Premier ministre d'Irlande du Nord, Terence O'Neill, cherche à lancer des réformes favorables aux Catholiques et à se rapprocher de l'Eire. Les Catholiques et un certain nombre de Protestanys lancent alors (en 1964) la Campaign for Democraty puis en 1966 le Civil Rights Movement. En 1966 l'extrémiste protestant, le révérend Ian Paisley est emprisonné pour des activités anti-catholiques, tandis que l'interdiction de la Secret Protestant Ulster Volunteer Force a pour objectif d'empêcher les 46 provocations et violences contre la minorité catholique, encore peu structurée politiquement et militairement. La situation évolue au cours de l'année 1968, à travers l'action de l'Association des Droits Civiques (désormais appelée Nothern Ireland Civil Rights Association, mouvement apolitique créé en 1967et qui prône le respect des libertés et des droits pour tous les habitants d'Irlande du Nord. L'Association réclame plus de démocratie à tous les niveaux : le respect intégral du suffrage universel (sur la base du one man one vote), le redécoupage des circonsciptions électorales (qui bafoue les intérêts catholiques), la fin des mesures de ségrégation et de discrimination qui touchent les Catholiques en matière d'emploi (le chômage touche 16% de la communauté catholique et seulement 5% de la communauté protestante), de logement, l'abolition de toutes les mesures d'exception prises depuis 1921 (loi de 1923 sur les pouvoirs spéciaux, police protestante supplétive etc.). Les premières manifestations de l'Association sont pacifistes et non violentes, comme la marche de Dungannon, mais des émeutes éclatent en octobre 1968 suite à la marche pour les droits civiques de Londonderry. Les revendications ne sont prises en compte ni par le Parlement de Belfast ni par Londres, qui temporisent alors que les émeutes se multiplient ponctuellement. Le Premier ministre d'Irlande du Nord, Terence O'Neill est remplacé en avril 1969 par James Chisterer-Clark et l'armée britannique intervient pour s'interposer entre les communautés à Belfast et Londonderry. Le mois de mai 1969 est en effet particulièrement violent : du 3 au 18 août, on comptabilise 9 morts et 514 blessés dans la population civile et 226 parmi les forces d'intervention ; 400 maisons et de nombreuses automobiles ont été incendiées. L'IRA (Irish Republican Army), organisation nationaliste créée en 1919, réapparaît sur la scène politique à la faveur des troubles et surtout de la présence des troupes britanniques. En 1970, le mouvement se scinde en deux branches. D'un côté l'IRA-canal officiel qui prône la libération nationale de l'Ulster et poursuit au grand jour son activité militante, notamment par l'intermédiaire du Sinn Fein ; de l'autre l'IRA provisoire rentre dans la clandestinité et prône la guerilla, à la fois contre les Irlandais protestants et les Britanniques. Face au terrorisme de l'IRA, les mouvements extrémistes protestants se radicalisent encore plus, sous la houlette des Orangistes et des diverses milices paramilitaires, comme l'Ulster Volunteers Force et l'Ulster Defence Association. L'engrenage de la violence est enclenché, sans que le gouvernement de Londres ait véritablement les moyens d'y mettre fin et d'asseoir les principaux protagonistes du conflit autour d'une table de négociation : 13 morts en 1969, 25 47 morts en 1970 (dont 10 soldats). Durant l'année 1970, il ya sur le sol d'Irlande du Nord 319 affrontements armés et 153 attentats. Deux ans plus tard, les chiffres sont respectivement de 10 628 et 1382, pour 468 victimes ! Vers l'intégration européenne L'histoire de l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun est complexe et ne peut aisément se résumer en quelques lignes. La période Wilson est toutefois cruciale dans une épopée diplomatique qui ne prend véritablement fin qu'en janvier 1973 (date officielle d'entrée) et qui apparaît dans les années 60 comme une série de rendez-vous manqués. Il est à noter que c'est en Grande-Bretagne que le courant pro-européen et fédéraliste a été le plus fort après 1945 et Churchill a même envisagé l'idée d'une "sorte d'Etats-Unis d'Europe", concept il est vrai dans lequel la place de la Grande-Bretagne demeurait bien indéfinie. Pour les Travaillistes comme les Conservateurs, la question n'était pas de choisir entre une politique nationale et une politique européenne, mais entre l'Europe et le Commonwealth. Comme on le sait, la Grande-Bretagne choisit dans les années 50 de ne pas participer à l'aventure européenne, mais il se produit un important changement de cap en 1961, avec l'ouverture de négociations avec la communauté européenne. Ce changement de cap est à relier à la situation internationale du pays : désastre de Suez en 1956, abandon des fusées Blue Streak en 1960 et de toute prétention à une force de dissuasion indépendante (accords de Nassau en 1962), croissance économique inférieure à la moyenne des grands pays développés, stagnation des exportations dans la "zone sterling", dynamisme médiocre de l'Association Européenne de Libre Echange (créée en 1958 et incluant la Suède, la Norvège, la Suisse, l'Autriche et le Portugal). De plus, les "relations spéciales" avec les EtatsUnis sont de plus en plus un fantasme diplomatique : Kennedy aimerait substituer à l'axe Londres-Washington une communauté atlantique qui unirait l'Amérique et une Europe unifiée. Malgré ces évolutions, le général de Gaulle invoque assez brutalement en 1963 les "relations spéciales" pour refuser à Macmillan l'entrée dans l'Europe : "L'Angleterre, en effet, est insulaire, maritime, liée par ses échanges, ses marchés, son ravitaillement, aux pays les plus divers et souvent les plus lointains". Cet affront a pour effet de geler quelques années toute vélléité britannique d'adhésion dans les deux grands partis. Toutefois en 1965, Harold Wilson reparle d'une éventualité "à long terme", suivant plus que précédant une opinion publique plus réceptive à l'idée européenne (+ de 50% des Britanniques selon les sondages Gallup du début de l'année 1965). Edward Heath n'est pas en reste, puisqu'il fait même de 48 l'adhésion à la CEE l'un des axes de son programme. En 1966, le gouvernement Wilson apparaît plus résolument pro-européen, avec la nomination de George Brown au Foreign Office. D'ailleurs Wilson et Brown entament en 1966 une longue tournée diplomatique dans les pays du Commonwealth, de l'AELE et du Marché Commun pour expliquer la nouvelle position britannique sur l'Europe. Le 2 mai 1967, dans un contexte de crise financière et après de nombreux contacts diplomatiques avec les capitales européennes, le gouvernement Wilson pose à nouveau sa candidature au Marché Commun, décision approuvée par 488 députés contre 62. On peut presque parler d'un consensus politique, à l'exception de la gauche du Labour (Michael Foot) et d'une poignée de Conservateurs. La candidature britannique est bien accueillie par la RFA, l'Italie et le Benelux, mais avec scepticisme par la France du général de Gaulle, qui bloque les négociations, mais se défend d'opposer un quelconque veto . Pour ce dernier, "...en définitive, il apparaîtrait une Communauté atlantique colossale sous dépendance et direction américaine et qui aurait tôt fait d'absorber la Communauté européenne". Les conférences de presse faites alors par de Gaulle (le 16 mai 1967 puis le 27 novembre 1967) sont des critiques en règle de la politique étrangère — mais aussi économique et financière — du Royaume-Uni depuis les années 50 : opposition ancienne et répétée à la construction européenne, déficit chronique de la balance des paiements, système agricole particulier, régime de circulation des capitaux incompatible avec la communauté, médiocres performances industrielles, état du sterling et énormes créances qui pèsent sur la monnaie. Dans ses souvenirs, Wilson a donné la teneur des rencontres privées qu'il a eues avec le général sur la question européenne. Le point crucial reste bien le "péché mortel de l'atlantisme", selon les mots du Premier ministre. De Gaulle considère alors que l'entrée de la Grande-Bretagne va changer la nature de la communauté, certains pays comme les Pays-Bas, la Belgique et l'Allemagne pouvant être tentés par une communauté atlantique. Le ministre George Brown (qui rencontre De Gaulle en 1966 et qui publie ses mémoires en 1971) confirme bien cette farouche hostilité française, rappelant l'image gaulliste selon laquelle il est impossible "de faire coexister deux coqs dans une seule basse-cour avec dix poules". En juin 1967, lors d'une rencontre à Versailles entre Wilson et de Gaulle, le Britannique utilise l'argument de l'essor de la puissance allemande pour tenter de convaincre le Français ; il fait aussi valoir les décisions prises par son gouvernement en matière de défense, et notamment le non-remplacement des fusées nucléaires Polaris par des fusées Poseidon. Le général reste cependant 49 inflexible, estimant qu'il faut une profonde transformation politique et économique — de ce point de vue, la politique envers le sterling apparaît en France comme liée à la politique financière américaine. Après cet épisode, les relations franco-britanniques ne s'améliorent pas vraiment, même si George Brown réaffirme l'espoir d'intégrer très vite la communauté européenne. Une vague de francophobie se répand en GrandeBretagne, largement entretenue par la presse populaire (mais la presse "sérieuse" et économique n'est pas en reste pour critiquer l'attitude française). Début 1969 éclate l'"affaire Soames", qui marque l'une des crises les plus sévères des rapports franco-britanniques pendant les années Wilson. Recevant l'ambasssadeur de Grande-Bretagne, Michael Soames (le gendre de Churchill), de Gaulle évoque librement une Europe plus large et différente, logiquement dominée par les quatre puissances, Italie, RFA, Grande-Bretagne, France et qui pourrait se baser sur une organisation déjà existante, l'UEO (Union de l'Europe Occidentale). Ces conversations auraient dû rester confidentielles, mais elles font l'objet d'une note officielle, transmise à Wilson. Ce dernier en informe la Chambre des Communes et les partenaires de la France, parlant d'un plan destiné à supprimer le Marché commun au profit d'une zone de libre-échange et d'un "directoire" à quatre, excluant de facto les pays du Benelux. La démission de De Gaulle et l'élection de Georges Pompidou en mai 1969 peut débloquer le processus d'intégration de la Grande-Bretagne à la Communauté, ce dont Wilson se réjouit ouvertement. Battu aux élections, il ne pourra cependant mener à bien une tâche poursuivie avec beaucoup de constance et de volonté par le très européen Heath. Les rapports anglo-américains et la contestation de la guerre du Vietnam Les rapports anglo-américains ont pris depuis la Seconde guerre mondiale un tour passionnel. Les Travaillistes de gauche ont souvent marqué leur défiance vis-à-vis de l'Amérique conservatrice des années 50. Toutefois, l'arrivée de J.F. Kennedy au pouvoir a changé le regard que pouvaient avoir des hommes comme Harold Wilson sur la politique américaine. Les projets démocrates de la "Nouvelle Frontière" puis de la "Grande Société" impressionnent favorablement le leader travailliste, qui garde sa confiance à Lyndon Johnson après la mort de Kennedy. Si les "relations spéciales" entre les deux pays ont trouvé leurs limites dans l'affaire de Suez — véritable trahison selon les Britanniques les plus modérés —, elles n'ont pas pour autant perdu leur réalité militaro-diplomatique, ainsi qu'économique. En 1962, les célèbres "accords de Nassau" entre Macmillan et Kennedy mettent les missiles Polaris 50 américains au service de la défense britannique. L'alignement quasi systématique de la diplomatie britannique sur les positions américaines répond à des objectifs qui paraissent avec le recul un peu naïfs. Il y a d'abord la certitude de pouvoir influer sur les décisions américaines jugées contraires aux intérêts du Royaume-Uni ou du moins trop aventureuses ; il y a ensuite la volonté de privilégier le monde anglophone — les Etats-Unis, les Dominions — sur le monde européen ; il y a enfin des liens culturels et historiques complexes, qui tiennent à la fois au passé colonial, à l'émigration et bien sûr aux solidarités des temps de guerre. Une telle politique apporte aux Américains un allié européen solide au plus fort de la crise du Vietnam. Le soutien sans failles de Wilson au président Johnson de 1965 à 1969, puis au président Nixon demeure un choix contestable, dans la mesure où le Premier ministre espère être un intermédiaire dans le processus de paix. Si la Grande-Bretagne travailliste s'affirme alors comme l'un des remparts les plus solides contre l'expansionnisme soviétique, elle n'a que très peu de pouvoir de médiation. Les Américains ne peuvent évidemment se passer d'un allié qui, via le Commonwealth, a quelques moyens de limiter la percée soviétique dans le Tiers Monde décolonisé, mais ils n'attendent pas les conseils du Foreign Office pour bombarder le Vietnam ou pour engager des pourparlers de paix. La diplomatie britannique se targue de jouer un rôle crucial dans toutes les négociations relatives à la détente et au désarmement, mais les accords signés (non-militarisation de l'espace en 1967, nonprolifération nucléaire en 1968) s'inscrivent dans la perspective d'une protection nucléaire américaine. La politique d'alignement systématique sur les Etats-unis rend le gouvernement Wilson très impopulaire auprès des pacifistes, d'une partie des étudiants, des syndicalistes et d'une frange de la base travailliste. Dès 1965, une résolution présentée par des Travaillistes de gauche demande clairement à Wilson de cesser de soutenir la politique américaine menée au Vietnam et obtient 49 voix à la Chambre. Entre 1965 et 1967, Bertrand Russell, le fondateur de la CND, s'implique totalement, en dépit de son grand âge, dans le combat contre la politique américaine. Il fonde en novembre 1966 le Tribunal international contre les crimes de guerre (ou Tribunal Russell), dans lequel on trouve notamment Jean-Paul Sartre et James Baldwin. Interdit de séjour à Londres, le Tribunal se réunit en 1967 à Stockholm, et n'hésite pas à parler de génocide pour qualifier les bombardements américains. Les médias et les intellectuels parlent beaucoup du Vietnam en 1966/67, notamment à travers les reportages saisissants de l'émission de la BBC, Panorama, mais aussi à travers des spectacles à succès (la pièce US de Peter Brook en 1966). La contestation de 51 la guerre du Vietnam et du soutien aux autorités américaines va culminer en 1968 et donner au mai-68 britannique une forte coloration pacifiste. La guerre du Vietnam cristallise en effet les oppositions au gouvernement Wilson et à sa politique étrangère : le 17 mars, 1968 une grande marche sur l'ambassade des Etats-Unis réunit au moins 25 000 personnes à Grosvenor Square et se termine par une charge violente des policiers à cheval. Le même mois, des étudiants gauchistes de Cambridge tentent de renverser l'automobile transportant Denis Healey. Le 19 mai, Essex University est en grève sous l'impulsion de quelques étudiants gauchistes, mais la gestion libérale du vicechancelier Albert Sloman permet à l'agitation de garder une certaine mesure et de ne pas s'étendre. Quant au ministre chargé de l'éducation, Edward W.Short, le journaliste du Daily Mail Bernard Levin lui reproche sa politique incohérente, qui oscille entre le mépris — les étudiants protestataires sont des "voyous" — et la défense (paradoxale) d'un système d'éducation plus progressiste. Fin mai et début juin, l'agitation est amplifiée par les événements français et leurs retombées ; Geismar et Cohn-Bendit sont à Londres le 15 juin et rencontrent des militants anglais de la RSSF (Revolutionary Socialist Students Federation). Les grèves se poursuivent à Londres dans la Hornsey Art School et la London School of Economics. L'agitation gagne alors sporadiquement d'autres Art schools et des lycées (à travers la Schools Action Union). Dans les prestigieuses universités (Oxford, Cambridge) ont lieu quelques actions minoritaires. Le 3 juin, le bâtiment des Proctors (censeurs) d'Oxford est occupé en raison d'un conflit sur la distribution de tracts, soumise à l'autorisation universitaire. Ces actions ponctuelles sont réprouvées par la majorité des étudiants, qui aboutissent tout de même à l'assouplissement de certaines règles sur la liberté d'expression (notamment sur le droit d'affichage). Alors que les vacances d'été pouvaient laisser espérer un retour au calme, les renvois de la rentrée (dans les Art schools notamment, dont la gestion incombe aux autorités locales) et la guerre du Vietnam mobilisent les élèves de la London School of Economics dans ce qui est certainement la plus forte agitation politique universitaire de la fin des années Wilson. Le 25 octobre 1968, la LSE est occupée, et les Londoniens étonnés peuvent lire sur des banderoles placées à l'entrée Victory for the Vietnam Revolution. Malgré un évident scepticisme sur les chances (?) d'une révolution socialiste en Grande-Bretagne, le Vietnam reste bien un sujet d'extrême mobilisation. Les étudiants préparent en octobre 1968 une grande manifestation contre la guerre (Vietnam Solidarity Campaign ou VSC) prévue pour le 27 ; celle-ci marque l'échec de la VSC, les "réformistes" faisant cortège à part sans l'appui des militants anti-bombe, tandis que les 52 "révolutionnaires" (quelques milliers tout au plus) choisissent une stratégie d'affrontement avec la police. La fin de l'année 1968 et la première moitié de 1969 sont l'occasion de poursuivre quelques mois le psychodrame, que le Times relate avec délectation. Logiquement, une réaction conservatrice succède à l'anarchie de la fin des années soixante. La "normalisation" de la LSE — en dépit de sit-ins très médiatisés en 1969 — marque la fin des illusions libertaires et révolutionnaires en Angleterre, accentuée ensuite par le retour au pouvoir des Conservateurs (1970). Il y a bien encore quelques agitations ponctuelles dans l'hiver 1970, notamment à Cambridge et à Warwick, mais les autorités universitaires — en plein accord avec la police — ont décidé de sanctionner très durement les activistes de la Nouvelle Gauche (des peines de prison sont même prononcées en juillet). 53 Chapitre 4 : les mutations de la société Mods versus Rockers à Brighton Les peurs sociales : immigration et délinquance En dépit d'une augmentation globale de la population (53 millions en 1962 et 55,5 millions à la fin des années 60), la Grande-Bretagne n'échappe pas à un phénomène de vieillissement commun à la plupart des pays industrialisés. Après deux "baby booms" éphémères et conjoncturels de 1946 à 1950 et de 1960 à 1965 le taux de natalité a progressivement baissé dans les années Wilson sous la barre des 17 pour mille en Angleterre et au pays de Galles et un peu audessus de 18 pour mille en Ecosse. Il s'agit là en réalité de la permanence d'un malthusianisme ancien, qui avait même pris dans les années 30 un tour catastrophique (le palier de 15 pour mille avait été atteint). D'une certaine manière, la fécondité se stabilise à la fin des années 60, avant l'effondrement du milieu des années 70 (11,6 pour mille en 1977). Toutefois, le manque d'enfants met le pays dans une situation démographiquement et économiquement dangereuse. En 1970, la Grande-Bretagne compte 125 enfants de moins de 15 ans pour 100 adultes de 50-64 ans ; en France cette proportion est de 174 pour 100. Parallèlement à cette baisse de la fécondité, l'allongement de la vie s'accélère, avec les progrès de la médecine et de l'hygiène, les meilleures conditions de logement, la diversification de l'alimentation, la généralisation de la sécurité sociale. A la fin des années 60, l'espérance de vie atteint 67 ans pour les hommes et 74 ans pour les femmes,avec un taux de mortalité descendu en dessous de 12 pour mille au milieu des années 60. 54 Le "suicide démographique" annoncé n'a pourtant pas eu lieu, notamment en raison de l'apport de l'imigration, il est vrai très restreint durant les années Wilson. En réalité, la grande vague d'immigration en provenance du Nouveau Commonwealth se produit sous l'ère Macmillan, entre 1959 et 1962. En 1962, un coup d'arrêt brutal est donné par le gouvernement conservateur par le Commonwealth Immigrants Act, qui établit un contôle avec permis de travail valant attestation d'entrée sur le territoire britannique. En 1965, le gouvernement Wilson, en dépit de protestations à la gauche du parti, limite à moins de 10 000 le nombre de permis attribués chaque année (il entrait en 1962 plus de 300 000 immigrants!), afin de limiter l'entrée de travailleurs non qualifiés. En 1968, de nouvelles mesures législatives, plus tolérantes pour les uns, plus sévères pour les autres, provoquent dans le pays un vif débat sur l'immigration, singulièrement celle des coloured people (Antillais, Indiens, Pakistanais, Sri-Lankais). Le Race Relations Act de 1968, défendu avec une certaine force par James Callaghan, qui a hérité après la dévaluation du ministère de l'Intérieur, interdit la discrimination dans l'emploi, élargit les pouvoirs du Race Relation Board (à travers une Community Relations Commission) et pourvoit le Bureau d'immigration du Commonwealth d'un statut officiel et de subventions. Le principe de la restriction sévère des entrées est toutefois maintenu. Dans la plaidoirie qu'il fait aux Communes en 1968, James Callaghan rappelle la longue histoire des droits civiques en Angleterre et souhaite pour l'avenir une société où la paix et la liberté seront les valeurs essentielles, quelles que soient la race, la couleur de peau, la religion, l'appartenance sociale. Pourtant les conséquences de cette loi apparaissent en tous points catastrophiques, hypothéquant lourdement l'avenir en matière d'immigration et aussi d'intégration. En effet, le Race Relations Act ne pénalise pas les manifestations d'hostilité raciale, ce qui mécontente les partisans du projet ; de l'autre côté, l'égalité vis-à-vis des emplois et des logements est vécue par une partie de la population comme une "préférence" raciale aux dépens des anglais de souche. Le franc-tireur du conservatisme, Enoch Powell, cristallise au printemps 1968 toutes les oppositions à cette législation, dans le style qui est le sien, fait de formules à l'emporte-pièce, mélange de rêves passés et de contrevérité flagrantes. Sur le ton de l'émotion, il s'accroche à l'idée d'une Angleterre racialement pure comme il s'était désespérément accroché à la survie du grand Empire britannique. Pour lui, si la naissance fait de jure d'un Antillais ou d'un Asiatiaque un citoyen britannique, il n'en reste pas moins un Antillais ou un Asiatique. Le 20 avril 1968, il parle à Birmingham de communalism, par référence aux prêtres communalistes qui vivaient à l'époque médiévale à la 55 charge de la société. Il annonce une Angleterre où les Anglais seront minoritaires...en 1985 (!) et s'en prend violemment à l'Establishment politique, culturel et religieux, coupable d'encourager une invasion qui ne peut se terminer que dans le sang : We must be mad, litterally mad, as a nation to be permitting the annual inflow of some 50 000 dependants (...) As I look ahead, I am filled with foreboding. Like the Roman, I seem to see "the River Tiber foaming with much blood". That tragic and intractable phenomenon which we watch with horror on the other side of the Atlantic (..) is coming upon us here by our own volition and our own neglect. Le discours powellien semble avoir séduit l'opinion puisque 74% des Britanniques déclarent "approuver" Powell. Le danger d'une dérive raciste et extrémiste est suffisamment sérieux pour que le Sunday Times lance un cri d'alarme. La Nouvelle Gauche se mobilise (un certain nombre de ses militants sont de couleur comme le Pakistanais Tareq Ali), dans la mesure où Powell n'est pas selon elle un raciste "primaire", mais un réactionnaire intelligent et très conscient de la portée politique de ses paroles. Jusque-là isolé et retranché dans un mystérieux anonymat, Michael X, leader anglais des Musulmans noirs, fait la promotion de sa Racial Adjustement Action Society. Plus modéré que ses amis américains des Black Panthers, Michael X prône une solution non-violente à la question raciale et parvient à convaincre un certain nombre d'intellectuels — l'écrivain Colin MacIness dans le New Statesman — et d'artistes en vue — John Lennon et Yoko Ono vont devenir ses amis intimes — de l'intérêt de ses initiatives. Les Beatles eux-mêmes veulent faire en 1969 une chanson sur l'immigration et les lois qui s'y rapportent, d'abord intitulée Commonwealth Song ou No Pakistanis. L’ironie envers les leaders politiques, aussi bien Enoch Powell qu'Edward Heath et Harold Wilson, les phrases à double sens risquant de créer des malentendus, ils changent alors les textes de la chanson (devenue Get Back), mais il subsiste encore ce refrain ironiquement "powellien" sur un rythme de rock n' roll : Go Home! Get back get back get back To where you once belonged L'émergence du powellisme dans l'Angleterre wilsonienne est contemporaine de la naissance d'une bande de jeunes prolétaires, les Skinheads ("crânes rasés") dont le but est de passer à l'action sans se préoccuper de politique : "casser" du Noir, du Pakistanais et accessoirement du hippie à cheveux longs. Ce mouvement est encore marginal à la fin des années 56 soixante. Il va par la suite s'étendre à la faveur de la crise économique et de la montée de la violence dans les stades, pour être aujourd'hui un mouvement européen, parfois lié de près à l'extrême-droite. Apparus dans les cités anglaises en 1968 et 1969, les Skinheads ne sont certes pas des rejetons du powellisme — ce serait leur prêter trop d'intelligence et de sens politique. Mais tout comme Powell réussit à séduire une frange de la classe ouvrière (des dockers, des manutentionnaires, des ouvriers), son discours a aussi été entendu par les jeunes prolétaires habitant dans des quartiers d'immigration. Issus exclusivement de ce qu'ils nomment "la classe ouvrière ordinaire", ils revendiquent fièrement cette appartenance de classe délestée de tout héroïsme ; ils détestent à la fois les jeunes bourgeois qui fréquentent les rues "à la mode" et les jeunes prolétaires qui ont "réussi". Leur antiintellectualisme, lié en partie à leur scolarité réduite et à des préjugés socioculturels, confine à la caricature : les intellectuels ne travaillent pas, perdent leur temps et ne sont que des parasites sociaux. Il en découle une sorte de sanctification du travail manuel, sensé apporter l'ordre et la stabilité. Le Skinhead est en fait un maniaque de l'ordre, de la propreté et de la normalité : sa tenue est ainsi une réaction, non contre les bourgeois comme on le lit trop souvent dans la presse, mais contre la jeunesse pop, qu'il juge définitivement inapte au travail avec ses cheveux longs, ses vêtements anarchiques et ses maquillages. Il a donc les cheveux ultra-courts (pratiques pour se préparer et pour travailler dans les ateliers), porte des jeans (à l'origine un bleu de travail) et des bottes ou des rangers (pour marcher sur les chantiers détrempés). La xénophobie skin n'est rien d'autre qu'un racisme ordinaire répandu dans une frange des working classes ; il rejoint en cela celui des Teddy Boys en d'autres temps et débouche sur une violence anti-immigrée généralement impunie par une justice impuissante. Une autre forme de violence est le hooliganisme sportif, qui consiste essentiellement à soutenir physiquement une équipe de football et à chercher la bagarre — dans un état éthylique avancé — avec les supporters de l'équipe adverse. Les Skinheads sont des supporters fanatiques, selon une tradition bien ancrée dans la classe ouvrière anglaise ; la haine de "l'autre" et de sa différence s'exprime aussi bien à travers le refus des hippies, des immigrés, des homosexuels que des autres équipes d'un quartier ou d'une ville. Les Skinheads vivent donc dans un monde de clichés simplistes, un monde violent mais aussi puritain, où se mêlent le sens de l'honneur, celui de l'ordre et du travail. Un terreau favorable à une "récupération" de cette jeunesse par des partis plus dangereux que le mouvement d'Enoch Powell, comme le 57 National Front et le British Movement de Colin Jordan, groupuscule ouvertement néo-nazi. L'un des discours récurrents de la droite powellienne est d'affirmer que la société des années 60 est allée trop loin dans l'ouverture, le métissage et la permissivité, ce qui a pour eu pour effet le développement de la délinquance — des immigrés de couleur, des jeunes, notamment. Criminalité et délinquance sont bien deux thèmes qui apparaissent sans cesse dans les discours politiques, de droite comme de gauche. La presse n'est pas en reste et relaie complaisamment ceux qui dénoncent l'augmentation des délits dans une Angleterre qui aurait perdu ses repères sociaux et moraux, et qui conteste parfois l'abolition de la peine de mort en 1965 , décision qui place la GrandeBretagne très en avance dans les pays industrialisés, mais qui est loin de faire l'unanimité au sein du parti conservateur et dans la population. En réalité, il s'agit d'un suspension pour cinq ans de l'application de l'exécution par pendaison. En 1969, quatre ans plus tard, James Callaghan décide de rendre la mesure permanente, plus de dix ans avant la France. La médiatisation exceptionnelle des grandes affaires de moeurs (Profumo), du banditisme (l'attaque du Train postal Londres-Glasgow en 1963 , l'arrestation des frères Kray, bandits londoniens violents et sans scrupules), des crimes sordides, des défoulements adolescents (bagarres Mods/Rockers, concerts pop ou matches de football dégénérant en hooliganisme), des émeutes raciales (rares toutefois de 1964 à 1970) renforcent nettement le sentiment d'insécurité par rapport aux années 50 et encore davantage aux années de guerre. De plus, une presse à sensations du type News of the World exploite sans vergogne la veine inépuisable du fait divers sordide : viols, vandalisme, passages à tabac, attaques de personnes âgées, violences familiales en tous genres. L'augmentation de la violence criminelle (indictable offences, soit les meurtres et homicides, coups et blessures, crimes sexuels, vols par effraction et avec violence) est indéniable et même spectaculaire. Si l'on se fie aux statistiques de la police, qui ne recensent que les délits effectivement connus, les chiffres pour la Grande-Bretagne sont éloquents : 846 330 délits en 1960, 1 274 023 en 1965 et 1 735 600 en 1970, soit un doublement des chiffres en une décennie… Quant aux seules violences contre les personnes, elles passent de 11 500 en 1960 à 21 000 en 1968. Parallèlement, les délits simples (non-indictable offences, catégorie dans laquelle sont tout de même placés les cruautés envers les enfants et le proxénétisme ! ) augmentent de 62% de 1960 à 1970. Sur tous les délits criminels relevés en Angleterre et au Pays de Galles en 1969 (1 500 000), le vol et le recel demeurent l'activité principale (60,7%), loin devant le cambriolage (28%), 58 l'usage de faux (5,3%), les violences physiques (2,5%) et les délits sexuels (1,6%). En revanche, les meurtres demeurent rares et stables, et l'abolition de la peine de mort ne semble pas avoir modifié ce type de crimes. Une telle évolution de la criminalité oblige le gouvernement à prendre un certain nombre de mesures admistratives. En 1964, le Police Act renforce le contrôle du ministère de l'Intérieur sur toutes les polices (métropololitaine et régionales ou locales). En 1965, la police métropolitaine (Met) est dotée d'un Special Patrol Group, sorte de brigade anti-émeutes armée, tandis que les effectifs policiers passent de 80 000 à 100 000 sous l'ère Wilson. L'image du bobby débonnaire et amical est singulièrement écornée dans les années 60, où les tâches à accomplir deviennent aussi de plus en plus diverses. De plus en plus de plaintes sont déposées à partir de 1964 contre les forces de police : en 1969, 10 600 plaintes ont été déposées, dont 1240 se sont révélées fondées, avec la révocation ou la démission forcée de 110 policiers. La célèbre série télévisée Z Cars, qui débute sur la BBC en 1962, veut donner une vision plus réaliste et moins folklorique de la police, en s'inspirant directement du travail de la police du Lancashire. Le parti-pris filmique est très réaliste (Ken Loach y a fait notamment ses premières réalisations), mais la police a bien du mal à se reconnaître dans les fictions de ce genre. A l'augmentation des effectifs de la police s'ajoute l'augmentation des effectifs des personnels pénitencières et des prisonniers. La population carcérale gonfle de manière très rapide dans les années 60, retrouvant les niveaux...de 1880 ! En Angleterre et au pays de Galles, les prisons contiennent en 1960 27 000 personnes et en 1970 près de 40 000, une population de plus en plus jeune selon toutes les enquêtes de l'époque. La criminalité juvénile est depuis la fin de la guerre l'un des thèmes de prédilection des médias comme des hommes politiques ; ceux-ci sont effrayés par des poussées sporadiques de violence, ainsi à la fin des années cinquante (les Teddy Boys), en 1964 (les Mods et les Rockers). Les rapports officiels sur le sujet se multiplient, afin d'essayer de mieux comprendre le phénomène. En 1964, la préface du Report on the Work of the Children's Department fait dans l'hygiénisme moral, avec de curieux relents de nostalgie , où l'on peut lire que les préceptes moraux et la religion, qui autrefois avaient de puissants effets préventifs, sont "balayés par le cynisme actuel" . L'augmentation de la délinquance juvénile — et notamment des actes de violence et de vandalisme — est incontestable dans les années cinquante mais la régression est évidente dans les années soixante, comme le montrent ces chiffres des condamnations effectives de mineurs (reconnus coupables) : 1950, 59 18 400 ; 1960, 26 300 ; 1970, 22 000. Manifestement, il y a de la part des autorités, des médias comme des sociologues une surévaluation du phénomène, dans la mesure où celui-ci semble inédit, au moins en ce qui concerne les mineurs issus des classes moyennes et supérieures. De plus, certains comportements sont bien connus, comme le hooliganisme et les "comportements désordonnés", l'ivrognerie, le vol à l'étalage, les "ennuis motorisés" mais d'autres apparaissent encore très difficiles à appréhender ; c'est le cas de délits comme la toxicomanie "culturelle", le libertinage sexuel des moins de 16 ans, les fugues dans les communautés et les sectes. Une typologie simple des comportements permet de mieux appréhender les problèmes de la jeunesse des années 60. Il existe d'abord une délinquance traditionnelle en milieu ouvrier, dans les familles où le contrôle social est insuffisant et où la notion de vol (notamment du riche, du patron) est très approximative. Livrés à eux-mêmes, frustrés de ne pas mieux profiter de la société de consommation, les jeunes commettent de nombreux petits délits, parfois sévèrement punis par les juridictions locales, qui envoient facilement les mineurs dans les maisons de redressement (les sinistres borstals). Il existe ensuite une délinquance traditionnelle dans les classes moyennes et supérieures. Comme le montrent les sociologues, les délits effectivement jugés sont plus rares, car les affaires sont souvent règlées en amont, par arrangement ou confrontation des personnes impliquées. Il existe enfin une délinquance spécifique aux comportements déviants des groupes d'adolescents. Ce type de délinquance se renforce avec la multiplication de bandes qui aiment la bagarre, l'agression systématique et le vandalisme. A cette délinquance vient s'ajouter à partir de 1964/65 des délits liés à de nouveaux comportements culturels, qui incluent la consommation de drogues interdites par la loi et des pratiques sexuelles prohibées. Inégalités sociales et régionales L'un des buts avoués du travaillisme wilsonien est de faire reculer les inégalités, dont personne ne nie la réalité économique, culturelle et sociale, autant que géographique dans l'ensemble du Royaume-Uni. Les fantasmes sur la classless society ne résistent pas des années 60 à l'examen de la réalité, même si le Swinging London peut superficiellement faire croire à la disparition des classes. Ce qui permet pourtant d'être optimiste sur l'atténuation des différences sociales demeure la pérénnité du Welfare State, en dépit de toutes les restrictions budgétaires. Les dispositions prises entre 1964 et 1966 vont incontestablement dans le sens d'un renforcement de l'aide sociale. En 1966, le 60 Ministry of Social Security Act réorganise le système hérité des années 40, sous la tutelle d'un ministère de la Sécurité sociale. Les anciennes allocations sont remplacées par les supplementary benefits, plus généreux, tandis que les prestations allouées aux veuves et aux familles à bas revenus sont revus à la hausse en 1970. En 1965 puis en 1968, des lois protègent les locataires , notamment ceux qui ont de faibles revenus, tout en renforçant les responsabilités des collectivités locales en matière d'hygiène et de sécurité des logements. L'ensemble des dispositions du Welfare State permet incontestablement à la grande pauvreté de régresser. Si la précarité touche à la fin des années 60 près de 8 millions de Britanniques, l'effet redistributeur des impôts et du Welfare State fait tomber ce chiffre (officieusement) à 2 millions, soit 3,7% de la population. D'après les statistiques officielles, la proportion des ménages vivant au niveau ou en-dessous du niveau minimal des aides publiques est de 2,5% en 1963, 0,9% en 1967 et 0,5% en 1971. Pourtant, le livre de Ken Coates et Richard Silburn, Poverty : The Forgotten Englishmen provoque un certain émoi lors de sa publication en1970. L'étude montre des régions industrielles et des quartiers (ainsi à Nottingham) qui n'ont guère évolué depuis les années 1930 et les descriptions de la pauvreté dans certaines cités font immanquablement penser aux études philantropiques du début du XXème siècle. Pour les auteurs, marxistes, les années Wilson marque au contraire le déclin du Welfare State et de ses idéaux. Ce qui les choque, c'est moins la pauvreté — compensée par des solidarités ouvrières qui n'ont pas totalement disparu — que les violents contrastes de richesse qui ne cadrent pas avec le mythe de la classless society. Si les Britanniques goûtent en majorité à ce que l'on a appelé l'acquisitive society (et il est exact que les taux d'équipement en postes de télévision, en réfrigérateurs, en machines à laver et en automobiles progressent de manière spectaculaire), il reste une minorité d'exclus de la prospérité : chômeurs, familles nombreuses, personnes âgées, immigrés vivant dans des régions industrielles en déclin ou dans les inner cities en voie de paupérisation. Les écarts de richesse et les inégalités de revenus et de fortunes, loin de disparaître, sont restés une constante de la société britannique, toujours fortement hiérarchisée en classes sociales. Derrière l'égalisation des revenus grâce à l'impôt et la généralisation du salariat, la hiérarchie de fortune s'est globalement maintenue (cf. tableau 8). 61 Tableau 8 Hiérarchies sociales et de revenus (1969-70) classe désignation I II % pop. upper class 3,5 upper middle class middle middle 17,5 class III lower middle class 21 + skilled working class 28 IV-V working class 30 (semi and unskilled) tranche de revenus (£ annuel) sup.à 8000 4000-8000 2000-4000 % (nombre de revenus) 0,5 1,5 6,9 % (revenu total) 4,3 5,5 14,2 1000-2000 45,3 51,9 - de 1000 45,8 24,1 Nota : le tableau est volontairement simplifié dans un souci de clarté. L'affluent worker, selon l'expression heureuse du sociologue J.H. Goldthorpe en 1969 ne bénéficie que d'une mobilité limitée sur le plan social. Les chances pour un enfant d'ouvrier d'accéder à la lower middle class sont de 1/2, mais seulement de 1/9 pour accéder à la middle class. La situation est encore plus difficile pour les femmes de la working class, dont les salaires restent nettement inférieurs aux salaires masculins jusqu'à la fin des années 60 (environ 30%). Si la féminisation du travail — ancienne dans le Royaume — augmente sensiblement (37,5% des forces de travail en 1961, 42,2% en 1966 et 42,6% en 1970), elle reste limitée dans les postes de responsabilité. La mobilité géographique existe, notamment du Nord de l'Angleterre et du pays de Galles vers le Sud et le Sud-Est de l'Angleterre, mais elle demeure encore d'assez faible ampleur. La majorité des jeunes de la working class restent dans leur région d'origine, même si elle est touchée par le chômage comme le Nord-Est ou le pays de Galles. En effet, les contrastes régionaux se sont accentués dans les années 60, ce qui fait apparaître nettement un Royaume-Uni à trois vitesses. Si l'on prend pour critères les gains des salariés, qui peuvent varier régionalement de + ou - 30%, se dessinent trois grands types de régions : - Les régions à fort niveau de vie, comme le Grand Londres, le Sud-est, l'Ouest des Midlands - Les régions à niveau de vie intermédiaire, comme le Sud-Ouest, la plupart des comtés du pays de Galles et toutes les autres régions d''Angleterre, à l'exception du Nord. - Les régions à plus faible niveau de vie, comme le Nord-Est (Newcastle), l'Ecosse, l'Irlande du Nord. Certains comtés sinistrés des régions intermédiaires, comme la Merseyside et quelques villes du pays de Galles se rattachent à ce troisième type. On trouve dans ces régions la plupart des 62 travailleurs qui bénéficient de l'assurance-chômage. Dans ces régions, des poches de pauvreté subsistent et les inégalités avec le Sud-Est riche et prospère apparaissent de plus en plus flagrantes. Le pays de Galles vit notamment des années difficiles, avec le déclin des staples. En 1966, le drame d'Aberfan traumatise tout le Royaume et met en lumière la situation sociale et morale des habitants du pays minier. En effet, un terril surplombant le village s'effondre sur une école après des pluies diluviennes, tuant 116 enfants et 28 adultes. L'enquête dénonce un manque d'entretien des friches industrielles et l'état déplorable des conditions de logement dans ces régions désormais déshéritées. La civilisation des loisirs En dépit des difficultés économiques et des inégalités qui persistent, la société de loisirs et de divertisssement s'épanouit pleinement dans les années Wilson. L'augmentation du pouvoir d'achat, la baisse du temps de travail et les congés payés donnent aux loisirs une place qu'ils n'ont jamais eue dans l'histoire du Royaume-Uni, et au-delà dans celle du monde occidental. Certes, l'invention des loisirs ne date pas de l'après-guerre et la fin du XIXème siècle connaît déjà dans la middle class une ébauche de "civilisation des loisirs". Sa démocratisation et sa massification — peut-on risquer l'expression d'"industrialisation des loisirs" ? — sont une réalité économique et sociale des années Wilson. Le skilled worker des années 60 travaille en moyenne 40 heures (44 heures dans les années 50, 46,6 en 1924), dispose de deux voire trois semaines de congés payés. Les 40 heures hebdomadaires de la majorité des salariés de l'industrie sont fréquemment regroupées sur cinq jours, ce qui libère le sacro-saint week-end pour les loisirs. Les études sociologiques, très nombreuses sur la question des loisirs, ont montré que dans la classe ouvrière, ceux-ci se sont "privatisés". Moins de sorties dans les pubs et dans les stades — qui restent cependant très fréquentés dans les villes industrielles à forte tradition de football comme Manchester, Liverpool ou Leeds — moins de sorties au cinéma et au music-hall, plus d'activités liées à la maison — cuisine, bricolage, jardinage, télévision, lecture— ou à son environnement proche (le boom de la pêche). Cette "privatisation" des loisirs a des conséquences non négligeables sur la demande — et donc sur l'offre — de biens très diversifiés comme les tondeuses à gazon, les cannes à pêche, les outils, les matériaux de construction, les combinés téléphoniques etc. Les cuisines encastrées, "faciles à nettoyer", où les meubles sont assortis aux appareils (réfrigirateurs, machines à laver, robots ménagers connaissent un très grand succès. Même remarque pour les biens culturels, si l'on en croit 63 l'exceptionnelle croissance des ventes de postes de radio et de télévision, de tourne-disques et de disques, de magazines, de livres de poche. Ce que l'on appelait déjà dans les années 30 les "industries culturelles" prennent un place de choix dans la civilisation des loisirs. L'édition (Macmillan, Penguin, Longman, Faber and Faber etc.) se porte particulièrement bien, en raison d'une forte demande de lecture et de la démocratisation de l'enseignement secondaire. Les livres de poche (paperbacks) se vendent à des millions d'exemplaires, aussi bien des classiques de la littérature que des romans policiers ou des ouvrages pratiques. Toutefois, les nouveaux loisirs populaires ne sont pas tous liés aux activités domestiques : le jeu devient ainsi dans les années d'après-guerre une véritable industrie nationale, brassant des millions de livres sterling (entre £ 750 et 1000 millions selon les années) : paris sur les courses de lévriers, les matches de football, jeu de bingo dans les théâtres et cinémas reconvertis en bingo halls. En 1968, le Gaming Act est adopté afin de limiter le nombre des établissemens de jeu et d'assurer la protection des joueurs. Un bureau des jeux est institué en 1970 pour veiller au respect de cette loi. La consommation des jeunes prend aussi un essor remarquable. Un "marché jeune" se développe, et avec lui toute une industrie de biens de consommation spécifiques. De ce point de vue, le modèle socio-culturel américain demeure prédominant, avec l'identification aux vedettes du rock et du cinéma . Le volume d'argent dépensé est considérable : les études publiées au début des années 1960 avancent le chiffre de £ 1 milliard. Sur 5 millions de 15-21 ans, 4 millions travaillent et trouvent facilement un emploi, soit comme apprentis dans les ateliers et les usines, soit plus souvent dans les industries de services plus rémunératrices (guichetier, secrétaire, vendeur, manutentionnaire, coursier). Les revenus des jeunes non diplômés oscillent entre £ 5 et £ 10 par semaine, ce qui est largement suffisant pour acheter des biens relativement coûteux. Les jeunes représentent ainsi 40% de la consommation nationale des scooters et des motocyclettes, 30% des dépenses de cinéma, 25% des dépenses de cosmétiques, 15% des dépenses en tabac, 18 % des dépenses de boissons. Ce sont également les jeunes qui font prospérer dans les années 60 l'industrie du prêt-à-porter (le jeans, la minijupe) l'industrie discographique, l'industrie électronique (radios à transistors, tourne-disques). Dans ce domaine en pleine croissance — en partie grâce aux jeunes consommateurs — des médias, de l'industrie des spectacles et de la communication, un duopole monopolise le marché, les sociétés ATV et Thorn-EMI. ATV possède un réseau de télévision, un groupe de théâtres (Moss Empires), des salles de jeux, des bowlings, a des 64 parts dans des entreprises de jouets et de disques, produit des bandes dessinées et des dessins animés. EMI — dont les liens avec ATV sont complexes et multiformes — possède la principale maison de disques du monde (qui a notamment les Beatles sur son catalogue), une maison de production et de distribution cinématographique (Associated British Picture Corp), une industrie de production électronique (postes de radio, tourne-disques etc.), des parts dans Thames-TV etc. Mais depuis les premiers congés payés des années 30, ce sont les vacances qui constituent l'un des symboles majeurs de la civilisation des loisirs. Le phénomène prend une ampleur sans précédent. Vers 1964, plus de 60% de la population prend au moins une semaine de vacances, généralement au mois d'août et 64,1% ont passé au moins 4 nuits consécutives hors du domicile. En 1970, ce sont plus de 70% des Britanniques qui partent en vacances. Les destinations privilégiées sont les stations balnéaires de la côte sud de l'Angleterre, l'Ecosse, les parcs naturels. Les stations balnéaires connaissent une fréquentation accrue, mais qui répond à un certain nombre de critères sociaux. Torquay et Bournemouth sont des stations relativement huppées, ce qui n'est pas le cas des stations "populaires" comme Clacton, Morecambe ou Margate, véritables lieux de rassemblement estival de la working class, avec leurs bingos, leurs machines à sous, leurs parcs d'attraction et leurs marchands de glaces. Les vacances à l'étranger se développent davantage que sur le continent. La progression est très rapide : moins de 2 millions en 1951, 3,5 millions en 1961 et près de 5 millions de touristes en 1966 se déplacent à l'étranger (Eire comprise), principalement vers des destinations méditérranéennes. L'industrie profite largement du boom touristique des années 60. Le secteur du tourisme devient une véritable industrie de services (hôtellerie et restauration, immobilier, agences de voyage) et de transports (compagnies aériennes, charters), qui doit faire face au tourisme de masse. De même, l'industrie maufacturière adapte sa production à une demande nouvelle dans le secteur textile (maillots de bain, parasols) et de loisirs (les bicyclettes, les bateaux de plaisance). De plus, les sorties en week-end et les vacances sont le principal stimulant dans l'achat d'une automobile. Dès l'origine, l'automobile est liée aux loisirs, mais c'est bien dans les années 60 que naissent — comme dans le reste de l'Europe industrielle — les grands embouteillages des départs hors des grandes agglomérations. Le parc d'automobiles connaît ainsi une progression spectaculaire (5,5 millions en 1960, 8,9 millions en 1965 et 11,5 millions en 1970) en même temps que la consommation de carburants. 65 La permissive society La décennie 70 commence avec un certain nombre de procès intentés à des publications pour "obscénité". Les procès — en général perdus par les éditeurs — montrent bien les limites d'une permissivité encore très relative en Angleterre, mais ils sont aussi les survivances d'un passé qui résiste de plus en plus mal aux évolutions morales de l'après-guerre. Une évolution qui s'accélère dans les années 60, mais qui est aussi le résultat d'un long combat mené par des groupes de pression depuis le début du siècle. Dans un livre publié en 1959, le député travailliste Roy Jenkins — qui sera sous Wilson Home Secretary puis Chancelier de l'Echiquier — parle de "société civilisée" pour défendre l'avènement de réformes dans le domaine des mœurs. L'expression de "société permissive" (permissive society) date des années 60 et devient un terme bien plus employé que celui de "société civilisée" . La société dite permissive est à mettre en relation avec un relâchement des interdits et un changement d'attitudes face à la sexualité, qui tranchent avec les époques victorienne et post-victorienne. Elle s'inscrit aussi dans un contexte de plus grande tolérance vis-à-vis des droits humains. On a pu parler d'une "révolution sexuelle" qui touche d'ailleurs la plupart des grands pays occidentaux industrialisés.Une "nouvelle moralité" — prônée par les membres les plus avancés des églises protestantes — devient le credo des défenseurs d'une société de tolérance. Ces transformations sont en quelque sorte officialisées à travers une série de lois votées par le Parlement britannique entre 1967 et 1970, sous le gouvernement travailliste d'Harold Wilson. Cette "société permissive" naît d'une multitude de facteurs et non d'une conjoncture politique favorable. C'est l'érosion des codes de moralité victoriens tout au long du XXème siècle, à savoir les idéaux de pureté, de chastété ou du moins de "retenue", l'association du péché et du vice à la sexualité, l'importance de la respectabilité sociale et morale, la pudibonderie, les hypocrisies. C'est aussi la baisse de la croyance et de la pratique religieuses, qui s'accompagnent d'un moindre encadrement moral et social des Eglises chrétiennes, la généralisation et la banalisation (à la fin des années 60) des moyens de contraception non naturels — le préservatif masculin, la pilule contraceptive ; c'est le rôle actif et efficace des groupes de pression et des associations favorables à une législation plus tolérante. Ces groupes sont particulièrement actifs depuis les années 20 et ils sauront s'opposer à l'influence des Ligues de vertu, des associations défenseurs d'un certain ordre moral et principalement de la National Viewers and Listeners Association (NVALA, fondée en 1965 en 66 réaction face au contenu des programmes de télévision) ; c'est le rôle des artistes, des écrivains, des intellectuels, souvent directement concernés par ce problème, à travers la censure ou l'interdiction des œuvres jugées licencieuses ; c'est l'érotisation de la culture de masse dans le contexte de la société d'abondance, à travers les photos des magazines et des quotidiens, les films, les publicités, les bandes dessinées, les chansons pop ; c'est le comportement de la jeunesse d'après-guerre face à la sexualité, un comportement qui évolue du fait de l'érotisation générale de la société, mais aussi de la mixité scolaire de plus en plus répandue, de la majorité portée à 18 ans en 1969, des occasions nombreuses de rencontres et de sorties, des modes érogènes (miniskirt, pantalons moulants), de la contraception, des nouveaux modèles d'identification culturelle — jeunes stars du cinéma, de la photographie, de la musique pop, de la mode, à la sexualité libertine. Symboliquement, certains auteurs datent les débuts de la société permissive de 1960, à l'occasion de la publication par Penguin Books du chef-d'œuvre érotique de D.H.Lawrence, Lady Chatterley's Lover. Publié en Italie en 1928 et interdit en Angleterre, ce livre est à nouveau susceptible d'être diffusé en raison de l'Obscene Publications Act de 1959. Votée sous le gouvernement Macmillan mais inspiré par le travailliste Roy Jenkins, la loi prévoit qu'un livre considéré comme obscène ou pornographique peut être publié si ses qualités littéraires sont dûment prouvées. Cela va permettre dans les années 60 la publication en livre de poche de classiques comme ceux de D.H Lawrence, mais aussi l'Ulysses de Joyce ! La censure littéraire n'est pas levée pour autant et d'autres procès ont lieu, concernant en 1963 le classique érotique Fanny Hill (finalement publié, en 1964 Cain's Book du poète héroïnomane Alexander Trocchi, en 1965 une anthologie érotique intitulée The Golden Convulvulus et en 1967 Last Exit to Brooklyn. Ce dernier livre est publié en janvier 1966 par l'éditeur Calder and Boyards, qui passe outre les premières décisions d'interdiction avec le soutien d'une Societé de défense de la littérature et des Arts (Defence of Literature and the Arts Society) créée pour la circonstance. Autres exemples de censure : les ouvrages de l'écrivain et poète beat William.S.Burroughs sont interdits jusqu'en 1964 puis publiés de manière confidentielle, tandis que le recueil érotique de Lawrence Durrell, The Black Book (écrit en 1936-38) ne se trouve dans les librairies qu'en 1973. La polémique sur la littérature érotique est relancée en 1965 à la suite d'un fait divers horrible, les Moors Murders (meurtres des landes), où un couple de sadiques est reconnu coupable de sévices, tortures et assassinats sur de jeunes enfants. Dans les livres retrouvés au domicile des meurtriers figure en bonne 67 place l'œuvre du Marquis de Sade, preuve évidente pour les censeurs que la littérature pornographique pousse au crime. De 1968 au début des années 70, la censure est de moins en moins stricte. Elle est même abolie au théâtre en 1968, ce qui permet aux auteurs dramatiques comme John Osborne, Arnold Wesker, Harold Pinter, Tom Stoppard de ne plus batailler contre le censeur officiel du Royaume, le Lord Chamberlain. Elle demeure à la télévision et au cinéma (le British Board of Film Censors ), mais sous une forme très atténuée par rapport au début de la décennie. En 1970, le BBFC n'interdit que 17 films, essentiellement pornographiques ; en revanche il classe 212 films en catégorie X (interdits au moins de 18 ans), contre 95 en 1965, ce qui traduit plus la montée de la pornographie et de la violence que celle de la censure. Ce sont surtout les publications destinées aux jeunes ainsi que les revues underground qui sont dans le colimateur de la justice, en raison des plaintes déposées par des associations comme la NVALA "pour la protection de l'enfance". Il est à noter que ces procès s'ouvrent sous l'ère conservatrice, mais les plaintes ont généralement été déposées sous l'ère Wilson. En novembre 1970, le journal hippieIT (fondé en octobre 1966 sous le titre International Times), est condamné pour des petites annonces pornographiques assimilées également à de la prostitution. Dernier grand procès de la série, celui du journal OZ, fondé en 1967 par l'Australien Richard Neville et interdit en juin 1971 pour son édition No 28 intitulée Schoolkids Issue, numéro spécial consacré à l'école, au sexe et à la drogue. Le procès de OZ, qui dure un mois et débouche sur la mort d'un journal, qui ne fait qu'exploiter les thèmes à la mode à la fin des années 60 : le No 20 est consacré à une bande de jeunes en motos, les Hell's Angels, le No 23 aux homosexuels, le No 27 aux drogues hallucinogènes, d'autres numéros parlent du Mouvement de Libération des femmes ou des OVNIS. Les procès de ces publications ne posent pas seulement publiquement le problème de la pornographie, mais aussi celui — récurrent depuis le milieu des années 60 — de la consommation de drogues. Or, les drogues sont largement associées à cette époque à la liberté sexuelle et à la permissive society. Sur le plan de la liberté sexuelle, les comportements de la jeunesse ont été étudiés à la fin des années 60 et au début des années 70 dans de nombreuses enquêtes sociologiques. Il apparaît en 1970 que 46% des hommes et surtout 88% des femmes se marient vierges: 1 homme sur 2 a donc été dépucelé avant son mariage, mais le plus souvent après 18 ans ; peu de jeunes femmes sont émancipées sexuellement avant le mariage et les "affranchies" qui ont plusieurs 68 partenaires successifs constituent l'exception. Il ne faudrait pas pour autant en conclure à l'absence de changements dans les comportements : les jeunes parlent plus librement de sexualité, ils flirtent et s'embrassent plus facilement et plus ouvertement qu'auparavant. Dans les années 70, la liberté sexuelle sera une réalité plus tangible avec la multiplication des couples en "union libre", la généralisation de la pilule y compris pour les jeunes filles mineures. Consommées avant-guerre par une minorité de toxicomanes, notamment dans certains milieux intellectuels, les drogues deviennent un problème de santé publique dans les années 60. En 1964, une grande campagne de presse menée par les journaux populaires dénonce la forte consommation d'amphétamines des bandes de jeunes Mods, responsables de leur agressivité et de leur violence. Le Drinamyl, produit par la firme Smith, Klein and French est mis en accusation et l'affaire débouche sur le vote du Drugs (Prevention of Misuse) Act en 1964 et du Dangerous Drug Act en 1965. Au milieu des années 60, la consommation du cannabis se répand dans le Swinging London, en relation avec la culture pop et l'hédonisme ambiant. La plupart des vedettes pop, des photographes à la mode, des acteurs connus en consomment dans les boîtes de nuit ou en privé. En 1965, le LSD, fait son apparition dans de petits cercles d'initiés. Le LSD est précédé d'une réputation "culturelle", à travers son expérimentation par des intellectuels américains (Timothy Leary), des poètes et romanciers beatniks (Allen Ginsberg, Ken Kesey) et bientôt par des groupes pop hippies (Jefferson Airplane, Grateful Dead). A partir de 1967/68, l'héroïne et la cocaïne prennent la place du LSD dans la toxicomanie "culturelle" des plus grandes vedettes britanniques comme Jimi Hendrix, Eric Clapton, John Lennon etc. A la fin des années 60, la consommation de cannabis devient un problème de société. En 1968, le rapport du Wooton Committe sur la consommation de drogues illicites fait l'objet de nombreuses polémiques. Le rapport est incapable de donner un chiffre fiable et propose une fourchette allant de 30 000 consommateurs réguliers à 300 000 occasionnels. Il fait clairement la distinction entre "drogues douces" et "drogues dures" et recommande une dépénalisation du cannabis. En 1970, d'autres rapports parlent de 500 000 consommateurs et dans les années 70, les chiffres de 1 à deux millions de fumeurs de haschich sont avancés et paraissent correspondre à une réalité culturelle et sociale. La cigarette de haschisch se généralise en effet dans les lieux de sociabilité jeune (le concert, particulièrement) et ce, malgré les contrôles policiers. La pénalisation des drogues donne peu d'effets spectaculaires et n'empêche ni la multiplication des revendeurs (dealers) ni la banalisation des produits. Les condamnations n'en 69 demeurent pas moins nombreuses, la consommation de drogues dites douces constitue l'essentiel des délits constatés. Pour tous les contempteurs de cette permissive society, il ne fait guère de doute que la responsabilité des dérives constatées incombe certes aux parents et aux éducateurs, mais plus encore aux médias. En fait, les médias audio-visuels sont sur la selette depuis le début des années 60. Le Pilkington Report de 1962 a le premier montré du doigt les programmes de la télévision commerciale ITV, en dénonçant leur "trivialité", mais non ouvertement leur "obscénité". Le pas est franchi en janvier 1964 avec le lancement à Birmingham de la Campagne de nettoyage de la TV (Clean-Up TV Campaign) par Mary Whitehouse et Norah Buckland. La Campagne vise bien sûr ITV mais aussi la BBC dirigée par le tolérant Hugh Carleton-Greene de 1960 à 1969. Une véritable chasse aux pornographes est ouverte. Sont notamment visés l'éditeur de journaux Richard Nevill, le biologiste Alex Comfort, auteur d'ouvrages à succès sur la sexualité animale et humaine, l'éditeur John Calder, le responsable du comité de censure cinématographique, le très libéral John Trevelyan, le ministre travailliste Roy Jenkins, le journaliste satirique John Mortimer, les responsables des réseaux de radio-télévision etc. La NVALA a fort à faire dans les années 60-70 : téléfilms comme Up The Junction, feuilletons TV comme Till Death Us Do Part, propos obscènes tenus à la radio (le critique Kenneth Tynan y prononce le mot fuck fin 1965), films comportant des scènes érotiques comme Blow Up d'Antonioni (1967) ou Women In Love de Ken Russell (1969), abolition de la censure théâtrale, comédies musicales érotiques à succès comme Hair (1968) et O!Calcutta (1969). En 1970, le film de Nicholas Roeg et Donald Cammell, Performance , avec Mick Jagger, est une sorte de Portrait de Dorian Gray moderne, où le cinéaste saisit bien la désintégration du rêve égalitaire des années 60 dans la drogue, le sexe et l'anarchie. Le film comporte aussi quelques séquences troublement érotiques sur le thème de l'androgynie et du triolisme. Cette réaction morale de la Clean-Up TV Campaign montre bien qu'au-delà des procès à sensation, la liberté d'expression a fait de réels progrès en Angleterre. Le combat de Mary Whitehouse s'inscrit bien dans le contexte culturel d'une société beaucoup plus tolérante et qui voit s'effondrer une partie de l'édifice victorien, y compris dans ses fondements religieux. De ce point de vue, le livre de l'évêque de Woolwich, John Robinson, Honest To God (1963) constitue un moment important dans l'histoire des mentalités. L'évêque de Woolwich lance le débat sur la "nouvelle moralité" que l'Eglise anglicane a déjà plus ou moins ébauché dans les années 30, notamment en levant les interdits sur la contraception (Conférence de Lambeth en 1928) et en prenant des positions de 70 principe sur la sexualité moins dogmatiques que l'Eglise romaine.Pour l'évêque de Woolwich, il ne doit pas être question d'absolu dans la morale qui guide les comportements, ni de diabolisation systématique des prétendues déviations. Toujours en 1963, l'archevêque de Cantorbéry déclare que la sexualité "a un sens" et que la fornication n'est donc "pas le plus grave des péchés". "L'orgasme a remplacé la croix (...) le sexe est devenu la religion des pays développés" s'exclame dans les années 60 le journaliste Malcolm Muggeridge, l'un des principaux contempteurs de la société permissive. En 1966, le rapport Sex And Morality rédigé à la demande du Conseil des Eglises britanniques considère que les rapports sexuels des jeunes hors du mariage ne sont pas répréhensibles. Entre-temps, en 1964, la secte puritaine des Quakers fait sensation avec un texte intitulé Towards a Quaker View of Sex , dans lequel l'union charnelle est désormais dépourvue de péché, et avant tout source de plaisir, au moins dans le cadre conjugal. Seule l'Eglise catholique romaine maintient les interdits de la contraception et des rapports sexuels hors mariage, malgré les espoirs générés par le Concile Vatican II parmi les fidèles favorables à une évolution du dogme. Le romancier catholique David Lodge a bien montré dans quelques livres — particulièrement The British Museum Is Falling en 1965 — les difficultés pour les Catholiques anglais de concilier vie sexuelle et respect des enseignements de l'Eglise. Dans ce livre, le héros Adam Appleby est un jeune étudiant-chercheur rédigeant sa thèse à la Bibliothèque nationale, sans le sou, marié, et vivant dans l'angoisse permanente de procréer...un quatrième enfant. L'Encyclique papale Humanae Vitae (1968), en recul par rapport aux espérances sur la question, provoque une grave crise au sein des Catholiques anglais, majoritairement hostiles à l'Encyclique et favorables aux nouvelles lois discutées au parlement. A travers des prises de position tolérantes et parfois novatrices, les Eglises protestantes cherchent à la fois à s'adapter aux réalités sociales et culturelles de leur temps et à ralentir leur déclin inexorable. Si 96% des adultes se disent croyants dans les années 60/70, les statistiques publiées par les Eglises quant à l'appartenance "active" à une communauté religieuse sont beaucoup plus inquiétantes. Les chiffres traduisent à la fois la sécularisation et la laïcisation de la société britannique, la baisse de la pratique religieuse (20% des Anglicans sont des pratiquants réguliers en 1970), le déclin de la foi (progrès de l'athéisme) ou au contraire l'attirance pour des sectes ou des religions orientales plus méditatives. Des appels aux laïcs, des efforts œcuméniques sont faits pour retenir les fidèles et leur donner de nouvelles perspectives. C'est ainsi qu'en 1966, un dialogue s'ouvre entre l'archevêque de Canterbury et l'Eglise de Rome, tandis qu'en 1969 la loi autorise la mise en commun des lieux de culte. Les 71 religions non chrétiennes progressent, en rapport avec l'immigration — essor de l'Islam et de l'Hindouisme — mais aussi en rapport avec un phénomène de mode. En 1970, les Bouddhistes sont 6000 (deux fois plus qu'en 1965), les Hindous 50 000, les Musulmans 250 000, les Sikhs 75 000. Des mouvements comme La Conscience de Krishna — secte hindoue fondée dans les années 60 et très liée au show business — séduit plusieurs milliers d'adeptes. En 1970, le succès de George Harrison (ex-Beatles), My Sweet Lord, est une véritable invitation à rejoindre Krishna ! Quant aux minorités antillaises, elles trouvent une identité dans la pratique de religions indigènes, comme le rastafarisme jamaïcain. Restait à traduire sur le plan législatif les évolutions culturelles et sociales de l'après-guerre : c'est ce que la Chambre des Communes va faire de 1964 à 1970, dans de nombreux domaines de la vie privée : l'homosexualité, la contraception, l'avortement, la condition féminine. L'homosexualité demeure en Angleterre un crime jusqu'en juillet 1967 et le vote du Sexual Offences Act, qui dépénalise en Angleterre et au Pays de Galles les relations sexuelles privées entre deux adultes majeurs consentants. Oscar Wilde fut condamné en 1895 à deux ans de travaux forcés en raison de l'application stricte des décrets de 1553 et 1861. S'il écrivit à cette occasion l'un de ses plus beaux poèmes (Ballad of the Reading Gaol, Ballade de la geôle de Reading, 1898), il n'en fut pas moins irrémédiablement brisé par cette injustice. Quant au lesbianisme, il est purement et simplement ignoré du législateur, même s'il tombe en théorie sous le coup de la même loi . Une véritable campagne anti-homosexuels naît en Angleterre en 1951 avec l'affaire des espions Burgess et Maclean, dont l'homosexualité ne serait pas étrangère à leur trahison et la fuite à l'Est. Les années 50 sont celles d'une "chasse aux homosexuels" (queer bashing) sur fond de "panique morale". L'Eglise anglicane tient pourtant un discours modéré sur le sujet et en 1957, une Commission sur l'homosexualité et la prostitution, présidée par le recteur de l'Université de Reading Sir John Wolfenden rend des conclusions favorables à la dépénalisation de l'homosexualité. En mars 1958 est créée à Cambridge l'Homosexual Law Reform Society, à laquelle adhèrent des intellectuels renommés, des évêques et des personnalités du monde politique comme l'ancien Premier ministre travailliste devenu Lord Attlee. Dans les années 60, le combat pour la dépénalisation prend deux formes, d'une part une forme politique à travers plusieurs propositions de lois et débats parlementaires (1965 et 1966, surtout sur l'initiative du député travailliste Leo Abse), d'autre part une forme culturelle à travers une homosexualité de plus en 72 plus affichée, notamment dans le show-business. Des groupes et musiciens pop comme les Kinks, Brian Jones et Mick Jagger des Rolling Stones, et à la fin des années 60 David Bowie, jouent de plus en plus sur l'ambiguïté et l'androgynie de leurs images médiatiques. Des peintres très célèbres comme Francis Bacon et David Hockney font de l'homosexualité le thème central de leur œuvre. La condition d'homosexuel n'est cependant pas toujours facile à vivre, comme le montre la fin dramatique du manager des Beatles, Brian Epstein, mort en 1967 d'un suicide aux barbituriques. De même, dans le film Prick Up Your Ears (1987), scénarisé par l'écrivain et dramaturge Alan Bennett, Stephen Frears raconte avec beaucoup de sensibilité l'itinéraire du dramaturge à succès Joe Orton, assassiné par son amant en 1967. La diffusion des contraceptifs oraux (la pilule) dans les années 60, les lois sur l'avortement et sur le divorce s'inscrivent dans le contexte plus large de l'évolution de la condition féminine après la guerre. L'augmentation du niveau de vie moyen, les nouveaux modes de consommation et de style de vie, l'environnement urbain ont dans un premier temps (jusqu'aux années 60) renforcé le modèle traditionnel de la "femme au foyer", désormais secondée par la technologie (machines à laver le linge, réfrigérateurs, robots ménagers). Les publicités, le contenu des grands magazines féminins et familiaux, les livres et jeux pour enfants, les programmes scolaires du primaire pérennisent un monde scindé en deux sur le plan culturel et social, celui des hommes et celui des femmes. Dans les années 65-66 naît dans certains magazines "à la mode" du type Nova l'image de la "femme nouvelle", tout aussi stéréotypée mais plus moderne que celle de la femme traditionnelle : celle-ci est intelligente, indépendante, active, ayant un métier à responsabilité, une sexualité librement assumée. Elle se maquille et se parfume avec goût et s'habille avec une petite pointe de provocation typique des années 60-70 — si l'on en croit le succès parmi les femmes actives des minijupes et minirobes signées Mary Quant. Le culte du corps devient une obsession, d'autant que les mannequins de ces années-là comme Twiggy, Jean Shrimpton ont des corps sans rondeurs, totalement à l'opposé à ceux des années 50. Dans les années 70, le Women's Lib combattra à la fois l'image familiale et traditionnelle de la femme et celle, tout aussi sexiste selon les féministes, véhiculée par la société dite moderne. Officiellement, toute discrimination sexiste dans l'éducation a été abolie en 1918. Tous les rapports publiés depuis 1945 sur le sujet (et notamment celui de 1969) montrent qu'il n'en est rien. La situation s'améliore sensiblement à la fin des années 60, dans la mesure où l'interruption prématurée des études secondaires par des jeunes filles capables de suivre sans difficultés devient un 73 moins la norme. Ce progrès dans la scolarisation après 15 ans est limité par la permanence d'une forte détermination par filières. Les sections littéraires sont ainsi à forte proportion féminine, alors que les sections scientifiques et technologiques ont la préférence des garçons. Le travail des femmes, qui augmente en pourcentage, est cantonné dans certains secteurs d'activité (dactylos, employées de maison, infirmières, enseignantes du primaire etc.), tandis que l'égalité des salaires reste un voeu pieux depuis le début du siècle: il faut attendre l'action de Barbara Castle au sein du gouvernement Wilson et l'inlassable activité des associations féministes pour qu'en 1968 puis en 1970, une loi d'ensemble soit votée sur cette question épineuse (l'Equal Pay Act). La loi de 1970 est une véritable révolution salariale, corrigeant de flagrantes inégalités. Ainsi en 1968, 90% des ouvrières perçoivent des salaires inférieurs de 25% à ceux des hommes. Toutefois, les femmes disposent d'un revenu moyen inférieur en raison du développement du travail à mi-temps (surtout des femmes mariées) et du médiocre accès des femmes aux emplois supérieurs. La situation dans les universités est symptômatique de la lenteur des changements. En 1970, 70% des jeunes garçons ayant obtenu le GCE pour les 3 matières principales entrent à l'université contre 59,7% des jeunes filles. La féminisation du personnel enseignant dans les universités reste faible : en 1970, 1,7 % des professeurs, 6,3 des readers et senior lecturers et 12,1% des lecturers . Dans la politique, la situation semble encore plus bloquée, si l'on considère le nombre de députés aux Communes : 25 femmes en 1959, 26 en 1966 et 27 en 1974 ! C'est autant le débat sur la condition des femmes que celui sur la démographie qui interviennent dans la question de la contraception. Dans les années 50 et 60 resurgit en effet la peur malthusienne d'une surpopulation, en raison de la forte densité anglaise (+ 400 habitants/km2 dans de nombreux comtés) et des risques socio-économiques associés (logements et emplois rares, difficultés d'application du Welfare State etc.). Les exemples du Tiers Monde apportent de l'eau au moulin des défenseurs d'un contrôle plus strict de la natalité, y compris dans les pays développés. Des associations actives comme la Family Planning Association prônent une réduction de la population globale (ne pas dépasser 40 millions serait l'idéal) et militent pour une famille de 1 à 2 enfants au maximum. Aucune mesure eugénique n'est prise par le gouvernement Wilson malgré de très fortes pressions, mais de nombreuses campagnes d'information sont lancées sur le thème de la "procréation responsable" et dès le milieu des années 60, les médecins prescrivent la pilule à leurs patientes. En 1967 est voté le National Health Service (Family Planning) Act, 74 qui prévoit des structures d'accueil et de renseignement pour les couples désirant limiter leur famille. Il existe en effet une pill scare liée à l'absence d'études épidémiologiques sur le long terme. A la fin des années 60, plus de 30% des couples utilisent le préservatif, 25% la pilule, 5% le stérilet et 40% en restent à des méthodes plus "naturelles". La question de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) doit également être replacée dans une perspective sociale assez large, celle des mariages forcés, des enfants dits illégitimes, des abandons d'enfants. Sur le plan médical se pose le double problème des avortements clandestins (entre 100 à 150 000 par an avant la légalisation) et des malformations foetales héréditaires ou médicamenteuses. Sur ce dernier point, le scandale de la thalidomine, qui éclate en 1961, frappe durablement l'opinion et rend certains avortements thérapeutiques moralement légitimes. L'avortement est bien sûr une question morale et religieuse, qui préoccupe les médecins, les églises, les associations, les hommes politiques. La British Medical Association adopte une position modérée ; les églises anglicane et méthodiste y sont favorables dans certains cas précis ; l'Eglise catholique y est résolument hostile ; les députés sont généralement partagés mais une majorité de députés travaillistes souhaite dans les années 60 une évolution de la législation, ainsi que les députés libéraux (David Steel). L'association la plus active, créée en 1936, est l'Abortion Law Reform Association (ALRA), qui pratique le lobbying auprès des Parlementaires et même des églises. En octobre 1967, après un long et difficile débat, l'Abortion Act est adopté définitivement pour l'Angleterre et le Pays de Galles (l'Ecosse a sa propre législation, déjà libérale). La loi décriminalise l'IVG mais ne la banalise pas. Ce sont deux médecins qui doivent prendre la décision ultime selon des critères stricts : un risque majeur pour la vie et la santé de la mère, un handicap majeur détecté à l'état embryonnaire, et un environnement social très défavorable. La principale lacune de la loi concerne la durée limite de gestation au-delà de laquelle un avortement est possible. Un avortement tardif n'est pas illégal en Angleterre, faute de texte précis. L'autre lacune concerne l'adaptation du système de santé à la nouvelle loi : celui-ci peine en effet à répondre à la demande croissante. Très vite, des associations anti-avortement cherchent à lutter contre les abus, voire à revenir à la situation antérieure. Cinq années plus tard sont pratiquées 169 000 IVG, chiffre probablement plus élevé que celui des avortements clandestins avant 1967, mais avec des risques médicaux beaucoup plus limités. La plupart des femmes concernées sont célibataires et les avortements ne répondent pas toujours aux critères officiels. Des associations anti-avortement se mobilisent 75 sans relâche et forment un puissant groupe de pression dans les décennies suivantes. Le mariage reste malgré les vicissitudes de l'histoire une valeur stable en Grande-Bretagne et le couple royal est souvent donné en exemple (?) par les médias. A partir de 40 ans, pratiquement tous les hommes et les femmes sont ou ont été mariés. Avec le Divorce Reform Act de 1969, qui vaut pour l'Angleterre et le Pays de Galles, le seul constat d'échec et de rupture du couple marié permet d'obtenir un divorce. Après 5 ans de séparation (2 ans s'il y a consentement mutuel), le divorce est automatique. Marginal avant la loi (quelques milliers tout au plus), le divorce devient un fait de société dans les années 70 : près de 100 divorces pour 10 000 couples mariés en 1970, 200 en 1978. A l'heure du divorce condamné par l'Eglise catholique, ce sont les églises protestantes qui évoluent avec leur temps : en 1969, l'Eglise d'Ecosse admet le principe de l'ordination de femmes-prêtres ! 76 Chapitre 5 : les transformations culturelles Les Beatles en 1967 L'Etat et la culture A son arrivée au pouvoir en 1964, Harold Wilson est bien décidé à ne pas se contenter d'être un simple spectacteur de la vie culturelle du pays. L'Etat doit tenir un rôle, à la fois dans le domaine de la création et dans celui — plus traditionnel — de l'éducation. Il serait abusif de parler d'une politique culturelle, mais la période est marquée par un certain nombre d'initiatives qui vont dans le sens d'une démocratisation de la culture et des pratiques culturelles. En 1964, Wilson met à la tête de l'Arts Council — organisme qui distribue les subventions aux musées comme aux salles de spectacle — Lord Goodman, un avocat d'affaires connu pour son entregent et son sens de la publicité. Lord Goodman veut faire de l'Arts Council, jusqu'ici un peu en sommeil, un instrument de démocratisation dans cinq domaines "réservés" aux élites sociales et intellectuelles : la musique, l'opéra, le ballet, le théâtre (en dehors des productions tous publics du West End) et les arts plastiques. Dans la réalité, l'essentiel des subventions de l'Arts Council (soit £ 9 millions, à peine 10% du budget de la BBC) est destiné aux frais énormes de fonctionnement des salles présentant des spectacles de ballet et d'opéra. Les £ 250 000 allouées chaque année à l'Opéra de Covent Garden permettent de préserver le statut international de cette vénérable institution, mais pas de faire baisser les prix, très prohibitifs. Toutefois, il existe une réelle volonté de rendre l'avant-garde accessible au plus grand nombre. L'Institute of Contemporary Arts (ICA, Londres) se transforme en forum/restaurant et devient un pôle très actif de la contre-culture en 1967-70 grâce à son activité dans tous les domaines de l'art et grâce à la volonté du ministre chargé des Arts, Jennie Lee (veuve d'Aneurin Bevan). Certains critiquent alors ce qui est devenu une contre-culture institutionnelle, subventionnée par l'Etat. Une autre initiative soutenue par 77 Jennie Lee, par l'Arts Council et par le Trades Union Congress est celle — moins élitiste dans son esprit — du "Centre 42". En 1961, le dramaturge marxiste Arnold Wesker s'appuie sur la "résolution 42" du TUC, qui s'engage à favoriser les activités culturelles des ouvriers, pour créer le Centre 42, véritable plate-forme artistique à destination des lower classes. Le Centre 42 monte dans tout le Royaume des spectacles où se côtoient le jazz, la poésie et le théâtre "progressiste". Pour ses promoteurs, l'essentiel est d'assurer le libre accès aux arts, sans conditions d'éducation et d'appartenance à une classe sociale et surtout sans dépendance commerciale : c'est l'idée d'un "service public" qui serait aussi un lieu d'échange, de discussion, de spectacle abolissant les barrières sociales et culturelles. Harold Wilson — avec lui Jennie Lee — soutient personnellement l'expérience, se construisant ainsi à peu de frais l'image d'un défenseur de la "démocratisation des arts". Grâce au succès public du Centre, avec l'aide de Jennie Lee et de quelques mécènes, Wesker loue un vieux bâtiment londonien des chemins de fer, la Roundhouse à Camden Town, qui devient une sorte de phalanstère artistique, toujours à la limite de la rupture financière, moins institutionnel que l'ICA. L'implication de la Roundhouse dans la contre-culture de la fin des années soixante ne fait aucun doute : elle correspond tout à fait aux idéaux démocratiques de la période et elle devient de ce fait un pôle majeur de l'underground londonien. Ce qui fait brutalement la notoriété de la Roundhouse, ce ne sont pas les spectacles montés par Wesker mais bien la fête donnée en octobre 1966 pour la naissance du journal International Times. A partir de ce moment, le lieu un peu froid et désaffecté dont l'avenir culturel semblait compromis devient un lieu à la mode, où l'on entend Marcuse comme le Pink Floyd, où se produisent les meilleures troupes de danse, et où se montent les spectacles de Peter Brook, les pièces de Genet, leHamlet revisité par Nicol Williamson ou encore le spectacle érotique O!Calcutta de Kenneth Tynan. A la fin 1966, le théâtre d'avant-garde a donc gagné la faveur du public "branché" de la capitale mais aussi d'une fraction de la jeunesse qui n'avait jamais vu une scène de théâtre. Le succès de la Roundhouse, mais aussi les mises en scène controversées de Peter Brook (Marat-Sade en 1965 et US en 1966) sont autant de happenings qui ont ouvert des voies nouvelles d'expérimentation, à travers l'Open Space Theatre de Charles Marowitz et Thelma Holt, les spectacles du Living Theatre , les mixed media shows du club MiddleEarth, le théâtre de rue anarchisant du CAST (Cartoon Archetypal Scene Theatre) et aussi l'Arts Laboratory (Arts Lab) de l'Américain Jim Haynes — là où se 78 produit en 1968 David Bowie, mime et comédien, l'un des chanteurs pop anglais les plus célèbres des années 70. Le deuxième volet de la politique culturelle est celui de l'éducation, terrain sur lequel les Travaillistes ont cherché à innover, toujours dans le sens d'une démocratisation de l'accès à la culture. La gauche travailliste, comme en 1945, aurait souhaité une profonde réforme des très élitistes et inégalitaires public schools, véritables structures de reproduction culturelle et sociale (Eton et Winchester particulièrement). En 1965, Anthony Crosland, alors secrétaire d'Etat pour l'Education et la Science, met en place la Commission Newsom, chargée de réfléchir à l'intégration de ces écoles dans l'enseignement d'Etat. La commission se contente de préconiser une augmentation sensible du nombre de bourses (50% de boursiers étant l'objectif à atteindre), les autres recommandations n'ayant guère été écoutées. Néanmoins, les public schools sont fragilisées à la fin des années 60 — à l'exception des plus prestigieuses — par la concurrence des grammar schools, qui ont cherché depuis 1945 à se hisser au niveau des public schools. Les grammar schools les plus réputées sont les plus anciennes, subventionnées mais semi-indépendantes dans leur recrutement et leur financement. C'est le cas des grammar schools de Bradford, Bristol, Manchester (subventionnée par Marks et Spencer, dont la famille a fréquenté l'établissement), Newcastle, Birmingham, qui mènent plus de 30% de leurs élèves à l'université. Les grammar schools n'étant pas adaptées à une massification de l'enseignement secondaire, le gouvernement Wilson a cherché, précédé en cela par de nombreuses autorités locales, à promouvoir l'école unique ou comprehensive school , en remplacement de la structure mise en place en 1944/46 (grammar schools, modern secondary schools et technical schools). Le résultat est contrasté : si ces écoles permettent théoriquement un plus grand brassage social, les familles de la middle class n'y mettent pas leurs enfants et préfèrent alors l'enseignement privé. Sur le plan universitaire, l'effort a surtout été porté sur les sciences et la technologie et sur l'ouverture de "nouvelle universités" comme Strathclyde près de Glasgow en 1964, Aston, Bath et Herriot-Watt Loughborough, Brunel University (Londres) et City University (Londres) en 1966, Dundee, Stirling et Salford en 1967 et Coleraine (Irlande du Nord) en 1968. Les bâtiments à l'architecture moderne s'intègrent dans des campus où les espaces verts créent un cadre de travail champêtre (Université du Sussex). La démocratisation de l'enseignement supérieur est sensible, mais reste encore limitée quant à l'accès à l'université. L'effectif des étudiants à temps plein dans les universités passe certes de 119 000 en 1963 à 235 000 en 1970, mais ce sont des chiffres très 79 inférieurs à ceux de pays européens come la France ou la RFA. En revanche, l'on tient compte de l'ensemble des structures relevant de la higher education (universités, Polytechnics et collèges techniques), il y a en 1970 456 000 jeunes qui font des études supérieures au Royaume-Uni. La ventilation par classes sociales des diplômés universitaires laisse apparaître de flagrantes inégalités : en 1970, 30% des jeunes de la middle class obtiennent un diplôme supérieur contre 0,1% pour ceux de la classe ouvrière non qualifiée. Oxbridge continue d'exercer la même influence et à "produire" l'essentiel de l'Establishment religieux, politique et financier : dans le méritocrate gouvernement Wilson de 1966-70, dix membres du Cabinet sortent d'Oxford. Même si le King's College de Cambridge est devenu en 1968-70 une citadelle gauchiste, il reste fréquenté en majorité par des jeunes gens de bonne famille. Afin d'équilibrer un peu plus la puissance de ces bastions universitaires, le gouvernement Wilson a très largement financé la rénovation des redbrick universities. Birmingham a ainsi perdu son image vieillotte et s'est logée dans un grand campus avec boutiques, restaurants, tours, résidences disposées autour d'un lac. La création de "nouvelles universités" dans des cadres champêtres, à l'écart des centres urbains a également permis de concurencer les anciens collèges. Les universités de Norwich, de York et du Kent calquent ainsi, dans des bâtiments moins chargés d'histoire, les méthodes et les diplômes dispensés à Oxbridge. L'université du Sussex est devenue presque aussi prestigieuse que ses glorieuses aînées. Sise dans un cadre exceptionnel, dirigée par l'historien Asa Briggs depuis 1967, elle a débauché de nombreux enseignants d'Oxbridge et elle ne cache pas ses ambitions élitistes, tout en privilégiant les innovations pédagogiques. Les autres nouvelles universités sont davantage imprégnées de l'air du temps : Essex et Sussex promeuvent les sciences sociales et Lancaster les sciences économiques et de l'environnement. L'enseignement et de la recherche sur les problèmes et les études d'environnement ont connu un véritable essor après le profond traumatisme qu'a représenté en 1967 le naufrage du pétrolier Torrey Canyon au large des côtes de Cornouailles. Ce simple fait divers a pris la dimension d'une catastrophe nationale : les côtes sud souillées, les oiseaux et les poissons englués dans le pétrole ont marqué la conscience collective et accéléré la lutte contre les méfaits de la pollution et la protection de l'environnement naturel. Enfin, l'une des créations les plus remarquables du gouvernement Wilson en matière d'éducation demeure sans conteste l'Open University, qui ouvre en 1969 à l'attention des étudiants de tous âges et de toutes conditions, selon un système de cours par correspondance et de télé-enseignement. Le succès est très 80 rapide et l'Open University s'impose dans les décennies suivantes comme un véritable facteur de démocratisation de la culture au Royaume-Uni. Le rôle central des médias Cette évocation de l'Open University et des technologies qui y sont associées, nous amène à étudier le rôle de plus en plus grand tenu par les médias. Dans les années Wilson, la presse connaît d'importants changements, à la fois en termes d'organisation et de contenu. Ce qui ne change pas fondamentalement, c'est son pouvoir, en dépit de la concurrence de la radiotélévision et de l’érosion des ventes de la presse populaire de 1964 à 1970 ; un pouvoir politique, à travers le système quasi institutionnel du lobbying parlementaire (des journalistes des grands organes de presse ont un accès privilégié aux cercles du pouvoir) et à travers les prises de position de quelques journaux d'influence. D'une manière générale, il n'est pas exagéré de dire que la presse n'a guère été tendre pour Wilson de 1964 à 1970, particulièrement de 1967 à 1969. Le Times, conservateur mais aussi très "gouvernemental" n'a pas connu d'idylle avec le Premier ministre travailliste ; le Sun n'a guère suivi la stricte ligne travailliste de son prédécesseur le Daily Herald ; le Daily Mail et le Daily Telegraph sont demeurés sans concessions pour le Labour ; le titres de l'IPC comme le Mirror ont soutenu Wilson de 1964 à 1966, mais le critiquent ouvertement à partir de 1967 ; enfin l'hebdomadaire satirique Private Eye de Richard Ingrams et Christopher Booker a fait de Wilson un véritable tête de turc. De 1964 à 1970, le paysage de la presse s'est transformé dans le sens d'une plus grande concentration des titres et des moyens financiers, sans pour autant que soient résolues d'importantes crises internes aux grands journaux. L'essentiel des tirages à la fin des années 60 est réalisé par cinq grands groupes (les Big Five) éditeurs de journaux : l'IPC de Don Ryder qui détient le groupe Mirror (plus de 4,5 millions d'exemplaires par jour en incluant l'édition du dimanche) et le "sunday magazine" People, l'Associated Newspapers de Vere Harmsworth (fils du baron de la presse Lord Rothermere), qui détient le Daily Mail, Beaverbrook Newspapers de sir Alex Aitken, fils de Lord Beaverbrook, qui détient le groupe Express , Thomson Newspapers de Lord Thomson, qui a racheté le Times et qui détient le Sunday Times et nombre de publications et enfin le groupe de l'Australien Rupert Murdoch, qui achète le Sun depuis 1969 et possède surtout le journal populaire au plus fort tirage, le dominical News of the World. 81 Tableau 9 Les journaux nationaux et les journaux londoniens du soir à l'arrivée de Wilson au pouvoir TITRE et date création The Times (1785) The Daily Telegraph (1855) The Guardian (1821) Daily Express (1900) Daily Mail (1896) Daily Herald (1912) devient The Sun en 1964 Daily Worker (1930) Daily Sketch (1909) Financial Times (1888) The New Daily (1960) Daily Mirror (1903) Evening News (1881) Evening Standard (1827) étiquette "officielle" * Indépendant Conservateur Indépendant Indépendant Conservateur Travailliste Communiste Conservateur Indépendant Centre droit Travailliste Conservateur Indépendant tirage 256 000 1 312 000 271 000 4 275 000 2 423 000 1 265 000 61 000 923 000 152 000 60 000 4 951 000 1 423 871 758 000 Les journaux dominicaux à l'arrivée de Wilson au pouvoir The Observer (1791) Indépendant 714 000 The Sunday Times (1822) Conservateur 1 240 000 The Sunday Telegraph (1961) Conservateur 660 000 News of the World Indépendant 6 224 000 The People Indépendant 5 578 000 Sunday Express Indépendant 4 307 000 Sunday Citizen Travailliste 283 370 Sunday Pictorial (devient en centre-gauche 5 052 000 1963 le Sunday Mirror) Source : Official Handbook 1964 Edition, C.O.I, Londres. * La tendance "officielle" est celle revendiquée par les journaux, mais la réalité est souvent différente et peut grandement évoluer. L'autre grand changement de la presse des années 60 concerne son style. Si la distinction entre les glossy papers comme le Daily Express ou le Daily Mirror et les quality papers ou heavies demeure toujours d'actualité, il se dessine une évolution générale vers l'utilisation de l'image photographique (le Times introduit la photographie en 1967). Dans tous les journaux, on note une forte progression de de la publicité — véritable poumon financier — et la multiplication des rubriques destinées aux loisirs de masse (musique pop, jeux, sport, jardinage et bricolage, radio et télévision). L'évolution de l'institution nationale qu'est le Times est significative de ces transformations. Le titre de Lord Astor combine au milieu des années 60 une image vieillotte et un déficit financier chronique, avec un tirage qui ne dépasse pas les 250 000 exemplaires. Une tentative de rénovation a lieu en 1966, qui précède le rachat du journal par le groupe Thomson, dont le Sunday Times est en revanche à la pointe de l'innovation en matière de presse de qualité (son supplément magazine en couleurs est depuis 1962 un modèle du genre). Lord Thomson décide justement de s'inspirer de l'exemple du ST pour relancer les ventes du Times : apparition de photographies, de gros titres et de rubriques nouvelles, augmentation du volume publicitaire, création d'un supplément 82 économique copieux, nomination à la rédaction en chef de William Rees-Mogg, un transfuge du journal dominical. Comme celui-ci l'annonce en janvier 1967 dans un éditorial resté célèbre, "un journal désuet est plus encore qu'un régime désuet, une contradiction dans les termes". Le nouveau Times des années 67-68 a effectivement de quoi choquer ses lecteurs les plus ouverts au changement, et de ce point de vue son rédacteur en chef a les coudées franches. A 40 ans en 1967, Rees-Mogg est l'homme de la circonstance, désamorçant à lui seul la querelle inévitable des Anciens et des Modernes. Issu d'une vieille et riche famille catholique (convertie) du Somerset, ancien président de l'Union des étudiants d'Oxford et tory convaincu, il entre au Financial Times puis au Sunday Times, avant d'être appelé à rénover le Times. Certaines de ses décisions ou de ses éditoriaux font néanmoins scandale. Le 1er juillet 1967, il signe un long éditorial, dans lequel il dénonce les conditions du procès intenté à des vedettes du Swinging London (deux membres des Rolling Stones et le galeriste Robert Fraser) pour détention et consommation de drogues. Dans ce papier, Rees-Mogg fait des parallèles hasardeux avec l'affaire Profumo. Surtout, le journal porte l'affaire sur le terrain des mentalités avec plus d'habileté, rappelant que si le procès symbolise l'opposition entre les valeurs hédonistes du Swinging London et les "vieilles valeurs"du passé, ces dernières comprennent aussi les vertus britanniques de tolérance et d'équité. Pour le nouveau Times qui cherche ses marques, cet article de mise au point est aussi une façon de bien de se démarquer de la presse populaire. Le Sun, News Of the World, le Mirror, le Mail se font d'une certaine manière les bons apôtres de la morale, tout en descendant toujours plus bas dans les révélations sordides et rarement vérifiées, notamment en ce qui concerne la drogue et les mœurs.(la vie très dissolue du footballeur-playboy George Best constitue un véritable roman-feuilleton). Dans le numéro daté du 24 juillet, Rees-Mogg accepte de publier une publicité pleine page réclamant la légalisation de la marijuana ou plus exactement la révision des lois anti-drogues de 1964 (Drugs prevention and Misuse Act) et 1965 (Dangerous Drug Act). Un appel à la révision de la loi forme un Swinging London aux bases intellectuelles très élargies, où l'on trouve ce mélange d'intellectuels, d'artistes, de musiciens pop qui a fait le succès de la contre-culture des années 60. Les quatre Beatles sont sur cette liste et font valoir leur décoration MBE; s'y ajoutent des membres du corps médical, deux parlementaires travaillistes et entre autres personnalités — elles sont une soixantaine — le photographe David Bailey, les artistes David Hockney et 83 Richard Hamilton, le metteur en scène Peter Brook, le critique Kenneth Tynan, le romancier Graham Greene... Les initiatives de Rees-Mogg sont généralement mieux appréciées sur le plan politique, du moins par les lecteurs conservateurs du Times. Que l'institution se modernise, soit, mais en restant tory. Le 9 décembre 1968, un éditorial déclenche l'attaque contre un gouvernement Wilson il est vrai déjà bien affaibli par les crises économiques et financières, ainsi que par les soubresauts de l'année 1968 : "Condamner Wilson ? Inutile. Discuter avec lui ? A quoi bon ! La suffisance stupéfiante affichée tout au long de son désastreux gouvernement se condamne elle-même". Une offensive qui sera pourtant mise en sourdine en 1969 et 1970, peut-être aussi parceque le Times croyait la victoire travailliste inévitable…et que les ventes du journal s'effondraient. Le 18 mai, Mogg écrit un peu désabusé qu'"il est malaisé à un parti conservateur de s'opposer avec succès à un gouvernement qui répond apparemment si bien aux instincts conservateurs de l'électorat." A l'instar du Times, la presse d'opinion connaît dans les années 60 un certain nombre de difficultés. A gauche, le Guardian est un moment déstabilisé par l'offensive de charme du Times de Thomson. Il résiste cependant à l'invasion publicitaire et aux gros titres accrocheurs, sous la houlette de l'Ecossais Alastair Hetherington et reprend l'initiative à la fin de la décennie, rattrapant avec 300 000 exemplaires les tirages de son rival conservateur. A droite, le Daily Telegraph apparaît beaucoup plus que le Times comme le véritable opposant au travaillisme wilsonien ; défenseur d'un torysme un peu nostalgique, le Telegraph se fait aussi le contempteur de la société permissive des années 60. La véritable bataille de la grande presse se déroule en réalité le dimanche. Les années 1964-70 sont marquées par l'apparition de nouveaux titres et surtout de numéros de plus en plus volumineux, multipliant les photographies, les reportages, les suppléments, les feuilletons, les jeux etc. On retrouve le dimanche la même dichotomie entre presse populaire et presse respectable. Dans la première catégorie concourent les poids lourds que sont News of the World, feuille à scandales d'une tenue très douteuse, le Sunday Express et le Sunday People ; dans la deuxième se concurrencent à fleurets très mouchetés le Sunday Times (une réussite dans les années 60, mais dont la ligne politique est difficile à suivre), l'Observer (plutôt à gauche) et le Sunday Telegraph (nettement à droite). Ces journaux de qualité ont un lectorat très middle class, qui achète aussi volontiers ce que l'on pourrait appeler la presse (hebdomadaire ou mensuelle) des élites : c'est le le cas de The Spectator, vieil organe de la droite intellectuelle, du travailliste orthodoxe New Statesman, de l'austère et bien 84 informé The Economist (hebdomadaire préféré de la City et des milieux d'affaires), de l'indispensable Listener, organe officiel de la BBC-Radio devenu dans les années 60 le magazine des critiques et des professionnels de la communication. Dans les années 60 prospère également toute une presse qui s'appuie sur le développement des loisirs et de la consommation de masse, journaux féminins plus modernes (Nova, "un nouveau type de magazine pour un nouveau type de femme"), journaux de mode (Vogue, Harper's Bazaar), journaux "branchés" et urbains (London Life), journaux pour les teenagers, journaux musicaux (NME et Melody Maker , les deux bibles du rock et de la variété), journaux des consommateurs (le célèbre Which ?, titre né en 1957 et qui revendique plus de 3 millions de lecteurs en 1970). De plus, la contre-culture de la fin des années 60 donne naissance à toute une presse parallèle, d'une durée de vie plus ou moins limitée. Le public du Swinging London ne trouve pas toujours dans la presse traditionnelle une réponse à ses aspirations hédonistes. Les journaux sur papier glacé du type Nova sont devenus des institutions et les journaux satiriques du type Private Eye s'intéressent surtout aux scandales politiques. De nombreuses feuilles underground sont éphémères, comme Strange Days ou Zig Zag. D'autres connaissent un succès important auprès des jeunes gens "branchés" et des milieux intellectuels qui veulent rester à la page. C'est le cas d'IT (International Times), revue alternative née en 1966 en pleine période psychédélique, avec le parrainage du dramaturge socialiste Arnold Wesker, d'OZ, fondé en 1967 et volontiers pornographique (selon les critères de l'époque), d'Ink (1967) et de Time Out (1968). Ce dernier titre a su évoluer au début des années 70 vers un guide des manifestations londoniennes, des happenings underground aux spectacles populaires du West End. Il est aujourd'hui le guide référence de Londres et n'a pas tout à fait perdu les traces de ses origines contre-culturelles. C'est aussi à la fin des années 60 qu'Edward Goldsmith — écologiste convaincu et frère de Jimmy — fonde The Ecologist, titre qui répond aux nouvelles aspirations de la fin des années 60. Tout comme la presse, la radio a connu d'importants changements dans les années 60. Monopole d'Etat, la BBC-Radio passe de la tutelle du ministère des Postes et Telecoms au secrétariat d'Etat à l'Intérieur, ce qui n'a pas d'incidences majeures sur sa réputation justifiée d'indépendance. Jusqu'en 1967, les programmes nationaux de la BBC comprennent le Home Service (qui fonctionne un peu comme un service public, avec des programmes scolaires et d'autres destinés aux régions), le Light Programme (station généraliste de 85 divertissement) et le Third Programme (station à vocation culturelle nettement élitiste). En dépit d'efforts du Light Programme pour répondre aux nouveaux goûts musicaux des jeunes (Saturday Club, Parade of the Pops) et pour passer davantage de disques (contractuellement, la plupart des musiques sont diffusées live depuis les années 40), la concurrence des stations continentales comme Radio-Luxembourg (en langue anglaise) est très forte, captant l'essentiel du jeune public. Plus grave pour le monopole de la BBC, des sations "pirates" émettent à partir de 1964 au large des côtes anglaises sur ondes moyennes (Radio-Caroline, puis Radio-London, Radio-390 etc.). Radio Caroline bénéficie lors de son lancement d'un effet de surprise qui contribue largement à son succès. Le navire-émetteur mouille dans l'estuaire de la Tamise le weekend de Pâques 1964 et commence aussitôt ses émissions. A sa tête, un jeune Irlandais rebelle et anarchisant, Ronan O'Rahilly qui voit dans l'aventure une croisade, un embryon de révolution des jeunes contre le pouvoir. En trois semaines Caroline dispose de sept millions d'auditeurs, un impact rarement égalé dans les annales de la radiodiffusion. Quelques semaines plus tard, elle constitue un réseau national avec un navire au Sud et un deuxième au large de l'île de Man. Elle prend le contre-pied de la BBC sur tous les plans et s'inspire des radios locales FM américaines, non sans emprunts aux stations continentales du type Luxembourg et même Europe No 1. De 1965 à 1967, le phénomène des radiospirates s'étend. Radio London, née à la fin de 1964, laisse une large place aux disques du «Top 40» et apparaît nettement plus "commerciale" que Caroline. Voici résumées en quelques points les particularités des radios-pirates britanniques, dont l'ambiance iconoclaste est bien restituée dans le film Good Morning England de Richard Curtis (2009) : - Un dialogue permanent avec les auditeurs (en utilisant beaucoup le téléphone). - L'absence de "temps morts" dans la programmation (style de continuité de parole, de musique, de chant, de publicité). - Des "flashes" d'information très courts (ou pas d'informations du tout). - Le goût du risque et de l'improvisation de la part de l'animateur qui devient vedette à part entière (John Peel sur Radio London). Sa devise : enthousiasme, dynamisme, humour. - Une langue composite, mi-américaine (influence des radios d'outreAtlantique) mi-oxfordienne (par dérision), mi-populaire (identification aux vedettes du rock). 86 -Une nouvelle manière de faire de la publicité, à travers des jingles courts et ludiques, très musicaux (cf. le disque des Who, The Who Sell Out, qui contient de nombreux jingles des radios-pirates. En juillet 1967, le gouvernement décide de mettre fin à l'anarchie des ondes et fait appliquer un très rigoureux Marine Broadcasting Offences Act. La marine britannique est chargée de faire respecter la loi pendant l'été 1967 et arraisonne les bateaux-émetteurs qui mouillent au large des côtes et même dans les eaux internationales. Les conséquences de cette fermeté sont multiples. A court terme, le gouvernement Wilson ne se rend guère populaire dans la jeunesse, mais cela n'a guère de conséquences politiques. En compensation de la fermeture des radios-pirates, la BBC restructure ses chaînes (Radio 1 à 4) et met en place Radio- One, "station pop" dirigée par Robin Scott, un transfuge des radios-pirates. A plus long terme, l'épisode des pirates des ondes a pour effet de repousser à quelques années l'inévitable libération des ondes (Sound Broadcasting Act,1972 ) et la création de radios locales indépendantes, dans le cadre juridique de l'Independant Broadcasting Authority (1973). Bien plus que la radio, la télévision devient dans les années 60 le premier loisir des Britanniques, devant le cinéma, la lecture ou le sport. La télévision remplit 23% des heures de loisirs et l'essentiel de ceux de la soirée, avec une moyenne hebdomadaire de 18 heures passées devant le petit écran (en 1969/7O). La télévision reste avant tout un spectacle familial, mais les programmes se diversifient pour tous les âges et pour tous les niveaux de culture. Il s'agit aussi d'une activité très prenante : le pouvoir de fascination reste grand et l'on ne peut encore "zapper" d'une chaîne à l'autre. Le taux d'équipement en licences TV atteint 94% en 1970, le plus fort taux d'Europe. L'achat de postes de télévision a incontestablement été dopé par quelques grands événements télévisuels, soit en préparation de l'événement, soit après l'avoir vu chez des amis, devant une vitrine ou dans un pub. Entre 1964 et 1970, les périodes d'élections générales ont été propices aux ventes, mais ce sont surtout des événements exceptionnels qui ont marqué l'histoire de la télévision britannique. Le point de départ des ventes en Grande-Bretagne est sans conteste en 1953 la retransmission en direct du couronnement d'Elizabeth II. Dans les années 60, trois événements vont dynamiser les ventes : les funérailles nationales de Winston Churchill le 30 janvier 1965, la finale de la Coupe du monde de football en 1966 et — de manière moins nette en raison du nombre de téléviseurs déjà en service —, l'Homme sur la Lune le 21 juillet 1969. Le premier événement est dans la droite ligne des grands événements princiers télévisés. Retransmis à la fois par la BBC et par ITV, l'événement a été regardé 87 par 350 millions de téléspectateurs dans le monde. La BBC utilise alors 40 caméras et ITV 45 caméras pour couvrir au mieux l'événement : le cortège à Wetminster Hall, le service religieux dans la cathédrale St Paul, puis à nouveau le cortège qui va à Waterlo Station par la Tamise et la route, et enfin le départ du train qui transporte la famille dans le village de Bladon. Selon les volontés de Madame Churchill, il n'y eut aucun commentaire radio-TV après que la dépouille du défunt eut quitté Waterloo. Sur la BBC, Richard Dimbledy assure l'antenne seul de 9h20 du matin à 13h30 ; ITV fait mieux en engageant Sir Laurence Oliver et des commentateurs spécialisés, et sa version de 5 heures des funérailles, The Valiant Man, obtient à Cannes en 1965 le Grand Prix international du reportage. Le deuxième événement est la la Coupe du Monde de Football, organisée en Angleterre pendant le mois de juillet 1966. Cette édition de la Coupe du Monde a pu donner aux téléspectateurs (et auditeurs) britanniques trois semaines de football non-stop, ce qui a eu pour effet d'établir durablement le sport télévisé comme un loisir familial de très grande audience. A Wembley, en demi-finale, l'Angleterre bat 2-1 le Portugal d'Eusebio — vainqueur du Brésil en quart par 3-1 — et la RFA se défait de l'URSS. La finale entre l'Angleterre et la RFA (gagnée 4-2 par l'Angleterre) réunit le 30 juillet 1966 33 millions de téléspectateurs (sur BBC et ITV) et son déroulement est une véritable dramatique, le plus grand événement sportif jamais couvert par le petit écran. Un peu avant la fin du match, les Allemands égalisent à 2-2 (par Weber), alors que l'Angleterre se croyait déjà victorieuse. Dans les prolongations, Geoff Hurst marque les deux buts de la victoire, mais le but décisif est l'un des plus controversés de l'histoire du football, rebondissant sur la barre et retombant sur la ligne du but allemand! Après la victoire, les joueurs Bobby Moore, Bobby Charlton, Alan Ball, Nobby Stiles et surtout Geoff Hurst (l'auteur du hat trick de la finale) deviennent alors de véritables stars du petit écran et des icônes nationales, certains aussi célèbres que les chanteurs pop. Même s'il ne participe pas la world cup de 1966, George Best, originaire d'Irlande du Nord et joueur vedette de Manchester United (le club champion d'Angleterre en 1965 et 1967 et d'Europe en 1968), est l'une des grandes stars glamour de la fin des années 1960. Le joueur mancunien inaugure en quelque sorte l'ère du star system dans le football moderne : il achète des boutiques de vêtements, roule en Rolls Royce blanche et en Jaguar type E, s'affiche avec les Miss du monde entier et fréquente le Gotha mondain dans les boites à la mode ou sous le soleil des Baléares. Il est - avec les Beatles - l'une des icônes adulées des Swinging Sixties. 88 Tableau 9 bis Les résultats de football en 1964-70 1966 : L'Angleterre vainqueur de la coupe du monde de football 1968 : Manchester United champion d'Europe Cup 1964 1965 1966 1967 West Ham (1) 3-2 Preston North End Liverpool (1) 2-1 Leeds United 3-2 2-1 ap Everton (3) 3-2 Sheffield Wednesday 3-2 Tottenham Hotspur (5) 2-1 Chelsea 1968 West Bromwich Albion (5) 1-0 Everton 1969 Manchester City (4) 1-0 Leicester City 1970 Chelsea (1) 4-3 Leeds United 2-1 1-0 ap 1-0 2-2 ap 2-1 Champion d'Angleterre 1964 Liverpool 1965 Manchester United 1966 Liverpool 1967 Manchester United 1968 Manchester City 1969 Leeds 1970 Everton La télévision poursuit également sa progression rapide sur le plan technologique. La deuxième chaîne publique créée en 1964, BBC2, bénéficie en 1966 de la technologie couleur PAL et les premiers programmes en couleur sont diffusés en juillet 1967. A la fin de l'année 1967, ce sont 30 heures de programmes en couleurs qui sont proposées chaque semaine sur BBC2. En 1969, c'est tout le réseau qui bénéficie de la couleur, et la vente de postes de télévision couleurs — en dépit d'une surtaxe — connaît une très rapide progression. Plus encore que dans les années 55-63, où la télévision commerciale restait très encadrée par l'Independent Television Authority, les années 64-70 sont celles d'une concurrence très vive entre le réseau public et le réseau privé. La BBC est une entreprise d'Etat depuis les années 20 et qui couvre la radio et la télévision. La Corporation vit en grande partie d'une taxe annuelle d'écoute (£ 4 89 par an) et supporte des déficits d'exploitation à partir de 1967, en raison du coût toujours plus élevé des moyens techniques et de la production d'émissions. Elle est dirigée par un conseil de gouverneurs choisis pour 5 ans par le pouvoir. Les gouverneurs (avec à leur tête un président du Conseil), examinent chaque année le bilan du Directeur général. Le conseil est généralement composé de notabilités, membres de la middle class, plutôt d'âge mur et intrinsèquement des "amateurs" regardant peu la télévision, à de notables exceptions près. On peut distinguer deux périodes bien distinctes à la BBC. De l'arrivée de Wilson au pouvoir à 1967, elle est dirigée par Sir Hugh Carleton-Greene, ouvert et tolérant, tandis que le président du Conseil Lord Normanbrook est réfractaire à toute pression politique. De 1967 à 1970, des changements importants se produisent sur fond de difficultés financières. Wilson désigne Lord Hill, ancien président de l'Independent Television Authority (ITA, organisme de contrôle du réseau ITV) et Greene — qui ira en compensation à la tête de l'ITA — est remplacé par Charles Curran. Le réseau privé ITV connaît un succès populaire constant depuis sa création en 1954-55. En 1962, le rapport du Pilkington Committee, très critique sur le contenu des programmes d' ITV, empêche l'entreprise de se doter d'une nouvelle chaîne nationale, mais la concurrence vontinue à jouer à plein sur le terrain des informations, des documentaires, des feuilletons et des émissions de divertissement. La tendance générale de la programmation (BBC et ITV confondus) des années 60 peut se résumer en quatre formules d'émission : les dramatiques de grande valeur, souvent controversées, soit sous une forme théâtrale (The Wednesday Plays), documentaire ou de fiction (le "docu-drama" étant une hybridation souvent réussie des deux, comme Up The Junction ou Cathy Come Home) ; les feuilletons ou séries extravagantes, d'espionnage et/ou d'évasion, tels The Avengers, Danger Man, The Saint, The Prisoner ; les sitcoms et comédies familiales très populaires comme Steptoe and Son et Till Death Us Do Part; émissions de divertissement musical, généralistes comme The Morecambe and Wise Show ou destinées aux jeunes comme Ready Steady Go! ou Top of the Pops. Ces quelques exemples ne suffisent pas à résumer la richesse de la télévision britannique des années 60, qui propose aussi aux téléspectateurs de très bons sitcoms comme Z-Cars, (série sur la police), The Power Game , Coronation Street(série de très grosse audience qui raconte la vie de tous les jours d'une famille ouvrière dans le nord de l'Angleterre), des émissions de reportage et d'actualité (Panorama sur la BBC), des émissions culturelles (Monitor, Civilisation), des émissions de satire (TW3 avant 1963, The Frost Show et surtout 90 The Monty Python's Flying Circus à la fin des années 60). Les Monty Python (Graham Chapman, John Cleese, Terry Gilliam, Eric Idle, Terry Jones et Michael Palin) sont à l'origine une bande de joyeux comédiens, la plupart issus de l'université de Cambridge, qui conçoivent des sketches hilarants basés sur le nonsense, l'absurde et influencés par la veine satirique des années 60 (la revue Beyond The Fringe). Le succès va dépasser toutes les espérances de la BBC, qui concurrence alors ITV sur le terrain du divertissement populaire, en y apportant une touche iconoclaste qui dépoussière la vieille Auntie, l'un des diminutifs de la maison. De nombreux feuilletons sont encore rediffusés aujourd'hui, non seulement en Grande-Bretagne mais dans le monde entier. Certaines "séries-cultes" des années 60 ont leurs fans clubs et génèrent à la fois nostalgie et merchandising lucratif. Dans un style très sophistiqué, The Avengers et de The Prisoner sont deux feuilletons ITV très représentatifs des Swinging Sixties. Le premier débute en 1961 sur ATV et se prolonge jusqu'en 1969 dans sa version originale, au cours de plusieurs "époques" qui voient se succéder aux côtés du gentlemanagent John Steed — son chapeau melon et son style étonien flegmatique — la troublante Cathy Gale (Honor Blackman), toute vêtue et chaussée de cuir et l'aventurière Emma Peel (Diana Rigg). Le second ne dure que deux saisons (1967-68) sur ATV et apparaît comme une série enigmatique, à mi-chemin entre l'espionnage et la science-fiction, jouée avec brio par une vedette du petit écran, l'acteur Patrick McGoohan, célèbre par son rôle dans Danger Man. McGoohan s'est totalement investi dans The Prisoner, dont il écrit certains épisodes. Prisonnier après sa démission des services secrets britanniques dans une sorte de "village" de vacances habité par des "numéros" à l'esprit lobotomisé, le héros — devenu le Numéro 6 — ne cesse de vouloir s'évader et de trouver l'identité du "Numéro 1" qui dirige le Village. Le scénario reste très soigné jusqu'au dernier épisode (1968), qui se termine dans une sorte de folie psychédélique sur la musique des Beatles, All You Need Is Love. Dans le domaine du feuilleton de divertissement, Till Death Us Do Part, sur la BBC, connaît l'un des plus grosse audiences de la télévision entre 1966 et 1968, puis dans les années 70. La série décrit la vie quotidienne de la famille Garnett, dont le père Alf est un ouvrier-type, vivant dans un monde de clichés et de stéréotypes. L'humour à plusieurs degrés voulu par le scénariste Johnny Speight est pris au premier par une partie des télespectateurs — qui s'identifient alors aux propos grossiers et racistes de Garnett — et par les Ligues de vertu; il est en revanche apprécié par tous ceux qui voient dans ce feuilleton une caricature sociologique hilarante de la classe ouvrière londonienne. 91 Souvent critiquée par les élites (le rapport Pilkington), qui l'accusent de "tirer vers le bas" les goûts des téléspectateurs, la télévision des années 60 — surtout la BBC dirigée par Hugh Greene — est pour les comédiens, pour les auteurs de théâtre, pour les réalisateurs de documentaires comme ceux de fictions une très grande école d'apprentissage et d'experimentation. La BBC innove beaucoup dans le domaine de la "fiction documentaire", mais également dans celui du théâtre filmé. La célèbre émission Wednesday Plays permet au grand public de découvrir toute la jeune génération (30 à 40 ans), de John Osborne à David Mercer, en passant par Tom Stoppard et surtout Harold Pinter, véritable "révélation" de la télévision publique au début des années 60. La qualités des programmes de théâtre contemporain choisis par le Canadien Sidney Newman fait de la BBC un laboratoire de création sans équivalent dans le monde occidental. L'influence du cinéma documentariste des années 30 et du Free Cinema des années 50 est également déterminante dans l'émergence de cinéastes comme Ken Loach, Peter Watkins, John Schlesinger, Ken Russell, dont l'œuvre est à la fois adaptable au format télévisuel et à celui du grand écran. Cette tradition de "découvreuse de talents" fait de la télévision (surtout la BBC dans les années 60) l'une des meilleures du monde, d'autant que nombre de cinéastes plus confirmés y travaillent ponctuellement. Ken Loach est aujourd'hui l'un des cinéastes les plus réputés de cette "génération BBC". Le 16 novembre 1966 est programmé Cathy Come Home à la BBC, quelques mois après les élections. L'histoire écrite par Jeremy Sandford tranche avec la relative euphorie du milieu des années 60 ; elle racontre crûment l'histoire d'un couple qui part à la dérive : perte d'emploi, puis de ressources et de logement et enfin des enfants retirés par les services sociaux. C'est toute l'Angleterre wilsonienne, celle des discours technocratiques sur les nouvelles technologies, le bien-être pour tous et la croissance de la consommation, qui est critiquée en quelques séquences fortes. Le succès — et aussi le scandale — provoqué par le film a pour conséquences une plus grande conscience de la pauvreté et de la précarité dans la société d'abondance. Les itinéraires de John Schlesinger et de Ken Russell sont relativement comparables. John Schlesinger se fait connaître à la BBC par le magazine Monitor et par des courts métrages. Il tourne au cinéma en 1963 et 1965 deux films importants, Billy Liar (avec Tom Courtenay) et surtout Darling, qui révèle alors au monde entier le talent de Julie Christie. Le cinéaste se lance ensuite dans une carrière internationale, notamment américaine (avec son acteur-fétiche Dustin Hoffman). Ken Russell est également passé par l'école Monitor. Il monte également dans les années 60 des émissions sur les musiciens, 92 avant de se lancer dans la réalisation de films étonnants et baroques, ainsi Women in Love en (1969), illustration assez fidèle du livre de D.H.Lawrence et The Music Lovers (1970), inspiré de la vie de Tchaïkovsky. Autre cinéaste formé par la BBC, Peter Watkins, auteur engagé, à l'écriture originale et percutante. La diffusion de The Battle of Culloden en 1964 est une grande nouveauté à la télévision : le film est traité comme un reportage et les acteurs sont des nonprofessionnels (beaucoup d'étudiants), ce qui lui donne une force peu commune. En 1965, le film War Game est déprogrammé par la BBC et sort en salles l'année suivante. War Game simule une attaque nucléaire dans le sud de l'Angleterre : la rigueur scientifique du propos et l'impression de vérité qui se dégage du film en font une œuvre dérangeante, qui risque selon la BBC de provoquer une panique injustifiée. Enfin, Privilege (1967) met en scène une pop star adulée par un public fanatique et manipulée par un show-business sans scrupules. Peter Watkins ébauche une thèse : c'est aux musiciens pop de prendre conscience de la nature de leur pouvoir et de refuser les règles qui leur sont en fait imposées de l'extérieur. Etre rebelle, ce n'est pas se plier aux modes, aux mouvements de masse organisés dans un but prétendument humaniste et libérateur du corps et de l'esprit. Dans le film de Watkins, le chanteur — un authentique chanteur pop en la personne de Paul Jones du groupe Manfred Mann — finit par faire un scandale, refuse les récompenses que lui offre l'Establishment et finit comme un rebelle oublié de tous. Il est à noter que ce courant néo-réaliste, très apprécié à la télévision, perdure sur grand écran, dans la tradition du Free Cinema des années 50. Les réalisateurs comme Tony Richardson, Karel Reisz et Lindsay Anderson ont certes une production moins originale et créative que dans la décennie précédente, mais ils sont encore capables de faire d'excellents longs-métrages. Mademoiselle de Tony Richardson (1966), avec Jeanne Moreau, est écrit sur un scénario de Jean Genet ; Morgan de Karel Reisz (1966), d'après la pièce du dramaturge David Mercer, raconte les heurs et malheurs d'un jeune homme qui, à la suite de dificultés conjugales, est pris d'une sorte de fureur en se découvrant et en découvrant les autres ; Isadora du même Karel Reisz (1969), avec Vanessa Redgrave, raconte avec beaucoup d'intelligence la vie d'Isadora Duncan. Le plus "en colère" des réalisateurs de la génération des Fifties est sans conteste Lindsay Anderson, à qui l'on doit This Sporting Life (1964), où un jeune ouvrier découvre le succès factice du sport professionnel (le Jeu à XIII). Dans ce film, Anderson montre avec un grand sens de la critique sociale un individu de la working class, qui , par confort matériel, devient le prisonnier de sa solitude tout en se donnant l'illusion de vivre en communion avec les autres. Son film le 93 plus marquant de la décennie demeure toutefois If (Palme d'Or à Cannes en 1969). Le cinéaste se réfère à des éléments autobiographiques pour décrire l'existence quotidienne d'élèves et de professeurs dans une public school. Il insiste sur les rapports sado-masochistes qui s'instaurent dans la communauté, entre enseignés et enseignants, ainsi qu'entre élèves d'âges différents. Dans ce pensionnat, les châtiments corporels — officiellement abolis en Angleterre en 1970 — sont une règle pédagogique de base. Ces contraintes anachroniques dans la société des années 60 déclenchent une terrible rébellion, d'une violence qui rappelle les révolutions ou les guerres civiles. Tableau 10 Grands programmes de télévision (ITV et BBC-TV) 1964-1970, émissions, téléfilms, feuilletons, retransmissions. Emissions ayant débuté avant 1964 The Avengers (ABC, 1961-1969), Doctor Who (1963-) Morecambe and Wise Show (ATV 1961-64 et 1966-68) Thank You Lucky Stars (ABC, 1961-66) The Saint (ATV, 1962-1969) Speptoe and Son (BBC, 1962-65 puis 1970) TW3 (BBC, 1962-63) Z-Cars (BBC, 1962-78) Ready Steady Go! (A-R, 63-66) 1964 Beyond the Fringe (BBC, 12/12/64) Crossroads (ATV, 1964-88) Battle of Culloden (BBC 1, 15/12/64) Detective (BBC, 1964, 1968-69) Horizon (Science magazine BBC2, 1964-) Top of the Pops, BBC2 (1964-) The Wednesday Play (BBC1 1964-70) 1965 State Funeral of Winston Churchill, (BBC, ITV, 30/1/65) Thunderbirds (ATV,1965-66 ) 1966 Alice in Wonderland (BBC1, 28/12/66) Frost report (BBC1 1966-67) Till Death Us Do Part (BBC1, 1966-68 puis 1970's ) World Cup Final, (BBC, ATV 30/7/1966) 1967 All Gas and Gaiters (BBC1 1967-69) Magical Mystery Tour ( BBC1 26/12/67) The Prisoner (ATV 1967-68) 1968 Dad's Army (BBC1 1968-) 1969 Civilisation (BBC 2, 1969) Man of the Moon, (BBC et ATV21/7/69) Monty Python Flying Circus, (BBC1 1969-70 puis 1972-74) Stones in the Park (Granada-TV, 2/9/69). 1970 Up Pompeii! (BBC1, 1970) 94 Malgré la concurrence de la télévision — le nombre de licences TV augmente de 60% entre 1960 et 1970 —, celle des films américains qui séduisent une grande partie du public populaire, malgré la baisse de la fréquentation — la moitié moins de spectateurs dans la même période —, la fermeture de nombreuses salles (3000 depuis 1955), le cinéma anglais profite dans les années soixante d'un "délai de grâce" avant la mort annoncée de la décennie suivante. Il doit ce délai au bouillonnement culturel qui règne à Londres entre 1964 et 1970 et qui stimule les créations nationales tout en attirant les cinéastes étrangers. Le nombre de films anglais produits chaque année est d'ailleurs étonnamment stable depuis l'après-guerre, avec une moyenne de 75 longs métrages, chiffre en hausse à la fin de la période. Tableau 11 La chute de la fréquentation des salles de cinéma de 1964 à 1970 Année millions de spectateurs nombre écrans (1946 30,5 4723) 1964 6,6 2 057 1965 6,3 1971 1966 5,6 1847 1967 5,1 1736 1968 4,6 1631 1969 4,1 1581 1970 3,7 1529 (1976 2,0 1525) Même si les Anglais "boudent" quelque peu le cinéma national — à l'exception des superproductions de type hollywoodien comme les James Bond 007 (notamment l'excellent Goldfinger en 1964 avec Sean Connery), Doctor Zhivago de David Lean en 1966 ou Oliver de Carol Reed en 1968—, les récompenses internationales pleuvent sur le cinéma britannique : en 1964, 3 prix pour 69 films, en 1965, 13 prix pour 68 films, en 1966, 10 prix pour 70 filmset en 1967, 6 prix pour 70 films. Notons le Grand Prix à Cannes pour The Knack de Richard Lester (1965) et If de Lindsay Anderson (1969), sans relever les multiples prix d'interprétation reçus par des comédiens anglais ou étrangers jouant dans des films britanniques. Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner si d'excellents réalisateurs choisissent Londres ou des artistes anglais pour travailler, réalisant ainsi quelques-uns des meilleurs films de l'époque. C'est le cas d'Antonioni, de Polanski, de Losey et de Kubrick. 95 C'est à la naissance du Swinging London que le Polonais Roman Polanski se fixe à Londres après un séjour à Paris. C'est bien dans la capitale anglaise — et non française — qu'il trouvera une ambiance à la mesure (ou la démesure) de son talent. La période londonienne de Polanski voit notamment la sortie de Repulsion (1965), de Cul-de-sac (1966), de Tearless vampires Killers (1967) et aussi d'un Macbeth (1971) sur un scénario shakespearien revisité par Kenneth Tynan! Mais le plus anglais des cinéastes étrangers est certainement Joseph Losey, qui a fui le maccarthysme dans les années cinquante et dont la filmographie des années soixante est d'une exceptionnelle richesse. Dans The Servant (1963) puis Accident (1967), Losey filme à merveille l'univers étriqué d'Harold Pinter. Dans Modesty Blaise (1966) avec Monica Vitti, il change de registre et adapte à sa façon une célèbre bande dessinée de l'Evening Standard, en gardant tout ce qui fait les qualités et les défauts de cette culture de masse : les collages narratifs, les invraisemblances, les couleurs criardes et les effets d'optique, les séquences rapides, les caricatures. Assez mal reçu par une critique éblouie par les précédents films, Modesty Blaise est pourtant l'un des premiers films authentiquement pop par son esthétique et le support de masse qu'il utilise sans le dénaturer. Il traduit bien une époque, et l'on peut regretter qu'aucun réalisateur anglais n'ait eu alors la même audace. Reste Stanley Kubrick, dont la période anglaise des années 60 est marquée par plusieurs films majeurs dans l'histoire du cinéma, Doctor Strangelove avec Peter Sellers, 2001, A Space Odyssey sur le scénario du romancier anglais Arthur C.Clarke (1968), puisClockwork Orange d'après le roman d'Anthony Burgess (1971). Dans la catégorie des "films de divertissement, d'action et d'évasion", le cinéma britannique reste attaché à la production de films historiques (le Cromwell de Ken Hughes), de films de guerre, de films fantastiques et de films d'action (Terence Young). Une dizaine de longs métrages rendent mieux compte de l'atmosphère ludique et permissive de la décennie 60. La plupart demeurent assez conventionnels, à la fois sur le plan formel et dans le traitement des sujets. Les plus célèbres restent les films de Richard Lester, cinéaste d'origine canadienne mais parfaitement intégré en Angleterre. Help et Hard Day's Night avec les Beatles puis The Knack and How To Get It, comédie brillante sur la vie trépidante des jeunes gens "à la mode", ont quelque peu occulté dans la folie beatlemaniaque d'agréables comédies moins célèbres. Dans Catch Us If You Can (1965), John Boorman fait un remake de Hard Day's Night avec un groupe pop à la mode, le Dave Clark Five ; Smashing Time (1967) de Desmond Davis sur un 96 scénario de George Melly (l'auteur de Revolt into Style, l'ouvrage pionnier sur la culture pop) est une visite guidée de Londres, où deux provinciales rencontrent un jeune photographe de mode devenu pop star ; Here We Go Round the Mulberry Bush (1967) de Clive Donner est l'histoire assez banale mais très "dans le vent" d'un séducteur invétéré, sur fond musical de Spencer Davis Group et Traffic ; The Party de Blake Edwards (1968) est un film américain, mais Peter Sellers y est irrésistible de drôlerie en acteur hindou perdu dans la jet-set hollywoodienne. En marge de ces productions essentiellement destinées à divertir un public très large se situent quelques films plus ambitieux, mais qui sont réalisés dans le contexte de permissivité, The Touchables (1968) du photographe Robert Freeman et Women In Love (1969) de Ken Russell. Coproduit par TVC-London, Apple et la puissante société américaine United Artists, Yellow Submarine est aussi un film dans l'air des Swinging Sixties. L'idée du "sous-marin jaune" vient d'une chanson des Beatles écrite en 1966 ; il se présente sous la forme de dessins animés, dont les planches originales sont réalisées par un poster artist d'origine tchèque Heinz Edelmann. Le script est travaillé par un certain nombre d'intellectuels qui gravitent autour du mouvement pop et en premier lieu le poète de Liverpool Roger McGough du groupe musico-poétique The Scaffold et le professeur à Yale, Erich Segal. La musique est composée pour une part de chansons des Beatles et de morceaux symphoniques écrits pour l'occasion par George Martin, l' arrangeur du groupe. D'une qualité proche de celle des studios Disney, l'animation est fortement influencée par tout le design pop des années soixante : style des comics américains et des posters psychédéliques (Alan Aldridge) éléments esthétiques provenant du Pop Art (Andy Warhol) et de l'Op Art et même du surréalisme (les formes arrondies, les couleurs, les visions oniriques). Outre la musique et l'art pop, on retrouve dans Yellow Submarine de nombreux thèmes de la philosophie hippie, ainsi que la fantaisie pop et le goût anglais du nonsense, à travers des dialogues farfelus et souvent drôles. Le scénario ne manque pas d'imagination, comme si les Beatles étaient devenus des personnages de Lewis Carroll. A PepperLand — allusion bien sûr au disque Sgt Pepper — les Meanies, envahisseurs bleus, bombardent la population éprise de Paix à coups de pommes (symbole de la société que les Beatles dirigent) ; une "main volante" efface les couleurs, détruit le mot magique Love et fait cesser la musique de l'orchestre du Sergent Poivre. Les Meanies sont bien les destructeurs du mouvement pop dans ce qu'il a de plus essentiel : la couleur, l'amour, la musique. A bord de son sous-marin jaune, l'amiral Fred appelle les Beatles qui, au terme d'un long voyage psychédélique — on ne peut s'empêcher 97 de penser au LSD — plein de rencontres imprévues, vaincront les Meanies allergiques...au fa dièse ! Mod et Pop : l'esprit des Sixties Les deux contractions Mod (pour Modernist) et Pop (pour Popular) suffiraient à résumer l'esprit des années 64-70, ou de ce que l'on appelle les Swinging Sixties. A l'origine, les Mods forment au début des années 60 une subculture adolescente très spécifique (cf. tableau 12) , qui se déplace en scooter et s'habille dans les boutiques de Soho. Des affaires de drogues (amphétamines) et des bagarres avec les bandes de Rockers en 1964 à Brighton leur valent des condamnations sévères, qui ont pour effet de les marginaliser, les assimilant à de vulgaires délinquants. Tableau 12 : LES MODS AU MILIEU DES ANNÉES 60 •Apparus à la fin des années 50. Mod vient de modernists • Dans les grandes villes (centre) • Lieux privilégiés : rues, clubs musicaux (où lʹon peut danser), coffee bars, boutiques de vêtements (I was Lord Kitchenerʹs Valet dans Portobello Road, His Clothes dans Carnaby Street • Origines sociales : working class et lower middle class, bandes à 80% masculines • Age : 15‐18 ans, travaillent pour la plupart, cols blancs ayant de petits emplois de coursier, manutentionnaire, petit employé etc. • influences culturelles : existentialisme français, cinémas italien et français • musiques écoutées : modern jazz, musiques des Antilles (Jamaïque), rhythm and blues américain, variété pop française (F.Hardy), groupes pop anglais (Who, Beatles, Small Faces) • Style et vêtement : style élégant et recherché, parfois efféminé: costumes élégants, gilets dorés, chemises roses, mocassins ou desert boots. En scooter, les Mods mettent sur leur costume une parka, parfois illustrée de lʹUnion Jack. • Coiffure : style français (French Cut) • Moyen de locomotion : scooter excusivement, avec de nombreux rétroviseurs et beaucoup de chromes • Déviances : bagarres (contre les Rockers, la bande adverse), alcool, amphétamines, cannabis A partir de 1964/65, le mot Mod devient tout à la fois le synonyme de modern, de fashionable et de pop ; Etre Mod, c'est mêler — dans la création comme le comportement quotidien — la fantaisie, l'audace et la jeunesse. C'est parler un jargon particulier, où se mêlent des mots d'argot(s), des régionalismes (du Nord de l'Angleterre, importés par les goupes pop), des américanismes et des idiômes créés dans l'euphorie hédoniste des Sixties (un Mod est in, with-in, switched on, fab, gear, cool, tout le contraire d'un Square de la City) ; c'est fréquenter (de plus ou moins près) une micro-société où se côtoient des musiciens pop, des imprésarios, des photographes, des mannequins, des couturiers, des peintres, des journalistes, des joueurs de football, des 98 comédiens, des acteurs de cinéma ; c'est former une sorte de classess society partageant son temps entre les clubs, les boutiques, les galeries de peinture et qui réunit aussi bien le prolétaire méritocrate qui a réusssi (le photographe David Bailey, les acteurs Terence Stamp et Michael Caine, les Beatles) que l'aristocrate de haute lignée, de la princesse Margaret au fils de Lord qui investit son temps et son argent dans des activités de restauration, de mode, d'art contemporain etc. C'est en 1955 que la syliste Mary Quant ouvre avec son mari Alexander Plunket-Greene la boutique Bazaar dans King's Road et produit des vêtements en réaction à la mode convenue des années 50. Au début des années 60, ses créations connues sous le nom de Chelsea Look ont un très gros succès aux Etats-Unis, mais c'est en 1964/65 que Mary Quant connaît la notoriété internationale en dessinant la miniskirt. La minijupe devient pour les femmes l'un des symboles du Mod Look et de ce que l'on commence à nommer le Swinging London (l'expression apparaît dans le magazine américain Time en 1966). Bazaar devient la boutique la plus réputée de Londres et Mary Quant l'une des stylistes londoniennes les plus créatives : elle invente les tailleurspantalons, les imperméables en PVC et crée une ligne de maquillage au grand succès commercial. Dans le sillage de Mary Quant émerge dans les années 6470 toute une jeune génération créative de designers Mod qui sont aussi d'excellents commerçants : Jean Muir, John Bates (le créateur des ensembles kinky de Diana Rigg pour le feuilleton The Avengers), Barbara Hulanicki, qui ouvre la boutique Biba en 1964 et vend des vêtements bon marché, des chaussures, des objets divers (on parle alors du Biba look ou total look). La minijupe est portée par des modèles de plus en plus minces et à l'allure androgyne, qui font régulièrement la Une des grands magazines de mode (Vogue, Harper's Bazaar). Trois jeunes femmes rivalisant de maigreur, au teint pâle et aux jambes fines sont les modèles les mieux payés et les plus photographiés à Londres, notamment par David Bailey : Twiggy (The Twig), Jean Shrimpton (The Shrimp) et Penelope Tree (The Tree). La coiffure et le maquillage sont aussi importants que la minijupe dans le Twiggy look : en 1963, le coiffeur londonien Vidal Sassoon — d'origine cockney — invente la Five point cut ou Kwan cut, coifure courte et géométrique, point de départ de la mode capillaire des Sixties ; les lignes de maquillage insistent surtout sur le tour des yeux et sur le teint pâle sinon blafard. Il est également de bon ton de mettre un chapeau (les casquettes de pêcheur font fureur) et de se parer de bijoux clinquants. 99 La mode masculine n'est pas oubliée dans les quartiers switched on du Swinging London et se concentre surtout à Carnaby Street, où l'Ecosssais John Stephen possède de nombreuses boutiques. L'évolution vestimentaire des Beatles est un bon témoignage des transformations du look des jeunes gens de 1963 à 1970. Quatre périodes se succèdent : une courte période Mod (1963-64), où le groupe porte des costumes Pierre Cardin, des bottines et se laisse discrètement pousser les cheveux ; une période décontractée (1964-65), qui correspond à la mode londonienne des chemises ouvertes et colorées, des vestes fantaisie, tandis que les cheveux s'allongent ; une période psychédélique et hippie (1966-68), où alternent les costumes de théâtre (Theatrical Fashion) et le look hippie (longues tuniques, chemises à fleurs, cheveux très longs) ; enfin un epériode néo-Mod (1969-70), plus romantique et plus dandy, où chaque Beatle préserve son identité (cf. la pochette d'Abbey Road en 1969). Autre terme-clé des Sixties, le Pop a dans les années 60 deux origines esthétiques : la première est celle du Pop Art, né au milieu des anées 50 ; la seconde est celle de la Pop Music, qui prend une dimension radicalement nouvelle avec le succès mondial des Beatles. Pop Art et Pop Music ne sont pas deux mouvements de même nature. Le Pop Art n'est "populaire" qu'au sens où il représente de manière souvent distanciée et ironique la société de consommation de masse et les différentes formes de la culture de masse (y compris la musique) ; la Pop Music est réellement pop(-ulaire), dans le sens où l'entend le designer et peintre Richard Hamilton lorsqu'il définit le produit pop en 1957 : populaire (conçu pour une audience de masse), éphémère, facilement oublié, produit en grande série, destiné à la jeunesse, spirituel, sexy, superficiel, glamour, lié au Big Business. De plus, les artistes du Pop Art sont des intellectuels, ayant pour la plupart fait des études et issus de la lower middle class ; les artistes de musique sont très majoritairement de jeunes autodidactes sans culture classique, issus de la working class. De 1964 à 1970, l'épicentre du Pop Art se déplace en fait de Londres à New York et de Londres à Los Angeles. Le mouvement est progressivement devenu un art exclusivement américain, dominé par des personnalités comme Andy Warhol, Robert Rauschenberg, Jasper Johns, Roy Lichtenstein etc. Que sont devenus les artistes anglais, confrontés à une concurrence d'autant plus redoutable qu'elle exploite au mieux toutes les ressources de la publicité, des médias et des moyens modernes de communication ? Ont-ils profité de l'éclosion des galeries dans le Swinging London, de l'intérêt du public pour les grandes expositions, des opportunités de rencontres avec la culture de masse ? On peut le penser lorsqu'en 1965, le Pop Art devient un véritable phénomène 100 de mode, relayé par des groupes pop comme les Who, qui s'habillent avec des vêtements de style Pop Art. La mode Pop Art est une forme de "récupération" commerciale qui échappe aux artistes et qui stérilise d'une certaine manière leur créativité. C'est le temps où le Swinging London fait des peintres, des photographes et des designers des stars, et où l'Op(tical) Art de Bridget Riley et l'art cynétique apparaissent comme les nouveaux mouvements de la modernité artistique. La fascination pour les médias et les technologies du futur (la cybernétique, l'informatique) produit à Londres une avant-garde qui s'éloigne de plus en plus d'un public désorienté. Malgré l'abondance des expositions (Pop Art Redefined à la Hayward Gallery en 1969) et l'originalité des artistes (Derek Boshier, Allen Jones), l'Angleterre ne présente donc pas une "relève" toujours convaincante à la génération des années quarante et cinquante, en dehors peut-être de la sculpture. Dans ce domaine, Anthony Caro et Elisabeth Frink semblent de dignes successeurs d'Henry Moore, mais aucun peintre — à l'exception notable de David Hockney, dont la notoriété est déjà mondiale à la fin des années 60 — ne semble avoir acquis une dimension égale à celle d'un Francis Bacon. Les œuvres abstraites du groupe Situation (fondé en 1961) sont de bonne facture mais peu d'artistes dépasseront la notoriété nationale. Qui connaît en dehors des cercles d'art londoniens Bernard Cohen, Richard Smith, Robyn Denny, John Plumb, Gordon House — pour ne ne citer que les plus intéressants ? Un artiste surdoué comme Hockney refuse l'étiquette Pop Art, et part en Californie pour se consacrer à un travail de plus en plus éloigné de la poétique des objets de consommation. Seule la figure "historique" du Pop Art britannique, Richard Hamilton, poursuit un travail théorique sur l'œuvre d'art pop, qu'il considère toujours comme le véhicule ou médium d'un message, à l'instar des médias comme la photographie, la publicité, la chanson. Le propos n'est pas neuf, mais il s'accompagne de créations qui continuent à s'inspirer très largement de la culture de masse et des événements culturels médiatisés, comme la drogue dans le milieu du show-business et de l'art londoniens (Swingeing London, 1967), les pochettes de disques (un collage de photographies et de textes de chansons pour l'album The Beatles en 1968), les détournements de marques publicitaires (les Paysages inspirés de la publicité Andrex en 1970/71). Tout comme Hamilton— mais en refusant de parler de Pop Art — Peter Blake s'implique dans la culture pop en réalisant notamment le design du disque Sgt Pepper Lonely Hearts Club Band en 1967. En 1968, il achève un portrait grand format des Beatles commencé cinq ans plus tôt, intitulé "Beatles 1962-1967". Pour les deux artistes, il n'y a désormais plus de dissociation entre l'art et le spectacle, entre 101 l'art et les moyens de promouvoir et d'annoncer ce spectacle, à travers les affiches, les posters, les pochettes de disques, les jaquettes de livres de poche ; de plus, la collaboration artistique avec les Beatles ne répond pas seulement à un effet de mode, mais à un véritable manifeste de ce que doit être le Pop Art, un carrefour de cultures, un trait d'union majeur entre l'Europe et les EtatsUnis, entre la "haute culture" et la culture de masse. La culture de masse doit rester une source d'inspiration majeure pour les peintres, les sculpteurs, les designers, les affichistes car elle est porteuse d'une véritable dynamique artistique qui s'intensifie chaque jour à travers les productions cinématographiques, télévisuelles, photographiques, musicales, publicitaires. L'un des exemples les plus célèbres à la fin de la décennie reste le couple John Lennon/Yoko Ono, qui ne dissocie plus l'expérimental du commercial, l'avantgarde de la culture de masse. L'artiste japonaise Yoko Ono expose ses œuvres conceptuelles dans les plus grandes galeries et chante (?) aussi sur les disques de son mari ; inversement, John Lennon commence en 1969 une série de lithographies, qui seront exposées à la London Arts Gallery. Toutes ces productions — dont certaines relèvent de l'imposture — ont le mérite de faire connaître à un plus large public certaines expériences artistiques ; en contrepartie, il faut s'attendre à ce que le public pop — essentiellement les jeunes — ne voit dans l'art qu'un "enrobage" de la musique qu'ils écoutent et non une nouvelle forme d'expression. L'activité créatrice, à la fin de la décennie, prend en fait deux voies radicalement différentes. L'une est celle du repli vers un "art conceptuel" à la diffusion volontairement confidentielle, l'autre est celle, déjà largement empruntée par le Pop Art, du design appliqué aux nouveaux supports esthétiques que sont devenus, à travers la musique pop, le poster et le disque. L'une des voies conceptuelles les plus intéressantes est sans doute celle du groupe Art Language (Coventry, 1968) qui tire en quelque sorte les conclusions esthétiques de l'importance prise par la parole — et plus généralement le langage — dans les événements du printemps et de l'été 1968 dans le monde. Il ne s'agit pas dans ce projet de donner un sens aux mots, mais de faire du discours un art autonome sans contenu (par exemple peindre sur un mur le mot NOW comme Keith Arnatt), tout en empruntant des langages à d'autres modes de communication, ceux de la photographie, des nombres, du geste, du cinéma, des bandes magnétiques, des diagrammes scientifiques etc. Cela peut même déboucher sur des écritures en pleine nature, comme la disposition de rochers formant un mot (Richard Long) et sur des expériences de "poésie concrète". Les recherches d'Art Language sont certes loin de toucher un large 102 public mais elles ont le mérite de poursuivre d'une autre manière — plus intellectuelle qu'esthétique — certaines recherches théoriques du Pop Art, en utilisant notamment le langage oral, le cinéma, la photographie. pour la plupart des critiques à la fin des années 60, le Pop n'est plus en Angleterre un phénomène d'avant-garde artistique, mais une nouvelle culture de masse musicale. Le succès mondial d'une musique pop anglaise, incarnée notamment par les Beatles et les Rolling Stones, est probablement l'événement culturel le plus marquant des années Wilson, surtout si l'on songe au destin de ce style musical. Lorsque Wilson arrive au pouvoir en 1964, le phénomène Beatles est déjà un phénomène d'échelle mondiale. John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr sont passés en deux ans, avec d'énormes succès comme From Me To You , She Loves You ou I Want To Hold Your Hand, du statut de vedettes locales (Liverpool) à celui de vedettes internationales (la folle tournée américaine de 1964 en témoigne). De même, ils ont quitté les faubourgs de la working class liverpoolienne pour les sunlights de la jet-set londonienne. Leur success story intrigue, fascine et suscite des commentaires passionnés de la presse, qui les compare à de nouveaux Elvis Presley (dont le rockn'roll des années 50 est pour eux une source d'inspiration majeure) et même à de nouveaux Mozart ! Les voilà presque du jour au lendemain les vedettes de la presse populaire, de la radio, de la télévision, du cinéma (Hard Day's Night, 1964), du livre de poche — John Lennon publie ses poèmes, His In Own Write, en 1964— , et bien sûr du disque microsillon (10 millions de disques de tous formats vendus par EMI dans le monde à la fin de l'année 1964). Les Beatles deviennent donc un produit d'exportation très rentable, notamment aux EtatsUnis où la Beatlemania prend des proportions ahurissantes. De 1963 à 1966, le groupe parcourt 16 pays sur les cinq continents, jouant parfois dans des stades de 55000 personnes (Shea Stadium, Washington D.C. en 1965). Pour ces raisons, les Beatles sont décorés en octobre 1965 par la Reine Membres de l'ordre de l'Empire britannique (MBE), ce qui provoque les protestations indignées de quelques vétérans. Loin de se contenter de produire des hits planétaires, les Beatles — sous l'influence de leur producteur George Martin, mais aussi des chansons de Bob Dylan aux Etats-Unis — approfondissent leur écriture musicale. Les disques 33 tours Rubber Soul (1965), puis Revolver (1966), marquent le tournant vers une musique plus élaborée et plus diverse, intégrant toutes les influences du moment, sans sacrifier à la richesse mélodique (le hit mondial Yesterday en 1965). Les drogues font également leur entrée dans 103 l'univers des Beatles, changeant ainsi leurs perceptions du monde et l'univers de leurs chansons. Le succès considérable des Beatles a pour effet de donner leur chance à des centaines de groupes musicaux dans toute l'Angleterre. La firme Decca, qui avait malencontreusement refusé de signer un contrat aux Beatles, ratttrape son erreur en engageant un groupe de rock/blues de la banlieue londonienne, les Rolling Stones (Charlie Watts, Mick Jagger, Keith Richards, Bill Wyman et Brian Jones). Influencés par la musique noir-américaine, les Rolling Stones connaissent eux aussi un succès mondial en 1965 et l'énorme succès I Can't Get No (Satisfaction), hymne de toute une génération qui ne supporte plus les contraintes sociales et morales qui lui sont imposées. Suivent une pléiade d'autres succès majeurs de 1965 à 1970, comme Get Off Of My Cloud (1965), Paint It Black (1966), Let's Spend The Night Together (1967), Jumping Jack Flash (1968), Honky Tonk Woman (1969). Une opposition entre les "gentils Beatles" et les "méchants Stones" est complaisamment cultivée par les entourages des groupes et par la presse. Dans les familles où les Beatles commencent à faire l'unanimité, les Stones sont regardés par les adolescents comme les "anti-Beatles", capables d'aller plus loin dans la remise en cause de l'autorité, qu'elle soit scolaire, familiale, religieuse et même politique. Les cheveux sont plus longs, les vêtements plus hétérogènes, les barbes mal rasées, les regards provocants. Dans les lycées en 1964/65, la "coupe Beatles" est parfois tolérée pour les jeunes gens, tandis que les imitateurs des Rolling Stones se font purement et simplement renvoyer. D'une certaine manière, ce sont deux Angleterre qui s'affrontent à travers les deux formations pop : une Angleterre sage et tranquille, gaie et optimiste mais tout de même moderne et dynamique et une Angleterre turbulente et contestaire, sinon violente, héritière en ligne directe des marginaux des années cinquante et des angry young men. Les Rolling Stones sont même comparés aux voyous sans scrupules moraux du roman de Burgess, A Clockwork Orange (1962), car leur manager affirme s'être inspiré de cette œuvre à peine futuriste pour "construire" une image mauvaise de ses protégés. En dehors des Beatles et des Stones, des dizaines de groupes parviennent entre 1964 et 1966 à la notoriété, grâce à un succès au hit-parade, à un look différent ou une réelle originalité. Bien souvent, les musiciens pop ont fréquenté une art school, dans laquelle ils ont acquis une personnalité ainsi qu'un vernis culturel. Un groupe de Mods londonien, les Who se fait remarquer en 1965 par sa violence scénique, ses outrances vestimentaires et comportementales et surtout par une chanson rageuse, My Generation : People 104 try to put us down/Talkin'bout my generation (...)/ I hope I die before I get old. En 1964, un groupe de la banlieue nord de Londres, les Kinks, investit le hitparade avec You Really Got Me, avant de devenir le groupe dandy du Swinging London. Son chanteur et compositeur, Ray Davies, écrit des chansons comme autant de saynettes qui parlent de la vie quotidienne, non sans humour et causticité. D'autres groupes connaissent aussi une gloire plus ou moins durable: les Animals de l'ouvrier Eric Burdon chantent The House of Rising Sun et les Them de l'Irlandais Van Morrison Gloria, deux grands succès des années 1964 et 1965, les Yardbirds s'affirment comme un brillant groupe de rock/blues, avec des guitaristes talentueux comme Jimmy Page, Eric Clapton et Jeff Beck. Citons aussi pour mémoire des groupes aujourd'hui moins connus, mais qui ont compté dans l'histoire de la musique pop des mid-Sixties : les Easybeats (Friday on My Mind), Manfred Mann (Pretty Flamingo), les Move (Night Of Fear), les Pretty Things, les Small faces (All Or Nothing), le Spencer Davis Group (Gimme' Some Loving), les Troggs (Wild Thing). Tableau 13 Le hit-parade anglais des ventes : 45 tours pop classés No1 de 1964 à 1970 du Top Twenty (Record Mirror et Top of the Pops) 1964 I Want To Hold Your Hand (Beatles), Can't Buy Me Love (Beatles), A Hard Day's Night (Beatles), Little Red Rooster (Stones) 1965 I Feel Fine (Beatles), Ticket To Ride (Beatles), Help (Beatles), The Last Time (Stones), Get Off of My Cloud (Stones) 1966 Day Tripper (Beatles), We Can Work It Out (Beatles), Paperback Writer (Beatles), Yellow Submarine (Beatles), Eleanor Rigby (Beatles), With A Girl Like You (Troggs), Pretty Flamingo (Manfred Mann) 1967 All You Need Is Love (Beatles), Massachusetts (Bee Gees), A Whiter Shade of Pale (Procol Harum) 1968 Hello Goodbye (Beatles), Lady Madonna (Beatles) 1969 Get Back (Beatles), Albatross (Fleetwood Mac), Honky Tonk Women (Stones) 1970 I Hear You Knocking (Dave Edmunds), All Right Now (Free) Dans les années 1967-1970, la musique pop (que l'on nomme de plus en plus rock) change de nature, s'imprégnant de l'atmosphère de contestation qui règne alors dans la jeunesse anglo-saxonne et se découvrant de nouvelles ambitions esthétiques. Sur le terreau encore fertile de la culture pop — incarnée jusque-là par les Beatles — émerge au milieu des années soixante une "contre-culture" 105 nourrie d'influences américaines (les Beatniks, Bob Dylan, la lutte des campus contre la guerre du Vietnam, les premières expériences liées au LSD). Cette contre-culture se développe dans le milieu branché londonien, toujours avide d'expériences nouvelles depuis 1964. Une presse anarchisante, des lieux étranges (l'UFO), des happenings musicaux psychédéliques, des films, des festivals de poésie, des expositions forment le substrat d'une vie underground. Acteurs et souvent promoteurs de l'underground en compagnie des galeristes, des photographes et des poètes beatnik, les musiciens pop mondialement célèbres comme les Beatles et les Rolling Stones sont à l'avant-garde d'un mouvement qui donne l'illusion de prolonger le rêve hédoniste et libertaire du milieu de la décennie. La contre-culture est un peu la revanche culturelle de la Beat Generation américaine, méprisée dans les années cinquante et qui poursuit sa croisade en faveur des excès en tous genres. Le style de vie beatnik s'accorde désormais avec le sex, drugs and rock and roll que les vedettes pop cultivent sans modération. Le poète et agitateur américain Allen Ginsberg est sans cesse à Londres entre 1965 et 1970, où il multiplie les happenings, tandis que William S.Burroughs choisit de vivre dans la capitale anglaise à partir de 1966. Le psychédélisme est en 1966/1967 le premier état d'une contre-culture transatlantique ; il s'agit surtout d'expérimenter les "paradis artificiels" (marijuana, LSD) dans un contexte encore assez permissif, en s'enivrant de musiques et de couleurs dans les discothèques à la mode. Les groupes Pink Floyd, Soft Machine et Cream, le musicien noir-américain Jimi Hendrix (qui joue à Londres avec une formation anglaise) font chacun dans leur style une musique psychédélique originale et novatrice. Le second état résulte de l'émergence en Californie du mouvement hippie ; la rupture avec la culture occidentale paraît d'abord radicale, puis les hippies deviennent les supports d'une mode vestimentaire, musicale et philosophique, dont les Beatles apparaissent en Angleterre les principaux héros/hérauts. L'été 1967 — exceptionnellement chaud et sec — est à Londres The Summer of Love : les grands parcs voient apparaître des hippies venus de toute l'Angleterre, mais aussi d'Europe et des Etats-Unis. De 1967 À 1970 se multiplient aux Etats-Unis et en Angleterre les festivals pop, lieux privilégiés de rassemblement, d'abord de la jeunesse hippie puis de la jeunesse dans son ensemble. Les Rolling Stones se produisent en 1969 à Hyde Park pour un grand concert gratuit à la mémoire de leur guitariste Brian Jones (mort dans des circonstances mal élucidées) ; en 1969 et en 1970 ont lieu sur l'Ile de Wight deux grands festival pop, qui réunissent à l'instar de Woodstock aux Etats-unis les meilleurs musiciens de folk et de rock des Etats-Unis et d'Angleterre. La programmation de L'Ile de 106 Wight rend bien compte des évolutions esthétiques et musicales de la musique pop/rock anglaise : les gloires des Sixties comme les Who, les groupes de rock/blues avec Free et TenYears After, les groupes de progressive rock comme Emerson Lake Palmer, les Moody Blues et Jethro Tull, les chanteurs folk comme Donovan. Le troisième état est celui d'une révolte plus ouverte contre la société, une fois dissipées les premières illusions communautaires hippies. La culture pop n'est certes pas la "conscience de classe adolescente" qui mènerait le "peuple jeune" à une révolution anéantissant les clivages sociaux, mais elle n'est pas non plus un simple divertissement pour une génération de nouveaux consommateurs. En Angleterre, le chanteur et guitariste des Beatles John Lennon symbolise assez bien ce troisième état et toutes les contradictions de la période où vont (plus ou moins bien) coexister militants de l'extrême-gauche révolutionnaire et hippies pacifistes. Prenant part à tous les combats pour la Paix au Vietnam sans vraiment s'impliquer dans la Nouvelle Gauche, transgressant les valeurs esthétiques traditionnelles tout en fréquentant l'Establishment culturel, affirmant avec force ses origines ouvrières en menant le train de vie d'un millionnaire, le Beatle est représentatif d'une génération qui cherche à concilier hédonisme et révolution. Le grand paradoxe de cette époque, c'est que la contre-culture, loin d'accentuer par des réflexes élitaires la division traditionnelle entre "haute culture" et culture de masse a réussi à tracer une voie commune à ces deux cultures encore très antagonistes dans les années cinquante. L'œuvre qui symbolise cette rencontre est sans conteste le disque 33 tours Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles, passerelle inédite au-dessus du culture gap et référence obligée de tous les créateurs pop. A partir de Sgt Pepper en juin 1967, les musiciens pop vont s'engager dans des chemins plus difficiles, ce qui ne va pas sans un désir de revanche sociale et culturelle. Les recherches musicales, technologiques, esthétiques vont trouver leur aboutissement dans le disque pop, désormais le support privilégié d'une œuvre globale (image, son, textes), dont le concert n'est plus que le prolongement. De ce point de vue, l'une des œuvres les plus ambitieuses de la fin des années 60 est le disque des Who, Tommy, conçu par le guitariste Pete Townshend comme un rock opera. Dans un autre sens, les artistes, les écrivains, les intellectuels a priori étrangers au monde pop vont se rapprocher de la culture des jeunes, peut-être pour des raisons commerciales peu avouables ou parce qu'ils veulent être "de leur temps" mais aussi parce qu'ils y voient le signe d'un véritable renouveau. Grâce en partie au Swinging London et au succès des groupes pop, le bouillonnement culturel des 107 années 64-70 touche tous les arts, qu'il soient ou non rattachés à la culture classique : design industriel, cinéma, théâtre, peinture, sculpture, littérature, poésie. Les rapports entre haute culture et culture de masse se sont profondément modifiés dans les années Wilson, à travers ce qu'il faut bien appeler la "révolution pop". Tableau 14 : la bande-son des Swinging Sixties Voici un choix discographique de 33 tours des années 64-70, qui privilégie les quatre groupes ayant laissé dans l'histoire du rock une empreinte indélébile. The Beatles -Hard Day's Night, EMI (1964) : le meilleur disque de la période 62-65. -Help !, EMI (1965) : bande originale du film du même nom. -Rubber Soul, EMI(1965) : l'album qui marque un tournant dans la carrière musicale des Beatles. -Beatles For Sale, EMI(1965) : le reflet de la conquête des Etats-Unis. -Revolver, EMI (1966) : album pop et psychédélique. -Sergeant Pepper's Lonely Hearts Club Band, EMI (1967) : le premier concept album et l'un des chefs-d'oeuvre de la musique pop. -Magical Mystery Tour (1967) : bande originale du film TV, le premier disque avec le logo d'Apple, société fondée par les Beatles pour distribuer leurs produits. -Yellow Submarine, Apple (1968) : Bande originale du film du même nom. -The Beatles ("White Album"), Apple (1968) : où les Beatles révèlent quatre individualités. -Abbey Road, Apple (1969) : en fait, le dernier 33 tours du groupe, dont la musique est surtout celle de Paul Mc Cartney. -Let It Be, Apple (1970) : l'album de la séparation, enregistré un an auparavant. -Live At The Hollywood Bowl, EMI (1978) : les bandes des tournées américaines 1965/1966, seul témoignage sonore officiel de la Beatlemania en concert. The Rolling Stones -The Rolling Stones, DECCA (1964) -Out Of Our Heads, DECCA (1965) -Big Hits, DECCA (1965) : avec le single "Satisfaction" -Aftermath, DECCA (1966) -Got Live If You Want It, DECCA (1966) : pour apprécier l'extraordinaire énergie du groupe en concert. -Their Satanic Majesties Request, DECCA (1967) : l'album "psychédélique" du groupe. 108 -Beggar's Banquet, DECCA (1968), dont la pochette a été censurée. -Let It Bleed, DECCA (1969) The Who -My Generation, DECCA (1965), avec la chanson du même nom. -The Who Sell Out, DECCA (1967), avec une pochette parodiant les publicités. -Tommy, Polydor (1968) : le premier "opéra rock" -Live At Leeds, Polydor(1970) : la puissance sonore du groupe en public. -Quadrophenia, Track (1974) : la vie d'un jeune mod dans les années soixante The Kinks -The Kinks, PYE (1965), avec tous les premiers grands "tubes". -Face To Face PYE (1966) : et sa pochette déjà psychédélique. -Live At The Kelvin Hall, PYE (1967) : en public. -Arthur Or The Decline Of The British Empire, PYE (1969) : le titre est déjà tout un programme ! -Lola Versus Powerman And The Moneyground, PYE (1970) : contre le showbiz du rock. Et aussi : - The Animals, The Animals, EMI (1964) - David Bowie, Space Oddity, RCA (1969) - Joe Cocker, With A Little Help From My Friend (1969) - Cream, Disraeli Gears, Polydor (1967) Wheels Of Fire, Polydor (1968) - Donovan : Fairy Tale, PYE (1965) - Marianne Faithfull, Marianne Faithfull, DECCA (1965) - The Yardbirds, For Your Love, Epic/EMI (1965) - John Mayall, And The BluesBreakers, DECCA (1966) - Moody Blues, Days Of The Futured Passed, DERAM (1967) - Pink Floyd, The Piper At The Gates Of Dawn, Columbia (1967) - Pink Floyd, Ummagumma (1969) - Pink Floyd, Relics, Epic/EMI (197O) - Procol Harum, A Salty Dog, Polydor (1968) - The Soft Machine, Volume One, ABC/Probe (1968) - Them, Gloria, DECCA (1965) - Traffic, Mister Fantasy, Island (1968) - The Isle of Wight Festival 1970, Essential (bandes publiées seulement en 1995) 109 Conclusion Les Swinging Sixties se terminent-elles en 1970, avec le retour au pouvoir des Conservateurs menés par Edward Heath ? Certes, comme le chante cette annéelà John Lennon, au moment de la séparation des Beatles, The dream is over...Les Swinging Sixties ont vécu et déjà une certaine nostalgie perce pour une époque où tout semblait possible. Heath promet beaucoup et veut rompre avec les années Wilson, au moins sur le plan économique et social: il prône le retour au libéralisme économique, la réforme du gouvernement central, la suppression de l'IRC, la mise au pas des syndicats. Les habitudes prises dans les années 60 ne peuvent se perdre si facilement et la forteresse syndicale, toujours très liée au Labour, ne veut rien céder. Les grèves qui se multiplient entre 1970 et 1974, mettent le gouvernement dans un situation intenable. face à la montée du chômage (près d'un million de sans emplois), Heath est contraint de mener à partir de 1972 une politique fortement interventionniste sur le plan industriel, ce qui apparaît comme un complet revirement. Sur fond de crise pétrolière et de grève des mineurs, le gouvernement annonce le 8 février 1974 la dissolution des Communes. Après deux élections (le 28 février puis le 10 octobre), c'est le grand retour des Travaillistes et de leur leader Harold Wilson. Wilson revient au pouvoir dix ans après sa victoire de 1964, dans un contexte totalement différent. La crise économique s'est installée durablement, en dépit de l'exploitation des hydrocarbures de la mer du Nord ; les salaires continuent à flamber et à alimenter l'inflation ; l'électorat boude de plus en plus les deux grands partis, jugés incapables de résoudre les problèmes structurels du pays; l'Irlande du Nord est à feu et à sang ; l'entrée dans la Communauté européenne est "renégociée" puis approuvée (en 1975) par un référendum censé unifier un Labour très divisé. Lorsque Wilson annonce à la mi-mars 1976, à l'âge de 60 ans, son retrait politique, la surprise est réelle. Cette démission est à la fois la conclusion définitive des années Wilson — l'ancien Premier Ministre est anobli et laisse la place à James Callaghan — et le constat d'un échec pour celui qui avait nourri dix ans plus tôt de si grandes ambitions pour la Grande-Bretagne. En 1979, trois ans seulement après le retrait de Wilson, le Labour connaît sa défaite la plus cuisante depuis 1931! Les "années Thatcher" commencent... 110 BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE Cette bibliographie donne des indications de lecture et ne prétend pas à l'exhaustivité. 1/GENERALITÉS Sur la Grande-Bretagne contemporaine, quelques livres en français et en anglais : Chassaigne (P.), Histoire de l'Angleterre, Paris, Aubier, 1996, réédition poche, Flammarion, 2008. Childs (D.), Britain since 1945, Londres, Routledge, 2012. Charlot (M.), L'Angleterre 1945-1981, Paris, Imprimerie Nationale, 1981 Marx (R.), L'Angleterre de 1945 à nos jours, Paris, Colin, 2ème édition, 2000. 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British Council Annual Reports, Londres, éditions annuelles (1964-65 à 1969-70) Quelques ouvrages sur les les Sixties anglaises : Booker (C.), The Neophiliacs, The Revolution in English Life in the Fifties and Sixties, Londres, Pimlico, 1969 (nouvelle édition revue, 1992). Cairncross (A. et F.), The Legacy of the Golden Age. The 1960's and their consequences, Londres, Methuen, 1992. Collectif, The Wilson Years (1964-1970), Paris, Ellipses, 1998. Donnelly (M.), Sixties Britain: Culture, Society and Politics, Londres, Routledge, 2014. Hewison (R.), Too Much :Art and Society in the Sixties, Londres, Methuen, 1986. Lemonnier (B.), L'Angleterre des Beatles, Une histoire culturelle des années 60, Paris, Kimé, 1995. Levin (B.), The Pendulum Years, Britain and the Sixties, Londres, Pan Books, 1972. Masters (B.), The Swinging Sixties, Londres, Constable, 1982. Mellor (D.), The Sixties, Art Scene in London, Londres, Phaidon, 1993 Sandbrook (D.), White Heat: A History of Britain in the Swinging Sixties, Abacus, 2007 111 2/VIE POLITIQUE ET INSTITUTIONS Histoire politique, vie politique générale Charlot (M.), Baudemont (S.), La vie politique britannique depuis 1945, RFCB, vol.III, no 1. Childs (D.), Britain since 1945, A Political History, Londres, Routledge, nouvelle édition, 1997. Coxall (B.), Robins (L.), British Politics since the War , Londres & Basingstoke, Macmillan, 1998 Dutton (D.), British Politics since 1945, Oxford, Blackwell, nouvelle éd., 1997 Sked (A.), Cook (C.), Post-War Britain, A Political History, Harmondsworth, Penguin, 1993. Elections, électorat Conley (F.), General Elections Today, Manchester, MUP,1990. Crewe (I.), Day (N.), Fox (A.), The British Electorate 1963-1987, Cambridge, CUP, 1991 Heath (A.), Understanding Political Ghange : the British Voter 1964-1987, OxfordPergamon press, 1991. 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Leruez (J.), Le système politique britannique depuis 1945, Paris, Armand Colin, 1994 Oakland (J.), A Dictionary of British Institutions, Londres, Routledge, 1993. 3/ HISTOIRE ÉCONOMIQUE Burnett (J.), A History of the Cost of Living, Harmondsworth, Penguin, 1969. Dormois (J-P), Histoire économique de la Grande-Bretagne au XXème siècle, Paris, Hachette, 1994. Floud (R.), McCloskey (eds), The Economic History of Britain since 1700, volume 3, de 1939 à 1992, nouvelle édition, Cambridge, CUP, 1995. Lemonnier (B.), Un siècle d'histoire industrielle du Royaume-Uni, 1873-1973, Paris, SEDES, 1997. 112 Leruez (J.), Planification et politique en Grande-Bretagne, 1945-1971, Paris, Presses de la FNSP, 1973. Peden (G.C.), British Economic and Social Policy, Oxford, Philip Allan, 1985. Pollard (S.), The Wasting of the British Economy : British Economic Policy, 1945 to the Present, Londres, Croom Helm, 1982. 4/ POLITIQUE ÉTRANGÈRE, COMMONWEALTH, MARGES Arthur (P.), Jeffrey (K.), Nothern Ireland since 1968, Oxford, Blackwell, 1996. Barnett (C.), The Audit of War : The Illusion and Reality of Britain as a Great Nation, Basingstoke, Macmillan, 1989. Bartlett (C.J.), British Foreign Policy in the XXth Century, Basingstoke, Macmillan, 1989. Baylis (J.), The Special Relationship, Longman, Londres, 1992. Dockrill M.), British Defence since 1945, Oxford, Blackwell, 1989. Greenwood (S.), Britain and European Cooperation since 1945, Oxford, Blackwell, 1992. George (S.), Britain and European integration since 1945, Oxford, Blackwell, 1991. Grimal (H.), De l'Empire britannique au Commonwealth, Bruxelles, Complexe, 1989. Brivati (B.), Jones (H.) (eds), From Reconstruction to Integration : Britain and Europe Since 1945, Leicester, LUP, 1993. 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Voici un choix discographique de 33 tours des années 64-70, qui privilégie les quatre groupes ayant laissé dans l'histoire du rock une empreinte indélébile. The Beatles -Hard Day's Night, EMI (1964) : le meilleur disque de la période 62-65. -Help !, EMI (1965) : bande originale du film du même nom. -Rubber Soul, EMI(1965) : l'album qui marque un tournant dans la carrière musicale des Beatles. -Beatles For Sale, EMI(1965) : le reflet de la conquête des Etats-Unis. -Revolver, EMI (1966) : album pop et psychédélique. -Sergeant Pepper's Lonely Hearts Club Band, EMI (1967) : le premier concept album et l'un des chefs-d'oeuvre de la musique pop. -Magical Mystery Tour (1967) : bande originale du film TV, le premier disque avec le logo d'Apple, société fondée par les Beatles pour distribuer leurs produits. -Yellow Submarine, Apple (1968) : Bande originale du film du même nom. -The Beatles ("White Album"), Apple (1968) : où les Beatles révèlent quatre individualités. -Abbey Road, Apple (1969) : en fait, le dernier 33 tours du groupe, dont la musique est surtout celle de Paul Mc Cartney. -Let It Be, Apple (1970) : l'album de la séparation, enregistré un an auparavant. -Live At The Hollywood Bowl, EMI (1978) : les bandes des tournées américaines 1965/1966, seul témoignage sonore officiel de la Beatlemania en concert. The Rolling Stones -The Rolling Stones, DECCA (1964) -Out Of Our Heads, DECCA (1965) -Big Hits, DECCA (1965) : avec le single "Satisfaction" -Aftermath, DECCA (1966) -Got Live If You Want It, DECCA (1966) : pour apprécier l'extraordinaire énergie du groupe en concert. -Their Satanic Majesties Request, DECCA (1967) : l'album "psychédélique" du groupe. -Beggar's Banquet, DECCA (1968), dont la pochette a été censurée. -Let It Bleed, DECCA (1969) The Who 115 -My Generation, DECCA (1965), avec la chanson du même nom. -The Who Sell Out, DECCA (1967), avec une pochette parodiant les publicités. -Tommy, Polydor (1968) : le premier "opéra rock" -Live At Leeds, Polydor(1970) : la puissance sonore du groupe en public. -Quadrophenia, Track (1974) : la vie d'un jeune mod dans les années soixante The Kinks -The Kinks, PYE (1965), avec tous les premiers grands "tubes". -Face To Face PYE (1966) : et sa pochette déjà psychédélique. -Live At The Kelvin Hall, PYE (1967) : en public. -Arthur Or The Decline Of The British Empire, PYE (1969) : le titre est déjà tout un programme ! -Lola Versus Powerman And The Moneyground, PYE (1970) : contre le showbiz du rock. Et aussi : - The Animals, The Animals, EMI (1964) - David Bowie, Space Oddity, RCA (1969) - Joe Cocker, With A Little Help From My Friend (1969) - Cream, Disraeli Gears, Polydor (1967) Wheels Of Fire, Polydor (1968) - Donovan : Fairy Tale, PYE (1965) - Marianne Faithfull, Marianne Faithfull, DECCA (1965) - The Yardbirds, For Your Love, Epic/EMI (1965) - John Mayall, And The BluesBreakers, DECCA (1966) - Moody Blues, Days Of The Futured Passed, DERAM (1967) - Pink Floyd, The Piper At The Gates Of Dawn, Columbia (1967) - Pink Floyd, Ummagumma (1969) - Pink Floyd, Relics, Epic/EMI (197O) - Procol Harum, A Salty Dog, Polydor (1968) - The Soft Machine, Volume One, ABC/Probe (1968) - Them, Gloria, DECCA (1965) - Traffic, Mister Fantasy, Island (1968) - The Isle of Wight Festival 1970, Essential (bandes publiées seulement en 1995) 116 LISTE DES TABLEAUX Tableau 1 : les élections générales et les Premiers ministres de 1945 à 1970 Tableau 2 : les résultats des élections générales de 1964, 1966 et 1970 Tableau 3 : les titulaires des principaux ministères et postes parlementaires de 1964 à 1970 Tableau 4 : l'évolution des cotes de popularité d'Harold Wilso, Tableau 5 : la croissance de la productivité dans les années 60 Tableau 6 : effectifs des syndicats, nombre de grèves et total des journées perdues de 1964 à 1970 Tableau 7 : la progression du chômage Tableau 8 : hiérarchies sociales et de revenus en 1969-70 Tableau 9 : la presse en 1964 Tableau 9 bis : les résultats de football Tableau 10 : principales émissions de telévision, 1964-70 Tableau 11 : la chute de fréquentation des salles de cinéma, 1964-70 Tableau 12 : les Mods au milieu des années 60 Tableau 13 : les 45 tours pop classés No 1 au hit-parade, 1964-70 117 INDEX GENERAL Abse (Leo) Affaire Profumo Aitken (Alex) Aldridge (Alan) Ali (Tareq) Anderson (Lindsay) Animals (The) Antonioni (Michelangelo) Armée et défense Arnatt (Keith) Astor (Lord) Attlee (Clement) Avengers (The) Bacon (Francis) Bailey (David) Baldwin (James) Ball (Alan) Bandes de Mods Barber (Anthony) Barnett (Corelli) Bates (John) Beatles (The) Beaverbrook (Lord) Beck (Jeff) Beck (Julian) Benn (Tony) Bennett (Alan) Best (George) Bevan (Aneurin) Beveridge (William) Blackman (Honor) Blair (Tony) Blake (Peter) Booker (Christopher) Boorman (John) Boshier (Derek) Bowie (David) Branson (Richard) Briggs (Asa) Brook (peter) Buckland (Norah) Burdon (Eric) Burgess (Anthony) Burroughs (William) Butler (Richard) Caine (Michael) Calder (John) Callaghan (James) Cammell (Donald) Cardin (Pierre) Carleton-Greene (Hugh) Caro (Anthony) 118 Carr (Robert) Carrington (Lord) Carroll (Lewis) Castle (Barbara) Censure Centre 42 Chapman (Graham) Charles (prince de Galles) Charlton (Bobby) Chisterer-Clarck (James) Chômage Christie (Julie) Churchill (Winston) Cinéastes étrangers en Angleterre Cinéma Cinéma de divertissement Cinéma réaliste Clapton (Eric) Clapton( Eric) Clarke (Arthur C.) 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