Tsofack
Transcription
Tsofack
LE CAMFRANGLAIS 1OU LA NORME DU FRANÇAIS EN PERIL AU CAMEROUN ? « La sociolinguistique a en effet besoin du plurilinguisme (…) du choc des langues et des représentations (…). La sociolinguistique est essentiellement urbaine, et la linguistique urbaine ne peut être que sociolinguistique » (Calvet, 2002 : 4849). La problématique d’un « parler commun »2 est aujourd’hui une préoccupation majeure au Cameroun où le plurilinguisme est assez révélateur de la polyglossie et de la multiculturalité. On parle même d’un « labyrinthe linguistique » (Biloa 1999 : 147) ou mieux, d’un « Babel africain » (Bruneau, 2003 : 531) pour désigner cet environnement polyphonique particulier qui se situe dans ce que les linguistes appellent « la ceinture de fragmentation linguistique » (Tabi Manga, 1999 : 36). Ureña Rib (2002 : 11) a d’ailleurs relevé une situation similaire à propos de la Guyane, parlant d’une « société mosaïque où les communautés se côtoient mais ne se mélangent pas pour autant », pour montrer la difficulté d’un regard évaluateur unique sur ces peuples qui « vivent en état de diglossie variable allant du monolinguisme (…) au bilinguisme ». En effet, en Guyane comme au 1 Le camfranglais est un mot formé par coalescence de trois expressions : Cameroun, français et anglais qui désigne une espèce de langue cocktail en usage au Cameroun dont la structure de base est le français, mais qui se nourrit d’un lexique emprunté aux langues diverses comme le pidgin-english, l’anglais, les langues camerounaises et même européennes. 2 On entend ainsi une langue officielle, nationale ou régionale qui ferait office de langue commune à toutes les souches culturelles du Cameroun et dont la reconnaissance ne dépendrait plus de l’appartenance ethnique ou régionale comme le font les langues locales, mais nationale. 31 ANALYSES Cameroun, la problématique de la coexistence d’une norme standard du français avec une norme endogène locale ou régionale reste d’actualité3. Dans ces pays en effet où le français est aux prises avec une multitude de langues satellitaires ou autres parlers plus ou moins standardisés, la polyglossie est un fait d’évidence, variable selon les contextes et les situations. Mais, si le statut du français dans la mosaïque linguistique au Cameroun ne pose plus de doute, sa véritable valeur comme langue identitaire permettant aux locuteurs d’assumer leur « camerounité » reste problématique. C’est dans cette optique que de nombreux linguistes camerounais et étrangers comme Biloa (1999 et 2003), Chia (1990), Echu (1999 et 2001), C. de Feral (1993 et 1998), Mendo Ze (1990), Efoua Zengue (1999) etc. ont entrepris, depuis quelques années, des études sur les multiples facettes du camfranglais, tant d’un point de vue sémiotique que d’un point de vue fonctionnel dans ses rapports avec les langues superstrates. Toutes ces études tendent à montrer le rôle que ce parler peut jouer dans la quête d’une identité camerounaise et dans une véritable glottopolitique de demain. Malgré les nombreuses appellations (jargon, argot, pidgin, sabir, alternance codique …), il est bien difficile, comme le souligne C. de Feral (2003) de trancher s’il s’agit d’un argot du français (parlé dans certaines situations, avec des sujets de conversation préférentiels) ou d’une nouvelle variété linguistique autonome issue du contact des langues au Cameroun. L’objectif de cet article est de montrer comment, dans le hasard du plurilinguisme (contraintes historiques), des contraintes de nombreuses situations et attitudes langagières, ce parler devenu populaire est parvenu à s’imposer dans le paysage linguistique. De là à s’interroger si l’expansion redoutée et redoutable du « CFA » (camfranglais) ne met pas en péril la survie du français normatif au Cameroun, non seulement comme langue officielle, mais aussi comme langue véhiculaire dans la plupart des régions. Celui-ci, on le sait, est du reste sérieusement secoué par l’influence née du contact avec la mosaïque des langues locales. Quelle politique linguistique pourraiton mettre sur pied pour favoriser une insertion rapide du camfranglais dans le corps linguistique et accélérer ainsi le processus de sa standardisation ? 3 Le tout récent colloque de Yaoundé des 25, 26 et 27 octobre 2003 dresse un bilan sur la situation du français écrit et parlé au Cameroun et en Afrique. 32 LE CAMFRANGLAIS Pour y parvenir, nous situerons dans un premier temps le camfranglais dans son contexte d’émergence, ensuite nous évoquerons son évolution, sa nature et quelques principes de fonctionnement pour voir enfin et évaluer sa place dans une glottopolitique de demain, tant il est vrai que « ce n’est donc pas tant en langue qu’on peut montrer une spécificité des argots que dans leur énonciation en discours, dans leurs usages ainsi que dans les situations sociales d’emploi. Les argots relèvent ainsi d’une sociolinguistique » ( Charaudeau et Maingueneau, 2002 : 63). 1. Le contexte d’émergence : l’excès devenu défaut ? Il est assez difficile aujourd’hui de donner une réponse exacte à la question de savoir quelle langue parlent « ordinairement » les Camerounais. Cette difficulté est d’autant plus ressentie qu’elle trouve sa légitimation dans les nombreuses disparités linguistiques et culturelles dont fait preuve ce pays de 475000 km2 qui, à lui seul près de 250 langues locales auxquelles il faut ajouter le français et l’anglais langues officielles, le pidgin-english, le franglais, et bien évidemment le camfranglais. 1.1. Une cohabitation pas toujours pacifique L’érection du français et de l’anglais comme langues officielles au Cameroun n’a pas toujours résolu le problème du plurilinguisme rampant et de la polyglossie caractéristiques des attitudes énonciatives. La cohabitation des entités linguistiques a donné lieu à de nombreux conflits qui ont émaillé les rapports entre, d’une part, des langues officielles entre elles et, d’autre part, des langues officielles avec les langues camerounaises. Déjà, il se développe entre le français et l’anglais une espèce de malaise existentiel né du déséquilibre observé entre les deux langues, lequel déséquilibre « met en évidence l’infériorité numérique des anglophones, mais aussi l’infériorité de la langue anglaise au Cameroun » comme l’a relevé Echu (1999 :195). Il s’est développé ensuite entre les langues officielles et les langues camerounaises, un climat malsain fait de haine et de rejet mutuel. Bitja’a Kody (1999 : 81) relève ainsi trois différentes guerres qui ont marqué les plus de 80 ans d’histoire de cohabitation des langues au Cameroun. La première qui opposa en 1921 les presbytériens américains défenseurs du duala, 33 ANALYSES à l’administration coloniale française se solda par la fermeture de plus de 1800 écoles qui se convertirent à l’enseignement du français dès 1920. La deuxième opposa le roi Njoya à l’administration coloniale, en réaction à la tentative d’imposer le français comme langue unique au détriment du bamun déjà utilisé dans les écoles. Elle aboutit à la fermeture de 47 écoles locales par deux décrets successifs du 1er octobre et de décembre 1920. La dernière guerre mettait aux prises l’administration coloniale britannique et les missionnaires allemands en 1914 et prit fin par l’interdiction du duala et du bali au profit de l’anglais en 1958. Au total, les accidents de l’histoire ont permis une émergence quasi coercitive du français et de l’anglais au Cameroun, et des mesures particulières ont favorisé la prééminence du français et renforcé le complexe et le mépris à l’égard des langues nationales ravalées au rang de simples patois ou vernaculaires dont aucune jusqu’ici n’a réussi à « dégager un consensus national, aucune langue nationale n’est vraiment en situation de diglossie » (G. Mendo Ze, 1999 :51). Le bilinguisme tant prôné par les discours officiels n’est réel que dans des situations formelles (administration, diplomatie académie..), ce qui a ouvert les brèches à une véritable atomisation linguistique dont les territoires et les frontières n’ont jusque là pas été toujours délimités. 1.2. Au bout du compte, un multilinguisme fascinant Chaque locuteur camerounais est ou se veut un véritable polyglotte soumis au quotidien à une espèce de « bilinguisme inhérent » dont parle Echu (op cit :194). Mendo Ze (1999: 51) relève, pour ainsi dire, au moins 7 catégories de locuteurs qui se côtoient au quotidien, avec des diglossies variables. Ces différentes catégories montrent que, outre sa langue maternelle, chaque locuteur parle d’autres langues. En ville par exemple, chez les citadins, la langue d’usage en famille est celle du père ou de la mère ou des deux. Mais bon nombre d’enfants de la ville délaissent ces parlers ethniques au profit du français en milieu francophone et du pidgin en milieu anglophone. Dans la rue, à Yaoundé, le français camerounais (Bruneau, op. cit. : 540) est le plus parlé, tout comme à Douala, le pidgin l’emporte sur le français qui reste d’usage courant (à côté du bassa et du duala). On retrouve la même configuration dans les autres centres urbains de l’Ouest, tandis que dans ceux du Nord-Ouest et du 34 LE CAMFRANGLAIS Sud-Ouest, le pidgin prime sur l’anglais. A Garoua, dans le Nord et dans l’Extrême-Nord, c’est le fufulde qui l’emporte sur le français. A l’école et dans des situations formelles, c’est le français, beaucoup plus que l’anglais qui est le plus utilisé. Cette situation qui s’étend de plus en plus aux zones rurales et qui constitue d’ailleurs « l’exception camerounaise » (Bruneau, op. cit. : 529) fait donc qu’il se profile progressivement à l’horizon, une espèce de « multilinguisme fascinant » qui s’étend à l’ensemble du pays en proie à une « plurivocalité » (Tsofack, 2002 :26) détonante et même salutaire. Dans cet environnement polyphonique, il se pose encore aujourd’hui et plus que jamais la nécessité d’une langue permettant aux camerounais d’exprimer « leur camerounité ». On le sait en effet, le Cameroun se joue à lui même une espèce de psychodrame qui dissimule mal ses contradictions internes, c’est-à-dire celles d’une « nation de 248 unités langues, mais dont les valeurs culturelles riches et variées sont exprimées paradoxalement par une langue seconde étrangère » (Fosso et al, 2000 :348). C’est dans le souci donc de préserver une langue identitaire et véritablement camerounaise reconnue par sa « plasticité » et le caractère « fondamentalement kaléidoscopique de sa nature » (Dumont, 1992 :39) qu’est né, chez les jeunes des lycées et collèges (dont la tranche d’âge varie entre 15-25 ans) au début des années 80, le camfranglais que (Bitja’a Kody, op cit. :94) a défini comme une sorte de « langue spontanée qui mélange dans une syntaxe parfois désastreuse, un lexique principalement local et anglais autour d’une syntaxe française simplifiée, dans le but de semer les aînés curieux ». 2. Normes et usages La vitalité remarquée du camfranglais est aujourd’hui, pour les linguistes, sociolinguistes et sémioticiens de tous bords une préoccupation internationale. Les chercheurs se sont intéressés à la structure, aux usages et aux différentes motivations de ce parler qui ne cesse de s’imposer au Cameroun. 2.1. Des origines et de l’évolution Si pour Mbah Onana (1997 :29), le camfranglais a une origine assez lointaine qui remonte au processus de modification des langues par le contact des civilisations depuis le XVe siècle (avec les portugais notamment) avec les échanges commerciaux, il est néanmoins du 35 ANALYSES point de vue pragmatique un phénomène assez récent. Sa date de naissance remonte exactement aux années 85 avec la crise multisectorielle qui a frappé durement le Cameroun. Parmi les secteurs qui ont le plus ressenti la crise, de 1985 à 1997, se situe en bonne place le français. Cette crise s’est traduite « dans le langage et les conversations quotidiennes » (G. Mendo Ze, 1990 : 7-8) notamment par « la prolifération des mauvais modèles de français et la diffusion des tours de la langue familière ou argotique, soit pour des raisons de facilité, soit par ignorance des règles et des structures immanentes de la langue française » (ibidem :75). La prolifération de ce type de mélange linguistique trouve à l’époque deux supports de diffusion privilégiés, la musique et l’humour. L’année 1985 correspond en effet, au zénith de la gloire du très célèbre musicien Lapiro de Mbanga, alias « Ndinga man » qui bâtit sa réputation sur la thématique des revendications sociales. Il trouva un écho très favorable auprès des jeunes diplômés réduits au chômage et parfois rabattus sur des activités insignifiantes comme la vente à la sauvette, le taxi , le petit commerce et la débrouillardise dans les grandes villes. Mais ce qui est saisissant et qui a davantage attiré les jeunes, c’est la langue de ce musicien, un mélange de pidgin et de français, dans des titres aussi célèbres que « no make erreur » (pas d’erreur, attention), « mimba we » (pense à nous) où l’on retrouve des structures hybrides comme « rémé ana djaka don dry laka échantillon fo ethiopia » (la mère et les enfants ont maigri comme des échantillons éthiopiens), « intégration nationale na weti non » (l’intégration nationale c’est quoi donc ?) etc. Dans ces chansons, trois langues se mélangent indistinctement dans une syntaxe bizarre et inattendue, mais bien prisée des jeunes de des rues et des villes de l’époque. Progressivement, cette langue se popularise et, avec la baisse des salaires de 1993 et la baisse du taux de scolarisation, le camfranglais devient le mode assez répandu de la communication. Il se développa assez rapidement dans les écoles, les marchés, les stades de football, la rue, les centres commerciaux et tenta même une incursion dans les nouveaux campus universitaires. Après la musique, l’humour ou le théâtre populaire prit la relève comme support de diffusion du camfranglais, avec des artistes comme Dave K Moktoi, Jean Miche Kankan entre autres qui, tout en fustigeant le système socio-politique, créent une syntaxe hybride dans des tours comme « je dis que taisez toi »… A partir des années 90, la 36 LE CAMFRANGLAIS presse prit la relève, notamment le Quotidien national Cameroon Tribune qui consacra sa quatrième de couverture à la rubrique intitulée « Humeur de l’homme de la rue » entièrement écrite en camfranglais. Cette rubrique fut créée le 10 décembre 1990 par un groupe de journalistes en réaction contre un français officiel, celui des initiés et des privilégiés, « inapte à mordre sur la réalité de la vie quotidienne » (Cameroon Tribune n°4797 :16). Elle est écrite, comme le déclare l’un de ses auteurs, « même pour les grands, même pour les petits », mais surtout pour les « mbom » (amis ou capos) de la rue (en réalité, il s’agissait de simuler un parler propre à l’homme de la rue)4. Aujourd’hui, le camfranglais se vulgarise dans des journaux pour jeunes comme 100 % jeunes , Planète jeunes, etc. On le retrouve même dans des émissions à la radio, dans la publicité écrite (et même radiophonique ou télévisuelle) comme dans ces quelques exemples tirés de Tsofack, 2002 :29-30) : (1) « La corruption tue la nation, combattons « l’eau », « la bière », « le gombo », « le tchoko », « la motivation », « le makalapati » » (campagne nationale de lutte contre la corruption). (2) « Mobilis SMS Cet aprem on va win Joker K Keep in touch, le portable kool ». Ou encore, plus récent, dans l’une des campagnes de l’opérateur de la téléphonie mobile MTN pour les abonnements : (3) « Leçon de calcul. MTN sort le corrigé…100 % de tchatche ». Il n’est point besoin de préciser que les conversations quotidiennes des jeunes (et de plus en plus des adultes) dans la rue comme dans les campus scolaires et universitaires sont essentiellement en camfranglais. Le parler jeune migre de plus en plus des centres urbains vers les banlieues et les zones rurales, au Cameroun comme ailleurs en France par exemple. Au total, l’expansion assez rapide du camfranglais montre qu’il est non seulement un phénomène social réel, mais aussi un objet sémiotique. 2.2. La sémiotique du camfranglais Biloa (1999) et (2003a : 248 et sv.) assigne au camfranglais une nature différentielle qui l’amène à distinguer ce qu’il est de ce 4 Pour une représentation plus large, voir Efoua Zengue (1999) 37 ANALYSES qu’il n’est pas. Il n’est pas par exemple le « franglais »5 que Ze Amvela (1983) a décrit, il est, comme le dit Chia (1990 :112) « une distorsion des langues qui le constituent ». La structure de la phrase camfranglaise est essentiellement française, avec des éléments issus d’autres langues et insérés sans tenir compte du nouveau contexte grammatical. Le camfranglais se distingue également d’un simple changement de code. Ce dernier suppose « un changement complet de la langue (code) à l’intérieur d’un même discours » (Chia, 1990 :113), alors que le camfranglais implique de tels changements à l’intérieur d’un énoncé unique ou d’une phrase. Le fonctionnement syntaxique du Camfranglais est gouverné par des principes sémiotiques « supposés s’appliquer à tous les niveaux de la structure » (Biloa 1999 : 152-154) dont nous reprenons ici les plus représentatives : 1. Chaque énoncé ou phrase a une structure sous-jacente choisie dans l’une des sources principales ou d’une des langues superstrates. Cela veut dire qu’une phrase camfranglaise peut être bâtie à partir de la structure de l’anglais, du français ou du Cameroun pidgin english, et les éléments tirés des langues substrates sont alors insérés pour remplir les constituants. Dans une structure comme (4). Tu aimes trop came au school. (Tu aimes trop aller à l’école) (Fosso, 1999 :187), la structure profonde est celle d’une phrase française déclarative. 2. Si la structure de la langue superstrate sélectionnée pour construire un énoncé camfranglais est complexe, elle est simplifiée avant toute utilisation éventuelle. Voici un exemple tiré de Chia (1990 :114) : (5). Le test de linguistique étant sharp, j’ai préféré piack (comme le devoir de linguistique était difficile, j’ai préféré m’en aller). La structure de la version camfranglaise est plus simple que la phrase française correspondante. 3. Les changements sont opérés sur la structure profonde choisie aux points d’information de haute densité. Nous illustrons cela par quelques exemples tirés de Mendo Ze (1999 :60) : 5 Le franglais est un autre parler en usage au Cameroun. Il consiste en l’utilisation des mots français et anglais dans un même texte, comme par exemple « The bons de caisse are not yet out » (Les bons de caisse ne sont pas encore disponibles) (Zé Amvela (op cit). 38 LE CAMFRANGLAIS (6). Je voyage njoh pour mbengue. (Je voyage gratuitement pour la France) (7). Tu nous hambog trop. (Tu nous embête beaucoup). Dans ces deux phrases, les points d’information de haute densité sont ceux qui subissent le changement ou transformation, c’est-à-dire « njoh » et « mbengue » pour (6) et « hambog » pour (7). 4. Les mots cachés ou opaques sont employés aussi longtemps que la nécessité d’amuser ou de coder le message s’impose. Ces mots sont tirés des langues camerounaises ou inventés de toute pièce comme par exemple : (8) nayo nayo (doucement) (Chia, 1999 :115) (9) djimtètè (haute personnalité) (Efoua-Zengue, 1999:175) (10) djim djim (très gros) (Biloa, 1999:153). 5. Les mots opaques ne sont pas sujets grammaticaux en structure sous-jacente, d’où l’agrammaticalité de certaines phrases camfranglaises : (11). Je dis que taisez toi. (Je te demande de te taire) (Dave K Moktoi) (12). Ce ndamba va tuer un cadavre aujourd’hui. (Ce match de football risque d’être mortel) (G. Mendo Ze, 1999 :61). Tous ces principes guident bien évidemment les choix morphosyntaxiques qui sont avant tout de pures créations, des emprunts. Pour ce qui est de l’origine des emprunts, Chia (1990), Efoua-Zengue (1999) et Mendo Ze (1999) relèvent plusieurs sources issues des 5 grands ensembles des langues ethniques et véhiculaires du Cameroun: 1. Le Bassa et le duala : 2. Langues de la forêt équatoriale (bulu, ewondo) 3. Les langues bamiléké 4. Les langues peules (fufulde, haoussa) 5. Le Pidgin-english Efoua-Zengue (op cit :175) relève dans le paradigme des emprunts trois cas de figure : a. mots issus de l’anglais, mais ayant subi une altération en camfranglais : (30). (to) know (31). (to) look out attention no verbe tr = connaître, savoir loukot verbe intr = se méfier, faire 39 ANALYSES (32). (the) quarter quatt nom masc = quartier (33). (the) corner cona nom masc = coin, virage (34). (to) wonder wanda verbe intr = étonner (35). (the) white wat, watiser nom masc, verbe intr = bomme blanc, parler comme un Blanc. b. mots issus des langues locales et ayant transité par le pidgin-english (36). kongossa (37). Kollo (38). Tcha (39). Mbindi (40). kwa = commérage = mille francs (cfa) = prendre, surprendre = petit, jeune home = sac, bagage c. mots n’ayant reçu aucune altération, sauf les désinences infinitives dans certains cas : (41). Ask verbe tr (42). Le scud nom masc (43). La white nom fem (44). Back verbe intr (45). Taximan nom masc = demander = obus = femme blanche = rentrer = chauffeur de taxi Dans la mesure où la phrase camfranglaise est essentiellement française, les morphèmes grammaticaux du français ne souffrent pas de l’anglicisation ou de la camerounisation, comme par exemple : (46). From que je suis malade, je ne l’ai pas encore see. (Depuis que je suis malade, je ne l’ai pas encore vu) (47). Body, how que tu wash le cours de french ? (Gars, comment se fait-il que tu sèches le cours de français ?) (48). Tu mimbas que les gens te fear flop ? (tu pense que les gens ont trop peur de toi ?). Biloa (1999 :147) définit d’ailleurs la « structure phrastique » du camfranglais comme l’une des plus complexes. Au plan phonologique par exemple, le camfranglais n’est pas écrit, il est essentiellement oral, et de ce fait, les mots sont écrits de sorte que leur graphie reflète leur prononciation. La notion de faute devient alors difficile à situer, comme dans ces exemples de Fosso (1999 :171) : (49). Mola, j’ai mit la go de l’autre day. (Ami, j’ai rencontré la fille de l’autre jour) (50). Gif moi fap cents là. (donne moi cinq cents francs). 40 LE CAMFRANGLAIS Mit est pris pour meet et go pour girl dans (49), gif pour give et fap pour five en (50) comme le requiert la norme lexicale anglaise. De même, le mot « tchatche » anglais qui signifie dire, parler à/de s’écrit indistinctement en camfranglais « tchache », « tchatche », « tchach », « chat » ou « tchat », tout comme « mbôm » qui signifie logiquement homonyme ou ami issu à la fois du duala, du bassa de l’ewondo ou du mbô, a de légères variantes morpho-phonologiques et se dit ou s’écrit indistinctement « mbom », « mboma », « mbômbo », « mbômo », « môé », « mué », « môm » pour signifier selon les circonstances bru, belle-sœur, belle-mère, grand-mère, homologue, bref, tous les membres de la famille (homme, femme, enfant) : (51). J’ai tchatch à la go de l’autre day mon pro. (J’ai parlé à la fille de l’autre jour de mon problème) (52). J’ai tchat la petite de l’autre day et elle m’a gif le ranca aujourd’hui. (J’ai dragué la jeune fille de l’autre jour et elle m’a donné rendez-vous pour aujourd’hui) (53). Je te tchatche que mon pater nous show le pèpè à la housse ces joursci. (Je te dis que mon père nous fait voir de toutes les couleurs ces jours-ci) (Fosso, op. cit :179). (54). Le mbôm de l’autre day m’a frappé cinq kolo. (L’homme de l’autre jour m’a extorqué cinq mille francs). (55). La goer a comot son mboma pour la botle. (La jeune fille a sorti son grand type pour la boîte de nuit). Il importe peu la phonation de falla ou fala (chercher), de mbouru, mburu ou bouru (les sous), de mbindi, bindi, bidi ou mini ; petit ou peri (le petit), mbôm, mbom, môm, bom (l’ami) etc. de même, les différentes formes graphiques de père : pater, patère, pather ; father, fater, fara ou de mère : mater, mather, mathère, matter etc. par exemple, tout comme la présence ou l’absence du /t/ (initial et médian) dans tchatch, tchach, chat ou tchache…n’a aucune incidence sémantique réelle, ce qui veut dire en fait qu’en camfranglais, « le phonème est une unité segmentable, mais non discrète, non différentielle » (Fosso, 1999 :190). En fait, ni l’orthophonie, ni l’orthographie ne semblent préoccuper les usagers du camfranglais, d’autant plus que le système phonétique définit Biloa (2003a :255 et sv), à savoir 8 voyelles, 2 semi-voyelles et 21 consonnes ne correspond pas toujours à la définition traditionnellement allouée aux termes. Il relève de nombreuses opérations phonologiques en jeu lors du passage des mots français ou anglais en camfranglais comme les accents, la 41 ANALYSES monodiphtongaison prénasalisation, la des diphtongues, la resyllabisation etc. Au plan morpho-syntaxique, on note une série de transformations métaplastiques opérées sur la forme des mots au rang desquelles figurent en bonne place le verlan (mère-rémé, pèrerépé…), la dérivation ou autres formes de troncation. Celle-ci peut se faire par régression apocopique ou suppression d’un suffixe ou d’un affixe, comme dans le cas de l’aphérèse : on prendra gi pour give, bouf pour bouffe, prof pour professeur, quatt pour quartier, af pour affaire, T pour Terminale, body pour somebody, lage pour village etc. Même les verbes subissent cette forme d’ablation comme dans vex (vexer), pif (piffer). L’ablation peut être double (apocope+aphérèse) dans certains cas, comme par exemple ndeng (carte d’i) den (tité). On peut aussi avoir des créations métonymiques comme dans mbéré (agent de police) issu de « mbéré kaki6 », ou encore des créations par dérivation impropre comme avec les mots craning (vantardise) et lancing (promotion, louange) issus des verbes crâner et lancer, par analogie aux mots anglais marketing…, epsivor (epsi + vore), femme escroc, tuyauriste (tuyau + riste), mendiant, jazzer (jazz+ er), manger du haricot, et watiser (white + iser) parler rapidement à la manière de l’homme Blanc. Au total, le camfranglais attache des suffixes disponibles dans une langue superstrate à certains radicaux pour dériver certains items lexicaux. Chia (1999 : 120) appelle cette technique la « dissimilation » qui consiste donc à transformer les mots anglais ou français de départ de telle sorte qu’ils n’aient plus leur morphologie initiale. Le camfranglais, comme nous l’avons relevé, n’a pas de syntaxe particulière. Sa structure est celle de la phrase française, c’està-dire par exemple qu’avec le substantif les marques de genre et de nombre sont celles de la langue d’origine, alors que le verbe reste invariable en genre, en nombre etc. Nous en relevons quelques exemples tirés de Fosso (1999 : 127): (56). Le match qu’on a show hier à la télé m’a wanda. (Le match qu’on a montré hier à la télé m’a émerveillé). (57). Depuis que tu as win ton probat tu ne me mimba plus. (Depuis que tu as réussi au Probatoire, tu ne penses plus à moi). 6 Autrefois, les agents de police camerounaise portaient un uniforme kaki. 42 LE CAMFRANGLAIS Mais lorsque le verbe utilisé dans la phrase camfranglaise est au présent, il reprend logiquement ses variations, comme le montrent ces exemples de Chia (1999 :122) : (58). J’ai préféré piak. (J’ai préféré m’enfuir). (59). Nous étions jong. (Nous étions ivres). Dans tous les cas, et à l’observation, les locuteurs du camfranglais ne semblent pas ignorer les principes grammaticaux qui régissent les langues d’emprunt comme par exemple dans : (60). Je n’ai pas ya ce que tu tchatchais hier soir en backant. (Je n’ai pas compris ce que tu disais hier soir en rentrant). (61). Comment tu es go sans me call alors que je te waitais dans la bougna ? (Comment tu es parti sans m’appeler, alors que je t’attendais dans la voiture ?). (62). Quand je venais, je mimbaais que tu étais back. (Quand je venais, je m’imaginais que tu étais rentré) (c’est nous qui soulignons). On sait bien que le mot camfranglais inséré dans la syntaxe française n’a aucun fonctionnement syntagmatique, mais essentiellement paradigmatique, d’autant plus que la valeur d’une unité n’est pas ici dans sa capacité à se construire avec les autres unités (rapport de concaténation), mais dans sa capacité à se substituer aux autres unités françaises correspondantes. Parler cette langue donc, c’est tout simplement « convertir dans la chaîne parlée le mot français en un mot anglais ou camerounais », tout comme la comprendre c’est « choisir, à certains moments de la chaîne parlée, des mots anglais ou camerounais qu’on substitue aux mots français » (Fosso, 1999 :191). Au plan pragmatique, enfin, le camfranglais relève beaucoup plus d’une sémiotique de la communication (relation des signes aux usagers) que d’une sémiotique de la signification (relation des signes à leur référence) proprement dite. Ce parler est d’ailleurs loin d’être regardé comme une « simple interférence » ; il est un processus de construction et de destruction, une opération de mutilation et de construction dont les motivations sont bien au-delà de « l’esthéticité » ou de la « poéticité ». Il assume encore essentiellement une fonction cryptique et à ce titre, il apparaît beaucoup plus pour les jeunes comme un contrat ludique, « un jeu réglé, le plaisir d’être ensemble entre copos (copains), de parler et de s’écouter parler » (Fosso, op. cit :192). A cet égard , on peut dire qu’il a encore du mal à se poser comme une langue autonome (avec 43 ANALYSES une sémiotique propre). Il « n’a d’autres ambitions que l’échange social, les sujets banals de la quotidienneté » (Ibidem :183). La phrase camfranglaise ne peut donc se comprendre qu’en raison de la capacité des locuteurs à traduire au fur et à mesure en français ces « irruptions détonantes » dont parle Fosso (op. cit :191) dans la syntaxe française. Ces irruptions incongrues qui font d’ailleurs la vitalité du camfranglais amènent à poser des questions réelles sur l’avenir du français normatif au Cameroun (comme langue officielle et comme matrice du système éducatif), et pose plus que jamais la nécessité d’une véritable planification linguistique. 3. Le camfranglais : pour quelle glottopolitique ? Vu l’ampleur du camfranglais au Cameroun aujourd’hui, on peut légitimement se poser des questions sur l’avenir du français normatif (standard). Bitja’a Kody, 1999 :95 a déjà attiré l’attention sur la menace, au regard de l’évolution du phénomène camfranglais dans les grandes villes. Il est ainsi à craindre, dit-il, « que dans un avenir pas très lointain, ce sabir ne prenne les proportions d’un pidgin et ne supplante le français comme langue véhiculaire dans son fief actuel ». La porosité, la souplesse, la simplicité et la maniabilité du camfranglais constituent une force certaine qui a comme corollaire la vulnérabilité de la langue mère, le français dont le débat sur la norme a cours actuellement. C’est le règne de ce qu’on peut appeler aujourd’hui le parler jeune qui fait que le français gagne définitivement la rue au Cameroun comme ailleurs en Afrique par exemple. Pour Dassi (2002 :40) en effet, La baisse des salaires de 1993 au Cameroun qui a entraîné la baisse du niveau de scolarisation et du fort taux de chômage chez les jeunes a fait prendre un « sérieux coup » au français. Il est donc à craindre que le français parlé ne soit sérieusement entamé, du fait de nombreuses d’interférences linguistiques ou argotiques et de l’invasion massive des formes orales qui font qu’on se trouve, comme le dit Anicet Noah, dans une espèce « d’insécurité linguistique »7. En effet, les nombreuses études tendent 7 D. Anicet Noah, « Le français parlé dans les œuvres musicales camerounaises », communication faite au colloque de Yaoundé (2003). 44 LE CAMFRANGLAIS à confirmer la situation dramatique du français parlé et écrit au Cameroun aux prises avec les autres entités linguistiques. Mais le fait que le camfranglais n’ait pas de statut autonome et de système phonétique ou syntaxique propres cornme nous l’avons relevé, pose encore le problème de sa standardisation (quel système de transcription adopter ?). D’abord parce que le camfranglais est constitué d’un registre de mots d’emprunts, et par conséquent, il a du mal à se définir comme langue au sens propre avec un système d’écriture autonome. Sa syntaxe est tributaire de celle du français, ce qui veut dire en gros que le camfranglais est un phénomène essentiellement oral, un code linguistique non occulté qui « requiert une certaine initiation, ou mieux, une certaine habitude dans la pratique » (Efoua-Zengue, 1999 :168). Ensuite parce que le camfranglais est un fait d’improvisation limité à des sujets banals de la quotidienneté et aux besoins qui les ont fait naître, même si son utilisation a tendance à se généraliser chez les adultes par exemple. Le camfranglais est, à cet égard, certainement la langue de « l’homme de la rue », mais rarement celle des « longs crayons »8 ou de ceux qui parlent « le long français ». Il est à craindre qu’il ne survive que comme simple argot (ou une variété marginale) même s’il reste déjà un système de valeur, si son processus de standardisation ne s’accélère pas en quelque sorte. Que faut-il donc en conclure ? Que la langue française est après tout dans une situation paradoxale, elle qui doit s’imposer aujourd’hui plus que jamais comme langue de communication et voie d’accès à la modernité, facteur d’unité et d’intégration nationales. Sa survie dépendra au quotidien de sa capacité à combattre les assauts des camerounismes, et de sa neutralité à accepter la présence des plus de 300 langues et dialectes concurrents9. Néanmoins, il existe des structures permettant un entretien ininterrompu de la langue normative comme les églises, certains médias, les centres culturels, les alliances françaises et les artistes. Ceux-ci par exemple « ont dûment traqué et recueilli la plupart des fautes, des erreurs, des confusions et des méprises phonétiques, lexicales, sémantiques, morphosyntaxiques, 8 Se dit des personnes très instruites. Faut-il aussi conclure avec P. Kouega (cité plus loin) que pour faire face à ses ennemis le français gagnerait à être simplifié et qu’on amorcerait au plus vite le processus de sa simplification pour éviter le déclin ? 9 45 ANALYSES bref grammaticales qui affectaient les différentes pratiques (régionalisantes) du français » (Dassi, 2002 : 40). La véritable problématique serait celle de la cohabitation du français avec les autres langues concurrentes, et beaucoup plus celle de la définition d’une véritable politique ou planification linguistique au Cameroun. On le sait, le français, qui est une langue étrangère, n’apparaît pas pour tous comme une langue d’intégration sociale réussie. L’exclusion des langues nationales des fonctions de prestige et du système éducatif par exemple, a marginalisé un grand nombre de jeunes ruraux de l’école moderne, au point où l’on peut se demander aujourd’hui si le développement durable d’un pays est vraiment envisageable dans une langue partiellement maîtrisée par son peuple. Autrement dit, un pays peut-il réussir son développement dans une langue étrangère ? Là est le véritable drame intérieur que vit silencieusement le Cameroun. En effet, en Afrique francophone comme ailleurs (en Amérique latine par exemple), « la diversité linguistique n’a jamais été une préoccupation des Etats toujours soucieux d’homogénéiser leur espace national » ( Chareille, 2003 ). L’une des solutions consisterait, pour certains, à effectuer un rééquilibrage de la politique linguistique au Cameroun en faveur des langues nationales, dont les statuts doivent être absolument réaménagés et dotés de moyens fonctionnels pour leur modernisation (Wamba et Noumssi, 2003 :16). Mais l’insularité ou l’autochtonie linguistique est-elle encore possible dans un contexte de mondialisation des échanges économiques ? Est-il encore concevable de maintenir une politique linguistique fondée uniquement sur le sentiment national comme le souligne fort judicieusement Foued Laroussi (2003 :4) ? Pour d’autres, il serait souhaitable de redéfinir une politique linguistique sur la base des principes de « territorialité » et de « liberté » chers à la théorie de la linguistique dite des « conflits » (Biloa, 2003b). Tout en partant du principe selon lequel le droit linguistique est fondamental chez les citoyens, on pourrait par exemple définir les territoires géographiques de chaque langue ou communauté linguistique : où parler chaque langue, dans quelle situation et avec qui ? Cette théorie a d’ailleurs fait ses succès ailleurs, dans des états multilingues comme le Canada, la Belgique, la Suisse. Dans le cas de la Suisse par exemple, le succès est venu du fait que la 46 LE CAMFRANGLAIS Constitution prévoit à la base que les cantons « veillent à la répartition territoriale traditionnelle des langues et prennent en considération les minorités linguistiques autochtones » (Conrad et al, 2002 :161). 10 En guise de conclusion Comme nous avons pu le montrer, même si l’expansion fulgurante du camfranglais est de nature à constituer une menace sérieuse pour le français parlé, son statut encore bâtard, ou du moins mal défini le confine tout simplement à un territoire réduit, celui des jeunes, et à un usage quasi clandestin (fonction cryptique essentiellement) ou argotique. Il existe des structures du maintien qui veillent au quotidien sur la norme standard, malgré la tendance à l’oralisation née des assauts incessants du parler jeune qui est l’un des phénomènes marquants du siècle et une conséquence palpable de la mondialisation. Mais vu le statut actuel du français comme langue officielle et comme matrice du système éducatif, il est fort à craindre qu’il ne prenne un grand coup dans la cohabitation forcée avec les autres langues en présence. La nécessité s’impose donc pour l’Etat camerounais de définir une planification linguistique, une glottopolitique assumée sur la base des principes de territorialité et de liberté qui ont fait la fierté de certains états plurilingues. S’il est vrai que « la langue unit les peuples » comme le dit Bitja’a Kody (1999 :85), eu égard à la diversité linguistique et culturelle d’un pays comme le Cameroun, et faute d’un consensus autour d’un « parler commun », l’unité politique aurait été difficile à atteindre sans une langue d’unification comme le français qui gagnerait à s’imposer chaque jour davantage. Mais quoi qu’il en soit, le camfranglais recouvre une réalité plus riche que nous ne l’attestons, il est et fera partie du paysage linguistique camerounais, d’autant plus qu’il est de plus en plus revendiqué par une tranche non négligeable de la population. Le terme mbôm (ami) qui est en fait l’item charnière désigne en fin de compte l’homme tout court, celui de la rue comme celui des bureaux, celui du Cameroun comme celui-là, citoyen de l’espace francophone qui se sent lié par la langue française (Efoua-Zengue, 1999: 176). 10 Article 70 de la Constitution fédérale suisse. 47 ANALYSES Pour Kouega , le camfranglais n’est pas une réalité proprement camerounaise, il existe sous d’autres cieux et sous des appellations diverses comme Taglish (mélange du Tagalog et de l’anglais en Amérique latine), Portunhol (mélange du portugais brésilien et de l’espagnol de l’Argentine, Paraguay et Uruguay), Spanglish (mélange de l’espagnol et de l’anglais au sud des EtatsUnis)…. Lorsque des locuteurs reconnaissent et revendiquent ce type de parler, cela s’appelle la tolérance, celle qui « peut faire le lit des revendications dans le sens de sa valorisation et de sa standardisation » (Fosso et al., 2000 :344). La véritable glottopolitique de demain sera beaucoup plus un effort de captation du « nouveau français » qui enregistrera nécessairement le fait que la « parole circulante est profondément pénétrée de plurilinguisme » (Marcellesi , 2003). Jean-Benoît TSOFACK Université de Dschang – Cameroun [email protected] 11 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES BILOA, Edmond. (1999) : « Structure phrastique du camfranglais : Etat de la question », in G. ECHU & A. GRUNDSTROM (éds) Bilinguisme officiel et communication linguistique au Cameroun. PP. 147-174. New York: Peter Lang. BILOA, Edmond. (2003a) : « Le camfranglais: un mélange de langues camerounaises, de français et d’anglais », in E. BILOA (éd) La langue française au Cameroun. PP. 247-278. Berne : Peter Lang,. BILOA, Edmond (2003b) : « Le bilinguisme officiel au Cameroun est-il un facteur d’intégration nationale ou de fragmentation ? », in Intel’Actuel, n°2, Dschang, dschang University Press. BITJA’A KODY, Zachée Denis (1999) : « Problématique de la cohabitation des langues », in G. MENDO ZE (éd) Le français langue africaine. Enjeux et atouts pour la francophonie. PP. 80-95. Paris : Publisud. BRUNEAU, Jean Claude (2003) : « De l’ethnie au parler commun : espaces et cultures au Cameroun », in COSAERT Patrice et BART Francis (éds). Patrimoine et développement dans les pays tropicaux (IX èmes Journées de géographie tropicale, 13-15 septembre 2001. La Rochelle). Coll. Espaces tropicaux, n° 18. La Rochelle : Pessac. PP.529-547. CALVET, Louis Jean (2002) : « La sociolinguistique et la ville. Hasard ou nécessité ? », in Marges-linguistiques, n°3 (en ligne). PP.47-53. Université de Provence : M.L.M.S éditeur. Disponible in www.marges-linguistiques.com. 11 « Co-habitation de peuples et convergence linguistique et culturelle au Cameroun », communication faite au colloque de Yaoundé cité. 48 LE CAMFRANGLAIS CHARAUDEAU, Patrick et MAINGUENEAU, Dominique (éds) (2002). Dictionnaire d’analyse du discours ; Paris : Seuil. CHAREILLE, Samantha (2003) : « Aspects institutionnels de l’aménagement linguistique du Mercasur », Glottopol, n°1 (en ligne). Disponible in www.univrouen/dyalang/glottopol. CHIA, Emmanuel. (1990) : « The New Speech Forms of Rapidly Growing City: Pidgin French and Camfranglais in Yaoundé », in Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines. PP.102-127.Université de Yaoundé, Vol VI n°1 et 2. CAMEROON-TRIBUNE n° 4797, « Humeur de l’homme de la rue », p.16. CONRAD, Sarah-Jane, MATTHEY, Alexis, MATTHEY, Marinette.(2002) : « Bilinguisme institutionnel et contrat social: le cas de Biel-Bienne (Suisse) », in Marges-linguistiques, n°3 (en ligne). Saint-Chamas : M.L.M.S éditeur. Disponible in www.marges-linguistiques.com. DASSI, Etienne (2002) : « A la rescousse de la norme : De l’entretien de la langue française en situation de plurilinguisme camerounais », in SudLangues n°1 (en ligne). PP.37-50. Dakar : UCAD. Disponible in www.refer.sn/sudlangues. DUMONT, Pierre (1992) : La francophonie par les textes ; Paris : Edicef/Aupelf. ECHU, George et GRUNDSTROM, Allan (éds) (1999) : Bilinguisme officiel et communication linguistique au Cameroun ; New York : Peter Lang. EFOUA-ZENGUE, Rachel (1999) : « L’Emprunt : figure néologique récurrente du camfranglais, un français fonctionnel au Cameroun », in Mendo Ze (éd). Le français langue africaine. Enjeux et atouts pour la francophonie. PP.168-177. Paris : Publisud. FERAL, Carol de (1993): « Le français au Cameroun : appropriation, vernacularisation et camfranglais », in D. de ROBILLARD et M. BENIAMINO (éds). Le français dans l’espace francophone. PP..205-218. Paris : Champion, t.1. FERAL, Carol de (2003): « Le français identitaire des jeunes des banlieues en France », communication au Colloque de Yaoundé, 25, 26 et 27 octobre 2003, à paraître dans les Actes. FOSSO (1999) : « Le camfranglais : une praxéogénie complexe et iconoclaste », in Mendo Ze (éd) : Le français langue africaine. Enjeux et atouts pour la francophonie. PP. 178-194.. Paris : Publisud. FOSSO et al. (2000) : « Le défi de la langue », in Mendo Ze G.(éd.). 20 Défis pour le Millénaire. Bâtir un nouvel humanisme. PP. 331-348. Paris : François-Xavier de Guibert. FOUED, Laroussi. (2003) : « Présentation », in Glottopol, n°1 (en ligne). Disponible in www.univ-rouen/dyalang/glottopol. MARCELLESI, Jean Baptiste et al. (2003) : « Pour la glottopolitique », in Langages, n°83, 1996, pp.5-34, repris in Glottopol, n°1 (en ligne). Disponible in www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol. MBAH ONANA, Labatut (1997) : « Le camfranglais, dialecte moderne du Cameroun, genèse et manifestations », in Ecritures VII : Le regard de l’autre. PP. 29-37.Yaoundé : CLE. MENDO ZE, Gervais (1990) : Une crise dans les crises : le français en Afrique noire francophone, le cas du Cameroun ; Paris : ABC. 49 ANALYSES MENDO ZE, Gervais (1999) : « Contextes du français au Cameroun », in G. MENDO ZE (éd) : Le français langue africaine. Enjeux et atouts pour la francophonie. PP. 45-64. Paris : Publisud. TABI MANGA, Jean (1999) : « Propositions pour un aménagement du plurilinguisme en Afrique francophone », in G. MENDO ZE (éd) : Le français langue africaine. Enjeux et atouts pour la francophonie. PP. 31-44. Paris : Publisud. TSOFACK, Jean-Benoît (2002) : « Publicité, langue et plurivocalité au Cameroun », in SudLangues, n°1 (en ligne). PP. 22-36. Dakar : UCAD. Disponible in www.refer.sn/sudlangues. URENA RIB, Pedro (2002) : « Regards croisés : les jeunes de la Guyane et la pluriethnicité », in Base de données textuelles, Marges-linguistiques (en ligne). Université de Provence : M.L.M.S. éditeur. WAMBA, Sylvie et NOUMSSI, Gérard (2003) : « Le français au Cameroun contemporain :statuts, pratiques et problèmes sociolinguistiques », in Sudlangues, n° 2 (en ligne). Dakar: UCAD. Disponible in www.refer.sn/sudlangues. ZE AMVELA (1983): « The franglais Phenomenon: lexical interference and language mixing in the United Republic of Cameroon », in Bulletin de l’AELIA n° 6. PP.419-429. 50