Les réseaux en ligne d`enseignants

Transcription

Les réseaux en ligne d`enseignants
Les réseaux en ligne d’enseignants : des communautés de pratique ?
Isabelle Quentin
En contexte éducatif, les réseaux professionnels en ligne sont nombreux et certains d’entre
eux bénéficient d’une très forte audience. Ils sont hétérogènes tant par les objectifs que leurs
membres poursuivent que par leur contexte de création. Ils peuvent avoir été créés sous
l’impulsion de l’Education Nationale. C’est le cas, par exemple des réseaux des Greta et du
Certa.
‐
‐
Le réseau des Greta 1 : les Greta sont des structures de l'Education Nationale qui
organisent sur chaque académie la formation pour adultes. Les enseignants des
Greta doivent réussir à se positionner sur un marché très concurrentiel tout en
assurant une mission de service public, celle de la formation tout au long de la vie.
Dans ce contexte, les enseignants des Greta ont ressenti dès 1998, la nécessité de se
regrouper en réseau afin de produire collectivement les formations qu’ils proposent
et les ressources associées.
Le réseau Certa 2 : Le Certa est un dispositif ressource de la Dgesco. Son activité
est centrée sur la mutualisation et l’échange de ressources pédagogiques destinées
aux enseignements d’économie et de gestion pour les domaines liés aux systèmes
d'information et à l’informatique.
D’autres réseaux ont été créés spontanément par des enseignants afin de mutualiser des
ressources ou de partager des solutions logicielles. C’est le cas du réseau WIMS 3 ou du
réseau Sésamath 4 .
‐
‐
WIMS (Web Interface Multipurpose Server) a été créé en 1997. Il s’adresse à
toutes les disciplines et à tous les niveaux d’enseignement, de l’école primaire à
l‘enseignement supérieur. WIMS se présente comme une interface libre entre un
navigateur et des logiciels libres scientifiques. Il met à la disposition des
enseignants un exerciseur, une plateforme de formation spécialisée et une banque
de ressources pédagogiques libres.
L’association Sésamath a pour vocation de mettre à disposition des enseignants de
mathématiques des ressources pédagogiques et des outils professionnels libres. Son
site Internet reçoit chaque mois plus d’un million de visites et les manuels produits
par ce réseau ont capté 15 % du marché des manuels scolaires de mathématiques
1
Le site du réseau GRETA est consultable à l’adresse http://www.education.gouv.fr/cid50753/la-formationcontinue-des-adultes-a-l-education-nationale.html
2
Le site du réseau CERTA est consultable à l’adresse http://reseaucerta.org/reseau_certa
3
Le site du réseau WIMS est consultable à l’adresse http://wimsedu.info, une présentation de ce réseau est
hébergée sur Wikipédia
4
Le site du réseau Sésamath est consultable à l’adresse http://www.sesamath.net/, une présentation de ce réseau
est hébergée sur Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9samath
1
Deux types de fonctionnements caractéristiques des réseaux en ligne d’enseignants se révèlent
tout à fait particuliers (Quentin, 2012). Ils constituent des zones d’équilibre dans le sens où les
éléments publiés sur les sites Internet des réseaux, les discours prononcés et les activités des
membres impliqués sont concordants. Ils fonctionnent également comme des attracteurs. Dans
certains réseaux, des différences notables existent entre les éléments rendus explicites sur
leurs sites Internet (objectifs poursuivis ou valeurs partagées par les membres) et les discours
de leurs membres. Ceci indique souvent un processus non encore terminé de changement de
trajectoire (déplacement des buts ou des valeurs) ou de modification des règles de
fonctionnement. Au fur et à mesure de ces changements de trajectoire, la plupart des réseaux
d’enseignants ont tendance à adopter un fonctionnement qui se rapproche de celui des ruches
ou des bacs à sable.
Dans ce document d’approfondissement, nous proposons de mettre en perspective le
fonctionnement des réseaux de type bac à sable et de type ruche avec les principales
caractéristiques des communautés de pratique au sens de Wenger (1998). Dans une
communauté de pratique, les membres s’engagent les uns envers les autres autour d’une
entreprise commune. Ils créent un langage commun et un répertoire partagé. Ils développent
ainsi une culture professionnelle qui leur est propre.
Les principales caractéristiques des communautés de pratique ne se retrouvent pas dans le
fonctionnement des réseaux de type bac à sable
Les réseaux de type bac à sable fonctionnent avec des règles souples et souvent implicites, ce
qui peut les rendre difficiles à comprendre pour les nouveaux arrivants. Les analyses
effectuées sur les échanges publiés sur les sites de ces réseaux montrent une forte asymétrie
de participation comme celle habituellement observée sur les listes de discussion en contexte
éducatif (Drot Delange, 2001; Turban, 2005; Villemonteix, 2007; Caviale, 2008; Thiault,
2011). Quelques membres jouent un rôle central dans le réseau, tandis que d'autres sont très
loin du cœur. Ce type de réseau permet aux enseignants de rassembler pour les mutualiser des
collections de contributions individuelles. Il n'y a pas ou très peu de traces de productions
collectives. Dans les réseaux de type bac à sable, les échanges sont systématiquement publiés,
ce qui met en lumière chaque action individuelle. Les réseaux de type bac à sable sont des
espaces dans lesquels une poignée d'enseignants donnent à voir leur(s) pratique(s)
professionnelle(s). D'autres enseignants peuvent à leur tour mettre en œuvre ces pratiques
avec leurs propres élèves. Dans ce type de réseaux en ligne, nous n’avons observé aucune des
trois principales caractéristiques des communautés de pratique décrites par Wenger (1998) :
‐
‐
‐
L’engagement mutuel : Il suppose une participation active des membres afin de
définir une entreprise collective. Il peut être négocié et donner lieu à un document
dédié comme une charte, par exemple. Dans les réseaux de type bac à sable les
règles de fonctionnement et les tâches à réaliser collectivement ne sont pas
formalisées. Lorsqu’elles existent, elles demeurent implicites et ne sont pas
partagées avec l’ensemble des participants.
L’entreprise commune : Les tâches collaboratives sont quasiment inexistantes
dans les réseaux de type bac à sable. En l’absence de tâche commune, les acteurs ne
se répartissent pas de responsabilités. Chacun agit de son propre chef en fonction de
ses propres intérêts.
Le répertoire partagé : Les analyses effectuées (Quentin, 2012) sur les réseaux de
type bac à sable n’ont pas révélé de trace de langage partagé.
Les choses sont très différentes dans les réseaux de type ruche.
2
Les réseaux de type ruche sont proches des communautés de pratiques
Les réseaux de type ruche s’organisent autour de règles de fonctionnement strictes afin de
parvenir à réaliser des tâches complexes soumises à des contraintes fortes. La production est
contrôlée et les tâches sont réparties et planifiées. La tolérance aux engagements variables est
faible. Chaque membre s’engage sur une quantité de travail à réaliser et doit s’y tenir. Dans
l'organisation de type ruche, le collectif prime sur l’individu. Ce point se retrouve dans les
discours des membres de ce type de réseau, comme dans l’exemple qui suit.
Par exemple, j'étais le créateur du projet X et j'ai décidé que ce projet devait devenir un projet de
Sésamath. Aujourd'hui, je n'en suis plus le créateur et si je disparais, ce projet restera dans
l'association. Membre de Sésamath.
Les membres des réseaux de type ruche déclarent s'impliquer parce qu'ils partagent avec les
autres membres des valeurs ou des buts. Si ces valeurs ou ces buts diffèrent d'un réseau à
l'autre, ils représentent pour les membres actifs, la raison principale de leur implication.
Participer est une manière de montrer leur adhésion à une communauté sociale qui est parfois
qualifiée de tribu, constituée de personnes avec qui l’on partage des valeurs et des idées
communes. Les dynamiques de fonctionnement telles qu’elles nous ont été explicitées par des
membres impliqués dans un réseau de type ruche présentent des éléments caractéristiques des
communautés de pratiques décrites par Wenger en 1998 :
‐ L’engagement mutuel : des formes d’engagement mutuel comme le développement
des relations utiles à l’action s’observent dans la plupart des réseaux ruche. Elles sont
souvent partagées dans des documents accessibles à tous sous la forme de chartes ou
de professions de foi. Par exemple pour devenir membre de Sésamath, les
enseignants volontaires doivent accepter de se plier à un rituel intégrateur défini a
priori. Ils font ainsi la preuve de leur engagement.
‐ L’entreprise commune : Les réseaux de type ruche s’organisent afin de construire et
d’harmoniser une entreprise commune. Ils cherchent en permanence à réconcilier les
interprétations conflictuelles sur la nature et les objectifs de l’activité.
‐ Le répertoire partagé : Les réseaux de type ruche cherchent à développer des
répertoires, des styles de fonctionnement et des discours communs. Ils renégocient
les significations de certains éléments, choisissent en commun d’adopter des outils
ou en produire de nouveaux, racontent et transmettent leurs histoires de pratiques
passées.
Pour toutes ces raisons, les réseaux de type ruche peuvent être assimilés à des communautés
ou plutôt à des constellations de communautés (définies par les différents projets collectifs)
dans lesquelles les acteurs impliqués apprennent en pratiquant.
Bibliographie
Caviale, O (2008). Étude de l’évolution des ressources en ligne en économie gestion, de leurs
concepteurs et de leurs usages. Thèse de doctorat de l’Ecole Normale Supérieure de Cachan,
laboratoire STEF.
Drot Delange, B. (2001). Outils de communication électronique et disciplines scolaires : quelle(s)
rationalité(s) d’usage. Le cas de trois disciplines, la technologie au collège, l’économie gestion et
les sciences économiques et sociales au lycée. Thèse de doctorat. ENS Cachan.
Quentin, I. (2012). Fonctionnements et trajectoires des réseaux en ligne d'enseignants (Thèse de
doctorat de l’Ecole Normale Supérieure de Cachan, laboratoire STEF.
Thiault, F. (2011). Communauté de pratique et circulation des savoirs, la communauté des
enseignants documentalistes membres de la liste de discussion CDIDOC. Thèse de Doctorat,
3
Université Charles de Gaulle, Lille 3.
Turban, JM. (2005). Liste de diffusion pour enseignants du premier degré : une expérience sociale
formative et originale dans le cyber espace. Ed Lavoisier, collection Distances et savoirs, vol. 3. p.
331-355.
Villemonteix, F. (2007). Les animateurs TICE à l’école primaire : spécificités et devenir d’un groupe
professionnel : analyse de processus de professionnalisation dans une communauté de pratiques en
ligne. Thèse de doctorat, Université de Paris 5, René Descartes.
Wenger, E. (1998). Communities of practice: Learning, meaning, and identity. Cambridge, UK:
Cambridge University Press.
4

Documents pareils