RAP ENGAGE = hommage à Rosa Parks – Sister Rosa, the Neville

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RAP ENGAGE = hommage à Rosa Parks – Sister Rosa, the Neville
RAP ENGAGE = hommage à Rosa Parks – Sister Rosa, the Neville Brothers -1989
1./ PRESENTATION
"Sister Rosa" est une chanson populaire, un rap engagé et historique, interprété
par les Neville Brothers, et sorti en 1989 sur l’album "Yellow Moon". Le clip officiel a
été réalisé par le cinéaste Jonathan Demmé, lequel a repris des images d’archives et
de reconstitution historique, des images de Rosa Parks, à qui la chanson rend hommage
puisqu’elle raconte comment son refus de donner son siège à un blanc a déclenché le
Mouvement des Droits Civiques et l’abolition des lois ségrégationistes aux Etats-Unis.
Quant les Neville Brothers sortent cette chanson, en 1989, Georges Bush père est
président (1989-1992).
Sur le plan extérieur, l’époque est marquée par l’effondrement de l’URSS ce qui
renforce considérablement la suprématie militaire et politique des Etats-Unis dans le
monde. En 1991, les Etats-Unis prennent la tête de la coalition internationale contre
l’Irak lors de la Guerre du Golfe.
Mais sur le plan intérieur, malgré une économie florissante grâce au début de l’aire
d’internet, l’écart se creuse entre riches et pauvres, entre blancs, noirs et autres
communautés. Le rêve américain semble inaccessible à certains. Les dissensions
sociales s’amplifient et exacerbent les clivages socio-ethniques. La communauté
Afro-Américaine est particulièrement touchée. Malgré la fin de la ségrégation, la
problématique reste la même, la communauté Afro-Américaine est plus que toute
autre communauté particulièrement affectée par la pauvreté et le chômage.
En 1992, c’est l’apothèose: ces tensions tournent à l’émeute, suite à l’acquittement de
quatre officiers de police, blancs, accusés d’actes de brutalité avec preuves vidéo à
l’appui, à l’encontre d’un suspect noir, Rodney King, un an plus tôt.
Cet hommage des Neville Brothers à Rosa Parks, figure emblématique de la lutte des
noirs pour l’égalité aux USA n’était il pas prémonitoire de ce qui se passerait 3 ans
plus tard ? n’était il pas un cri d’alerte, un appel à une reprise de la lutte pacifiste
pour une amélioration des conditions de vie d’une population libre mais parquée et
toujours aussi durement touchée par la pauvreté et l’échec social ?
2./ DESCRIPTION
a. La musique, les instruments et l’organisation du clip: 1955 – 1989
- Le clip et la chanson débutent sur des percussions
(batterie et djumbés) et sur une mélodie très
entétante jouée au clavier, et au steelpan [aussi appelé
steeldrum], un instrument de percussion idiophone
mélodique originaire de Trinité-et-Tobago (Caraïbes)
et répandu dans les orchestres steelbands.
Pour rappel, un instrument idiophone ou autophone, est
un instrument dont le matériau lui-même produit le son
lors d'un impact. Un steelpan est fait à partir de fûts
en métal utilisés par l'industrie pour stocker et
transporter de l'essence ou de l'huile, des extraits de
parfums.... Ils sont sectionnés et la face inférieure de
ces bidons est emboutie puis martelée pour y réaliser
un ensemble de facettes se comportant chacune
comme une cloche. Les différentes facettes sont
accordées sur une gamme.
Le clip vidéo s’articule sur deux périodes:
• Les couplets racontent l’histoire de Rosa Parks.
Le clip est alors en noir et blanc, et utilise des
images d’archives et des images de reconstitution
historique. La mélodie entétante du début s’efface;
Percussions, basse et guitare sont toujours présents
mais laissent avant tout la place à la voix rapée
d’Aaron Neville.
Plus on se rapproche de la fin des couplets et donc, du
1er refrain, plus les instruments reprennent du terrain
et se font entendre.
• Le refrain lui consiste à remercier Rosa Parks
pour ce qu’elle a fait et pour ce qu’elle représente
encore aujourd’hui, un symbôle de rebellion pacifiste.
Les images sont donc en couleurs et représentent les
Neville Brothers chantant sur un terrain de jeu,
entourés d’Afro-Americains et de quelques blancs qui
chantent et dansent avec eux.
A la différence des couplets, le refrain est chanté en
coeur par les quatre frères, il a des accents plus SOUL
music et il prend fin sur la mélodie entétante du début
de chanson au clavier et steelpan.
b. les paroles et le clip en détail
• Introduction – sans parole – mélodie
Des images de la ville de Montgomery, de ses bus, puis
de plusieurs endroits publics réservés soit aux blancs,
soit aux noirs – salle d’attente, cafétéria, bancs
publics... Noirs et blancs sont séparés.
• 1er , 2e et 3e couplets :
Cette fois, la scène se déroule à l’interieur d’un bus,
une pancarte amovible servant de délimitation aux
deux espaces réservés. Nous voyons Rosa Parks
s’installer dans la section "couleur", et une femme
blanche s’asseoir à la dernière place disponible dans la
section réservée aux blancs.
L’homme blanc qui arrive à sa suite n’a donc pas de
place assise, et c’est tout naturellement qu’il déplace
d’un rang supplémentaire la pancarte de démarcation
des deux espaces réservés, forçant ainsi les noirs assis
à ces places, à se lever et à reculer vers l’arrière du
bus. Seule Rosa Parks refuse de se lever même si elle
se retrouve à présent dans l’espace réservé aux blancs.
Le clip correspond exactement aux paroles de la
chanson, puisqu’il remet en contexte ce que les
Neville Brothers sont en train de chanter.
La chanson commence avec une date, le 1er décembre
1955, date à laquelle, Rosa Parks a refusé de laisser sa
place à un blanc, pavant ainsi la voie à un mouvement de
protestation sans précédent des noirs américains
contre la ségrégation, c’est à dire, la séparation de
facto des blancs et des noirs, et le statut de soushommes qu’avaient les noirs.
Dès le 1er couplet, Aaron explique que c’est ce jour là
qu’est né le "mouvement pour la liberté" et que c’est
grâce à Rosa Parks "que nous ne faisons plus nos
trajets cantonnés à l’arrière des bus".
Dans le 2e couplet, il explique que Rosa "est fatiguée
après une longue journée et que tout ce qu’elle désire
est de profiter d’un repos bien mérité, qu’elle n’a
aucunement l’intention d’entrer en conflit avec une
foule en colère". Et pourtant...
Quand le chauffeur du bus lui ordonne de se lever, elle
refuse , dit "plus jamais", "je ne bougerai pas d’un
pouce et vais reposer mes pieds". Elle qui travaille dur
mérite autant qu’un autre de s’asseoir, Elle qui par
ailleurs s’était assise du bon côté et avait respecté
l’espace...
• LE REFRAIN
Les frères remercient à plusieurs reprise et en coeur
Sister Rosa, insistant sur le fait qu’elle a été
"l’étincelle permettant au Mouvement pour la Liberté
de commencer".
En VO = "Thank you Sister Rosa, you’re the spark that
started our Freedom Movement. Thank you Sister
Rosa".
• Les 4e et 5e couplets
Aaron racontent la suite des évènements,
comment la police est montée à bord du bus, et a, sans
surprise, emmené Rosa Parks en prison où elle se voit
infliger une amende de $14 [très cher pour l’époque.
Rosa fera appel de cette décision, une première!]
C’est alors que Martin Luther King, pasteur
à
Montgomery, prend les choses en main, et selon le
texte de la chanson toujours, organise une réunion
avec les noirs de la ville, à l’issue de laquelle le boycott
des bus de Montgomery est décidé: "tous les enfants
de dieu - noirs et blancs" devraient marcher jusqu’à ce
que la ségrégation "tombe à genou", c’est à dire,
jusqu’à ce que la ségrégation soit abolie, et que les
noirs américains obtiennent "la liberté et l’égalité".
Les couplets se terminent une nouvelle fois par
"Thank you Sister Rosa".
C’est ce que l’on peut d’ailleurs visualiser à l’écran.
Nous voyions les policiers monter à bord et arreter
Sister Rosa, puis nous apercevons Martin Luther King
précher et organiser le boycott, soutenu et applaudit
par une foule de noirs. L’image suivante montre
l’arrière des bus vides, les noirs et certains blancs
ayant décidé de marcher.
•
LE REFRAIN
Cette fois, le clip ne montre pas les Neville Brothers
en 1989 mais en 1955, tous assis au fond du bus en
question, habillés des vêtements de l’époque, et
remerciant Sister Rosa pour son geste, ce au moment
même où nous la voyions se lever et suivre les policiers
blancs. On voit même un jeune garçon assis à côté de
sa mère reprendre le refrain en même temps que les
Neville Brothers.
Alors que le refrain s’achève, que la mélodie au
clavier et au steelpan reprend, nous voyions des
journalistes, et de jeunes noirs qui marchent, puis un
gros plan sur un article de journal dont le titre
implique que la compagnie des bus n’arrive pas à
trouver de solution au boycott. Les bus sont
quasimment vides.
Il ne faut pas oublier qu’à l’époque ils étaient avant
tout utilisés par les noirs. Le boycott s’il était amené à
durer ne pouvait que signifier la bancroute de la
companie des bus de Montgomery. Or il dura 381 jours
avant que La Cour suprême n’abroge les lois
ségrégationistes dans les bus. Mais ces lois ne furent
pas abrogées dans d’autres domaines... Ce n’était donc
que le début de la lutte...
La suite du clip montre des manifestations de noirs
dont on ne voit pas le visage [comme pour insister sur
le fait qu’ils représentent tous les noirs]. Ils marchent
tous avec une même pancarte demandant l’égalité, les
mêmes opportunités que les blancs, et la dignité
humaine. Il n’est même plus question du boycott des
bus. Le mouvement a pris une toute autre ampleur et
dénonce cette fois toute les discriminations dont les
noirs sont victimes. Tout ceci grâce à une femme qui
aura montrer la voie, Sister Rosa.
• Dernier couplet
Un gros plan sur le Aaron de 1989 qui termine donc la
chanson en rapant et en la "dédiant" à Rosa Parks qui
justement a été ce "symbole de dignité" retrouvée.
• Dernier refrain
De nouveau sur le terrain de jeu – en couleur – tout le
monde danse et chante. Quelques blancs se sont mélés
à la foule et dansent aussi. Tout le monde sourit.
Mais le clip est t’il aussi optimiste qu’il y paraît ?
3./ INTERPRETATION
a. Le tempo de la chanson est plutôt lent, les parôles très articulées, simples
et rapées. Ce choix n’est pas anodin puisque les Neville Brothers nous racontent NON
PAS UNE histoire mais l’Histoire de la naissance du Mouvement des Droits Civiques
aux Etats-Unis. Et l’histoire se raconte de façon claire, précise. La voix rapée,
donne ici une dimension factuelle, impartiale [confirmée par l’usage de dates.]
Alors que le refrain, lui, en appelle à nos émotions : le coeur des voix SOUL est
chaud, mélodieux, touchant - le résultat émouvant, fédérateur et implicitement,
notamment gràce à l’image, il pose la question de l’avenir...
b. Les chanteurs, et le contexte historique, 1955 – 1989.
* brève biographie
L’histoire des Neville brothers, c’est une histoire
de famille. C’est l’histoire de 4 frères qui ont
constamment baigné dans l’atmosphère musicale
particulière de la Nouvelle Orléans, une ville
considérée comme le berceau du Jazz et la ville
natale de nombreux bluesmen.
Art, Charles, Aaron et Cyril sont
respectivement nés en 1937, 1938,
1941 et 1948, à la Nouvelle Orléans, en
Louisiane, un état du Sud des EtatsUnis.
Chacun des frères se lance tour à tour dans la
musique et tous cotoient les plus grands de la scène
musicale New Orléanaise.
Les frères Neville, qui se sont souvent croisés au
travers de leur activités musicales, sont enfin
réunis en 1976 grâce à leur oncle, George Landry.
Le nom officiel des Neville Brothers apparaitra
pour la première fois en 1977 sur un album
éponyme (c’est à dire que leur nom est le titre de
l’album).
Il faudra attendre 1981 pour que le succès des
Nevilles Brothers ne soit plus local: Ils font alors la
première partie des Rolling Stones et attire une
première attention nationale.
Et c’est en 1989, avec la sortie de l’album Yellow
Moon [sur lequel on peut entendre "Sister Rosa"]
que la gloire devient internationale.
Les 4 frères ne partiront jamais de la Nouvelle
Orléans, le berceau de leur famille, de leur
culture
musicale
et
de
l’histoire
AfroAméricaine.
En effet, la Nouvelle Orléans est en Lousiane, un
Etat du Sud des Etats-Unis, dont l’économie et le
modèle de société ont longtemps été basés sur les
plantations et l’esclavage des noirs.
Les Neville Brothers sont les descendants de
cette histoire qui fait leur identité et leur prise
de position politique.
* Retour historique – de 1619 à 1967
Il est important de rappeler que les Noirs ont été
les seuls "immigrants" qui ne l’ont pas été par choix.
Dès 1619, les premiers noirs étaient kidnappés en
Afrique et amenés de force dans les colonies du
"Nouveau Monde" pour y servir d’exclaves sur les
plantations de coton, de café, de tabac... Les colons
avaient droit de vie et de mort sur leurs esclaves.
Ce n’est qu’en 1865, à la fin de la guerre civile
Américaine entre les états du nord et du sud (18611865) que l’esclavage est aboli avec l’adoption du
XIIIe amendement de la constitution.
Mais les Etats du Sud ne sont pas prêts à
considérer les noirs comme leurs égaux, et se met
alors en place un système ségrégationiste, c’est à
dire un système qui justifie légalement la
séparation des noirs et des blancs et le statut de
sous-hommes des noirs: Ils n’avaient pas le droit de
vote, ne pouvaient prétendre qu’à des métiers de
secondes zones, ne pouvaient avoir de contact avec
les blancs, étaient victimes des pires violence, voir
de mises à mort...
Cet état de fait durera de 1865 à 1955, date à
laquelle Rosa Parks se rebelle, et toute la
population noire avec elle.
De 1955 à 1967, la communauté noire se mobilise,
organise des boycotts, des manifestations
monstres jusqu’à obtenir en 1964, l’illégalité de
toute discrimination [Civil Right Acts], puis en
1965, le droit de vote [Voting Rights Act] – les
Noirs sont enfin CITOYENS!! et en 1967, sont
abrogées les dernières lois interdisant aux noirs et
aux blancs de se marrier.
Mais la lutte vers l’égalité est longue et
1955-Rosa Parks avec Martin difficile, les mentalités ne changent pas
Luther King en arrière-plan.
facilement. Martin Luther King est d’ailleurs
Rosa Parks (1913-2005)
assassiné en 1968 à Memphis.
* Situation en 1989 – et sortie de "Sister Rosa"
La ségrégation est officiellement abrogée depuis
20 ans maintenant, mais la situation des Noirs est
loin d’être reluisante. C’est la communauté la plus
touchée par la pauvreté et l’échec social. Etant
pauvres, les noirs se retrouvent dans les mêmes
quartiers ghettoïsés... La séparation des noirs et
des blancs se fait d’elle même...
Et c’est ce que semblent dénoncer les Neville
Brothers dans leur chanson, et leur clip surtout,
puisqu’au travers des images, on en déduit que le
groupe redemande au peuple noir de se remobiliser
et de se battre pacifiquement.
En effet, le groupe joue sur un terrain de jeu,
lequel est complétement grillagé, ce qui donne
l’impression que les gens sont parqués, emprisonnés.
De plus, nous sommes en 1989, pourtant très peu de
blancs apparaissent sur la vidéo. Or en 1955 déjà,
quelques blancs, peu nombreux mais existants,
avaient rejoint la lutte des droits civiques...
Qu’est ce qui a donc changé semble dire le groupe...
Le clip se termine sur des images très actuelles de
cités dans lesquelles on ne voit que des noirs, où les
conditions de vie semblent difficiles, les lieux ayant
été abandonnés par les pouvoirs publics (il n’y a par
exemple pas de service de nettoyage...).
Le clip se termine par un close-up [plan rapproché]
sur le visage d’une enfant noire de 12 ans, loin de
sourire ce qui contraste avec la joie qui transfigure
les visages de la foule et les longs plans rapprochés
sur des enfants chantant et dansant lors des
refrain, symbôle de la nouvelle génération, symbôle
d’espoir ...
4. CONCLUSION
Sister Rosa est donc une chanson très engagée.
Elle ne se contente pas d’être un hommage à Rosa Parks et au Mouvement des Droits
Civiques. C’est aussi une chanson d’espoir, une chanson d’avenir car elle constitue un
cri d’alarme et un appel à l’action.
Les Neville Brothers ont vécu toutes ces étapes de l’histoire afro-américaine, de la
ségrégation à son abrogation, à une certaine amélioration des conditions de vie des
Noirs Américains. Mais ils ont aussi été amenés à réaliser que la situation des noirs
n’avaient pas tant changé, en tout cas socialement parlant puisque cette communauté
restait la plus affectée par la pauvreté.
Ils étaient par ailleurs conscients de l’exacerbation des frustrations, de la montée
des tensions et craignaient une éruption de violence.
Cette chanson est donc un témoignage ayant pour but de réveiller les pouvoirs publics
et de les alerter avant qu’il ne soit trop tard, c’est aussi un appel à la communauté
noire à reprendre la lutte mais une lutte, et les frères insistent beaucoup là dessus,
dont la valeur première se doit être la non-violence.
Mais rien ne changera et en 1992, éclateront les émeutes de Los Angeles...