mégachurch

Transcription

mégachurch
la megachurch: un objet géographique
site géographie du fait religieux
http://geographie-religions.com/blog/?p=95
Ce papier a été motivé par la publication de photos des églises Charisma et Paris Centre
Chrétien par Sébastien Fath sur son blog. Ce sont ici quelques remarques qui se veulent juste
un essai de discussion. J’encourage par ailleurs les lecteurs à lire l’ouvrage de Sébastien
Fath: Dieu XXL: la révolution des megachurches
ci-contre: la Yoido Full Gospel Church de Seoul (une des plus grandes
megachurch au monde avec plus de 700 000 membres) en couverture de
l’ouvrage d’Allan Anderson An introduction to Pentecostalism
(Cambridge University Press, 2004).
Les recherches portant sur les communautés évangéliques et
pentecôtistes sont marquées par un certain succès du thème des
mégachurches, ces lieux de culte rassemblant plus de 2000 personnes.
On parle même de “gigachurch” quand on dépasse les 10 000 fidèles. Ce
thème a été popularisé récemment en France par l’excellent ouvrage de
Sébastien Fath, Dieu XXL: la révolution des megachurches, paru aux
Editions Autrement. Un coup d’oeil à la bibliographie de ce livre à l’usage aussi bien des
chercheurs que du grand public montre que le thème est maintenant ancien aux Etats-Unis où
la question des relations entre la pratique religieuse et les espaces de la pratique est bien
connue.
Il me semble que la mégachurch illustre parfaitement ce que les géographes désignent sous le
terme d’objet géographique Dans le Dictionnaire de Géographie et de l’espace des sociétés,
le géographe Michel Lussault (professeur à l’Ecole Normale Supérieure Lettres et Sciences
Humaines à Lyon) a rédigé une petite notice fort utile. Il définit ainsi l’objet géographique
comme “un construit cognitif permettant d’appréhender un phénomène spatial”. La définition
a le mérite de la concision mais demande d’être éclaircie. En fait, Lussault se situe dans le
cadre d’une démarche constructiviste dans laquelle “on postule que l’on ne peut pas accéder
aux réalités sociétales, car celles-ci ne constituent pas des données, existant indépendamment
de la saisie qui en est faite par celui qui entend rendre le monde intelligible”. Pour le dire
simplement: “les faits sont faits”. Dans le cadre d’une analyse des éléments spatiaux de la
société, l’observateur passe par un ensemble de constructions cognitives qui sont autant de
filtres. Nous en faisons tous l’expérience lorsque nous voyagons. Face à des espaces
inconnus, nous essayons de les déchiffrer à partir d’éléments connus. Plus généralement notre
rapport au monde est sans cesse médiatisé par des catégories et des schèmes connus construits
(d’où ce terme de constructivisme pour qualifier cette démarche).
Dans le cadre des analyses sur les lieux de culte et plus largement sur les dimensions
spatiales de la religion, la mégachurch est ainsi devenue une sorte d’objet géographique au
sens où on en a dégagée quelques traits caractéristiques (taille, types d’activités proposées,
localisation dans l’espace urbain…) et que face à un lieu de culte on sera en mesure de
qualifier ce dernier comme mégachurch. Ici l’objet géographique s’apparente à un modèle
abstrait qu’on applique dans la réalité. Mais l’objet géographique va plus loin: il constitue
également une sorte de figure au sens où il témoigne d’un état d’une culture à un moment
donné. Ainsi la mégachurch illustre parfaitement (j’aime le verbe “epitomize” en anglais qui
traduit cette idée) l’ensemble des transformations affectant les pratiques religieuses: il en
devient la traduction matérielle et spatiale. La mégachurch renvoie à la figure du centre
commercial (le mall) de la religion, au gigantisme, à la professionnalisation de l’offre
religieuse, à la multiplication des services non religieux dans l’église (salle de sport, garderie,
cafétéria…).
L’objet géographique permet donc de rendre visible des idées abstraites. C’est ici que réside
sa force. il se fonde au départ sur des lieux et des espaces réels avant de constituer un objet
transposable à d’autres lieux et espaces.
Dans le cas des megachurches la plus célèbre est sans doute la Willow Creek Church dans la
banlieue de Chicago. Sébastien Fath y fait d’ailleurs longuement référence dans son ouvrage.
Cette église créée en 1975 (le premier service eut lieu très exactement le 12 octobre 1975) est
devenue fameuse dans le monde entier, notamment parce qu’elle a renouvelée profondément
l’articulation entre l’église et la communauté (influence de Gilbert Bilezikian, professeur en
Etudes bibliques au Trinity College de Deerfield (Illinois). La Willow Creek Church est
devenue l’exemple préféré des auteurs traitant des transformations religieuses aux Etats-Unis
(Sargeant, 2000; Twitchell, 2004; Hoover, 2005). Ce qui est particulièrement intéressant c’est
la relation entre le type d’évangélisme et les dispositifs spatiaux qui l’accompagnent. Nous
retrouvons ici l’idée que le lieu de culte dit quelque chose de la communauté qui l’habite (je
renvoie ici à l’article d’Isabelle Grellier dans l’ouvrage La recomposition
des protestantismes en Europe latine aux Editions Labor et Fides). Une idée similaire est
développée par l’historienne Jeanne Hilgren Kilde (2002) dans un ouvrage passionnant
consacré aux transformations architecturales des églises évangéliques aux Etats-Unis au cours
du 19ème. Elle montre très bien comment les transformations théologiques et
ecclésiologiques s’accompagnent de transformations concernant les lieux de culte. C’est le
sens de son titre When church became theatre. On retrouve ici une idée essentielle en
géographie: les lieux dans lesquelles se déroulent les manifestations sociales ne sont pas
anodins et ne doivent pas être laisseés de côté sous prétexte que l’espace ne serait qu’un
décor.
Mais attention si on peut dire quelque chose d’une communauté à partir de son lieu de culte,
des configurations spatiales semblables peuvent abriter des réalités sociales différentes. Il faut
donc se garder de tout déterminisme spatial. Le risque est que l’objet géographique impose
des connotations à des réalités fort différentes les unes des autres au point qu’on caractérise
un lieu ou en espace au moyen de cet objet ou cette figure en en estompant ainsi les
particularités. Nous voyons comment un objet géographique apparu dans un certain contexte
finit par transcender ce dernier. Dans des photos publiés sur son blog Sébastien Fath rend
compte de ses visites à deux grands lieux de culte de Seine Saint Denis, Charisma et Paris
Centre Chrétien, deux églises néo-pentecôtistes (même s’il y aurait de quoi discuter sur ce
point). Le choix de ces deux églises est fort judicieux car toutes deux témoignent bien d’une
nouvelle forme de communautés évangéliques fondées par des personnalités fortes et
rassemblant plusieurs centaines de personnes. Ces deux églises témoignent également d’un
élément très important: la difficulté des communautés à trouver des locaux fonctionnels et
suffisamment spacieux à une distance décente de Paris. En effet Charisma et Paris Centre
Chrétien sont installées dans d’anciens locaux industriels et sont à la recherche de locaux plus
adaptés et plus vastes. D’un point de vue géographique on retrouve des éléments constitutifs
de la megachurch dans les deux cas, en particulier en ce qui concerne la localisation dans
l’espace urbain, c’est à dire en périphérie, dans un environnement urbain traditionnellement
peu enclin à recevoir des activités religieuses. Néanmoins il y a également des manques. Un
des éléments constitutifs de la megachurch me semble être le bâtiment construit par la
communauté et clairement identifié dans l’espace urbain en tant que tel. La megachurch est
également un geste architectural envoyé à l’extérieur. Cela ne signifie pas que le bâtiment
offre nécessairement des éléments architecturaux renvoyant à l’église traditionnelle (croix,
clocher, vitraux…), mais plutôt que le lieu de culte indique clairement le rôle de la
communauté dans l’espace urbain et donc dans la société. C’est sans doute pour cette raison
que le terme de megachurch (tout comme le mot église) renvoie autant au bâtiment qu’à une
communauté.
Lors de mon séjour à Montréal,
quand je parlais de l’église
Nouvelle Vie (photo ci-contre
prise par votre serviteur lors de
“la conférence pour pasteurs et
leaders francophones” en mai
2008) de Longueil (rive sud de
l’Ile de Montréal) à des
Montréalais, ces derniers me
parlaient systématiquement du
bâtiment qui ressemble à un
grand magasin. Peut-être mes
interlocuteurs s’arrêtaient-ils à
cette dimension spatiale car ce
type de lieu de culte est très
marginal à Montréal où les
assemblées évangéliques sont
plutôt de petite taille et que, pour un Américain, ce type de bâtiment ne serait pas vraiment
remarqué. Pourtant il me semble qu’il y a là une hypothèse à creuser.
C’est essentiellement pour cette raison que Charisma et Paris Centre Chrétien me semble être
davantage de grosses communautés désireuse de se muer en mégachurch, notamment par
l’accession à de nouveaux locaux. Il s’agit juste d’une hypothèse et pas du tout d’une
affirmation, Sébastien Fath connaît d’ailleurs le sujet bien mieux que moi.
bibliographie: voici quelques références disponibles sur le sujet. Je vous invite à rechercher
ces livres via le moteur Google Scholar. ce dernier permet parfois des lire de longs passages
des ouvrages, et ce, gratuitement.
Connell, John. 2005. «Hillsong: a megachurch in the Sydney suburbs». Australian Geographer. vol. 36, no 3, p. 315-332.
Fath, Sébastien. 2008. Dieu XXL: la révolution des megachurches. Paris Autrement.
Grellier, Isabelle. 2004. «L’inscription spatiale des protestantismes dans l’espace urbain français: entre le musée et le supermarché». In La
Recomposition des protestantismes en Europe latin, Jean-Pierre Bastian. Genève: Labor et Fides.
Hoover, Stewart M. 2005. «The cross at Willow Creek». In Religion and popular Culture in America, Bruce David Forbes et Jeffrey Mahan. LosAngeles: University of California Press.
Kilde, Jeanne Halgren. 2002. When church became Theatre: the transformation of Evangelical architecture and worship in nineteenth-century
America. New-York: Oxford University Press.
Loveland, Anne, et Otis Wheeler. 2003. From Meetinghouse to megachurch: a material and cultural history. Columbia: University of Missouri
Press.
Sargeant, Kimon. 2000. Seeker churches: promoting traditionnal religion in a non traditional way. Piscataway: Rutgers Univesity Press.
Twitchell, James B. 2004. Branded nation: the marketing of Megachurch, College, Inc., and Museumword. New-York: Simon & Schuster.
Young-Gi, Hong. 2006. «Encounter with modernity: the “Mcdonaldization” and “Charismatization” of Korean Mega-Churches». Cyberjournal for
Pentecostal Charismatic Research. vol. 15.

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