Waste Management : les entreprises américaines de déchets (II)

Transcription

Waste Management : les entreprises américaines de déchets (II)
Portrait d’entreprise
PORTRAIT D’ENTREPRISE
déjà très grande au début des années
1990, n’échappe pas à cette règle.
Deuxièmement, en suivant le passage en deux générations d’un groupe
Waste Management :
les entreprises américaines de déchets (II)
familial à un groupe mondial, on saisit ce
qu’il y a d’individuel derrière des entreprises perçues au travers des communiqués de presse et des rapports aux
actionnaires. Ces entreprises se développent à partir de quelques hommes,
unis par l’amitié, parfois par des liens
familiaux ; ils partagent des visions, ont
des intérêts communs, rêvent (un peu),
Dominique Lorrain
agissent (beaucoup) et changent le
monde.
L’histoire
de
Waste
Management, car son groupe dirigeant
est resté actif jusqu’à peu, est une invitation à remettre l’entrepreneur au
Waste Management
New York
Groupe créé en 1968, introduit en bourse en 1971
Originaire de Chicago, repris en 1998 par USA Waste, Houston
Chiffre d’affaires 2001, $ 11,32 milliards
Déchets
collecte, stockage, mise en décharge
déchets chimiques
Cogénération, production d’énergie
Traitement des eaux usées
centre de l’entreprise, avant qu’elle ne
devienne une grande organisation,
structurée en départements et en divisions.
Troisièmement, cette lecture à grain
fin permet aussi de rappeler, ce qui peut
Chiffre d’affaires en milliards de dollars : 1980 $ 0,500 ; 1985 $ 1,63 ;
1990 $ 6,03 ; 1995 $ 10,4 ; 1998 (fusion) $ 12,6.
être oublié dans une lecture « stratégique », que le développement de ces
firmes relève aussi de celui de réseaux
techniques, ici des décharges et des
Waste Management (1) est aujour-
Premièrement, cette firme est un
routes. La qualité des premières, l’opti-
d’hui le numéro un mondial indiscutable
témoin capital d’une histoire de secteur
misation des secondes, déterminent lar-
du secteur des déchets, tant par son
différente de notre vision continentale.
gement la productivité. De sorte qu’il
chiffre d’affaires (11,5 milliards de dol-
Elle nous invite à sortir d’une lecture ins-
faut équilibrer l’histoire de la croissance
lars) que par son offre complète sur les
titutionnelle stable, héritée de notre his-
lue trop souvent par le jeu des fusions et
différents segments de cette industrie :
toire politique et publique, pour y intro-
acquisitions, par le rappel des politiques
ramassage, stockage, mise en déchar-
duire le mouvement. Ce fut ainsi depuis
industrielles. Elles expliquent beaucoup
ge, traitement des déchets solides, chi-
les origines, que l’on soit en phase de
sur le long terme. Les équipes diri-
miques, toxiques, nucléaires. Cette his-
consolidation ou de réorganisation.
geantes leur accordent plus ou moins
toire est significative d’un quadruple
Cette industrie américaine des déchets
d’importance et cette variable entraîne
point de vue dans notre projet d’étude
bouge en permanence et une firme
des différences entre des firmes et pour
des entreprises de réseaux urbains.
comme Waste Management, bien que
une même firme entre différentes
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Waste
téressèrent à l’enlèvement des déchets
implantée dans le West side de
Management est exemplaire de ce point
périodes (2).
L’histoire
de
des marchés. Harm Huizenga commen-
Chicago, qui partage une culture du tra-
de vue.
ce avec un seul attelage. Il se dévelop-
vail. Cette industrie reste alors une
pe, étend son affaire, toujours dans sa
industrie de main-d’œuvre. Les pre-
Quatrièmement, le secteur des
communauté hollandaise de Chicago.
miers
déchets est une manière forte de réaffir-
Après la première guerre mondiale,
« Dempster Dumpers » avaient certes
camions
de
ramassage
mer combien les marchés de services
dans les années 1920, il passe aux
fait leur apparition vers 1934 mais ils
publics sont bien le produit d’une action
camions
n’étaient pas encore généralisés. Les
interdépendante
« Huizenga
entre
des
règles
qui
portent
&
la
marque
Private
entreprises privées sont de petite taille,
publiques et des stratégies de firmes.
Scavengers ». Son second fils, Tom, tra-
Son,
familiales et elles sont minoritaires dans
L’action publique a été déterminante à
vaille avec lui.
un secteur qui reste largement dominé
deux moments. À la fin des années
par les services municipaux, au même
1960, les premières réglementations qui
À cette même époque, Tom crée sa
titre que la police ou les pompiers ; cette
durcissent les normes en matière de
propre affaire, Ace Scavenger Services
industrie est donc encore totalement
décharges ont contribué à faire le mar-
(Ace). Puis dans les années 1930, il
fragmentée en plus de 10 000 unités ;
ché pour les plus grandes firmes qui
s’associe à d’autres hollandais pour
les décharges, nommées sanitary land-
avaient compris l’importance straté-
créer Chicago & Suburban (C&S). Ace
fills depuis les années 1930, n’ont de
gique des décharges sanitaires. Mais
est
sanitary que le nom (4).
une
entreprise
familiale.
Tom
trente ans plus tard, ce sont des
emploie son frère aîné comme comp-
normes plus strictes qui déstabilisent
table et son jeune frère Pete gère les
les deux géants, WM et Browning Ferris
routes. Plus tard, pendant la seconde
industrie atteint un seuil. Jacobson
Industries, qu’elles avaient contribués à
guerre mondiale, Pete crée lui aussi sa
comme Melosi donnent les signes de ce
former. Ici le marché est une construc-
propre
changement.
tion complexe dans laquelle se combi-
Services, en reprenant quelques routes
nent des technologies, des institutions,
à son frère. Il commence avec un
des règles et des acteurs. Cette vision
camion et rapidement en exploite une
- des camions compresseurs per-
réhabilite donc le rôle de la puissance
demi douzaine. Pendant la seconde
mettent de doubler la charge et rédui-
publique face à l’automatisme « déjà
guerre mondiale en 1943, Tom continue
sent les coûts de transport. C’est une
donné » des marchés.
entreprise,
Arrow
Disposal
Au milieu des années 1950, cette
- des arrêtés municipaux interdisent
progressivement les camions ouverts ;
à se développer et rachète une autre
nécessité dans la mesure où les sites de
entreprise. Après sa mort en 1945, sa
décharge deviennent plus distants au
femme
fur et à mesure que les villes s’éten-
Les origines : éboueurs et proto
industrie
appartenant à Ace à un beau-frère qui
crée Metro Scavenger Services. Au
- différentes techniques de ramas-
En 1893, un émigrant hollandais,
début des années 1950, les Huizenga
sage conduisent à diminuer le nombre
revendra
quelques
routes
Harm Huizenga arrive à Chicago et
forment
commence à travailler dans le transport
Partenership » entre leurs sociétés, Ace,
un
partenariat
« Ace
des déchets, à 1,25 dollars par charret-
Arrow, Metro, C&S, et une autre famille
te (3). Une communauté hollandaise,
dutch-american, C. Grott & Sons.
des ouvriers nécessaires, de quatre à
deux par camion ;
- la technique de couverture rapide
des décharges avec de la terre se géné-
souvent calviniste, s’était installée dans
ralise, mais elle augmente les coûts.
le « mid-west » du Michigan ; ces agri-
Les origines de Waste Management
culteurs vendaient leurs produits sur les
puisent donc dans cette communauté
marchés de la ville et de là certains s’in-
hollandaise-américaine,
108
dent ;
très
unie,
À la même époque, un certain Dean
Buntrock arrive à Chicago, la ville du
Portrait d’entreprise
nouveau maire Richard J. Daley (5). Il a
bourse de 1971. Une structure se met
risations municipales nécessaires pour
en poche un diplôme d’une université
en place autour des pièces suivantes :
devenir une décharge ; elle va jouer un
du Minnesota, un État où son père fut
des filiales en d’autres États, le contrôle
rôle clef dans l’histoire de WM, sous le
maire d’une petite ville pendant 25 ans.
des décharges, une organisation natio-
nom de CID. Pour monter cette opéra-
Il épouse Betty Joane Huizenga en
nale.
tion, Buntrock s’associe à d’autres
1956. Et c’est ainsi qu’un jeune homme
de 25 ans, élevé dans une famille luthé-
entrepreneurs, dont un certain Larry
« d’Ace
Beck que l’on retrouvera plus tard. À
rienne d’origine norvégienne (sa mère)
Partnership » il reprend d’abord des
Par
l’intermédiaire
cette époque les réglementations sont
et allemande (son père), allait entrer
routes à Milwaukee exploitées par un
encore peu contraignantes mais ils se
dans une famille hollandaise calviniste
compatriote des Huizenga et sa société
rendent compte que la capacité de mise
totalement impliquée dans l’industrie
Acme Disposal. La ville est en plein
en décharge représente la clef du déve-
des déchets.
essor et la société se développe. Le
loppement. Acme exploite soigneuse-
management se réduit alors à sa plus
ment sa décharge en respectant le voi-
simple expression : Buntrock et le direc-
sinage. Ces expériences fondent une
des trois fils de Harm
teur d’Acme. Ils étudient dans le détail
doctrine simple : « tout nouveau site sert
Huizenga ne restait plus que l’aîné et se
chaque route, ses coûts, ses recettes.
à stocker des déchets et à construire
Un an plus tôt, en 1955, Pete était
décédé ;
posait un problème de pilotage de leurs
En 1963, le syndicat des Teamsters
une réputation » (Jacobson, p. 85). En
affaires.
organise tous les salariés et Acme
1969, la ville de Milwaukee abandonne
En
octobre
1956,
Dean
Buntrock rentre comme salarié chez
devient la première entreprise du sec-
un projet d’incinérateur ; Acme soumis-
Ace Scavenger avec un salaire inférieur
teur avec un tel syndicat. Ceci va avoir
sionne, reprend l’équipement et trans-
à celui des chauffeurs. Il apprend le
deux conséquences. Premièrement,
forme les installations en station de
métier sur le tas, directement avec les
cela contribue à cet argument récurrent
transfert. La société se développe plus
chauffeurs. C’est un point très impor-
des liens entre l’organisation du crime
vite qu’Ace à Chicago ; elle compte
tant car pendant très longtemps la cul-
de la région de Chicago et la compa-
alors 30 camions.
ture de la base, le camion « comme
gnie. Deuxièmement, le renchérisse-
centre de profit ultime », sera une carac-
ment des coûts de main-d’œuvre incite
Au milieu des années 1960, va se
téristique
Waste
à une efficacité plus grande. Acme
présenter une opportunité en Floride,
Management. À cette époque, la struc-
de
l’esprit
passe à un seul chauffeur-ripeur ; les
bien loin de la région des grands lacs. À
ture de coordination « Ace Partnership »
premiers conteneurs sont introduits.
nouveau, il faut se référer à l’histoire des
gérait quinze routes. Arrow Disposal
gérait deux camions.
La création d’un groupe familial
Huizenga. Harm Huizenga, le fondateur,
En 1967, ils ont l’opportunité d’avoir
avait eu un fils d’un second mariage,
leur propre décharge dans une ancien-
Harry, qui s’était installé en Floride. Il a
ne carrière dans le Wisconsin ; ils
eu lui-même deux enfants dont un fils,
signent un contrat de dix ans. Cette
Wayne. À son retour de l’armée vers
Assez rapidement, Dean Buntrock
opération vient renforcer une autre
1957, Wayne rentre à son tour dans le
comprend que le secteur des déchets
extension à Chicago, où dès 1955, un
business des déchets en travaillant pour
se trouve à un tournant, que les possi-
des fils Huizenga avait acquis une car-
un ami de la famille qui a une affaire à
bilités de développement sont grandes
rière en un lieu qui deviendra célèbre
Fort Lauderdale. Deux ans plus tard, il
mais qu’il faut dépasser la dimension
dans l’industrie du déchets : Calumet
se met à son compte, rachète un vieux
locale, sortir du quartier et de la parois-
Drive. Plus tard, Buntrock négocie
camion ouvert et une affaire de ramas-
se. Ce sera son action au long des
l’achat d’une parcelle adjacente de
sage ; il développe son affaire, acquiert
années 1960, jusqu’à l’introduction en
grande taille ; l’ensemble reçoit les auto-
quelques camions ; on est en 1961. En
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1962, Wayne rachète les routes de l’ami
futures réglementations publiques et elle
capitales. Pour être crédible et réussir
de la famille. La Floride est en pleine
communique avec le grand public sur
une introduction en bourse, il faut se
croissance et il se développe soit en
des questions sensibles, comme la
conformer à des standards et faire appel
reprenant d’autres compagnies, soit en
question
à un grand cabinet de la place. Il faut
soumissionnant pour des contrats
décharges.
de
la
localisation
des
municipaux. Rapidement ses camions
circulent
dans
tout
l’État :
Fort
Lauderdale, Tampa, Miami, Key West.
aussi développer des méthodes d’évaluation fiables des firmes à acquérir, en
Le groupe va poursuivre son déve-
déterminer la valeur. C’est à cette
loppement dans ces deux directions : le
époque que deux hommes d’Arthur
contrôle des décharges (maillon straté-
Andersen
L’expérience de Wayne, son neveu,
gique) et la consolidation. Mais pour
Management ; les liens avec le cabinet
permet à Buntrock de comparer les
cela il fallait des capitaux. Toutes ces
vont se maintenir pendant 30 ans.
marchés entre différentes régions. Il tra-
entreprises familiales, qui pouvaient être
vaille avec Ace dans une zone à crois-
acquises, étaient souvent endettées et
L’ossature est donc mise en place
sance régulière et ajoute un camion par
avaient une gestion approximative. Il fal-
en ce début des années 1970 mais
an. En Floride, la croissance est très
lait donc passer à une nouvelle organi-
Waste Management reste bien encore
forte, la concurrence tout autant, et
sation. En 1968, Browning Ferris
une firme familiale. Son management
Wayne ajoute trois à quatre camions par
Industries (BFI) donne l’exemple en
comprend six personnes en tout :
an. Sur le papier, leurs intérêts sont
réussissant son introduction en bourse
Buntrock, un directeur des exploita-
complémentaires et forment surtout la
avec pour projet de former un groupe
tions, un chef comptable, un respon-
base d’une entreprise d’envergure
d’envergure nationale.
sable financier, un secrétaire général et
nationale. L’occasion se présente en
1965 lorsque Wayne divorce. Sa belle
rejoignent
Waste
la secrétaire en chef. On est bien loin de
Waste Management Inc. est fondée
la grande firme à structure multidivision-
famille veut se retirer de ses affaires ;
cette même année 1968 à partir des
nelle décrite par A. Chandler, apparue
Buntrock reprend leurs parts et acquiert
pièces de l’héritage Huizenga et d’autres
entre la fin du XIXe siècle et les années
16 % de Wayne et de son père. On
apports : Ace, Acme, Southern, CID et
1920. L’industrie des déchets reste bien
mentionnera que ce montage est mis
Atlas. Les fondateurs, à parts égales,
une proto-industrie, un marché nou-
sur pied par Peter Huizenga, alors jeune
sont Dean Buntrock, Wayne Huizenga et
veau, un territoire en friche à organiser
avocat, qui est le fils de Pete, le fonda-
Larry Beck (Atlas). Le groupe déplace
et à développer. Comme le souligne
teur de Arrow Disposal en 1943 et
son siège de Cicero à Oak Brook
Jacobson, dans son livre, aucun n’avait
décédé un an avant l’entrée de
(Illinois) ; il le conservera jusque 1998. La
l’expérience du management d’une
Buntrock dans le clan Huizenga.
nouvelle société a pour objet de coor-
grande organisation, aucun n’avait fait
donner toutes ces sociétés indépen-
d’études
Parallèlement, Buntrock participe
dantes, de se développer jusqu’à 10 mil-
(p. 108). Pourtant, c’est cette poignée
activement à la constitution d’une asso-
lions de dollars, considérés alors
d’hommes (et une femme) qui en moins
supérieures
en
gestion
ciation nationale, la National Solid
comme le seuil d’une introduction en
de 20 ans, vont édifier le premier grou-
Waste Management Association. Elle
bourse. Un autre défi est d’introduire de
pe mondial de déchets.
est créée en 1962 ; il en prend la prési-
la rigueur comptable. Dans cette indus-
dence. Sa première grande activité va
trie, les comptes étaient parfois tenus de
être de participer aux auditions dans le
manière sommaire par enregistrement
cadre du National Solid Waste Disposal
des flux d’entrée-sortie sans vision de
Act de 1965. Par ailleurs, elle diffuse
long terme, ni amortissement et gestion
des informations à ses membres sur les
de la dette. Or ces questions deviennent
110
En bourse : roll-up game et
diversification technique
Au
printemps
1971,
Waste
Management obtient son premier crédit
Portrait d’entreprise
important de 6 millions de dollars ; les
Dans un marché très fragmenté, le
PME locales dans les procédures d’une
actifs des entreprises constitutives ne
véritable problème était de savoir sélec-
organisation plus grande et appliquant
dépassent pas alors 3 millions. Sur cette
tionner en fonction de la qualité des
d’autres
base, en juin 1971, Waste Management
actifs, du potentiel de croissance, de la
toute cette mécanique d’acquisition se
est introduit en bourse à une valeur de
qualité des hommes car très souvent les
fait à partir de titres et repose sur un dif-
16 dollars par titre. L’opération permet
équipes de direction restent en place,
férentiel de PER favorable à l’acquéreur,
de lever 4 millions de dollars environ.
l’entreprise conserve son nom et la cou-
mais que se passe-t-il en cas de réces-
Cette opération apporte du cash et une
leur de ses camions. Duntrock et
sion ? C’est ce qui arrive en 1974 avec
crédibilité. L’expansion du groupe chan-
Huizenga s’appuient au début sur des
la première crise pétrolière. Les marchés
ge d’échelle.
personnes qu’ils connaissent, en qui ils
boursiers plongent et le secteur des
ont confiance. Leurs premières acquisi-
déchets ne fait pas exception. Au début
The roll-up game
tions se font en Illinois et autour : terri-
de 1973, l’action WM valait 32 dollars, à
normes ?
Deuxièmement,
Dès la première année WM intègre
toires familiers de l’héritage Huizenga.
la fin de 1974, au point le plus bas, le
une vingtaine de sociétés et des filiales
Mais la taille du marché pose d’autres
titre cotait 4 dollars 3/8. On imagine
qui interviennent sur les marchés de
défis. Comment être informé aussi bien
sans peine les conséquences pour ces
l’Illinois, de l’Indiana, du Ohio, du
d’une affaire dans le Kansas, d’une
petits entrepreneurs qui avaient apporté
Wisconsin, du Minnesota et de la
autre en Louisiane et d’une troisième en
leur entreprise, œuvre de toute une vie,
Floride. À la fin de 1971, le chiffre d’af-
Californie ? Le groupe va devoir mettre
parfois de plusieurs générations et qui
faires est de 17 millions de dollars,
au point de nouvelles méthodes.
14 000 clients industriels et commerciaux, 40 000 clients particuliers dans
six États.
se retrouvaient du jour au lendemain
avec une division par six ou sept de ce
Toutes ces acquisitions se font alors
patrimoine !
par échanges de titres. Ils achètent des
entreprises en déterminant la valeur de
Ce krach va avoir deux consé-
En 1972, la croissance s’accélère ;
l’action entre 10 et 20 fois les profits
quences.
dans les premiers mois de l’année, 133
tandis qu’à l’époque le cours de WM,
(Security Exchange Commission) dili-
entreprises de petite taille sont inté-
comme celui de BFI, tournait autour
gente une enquête sur une centaine
grées. La progression est significative :
d’un PER à 50-60 (6). L’entreprise
d’acquisitions faites par le groupe. Elle
82 millions de chiffre d’affaires, 60 000
absorbée était payée en titres WM. D’où
ne mettra en lumière que des entorses
Premièrement,
la
SEC
clients industriels et commerçiaux,
l’importance de se trouver dans un mar-
mineures : quelques contributions à des
600 000 particuliers dans 19 États (op.
ché en croissance avec une firme bien
campagnes politiques payées en cash
cité. p. 114). Jacobson a ce commen-
valorisée par les marchés. C’est ce que
dans l’État de Floride. Deuxièmement,
taire « c’était beaucoup par rapport aux
l’on appelle le roll-up game, ou le jeu de
cela oblige le groupe a être plus vigilant
standards en vigueur mais dans un mar-
la consolidation (7). Plus tard d’autres
dans ses critères de sélection. Sont
ché comme celui des États-Unis cela
firmes comme US Filters vont s’y enga-
mises au point des méthodes comp-
donnait simplement la mesure de ce qui
ger. C’est une technique qui permet de
tables et de contrôle budgétaire avec le
restait à accomplir pour devenir un
concentrer rapidement une industrie
suivi des mouvements « cash », les
groupe national » (p. 122). Il confie aussi
fragmentée et elle peut apporter à ses
amortissements et les budgets annuels.
qu’au moment de l’introduction en
promoteurs des plus values élevées.
Le groupe va mettre en place des pro-
bourse Buntrock « avait en tête de for-
cédures de reporting : des rapports
mer une entreprise de 100 millions de
Cette très rapide croissance pose
dollars d’activités tandis que BFI parlait
premièrement, un problème de mana-
permettent de suivre les recettes au
d’un milliard » (p. 112).
gement : comment intégrer toutes ces
niveau de chaque exploitation. Il fait très
mensuels et trimestriels très détaillés qui
111
Flux n° 48/49 Avril - Septembre 2002
tôt l’acquisition d’un système informa-
devant BFI, le rival de toujours, et
quences capitales. Un très grand
tique. Est mis au point un « route audit »
devient le numéro un.
nombre de décharges, qui ne peuvent
La diversification technique
être fermées. La décharge devient le
qui permet de descendre au niveau du
camion. Le groupe recrute aussi un
satisfaire aux nouvelles normes, doivent
juriste pour suivre les opérations en
L’expansion s’explique aussi car le
maillon stratégique de toute l’industrie.
interne. Cette fonction ne va pas cesser
secteur des déchets rentre alors dans
Le « Subtitle C » de cette même loi
de prendre de l’importance, avec la
une nouvelle étape (8) et WM a su anti-
engage un programme sur les déchets
constitution d’un département, reflétant
ciper sur ces transformations. En 1965,
dangereux (hazardous). Le texte liste
le développement d’un système de
l’administration américaine promulgue
des types de déchets, établit 4 critères
régulation étendu. Cette juridicisation de
un premier texte (voir encadré) qui
de toxicité. En 1979, l’Agence estimait
l’activité, se poursuivra dans les années
témoigne d’un changement d’état d’es-
qu’entre 10 et 15 % de la production
1980.
prit de la société américaine à l’encontre
totale de déchets était « dangereuse ».
des déchets et amorce une transforma-
Le Congrès va confirmer le RCRA en
En 1974, le chiffre d’affaires est de
tion en profondeur du secteur. Melosi a
novembre 1984 et ouvrir un nouveau
158 millions de dollars dont 80 % dans
résumé cela sous la formule — the Solid
« front » en direction des eaux usées.
la collecte, le reste dans le traitement ;
Waste as a Third Pollution — pour signi-
L’EPA, subventionne très largement la
toutes les activités dans les déchets
fier que les experts se saisissent de la
construction d’usines de traitement.
dangereux n’existent pas. Le groupe va
question des déchets, comme l’avaient
se développer sur cet axe de croissan-
fait les réformateurs urbains un siècle
WM va être portée par ce dévelop-
ce externe pendant toutes les années
plus tôt pour l’eau potable et le traite-
pement du marché issu des réglemen-
1980. L’évolution du chiffre d’affaires
ment des eaux usées. Avec retard, les
tations fédérales. Au début des années
porte
principales
déchets rentrent dans la modernité. Les
1970, ses compétences techniques
acquisitions (voir tableau). Dans cette
véritables changements viendront dans
demeurent embryonnaires. Le groupe
histoire où les acquisitions sont nom-
la seconde moitié des années 1970. La
peut juste s’appuyer sur son expérience
breuses, nous retiendrons quatre faits
force de Buntrock est d’avoir saisi très
dans la grande décharge de Calumet.
significatifs :
rapidement, tout en mettant en place
En 1973, il s’associe à un ingénieur
- la filiale qui regroupe toutes les
une organisation, que le monde des
géologue qui avait créé une société de
activités de ramassage et de mise en
déchets tournait définitivement une
conseil ayant participé à la conception
témoignage
des
décharge sanitaire en Amérique du
page. Le secteur devenait plus tech-
d’environ 120 décharges dans tout le
Nord est créée en 1981, Waste
nique, plus réglementé. On passait des
pays. Des ingénieurs sont recrutés ; ils
Management of North America ;
ramasseurs de poubelles à une véritable
viennent s’insérer dans un monde de
industrie, ce qui supposait de se posi-
garbage men. Un laboratoire est créé à
- la barre du milliard de dollars d’activité est franchie en 1983 et celle des
tionner sur ces segments techniques.
10 milliards en 1995 ;
Calumet en 1975. Ce sera la base pour
former Chemical Waste Management.
- Wayne Huizenga quitte le groupe
Le RCRA (voir encadré) va être la
Les normes se renforcent, mais la loi
vers 1984 pour développer ses propres
base juridique de transformation du
prévoit une période transitoire ; ce sera
affaires en Floride autour du groupe
secteur. Le « Subtitle B » de cette loi,
la chance du groupe.
Republic Industries Inc. ;
donne
mandat
à
l’Environment
- À la même époque l’acquisition
Protection Agency (EPA) de définir des
Pour exploiter une décharge de
majeure de Service Corporation of
critères de mise en décharge. Ce travail,
déchets toxiques, il faut un permis B
America, le troisième groupe du pays
d’abord méthodologique, puis d’ingé-
soumis à une procédure d’enquête qui
donne le leadership à WM. Il passe
nierie sur les sites, va avoir des consé-
peut durer entre 5 et 10 ans. Entre
112
Portrait d’entreprise
Les principaux textes organisateurs de l’industrie des déchets, 1965-1980
déchets toxiques. Combiné à son
métier traditionnel, dans la collecte, le
stockage et la mise en décharge sani-
Solid Waste Disposal Act.
L’administration subventionne des projets pilotes de collecte, de
stockage et de traitement des déchets. En 1969, selon Melosi,
$ 9 millions avaient été attribués.
taire, il est en mesure de proposer une
1970
Resource Recovery Act, plus cible sur le recyclage, il prolonge le
texte de 1965.
métier traditionnel pour aborder le traite-
1970
Création de l’Environment Protection Agency, EPA.
l’eau potable, la cogénération et la pro-
1973
Clean Water Act qui traite de la question des rejets polluants.
1965
offre globale aux collectivités et aux
industriels. En outre, avec l’acquisition
de Wheelabrator, le groupe sort de son
ment des eaux usées, voire celui de
duction d’énergie. Waste Management,
à la fin des années 1990, se positionne
1976
1980
RCRA, Resource Conservation & Recovery Act
Toxic Substance Control Act.
Le premier est un texte général qui porte sur les déchets urbains
et dangereux, le second, traite des déchets chimiques. Le
Congrès va confirmer le RCRA en novembre 1984.
comme un grand groupe d’infrastruc-
CERCLA, the Comprehensive Environmental Response,
Compensation & Liability Act, connu sous le nom de Superfund.
Il donne à EPA la responsabilité et les financements pour
réhabiliter les sites toxiques abandonnés.
1992, le point haut
tures qui commence à sortir de son
approche sectorielle.
Dans l’histoire du groupe, l’année
1992 est une borne importante. À cette
époque WM est le numéro un mondial
temps, ces sites peuvent fonctionner
Avec l’entrée en application des per-
indisputé, apprécié des analystes, envié
avec un statut provisoire : un permis A.
mis B, à partir de novembre 1980, les
par ses concurrents et leader dans de
Les textes prévoient qu’en novembre
exigences et les mesures vont augmen-
nombreux segments. Le chiffre d’af-
1980 tous les sites en exploitation doi-
ter ; le groupe développe un réseau de
faires est de 8,7 milliards de dollars (soit
vent se conformer au permis B. Ce qui
laboratoires régionaux. Le programme
42 milliards de francs), il génère un
revient à dire que tous les sites qui obte-
du Superfund ouvre, à partir de 1980, le
bénéfice de 3,4 milliards de francs ; le
naient un permis A avaient devant eux
marché de la réhabilitation des sites
groupe emploie 64 000 salariés ; rappe-
un horizon de cinq à dix ans. Le groupe
toxiques abandonnés. Le groupe crée
lons qu’à l’époque les filiales respec-
se positionne sur ce marché pour
Environmental Remedial Action Division.
tives de la CGE et de La Lyonnaise font
implanter un réseau de décharges chi-
En 1983, il fait l’acquisition de Chem-
autour de 5/6 milliards d’activité. Il est
miques. Toute la profession fait la même
Nuclear Systems, pour intervenir sur les
organisé en 900 divisions opération-
chose ; les décisions doivent se prendre
pollutions nucléaires, à faible radioactivi-
nelles présentes dans 48 États et 24
vite ; les études techniques ne sont pas
té.
Waste
pays étrangers. La direction envisage
toujours approfondies ce qui explique
Management est introduite en bourse.
de poursuivre dans cette ligne de crois-
quelques problèmes futurs. En 1976,
Un an plus tard, le groupe rentre au
sance et pour symboliser les temps
cette activité ne dépassait pas 1,5 mil-
capital de Wheelabrator qui est un
nouveaux qui se profilent et la prise en
lions de dollars. Un an plus tard elle est
constructeur d’unité d’incinération de
compte de la dimension technique de
de 10 millions. Au début des années
déchets et qui contrôle un ingénieriste
ces marchés de « poubelles, dumps
1980, grâce aux décharges à permis
du secteur : Rust International. En dix
and trash », elle crée une nouvelle struc-
intérimaires elle atteint 100 millions de
ans, environ, le groupe a développé une
ture, WMX Technologies qui coiffe
dollars.
offre qui couvre toutes les formes de
toutes les filiales.
En
1986,
Chemical
113
Flux n° 48/49 Avril - Septembre 2002
Waste Management domine le sec-
- Rust International a été renforcée
Kong entre en service ; des projets sont
teur mondial des déchets d’une bonne
en 1992 par des apports de trois socié-
en cours à Taïwan et en Indonésie (12).
tête, mais les critiques commencent à
tés du groupe, WMNA, Chem Waste et
Par l’intermédiaire de sa filiale Suédoise,
poindre. Les prévisions ne se réaliseront
Wheelabrator, pour offrir des services
le groupe s’implante en Espagne et
pas. Ce qui était conçu comme une
de dépollution aux industriels. C’est une
vient chasser sur les terres de FCC (un
étape significative va ressortir rétros-
société d’ingénierie qui peut faire de
grand de la construction, propriété des
pectivement comme un point haut.
l’exploitation sur site ;
soeurs Koplowitz).
- Waste Management International
WMX fonctionne alors comme une
(WMI) est aussi une création de 1992
Aux États-Unis commence le temps
holding qui contrôle plusieurs filiales
qui témoigne des nouvelles ambitions.
des critiques ; elles ne cesseront plus
commandant elles mêmes différentes
Examinons cette stratégie internationale
jusqu’à la fusion avec USA Waste. Elles
activités (9) :
plus en détail car c’est ce qui fait
ont alors trois origines. Premièrement, le
connaître le groupe en Europe.
groupe ou ses filiales se trouvent, à plu-
-
Waste
Management
North
America (WMNA) est en charge des
sieurs reprises, condamnés par l’admi-
déchets solides (ménagers) et du traite-
En avril 1992, Waste Management
nistration pour le non-respect des
ment en Amérique du Nord. Cette filiale
autonomise son département interna-
normes de traitement (mise en déchar-
correspond à l’activité historique du
tional (existant depuis 1976 et l’opéra-
ge, ou incinération). Est-ce le produit de
groupe. Elle génère alors 80 % de l’acti-
tion de Riad) pour former WMI et intro-
pratiques réellement frauduleuses, ou
vité du groupe, elle emploie 30 000
duit 20 % de son capital à la bourse de
d’un renforcement des normes qui pose
salariés, sert 12 millions de clients parti-
Londres. Le département international
des problèmes d’adaptation pour des
culiers et 1 million d’industriels, elle
se trouve alors sur une trajectoire expo-
équipements mis en place à une autre
exploite 130 décharges ;
nentielle. Son chiffre d’affaires en
période ? C’est une question objective-
- Chemical Waste Management
Europe est passé en moins de 2 ans (de
ment
(CWM) représente une diversification
1990 à fin 1991) de $ 50 millions à plus
Deuxièmement, il fait l’objet d’une mise
dans les déchets dangereux. Elle comp-
de $ 700 millions (10). Cette opération
en accusation par un juge de Californie.
te alors 25 000 clients, 11 400 salariés,
avait été précédée quelque temps plus
Troisièmement, Greenpeace relaie et
elle gère 7 décharges spécialisées pour
tôt par un partenariat avec le groupe de
amplifie toutes ces accusations par une
les déchets toxiques, 17 incinérateurs
l’eau Wessex Water qui se concrétise
campagne menée aux États-Unis et en
Europe. Voyons cela plus en détail.
ou équipements de traitement. Sa filiale,
sous une double forme. Le groupe amé-
Chem-Nuclear Systems possède un
ricain prend une participation de
difficile
à
documenter (13).
équipement de traitement des déchets
14,99 % au capital du distributeur
CWM est condamnée pour le non
nucléaires, à faible radioactivité, à l’est
d’eau. Les deux créent une joint ventu-
respect des normes du Superfund. La
du Mississipi. Elle a mis au point plu-
re qui acquiert aussitôt la filiale déchets
firme accepte à l’amiable une amende
sieurs technologies de traitement ;
du groupe de construction Georges
de $ 11,6m qui fait suite à des condam-
- Wheelabrator Technologies Inc (WTI)
Wimpey, alors la 6ème compagnie du
nations analogues pour les années pas-
a été acheté plus récemment pour accé-
secteur (11). Cette année sera faste
sées : $ 8,1m en 1991, $ 5,4m en
der au marché de la cogénération, waste-
pour WMI. Elle réalise 25 acquisitions
1990 (14). Les sommes ne sont peut-
to-energy. Cette filiale, à 58 %, gère 14
(Waste Management fait son marché en
être pas conséquentes en regard des
unités qui ont une capacité de 585 MWH
Europe) ; le chiffre d’affaires passe de
résultats globaux du groupe, mais elles
d’électricité ; ce mini groupe a aussi la
£ 607 à £ 817 millions de 1991 à 1992
vont accréditer une équation entre la
maîtrise de technologies de traitement de
et il poursuivra l’année suivante à £ 941
firme de déchets et la pollution, équa-
l’air et de traitement des eaux usées ;
millions. La décharge géante à Hong
tion terriblement destructrice pour son
114
Portrait d’entreprise
image. Les problèmes, rencontrés par la
Greenpeace mène une campagne et
une réaction. Ici l’idée de « modèle », se
filiale de traitement des déchets dange-
« avertit les investisseurs des pratiques
définissant comme un ensemble struc-
reux, ne sont que les premiers d’une
dangereuses du groupe » (18). La pres-
turé autour de certaines institutions —
longue série. Au quatrième trimestre de
se s’empare des informations. On
des
1993, CWM doit annoncer une baisse
apprend que le groupe a payé une
publiques —, stable dans le temps et
du dividende, des réductions d’un cin-
amende de $ 1,9m pour des opérations
doté de capacité de reproduction, trou-
quième des effectifs et passer en écritu-
concernant un incinérateur en Illinois.
ve tout son sens. L’arrivée du géant fait
re des provisions pour des sur-valeurs
Business Week mentionne que pour un
figure de menace ; il est beaucoup plus
concernant des incinérateurs (15). Cette
incinérateur de Chicago, CWM a admis
grand, affiche alors des bénéfices
baisse de performance résulte des
avoir coupé les équipements de contrô-
somptueux et sa politique de diversifica-
firmes
et
des
institutions
charges liées à l’acquisition de Rust
le de la pollution conduisant à introduire
tion le conduit à rentrer d’abord sur le
International, mais surtout à des sur-
des plastiques (PCB) en excès dans l’in-
marché des eaux usées et pourquoi pas
capacités de ses incinérateurs géants
cinérateur (19). Les actions du groupe
au-delà ? D’ailleurs, le directeur du
qui sont la conséquence pour partie
chutent de 20 % depuis leur sommet de
groupe pour la France annonce en
d’un changement de comportement
février 1992 ($ 46,6 à comparer aux
1994, au plus fort de la « bataille des
des industriels. Dans l’État de Californie
$ 3,41 de 1984).
poubelles » (25) son intention d’entrer
qui a adopté des textes incitatifs au
recyclage, les volumes de déchets ont
dans le marché de l’eau potable.
Cette année 1992 est aussi celle de
baissé de 30 % entre 1987 et 1990 et ils
l’entrée en France. Au printemps, WM
Alors le « modèle » réagit ; il mobilise
continuent sur ce trend (16). Dans le
rachète la Spatt, une petite société
ses défenses comme un être biolo-
pays, de très grands producteurs de
familiale
(famille
gique. Les deux grands groupes ont un
déchets dangereux (hazardous) annon-
Laborde) (20). Il approche également, et
œil plus attentif sur les PME qui seraient
cent des baisses de volumes de l’ordre
c’est plus sérieux, le groupe Nicollin,
tentées de se vendre au nouvel entrant.
de 50 %.
troisième entreprise de ramassage (21).
Les critiques contre un groupe que per-
À l’automne, il annonce un accord avec
sonne ne connaissait alors sont diffu-
la SAE-Fougerolle qui vise à créer une
sées là où il faut et la presse reprend ;
(Cal.) conduit une investigation sur les
société de collecte et d’élimination des
les maires entendent parler du groupe
pratiques du groupe et produit un rap-
déchets ; soumis à l’approbation de la
de Chicago. À l’occasion de la présen-
Le District Attorney de San Diego
de
traitement
port qui qualifie de « crimes » une série
Commission européenne il ne sera pas
tation du rapport parlementaire du
de pratiques allant de politiques tari-
remis en cause (22). Quand on sait que
député UDF, François d’Aubert, « sur les
faires, à la mise en décharge de déchets
la Compagnie Générale des Eaux,
tentatives de pénétration de la Mafia en
toxiques. La presse mentionne qu’une
actionnaire minoritaire de Fougerolle, se
France »,
partie des critiques concerne des accu-
trouve, malgré elle, indirectement impli-
déchets/Waste Management/Mafia. Le
sations passées concernant des liens
quée dans cette opération, on mesure
quotidien économique Les Échos (26)
la
presse
associe
de certaines filiales avec le crime organi-
les réactions dans l’establishment fran-
titre ainsi « Waste Management épinglé
sé (17). Au Mexique voisin, le groupe se
çais (23). Enfin, en novembre, le groupe
dans le rapport sur la Mafia » et cite
trouve accusé par la presse écono-
acquiert une participation majoritaire
abondamment des passages du rap-
mique d’utiliser des technologies inter-
dans Environnement Services SA, une
port où sont repris les arguments déjà
dites aux États-Unis.
entreprise de ramassage qui appartient
développés
à la famille Derichebourg (chiffre d’af-
l’Attorney de Californie. Il faut rentrer
faires de 500 millions de francs) (24).
plus dans l’article pour apprendre que
Cette arrivée va provoquer un choc et
l’accusation n’est pas nouvelle, que les
Au moment de l’introduction en
bourse
à
Londres,
l’association
par
Greenpeace
et
115
Flux n° 48/49 Avril - Septembre 2002
investigations menées aux États-Unis
situation ; les dirigeants doivent recon-
L’année suivante cette tendance se
par le FBI et la justice n’ont rien démon-
naître que le marché a effectivement
poursuit. La direction réagit en cédant
tré de probant, si ce n’est de confirmer,
changé. Les volumes de déchets dimi-
des activités qui ne sont pas centrales.
ce que l’on comprend aisément, que
nuent et des équipements de traitement
Par exemple, les activités de traitement
dans sa politique d’acquisition extensi-
calibrés sur des perspectives de crois-
des eaux usées de Wheelabrator sont
ve, le groupe dans certains États a pu
sance se retrouvent avec des surcapa-
vendues à US Filters pour $ 385m. Le
acheter des PME au passé discutable.
cités qui pèsent sur les comptes. Les
département « pâte à papier et pulpes »
Mais ce passé ne vaut pas preuve pour
normes édictées par l’administration
est cédé à une filiale de Raytheon
le présent. On apprend aussi que trois
fédérale deviennent plus précises et se
(Engineers & Construction Group) (30).
ans plus tôt, lorsque le groupe a voulu
diffusent dans tous les États, y compris
acheter Tredi (filiale de l’entreprise natio-
ceux qui avaient des réglementations
Mais les choses n’en restent pas à
nalisée EMC), les autorités françaises,
laxistes, où le groupe avait acquis des
une restructuration en douceur. En
avant d’opposer un veto, avaient dili-
décharges. Ces mises en conformité
1995, WMX va être la cible d’un petit
genté les services secrets français qui
imposent des investissements impor-
fonds d’investissement, LENS, spéciali-
n’avaient rien démontré sur cette piste
tants. Selon un expert, cité dans un
sé sur les firmes les plus mal gérées, et
« mafieuse ». Ces textes sont intéres-
article du Financial Times du 12 mars
appellé familièrement un « CEO killer »
sants car ils témoignent aussi d’une
1998, les nouvelles réglementations ont
(un tueur de PDG) (31). Ce fonds rentre
certaine ambiance politique française au
augmenté le coût d’exploitation des
dans des grandes firmes qu’il considère
plus fort des affaires.
décharges de 5 à 10 $ par tonne. Le
sous-performantes parce que mal pilo-
temps d’une croissance à deux chiffres
tées et dont le titre a fortement chuté ; il
En janvier 1993, le groupe renonce à
et d’un PER à 50/60, qui permettaient
fait pression pour obtenir des réformes
un projet d’exploitation d’un centre de
de racheter des PME, en les payant en
drastiques et lorsque le titre remonte, il
traitement des déchets industriels à
titres, est révolu. Le groupe a du mal à
se retire avec la plus value au passage.
Forbach « en raison de l’hostilité des
passer à cette nouvelle configuration de
Son tableau de chasse est alors impres-
communes concernées ». Mais il ne
marché. Son équipe dirigeante venait
sionnant. Sur ses 10 premières cibles,
renonce pas globalement. À l’automne
de l’autre période. Les temps devien-
dont
de cette même année il parvient à un
nent plus sombres.
Westinghouse, neuf ont remplacé le
accord important avec la Compagnie
American
express,
Kodak,
Chief Executive Officer. L’année suivan-
Française des Ferailles, accord qui lui
Le marché réagit et sanctionne ; le
te LENS reçoit le soutien du fonds de
donne l’accès à des sites de traitement,
cours chute autour de $ 27/action au
Georges Soros qui rentre à son tour
maillon indispensable pour tout déve-
début de 1995. WMX rachète les
dans le capital de WMX avec un inves-
loppement (27). Il poursuit par des
actions de ses filiales dans les déchets
tissement de $ 750m et les deux fonds
achats de très petites entreprises ; tout
dangereux :
et
demandent un changement de direc-
ceci finit par produire des effets et en
Rust (28). Wheelabrator annonce pru-
tion, une structure de management res-
1994 on considérait que cette activité
demment que la croissance de son pro-
serrée autour de quatre directeurs et un
se montait à 600 millions soit au même
fit ne dépassera pas 10 %. WMI réduit
recentrage autour du métier de base.
niveau que la Coved (filiale de la Saur).
Chemical
Waste
son programme d’investissement 1995
de 45 %; sa situation se dégrade ; elle
1995/1997, les difficultés
L’année 1995 ne va pas apporter de
modifications substantielles dans cette
116
Au début de 1997, les choses se
annonce des pertes (warning) contre
dégradent un peu plus. WMX annonce
des profits en hausse depuis sa cotation
une perte de $ 160m pour le 4ème tri-
à Londres en 1992 ; sa filiale suédoise a
mestre 1996. Le successeur du prési-
des problèmes avec le fisc (29).
dent fondateur, D. Buntrock, qui était en
Portrait d’entreprise
poste depuis peu, cède la place. La
de crise, ancien de Chrysler et de
Des charges « d’after care » pour des
nouvelle équipe engage un programme
Canary Wharf qui toutes deux ont
décharges étaient minorées (33).
de restructuration important :
connu des tourmentes. Quelques mois
- Elle décide de reprendre le nom
plus tard, en février 1998, l’annonce de
Au fond, les choses peuvent se
d’origine, Waste Management, celui de
provisions de $ 3,5 milliards à rapporter
résumer ainsi. À partir de 1994/1995 le
sa création en 1968 et de l’introduction
à un chiffre d’affaires de 12 milliards fait
marché devient plus difficile et deux pro-
en bourse qui symbolise les années de
l’effet d’une bombe.
succès ; exit la vision technologique
symbolisée par WMX.
blèmes se conjuguent. Premièrement, la
rentabilité chute sur le marché principal
Le réexamen des comptes sur cinq
de l’enlèvement, qui représente les deux
- L’entreprise procède au rachat de
ans, jusqu’à 1992, a conduit à revoir
tiers de toute l’activité, car il y a compé-
ses propres actions pour $ 1,7bn, à
différentes pratiques comptables discu-
tition au moment du renouvellement des
celles de Wheelabrator et à une cession
tables qui avaient masqué le ralentisse-
licences et les prix baissent. Les concur-
d’actifs pour $ 1,5bn en 2 ans.
ment des résultats et permis d’afficher
rents sont plus spécialisés par région et
- Le programme d’investissement
des résultats positifs. Comme dans le
recherchent la « densité » territoriale,
est revu à la baisse de $ 900m pour
cas d’Enron en 2001, on retrouve
c’est-à-dire une intégration maximale
l’exercice 1997 et les effectifs doivent
Arthur Andersen comme audit ; le cabi-
des différents maillons ; l’idéal à chiffre
diminuer de 1 200.
net est lié à WM depuis l’origine. Mais
d’affaires égal étant d’avoir les trajets
cette fois la mise en cause publique de
minimum sur la route d’enlèvement des
- Elle entame un retrait international
avec la cession de la participation du
l’auditeur n’aura pas lieu, quoique les
déchets et ensuite pour les mettre en
groupe dans Wessex Water (elle sera
gens de LENS pointent sa responsabili-
décharge. Les groupes anciens, comme
prise par Enron en phase de diversifica-
té : « Andersen doit de l’argent aux
Waste Management ou BFI, qui ont
tion, voir Flux n° 46), les ventes des
actionnaires » (32). Le changement se
construit leur réseau territorial dans un
actifs dans plusieurs pays dont la
fait en interne et « Arthur » nomme pour
autre contexte, étaient à l’époque moins
France, l’Autriche et l’Espagne, suivies
cette opération vérité une nouvelle équi-
sensibles à cette notion de « densité »
par la cession des activités au Canada à
pe. Les articles que nous avons men-
industrielle et dans les années 1990, ils
USA Waste Services.
tionnés détaillent largement ces pra-
paient pour une structure de réseau
tiques mais ces malversations sont
moins efficace. Deuxièmement, les poli-
Le nouveau Chief Executive, qui
assez simples. L’auditeur a certifié des
tiques de diversification et d’internatio-
vient de US Sprint, lance un audit plus
comptes dans lesquels des actifs sont
nalisation menées pour compenser le
approfondi sur les comptes qui conduit
surévalués, eu égard aux pratiques
tassement du marché principal n’appor-
à l’annonce d’une provision de $ 173m,
d’amortissement en vigueur dans la
tent pas les résultats escomptés. Au
« modeste » compte tenu de ce qui va
profession, tandis que des charges à
contraire, assez rapidement chaque
arriver, passée en écriture pour le 3ème
venir sont sous-évaluées. Par exemple,
exercice apporte son lot de prévisions à
trimestre 1997. Elle se décompose en
les camions et les containers qui sont
revoir à la baisse et la maison mère doit
survaleurs, en réserves d’assurance et
amortis respectivement sur huit et dix
monter en première ligne (racheter les
en coûts de mise aux normes de cer-
ans, l’étaient dans les comptes sur trei-
titres) pour masquer les difficultés et
taines décharges. Mais alors, sans
ze ans, conduisant à une survaleur au
soutenir les cours. C’est dans ce
aucune explication, ce CEO démission-
bilan de $ 716m. Des décharges dont
contexte qu’intervient l’action sur les
ne à l’automne 1997, ouvrant la porte à
les permis n’étaient pas renouvelés (ce
comptes. La direction cherche à gagner
toutes les spéculations : qu’aurait-il
qui relevait de la certitude), n’en res-
du temps. Elle ne peut pas se résoudre
découvert ? Le titre chute. Arrive un
taient pas moins inscrites dans les
à perdre le statut de valeur de croissan-
nouveau CEO, un homme des temps
comptes pour un peu plus longtemps.
ce qu’elle avait depuis 1971.
117
Flux n° 48/49 Avril - Septembre 2002
La fusion
Pendant que WM se débattait dans
mença à conduire un camion… en
pris le pouvoir dans la firme. Mais pour
1970, les Drury vendirent leur affaire à
faire quoi ? La solution de la faillite
BFI » (34).
n’avait pas de sens parce que l’activité
les problèmes et cherchait désespérément à maintenir son image, une
« fusée », venue de nulle part, poursuivait sa trajectoire et les deux allaient
bientôt se croiser.
d’exploitation dégageait des marges et
À partir de l’arrivée de John Drury à
la tête de USA Waste, la firme décolle.
En quatre ans, il en fait le troisième
groupe du pays avec un chiffre d’affaires d’environ $ 3 milliards. La poli-
Dans cette industrie américaine des
tique qu’il mène est au fond assez sem-
déchets, les hommes comptent pour
blable à celle de WM pendant les
beaucoup : avant de parler des entre-
années 1960 et 1970 : consolidation
prises il convient donc d’évoquer ceux
par absorption d’autres firmes payées
qui les mènent. Vers 1990, John Drury,
en titres. La seule différence tient aux
alors numéro deux de BFI, quitte ce
exigences de qualité et d’efficacité
groupe en raison d’un désaccord sur la
prises en compte au moment de l’éva-
politique à mener avec le président
luation des cibles potentielles. Comme
Ruckelshaus, venu quelques années
l’explique un article publié dans World
plus tôt de la direction de l’EPA, le régu-
Wastes, Novembre 1998, lors de cette
lateur du secteur. Ce dernier croit à
troisième vague de concentration les
l’avenir du recyclage, lui non. Après
firmes cherchent à devenir « le fournis-
quatre années passées dans une
seur au prix le plus bas dans un certain
banque régionale de développement, il
marché ». Après une importance très
surtout parce qu’ils perdaient leur investissement. Leur problème était de parvenir à remettre WM sur le sentier de la
croissance et des profits. Tandis que
l’équipe dirigeante de WM continuait
d’envisager une solution interne, avec
un groupe inchangé, les actionnaires
privilégièrent assez rapidement l’absorption par un autre groupe. Outre que
cette solution permettait de régler le
problème de management, elle permettait aussi de dégager de la productivité
en rapprochant des exploitations sur
une base territoriale. À condition de
marier des complémentaires, l’opération pouvait créer de la densité industrielle.
Et c’est ainsi que le petit USA Waste
revient dans le secteur et prend la prési-
grande donnée aux montages financiers
se
dence et la direction de USA Waste, une
(la deuxième vague) ces firmes revien-
Management. À dire vrai, si on en croit
petite firme du Texas qui à l’époque fai-
nent aux « basics » et s’attachent à opti-
la presse financière (Fortune, Mars 25,
sait un chiffre d’affaires d’environ 70 mil-
miser l’exploitation. « Aujourd’hui, les
1998), John Drury en observateur avisé
vit
proposer
le
grand
Waste
lions de dollars, à comparer aux 10 mil-
consolidateurs se caractérisent par une
avait su se rendre incontournable. Dès
liards annoncés pour WM (8,5 milliards
forte culture de gestion. Nous savons
l’automne 1997, USA Waste discrète-
après re-calcul). John Drury, comme
comment gérer les camions, ramasser
ment, avait pris position dans un grou-
Dean Buntrock ou Wayne Huizenga (le
les ordures et gérer les décharges » (un
pement qui se porta acquéreur de 13
co-fondateur de WM qui part en 1984
responsable de Allied Waste, une autre
millions d’actions de WM. Au début de
et développe ses propres activités à
entreprise au parcours semblable). Ces
1998, le conseil d’administration de WM
partir de la Floride, par Republic
firmes recherchent les économies de
et les fonds d’investissements accep-
Services Inc.), fait partie des grandes
fonctionnement et la densité de la cou-
taient la solution de la fusion. Quelle en
figures de cette industrie aux États-
verture spatiale plutôt que la multiplica-
étaient les principaux éléments ?
Unis. John Drury est le fils d’un petit
tion de contrats dispersés.
entrepreneur du Minnesota qui acquiert
Les firmes échangent leurs titres
un camion en 1948 et ramasse les
Pour WM, l’annonce d’une provision
(swap deal) pour former une capitalisa-
déchets. John Drury a toujours vécu
géante en février 1998 signifiait que les
tion d’environ $ 20 milliards, où WM
dans cette activité : « à 14 ans il com-
fonds d’investissement avaient gagné et
compte pour 60 %. Le nouvel ensemble
118
Portrait d’entreprise
Données sur le nouveau Waste Management
prend le nom de Waste Management
mais ce sont les équipes de USA Waste
qui prennent le commandement et le
siège social sera celui de Houston. Le
nouvel ensemble prévoit un chiffre d’affaires de $ 12,5 milliards (9,2 pour
Waste Management) mais une dette de
plus de 10 milliards. L’équipe de John
Drury s’engage à réaliser 800 millions
d’économies dès la première année par
une rationalisation plus poussée (35).
Ainsi s’achève l’histoire de Waste
12,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 1999
68 000 emplois
41 000 véhicules de collecte et de transport
26 millions de client résidentiels
17 millions de contrats commerciaux et industriels
700 unités de collecte des déchets solides
342 décharges recevant en moyenne 421000 tonnes par jour
31 ans de durée moyenne d’exploitation disponible en cas d’extension des
permis
150 unités de recyclage et 325 stations de transfert
5 décharges de produits dangereux titulaires d’un permis B
61,7 % de taux d’internalisation entre collecte et mise en décharge
sources : Waste Age, Novembre 1999, Do You Want to Sell et 10K Report 1999.
Management, le géant de Chicago,
dont tous les observateurs reconnaissent qu’il a largement contribué à la
construction d’une véritable industrie
des déchets en Amérique du Nord et à
vente des activités de déchets indus-
Conclusion
triels à Onyx (Vivendi).
Les vagues de concentration qu’a
l’étranger. Une nouvelle histoire commence, en un autre lieu, avec une nou-
Tout va donc bien jusqu’à l’été
connues le secteur des déchets s’expli-
velle équipe et des camions repeints
1999. Mais la fusion s’avère plus diffici-
quent, premièrement par la nature du
aux couleurs de USA Waste.
le à mettre en œuvre que prévu. Le plan
marché organisé à partir de franchises
d’économies envisagé ne peut être tenu
de court ou de moyen terme qui entraî-
et lorsque la direction fait cette annonce
nent un renouvellement rapide et,
Les marchés saluent cette solution
avec soulagement. Le titre WM qui se
pour le second trimestre 1999 les inves-
deuxièmement par la taille gigantesque
situait autour de $ 25 avant l’accord
tisseurs se retirent ; le titre perd 38 % !
du marché. En 1998, sur un total estimé
progresse immédiatement. Ensuite le
Les difficultés se trouvent aggravées par
à 40 milliards de dollars, les entreprises
titre monte pour se situer pendant une
deux séries de déboires. Un dirigeant de
cotées en bourse n’en représentent que
bonne partie de l’année 1999 autour de
l’entreprise est accusé de délit d’initié ; il
38 %, tandis que 30 % est assuré par
$ 50/55. La direction met en place le
aurait cédé ses titres WM avant l’annon-
de très petites entreprises qui peuvent
programme annoncé. Elle cède des
ce des problèmes ; cela ternit l’image
donc être acquises et 32 % par les ser-
actifs dans les déchets mais aussi le
de la direction. Ensuite, c’est John
vices municipaux qui, en long terme, ont
nucléaire. Republic Services, le groupe
Drury qui a un problème de santé,
tendance à sous-traiter. Donc la marge
de Wayne Huizenga sera un des repre-
entraînant un flottement de la direction.
de progression est grande (39).
neurs pour $ 500 millions. Mais dans le
Pour le troisième trimestre le groupe
même moment, le groupe continue son
annonce une provision exceptionnelle
expansion et acquiert des entreprises
de $ 1,5bn (38).
Il n’est pas sans intérêt d’observer
que l’on retrouve dans les déboires de
WM quelques uns des symptômes de la
pour $ 1,1 milliards (36). Le groupe se
retire de ses activités internationales et
La consolidation du secteur des
faillite d’Enron, avec des acteurs com-
annonce au début de l’année des
déchets aux États-Unis n’est pas enco-
muns (notamment Arthur Andersen).
accords en Finlande, Pays-Bas et
re achevée et le paysage est loin d’être
Mais les sommes en cause sont
Nouvelle Zélande (37) ; ils font suite à la
stabilisé.
moindres, la fusion avec USA Waste
119
Flux n° 48/49 Avril - Septembre 2002
apporte une solution et donc le problè-
échanges de titres, le maintien de la
déstabilisé par ces mêmes règles. Les
me est résorbé en douceur, si l’on peut
valeur du titre à un niveau haut se trou-
autorisations sont nombreuses, com-
dire.
ve au cœur de sa politique industrielle.
plexes, différentes d’un État à l’autre et
Alors la tentation est grande de mas-
susceptibles de changer. Aujourd’hui
Outre le problème réel de la certifi-
quer les évolutions réelles.
cation des comptes on enregistre aussi
après ces problèmes récurrents de
1997 à la fin 1999, puis la faillite
ici les conséquences de la « tyrannie »
L’industrie des déchets dans les
d’Enron, les directions sont plus pru-
des quaterly reports. Ils mettent sous
années 1990 se trouve à un nouveau
dentes. Nous en voudrons pour preuve
tension toutes les directions sans forcé-
palier. Cette situation ne pose pas de
la rédaction du rapport annuel, ou la
ment permettre de suivre les réelles
problèmes pour les nouveaux entrants,
présentation d’une émission de bons
politiques industrielles. Sur ce marché
mais elle lance un redoutable défi aux
sur sept ans. Dans les deux cas, la pré-
américain des capitaux, la compétition
opérateurs historiques ; ce n’est sans
sentation des objectifs s’accompagne
est rude. WM fait du « benchmarking »
doute pas un hasard si les deux majors
d’une liste très longue des facteurs qui
avec General Electric et FedEx qui eux
connaissent à un an d’intervalle exacte-
pourraient altérer leurs prévisions : pas
se trouvent sur des trajectoires de crois-
ment le même destin. Industriellement,
moins de dix huit pour leur dernier
sance. On met en comparaison des
leur situation ressemble à celle des
document (40). Après le temps des
industries et des firmes qui ne suivent
anciennes firmes sidérurgiques, où les
annonces optimistes est venu celui de
pas forcément les mêmes cycles.
anciennes de Pensylvannie, de la Ruhr,
la prudence.
de Lorraine et du Nord souffrent avec
Il est toujours difficile, pour une
l’arrivée de nouvelles sidérurgies sur
direction, après une longue courbe
l’eau qui rentrent directement par la der-
ascendante d’annoncer un infléchisse-
nière couche technologique et qui n’ont
ment durable, car la sanction peut être
pas à supporter les coûts de remise aux
immédiate avec une chute du titre bru-
normes ou de reconversion.
tale et ses conséquences. Dans certains cas, une baisse de la capitalisation
Si le marché des déchets a globale-
peut ouvrir l’option d’une OPA inamica-
ment bénéficié d’un renforcement des
le. Dans le cas de WM qui avait conçu
règles publiques, pendant les années
Dominique Lorrain
toute
1970/1980 il se trouve, pour partie,
CEMS, CNRS/EHESS, mars 2002
sa
croissance
externe
par
Notes
(1) Ce texte a bénéficié des
remarques et de la relecture d’Olivier
Coutard, Christophe Defeuilley et Pierre
Zembri.
(2) En France par exemple, on peut
penser que cette sensibilité « industrielle » établit une différence entre
G. Dejouany à la tête de la Compagnie
Générale des Eaux et J-M. Messier qui
la reformate en Vivendi.
(3) Pour toute cette partie, jusque
1992 je m’appuie largement sur le livre
de Jacobson. Ce livre diffusé par l’en-
120
treprise et sans doute commandé par
elle, manque parfois de recul mais il
apporte un très grand nombre de faits
sur le passé et de détails mal mis en évidence.
T. C. Jacobson,
Waste
Management, An American Corporate
Success Story, Gateway Business
Books, Washington D.C, 1993. Une
autre source précieuse a été : M.V.
Melosi, The Sanitary City, The Johns
Hopkins University Press, Baltimore &
London, 2000.
(4) Voir Melosi, 2000, op.cité.
(5) R-J. Daley restera à la tête de la
mairie pendant une vingtaine d’années.
Il sera connu comme le représentant de
la dernière « machine » politique municipale, faiseur de candidats à la présidentielle du parti Démocrate. Pour une lecture non académique de ce gouvernement municipal, voir M. Royko, Boss,
Richard J. Daley of Chicago, Signet
Book, New American Library, New York,
1971.
(6) Le PER (Price Earning Ratio)
exprime la valeur du titre en bourse rap-
Portrait d’entreprise
portée au bénéfice par action ; ou encore la capitalisation rapportée au bénéfice avant impôts.
(7) Wall Street Journal, November
27, 2000, Rolling into Trouble : consolidating firms.
(8) Sur la technicisation du secteur
des déchets voir M. Melosi, op. cité en
particulier dans les chapitres 17 et 20,
consacrés respectivement aux années
1945-1970 et aux années 1980-1990.
(9) Voir Jacobson, op. cité, p. 6 et
suivantes
(10) FT, January 8, 1991.
(11) Outre les très nombreux articles
publiés à cette occasion, voir Wessex
Water, Proposed Joint-Company with
UK Waste Management Ltd., January
1991, 31 p.
(12) En Indonésie, annonce d’un
partenariat avec Bimantara Citra pour
réaliser une unité de traitement de produits chimiques. Bimantara est le
conglomérat du 2ème fils du président
Suharto, Mr Bambang Trihatmodjo
associé à de nombreux projets internationaux ; pour la centrale électrique de
Paiton II, il est aux cotés de PowerGen
et de Siemens.
(13) On peut penser qu’il y a un peu
des deux explications ; cela dépend des
cas. Des comportements « limites » à la
base peuvent conduire à classifier en
déchets « normaux » des déchets qui
devraient relever de la rubrique dangereuse, avec les économies que cela
entraîne sur les coûts du traitement.
Inversement, le groupe est bien
conscient du problème de la mise aux
normes de ses anciens sites. À la fin de
1991, par exemple, il passe une provision de $ 260m, pour le coût estimé de
mise
aux
normes
d’anciennes
décharges (old dump sites).
(14) Asian Wall Street Journal,
October 12, 1992.
(15) La firme au moment des années
de croissance tout azimut, a acquis des
actifs à un prix trop élevé ; ensuite les
normes plus contraignantes rendent
inévitable le nettoyage des comptes.
(16) FT September 14, 1993.
(17) Financial World, June 23, 1992,
p. 34.
(18) FT, March 30, 1992.
(19) Business Week, April 13, 1992
pp. 76-77.
(20) Le Figaro, 11 mars 1992.
(21) Nicollin rejoindra la Sita. Puis
pour se renforcer, cette filiale de
Lyonnaise-Dumez signera un accord
avec Rhône-Poulenc dans les déchets
industriels.
(22) JO des Communautés, 15-11993, n° c 10/5, Non opposition à une
concentration notifiée ; affaire Waste
management International Plc./SAE.
(23) Le Monde et La Tribune 14 septembre 1992 ; JO des Communautés
européennes 15 janvier 1993.
(24) La Tribune 24 novembre 1992.
(25) Voir l’article de synthèse : F.
Bouaziz, « La bataille des poubelles »,
Le Nouvel Économiste, 17 juillet 1994.
(26) Les Échos, 8 février 1993.
(27) Décision Environnement, n° 19,
septembre 1999.
(28) FT, Februry 8, 1995.
(29) Asian Wall Street Journal,
Februry 8 and 9, 1995. FT, April 7, 1995
et October 17, 1995.
(30) FT, May 22, 1996 et September
17, 1996. US Filters sera rachetée
quelques années plus tard par Vivendi,
à un prix très élevé, conduisant en 2002
à la reconnaissance de survaleurs.
(31) Pour ce qui va suivre voir :
Fortune, May 25, 1998, Peter Elkind,
Garbage, in garbage out. The Wall
Street Journal, March 11, 1998, Jeff
Bailey, Big Haul : Under Merger Plan
USA Waste Is to Run Waste
Management. Business Week, March
23, 1998, Richard Melcher and Garry
McWilliams, Can Waste Management
Climb Out the Muck ? The Economist,
March 7, 1998, Anonymous, Waste
mismanagement.
(32) Voir Business Week op. cité.
(33) Pour le détail de ces $ 3,5bn
voir Business Week, March 23, 1998.
(34) The Wall Street Journal, March
11, 1998, op cité.
(35) Voir entre autres FT, March 12,
1998. The Economist, March 7, 1998.
Fortune, May 25, 1998. Voir aussi les
rapports aux actionnaires pour l’exercice 1998 et 1999 (10K Reports).
(36) Voir 10K pour l’exercice 1999.
FT August 3, 1999.
(37) 10K Report 30 mars 2000.
(38) FT July 8, 1999 et October 25,
1999.
(39) The Wall Street Journal, March
11, 1998 op. cité.
(40) 10K Report, December 31,
2000. Business Wire, November 15,
2001. Waste Management to Offer
$ 400 millions in Senior Unsecured
Notes.
Portraits d’entreprises
Cheung Kong, Flux n° 36/37, avril-septembre 1999, pp. 61-66
Bechtel, Flux n° 38, octobre-décembre 1999, pp. 72-78
RWE AG, Flux n° 39/40, janvier-juin 2000, pp. 94-103
Les entreprises anglaises de l’eau : Thames Water et Kelda Group, Flux n° 41, juillet-septembre 2000, pp. 71-84
Le secteur des déchets aux États-Unis, Flux n° 43, janvier-mars 2001, pp. 73-84
Fiat, Flux n° 44/45, avril-septembre 2001, pp. 99-107
Enron, Flux n° 46, octobre-décembre 2001, pp. 76-84
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