analyse du principe de lucifer PDF

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analyse du principe de lucifer PDF
Spécialiste des comportements de
masse, Howard Bloom est un des pères
de la mémétique. Il est, entre autre, le
fondateur du “Group Selection Squad",
cercle académique visant à une
radicale réévalution du néodarwinisme à
l'intérieur de la communauté scientifique.
Touche à tout - il a été le conseiller image de
Michael Jackson-, Bloom est notamment membre
de la New York Academy of Sciences, de la
National Association for the Advancement of
Science, de l'American Psychological Society, de
la "Human Behavior and Evolution Society", de
l'"American Sociological Association and the
Academy of Political Science".
Outre de très nombreux articles, il est aussi
l'auteur de l'ouvrage "Global Brain: the
Evolution of Mass Mind from the Big Bang to the
21st Century" (Harcover, août 2000).
Pour en savoir plus
Sur The Lucifer principle :
http://www.bookworld.com/lucifer/about.html
Sur Howard Bloom :
http://www.bookworld.com/lucifer/author.html ;
voir aussi :
http://www.howardbloom.net/bloombio.htm
et Howard Bloom Net :http://howardbloom.net/
Le paléopsychology project fondé par Howard
Bloom : http://www.paleopsych.org/
Articles divers de l'auteur (attention vertige!) :
http://www.heise.de/tp/english/special/glob/
Contact : [email protected]
Les mèmes mènent l'histoire
Le Principe de Lucifer (The Lucifer Principle), livre au titre insolite, lui vaut de se retrouver dans le
rayon "ésotérisme" du magasin Virgin, trônant au milieu de traités de méditation transcendantale, du
énième "secret des pyramides" ou autres "Mystères de Rennes-le-Château"… !
Dans ces conditions, on se demande qui pourra bien le lire : les ésotéristes n'en voudront
certainement pas, les politologues ou analystes politiques n'auront jamais l'idée d'aller le chercher
dans ce type de rayon. Décidément, ce Lucifer a le génie de la dissimulation.
Il s'agit pourtant d'un livre fondamental, voire fondateur. Il est en effet à la mémétique (1) ce que fut
en son temps à la mimétique le livre de René Girard "Des choses cachées depuis la fondation du
monde", éditions Grasset, 1978).
Le Principe de Lucifer est un ouvrage déroutant, à la fois très scientifique dans son approche (très
nombreuses références) mais aussi plein d'humour, voire d'espièglerie… Les raccourcis sont
saisissants, la densité extrême, les intuitions fulgurantes, les raisonnements implacables, le champ
de
connaissance
immense.
L'étrange personnalité de l'auteur, son style et son comportement parfois primesautier mais toujours
très rigoureux lui valent les éloges d'une large partie de la communauté universitaire américaine de
Stanford à Harvard, en passant par UCLA et l'université John Hopkins. La très officieuse revue,
Foreign Affairs, lui rend également un hommage appuyé. Mais ce n'est pas tout : Le principe de
Lucifer est devenu le livre culte des groupes de rock de Broocklyn qui "samplent" des passages
entiers
de
son
livre
pour
l'intégrer
dans
leur
musique…
!
Si l'auteur est universitaire, signalons que ce livre a été refusé par trente-deux éditeurs new-yorkais
avant d'être finalement publié.
"Nous avons besoin de l'histoire dans son intégralité, mais pas pour retomber dedans mais pour lui
échapper " : cette citation d'Ortega Y Gasset placée en début d'ouvrage, vient comme un
avertissement de l'auteur, conscient des hypothèses dévastatrices qu'il développe, voire de leur
aspect désespérant. Et Bloom d'ajouter : " Les systèmes que je vais décrire ne sont pas mon idée de
ce que devrait être le monde, ils sont les conclusions auxquelles j'ai abouti à regret, concernant ce
qu'il est vraiment. ". "Il traite de la façon dont, par notre intérêt pour le sexe, notre soumission à
des dieux et à des dirigeants, notre attachement parfois suicidaire à des idées, des religions et de
vulgaires détails de type culturel, nous devenons les instigateurs inconscients des exploits de
l'organisme social."
Avant d'analyser d'un peu plus près les aspects qui concernent le plus directement ceux développés
sur le site Automates Intelligents, reprenons avec cet auteur les cinq concepts qui constituent le
fondement du Principe de Lucifer et, par conséquent, sa philosophie de la société et de l'histoire.
Car c'est bien ce dont il s'agit. Ce livre est à notre connaissance le premier livre qui tente d'esquisser
une interprétation "mémétique" de l'histoire.
Le principe des systèmes auto-organisateurs, c'est-à-dire des "réplicateurs" qui fonctionnent
comme des mini-usines fabricant des "produits jetables "… comme vous et moi…
Le super organisme : nous ne sommes que des pièces de remplacement d'un être beaucoup plus
important que nous.
Le mème : un noyau d'idées auto-répliquant qui devient le ciment qui rassemble les civilisations.
Le réseau neuronal qui nous transforme en composants d'une immense machine à apprendre.
L'ordre de préséance, principe majeur de l'histoire -dont le mouvement est incessant- assurant
l'ascension des uns et le déclin des autres, dans une gigantesque compétition darwinienne dont les
mèmes sont les infatigables moteurs. Sous cet angle, l'auteur précise que ce qui est vrai pour les
hommes, les singes ou les abeilles, l'est également pour les nations (c'est ici que la référence
précitée de Foreign Affairs, revue officieuse du Département d'Etat prend toute sa saveur…).
Toutefois, disons-le d'emblée, l'ouvrage d'Howard Bloom ne sombre jamais dans le déterminisme
sociobiologique. Il est un appel à la lucidité, pour mieux maîtriser l'avenir, assurer la paix entre les
hommes en démontant les mécanismes de compétition et de sélection des groupes sociaux. In fine,
il se situe beaucoup plus dans une perspective "personnaliste" que purement individualiste. Le
deuxième tome (annoncé) de l'ouvrage, mettra sans doute cet aspect en évidence. En ce sens, Le
Principe de Lucifer est une critique implicite de "l'individualisme grégaire" qui caractérise notre
époque et s'incarne dans le concept désincarné de "société civile" qui aboutit à sous-estimer la
nécessité des relations entre individus, entre ceux-ci et la société et finalement entre les sociétés
elles-mêmes, ces relations étant à la fois des relations de solidarité et de compétition.
Analyse
Concentrons-nous maintenant sur ce qui rejoint le plus nos propres préoccupations ; le
superorganisme, les mèmes et le réseau neuronal. Si Howard Bloom commence sa réflexion par une
description du rôle et de la nature de ce qu'il appelle le "superorganisme", c'est parce que ce concept
lui paraît illustrer concrètement le monde tel qu'il fonctionne sous nos yeux.
Au-delà des sociobiologistes ou des spécialistes de psychologie ou de psychiatrie sociale, si les
géopolitologues et spécialistes des relations internationales au moins certains d'entre eux) paraissent
s'intéresser aux conceptions de l'auteur, c'est parce que le concept de "superorganisme" en conflit
permanent avec un voisinage lui-même composé d'autres "superorganismes" convient très bien à la
conception d'un monde multipolaire, à la fois chaotique et dangereux.
Cette conception "d'un monde sans maître" pour reprendre l'expression de Gabriel Robin,
Ambassadeur de France, prédomine en effet aujourd'hui notamment chez les géopolitologues
américains,
comme
dans
les
chancelleries.
C'est dans cette logique que Stanley Hoffmann méditait récemment sur le "triste état du monde" (Le
Monde, 24 janvier 2002). Seuls quelques irresponsables politiques ou médiatiques diffusent encore
une conception irénique de la mondialisation. Il suffit de lire le récent livre de John J. Mearsheimer,
"The Tragedy of Great Power Politics" pour s'en convaincre.
Mais le cœur de la réflexion d'Howard Bloom repose en fait sur l'analyse du rôle des mèmes dans
l'histoire
et
dans
le
monde
actuel.
Pour l'auteur, l'évolution des mèmes et leurs mutations, par essai, échec, copie et propagation, sont
le véritable moteur de l'histoire humaine. Les mèmes font vivre les superorganismes tandis que les
réseaux neuronaux les structurent.
Attardons-nous sur trois aspects développés par Howard Bloom : les aléas de la propagation
mémétique, le processus historique de dissociation des mèmes avec les gènes, enfin, le rôle des
réseaux neuronaux.
1)
Rôle
et
origine
des
mèmes
L'auteur fait sienne la description de Dawkins, qui ne manque pas de vigueur : "les gènes nageaient
dans la soupe protoplasmique de la Terre, se nourrissaient de boue organique. Les mèmes flottaient
dans une autre sorte de mer : une mer de cerveaux humains. Les mêmes sont des idées, les
fragments
de
néant
qui
vont
d'esprit
en
esprit…"
Howard Bloom complète cette description : "chaque même [mélodie, concept scientifique,
croyance, idée politique] saute d'un cerveau à un autre, se copiant frénétiquement dans le nouvel
environnement. Mais les mèmes qui comptent le plus sont ceux qui assemblent de grandes quantités
de ressources pour en faire de nouvelles formes stupéfiantes. Ce sont les mèmes qui construisent les
superorganismes sociaux… Les mèmes sont aux superorganismes ce que les gènes sont à
l'organisme… Les mèmes étirent leurs vrilles dans le tissu de chaque cerveau humain, nous
amenant ainsi à nous coaguler en ces masses coopératives que sont les familles, les tribus et les
nations. Et les mèmes, travaillant ensemble dans les théories, les visions du monde et les cultures,
peuvent rendre un superorganisme tres affamé".
Ce thème de la "gloutonnerie" et de l'avidité des superorganismes est un thème récurrent ici,
expliquant ainsi l'âpreté et la violence de la compétition entre superorganismes. Le mème est la base
du "régime alimentaire" du superorganisme : iil vit, se développe, résiste, conquiert, domine grâce à
lui.
Les
mèmes
:
une
propagation
très
aléatoires
Pour l'auteur, la supériorité des mèmes sur les gènes, c'est leur capacité, et surtout leur rapidité de
propagation, infiniment supérieure à celle des gènes qui est plus lente, plus régulière mais à terme
assurée d'aboutir. Il n'en va pas ainsi des mèmes qui peuvent, bien que parfaitement conçus et
élaborés dans un cerveau isolé, ne jamais émerger, ou, à tout le moins, le faire avec une extrême
difficulté et de très longs délais de maturation. Mais, à la différence du gène, une fois l'émergence
assurée, la propagation peut être fulgurante.
Un exemple de propagation mémétique difficile : l'expansion du marxisme
Le résumé qui suit, traduit mal, et la rigueur de l'analyse de Bloom et son humour dévastateur.
Ecoutons l'auteur : "De 1852 à 1864, Karl Marx passe presque chaque jour assis dans un coin de la
bibliothèque du British Museum… Il ne s'en rendait pas compte, mais l'écrivain barbu était tout
simplement l'outil de mèmes fragmentaires… Ces mèmes flottaient librement dans le "zeitgeist",
attendaient qu'un esprit humain réceptif vienne et fonctionne, comme une enzyme dans le
métabolisme humain, en collant ensemble des molécules destinées les unes aux autres".
Malheureusement, pour des raisons de caractère, Karl Marx. n'aurait jamais dû être le bon
inséminateur de mèmes. "Il avait un tel caractère de chien, il était si hargneux… qu'il avait peu
d'amis et presque aucun disciple… il n'est guère étonnant que pendant les cinquante années qui
suivirent, les mèmes qui s'étaient assemblés dans le cerveau de Marx se soient à peine maintenus en
vie".
Le Capital, le livre dans lequel il exprime ses idées, était tellement incompréhensible que les
censeurs russes, pourtant très sourcilleux, " autorisèrent avec insouciance l'importation de l'obscur
ouvrage
dans
leur
pays".
"Puis, la création mentale de Marx reçoit un petit coup de pouce. Elle trouve son chemin dans la
substance cérébrale d'une poignée d'humains capables de ce dont Marx n'était pas capable :
l'organisation et le recrutement d'une poignée de partisans. Ces hommes étaient STALINE, Lénine
et
leurs
amis".
"Au milieu des années quatre-vingt, les idées nouvelles rassemblées par le cerveau d'un homme
dans le coin d'une bibliothèque isolée, des idées dont la disparition devenait année après année de
plus en plus inévitable, étaient passées du contrôle d'un homme de quatre-vingt kilos à celui de
milliers de tonnes de matière sur la planète. Ces mèmes vivaient dans les esprits et les mécanismes
sociaux de plus de 1,8 milliard d'hommes, étendaient leur influence sur les terres, les minéraux, les
machines et les animaux domestiques contrôlés par les êtres humains."
On voit, par ce raccourci historique, que les gènes et les mèmes ne se déplacent pas de la même
manière. Les premiers glissent de l'un à l'autre sans grande difficulté mais avec la lenteur
commandée par le mode de reproduction, tandis que les seconds évoluent comme s'ils étaient sur un
glacier et doivent apprendre à sauter en évitant les crevasses. Les gènes "glissent", les mèmes
"sautent".
2) L'histoire : une dissociation progressive des gènes et des mèmes
Si comme le dit Dawkins, les gènes sont "égoïstes" (selfish genes), les mèmes, eux, sont "sûrs
d'eux-mêmes" et capables de couper les liens quasi biologiques qui les unissent aux gènes.
Progressivement, "conscients" de la suprématie que leur apportent leur extrême complexité, leur
entraînement à toutes les formes de combat, ils finissent par trouver les gènes trop "encombrants",
ils s'en séparent.
A un moment de l'histoire de l'humanité, les mèmes se séparent des gènes. A l'origine en effet, il
existe une forte coïncidence, entre ces communautés génétiques de base que sont la famille ou la
tribu, et l'ensemble des mèmes qui expriment leur identité par des "marqueurs" socio-génétiques :
attitudes, signes de reconnaissance, langages, habitudes vestimentaires, pratiques de solidarité et
d'échange, sentiment religieux et vénération d'un dieu ou d'une divinité particulière. Howard Bloom
montre que ces grands conquérants militaires et spirituels que furent Bouddha, Alexandre, Paul de
Tarse... n'ont eu de cesse en investissant les esprits, en propageant leurs idées de permettre aux
mèmes de quitter leurs niches génétiques d'origine pour se développer, s'enrichir, se transformer et
tenter de conquérir le vaste monde
En 500 avant notre ère, Bouddah fut sans doute l'un des premiers à engager ce processus de
séparation
entre
génétique
et
mémétique.
Deux siècles plus tard, Alexandre emmène les idées hellénistiques dans les anciens empires de
Perse, d'Egypte et d'Inde, sautant par dessus les barrières génétiques.
Mais c'est l'exemple de Paul qui frappe le plus. En effet, l'environnement mémétique de Saint Paul
est complètement différent de celui des apôtres. C'est un urbain, fils de citoyen romain, ayant fait de
hautes études et s'exprimant dans la langue de l'élite internationale : le Grec. Dès le début, il
rencontre des difficultés avec le monde galiléen traditionnel auquel appartiennent Jésus et ses
disciples restés très proches de leur communauté d'origine.
Confronté à cette situation, "il entame une campagne mémétique vigoureuse pour rallier les
"gentils", des Grecs, des Romains, des Anatoliens, des Siciliens, des Espagnols. Au cours de cette
campagne, Paul fut l'un des créateurs d'un nouveau concept : la religion transmissible. Il la libère de
l'ancienne notion selon laquelle un dieu était un emblème de l'héritage tribal et tranche les liens qui
attachent la divinité aux gènes. "Grâce à Paul, le mème chrétien allait rassembler un mélange
incroyable de gènes. Les gènes grecs et romains aux cheveux foncés, les gènes scandinaves aux
yeux bleus et aux cheveux blonds, les gènes africains à la peau noire, et même quelques gènes
chinois et japonais. Des gènes dont les hélices génétiques étaient tellement différentes se
retrouvèrent réunis par un fil commun. Ce lien impalpable était un nouveau même ".
Ainsi l'évolution de la culture judéo-chrétienne de l'Ancien Testament (pour lequel les filiations
génétiques ont une grande importance) au Nouveau, et ce jusqu'à nos jours, se traduit par un
enrichissement mémétique continu(
.
Cette incursion dans l'histoire et la sociologie des religions, du bouddhisme au judéo-christianisme,
montre à quel point la mémétique peut devenir un système très puissant de compréhension des
sociétés et de leur évolution.
La compréhension mémétique des facteurs religieux et culturels est certainement l'un des grands
enjeux de notre époque, et le moyen d'éviter que le "choc des civilisations" annoncé non sans raison
par Huntington comme caractérisant les temps à venir, ne dégénère pas en conflit planétaire. Là
encore, l'exigence de lucidité appuyée sur une rigoureuse analyse scientifique doit précéder et
préparer toute recherche et tout discours crédible sur la paix et l'évolution du monde.
2)
Nous venons de voir à quel point les gènes et surtout les mèmes constituent la substance des
superorganismes, et l'énergie nécessaire à leur survie et à leur expansion. Suivons maintenant
Howard Bloom dans la description de l'architecture en réseau qui permet au superorganisme de se
construire et de maîtriser en son sein l'agitation permanente et parfois brouillonne des mèmes.
3) Le réseau neuronal
Ce qui permet au superorganisme de réguler cette agitation incessante des mèmes, c'est le
développement en son sein d'un réseau neuronal. Ce réseau, comme le cerveau humain nous dit
Bloom, peut interférer avec un monde invisible à partir de parcelles d'information visibles. "Ce sont
en fait les mécanismes imprécis qui nous donnent parfois le contrôle de la réalité".
C'est le réseau neuronal qui donne aux hommes la capacité de maîtriser le flou et l'incertain qui
dessinent l'horizon des sociétés humaines. H. Bloom conçoit la société comme un réseau neuronal :
"une société est un cerveau, un outil d'apprentissage qui fonctionne selon les principes qui dirigent
un réseau neuronal . (...) Les interactions qui donnent au groupe social ses formes, la toile invisible
de connexions qui réunit une société, le réseau de structures qui crée une culture, sont des formes
dont le pouvoir transcende l'existence de chaque individu. Elles forment l'âme du superorganisme
social.
L'évolution n'est pas seulement une compétition entre individus. C'est une compétition entre
réseaux, entre toiles, entre les âmes des groupes ".
Lorsque le Japon et les Etats-Unis luttent pour la suprématie économique, lorsque les Croisés
partent défier l'Empire Islamique, ou même lorsque des groupes rivaux de Gardes Rouges
s'affrontent, la lutte n'est pas une lutte d'hommes mais un lutte de réseaux de machines à apprendre
liées par des mèmes, testant leurs formes les unes contre les autres. En se basant sur une histoire
pleine de ce type de conflits, les vastes toiles et les réseaux invisibles se dressent encore plus haut
dans une immense stratosphère de formes, précipitant le monde vers sa destination, un avenir
toujours plus complexe".
Cette montée vers la complexité ne se fait pas sans luttes incessantes pour assurer une préséance
toujours temporaire car menacée à peine acquise. Ce combat sans fin assure la montée vers la
complexité. "Le superorganisme, les idées et l'ordre de préséance : telles sont les principales forces
qui résident derrière la créativité humaine. Elles sont la seule trinité du Principe de Lucifer"
Commentaires
Le livre de Howard Bloom est inépuisable, il n'est certes pas exempt de simplifications hâtives, de
raccourcis hasardeux, voire de contradictions ; c'est le propre de toute pensée pionnière de cette
ampleur. Il a le grand mérite en se rattachant en permanence à l'histoire des hommes, de leurs idées,
de leur croyances, de leurs techniques, de montrer que celle-ci tend à une véritable "cérébralisation"
du monde. Cette montée vers la cérébralisation, le "Global Brain", ne se fait pas sans douleur.
Il ne faut pas interpréter le pessimisme de sa vision comme la soumission au déterminisme encore
moins au nihilisme. Howard Bloom est un pessimiste actif. Il exprime le pessimisme de la lucidité
mais il croit en la nécessité de la volonté politique, qui précisément distingue les sociétés humaines
des sociétés animales : l'auteur fait toujours la différence entre les deux et n'utilise les secondes que
comme schéma de compréhension et modèle simplifié de simulation des premières.
Les dernières pages, qui semblent annoncer le second tome de son ouvrage, sont au contraire un
appel à la "régulation" de la compétition sauvage entre superorganismes par mèmes interposés. La
connaissance scientifique, qu'il s'agisse des mécanismes du cerveau, des sciences cognitives, de
l'application concrète des théories de la complexité, des réseaux ou de l'utilisation systématique des
immenses possibilités offertes par les technologies de l'information et de la communication doivent
jouer un rôle essentiel pour approfondir, intensifier et surtout rendre enfin possible le débat d'idées
entre les hommes, et donc la pacification des rapports sociaux
Howard Bloom nous fait comprendre que l'humanité est encore menée par des réflexes,
relativement primitifs "les incessants chuchotements de notre cerveau animal", mais que la
connaissance scientifique ne peut que nous libérer de ces réflexes primitifs et faire progresser
l'humanité.
C'est à nous maintenant d'interpréter de manière positive son message décapant.
Il apparaît en tout cas évident à la lecture du livre que l'analyse mémétique devrait pouvoir être
utilisée de façon plus systématique, certes avec de grandes précautions, pour aider au décryptage du
monde
contemporain.
On pourrait déjà, à titre d'exercice pratique, l'appliquer à ce combat de mèmes que reflète le concept
de mondialisation. En simplifiant beaucoup, on peut dire que le même de Davos, longtemps seul en
piste, à trouvé maintenant un concurrent avec le mème de Porte Alegre, l'un et l'autre cherchant les
idées et les voies qui permettent de lutter contre celui du Nihilisme globalisateur qui petit à petit
s'incarne dans la figure hideuse de l'hyperterrorisme mondialisé tel qu'il s'est exprimé le 11
septembre dernier.
Il serait également très intéressant de vérifier comment les difficultés, les contradictions, les
hésitations de la construction européenne pourraient trouver leur explication dans une analyse
mémétique qui prendrait en compte la compétition entres les concepts apparemment irréductibles
qui agitent les opinions européennes et paralysent la seule chose qui compte réellement, laquelle est
l'émergence d'une authentique indépendance européenne, voire même d'une souveraineté pleine et
entière. Seule l'expression de celle-ci pourrait être en mesure de donner à l'Europe la possibilité de
s'affirmer positivement dans cette lutte pour la préséance qui, selon Howard Bloom, est le vrai
moteur de l'histoire.
L'apport de l'Europe à ce nouveau "grand jeu" devrait être, en mobilisant ses mémes hérités d'une
longue histoire, de civiliser cette lutte en empêchant ses débordements agressifs. Sans l'expression
de cette volonté européenne de "préséance" au sens que Bloom donne à cette idée qui devrait
s'appuyer sur une puissance effectivement retrouvée, notamment dans le domaine scientifique et
technologique, il est à craindre que le monde multipolaire qui peu à peu s'édifie, soit infiniment plus
conflictuel que celui qui a disparu avec la chute du mur de Berlin.
Ainsi apparaît-il qu'il est temps aujourd'hui d'intégrer la dimension mémétique dans la réflexion
sociologique, politique et surtout géopolitique en montrant qu'elle est à même de séparer ce qui
revient aux automatismes sociaux de ce qui relève de l'intelligence humaine individuelle et
collective dans les mouvements qui animent cette gigantesque "meute sociale" (pour reprendre
l'expression de l'auteur) qu'est devenue notre planète livrée en même temps à des forces
d'unification et de dislocation.