Accroche-toi à la rampe, j`enlève le porntipsguzzardo

Transcription

Accroche-toi à la rampe, j`enlève le porntipsguzzardo
Accroche-toi à la rampe, j’enlève le porntipsguzzardo
Mots-clés : Rumine/Sissi/escalier/Laurent/Manor/Kropf/Vaud/2011/Prisonnier/Vice caché/Hypoglycémie
Fabienne Radi, Lausanne
Il y a au milieu de Lausanne une immense pâtisserie, genre biscuit meringué fourré au
chocolat avec glaçage marbré et colonnes en massepain, un truc pour lequel l’expression les
yeux plus gros que le ventre semble avoir été inventée. Cette chose a été érigée sur la place de
la Riponne au début du siècle dernier grâce aux dernières volontés d’un jeune prince russe
disparu prématurément, Gabriel de Rumine, qui marqua la capitale vaudoise de sa patte de
mécène par une délicate touche néo-renaissance italienne. Si les autochtones passent
désormais devant sans lever le nez, les étrangers qui sortent de l’ascenseur du parking de la
Riponne sont chaque fois estomaqués par la vision de ce fleuron d’une architecture qui a
donné pas mal d’eczéma à Adolf Loos.1
La chose accueille les visiteurs par une volée d’escaliers monumentaux, extérieurs puis
intérieurs, qui transportent immédiatement le péquin moyen dans une scène de Sissi
impératrice et expliquent la musculature des mollets vaudois déjà mis à rude épreuve par une
topographie locale tourmentée. Au 2ème étage, un poil essoufflé, on est prêt pour arpenter les
salles du Musée Cantonal des Beaux-Arts en se prenant pour Romy Schneider période
batifolage avec Karlheinz Böhm. Sauf que pas du tout, le programme ne prévoit pas de robes
de bal en taffetas, ni de vestes d’officier avec épaulettes à franges dorées.
Accrochage (Vaud 2011) présente la crème des jeunes artistes résidant dans le canton de
Vaud. Le Prix culturel Manor récompense un jeune artiste local promis à un avenir radieux.
Souvent le second (Prix Manor) a participé au premier (Accrochage). La visite guidée du
Musée, réservée aux journalistes et dans laquelle je me suis immiscée, rassemble moins d’une
dizaine de responsables d’institutions ou de rubriques culturelles qui écoutent avec attention
les commentaires du directeur du Musée et de la commissaire d’exposition. Je compte sur eux
pour bien faire leur boulot. De mon côté, question accrochage je vais opter pour la littéralité.
On ne nomme pas impunément une exposition de la sorte.
And the winner of accrochage is… le système de suspension par vis cachées au dos de
l’œuvre (60%), suivi de très loin par la pose de l’objet au sol (16%), talonnée par les clous
visibles et sans tête (8%), avec en queue de peloton 4 systèmes relativement classiques à
savoir un socle, un collage à même le mur, des punaises blanches, enfin des épingles.
Bizarrement la pièce la plus réussie en matière d’accrochage ne se trouve pas dans
l’exposition du même nom, elle est située juste à côté, porte le nom farfelu de
Porntipsguzzardo et a été créée par Laurent Kropf, Prix culturel Manor 2011. Voyons un peu.
Kropf s’est carrément accaparé la plus grande salle du Musée pour fabriquer un dispositif
sournois qui oblige le visiteur à raser les murs et lui interdit d’entrer au sein d’une installation
gigantesque construite uniquement avec de grandes bandes de papier utilisées par les
photographes comme fond coloré pour leurs prises de vue en studio. Les bandes forment une
sorte de cage dans laquelle on ne peut pas entrer du fait de l’étroitesse des interstices entre
elles. La grande trouvaille de Kropf, c’est d’avoir utilisé la rampe d’éclairages de la salle
comme système de fixation des bandes. Une idée lumineuse. La rampe est fixée au plafond et
suit en retrait les contours de la salle rectangulaire, telle une barre de douche coudée audessus d’une baignoire.
L’installation fonctionne comme une sorte d’épuisette géante dont les bords seraient les
quatre côtés de la rampe. Retenu à l’extérieur, mais pouvant juste passer sa tête à l’intérieur,
le visiteur fume de ne pas pouvoir sauter sur ces bandes colorées formant au sol un tapis tressé
qui semble prêt à accueillir un cours de tai chi. L’installation emprunte à la fois :
1) à la technique du scoubidou (pour le tressage des bandes au sol : on imagine un ballet de
techniciens lilliputiens passant une bande par dessus, une bande par dessous et ainsi de suite
dans une grande opération Tissons à l’unisson un grand pullover pour Gulliver)
2) à l’esthétique du Rubik’s cube (pour la pédagogie des couleurs à combiner)
3) au principe des poupées russes (l’installation comme la salle dans la salle dans le Musée
dans le Palais)
4) à l’atmosphère paranoïaque de la série Le Prisonnier (Patrick McGoohan, 1967). A force
d’être retenu par une barrière certes fragile mais infranchissable par respect des conventions
(dans les Musées, on ne touche pas et on ne dépasse pas la ligne, un point c’est tout), on se
sent comme le Numéro 6 emprisonné dans le fameux village peuplé d’énergumènes à
optimisme forcené et vêtements bariolés; on se retient alors de crier JE NE SUIS PAS UN
NUMERO JE SUIS UN SPECTATEUR LIBRE ! La liberté étant ici celle d’entrer et non de
sortir évidemment. Notons au passage que l’artiste jouait déjà avec les notions d’inclusion /
exclusion – mais de manière inversée - dans une pièce précédente (Vieux Père, 2010), où le
spectateur se retrouvait sur un parquet de bois qui relevait ses lames autour de lui de manière
assez inquiétante. De coincé au milieu on est passé à éjecté dans les coins.
Poussons le bouchon de la parano un chouia plus loin. En observant de près le système de
fixation sur la rampe d’éclairage au-dessus de nos têtes, un doute s’installe : le haut de chaque
bande s’enroule autour d’une barre similaire à celle d’un store mécanique à ressort. On
imagine soudain un piège machiavélique destiné à attraper le visiteur irrespectueux qui aurait
enfreint les règles du Musée en pénétrant dans l’installation : à peine un pied posé à
l’intérieur, le malheureux est éjecté contre le plafond par l’ensemble des bandes qui
s’enroulent et se tendent instantanément ! Tel un moucheron collé dans une toile d’araignée,
le visiteur n’a plus qu’une seule solution, retrouver la formule magique qui va le libérer de
cette position inconfortable et la prononcer lentement et à haute voix en direction du système
de ventilation (c’est généralement là que les caméras sont planquées dans les films
d’espionnage) : PORN-TIPS-GUZ-ZAR-DO.2 Celui qui n’a pas pris le temps de lire le nom
de l’installation à l’entrée de la salle est mort. Game over. Le spectateur qui a réussi
l’épreuve, lui, peut aller souffler dans la salle d’à côté sur le banc prévu par Pauline Boudry
et Renate Lorenz pour visionner leur vidéo Contagious. Comme il y est question d’hystérie, il
ne sera pas forcément au bout de ses émotions. Au passage, il aura l’occasion de remarquer
que les photographies des deux lauréates de l’édition 2010 d’Accrochage représentent des
extraits de l’Iconographie de la Salpêtrière et sont accrochées au mur avec un système de
suspension ma foi très classique : vice caché dirait Freud. Ou plutôt Lacan, friand de jeux de
mots et de calembours au raz de la moquette.
C’est le moment de sortir du Palais Rumine pour chercher une vraie pâtisserie. Car visites
d’expositions et hypoglycémie vont souvent de pair. Surtout si les premières sont bonnes.
Tchüss Sissi.
PORNTIPSGUZZARDO (Prix culturel Manor 2011) + ACCROCHAGE (VAUD 2011) : jusqu’au 20
février 2011 au Musée Cantonal des Beaux-Arts de Lausanne : http://www.musees.vd.ch/fr/musee-des-beaux-arts/
Photographie : Nora Rupp / Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne
1
architecte autrichien défenseur du dépouillement intégral dans l’architecture moderne. Il écrit son essai Ornement et crime en
1908, soit 4 ans après la fin de la construction du Palais Rumine.
2
selon l’information donnée par l’artiste, Porntipsguzzardo est le nom d’un code utilisé dans une ancienne version du jeu Sim
City. En tapant ce code, le joueur recevait automatiquement 500 $ : une manière de se tirer d’affaire en contournant le
problème. De la triche intégrée au jeu en somme.

Documents pareils

rue de la synagogue 34 ch–1204 genève t/f +41 22 310 11 44 saks.ch

rue de la synagogue 34 ch–1204 genève t/f +41 22 310 11 44 saks.ch “Les feux de l’amour”, FRAC Aquitaine, Bordeaux, France, curated by Cécile Broqua et Cyril Vergès “Fil Rouge 2012”, Galerie Mayhaus, Erlach, Switzerland "Backstage", Backslash Gallery, Paris, Franc...

Plus en détail