Atelier 14 / Métropoles : l`avenir des services publics de

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Atelier 14 / Métropoles : l`avenir des services publics de
Atelier 14 / Métropoles : l’avenir des services
publics de proximité
Animatrice : Héloïse COURTY
Elève conservateur territorial de bibliothèques INET-CNFPT-ENSSIB, ancienne Directrice de
bibliothèque, Ville d’Avray
L’atelier est organisé par les élèves conservateurs territoriaux de bibliothèques.
Introduction
Serge DOGLIANI
Directeur des Idea Stores, Londres
Le concept de l’Idea Store a été lancé en 1999-2000, en réponse à la baisse importante de la
fréquentation des bibliothèques dans l’un des quartiers les plus pauvres de Londres (Tower
Hamlets). Plutôt que de fermer les établissements, une enquête marketing a été menée auprès
des quelques 20 000 habitants du quartier pour savoir ce qu’ils attendaient d’une bibliothèque.
Ce travail a révélé que les habitants souhaitaient s’y rendre plus souvent, à condition que le
bâtiment soit plus accessible et plus moderne. La question de la proximité s’est rapidement
posée : il fallait placer les bibliothèques sur les trajets que parcourent régulièrement les
habitants (sur le chemin des courses par exemple). C’est ainsi qu’est apparu le concept d’Idea
Store, où l’on peut emprunter un livre, utiliser un ordinateur, suivre des formations, etc.
Christian DUMEZ
Responsable du pôle territorial « Gestion des espaces communautaires : voirie, propreté,
développement urbain », Communauté urbaine du Grand Toulouse
La Communauté urbaine du Grand Toulouse a repris et adapté l’initiative de Nantes Métropole
qui avait créé les premiers pôles territoriaux de proximité. Il s’agit de découper le territoire (25
communes) du Grand Toulouse en huit pôles de proximité1 au sein desquels est géré l’espace
public communautaire. Une commission locale composée d’élus se réunit régulièrement afin de
vérifier le bon fonctionnement du service.
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Un pôle pour 40 000 à 140 000 habitants
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Qu’est-ce que la proximité ?
Patrick PONCET
Géographe, consultant en stratégie et intelligence spatiales, Président de QualiCity et de
WhereSciences, ancien Maître de conférences à l’IEP de Paris
Ces deux expériences illustrent la façon dont un même concept de service public de
proximité peut être traduit de deux façons différentes pour répondre au même
objectif.
S’il émerge une demande de proximité, c’est parce qu’à mesure que les villes grandissent
(démographiquement et géographiquement), la distance parcourue par les individus au
quotidien s’allonge. Les autorités doivent-elles considérer cette tendance comme étant
naturelle et ne rien faire, ou doivent-elles chercher à rapprocher les services des habitants ?
Christian DUMEZ
Il s’agit bien sûr de rapprocher l’usager du service public, c'est-à-dire de territorialiser
l’action publique.
À la faveur de la mise en place de la communauté urbaine (qui n’est intervenue que très
récemment2), les élus ont souhaité conserver des services de proximité. Ils voulaient
notamment que les services de la voirie, etc. restent au plus près des besoins exprimés par les
usagers. C’est ainsi qu’est née l’idée de transposer la formule nantaise à l’agglomération
toulousaine.
Deux visions du service public de proximité
Sergio DOGLIANI
Le territoire sur lequel s’est concentré le projet Idea Store comprenait 13 bibliothèques, pour
20 000 à 30 000 habitants. Sur ce territoire, sept quartiers ont été délimités. Les trajets
habituels des habitants ont été examinés et sept bibliothèques ont été positionnées dans des
lieux stratégiques. Comme pour le Grand Toulouse, des pôles de proximité ont été créés pour
rassembler les acteurs. Dans ces pôles, les habitants ont pu exprimer leurs besoins. Un
consortium de douze pouvoirs locaux s’est créé pour offrir des services dans les bibliothèques.
Les autorités ont acheté près de 4 millions de livres. La mutualisation de la commande des
différentes bibliothèques a permis d’avoir un plus grand poids dans le rapport aux
fournisseurs. Les Idea Stores fonctionnent de façon autonome mais bénéficient des avantages
de la mutualisation.
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Toulouse a un centre-ville hypertrophié (450 000 habitants) pour une première couronne d’à peine
30 000 habitants, et disposait d’un territoire suffisamment grand pour se développer. En outre, il n’y avait
jusqu’alors pas de volonté politique partagée qui aurait favorisé la création d’une intercommunalité.
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Christian DUMEZ
Le découpage du territoire pour l’implantation des huit pôles territoriaux de proximité en 2009
s’est appuyé sur trois aspects principaux : l’élément géographique (en tenant compte des axes
de circulation), une logique démographique (pour équilibrer le nombre d’habitants par pôle) et
une logique politique (agrégation des communes de la première couronne aux quartiers
toulousains). Deux pôles gèrent l’hypercentre. L’organisation des services est simple : elle se
compose d’un service administration générale, d’un service travaux de voirie et propreté (140
agents) et d’un service études et développement (il donne par exemple son avis sur la révision
des Plans Locaux d’Urbanisme). Les huit pôles sont organisés sur le même modèle.
Échanges avec la salle
Compétences de la Communauté urbaine de Toulouse
Questions de la salle (Jérôme PIGÉ, Conseil régional Nord – Pas de Calais)
La Communauté urbaine détient-elle d’autres compétences ? Comment sont-elles gérées ?
Christian DUMEZ
La Communauté urbaine détient bien d’autres compétences (eau, gestion des ordures
ménagères, etc.). Celles-ci sont gérées au siège et non par les pôles. Les pôles de proximité
doivent toutefois être sensibilisés à ces sujets pour assurer le relais entre les habitants et les
élus locaux et services centraux.
Patrick PONCET
Sergio Dogliani et Christian Dumez parlent tous les deux de proximité, un terme qui d’après
leur discours peut recouvrir deux réalités différentes.
Un besoin mis en évidence par une démarche marketing
Questions de la salle (Jérôme TRIAUD, élève conservateur territorial de bibliothèques,
CNFPT-INET)
En quoi la démarche marketing a-t-elle consisté exactement ?
Sergio DOGLIANI
En 1998, nous nous sommes rendu compte que seuls 18 % de la population des quartiers
pauvres de Tower Hamlets fréquentaient les bibliothèques (contre 50 % dans le reste de la
ville). Nous avons alors sollicité des spécialistes des études marketing, ce qui était encore
inhabituel à cette époque. Le prestataire a pris contact avec les parties prenantes de la
collectivité. Un échantillon représentatif de 600 personnes de l’arrondissement de Tower
Hamlets a été sélectionné. Ces personnes ont été rencontrées à domicile. Des enquêtes ont
également été organisées à la sortie du métro. Nous avons pu réunir suffisamment
d’informations qualitatives et quantitatives. En remerciement, les personnes enquêtées ont
reçu des bons d’achat et 25 euros. Ce travail a permis d’identifier les fondements du projet : il
existait bel et bien un besoin. Les élus, qui avaient vraiment besoin d’éléments tangibles, ont
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été impressionnés par les résultats de l’enquête marketing. Nous avons rassemblé les éléments
obtenus et avons travaillé avec un cabinet d’architecture et de décoration d’intérieur ; ce
dernier a pu mettre en évidence les points saillants des résultats de l’enquête marketing. Nous
avons procédé à des mesures très précises afin de bien étudier les déplacements des habitants
dans les quartiers.
À ce jour, quatre Idea Stores ont été créés. Le plus grand s’étend sur 3 000 m². Il est situé à
proximité d’une bouche de métro et d’un supermarché, et au milieu du tissu de déplacements
de la population. Les habitants se sont dits séduits par la conception du bâtiment. Les lieux
d’implantation sont choisis avec beaucoup de soin ; nous attendons parfois trois ou quatre ans
pour trouver l’endroit idéal car il n’est pas question de faire de compromis. Il faut viser juste.
L’étude marketing révélait notamment l’importance pour eux des grands magasins. Les Idea
Stores ont ainsi été conçus davantage comme des librairies que comme des bibliothèques. Les
obstacles à l’entrée (tels que les guichets) ont été supprimés et nous avons créé des entrées
accueillantes (café, canapé…) afin d’attirer les habitants. L’étude marketing a par ailleurs mis
en évidence le souhait des habitants de se former : près de 23 % de la population de ce
quartier est au chômage et sans formation. Les spécialistes marketing nous ont incités à créer
un projet conjoint bibliothèque-formation : un laboratoire d’apprentissage jouxte ainsi les
bibliothèques. Il s’agit de développer toutes les synergies possibles.
Les Idea Stores ont par ailleurs fixé leurs horaires en fonction de ceux des magasins à
proximité. Tous les centres n’ont donc pas les mêmes jours et horaires d’ouverture et
s’adaptent à l'environnement local. Les équipes des Idea Stores reflètent les habitants du
quartier : les membres sont recrutés localement. L’idée est d’estomper les barrières pour que
chacun soit à l’aise.
Patrick PONCET
Votre projet ne relève pas d’une logique d’équipement mais de fabrique de la ville. Il est de
votre ressort de créer des espaces normaux et de ne pas considérer les bibliothèques comme
des espaces extraterritoriaux. Par ailleurs, la concomitance entre les horaires d’ouverture de la
bibliothèque et les magasins voisins participe au fonctionnement de la ville, d’une ville
synchrone.
À l’écoute de l’évolution du marché
Questions de la salle
Le travail réalisé auprès des habitants a-t-il été poursuivi au-delà de la création des Idea
Stores ?
Sergio DOGLIANI
Après avoir ouvert les premiers Idea Stores, nous avions suffisamment d’idées et d’expérience
en la matière. Il nous fallait toutefois continuer à nous intéresser à l’évolution du marché.
Nous avons poursuivi le travail d’écoute, mais à l’échelle du secteur associatif. Nous avons par
ailleurs créé un conseil de partenariat local, à travers lequel nous échangeons avec les
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habitants. Cela nous a permis d’identifier les actions à mener pour les années à venir, par
exemple le développement d’un site Internet.
Politique tarifaire des Idea Stores
Questions de la salle (Christophe MAGNIER, Directeur général des services, Ville de
Roubaix)
Quelle est la politique tarifaire des Idea Stores ?
Sergio DOGLIANI
L’ Idea Store est un service public gratuit. Les personnes y empruntent des livres gratuitement.
En revanche, l’emprunt de Cd-rom et de DVD est payant (faible coût). Les stages linguistiques,
les cours de yoga, etc. sont eux aussi payants. Les formations peuvent être financées par
l’État, si elles permettent aux personnes qui en bénéficient de retourner sur le marché du
travail. La possibilité de gratuité ne concerne donc pas les activités de loisirs.
Budget et fréquentation des Idea Stores
Questions de la salle
Comment le taux de fréquentation des lieux a-t-il évolué ? Le budget consacré à la lecture
publique a-t-il changé avec cette nouvelle configuration ?
Sergio DOGLIANI
En 2002, la fréquentation avait été quadruplée. Aujourd’hui, ce sont plus de 2 millions de
personnes qui se rendent dans les Idea Stores qui sont parmi les bibliothèques les plus
fréquentées (210 000 personnes par jour en moyenne dans le plus grand des Idea Stores).
L’emprunt de livres a augmenté de 20 %.
Concernant le budget, la création des Idea Stores a nécessité une augmentation des
investissements. Il y a 10 ans, 6 millions d’euros étaient nécessaires pour les 13 bibliothèques.
Aujourd’hui, il en faut 9 millions. Mais nous sommes passés de 46 à 71 heures d’ouverture par
semaine. Les élus ont voulu connaître le coût par visite : il y a 10 ans, le coût était de
8,20 livres par visite ; aujourd’hui, il est de 3 livres. Les services proposés profitent à
davantage d’usagers.
Patrick PONCET
Les considérations budgétaires sont aussi liées au contexte culturel. Les arbitrages financiers
doivent être mis en rapport avec la capacité qu’ont les Anglais à appréhender les effets induits.
Christian DUMEZ
Le principe des Idea Stores est d’attirer le lecteur vers les lieux créés. Au contraire, les pôles
territoriaux du Grand Toulouse essaient de faire en sorte que les habitants n’y viennent pas
trop pour leur permettre de travailler plus sereinement. Les personnes qui travaillent dans les
Idea Stores sont-elles des agents publics ? L’élargissement des horaires d’ouverture a-t-il été
facilement accepté ?
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Sergio DOGLIANI
Nous leur avons expliqué qu’il était nécessaire de travailler ainsi. Les complémentarités ont été
recherchées entre les exigences des uns et des autres (par exemple, les chrétiens ne
travaillent pas le dimanche).
Idea Store : un modèle transposable ?
Patrick PONCET
La dynamique actuelle correspond à une logique de démultiplication des structures existantes,
mais à une échelle différente. Il n’est en effet pas question de dupliquer un modèle standard.
Le modèle des Idea Stores vous paraît-il transposable dans une communauté urbaine comme
le Grand Toulouse ?
Christian DUMEZ
Oui, il me semble exportable. La politique culturelle est restée une compétence communale. Il
faudrait simplement organiser une sorte de mise en réseau des bibliothèques. Sergio Dogliani
a évoqué la présence d’usagers au sein d’un comité de concertation. Les pôles territoriaux
n’ont encore qu’un an d’existence, mais nous pourrions imaginer d’intégrer les usagers au sein
de chaque commission locale. Aujourd’hui, les élus semblent satisfaits du fonctionnement des
pôles : ils retrouvent la même proximité que lorsque les compétences étaient aux mains des
communes. Les pôles territoriaux ont encore besoin de temps pour s’organiser et il reste des
aménagements à apporter, à la fois dans la relation entre les communes et la communauté
urbaine et dans la relation, au sein de la communauté urbaine, entre les services centraux et
les pôles territoriaux.
Relations entre services des pôles de proximité et services des communes
Questions de la salle
Comment s’articulent les services aux mains des pôles de proximité avec les services restés
sous la compétence des communes ?
Christian DUMEZ
Des réunions régulières sont organisées entre les directeurs généraux des services des
communes concernées et la communauté urbaine, et entre les directeurs des services
techniques et la communauté urbaine. La pire des choses serait qu’ils fonctionnent de manière
cloisonnée sur un même territoire.
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Compte-rendu des Entretiens territoriaux de Strasbourg
1er et 2 décembre 2010
© CNFPT INET 2010
Réalisation :
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