Viva la vida Pour Julie. Corps torturé, mutilé, brisé. Corps ennemi

Transcription

Viva la vida Pour Julie. Corps torturé, mutilé, brisé. Corps ennemi
Viva la vida
Pour Julie.
Corps torturé, mutilé, brisé.
Corps ennemi, corps machine.
Corps prison. Corps voleur de vie.
Pourtant, corps créateur - muse et bourreau à la fois.
Pour Frida Kahlo (1907-1954), sa geôle de chair est devenue condition d’expression de son
art. Est-ce dire que l’oeuvre de Frida n’aurait pas existé, si après une attaque de polio,
enfant, qui lui valut d’être nommée « jambe de bois » par ses condisciples, elle n’avait pas
été victime de cet atroce accident ? Inexistante, non. Différente, certainement.
Mais les faits sont là.
En 1925, alors qu’elle n’a que dix-huit ans, un tramway percute le bus dans lequel elle se trouve, en compagnie de son
premier amour... Une barre de métal la transperce, du ventre
au vagin.
Ecarlate et or. Or et sang.
« Regardez la ballerine! » s’écrient les passants.
Une ballerine ? Frida se perçoit plutôt comme un taureau
transpercé par la lame d’un torero. Ou un matador s’effondrant dans son habit de lumière, empalé par les cornes de son
implacable proie. 1
Autoportrait 1940
Ils me disent tous de ne pas être aussi désespérée ; mais ils ignorent ce que représentent
pour moi trois mois au lit...
Frida Kahlo - Lettre à Alejandro, du 13 octobre 1925.
Le Purgatoire ? L’Enfer ?
Elle y reste deux ans.
Deux ans durant lesquels, enfermée avec ses douleurs, emprisonnée dans ce carcan de
viande agonisante et d’acier, elle appelle la mort de ses voeux, désespère de ne pouvoir
s’échapper – et commence à peindre.
Son premier tableau ? Un autoportrait. Le début d’une infinie sucession de « Frida ». Peintes
parce qu’elle est la personne qu’elle connait le mieux. Parce qu’elle est souvent seule. Parce
que son corps, champ de bataille ravagé par les opérations, les cicatrices, les constantes tortures infligées par son inexorable agonie, crie sa souffrance ; parce que son âme enfermée
dans ce mélange improbable d’organes et de métal, pleure de ne pouvoir s’enfuir.
Parce que sa vie est là, gravée au fer rouge sur elle et en elle, parce qu’elle l’aime malgré
tout et se meurt de ne pouvoir la dévorer, la danser avec l’intensité qu’elle souhaite.
Je suis la seule à connaître la Frida que je porte en moi. Moi seule puis la tolérer. Eelle pleure,
elle a la fièvre, elle est en chaleur, elle est féroce, pleine de désirs : pour un homme, pour
une femme, un désir épuisant.
Frida Kahlo – Journal.
1
- cf. Rauda Jamis, Frida Kahlo (1985) Actes Sud, collection Babel, 1995
Corps supplicié. Coeur brisé.
Luttant constamment contre le mal, contre la mort qu’elle défie sans
cesse à travers ses oeuvres, Frida vit également son corps comme son
plus mortel ennemi, l’expression la plus crue, la plus cruelle, la plus
insoutenable de son infirmité.
... ma chair se fluidifiait, livrait une bataille perdue d’avance, une dislocation des membres, brutale, le dépareillement chaotique d’une
unité, un corps béant se vidant de sa vie, donnant la mort, se donnant
la mort.
Frida Kahlo2
La colonne brisée 1944
Une mère donnant la mort et non la vie ; un carnaval grotesque où la
Faucheuse, squelette grimaçant, naît du désir d'une femme, vient au monde – chair de sa chair, sang
de son sang ; une danse macabre, une bouffonerie tragique où s'inversent les rôles, où le cri perçant
le silence de la maternité n'est pas celui de l'enfant venant au monde, mais celui de la femme hurlant
l'horreur d'avoir accouché d'un mort.
Un rire sarcastique. Un rire méprisant. Un rire victorieux.
Victoire mesquine de la Mort sur la vie. De la réalité sur l'espoir.
Trois fois, Frida tente d'avoir un enfant – parce que la maternité est inhérente à ce qu'elle est, éprouve,
désire. Trois fois, elle échoue, écartelant un peu plus ce corps qui l'étouffe, jouant son existence toujours plus précaire.
Et que peut-elle faire, sinon pleurer, exorciser l'aliénante et brutale douleur,
physique aussi bien que psychique, qui sans cesse l'assaille, la tourmente,
sur des toiles ?
Surréaliste, Frida ?
J'ai perdu trois enfants et une autre série de choses qui auraient pu remplir mon horrible vie. Tout cela a été rempacé par la peinture, écrit Frida. Et
encore : Ma peinture porte en elle le message de la douleur.
Loin de l'abstraction, de la recherche d'une écriture venue des limbes, Frida
peint son corps, ses souffrances, son amour de la vie aussi – ainsi qu'en
Hôpital Henry Ford 1932
témoignent ses bravades et ses peintures, son amour débordant pour Diego
Rivera, son idéalisme politique, sa volonté farouche de n'appartenir qu'à elle-même ou à la Révolution.
Lutte contre la mort, hymne à l'espoir et à la passion, étude clinique
et colorée d'un corps devenu pays, témoignage des mille tourments
subis par le peintre, peintures déchirantes, muettes expressions d'un
cri aux multiples résonnances, l'oeuvre de Frida, indissociable de
son histoire, biographie graphique et artistique, mêle ainsi, à corps
et à cris, la vie et la mort entrelacées.
Charlotte Bousquet
L'arbre de l'espoir 1946
Il existe énormément de site sur internet consacrés à Frida Kahlo.
En voici quelques uns.
http://www.mexique-fr.com/frida.php
http://derives.free.fr/frida.htm
http://www.artcyclopedia.com/artists/kahlo_frida.html
2
- cf. Rauda Jamis, Frida Kahlo (1985) Actes Sud, collection Babel, 1995, p 226. Car il est malaisé de savoir qui,
de Frida Kahlo ou Rauda Jaumis, a écrit ceci.

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