Doctrine L`industrie du parfum à l`assaut du droit d`auteur…

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Doctrine L`industrie du parfum à l`assaut du droit d`auteur…
Doctrine
L’industrie du parfum à l’assaut du droit
d’auteur… fumus boni juris ?
*
SERGIO BALAÑÁ
LL.M. (LONDON), PHD CANDIDATE, UNIVERSITY OF BARCELONA
I
l est difficile, voire impossible d’attribuer une date
exacte à la naissance du droit d’auteur. Loin d’être
apparu, sous sa forme actuelle, à un moment
déterminé de l’histoire, le droit d’auteur est le
résultat d’une lente et longue évolution. Son origine –
au risque d’eurocentrisme – remonterait à la Grèce classique 1. Son épanouissement s’est produit de manière
progressive pendant la période entre l’invention de l’imprimerie et la chute de l’Ancien Régime. Depuis lors,
il n’a cessé d’évoluer, toujours sous l’impulsion des
avancées technologiques.
À l’instar du droit d’auteur lui-même, son objet aussi
est dynamique. Si l’on regarde en arrière, on constate
que son ancêtre le plus direct, le privilège d’imprimerie,
naquit uniquement en relation avec l’œuvre littéraire. À
l’aube de la propriété intellectuelle, le droit d’auteur ne
protégeait pas encore les œuvres (par exemple) des arts
figuratifs, architecturales ou musicales. Celles-ci,
comme d’autres créations, se sont incorporées au droit
d’auteur postérieurement et de manière progressive.
Dès lors, il n’est pas surprenant de voir actuellement
de nouvelles catégories d’œuvres solliciter la protection
du droit d’auteur. En réalité il n’y a rien de nouveau
dans ce phénomène. En revanche, la question nouvelle
qui se pose est de savoir, si dans chaque cas particulier,
les raisons d’une telle protection coïncident avec celles
qui ont justifié la protection des multiples créations qui
aujourd’hui ont intégré la grande variété des œuvres
relevant du droit d’auteur.
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* Cet article est une adaptation en langue française d’un article publié
dans la revue Pe.I. Revista de Propiedad Intelectual 2005, n° 19. L’auteur
tient à remercier S. Nérisson, ATER à l’Université Paris I, (PanthéonSorbonne) pour les recherches effectuées à l’IRPI. Il remercie aussi
A. Lucas-Schloetter, chargée d’enseignement à l’Université de Munich,
pour son aide et ses conseils avisés.
1. Période pendant laquelle on peut affirmer qu’apparaît la « conscience
d’auteur » (v. E.-H. Gombrich, The Story of Art, Prentice Hall, New
Jersey, 1995) et avec elle, les premières manifestations de ce qu’aujourd’hui on appellerait « droit moral » (affirmation de la paternité d’une
œuvre, revendication de cette même paternité face aux plagiats, réclamation contre sa déformation, etc.) quoique ces manifestations n’étaient pas
encore soutenues légalement.
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Comment l’industrie du parfum s’est-elle rapprochée du droit d’auteur ? Quels sont les enjeux économiques et financiers sous-jacents de cette nouvelle
extension du droit d’auteur dans un secteur qui jusqu’à
une époque récente était tenu au secret (I) ? Quel est
l’objet de cette protection et tout particuliément quels
sont les obstacles qui expliquent cette difficile conquête
(II) ? Comment l’originalité d’une telle création sera
appréciée ? (III) ? Enfin quelles questions demeurent
encore posées (IV) ? C’est à ces interrogations que cet
article tentera d’apporter un élairage.
I. Les enjeux de la protection
a) L’industrie du parfum se rapproche du droit d’auteur
Le processus d’extension du champ d’application du
droit d’auteur a connu ces dernières années une accélération frappante. De nombreuses industries de secteurs
très divers se sont rapprochées de cette discipline à la
recherche d’un « abri rapide » qui souvent n’est qu’une
protection intermédiaire, un « refuge d’urgence et provisoire », en attendant de trouver – et cela prend du
temps – une protection plus adéquate, pas nécessairement alternative à celle du droit d’auteur, mais parfois
concurrente. C’est de cette manière qu’avait procédé
l’industrie du software et ce avec succès. Aujourd’hui,
c’est en empruntant la même voie que l’industrie du
parfum s’efforce d’obtenir cette même forme de protection, plus discrètement il est vrai, mais avec insistance.
Les étapes de ce rapprochement ont été les suivantes : Le premier cas (isolé) date de 1974. Il s’agit de
l’affaire Laire c/ Rochas (1re instance 1974 et appel
1975) 2. Le seul succès de l’industrie du parfum à cette
occasion (un succès, certes, mais très modeste) fut d’obtenir une décision de la Cour d’appel de Paris laissant la
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2. T. com. Paris, 7 janv. 1974, inédit, cité par J.-L. Crochet., Parfumerie
et Droit d’Auteur : RIPIA, mars, 1979, p. 458 ; CA Paris, 3 juill. 1975 :
Gaz. Pal. 1976, I, jurisp. p. 43, note de J. Calvo, et G. Morelle.
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, JUILLET 2005 / N° 16
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3. « Considérant que si l’article 3 de la loi du 11 mars 1957 ne cite comme
exemple d’œuvres de l’esprit que les œuvres perceptibles par la vue ou par
l’ouïe, la présence de l’adverbe "notamment" ne permet pas d’exclure a priori
celles qui pourraient éventuellement l’être par les trois autres sens ».
4. Lacunes de la législation française en matière de protection des parfums,
Questions orales, Sénat français, Séance du vendredi 16 mai 1986 : JO 16 mai
1986, débats parlementaires, Sénat, p. 696 sq. : PIBD, 1986, n° 393, I, 45.
5. TGI Paris, 14 déc. 1994, inédit, cité par M. Dubarry, La protection juridique d’une fragrance, mémoire DEA, droit des affaires, Université des
Sciences sociales, Toulouse, 1999, J. Larrieu, (dir.), p. 37, disponible sur
le site < www.en-droit.com >.
6. CA Paris 4e ch. B, 6 juin 1997 : RDPI 1997, n° 77, p. 26. Il s’agit d’une
affaire curieuse où l’industrie du parfum, dans l’incertitude d’obtenir une
décision favorable à ses intérêts sur le fondement du droit d’auteur préféra
agir sur le fondement de la concurrence déloyale (imitation de la fragrance)
et du droit des marques (imitation de l’emballage), commettant l’incompréhensible erreur de procédure d’introduire ex novo en appel la prétention relative à la contrefaçon de droit d’auteur (imitation de la fragrance). Comme on
pouvait s’y attendre, la cour ne procéda pas à son examen. Cependant, l’arrêt
est très intéressant en ce qui concerne l’action en concurrence déloyale,
puisque pour trancher sur cette action, la cour se vit obligée de se prononcer
sur la présumée identité olfactive des fragrances en litige. Cette question,
comme nous le verrons, est délicate notamment lorsqu’il s’agit d’établir la
contrefaçon du droit d’auteur en matière de parfums. La cour, en l’espèce,
soutint que faute de preuve contraire, elle ne pouvait pas savoir si les parfums
étaient identiques, mais néanmoins les considéra comme appartenant à la
même famille olfactive (« floral-frais-fruité »). Cela met en évidence le problème de la relation entre la parfumerie et le droit d’auteur, à savoir où se
termine l’inspiration légitime et où commence le plagiat. On reviendra sur
ces questions, infra note n° 86.
7. TGI Paris 3e ch., 5 nov. 1997 : PIBD, 1998, n° 649, III, 142.
8. T. com. Paris, 24 sept. 1999 : Gaz. Pal. 17-18 janv. 2001, n° 17 à 18,
p. 5 sq. ; Les Petites Affiches 3 mars, 2000, n° 45, p. 13, note J. Calvo ;
Gaz. Pal. 19-20 juill. 2000, note I. Matthyssens ; Com. com. électr. avr.
2000, comm. 41, p. 20, note C. Caron.
9. TGI de Paris, 16 févr. 2000 : Juris-Data n° 121645, cité par J.-C.
Galloux ; Profumo di diritto – Le principe de la protection des fragrances
par le droit d’auteur : D. 2004, n° 36, p. 2642.
10. Cons. Prud’hommes Nanterre, 28 nov. 2000, RG n° F99/02045,
inédit, cité par J.-C. Galloux, op. cit., p. 2642.
11. CA Paris 4e ch. 28 juin 2000 : PIBD 2000, n° 708, III, 549.
b) Le laboratoire bouleverse le principe sur lequel s’est
construite l’industrie du parfum
Pendant des décennies, les grandes maisons de parfum se sont contentées de l’ancienne technique du secret,
en gardant confidentielle la formule du parfum, pour en
empêcher la reproduction non autorisée. C’est sur cette
technique ancienne que l’industrie du parfum est née et
s’est développée.
Le progrès technologique a cependant bouleversé
cette industrie. Aujourd’hui, il suffit d’avoir accès à un
laboratoire de taille modeste 18 et de maîtriser les techniques de la chromatographie en phase gazeuse et de la
spectrométrie de masses 19 pour connaître avec une
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PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, JUILLET 2005 / N° 16
12. Arrondissementsrechtbank Maastricht, 18 avr. 2002, publié (en hollandais)
in Tijdschrift voor auteurs, media & informatierecht (AMI), 2002-5, p. 193,
note P.-B. Hugenholtz, ibid p. 195. Aussi disponible sur le site du Institut
voor Informatierecht, Universiteit van Ámsterdam : <www.ivir.nl>.
13. TGI Paris 3e ch., 3e sect., 28 mai 2002, RG n° 01/271, inédit, cité
par J.-C. Galloux, op. cit., p. 2642.
14. TGI Paris 3e ch., 26 mai 2004, inédit note P. Sirinelli : Propr. intell.
2004, n° 13, p. 908.
15. TGI Paris 3e ch., 4 juin 2004, inédit, note P. Sirinelli : Propr. intell.
2004, n° 13, p. 908.
16. CA Paris 4e ch. B, 17 sept. 2004, inédit, note P. Sirinelli : Propr. intell.
2005, n° 14, p. 47.
17. CA Den Bosch, Hollande, 6 juin 2004, disponible à partir du site :
< www.rechtspraak.nl > (LJN : AP2368) ; Intellectuele rechten/Droits Intellectuels (IRDI) 2004, p. 391 sq., note S. Storms, traduction en
anglais : < www.piercelaw.edu/tfield/tresor.pdf >.
18. Le matériel permettant de décomposer chimiquement un parfum
revient à 46 000 € environ, selon J.-J. Le Pen, avocat de Thierry Mugler.
V. Faux à plein nez, article publié dans L’Express du 15 nov. 2004, à la
suite de l’arrêt rendu dans l’affaire Lancôme c/ Kecofa précit.
19. Le système classique d’analyse d’une composition olfactive est la séparation
de ses composantes parmi un Chromatographe de Gazes (CG) auquel on
accouplera un Spectromètre de Masses (SM) (v. J.-M. Bueno Marco, « La
espectrometrı́a de masas como técnica de investigación de los productos olfativos » : Noticias de Cosmética y Perfumerı́a (NCP) n° 269, marzo-abril 2003,
(revista de divulgación de la sociedad española de quı́micos cosméticos). Le CG permet
d’obtenir une représentation graphique (chromatogramme) des composantes
et de leur quantité d’un jus déterminé. On peut résumer le procédé de la façon
suivante : le jus est vaporisé et injecté dans le CG, où il est transporté par un gaz
(gaz porteur) tout le long de la colonne, où la séparation des diverses composantes a lieu, selon leur différente vitesse de (suite de la note page 256)
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D o c t r i n e
Lancôme c/ Kecofa(1re instance 2002) 12 ; et Beauté Prestige
International c/ Bellure(1re instance) 13.
Non satisfaites de ces décisions, les maisons de parfum
sont revenues à la charge en 2004, avec quatre arrêts rendus sur la question, dont trois en France, le quatrième en
Hollande. Il s’agit des décisions l’Oréal c/ Bellure (2004) 14,
Beauté Prestige International c/ Eva France (2004) 15, Beauté
Prestige International c/ Bellure (appel 2004) 16 et Lancôme
Parfums c/ Kecofa (appel 2004) 17, qui cette fois-ci semblent
avoir donné des résultats plus satisfaisants.
Pour comprendre ce changement de position, il
convient de rechercher les raisons qui ont amené l’industrie du parfum à abandonner son indifférence traditionnelle à l’égard du droit d’auteur et à revendiquer une
protection pour laquelle elle n’avait, jusqu’ici, manifesté
aucun intérêt.
porte entrouverte à une protection par le droit d’auteur
des œuvres s’adressant au goût et à l’odorat 3, mais ne
l’accordant pas en l’espèce. Cette décision fut suivie de
l’intervention, au Sénat, de P.-C. Taittinger, qui insista
sur les problèmes posés à l’économie française, par la
prolifération d’imitations sur le marché dans le domaine
de la parfumerie, et sollicita une protection adéquate
pour cette industrie 4. N’ayant pas obtenu de réponses
satisfaisantes et face à l’augmentation constante des imitations sur le marché, les maisons de parfum ont intenté
ces dernières années un certain nombre de procès qui
combinèrent dans la plupart des cas l’action en contrefaçon du droit d’auteur avec celles de contrefaçon de
marque et de concurrence déloyale.
Ces procédures ont débouché sur les décisions suivantes : Kenzo c/ Via Paris(1re instance 1994) 5 ; Kenzo c/ Via
Paris (appel 1997) 6 ; Clarins c/ Batignolles(1re instance
1997) 7 ; Thierry Mugler Parfums c/ GLB Molinard (1999) 8 ;
Benzaquen c/ Parfumeries Fragonard (2000) 9 ; Bsiri c/ Création
Aromatique (2000) 10 ; Clarins c/ Batignolles (appel 2000) 11 ;
exacte précision la quantité de tous les éléments qui
composent un parfum. Le secret autrefois gardé avec
vigilance est aujourd’hui accessible au concurrent peu
scrupuleux. La reproduction exacte d’une création de
parfum est ainsi possible 20.
Alarmées par la profusion d’imitations sur le marché,
les maisons de parfum ont cherché à se protéger et ont
pris d’assaut le droit d’auteur. C’est la même démarche
qui avait amené, cinq siècles plus tôt, l’imprimeur-éditeur à s’adresser à l’autorité royale pour obtenir le privilège d’imprimerie à la suite d’une autre avancée
technologique, l’imprimerie qui facilitait la reproduction illicite de l’œuvre littéraire.
c) Valeur et vulnérabilité : la dimension économique de la
question
Le chiffre d’affaires mondial de l’industrie du parfum
est aujourd’hui proche des vingt milliards de dollars
annuels 21. Des sommes très importantes y sont investies
dans l’élaboration, la promotion et la commercialisation
des produits. Dès lors, la piraterie est aujourd’hui un phénomène qui cause à la parfumerie de graves préjudices 22.
Comme nous l’avons déjà signalé, cette problématique
est très récente. On l’a vu, si la première décision judiciaire date de 1974, toutes les autres ont été rendues après
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circulation, en fonction de leurs propriétés physiques caractéristiques. Alors les
composantes arrivent à la fin de la colonne (où se trouve un détecteur) à des
rythmes différents. Le détecteur convertit les propriétés physiques des divers
composants (non directement mesurables) dans un signal électrique qui est
amplifié par un enregistreur graphique. Le diagramme (ou chromatogramme)
qui en résulte révèle la composition qualitative et quantitative du jus. Mais il
faut interpréter ce diagramme pour savoir de quelles composantes il s’agit.
Quand une des courbes ne correspond pas à une composante cataloguée, la
technique de la spectrométrie de masses permet en particulier de connaître la
composition moléculaire de la composante. Celle-là est graphiquement représentée et archivée dans une base de données pour permettre son identification
lors de recherches ultérieures. Comme on l’a indiqué, les techniques mentionnées (dans des versions très peu sophistiquées) existent depuis longtemps. Mais
pour que leur application permette d’identifier les différentes composantes, il
est très important d’avoir des bases de données (de chromatogrammes et de
spectres) pour être en mesure de comparer les résultats d’une analyse en particulier et de déterminer de quelles composantes il s’agit. La gestion informatisée
de ces bases de données pendant les dernières années explique que ce n’est que
très récemment que la formule d’un parfum a été susceptible « d’ingénierie
inverse ».
20. Il convient de signaler l’évidence que l’imitation en parfumerie est
aussi vieille que la parfumerie elle-même. « La copie est tellement devenue une seconde nature que, dès qu’une marque sort un parfum [...], les
plagiaires sont à l’œuvre. Non avec leur nez et leur cerveau mais grâce à
des chromatographes dévoileurs de formules, qui analysent mais qui ne
pensent pas. Les plagiaires, autrefois, avaient au moins le mérite d’accomplir un travail difficile et de le faire intelligemment ». E. Roudnitska, Le
Parfum, PUF, Que sais-je ?, Paris, 2000, p. 120.
21. N. Tyacke, R. Higgins, I love the smell of copyright in the morning :
intellectual property protection of perfumes and fragrances : Australian
Intellectual Property Law Bulletin oct. 2004, vol. 17, n° 6, p. 99 sq.
22. La gravité de la situation est révélée, d’une part, par le nombre de
procès dans lesquels l’industrie du parfum s’est engagée soudainement, et
d’autre part, par le débat qu’un tel sujet a donné lieu déjà en 1986 au
Sénat français, supra notes n° 2 à 17.
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1997. En effet, des neuf 23 affaires évoquées supra où l’industrie du parfum s’est appuyée sur le droit d’auteur,
quatre ont été rendues en 2004 24. À l’instar de la majorité
des œuvres qui ont bénéficié de la protection par le droit
d’auteur, et en raison des progrès technologiques qui ont
ainsi facilité sa reproduction, le parfum suscite à l’heure
actuelle un conflit d’ordre économique, posant ainsi la
problématique de sa protection.
La question se pose dès lors de savoir si cette revendication de la protection au titre du droit d’auteur par le secteur
de la parfumerie est justifiée et si donc le droit d’auteur peut
lui garantir une protection adéquate ? Ce qui revient en
d’autres termes à se demander si le parfum peut être considéré comme une œuvre de l’esprit et bénéficier de la protection par le Code de la propriété intellectuelle.
d) Le parfum, œuvre de l’esprit
La création en parfumerie doit surmonter trois obstacles pour pouvoir être considérée comme une œuvre
de l’esprit.
Tout d’abord, il convient d’écarter le reproche
tenant au caractère prétendument industriel du processus d’élaboration d’un parfum. Ensuite, il faut déterminer si la création dans ce secteur consiste en un simple
savoir-faire pour enfin, dans la négative, se demander jusqu’à quel point une création s’adressant à l’odorat peut
exprimer la personnalité de son auteur :
– Le caractère prétendument industriel du processus
d’élaboration d’un parfum a été le motif sur lequel s’est
fondée la Cour d’appel de Paris pour lui refuser la protection par le droit d’auteur dans l’arrêt Laire c/ Rochas 25.
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23. Dix, si l’on compte aussi l’affaire Kenzo c/ Via Paris, supra note n° 6.
24. Le décalage temporel de l’arrêt rendu en 1974 par rapport aux autres peut
être facilement expliqué. Il s’agit d’un précédent isolé qui ne répond pas à l’apparition des progrès technologiques rendant possible de découvrir la formule
d’un parfum. Au contraire l’arrêt était rendu dans le cadre d’un procès opposant
deux entreprises liées par une relation d’approvisionnement. La société De
Laire créait des parfums pour Rochas et lui vendait les composants nécessaires
pour les produire. Elle développa deux formules de parfum qu’elle offrit à
Rochas. De Laire s’obligeait par contrat à révéler les formules respectives tandis
que Rochas, de son côté, s’engageait à s’approvisionner exclusivement chez
De Laire. Celle-ci communiqua une des deux formules à Rochas, mais Rochas
enfreignit son obligation d’approvisionnement exclusive chez De Laire. C’est
ce qui explique la déconnexion temporelle de cette affaire par rapport aux
autres, qui apparaissent à partir du 1997. Dans l’affaire Laire c/ Rochas il ne s’agit
pas « d’ingénierie inverse olfactive » comme c’est le cas dans les autres ; Rochas
put reproduire le parfum parce qu’elle avait un accès légal à la formule. L’absence à cette époque de techniques élaborées de reproduction explique le fait,
a priori contradictoire, qu’une maison de parfum renommée comme Rochas se
servit du refus de protection par le droit d’auteur concernant la création en
parfumerie pour défendre ses intérêts. Pour plus de développements sur Laire
c/ Rochas, v. O. Laligant, Problématique de la protection du parfum par le droit
d’auteur : Revue de la recherche juridique – droit prospectif 1989-3, p. 601.
25. Contribuèrent à une telle décision l’emploi maladroit par De Laire
dans sa correspondance avec Rochas du terme « invention » pour désigner
le parfum, ainsi que la terminologie caractéristique qui entoure la création
en parfumerie (formule, produit, etc.) et même la propre dénomination
de la société De Laire : « Fabrique de produits de chimie organique De
Laire », dont l’activité est ainsi décrite : « ce sont de véritables matières
premières que nous mettons au service du technicien ».
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, JUILLET 2005 / N° 16
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26. D’autant plus qu’aujourd’hui, la plupart des parfums incorporent des
composants chimiques au détriment des composants naturels traditionnels.
27. « Notre recherche, purement intellectuelle, est le fruit d’une laborieuse expérience n’ayant rien à voir avec la science ni avec l’industrie ».
E. Roudnitska, Le Parfum, op. cit. p. 78.
28. Pour tous, J.-P. Pamoukdjian : Le droit du parfum, LGDJ, Paris, 1982,
p. 213.
29. « Attendu [...] que la création de nouveaux parfums ne constitue en
aucun cas un travail de recherche industrielle visant à mettre au point un
procédé de fabrication d’un produit défini au préalable.
30. Qui se sert des mêmes termes avec lesquels s’exprima le Tribunal en 1re
instance : « Une fragrance qui est le résultat d’une recherche intellectuelle d’un
compositeur faisant appel à son imagination et à ses connaissances accumulées
pour aboutir à la création d’un bouquet original de matériaux odorants choisis
dans un but esthétique constitue une œuvre de l’esprit perceptible et individualisée bénéficiant de la protection du droit d’auteur ».
31. « Attendu, dès lors, qu’un parfum/fragrance ne peut être exclu (e), a
priori, de la protection revendiquée même dans l’hypothèse où celui-ci
donnerait lieu à une exploitation à caractère industriel au regard de la
protection qui est accordée par le droit d’auteur aux créations d’art
appliqué fabriquées à grande échelle, dès lors que le créateur d’un parfum
réalise d’abord une composition qui se traduira ultérieurement dans une
formule de laboratoire ».
32. Au sujet de la protection juridique des recettes de cuisine par le droit d’auteur, v. P. Gaudrat : J.-Cl. Prop. litt., art., fasc. 1134, n° 11 ; A. Lucas et C. Bernault : J.-Cl. Prop. litt., art., fasc. 1135, n° 11 ; J.-P. Branlard, La protection
juridique des œuvres gastronomiques, l’état des lieux : Gaz. Pal. 17 févr. 2000,
n° 48, p. 4 ; M. Pollak, « Intellectual property Protection for the Creative Chef,
or how to Copyright a Cake : a Modest Proposal » : Cardozo Law Review (vol.
12 :1477, 1991) et TGI Paris, 30 sept. 1997 : RIDA juill. 1998, p 273, note V.
Piredda « la cuisine mettrait-elle […] ».
faire, traditionnellement exclu de la protection du droit
d’auteur. La lacune d’un tel raisonnement se situe –
comme c’est le cas avec le prétendu caractère industriel
du parfum – dans une confusion entre les concepts
d’exécution et de conception d’une œuvre. Le procédé
d’exécution d’une œuvre est seulement protégé quand
il coïncide avec le concept d’œuvre lui-même, c’est-àdire, quand l’exécution particulière, expression elle-même
de l’idée, se manifeste sous une forme déterminée que
l’on cherche à protéger. C’est le cas, par exemple, d’une
pantomime, d’une chorégraphie, etc. 33. Dans les autres
situations, comme c’est le cas de la création en parfumerie, la phase d’exécution de l’œuvre ne constitue pas
l’œuvre elle-même, mais seulement l’une des deux
phases de son processus créatif 34.
Comme le soulignent A. Lucas et C. Bernault 35, il
ne s’agit pas d’opposer systématiquement les concepts
de création protégeable et de savoir-faire, car selon eux,
l’exécution personnelle d’une création artistique
implique toujours un certain degré de savoir-faire 36. Par
ailleurs, ce n’est pas cette procédure ou exécution personnelle que l’on cherche à protéger (sauf dans les cas déjà
mentionnés) mais le résultat auquel on arrive. En
somme, mettre sur un même plan la création en parfumerie et le savoir-faire revient à confondre la procédure
d’exécution de l’œuvre avec l’œuvre elle-même. Peu
importe que la création en parfumerie puisse être considérée comme le résultat d’une succession d’instructions
si l’on a à l’esprit que, pour y arriver, il fallut en premier
lieu accomplir un processus de conception. Ce n’est que
par rapport au résultat de ce processus qu’il faut apprécier l’originalité de l’œuvre. L’originalité ne s’apprécie
pas sur le simple savoir-faire qui, dans une plus ou moins
grande mesure, se trouve dans les différents processus
d’exécution des autres genres d’œuvres.
S’agissant de la question de savoir en quoi le parfum
exprime la personnalité de son créateur, il n’y a à notre
avis aucun doute que la création en parfumerie répond
aux critères habituels exigés par le droit d’auteur 37. Le
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PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, JUILLET 2005 / N° 16
33. On ne doit pas confondre l’idée d’exécution d’une œuvre par des
sujets divers (l’on pense à des artistes ou interprètes) avec l’idée du processus d’exécution de l’œuvre elle-même qui nous intéresse ici. Il s’agit de
deux choses différentes. L’interprète exécute une œuvre qui a déjà été
conçue et qui fut déjà l’objet d’un processus de création ou d’exécution.
34. L’autre phase, celle de la conception, peut se décrire par rapport à la
création en parfumerie comme l’a fait remarquer P. Soler Masota : « Le
parfumeur travaille avec la mémoire, en évoquant à travers son imagination de nombreuses formes olfactives, rappels de sensations qu’il combine
entre elles ? Avant de les porter en pratique. La conception d’un parfum
est donc un travail principalement intellectuel, qui sera suivi de la rédaction patiente d’une première formule », P. Soler Masota, La protección
de las ideas por derecho de autor : Actas de derecho industrial y de derecho
de autor 2001, t. XXII, p. 449. Traduit de l’Espagnol par l’auteur.
35. A. Lucas et C. Bernault, précit..
36. Et ils donnent l’exemple de l’œuvre artistique et même de l’œuvre
littéraire : « En effet, l’exécution personnelle dans la création artistique,
et même littéraire, impose toujours une part de savoir-faire ».
37. La grande partie de la doctrine est unanime à ce sujet, v. J.-L. Crochet, op. cit. p. 460 ; A. Bassard, La composition d’une formule de parfum
est-elle une « œuvre de l’esprit » au sens de (suite de la note page 258)
257
D o c t r i n e
Cependant, ce prétendu caractère industriel ne devrait
pas être un obstacle à la reconnaissance du parfum comme
une œuvre de l’esprit. Certes, les créations en matière de
parfumerie sont le plus souvent conçues et fabriquées
dans un environnement industriel 26, mais cela n’empêche
pas, comme l’ont reconnu les parfumeurs 27 et la doctrine 28, qu’à l’origine, l’élan créatif est de nature artistique.
Ce n’est que lorsque cette créativité acquiert une forme
définitive, que son résultat est abandonné à l’industrie
pour qu’elle le reproduise à grande échelle. Cette argumentation a été retenue dans le jugement Thierry Mugler
Parfums c/ GLB Molinard (1999) 29 et finalement consacrée
dans les affaires Beauté Prestige International c/ Bellure (appel
2004) 30 et L’Oréal c/ Bellure (2004) 31.
– En ce qui concerne le caractère de savoir-faire que
l’on attribue couramment à la création en parfumerie, il
convient d’apporter quelques précisions. Selon un principe unanimement accepté, les simples idées ne peuvent
pas faire l’objet d’appropriation. Cela n’est possible que
lorsque ces idées sont exprimées dans une forme déterminée. On peut définir le savoir-faire comme la
méthode, procédure ou succession d’instructions dont
l’application permet à n’importe quelle personne d’arriver à un résultat identique. Ainsi défini, le know-how est
au processus d’exécution de l’œuvre ce que l’idée est au
moment de sa conception.
Des réticences apparaissent parce que la protection
d’un parfum (ce raisonnement a été avancé pour les
recettes de cuisine 32) impliquerait de protéger un savoir-
Directeur de l’Institut supérieur international du parfum, de la cosmétique et de l’aromatique alimentaire, C.
Bernet, est clair sur ce point : « The work of a parfumeur is
the work of an artist, choosing from a vast palette of say 3000
options and coming up with an original creation » 38.
Il s’agit aussi de l’opinion de E. Roudnitska : « La
composition des parfums est l’art abstrait par excellence,
d’où sa difficile intelligence, mais c’est aussi par excellence l’art des proportions heureuses, d’où l’extrême
jouissance intellectuelle qu’il procure à tous ceux qui
savent ainsi l’apprécier mais combien aussi à celui qui a
appris à le pratiquer » 39. Même les plus fervents détracteurs de la protection du parfum par le droit d’auteur
ne lui dénient pas sa capacité de véhiculer l’expression
de la personnalité de son auteur, ainsi qu’à transmettre
des émotions, bien qu’ils estiment qu’il ne devrait pas
être considéré comme une œuvre de l’esprit 40. Quant à
la jurisprudence, elle a fini en 1999 par reconnaître au
parfum la qualité d’œuvre de l’esprit après deux arrêts
en sens contraire 41.
Dans l’affaire Thierry Mugler Parfums c/ GLB Molinard
(1999) le Tribunal de commerce de Paris reconnaît pour
la première fois de manière explicite, la qualité de création artistique ou œuvre de l’esprit au parfum 42. Depuis,
la jurisprudence s’est montrée moins hésitante pour
reconnaître ce statut à la création de parfumerie.
Dans l’affaire Clarins c/ Batignolles (appel 2000) la
Cour d’appel de Paris accepta de manière implicite de
considérer le parfum comme une œuvre susceptible
....................
la loi du 11 mars 1957 ? : RIPIA mars 1979, n° 115, p. 463 ; J.P. Pamoukdjian, op. cit. p. 212 ; P. Gaudrat : J.-Cl. Prop. litt., et art., fasc.
1134, n° 11 ; E. Glemas, La protection du parfum par le droit d’auteur :
RDPI 1997, n° 82, p. 36 ; M. Dubarry, op. cit. p. 26 ; A. Lucas, C.
Bernault et P. Soler Masota, précit. P. Sirinelli, supra note n° 14 ; J.-C.
Galloux, op. cit. p. 2643.
38. V. déclarations de C. Bernet, (Directeur scientifique de l’Institut
supérieur international du parfum, de la cosmétique et de l’aromatique
alimentaire) : The Guardian 23 juill. 2004.
39. E. Roudnitska, L’Esthétique en question. Introduction à une Esthétique de
l’Odorat, Paris, PUF, 1977.
40. « Certes, tout comme une œuvre d’art, par exemple (le parfum) peut
être imprégné de la personnalité de son auteur, quoique celle-ci ne soit
pas directement perceptible, et peut transmettre une émotion », J. Calvo
et G. Morelle, supra note n° 2. Il convient de signaler qu’avec le temps,
l’opinion de J. Calvo a évolué vers des positions plus favorables à la
protection juridique du parfum par le droit d’auteur. V. note J. Calvo à
l’arrêt T. com. Paris, 24 sept. 1999, Thierry Mugler Parfums c/ GLB Molinard : Les Petites Affiches 3 mars 2000, n° 45, p. 13.
41. Les arrêts sont Laire c/ Rochas (appel 1975) et Clarins c/ Batignolles (1re
instance 1997). Dans le premier, la cour déclara que le caractère industriel
du processus de fabrication du parfum permettait seulement d’obtenir un
produit également industriel, qu’il n’était pas possible de considérer
comme une création artistique. Le deuxième arrêt est vraiment surprenant
par la conclusion et la motivation lacunaire avec lesquelles le tribunal mit
un point final à la question : « Attendu [...] toutefois qu’un parfum ne
constitue pas une œuvre de l’esprit susceptible d’être protégée au sens de
l’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle ».
42. « Attendu que la création de nouveaux parfums est le résultat d’une
véritable recherche artistique, souvent longue, par des créateurs spécialisés, qu’il s’agit donc indéniablement d’une œuvre de l’esprit ».
258
d’être protégée par le droit d’auteur même si, en l’espèce, elle ne l’accorda pas, faute de preuve de l’originalité du parfum en cause. Dans Beauté Prestige International
c/ Bellure(1re instance 2002) le tribunal a considéré
qu’« une fragrance, qui est le résultat d’une recherche
intellectuelle d’un compositeur faisant appel à son imagination et à ses connaissances accumulées pour aboutir
à la création d’un bouquet original de matériaux odorants choisi dans un but esthétique, constitue une œuvre
de l’esprit perceptible et individualisée bénéficiant de la
protection du droit d’auteur ». Cette appréciation sera
confirmée dans les mêmes termes en appel dans l’affaire
Beauté Prestige International c/ Bellure. Les jugements
L’Oréal c/ Bellure (2004) et Beauté Prestige International
c/ Eva France 43 (2004) abonderont dans le même sens.
Cependant, bien qu’il semble évident que le parfum
puisse être considéré comme une création de l’esprit,
expression de la personnalité de son auteur, la spécificité
de la perception de la création peut toutefois constituer
un obstacle difficile à franchir pour le droit d’auteur. En
effet, le parfum ne se perçoit au moyen d’aucun des
sens que l’on connaît en neurophysiologie comme étant
mécaniques (le toucher, l’ouïe et la vue) mais par l’un des
sens appelés chimiques : l’odorat.
II. L’objet de la protection
a) L’absence d’exclusion explicite
La conquête du droit d’auteur entreprise par l’industrie du
parfum s’est appuyée dès le milieu des années 70 dans l’affaire Laire c/ Rochas sur le fait que le droit d’auteur ne
comporte aucune exclusion explicite des créations olfactives 44. Pour être plus précis, il faut souligner que le point
d’appui sur lequel il convient de placer le levier pour fracturer la porte d’entrée du droit d’auteur, ne se trouve pas
dans cette simple absence d’exclusion explicite, mais plutôt
dans la brèche que représente le caractère « ouvert » des
listes dont la plupart des lois sur le droit d’auteur (ainsi que
la Convention de Berne) se servent pour énumérer les
catégories d’œuvres susceptibles d’entrer dans le champ
d’application du droit d’auteur 45.
Certes, ces listes mentionnent seulement des créations s’adressant à la vue et à l’ouïe ; mais s’agissant de
listes ouvertes, comme le démontre l’emploi des expressions « notamment » par la loi française ou « telles que »
par la Convention de Berne, il est possible d’admettre
....................
43. « Attendu que [...] les fragrances qui, par leur conception puis par leur
mise au point, ont vocation à constituer des œuvres de l’esprit dont la
forme sensible est susceptible de révéler l’empreinte de leurs auteurs [...] ».
44. La Cour dans l’affaire Laire c/ Rochas, ainsi eut à le reconnaître : « Considérant certes que si l’article 3 de la loi du 11 mars 1957 ne cite comme
exemple d’œuvres de l’esprit que des œuvres perceptibles par la vue ou par
l’ouïe, la présence de l’adverbe "notamment" ne permet pas d’exclure a priori
celles qui pourraient éventuellement l’être par les trois autres sens ».
45. L. 112-2 du CPI et art. 2(1) de la Convention de Berne pour la
protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886.
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, JUILLET 2005 / N° 16
b) Ce que l’on cherche à protéger c’est la fragrance, non
la formule ni la composition matérielle ou le jus du parfum
L’odeur est au parfum ce que les sons sont à la
musique, observe E. Glemas 46. Il ne faut donc pas
confondre forme (ou message) olfactive, avec formule
du parfum, de la même manière que les concepts
d’œuvre musicale et de partition ne devraient pas être
confondus.
La formule est un simple instrument dont la finalité
est purement mnémotechnique 47. Elle ne suffit pas pour
arriver au résultat final, encore faut-il savoir la composer : « [...] le parfumeur est un auteur-compositeur
comme un autre, et il ne suffit pas de lui copier ses notes
pour obtenir la musique » 48.
Le droit d’auteur protège une œuvre de l’esprit quel
qu’en soit le mode ou la forme d’expression 49 ; pour
le parfum, ce moyen d’expression est la fragrance qu’il
dégage 50. Par conséquent c’est la fragrance qui doit être
protégée, et non la formule 51.
En effet, à travers la protection de la formule il ne
serait pas possible d’obtenir automatiquement la protection du message olfactif concret, car il est possible d’arriver à la même fragrance à partir de composantes
matérielles différentes ou, ce qui est la même chose, à
partir de formules diverses 52. Donc, la seule protection
....................
46. E. Glemas, op. cit. p. 37. On verra plus tard que le parallélisme avec
l’œuvre musicale est récurrent parmi la doctrine qui s’est intéressée à la
matière. Baudelaire l’avait déjà signalé : « Mon âme voyage sur le parfum
comme l’âme des autres hommes sur la musique » in Un hémisphère dans
une chevelure : Petits poèmes en proses 1869.
47. Et qui, comme œuvre de l’écrit aussi, (à condition qu’elle satisfasse
la condition de l’originalité) pourra mériter en elle-même (et de façon
simultanée avec la fragrance) la protection conférée par le droit d’auteur.
48. V. art. cité « Faux à plein nez » supra note n° 18. De la même opinion
sont les auteurs du livre Essais sur l’art et la création en parfumerie, VVAA
(ouvrage collectif), Copman éditions, 1998, p. 64 : « La tradition du secret
de la formule du parfum, continue d’engendrer dans les esprits l’idée
confuse que sa possession dispenserait de la capacité de savoir la composer ».
49. Art. 2(1) de la Convention de Berne.
50. « [...] la protection (du parfum) porterait non sur la formule chimique
mais sur les caractéristiques olfactives du parfum, sur la forme artistique ».
E. Glemas, op. cit. p. 36.
51. P. Sirinelli, op. cit. supra note n° 14 ; de la même façon J.-C. Galloux,
op. cit. p. 2642 et l’arrêt L’Oréal c/ Bellure (2004). Dans le sens contraire,
l’arrêt Lancôme c/ Kecofa (appel 2004) qui conclut que la fragrance ellemême ne pouvait pas faire l’objet de protection pour être « too fleeting and
variable and dependant on the environment ». On reviendra sur le problème
du caractère éphémère du parfum.
52. Ainsi l’a observé la jurisprudence, Thierry Mugler Parfums c/ GLB Molinard
(1999), et la doctrine v. P. Sirinelli,. supra note n° 14 ; T. Field, Copyright
protection for perfumes, à paraître : 45 IDEA, The Journal of Law and Technology 2004, accessible sur le site : < http ://www.piercelaw.edu > ; V. aussi,
de la formule ne réussirait pas à satisfaire les attentes de
protection du parfumeur, qui aspire à ce que sa fragrance ne soit pas copiée. Confronté à une contrefaçon,
il ne faut pas comparer deux formules, mais deux formes
olfactives, deux fragrances 53.
En outre, comme l’a indiqué E. Glemas 54, la protection de la formule au lieu de la fragrance, engendre
d’autres inconvénients :
En premier lieu, en cas de contrefaçon, le titulaire
du droit d’auteur devrait révéler cette formule pour la
comparer avec celle du produit prétendument contrefait, ce qui supposerait une indiscrétion que peu de maisons de parfum seraient prêtes à accepter 55.
En second lieu, comme l’a indiqué P. Soler Masota 56, la formule chimique par laquelle la création est
représentée ne permet pas de percevoir la finalité esthétique poursuivie dans la composition d’un parfum. Seulement, en protégeant simplement la formule, ce n’est
pas « l’œuvre parfum » qui serait protégée, mais l’expression écrite de sa composition chimique.
La question de la distinction entre la protection de
la composition, ou du jus, et la protection du message
olfactif est illustrée dans l’arrêt Lancôme c/ Kecofa (appel
2004). La Cour d’appel hollandaise, en estimant que le
message olfactif ne pouvait pas être protégé par le droit
d’auteur puisqu’elle le considèrait « too fleeting and
variable and dependant on the environment », déclara pourtant protégeable « the material that gives off the scent (the
material that is specially composed and developed to produce a
certain scent) » parce que celui-ci, argumenta la cour,
« can be perceived through the senses and is sufficiently concrete
and stable to be considered a "work" under the Copyright Act
of 1912 » 57.
Il faut donc réaliser une triple distinction entre « formule », « composition matérielle ou jus » et « message
olfactif ». La cour, dans cet arrêt, considéra que ce qui
devait être protégé était la composition matérielle, et
non la formule ni le message olfactif. Cette triple distinction se présenterait comme suit : (i) la formule du
parfum, comme description écrite de la composition
chimique qui donne lieu à la forme olfactive concrète ;
(ii) la composition chimique elle-même ou jus du par-
....................
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, JUILLET 2005 / N° 16
O. Laligant, Des œuvres aux marches du droit d’auteur : les œuvres de l’esprit
perceptibles par l’odorat, le goût et le toucher : Revue de la recherche juridique –
Droit Prospectif, 1992-1, p. 98 sq..
53. Et voilà la raison des problèmes qui apparaissent au moment d’établir,
d’un côté, l’originalité d’un parfum et, de l’autre, la similitude entre deux
créations, c’est à dire, le problème du plagiat.
54. E. Glemas, op. cit. p. 39.
55. Si la technologie a mis à la disposition de la concurrence peu scrupuleuse les moyens techniques nécessaires pour réussir à copier une fragrance, on ne peut pas affirmer pour autant que l’industrie du parfum
contribue à rendre plus facile le plagiat.
56. P. Soler Masota, op. cit. p. 498.
57. Il convient de signaler que l’arrêt a fait l’objet d’un pourvoi en cassation et qu’il semble peu probable qu’il soit confirmé, car la cour d’appel,
en protégeant le jus au lieu de la fragrance (ce qui avait été sollicité par
la demanderesse) a commis un vice de procédure extra petita.
259
D o c t r i n e
que d’autres créations puissent être également protégées.
Les maisons de parfum se sont appuyées sur cette
brèche, pour empêcher les tribunaux de rejeter d’emblée leurs prétentions, les obligeant par là–même à statuer sur le fond et à discuter des bases sur lesquelles la
protection du parfum par le droit d’auteur devrait ou
ne devrait pas être conférée.
fum, qui est le matériel avec lequel se construit la création en parfumerie et (iii) la forme ou message olfactif
concret dégagé par cette composition chimique.
Quelles différences peut-on trouver dans cette gradation ? Que veut dire protéger la composition chimique
d’un parfum, indépendamment de la protection de la
formule ou de celle du message olfactif ? Protéger la
formule, c’est protéger une création qui se perçoit à
travers la vue, comme c’est le cas avec toutes les créations littéraires, ce qui engendre les inconvénients
évoqués supra pour l’industrie du parfum. La protection
du message olfactif vise, quant à elle, une création qui
se perçoit à travers l’odorat, alors que la protection de
la composition ou jus d’un parfum couvre une forme
matérielle qui consiste en un certain nombre de substances odorantes dont l’assemblage donne lieu au message olfactif concret.
Prendre le parti de la protection de la composition
du jus revient toutefois à commettre une confusion sur
l’objet de la protection 58 dans la mesure où la composition
ou jus est au parfum ce que le livre est à l’œuvre littéraire, c’est-à-dire le simple support matériel dans lequel
l’œuvre restera fixée, et non pas l’œuvre elle-même 59.
Une fois accepté le principe selon lequel c’est le
message olfactif qui doit être protégé (et non pas la formule ou la composition du parfum), il faut ensuite analyser les problèmes qui se posent à l’égard du droit
d’auteur. Comme il s’agit de comparer deux fragrances,
et non deux formules, deux problèmes se posent : l’un
en raison du caractère éphémère du parfum, l’autre est
relatif à la difficulté de réaliser une description techniquement objective de la fragrance dégagée par un
parfum.
c) Le caractère éphémère du parfum
Le caractère éphémère du parfum fait surgir deux
nouvelles questions : (i) son caractère périssable lié au
fait que le parfum s’évapore et finit par disparaître et,
par voie de conséquence, (ii) son caractère instable : dès
que le flacon est débouché et que les différents composants commencent à s’évaporer (à des rythmes différents,
selon leur différente volatilité) le parfum se dégrade progressivement 60.
Une frange de la doctrine (et de la jurisprudence) a
cru voir dans ce caractère un problème (supposé, plus
que réel) au moment de conférer la protection par le
droit d’auteur.
....................
58. V. dans ce sens, T. Field, précit.
59. Le parfumeur crée une essence, non une composition ou un jus ; de
la même manière qu’un écrivain écrit un roman, non un livre. En d’autres
termes, l’objectif esthétique du parfumeur est l’obtention d’une fragrance,
non d’un jus. E. Roudnitska l’explique comme il suit : « La matière de
la parfumerie ce n’est pas le solide, le liquide, ni même la vapeur [...] la
matière de la parfumerie est cette odeur elle-même [...] », Le Parfum, op.
cit. p. 21.
60. E. Roudnitska, Le Parfum, op. cit. p. 37.
260
Selon J. Calvo et G. Morelle 61, le caractère éphémère du parfum, son manque de stabilité, son incapacité
à traverser le temps de génération en génération, son
manque de permanence, devraient suffire pour lui
dénier la protection par le droit d’auteur.
Une œuvre de l’esprit se caractérise, selon eux, en
ce qu’elle cristallise une personnalité, comme témoin
pour les générations présentes et à venir. L’œuvre de
l’esprit, soutiennent toujours J. Calvo et G. Morelle, se
situe, ou a vocation à se situer, dans une dimension
extratemporelle et extraterritoriale, voilà pourquoi le
parfum ne pourrait jamais recevoir cette qualification.
Si l’on revient à la jurisprudence, c’est tout particulièrement l’affaire Lancôme c/ Kecofa (appel 2004) où,
comme nous l’avons déjà vu, la Cour hollandaise différencia « the material that gives off the scent (the material that
is specially composed and developped to produce a certain scent)
(de) the scent itself » pour conclure que « the material that
gives off the scent can be perceived through the senses and is
sufficiently concrete and stable to be considered a "work" under
the Copyright Act of 1912 » tandis que « the scent itself is
too fleeting and variable and dependant on the environment
(c’est pourquoi) it cannot be protected by copyright law » 62.
Cette décision est-elle justifiée selon les principes du
droit d’auteur ?
Ceux qui, comme la cour l’a souligné dans l’affaire
mentionnée, pensent que le caractère éphémère du parfum est un obstacle insurmontable à sa protection par le
droit d’auteur, commettent une double erreur d’appréciation : D’une part, l’erreur consiste à penser que le
caractère fugace d’une œuvre empêche sa protection –
un bonhomme de neige est susceptible d’être protégé
par le droit d’auteur, de la même manière que la statue
que l’on a confectionnée sur le bord de la mer avec le
sable de la plage 63. « Quand les sons de la mélodie se
sont envolés, qu’en reste-t-il ? » se demande E. Roudnitska. Rien. Et pourtant, personne ne doute de la protection conférée à l’œuvre musicale 64. D’autre part, ils
commettent l’erreur de considérer que le caractère instable du parfum (conséquence de la dégradation progressive dont il souffre à partir du moment où le flacon
est débouché) constitue aussi un obstacle, ce qui, à notre
....................
61. J. Calvo et G. Morelle, op. cit. p. 46.
62. L’arrêt a fait l’objet d’un pourvoi en cassation et qu’il semble peu
probable qu’il soit confirmé, supra note n° 57.
63. Et il ne faudrait tout de même pas arriver à ces extrêmes. À la fin, le
terme éphémère est équivoque, puisque les toiles sur lesquelles peint l’artiste sont aussi éphémères, aussi bien que le bois (et même le marbre) sur
lequel le sculpteur modèle son œuvre. Peut-être convient-il de rappeler
qu’il ne reste aucune toile d’Apelle, l’un des peintres les plus renommés
de la Grèce hellénistique.
64. À nouveau c’est le parallélisme avec l’œuvre musicale, que prend
cette fois pour exemple la jurisprudence : « Attendu [...] que le fait que
l’impression produite par une forme olfactive soit fugace et que sa perception soit différente selon les personnes n’est pas un obstacle, car la
musique aussi est fugace et que toutes les perceptions sensorielles dépendent plus ou moins de la personne qui perçoit ». V. Thierry Mugler Parfums
c/ GLB Molinard (1999).
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, JUILLET 2005 / N° 16
d) La contrefaçon : le problème du manque d’objectivité
dans la caractérisation du message olfactif
En retenant l’hypothèse de la protection du message
olfactif et non de la formule du parfum, de sa composition matérielle ou de son jus, et puisque comparer deux
formules n’est pas satisfaisant 66, la question se pose dès
lors de savoir, comment mesurer la proximité olfactive
de deux parfums ? En d’autres termes comment distinguer la copie de la simple inspiration ?
En neurophysiologie 67, comme on l’a déjà vu, on
distingue entre les sens dits mécaniques (ouïe, vue et toucher) et les sens chimiques (goût et odorat). La réalité
analysée par l’un des trois sens mécaniques est facilement
perceptible et peut faire l’objet d’une description objective et universelle. Un son sera nécessairement grave ou
aigu, fort ou faible ; l’expérience de la vision imposera
les caractères de ce qui est clair et de ce qui est obscur,
de ce qui est haut et de ce qui est bas, de ce qui est
grand et de ce qui est petit ; la réalité analysée par le
toucher, de son côté, se présentera lisse, douce,
rugueuse, etc. Dans ces cas-là, il s’agit toujours de paramètres universellement acceptés : ce qui est grand est,
pour tous, également grand.
En revanche, on ne retrouve pas ces paramètres, s’agissant de la perception d’une fragrance. Il n’existe pas, par
exemple, pour les fragrances, une classification comparable
à celle des couleurs ; la seule chose qui existe, c’est une
caractérisation élémentaire, et d’ailleurs subjective, selon
laquelle on distingue entre l’odeur et la puanteur. Cette
absence de codification verbale du message olfactif est probablement à l’origine des difficultés rencontrées pour
décrire une fragrance d’une manière objective.
Cet aléa de la perception de la fragrance est en
étroite relation avec la mémoire dite olfactive, capable
de reconnaître longtemps après une certaine fragrance,
mais totalement incapable, de la reconstruire mentalement une fois que cette fragrance n’est plus là 68. Voilà
pourquoi on ne mémorise pas les odeurs comme telles,
mais on s’en souvient en y associant les sensations
qu’elles nous procurent ou en évoquant symboliquement des données contextuelles (au moment de sa perception) 69. C’est pourquoi, au moment de les décrire,
on se voit obligé de revenir sur ces évocations, ce qui
rend le résultat d’un pareil exercice nécessairement subjectif. Par exemple, si l’on songe à ce qu’ a écrit
P. Süskind 70 : « le parfum […] n’avait pas de trace de
vulgarité. C’était absolument classique, rond et harmonieux. Et pourtant d’une nouveauté fascinante. C’était
frais mais pas racoleur. C’était fleuri, sans être pâteux.
[…]. Cela vous avait de la profondeur, une magnifique
profondeur, tenace, flamboyante et d’un brun foncé –
mais pas surchargée ni grandiloquente pour un sou » 71.
Ce n’est pas le fait que la perception elle-même varie
d’un sujet à un autre (comme certains l’ont soutenu
pour la perception par les sens chimiques) qui dérange le
droit d’auteur, puisqu’en définitive, la perception de
tout type d’œuvre est en elle-même et toujours, dans
une certaine mesure, subjective, comme la jurisprudence l’a fort justement signalé 72. En réalité, le problème posé au droit d’auteur consiste principalement
dans le fait que la caractérisation de la perception d’une
fragrance est nécessairement empreinte de subjectivité.
Certes, il sera toujours possible de recueillir l’avis d’un
expert mais, comme l’a signalé un avocat spécialisé en
la matière 73, l’opinion des experts n’est pas toujours
unanime. D’ailleurs, l’expert ne pourra jamais donner
un avis technique objectif. Il pourra tout au plus donner
son opinion sur la question de savoir si une création
constitue un plagiat ou non, et ce faisant, il se substituerait au juge à qui il appartient de décider.
La difficulté consiste alors à trouver une manière de
caractériser concrètement un parfum, de manière à ce que
celui-ci puisse faire l’objet d’une comparaison objective
avec les produits prétendument contrefaisants 74.
....................
....................
65. J.-C. Galloux, op. cit. p. 2644.
66. Parce que, comme on l’a déjà dit, le même message olfactif peut
s’obtenir moyennant des formules différentes, ce qui veut dire que la
comparaison de deux formules ne garantit pas la vérité sur l’identité de
deux messages olfactifs.
67. À cet égard on peut consulter l’ouvrage Olfaction, Taste and Cognition,
(ouvrage collectif), éd. C. Rouby, Cambridge University Press, Cambridge, 2002.
68. V. en général les explications in Odeurs et Parfums, (ouvrage collectif),
Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1999, Paris,
p. 10 sq.
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, JUILLET 2005 / N° 16
69. Les particularités par rapport au sens de l’olfaction peuvent se résumer
comme l’a fait J. Candau : « La mémoire olfactive a au moins trois particularités : elle est durable et résistante, son codage verbal est médiocre et
elle enregistre en même temps que l’odeur tout son contexte sensoriel et
émotionnel ». J. Candau, Mémoire des odeurs et savoir-faire professionnel in Odeurs et parfums, op. cit. p. 182.
70. P. Süskind, Le parfum. Histoire d’un meurtrier. Traduit de l’allemand
par Bernard Lortholary, Le livre de Poche, p. 79.
71. Parfum floral, fruité, harmonieux, frais, etc. Voilà quelques expressions utilisées par l’industrie du parfum pour décrire ses produits.
72. « Kecofa argues that the perception of the perfume is too subjective to be a
"work". But the Court says that perception is always somewhat subjective ». V.
Lancôme c/ Kecofa (appel 2004). Des remarques identiques se retrouvent
dans Thierry Mugler Parfums c/ GLB Molinard (1999) et dans L’Oréal c/ Bellure (2004).
73. Il s’agit de P. Breese. V. Sensory Creations and Intellectual Property.
The contribution of Metrology and Sensory Analysis in the Defense of
Creator’s Rights : accessible à partir du site internet : <www.breese.fr>.
74. L’affaire qui illustre le mieux cette difficulté a été Thierry Mugler Parfums
c/ GLB Molinard (1999), où les parties ont eu recours à quatre moyens différents de preuve pour établir la similitude des parfums litigieux, à savoir :
(i) leur analyse par chromatographie (ii) le recours à un « nez » ou personne
de sensibilité olfactive spécialement développée (iii) le recours à un « nez
électronique » et (iv) une enquête réalisée entre mille cent onze personnes
représentatives des consommateurs. P. Breese (suite de la note page 262)
261
D o c t r i n e
avis, n’est pas non plus défendable pour différentes raisons. En premier lieu parce que, comme l’a déclaré J.C. Galloux 65, la variabilité du parfum à travers le temps
est un élément qui est propre à la création elle-même ;
et en second lieu, parce que les altérations, dont une
certaine création peut faire l’objet, sont indifférentes à
sa qualité (initiale) d’œuvre.
À l’heure actuelle, la technologie a mis à notre disposition des « nez électroniques » (eNOSE) qui traduisent la
composition d’une substance chimique en signaux électriques classifiés en odeurs connues 75. Ces appareils permettent une mesure objective du message sensoriel dégagé par
le parfum, compte tenu de l’absence d’interprétations personnelles et de références culturelles susceptibles d’en altérer
l’analyse (i), et donnent un résultat sous la forme d’un signal
numérique (ii) 76. La métrologie sensorielle permet aujourd’hui une comparaison objective de deux odeurs, ce qui
permet de ne plus dépendre de l’avis des experts, et de faire
l’économie des coûteuses enquêtes menées auprès des
consommateurs ou d’être dans l’obligation de comparer
deux formules.
Les difficultés techniques pour établir objectivement
la différence entre deux fragrances ont été fatales pour
la demanderesse dans les affaires Laire c/ Rochas (1re instance 1974) 77 et L’Oréal c/ Bellure (2004) 78. Dans Kenzo
c/ Via Paris (appel 1997), comme nous l’avons déjà vu 79,
la cour n’a pu démontrer l’identité entre les deux fragrances litigieuses 80, mais à l’issue de l’examen de l’action en concurrence déloyale, elle s’est contentée
d’affirmer que les deux parfums appartenaient à la même
famille olfactive, floral-frais-fruité.
III. L’originalité
a) Le critère du degré d’élaboration
La reconnaissance de l’originalité d’un parfum, comme
l’a remarqué le TGI de Paris dans Beauté Prestige c/ Eva
....................
aussi propose comme solution au problème de la comparaison de
messages olfactifs, une méthode cumulative de différentes sortes d’analyses (analyse métrologique, analyse sensorielle et analyse chromatographique) corroborée par l’opinion d’un ou plusieurs experts,
v. P. Breese, La difficile mais irréversible émergence des marques
olfactives : Propr. intell. 2003, n° 8, p. 267.
75. Le tribunal dans l’affaire Thierry Mugler Parfums c/ GLB Molinard
(1999), considéra en accord avec l’opinion des experts consultés, que la
technologie du nez électronique, dont la sensibilité se chiffra autour de
mille fois inférieure à celle du nez humain, n’était pas à cette date suffisamment fiable. Aujourd’hui, plus de cinq ans après, on doit croire que
cette technologie a été probablement améliorée. À cet égard, on peut
consulter les informations sur les recherches faites par la National Aaeronautics and Space Administration (NASA) sur : < http ://enose.jpl.nasa.gov/ >, par le département d’ingénierie de la Warwick University :
<http ://www.warwick.ac.uk> ou les informations qui se trouvent sur le
site Internet du projet « Nose II » : < http ://www.nose-network.org/ >.
76. P. Breese, Propriété intellectuelle des créations sensorielles, accessible
sur le site : < www.breese.fr >.
77. J.-L. Crochet, op. cit. p. 459 ; E. Pamoukdjian, op. cit. p. 210.
78. Aussi dans Clarins c/ Batignoles (1997), bien que la remarque selon
laquelle « en tout état de cause la société Clarins n’établit pas que les
jus soient similaires » peut surprendre parce que elle était précédée de
l’affirmation « toutefois un parfum ne constitue pas une œuvre de l’esprit
susceptible d’être protégée [...] ».
79. Supra note n° 6.
80. « Mais considérant que les deux parfums en litige présentent, si ce
n’est une composition identique (en absence de document probant), une
fragrance située dans la même famille olfactive [...] ».
262
France (2004) 81, est étroitement lié au problème évoqué
précédemment, de l’impossibilité de caractériser objectivement une fragrance. Les juges ont eu souvent
recours à cet argument pour rejeter les demandes des
parfumeurs, en particulier quand ils n’avaient pas de
meilleure justification pour refuser une nouvelle extension du champ d’application du droit d’auteur.
L’intérêt de la question se comprend facilement si
l’on constate que dans la plupart des décisions, les tribunaux ont reconnu au parfum la qualité d’œuvre de l’esprit susceptible d’être protégée, mais ont néanmoins
refusé la protection sollicitée au motif que la preuve de
l’originalité du parfum en cause n’était pas rapportée.
Ce fut le cas dans l’arrêt Clarins c/ Batignolles en 2000,
ainsi que dans les décisions postérieures, L’Oréal c/ Bellure et Beauté Prestige International c/ Eva France en 2004.
Bien que la difficulté qui entoure la reconnaissance
de l’originalité des créations olfactives ne diffère pas du
problème plus général que pose l’originalité des œuvres
de l’esprit quelque soit leur genre, la question revêt dans
le cas des parfums un aspect particulier. En effet, pour
caractériser l’originalité d’une œuvre littéraire, artistique
ou musicale, on émet en général une opinion sur le
résultat qui nous est présenté même si l’on ne sait pas
exactement ce qu’est une œuvre originale. Ceci est dû
au fait que chacun est individuellement capable de percevoir l’originalité, même si personne n’arrive à la définir. On détecte de façon relativement facile l’originalité
des œuvres qu’on perçoit à travers les sens mécaniques ;
on sait par exemple que le titre Histoire de la France n’est
pas original pour un ouvrage sur ce sujet. De la même
manière on ne doute pas de l’originalité quand il s’agit
d’un poème, par exemple, de Baudelaire. Toutefois,
cela ne signifie en aucun cas qu’on soit en mesure d’établir a priori, avec une définition universelle, la différence
entre ce qui est et ce qui n’est pas original. Au surplus
on est capable de percevoir l’originalité, mais sans pouvoir la définir.
Cependant, pour le parfum, l’originalité est loin
d’être facile à percevoir. Qu’est-ce qui caractérise un
parfum original ?
Même si cela est le plus souvent inconscient, le degré
d’originalité est apprécié en fonction du travail présumé
investi dans une œuvre. On projette une représentation
mentale du travail nécessaire à la réalisation d’une certaine œuvre, afin de connaître son degré d’élaboration.
Plus une œuvre est élaborée, plus elle est propre à son
auteur et moins par ailleurs, il y a de chances qu’elle soit
créée de façon indépendante par une autre personne ;
ce qui contribue à en faire une œuvre véritablement
originale.
Cependant, n’étant pas familiarisé avec le processus
de création en matière de parfumerie et notre sens de
....................
81. « Attendu que si le tribunal est bien conscient de la difficulté de
décrire un parfum, il importe cependant au demandeur à la protection
de dégager ce qui en constituerait l’originalité [...] ».
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, JUILLET 2005 / N° 16
b) Le critère de la probabilité de la création identique et
indépendante
Pour compléter notre argumentation, nous devons
nous interroger sur la véracité de l’hypothèse inverse
de celle sur laquelle on a construit notre raisonnement : une œuvre peut-elle être originale si elle est
peu élaborée ?
Plus grande sera la simplicité dans la sélection, la
combinaison et l’exécution des éléments constituant
une œuvre, plus celle-ci sera susceptible d’être créée de
manière indépendante. Et si cela se réalise, ou s’il existe
une probabilité raisonnable que l’œuvre soit créée indépendamment par une autre personne, alors on devra
considérer que l’œuvre n’est pas originale, puisque l’empreinte de la personnalité d’un auteur (condition nécessaire pour considérer une œuvre comme originale) est
unique, comme la personnalité elle-même, construite à
partir d’expériences uniques. La création indépendante (ou
sa probabilité) serait la preuve définitive de la banalité
et donc du manque d’originalité du résultat particulier,
objet de cette « double création ». En effet, ce résultat
ne pourra pas être considéré comme ayant l’empreinte
de la personnalité de son auteur 82.
Par conséquent, pour le droit d’auteur, une œuvre
devrait être considérée comme originale quand la probabilité qu’elle soit recréée de manière indépendante
(c’est-à-dire, quand la probabilité qu’une autre personne
produise le même résultat sans avoir copié la première)
est si faible qu’on peut la tenir pour inexistante, même
si statistiquement cette probabilité existera toujours 83.
....................
82. D. Diderot écrit : « Selon moi, un original est un être bizarre qui tient
sa façon singulière de voir, de sentir et de s’exprimer de son caractère. Si
l’homme original n’était pas né, on est tenté de croire que ce qu’il a fait
n’aurait jamais été fait, tant ses productions lui appartiennent. Mais, en ce
sens me direz-vous, tous les hommes sont des originaux. Car quel est
l’homme qui puisse faire exactement ce qu’un autre a fait ? » in Génie,
Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, cité
par B. Edelman, Le sacre de l’auteur, Éditions du Seuil, Paris, 2004, p. 34.
Sur le sujet, v. la fable de J.-L. Borges, P. Menard, autor del Quijote, qui
fait partie de El jardı́n de senderos que se bifurcan (1941), in Ficciones
(1944).
83. Les avocats de Lancôme dans l’affaire Lancôme c/ Kecofa (appel 2004)
réussirent à convaincre le juge que la possibilité pour les défendeurs de
réaliser par hasard leur parfum (dont 24 des 26 composants du parfum
original étaient identiques), c’est-à-dire, sans avoir copié celui des demandeurs, était égal à celle de gagner à la loterie tous les jours pendant une
période de cent ans. V. N. Tyacke et R. Higgins, précit..
Voilà comment les notions d’originalité et de nouveauté,
malgré leurs différences, se rejoignent 84
Si ce raisonnement facilite la caractérisation de l’originalité, il ne nous donne pas une formule définitive
permettant d’identifier ou de démontrer l’originalité a
priori de l’œuvre. Il faudra toujours examiner si la probabilité d’une création indépendante existe pour apprécier l’originalité de l’œuvre. En réalité, la spécificité de
la création en matière de parfumerie, caractérisée par la
variation d’un nombre réduit de thèmes divers, limite
énormément la liberté créatrice et fait augmenter parallèlement les possibilités de créations identiques indépendantes. C’est la raison pour laquelle, les tribunaux ont
souvent préféré se laisser convaincre, sans le soutenir
expressément dans leurs motivations, en s’appuyant sur
le premier des critères d’appréciation mentionnés (le
critère du travail), beaucoup plus facile à vérifier.
Dans l’affaire Lancôme c/ Kecofa (appel 2004), par
exemple, les affirmations selon lesquelles le parfum « [...]
came forth out of a carefully designed process » ; « Lancôme
chose 26 olfactory components out of several hundreds of
components that led to this specific and unique combination
[...] », et enfin « The perfume is the result of the fact that
Lancôme was trying to create a striking and unique scent »
suffirent à la Cour hollandaise pour conclure que « (the)
perfume is original and holds a personal stamp of the maker ».
Ces assertions peuvent être considérées comme une
manifestation non équivoque de l’assimilation du travail
et de l’originalité 85.
Sur le fondement de l’idée de travail – bien que cette
fois pour en tirer des résultats contraires – la Cour d’appel de Paris dans l’affaire Clarins c/ Batignoles (appel
2000), reprocha aux demanderesses de n’avoir pas
fourni, pour faire admettre l’originalité de leur parfum,
« ni élément sur les travaux et recherches qu’elle a effectués
pour mettre au point cette fragrance, ni analyse par
chromatographie permettant de déterminer sa composition précise [...] ». Elle ajouta que « les seules indications
mentionnées sur l’emballage du produit sont insuffisantes pour apprécier l’effort créatif de l’auteur de cette
fragrance ». Curieuse combinaison des notions de travail
(travaux et recherches effectués ; effort créatif de l’auteur) et de
nouveauté pour caractériser l’originalité puisque, comme
s’interroge J.-C. Galloux 86, qu’apporte l’analyse de la
composition (chimique) du parfum à la caractérisation
de l’originalité, sauf à la déclarer nouvelle par rapport à
l’art antérieur ?
On trouve aussi des manifestations de cette assimilation des concepts d’originalité et de nouveauté, ainsi que
des allusions au critère du travail comme mécanisme
pour mesurer l’originalité dans l’arrêt Thierry Mugler Parfums c/ GLB Molinard (1999).
....................
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, JUILLET 2005 / N° 16
84. V. note n° 104.
85. Dont la formulation en terminologie anglo-saxone reçoit métaphoriquement le nom de Sweat of the brow, et qui bien que supprimée aux
États-Unis, est encore en vigueur au Royaume-Uni (avec quelques changements) sous la forme du skill, labour and judgement.
86. J.-C. Galloux, op. cit., p. 2644.
263
D o c t r i n e
l’odorat manquant de l’entraînement approprié, on ne
peut apprécier ce même travail par rapport au parfum
ou, (ce qui est la même chose) on ne peut apprécier le
degré d’élaboration d’un certain résultat final en matière
de parfums ; cela implique que nous ne sommes pas
capables d’émettre une opinion fondée sur la mesure
dans laquelle on peut trouver dans le parfum l’empreinte
de la personnalité de son auteur ou, ce qui est la même
chose, son originalité.
Dans cette décision, il est fait référence à la notion
de travail, le Tribunal de grande instance de Paris déclarant que le parfum « est indéniablement une œuvre de
l’esprit » parce qu’il est « le résultat d’une véritable
recherche artistique, souvent longue ».
Pour caractériser l’originalité, le TGI s’est servi de
notions très proches (sinon similaires) de l’idée de nouveauté. Il accepta l’argument des demanderesses selon
lequel le parfum, « par l’originalité de sa fragrance, est
manifestement à l’origine d’une tendance nouvelle » qui est
celle des parfums à odeur gourmande et sucrée avec
une note « caramel » 87. Le juge conclut que la fragrance
litigieuse « a introduit en parfumerie la notion des notes
gourmandes ». En outre, pour renforcer cette argumentation, le tribunal ajouta qu’« aucune antériorité n’est
opposée ». La preuve définitive de cette supposée originalité est finalement renvoyée au public spécialisé en
principe, au courant d’éventuelles « antériorités ». À cet
égard, le TGI conclut : « elle a été (l’originalité) unanimement reconnue par la presse ».
Le critère de la nouveauté a été timidement relégué
au second plan dans l’arrêt Beauté Prestige International
c/ Bellure (appel 2004), la Cour de Paris ayant estimé
que « son originalité (celle du parfum) n’est pas contestable, dès lors que son parfum se distingue parfaitement
de toutes les autres fragrances et est adopté par une
clientèle très nombreuse à la recherche d’un signe d’individualisation ». Si le parfum se distingue de toutes les
autres fragrances (il faut noter que la cour omet intentionnellement l’emploi de l’adjectif « antérieures »), que
faut-il en conclure ? Simplement qu’il est en réalité
considéré comme nouveau. La cour a toutefois essayé de
reconduire des interprétations erronées en ajoutant que
la preuve de l’originalité du parfum, serait de surcroît
apportée par l’achat du parfum « par une clientèle très
nombreuse à la recherche d’un signe d’individualisation ». En raisonnant de la sorte, la cour semble faire
reposer la preuve de l’originalité sur le fait que le public
lui-même la reconnaît, en acquérant le parfum comme
signe d’individualisation dans la croyance, bien sûr, que
celui-ci est original 88. Il nous semble cependant surpre-
....................
87. Et l’on retrouve ici un problème supplémentaire qui est celui de
commettre l’erreur, au moment d’évaluer l’originalité, de protéger une
tendance, ou un genre en parfumerie. L’affaire Thierry Mugler Parfums
c/ GLB Molinard (1999) en est malheureusement une illustration. La doctrine a critiqué très fortement le fait que le tribunal se soit montré disposé
à protéger un genre (celui des parfums « à odeur gourmande et sucrée,
avec une note caramel ») même s’il résout finalement le problème par la
tangente, en refusant de protéger la création par le droit d’auteur (mais
en recevant l’action en concurrence déloyale) du fait que la demanderesse
(une personne morale) n’avait pas apporté la preuve de la cession de la
titularité sur le parfum en question (nécessairement créé par une personne
physique). Sur le risque de tomber dans l’erreur de protéger un genre en
parfumerie, consulter, en relation avec l’arrêt cité, note C. Caron, supra
note n° 8 et J. Calvo, supra note n° 8. V. aussi les explications sur l’arrêt
Kenzo c/ Via Paris (appel 1997), supra note n° 6.
88. V. à cet égard l’analogie avec les décisions Thierry Mugler Parfums
c/ GLB Molinard (1999) : « elle a été (l’originalité) unanimement reconnue par la presse » et Lancôme c/ Kecofa (appel 2004) : « (This) specific and
unique combination [...] was very popular upon its introduction to the public ».
264
nant qu’une cour d’appel reprenne cet argument après
qu’un tribunal de première instance, dans l’affaire Beauté
Prestige International c/ Eva France (2004), ait établi, avec
raison pensons-nous, que « [...] le succès d’un parfum
n’en démontre pas l’originalité ».
Dans l’affaire Lancôme c/ Kecofa (appel 2004), le critère de la nouveauté est, à juste titre selon nous, explicitement écarté, au profit de celui d’une évaluation
subjective de l’originalité, c’est-à-dire, du point de vue
du créateur. La cour déclare dans ce sens que « [...] to
receive copyright protection, the work does not need to be new
in the objective sense. It needs to be subjectively original as
viewed by the maker ».
La jurisprudence s’est finalement écartée du critère
hybride intégré par les notions de travail et de nouveauté
dans l’affaire L’Oréal c/ Bellure (2004), où il est clairement affirmé que « l’analyse chromatographique [...] ne
permet pas de connaître le cheminement des travaux et
recherches effectués par les demanderesses pour mettre
au point les fragrances en cause et, partant, de distinguer
ainsi le "savoir faire", non protégeable, de l’aspect créatif
de l’auteur ». La Cour de Paris a abondé dans le même
sens dans l’arrêt Beauté Prestige International c/ Eva France
(2004) lorsqu’elle a retenu qu’« il importe au demandeur
à la protection de dégager ce qui en constituerait l’originalité, laquelle ne résulte pas de la seule énumération de
ses composants ».
En effet, l’originalité d’un parfum ne se trouve et
ne doit pas être appréciée par rapport à son processus
d’élaboration, c’est-à-dire, sa composition chimique,
dont une analyse par chromatographie révélera les
composants 89, mais par rapport au message olfactif, à
l’odeur, à la fragrance qui est le parfum lui-même 90.
c) Les discussions sur les critères à retenir
Selon le parfumeur E. Roudnitska, on arrive à l’originalité d’un parfum à travers « (une) recherche esthétique qui consiste à conjuguer avec art quelques dizaines
de matériaux odorants [...] en vue d’obtenir une forme
olfactive belle 91 et caractéristique. Si elle est belle et
caractéristique elle sera nécessairement marquée par la
personnalité de son auteur » 92.
De plus la doctrine spécialisée ne réussit pas à trouver
de solution à une problématique aussi délicate. D’ailleurs, pour le moment, on attend toujours une définition de l’originalité applicable aux produits de
parfumerie.
E. Glemas considère tout simplement que « […]
chaque compositeur de parfum a son "style", comme
....................
89. P. Sirinelli, supra note n° 14, op.cit.p. 909.
90. I. Matthyssens, op. cit. p. 49.
91. Ou puante. Comme il est généralement admis, l’opinion sur la beauté
d’une création est indifférente pour déterminer sa protection par le droit
d’auteur. Le seul critère est celui de l’originalité. On doit donc interpréter
les mots de E. Roudnitska en tenant compte de la personne qui les prononce : un maître parfumeur.
92. E. Roudnitska, Le Parfum, op. cit. p. 77.
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, JUILLET 2005 / N° 16
sont que des "variations" sur un thème préexistant, une
base [...] ou la synthèse entre deux parfums [...] c’est-àdire "relativement" original ». Cependant le travail de
celui qui crée des variations ne doit pas être sous-estimé,
car « le parfumeur sait combien il est difficile de créer
des notes odorantes de conceptions nouvelles à l’aide de
matières premières déjà connues » 100.
Une difficulté supplémentaire apparaît concernant
l’originalité en matière de parfums, car il semble que la
marge de manœuvre pour être original est particulièrement limitée dans ce domaine 101. C’est peut-être la raison pour laquelle une partie de la doctrine (et de la
jurisprudence) a choisi de se référer constamment à la
notion de nouveauté, en assimilant les deux critères
comme s’il s’agissait de la même chose.
Le parfum absolument original, conclut J.-P.
Pamoukdjian, « existe malgré toutes ces difficultés relatives aux matériaux utilisés et handicaps commerciaux :
c’est celui qui, au niveau des notes de cœur, met en
valeur un accord ou un thème non encore exprimé ou
qui introduit une note originale due à l’utilisation d’une
matière première inédite » 102. Mais une telle analyse
nous renvoie à nouveau à la notion de nouveauté…
Quel est donc le parfum original ? Quelles indications devraient suivre les tribunaux pour distinguer le
parfum 103 original de celui qui ne l’est pas ?
À notre avis, ces indications ne diffèrent pas de celles
qui devraient être prises en compte pour toutes les
autres créations de l’esprit susceptibles de protection par
le droit d’auteur. Le tribunal devra tout simplement
examiner si la création qui lui est présentée est raisonnablement susceptible d’être (re)crée de manière indépendante. Dans l’affirmative, le parfum (ou n’importe quel
autre genre de création) ne pourra pas être considéré
comme original pour les raisons déjà exposées. Dans la
négative, le parfum (la création) portera l’empreinte de
la personnalité de son auteur et, donc, sera considéré
comme original 104.
....................
....................
93. E. Glemas, op. cit. p. 38.
94. J.-M. Bruguière, L’odeur saisie par le droit, dans Études de droit de la
consommation, VVAA, Liber amicorum, J. Calais-Auloy, Dalloz, 2004, Paris,
p. 186.
95. J.-L. Crochet, op. cit. p. 458.
96. J.-C. Galloux, op. cit. p. 2644.
97. J.-P. Pamoukdjian, op. cit. p. 219.
98. E. Roudnitska, Le Parfum, op. cit. p. 9.
99. J.-P. Pamoukdjian, op. cit. p. 221.
PROPRIÉTÉS INTELLECTUELLES, JUILLET 2005 / N° 16
100. Des remarques identiques sont faites par P. Breese, « Sensory creations and… », précit.. aussi bien que dans l’arrêt Lancôme c/ Kekofa (appel
2004) où il fut établi que « The fact that the perfume fits a certain style or
tradition is insufficient to consider it unoriginal ».
101. L’est-il vraiment ou s’agit-il simplement d’une question de commodité commerciale ? La création d’un parfum original, signale J.P. Pamoukdjian, op. cit. p. 221, « fait peur aux gens de marketing. [...] Ils
tremblent devant les investissements nécessaires pour créer un parfum
[…]. Alors, être original, c’est commercialement dangereux ».
102. Et cite tout de suite l’exemple du Chanel n° 5, considéré par la profession comme un parfum absolument original pour avoir été le premier à être
enrichi avec une matière première jusqu’à alors inédite : les aldehydes.
103. Il ne doit pas nécessairement s’agir d’un parfum. D’autres genres de
créations adressées à l’odorat, à condition qu’elles satisfassent la formalité
de l’originalité, peuvent aussi se voir protégées par le droit d’auteur. Il
faut penser à l’industrie alimentaire, par exemple, qui en plus des goûts,
pourrait aussi s’intéresser aux odeurs… Il s’agit d’un thème très large que
nous nous bornons à signaler.
104. Vu de cette manière, cela signifie que le parfum (la création) original(e) sera nécessairement neuf. Certes, mais nous ne devons pas
confondre la logique du raisonnement : le parfum neuf ne sera pas nécessairement original. Originalité et nouveauté restent toujours des notions
différentes.
265
D o c t r i n e
tout artiste, et quoi qu’il fasse, il ne peut s’empêcher de
mettre une touche de ses essences préférées » 93. L’originalité, selon cet auteur, résiderait dans le style, dans les
références propres à chaque créateur. Cette conception
est d’ailleurs hasardeuse, puisque, comme il a été généralement admis, le droit d’auteur ne protège pas le style
dont la protection est plutôt assurée par le droit de la
concurrence déloyale.
Selon J.-M. Bruguière 94, l’appréciation de l’originalité d’un parfum ne pose pas plus de problèmes que
celle d’autres genres d’œuvres. « Entendue de la même
manière que les autres œuvres relevant de la loi du
11 mars 1957, elle (l’originalité) s’appréciera sur les
"notes de cœur" du parfum qui constituent son thème
principal, l’équivalent de la mélodie dans le monde
musical ». Certes, il s’agit d’une aide très valable pour
déterminer la partie de la structure d’un parfum sur
laquelle on devra évaluer l’originalité mais, elle n’établit
pas de critère permettant d’apprécier si cette formalité
est satisfaite.
Selon J.-L. Crochet 95, il ne serait pas possible de
trouver l’empreinte de la personnalité de l’auteur dans
les créations de parfumerie. L’originalité devrait plutôt
être comprise « comme un critère de nouveauté objective
caractérisée » et donc « restreindre la protection légale à la
réalisation de cette condition ». La preuve de la nouveauté objective devra être rapportée pour bénéficier de la
protection de la loi. Pour cela, toujours selon cet auteur,
les créations devront se distinguer suffisamment du
patrimoine culturel commun et des créations préexistantes, ce qui serait, comme J.-C. Galloux 96 l’a souligné,
un critère propre aux arts appliqués.
J.-P. Pamoukdjian qui s’est également demandé
comment établir l’originalité en matière de parfums a
conclu que celle-ci doit être cherchée dans « l’effort
intellectuel au niveau de la "structuration" de la composition » 97. Mais comment peut-on appréhender cet
effort intellectuel au niveau de la structuration de la
composition d’un parfum dans une industrie où il est
courant et admis de s’inspirer des parfums en cours et
de varier sur les mêmes thèmes ?
E. Roudnitska 98 déclare dans son livre sur le parfum
que « (l)es parfums se rangent tout naturellement dans
des "familles" qui s’échelonnent derrière le "chef de file"
qui leur a donné naissance. Les vrais chefs de file sont
peu nombreux (une quinzaine en soixante-dix ans) qui
ont suscité des véritables séries ».
Des remarques identiques sont faites par J.-P.
Pamoukdjian 99 : « Une grande majorité de parfums ne
IV. Le chemin parcouru
à la recherche d’une protection :
bilan et interrogations
Dans son combat pour prendre place au sein du droit
d’auteur, l’industrie du parfum a réussi à faire prononcer
par les instances judiciaires quelques décisions à partir
desquelles il est possible d’esquisser l’itinéraire parcouru
jusqu’à présent.
Le point de départ consista à soutenir que la loi n’exclut pas a priori les créations s’adressant au sens de l’odorat ou, plus précisément, que le caractère ouvert des
listes des œuvres permettrait de les protéger à condition
que celles-ci satisfassent les conditions légales.
C’est en suivant cette stratégie que les avocats de la
demanderesse obtinrent dans l’affaire Laire c/ Rochas,
une importante décision de la cour selon laquelle, le
caractère ouvert de la liste « ne permet pas d’exclure a
priori celles (les œuvres) qui pourraient éventuellement
l’être par les trois autres sens 105 ». La cour laissa ainsi
planer un doute raisonnable sur cette possibilité et se
voyait par conséquent obligée de considérer la question
de fond à savoir si un parfum peut être considéré
comme une œuvre de l’esprit susceptible d’être protégée par le droit d’auteur. C’est précisément sur ce point
qu’elle trouva (tenant compte du supposé caractère
industriel, comme il fut dit) un obstacle insurmontable
pour obtenir la protection sollicitée.
Le succès de l’affaire Laire c/ Rochas (appel 1975) –
une petite victoire, en réalité – fut de réussir à entrouvrir les portes de l’examen de la question de « l’éventuelle » protection des créations s’adressant aux sens du
goût et de l’odorat. L’objectif suivant de l’industrie du
parfum était de convaincre les juges que la création en
parfumerie est une véritable œuvre de l’esprit. Cela n’a
cependant pas pu se faire dans l’affaire Clarins c/ Batignolles (1re instance 1997), où le TGI de Paris s’est
contenté d’affirmer tout simplement qu’« [...] un parfum ne constitue pas une œuvre de l’esprit susceptible
d’être protégée au sens [...] du Code de la propriété
intellectuelle ».
Il faudra donc attendre l’arrêt Thierry Mugler Parfums
c/ GLB Molinard (1999) pour trouver une décision
reconnaissant sans hésitation au parfum le caractère
d’œuvre de l’esprit susceptible de véhiculer la personnalité de son auteur. Cette conclusion se retrouvera, de
manière implicite, dans l’arrêt Clarins c/ Batignolles
(appel 2000) et plus tard et plus clairement dans les
affaires Beauté Prestige International c/ Bellure (1re instance
2002), L’Oréal c/ Bellure (2004), Beauté Prestige International c/ Eva France (2004), Lancôme c/ Kecofa (appel 2004)
et Beauté Prestige International c/ Bellure (appel 2004).
Cependant, malgré toutes ces décisions, seulement
deux d’entre elles ont fini par être favorables aux intérêts
des parfumeurs et une seule peut vraiment être considérée comme un vrai succès si l’on tient compte des principes qui devraient inspirer la protection du parfum.
Dans l’affaire Thierry Mugler Parfums c/ GLB Molinard
(1999), si le TGI estima que le parfum en litige était
une fragrance originale susceptible d’être protégée par
le droit d’auteur, il ne donna néanmoins pas suite aux
prétentions de la demanderesse parce que celle-ci n’apportait pas la preuve qu’elle était le titulaire de l’œuvre
en question, puisque en tant que personne morale, elle
ne pouvait pas être titulaire originaire à moins de
démontrer que le parfum était une œuvre collective.
Dans les affaires Clarins c/ Batignolles (appel 2000),
Beauté Prestige International c/ Eva France (2004) et
L’Oréal c/ Bellure (2004) la protection sollicitée ne fut
pas accordée, parce que les différents tribunaux considérèrent que l’originalité des parfums respectifs n’avait pas
été démontrée. La protection par le droit d’auteur a seulement été accordée dans les affaires Beauté Prestige International c/ Bellure (instance 2002 et appel 2004) et
Lancôme c/ Kecofa (appel 2004). Cependant, comme on
l’avait déjà souligné, ce dernier arrêt est discutable.
Conclusion
La situation semble prometteuse pour l’industrie du parfum, au moins en France, après l’arrêt très récent de la
Cour d’appel de Paris du 17 septembre 2004 dans l’affaire Beauté Prestige International c/ Bellure. Il faut toutefois attendre, pour voir comment va évoluer cette
jurisprudence, les décisions à venir des Cours de cassation françaises et hollandaises. On sera en outre attentif
aux procédures initiées par les maisons de parfum en
Italie et au Royaume-Uni 106 pour suivre les réponses
apportées à la question hors des frontières françaises.
Voilà pourquoi il serait souhaitable, avant que le
débat ne prenne plus d’ampleur, d’exposer sommairement quelques points d’interrogation que nous avons
écartés dans notre étude.
En premier lieu, il faut se demander si le droit d’auteur doit rester la première roue de secours de toute
industrie à la recherche d’une protection (dans notre
cas, l’industrie du parfum, quoique la réflexion puisse
s’étendre à d’autres). Comme chacun le sait, les droits
de propriété intellectuelle, sont une exception au principe plus général de la libre concurrence. L’octroi d’un
droit de propriété intellectuelle doit donc toujours être
précédé d’une analyse minutieuse des conséquences
qu’un tel monopole pourrait produire sur le marché. En
d’autres termes, le problème de l’imitation ne se résout
pas en reconnaissant, d’emblée, un droit de propriété.
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105. Laire c/ Rochas (appel 1975).
106. Selon la note parue sur le site Internet de CosmeticWeb :
< www.cosmeticweb.co.za >.
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107. « Dans le domaine de la parfumerie, pour lutter de manière efficace
contre la contrefaçon, il faut renforcer la protection du produit, c’est-àdire la fragrance, et ce au moyen d’un droit privatif et non pas par le
subterfuge que constitue l’action en concurrence déloyale ». J. Monteiro,
Directeur du service marques chez L’Oréal, Quatrièmes Rencontres Internationales de la Propriété Industrielle 6 et 7 oct. 2003, organisées par la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI),
intervention accessible sur le site : < http ://www.cncpi.fr >.
108. Il serait douteux qu’un parfum qui ne répond pas à l’idée d’invention
(de création technique) mais à celle de création esthétique puisse satisfaire
les conditions de brevetavilité.
109. Révélation de la formule, protection limitée à 20 ans, dilatation dans
le processus de sollicitude, etc.
convaincante reste le droit d’auteur. Cependant, la protection du parfum par le biais du droit d’auteur pose et
posera des questions importantes que nous nous bornerons pour le moment de relever.
En premier lieu, il conviendra de prendre garde aux
conséquences qu’un droit de propriété aurait sur une industrie accoutumée, comme l’a signalé J.-M. Bruguière 110, à
se mouvoir dans un espace de non-droit. Quelles implications pourraient en résulter pour les différents acteurs
(compositeurs, entreprises de composition et dessin de
parfums, maisons de parfumerie, entreprises fournissant
des matière premières, etc.) intervenant dans ce marché ?
En second lieu, on doit signaler les peurs que déclenchera une nouvelle extension du champ d’application du
droit d’auteur qui admettrait en son sein non seulement le
parfum, mais aussi d’autres genres de créations olfactives,
élargissant ainsi le débat aux créations gustatives.
À notre avis, ces peurs sont infondées. Il nous semble
que le conflit, qui donna naissance au droit d’auteur à
l’origine, réapparaît toujours lorsqu’il est question
d’imitation, et que si cette imitation a pour objet une
création originale au sens du droit d’auteur, la protection est justifiée. C’est à travers le critère de l’originalité,
tel qu’on l’a défini dans les pages précédentes, que la
distinction se fait entre les créations susceptibles de protection et celles dont la protection n’est pas justifiée.
Concernant les créations olfactives, on peut penser à
celles qui poursuivent une finalité pratique, et nonesthétique comme l’odeur pour prévenir un certain
comportement, ou pour éloigner, par exemple, des
insectes, etc. La finalité pratique de ces créations favorise
largement la possibilité de leur double création 111, ce
qui empêche de les considérer comme originales. On
peut aussi penser aux créations olfactives évidentes,
c’est-à-dire, celles qui ne dépassent pas le niveau d’originalité nécessaire. C’est le cas de l’odeur de lavande ou
de sapin pour un diffuseur, de l’odeur de fraise pour un
médicament, etc. Celles-là sont aussi écartées. On ne
doit donc, pas s’alarmer inutilement.
En troisième et dernier lieu, il faut signaler que, s’il
est vrai que le problème de l’imitation cause un dommage considérable à l’industrie du parfum, il est aussi
vrai que celle-ci, dans la plupart des cas (pas tous, bien
sûr) vend principalement du marketing. En d’autres
termes, le consommateur du parfum, dans de nombreuses occasions (du moins quand il n’achète pas pour
satisfaire ses propres besoins) est obligé d’acheter une
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110. J.-M. Bruguière, op. cit. p. 184.
111. Face à un problème technique concret, il est très probable que les
différentes personnes qui auront à le résoudre arriveront au même résultat,
c’est pourquoi ces créations ne peuvent être considérées comme originales. Quand la finalité sera, au contraire, esthétique, alors cette hypothétique « double création » sera seulement raisonnablement possible, si le
niveau d’originalité atteint s’avère insuffisant pour considérer le résultat
concret comme empreint de la personnalité de son auteur.
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D o c t r i n e
Avant d’arriver à une telle solution, il est nécessaire de
savoir si le mécanisme de la concurrence déloyale est
suffisant. Le raisonnement logique à suivre pour
résoudre les problèmes de l’imitation devrait consister à
chercher des solutions à l’abri de (i) la concurrence
déloyale (ii) à travers les divers instruments de la propriété intellectuelle et, parmi ceux-ci (iii) le droit d’auteur qui, en application du principe de spécialité, ne
devrait jamais être la première option.
La concurrence déloyale ne semble pas satisfaire les
besoins de l’industrie du parfum 107. Du fait de l’insécurité engendrée par l’absence de droit exclusif immédiatement opposable à toute perturbation, la supposée
déloyauté dans la concurrence doit être prouvée « au cas
par cas », ce qui comporte aussi des incertitudes et des
insécurités.
Parmi les instruments de propriété intellectuelle, le
brevet ne semble pas non plus être approprié pour des
raisons de nature juridique 108 mais aussi de nature
commerciale 109. Il ne reste donc plus que le droit de
marques et le droit d’auteur.
Les difficultés de la marque olfactive sont étroitement liées à l’exigence de la représentation graphique
du signe objet de la protection (dans ce cas, le signe
olfactif) afin que les personnes intéressées puissent, au
moment de consulter le registre, savoir avec précision
la portée du monopole sollicité. Comment cette
représentation graphique peut-elle se réaliser pour une
fragrance ?
Au-delà des difficultés de procédure mentionnées, il
existe un doute réel dans le cas d’un parfum, sur la possibilité pour une fragrance de fonctionner elle-même
comme signe distinctif. À cet égard, on doit attirer l’attention sur le fait que la fragrance est le produit luimême, ce qui rend difficile de lui faire assumer une
fonction en qualité de marque. En outre, la protection
du message olfactif par le droit des marques (dans l’hypothèse où les difficultés antérieures seraient surmontées) trouve encore des limites dans la mesure où celuici ne protège pas une création en tant que telle, mais
seulement un signe par rapport à la fonction que celuici (destiné à certains produits et services) est censé
accomplir sur le marché.
Par conséquent, en raison, de l’incapacité des autres
branches de la propriété intellectuelle, la seule option
marque, et non un produit. Quel mari, comme l’a
signalé P. Sirinelli 112 offrirait comme présent à son
épouse la bouteille de plastique d’un litre et demi contenant le produit générique, entre dix et quinze fois meilleur marché que l’original, sous le prétexte qu’il s’agit
de la même fragrance que celle du parfum très connu ?
Il existe donc, une partie très importante des ventes de
la parfumerie de luxe qui n’est pas affectée par le problème de l’imitation. Sauf évidemment quand les bouteilles de plastique se transforment en de délicats
flacons…
Reste à attendre (i) que la Cour de cassation (avec
la difficile responsabilité de donner l’exemple sur ce terrain) se prononce sur le sujet et (ii) et observer comment
la jurisprudence abordera la question dans d’autres pays.
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112. P. Sirinelli,. supra note n° 16, op. cit. 47.
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