Les conséquences de la crise économique au Mexique

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Les conséquences de la crise économique au Mexique
Les conséquences de la crise économique au
Mexique
Gérald Cadet
Chercheur associé à la Chaire d’études du Mexique contemporain
et Principal, Magerigo Consulting Group
Patricia Martin
Professeur adjointe professeure adjointe
au Département de géographie de l’Université de Montréal
et Directrice scientifique de la Chaire d’études du Mexique contemporain
Préparé pour le Ministère des Relations
internationales
Québec
28 septembre 2009
Résumé exécutif
* Introduction. La crise financière globale a un impact à la fois sur les pays développés
et en développement. Les données montrent que le Mexique est particulièrement touché
par la crise. Cette étude examine l’impact de la crise sur quatre secteurs de l’économie
mexicaine. Les conséquences sur le développement social de la société mexicaine sont
également abordées.
* Contexte historique. La crise économique actuelle doit être placée dans le contexte
du développement économique du Mexique depuis les années 1960. Le pays est passé
de l’ISI à la promotion des exportations. Cette transformation est accentuée par la crise
de la dette et les programmes d’ajustements structurels imposés par les institutions
multilatérales. Ce contexte conditionne la structure de l’économie Mexicaine
d’aujourd’hui.
* Transferts de fonds. Les remesas constituent une part importante de l’économie
nationale et jouent un double rôle : un revenu pour des millions de Mexicains et un outil
de gestion de la dette extérieur pour l’État. Depuis l’an 2000, les remesas ont crû
rapidement dans un premier temps, puis se sont stabilisés. À Partir de 2008, il y a un
renversement de la tendance. Si la diminution des remesas se confirme pour 2009, cela
aurait des conséquences sur certaines régions, en particulier le centre du pays.
* Secteur pétrolier. La crise économique actuelle ne constitue pas le détonateur de
la crise du secteur pétrolier, elle en est un accélérateur. L’impact de la crise se fait
surtout sentir par la baisse des revenus en provenance des ventes internationales et
de la difficulté à financer les activités de la pétrolière Pemex sur les marchés
internationaux. En outre, Pemex fait face à de nombreux défis stratégiques et
productifs, mais il n’est pas certain que le gouvernement soit en mesure de lui
fournir les outils nécessaires afin de se sortir de l’impasse.
* Secteur bancaire. Le secteur bancaire et financier mexicain est quelque peu épargné
par la crise actuelle. Les banques mexicaines sont presque totalement sous contrôle
étranger, ce qui accroît la nécessité de générer des profits élevés. Bien que les banques
se portent relativement bien, on note une détérioration du crédit à partir de 2007. Dans
le courant 2009, la question s’est posée à savoir si la participation du gouvernement
américain dans Citibank devait mener à la vente de Banamex. Le gouvernement
mexicain a conclu par la négative. Ce dernier est également intervenu afin de pallier à
un possible tarissement du crédit.
* Secteur manufacturier. Le secteur manufacturier est le secteur le plus touché par la
crise économique, plus particulièrement les maquiladoras. Là aussi, le gouvernement
fédéral doit intervenir afin d’aider les entreprises en difficulté. Quant à l’industrie
automobile, l’incertitude demeure grande. D’un côté, les filiales des constructeurs
américains maintiennent leurs plans d’expansion originaux, mais doivent tenir compte de
la situation aux États-Unis. D’un autre côté, les constructeurs non-américains semblent
mieux se porter.
* Impacts sur le Québec. Deux impacts possibles sont identifiés : une augmentation
des demandes d’immigration vers le Québec, prenant en compte l’immigration légale et
illégale; une diminution des exportations québécoises en direction du Mexique.
2
Introduction
Depuis plus d’un an, les sociétés à travers le monde sont submergées par une crise
économique de dimension planétaire. Les origines de cette crise font consensus : une
bulle spéculative dans le marché immobilier associée à un secteur financier
déréglementé et reposant sur des fondations fort questionnables aux États-Unis. Dans
un récent essai, le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz met en lumière le réseau
d’institutions politiques et économiques américaines ayant contribué à créer cette crise.
Les banques et investisseurs furent les acteurs centraux, bien qu’ils furent aidés en cela
par un réseau complexe d’institutions telles que les agences de notation, les courtiers
immobilier, les organismes réglementaires financiers et corporatifs et ‘les économistes,
lesquels ont fourni les arguments que les opérateurs des marchés financiers ont trouvé
très commodes et intéressants’ (notre traduction)1. Finalement, Stiglitz souligne
l’influence néfaste que le secteur financier exerce sur le système politique américain à
travers le financement des partis politiques. Le haut degré d’intégration des marchés
financiers et de capitaux signifie que la crise, initiée et centrée aux États-Unis, a pris une
ampleur globale.
Initialement, l’intérêt fut presqu’exclusivement porté aux États-Unis et à l’Union
européenne; cependant, la chute vertigineuse des bourses de certains pays en
développement a rapidement démontré que la nature globale de la crise dépassait le
cadre des pays industrialisés (eg. Brésil 55%; Inde 63%; Afrique du Sud 52%)2. Dans le
cas du Mexique, les récentes statistiques laissent à penser que le pays a été
particulièrement frappé par la crise économique. Cela est dû en grande partie au haut
niveau d’intégration économique asymétrique du pays avec les États-Unis. En juillet
2009, l’OCDE a prédit que le PIB diminuerait de 8% en 2009. En outre, la valeur du
peso a chuté d’environ 25 à 29% au cours de la dernière année3. L’Institut de la
statistique mexicaine (INEGI) rapporte pour sa part que les exportations ont baissé de
30% entre janvier et juillet 2009. Selon le Centre d’Études du Secteur Privé (CEESP), la
récession actuelle est la pire depuis la Grande dépression4.
Étant donné ces tendances peu réjouissantes au Mexique, il nous semblait de première
importance de faire une évaluation de la situation économique actuelle au Mexique.
Dans le présent travail, nous tenterons donc de répondre aux questions suivantes :
Quel est l’impact de la crise économique actuelle sur l’économie mexicaine?
Comment évoluent certains des secteurs clés de l’économie?
Quelle a été la réponse du gouvernement mexicain face à la crise?
Pour répondre à ces questions, nous offrons tout d’abord une mise en contexte du
développement économique au Mexique. Par la suite, nous procédons à une évaluation
de l’évolution des transferts de fonds; du secteur pétrolier; du secteur bancaire et; du
secteur manufacturier. Cette évaluation sectorielle est suivie par avec une discussion
1
Joseph Stiglitz, “The Anatomy of a Murder: Who Killed America’s Economy?”, Critical Review,
21 (2-3), 2009, pp. 329-339, p.333.
2
Neil McCulloch et Andy Sumner,(2009). “Introduction: The Global Financial Crisis, Developing
Countries and Policy Responses”, IDS Bulletin 40(5), 2009, pp. 1-13.
3
OECD. Mexico, OECD Economic Outlook, Preliminary Edition, 2009; OECD, Policy Brief,
Economic Survey of Mexico, 2009.
4
http://www.jornada.unam.mx/2009/08/24/index.php?section=economia, accès le 24 août 2009.
3
portant sur les taux de pauvreté qui prévalent au Mexique, ainsi que sur les mesures
que le gouvernement a mises en place pour faire face à la crise. Ce rapport conclut avec
une discussion sur les impacts possibles de cette crise mexicaine sur le Québec.
Le Mexique, en transition depuis 30 ans
Si les causes à court terme de la crise actuelle font consensus, les causes à long terme
demeurent un sujet de discorde; elles dépendent largement du modèle politicoéconomique que l’on utilise pour comprendre le fonctionnement du capitalisme. Les
critiques de la globalisation néolibérale notent que la déréglementation financière, liée à
la montée subséquente du capitalisme financier se sont imposées comme forces
motrices du développement économique global. Cela s’est accompagné d’un glissement
vers un modèle de développement économique pouvant être qualifié de “consommation
financée par des dettes , i.e. un modèle basé sur les emprunts et les dépenses au lieu
d’économiser et d’investir. Les libéraux répliquent cependant que la crise est normale –
il s’agit d’un aspect de la nature ‘auto-régulatrice’ du marché. Selon un autre aspect de
leur argumentaire, il n’y aurait pas eu suffisamment de déréglementation, comme le
montrent des institutions hybrides publiques/privées américaines telles que la Réserve
fédérale, Fanny Mae et Freddy Mac. Quoi qu’en soit les causes, l’impact de la crise est
bien réel pour de nombreux individus.
Étant donné la proximité géographique du Mexique de l’épicentre de la crise et sa
grande intégration économique, bien qu’asymétrique, aux États-Unis, le pays est affecté
par la crise économique de manière bien particulière. Avant d’aborder l’impact qu’exerce
cette crise sur l’économie mexicaine, il est utile de rappeler certains éléments du
développement économique mexicain depuis l’après-guerre afin de fournir un contexte à
la crise actuelle. Une telle analyse montre que la proximité géographique n’explique pas
à elle seule la relation entre les États-Unis et le Mexique; cette relation est également
conditionnée par des politiques et des liens économiques et politiques. Depuis les
années 1960, l’économie mexicaine a vécu une énorme transition, passant d’une
économie organisée autour du modèle d’industrialisation par substitution aux
importations (ISI) à un modèle d’industrialisation par les exportations. Il existe une
certaine similitude entre cette évolution et celle au Nord, où nous sommes passés d’une
économie keynésienne à une économie néolibérale et globalisée. Toutefois il semble
que cette transformation soit plus profonde et plus dramatique dans des pays tel le
Mexique.
Après la Seconde guerre mondiale, le Mexique, comme la majorité des États
d’Amérique latine, adopte un modèle d’industrialisation par substitution aux importations.
L’objectif de l’ISI est de favoriser le développement économique en donnant la priorité à
la production industrielle pour consommation nationale et en limitant le commerce
international par une série de politiques spécifiques. Avec l’ISI l’État joue un rôle direct
et manifeste dans l’organisation de l’économie. Dans le cas du Mexique, l’État est
également vu comme l’institution responsable de garantir le bien-être de la population.5
Vu sous un certain angle, l’ISI est un succès : durant les années 1960, on parle du
‘miracle mexicain’ en matière de développement économique6. Néanmoins, l’ISI
5
Cela est l’un des héritages clés de la révolution mexicaine. Voir également Laura Carlson,
“Armoring NAFTA: The Battleground for Mexico’s Future”, NACLA Report on the Americas, vol.
41(5), 2008, pp. 17-22.
6
Jon Shefner, The Illusion of Civil Society, University Park: Pennsylvania State University, 2008.
4
présente certaines contradictions insolubles de même que certaines faiblesses notoires,
notamment une constante inflation et des déficits commerciaux. La priorité est
systématiquement accordée à l’industrialisation au détriment de l’agriculture, alors que
les inégalités économiques persistent7
La transition et l’ouverture de l’économie mexicaine représentent des éléments d’une
plus grande transformation de l’économie mondiale, transformation liée à l’échec du
système de Bretton Woods. Elle débute avec l’accumulation d’une phénoménale dette
extérieure durant les années 1970 grâce à la disponibilité du crédit et aidée en cela par
les réserves pétrolières. Alors que la hausse des taux d’intérêt asphyxie de plus en plus
la dette, le gouvernement n’est plus en mesure d’effectuer les paiements sur celle-ci.
L’administration López Portillo déclare un moratorium sur la dette en 1982, déclenchant
la crise de la dette qui engouffre plusieurs pays du Sud. La socialisation de la dette par
des prêts par le FMI et la Banque Mondiale crée le contexte de la réorientation en
profondeur de l’économie mexicaine. Ces changements sont suivis par une vague de
privatisations à la pièce. Le secteur manufacturier qui, auparavant, est organisé selon la
demande de consommation interne, est réorienté vers les exportations, en grande partie
par l’expansion du secteur des maquiladora. Finalement, le commerce international est
libéralisé alors que le Mexique joint le GATT en 1986 et l’Aléna huit ans plus tard8.
Le Mexique dont on parle aujourd'hui est donc un pays qui s’est profondément
transformé au cours des vingt-cinq dernières années. Deux traits de l’économie politique
du Mexique ressortent de cette transition. D’une part, il faut noter le haut degré de
dépendance de l’économie mexicaine vis-à-vis des États-Unis. Ceux-ci représentent de
loin le plus important partenaire commercial du Mexique. En 2008, 73,1% des
exportations mexicaines sont destinées aux États-Unis (le Canada vient au second rang
avec 6.2%)9. D’autre part, le Mexique doit continuellement accumuler des devises
étrangères afin de servir sa dette extérieure (d’où une constante préoccupation pour une
balance commerciale positive et un haut niveau de réserves de devises fortes). Au cours
des vingt dernières années, il y a eu une réduction drastique des dépenses sociales.
Alors que le gouvernement fut l’institution responsable de garantir le bien-être sociétal
durant la période d’ISI, le marché assure aujourd'hui ce rôle10.
La transition économique vers le néolibéralisme entraîne également une réingénierie
(restructuration) des salaires. S’appuyant sur une analyse de Portes et Hoffman,
Shefner soutient que « la baisse annuelle des salaires varie de 7.7% à 12.3% durant
une période de déclin quasi ininterrompu de 1982 à 1997. En 1998 Les salaires réels
équivalaient à 57% des salaires réels de 1980; le salaire minimum en 1998 représentait
29.5% du salaire minimum de 1980. »11 Certains observateurs de la scène mexicaine
avancent que, dans le cadre de ce nouveau régime politico-économique, le véritable
7
Thomas Perreault et Patricia Martin, “Geographies of neoliberalism in Latin America”,
Environment and Planning A., vol. 37(2): 2005, pp. 191-201.
8
Patricia Martin, “Comparative topographies of neoliberalism in Mexico”, Environment and
Planning A, vol. 37(2), 2005, pp. 203-220.
9
CIA World Factbook, https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/mx.html
accès le 24 août 2009.
10
Laura Carlson, op. cit.
11
Alejandro Portes et Kelly Hoffman, “Latin American Class Structures: Their Composition and
Change during the Neoliberal Era , Latin American Research Review, vol. 38(1), 2003, pp. 4182; Shefner, op cit., p. 9.
5
produit d’exportation du pays est les travailleurs migrants12. En outre, on ne peut sousestimer l’influence de l’Aléna comme cadenas de ces nouvelles structures. Comme
l’écrit Laura Carlson : “L’Aléna a enchâssé les fondamentaux du néolibéralisme : un
marché ouvert, une économie orientée vers les exportations, des privilèges pour les
firmes multinationales, le retrait de l’État des programmes sociaux, un marché du travail
concurrentiel à l’échelle globale et une pression à la baisse sur les salaires; et la
marchandisation des ressources naturelles 13.
Tous les secteurs qui sont abordés dans cette étude (à l’exception du secteur pétrolier):
les transferts de fonds (et les travailleurs migrants) et le secteur bancaire, l’industrie
maquiladora, doivent être compris dans ce cadre. Lorsque l’on parle de crise
économique, nous discutons également de ces questions. En ce qui concerne le
Mexique, les inquiétudes vis-à-vis la crise économique remettent également en question
la pérennité du modèle de développement économique actuel.
Survol sectoriel
Les transferts de fonds : stables, mais pour combien de temps encore?
L’un des secteurs où la crise économique frappe le plus durement le Mexique est celui
des transferts de fonds ou remesas. Compte-tenu que plus de 10 millions de Mexicains
d’origine vivent aux États-Unis, les remesas constituent une part importante de
l’économie nationale. En fait, ils constituent la deuxième source de devises étrangères
du pays, derrière le pétrole et avant le tourisme.14 Les remesas jouent un double rôle
dans l’économie : d’une part, ils constituent un revenu pour des millions de Mexicains.
Pour certains, il s’agit avant tout d’un revenu d’appoint, alors que pour d’autres, les
transferts de fonds représentent leur principal source de revenu. D’autre part, étant
donné qu’ils représentent une source de devises étrangères, ils permettent à l’État de
mieux gérer la dette extérieure.15
Pourquoi les remesas jouent-il un si grand rôle dans l’économie et la société
mexicaines? Les données de la Banque Interaméricaine de Développement fournissent
quelques indices. Selon l’organisation :
Les remesas équivalent à 2.8% du PIB du pays et 10% de ses exportations
annuelles;
Les 2/3 des receveurs de transferts de fonds sont des femmes dont le niveau de
revenu annuel est faible et dont le niveau d’éducation est bas;
Environ 18% des adultes mexicains reçoivent régulièrement des remesas, en
moyenne sept fois par année à raison de 190$ par envoi.
12
David Bacon, “Displaced People: NAFTA’s Most Important Product”, NACLA Report on the
Americas, Vol. 41(5), 2008, pp. 23-27.
13
Carlson, op. cit., p. 18.
14
Tel que nous le verrons dans la section suivante, les difficultés de Pemex pourraient entraîner
un changement au sommet.
15
Ralph Chami, Adolfo Barajas, Thomas Cosimano, Connel Fullenkamp, Michael Gapen, and
Peter Montiel, Macroeconomic Consequences of Remittances, Washington: International
Monetary Fund, Occasional Paper 259, 2008.
6
Une très forte proportion des receveurs de remesas utilisent ces fonds pour des
besoins de base, notamment le logement, la nourriture et les frais de santé.16
• Croissance, puis stagnation des remesas depuis 2000
Depuis 1999, les transferts de fonds vers le Mexique sont passés par deux phases. La
première, qui va de 1999 à 2006, voit une croissance rapide et soutenue des remesas,
celles-ci augmentant de 6,6 $G US en 1999 à 25,6 $G US en 2006 (graphique 1). Par la
suite, la croissance ralentit fortement, suivie d’une augmentation de 2.2% en 2007, puis
d’une diminution en 2008 (-3.5%). Bien que les transferts aient cru de plus de 400%
durant les dix dernières années, on remarque une évolution quelque peu différente
lorsque les montants par envoi sont analysés.
Graphique 1 : Remesas vers le Mexique, 2000-2008
(en millions de dollars US)
30000
370
360
25000
350
20000
340
M$US
15000
330
$US
320
10000
310
5000
300
0
290
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Année
Par année
Par envoi
Source : Banco de México, Las Remesas Familiares en 2008, 27 janvier 2009; Rapports
annuels, diverses années.
Plusieurs facteurs contribuent à cette augmentation rapide et soutenue des remesas :
l’augmentation de l’immigration mexicaine vers les États-Unis et l’accroissement du
nombre d’envois par ces résidents. D’autres raisons, d’ordre technique, contribuent
également à l’explosion des remesas durant la décennie. L’une des plus notables est la
diminution des frais de transfert; l’autre réside dans l’amélioration des instruments de
mesure de la Banque centrale du Mexique17. L’une des difficultés à évaluer l’importance
des fluctuations des transferts de fond tient au fait que la Banque centrale mexicaine ne
fournissait pas de statistiques sur les flux avant 2004.
16
http://www.iadb.org/mif/remittances/lac/remesas_me.cfm
Manuel Orozco, “Are Trends in Money Transfers to Latin America Shifting Downward?”, Focal
Point, Novembre 2008, Vol. 7, No. 7; Jesus Cañas, Roberto Coronado et Pia M. Orrenius,
“Explaining the Increase in Remittances to Mexico", Federal Reserve Bank of Dallas, July/August
2007, pp. 3-7.
17
7
• Renversement de la tendance en 2008
Bien que la tendance ait ralenti durant 2007, les remesas ont tout même progressé de
2%. Cependant, on assiste à un renversement de la tendance en 2008, alors que les
transferts chutent de 3.6%18. Il est bon de noter que ce sont surtout lors des premier et
quatrième trimestres que les remesas se sont révélées les plus faibles.19
Le renversement de la tendance, bien qu’explicable, n’en demeure pas moins
surprenant. Toutefois, la détérioration rapide de l’économie américaine permet de mieux
comprendre, en partie, pourquoi nous assistons à un tel scénario. Deux remarques
s’imposent cependant: premièrement, le ralentissement des envois vers le Mexique
précède la récession économique aux États-Unis, ce qui suggère que la situation des
Mexicains établis là-bas représente un bon indicateur de l’évolution de la situation de
l’économie américaine. Pour preuve : le chômage chez les immigrants mexicains a
augmenté de 5.4% à 8% de janvier 2007 à août 2008, ce qui représente 125 000 pertes
d’emploi. Outre l’augmentation du chômage des Mexicains, on assiste également à une
diminution des revenus des gens qui transfèrent de l’argent, ainsi qu’à la baisse de
l’épargne des travailleurs mexicains établis aux États-Unis.20
Toutefois, la détérioration de l’économie américaine n’explique pas à elle seule les
changements que l’on remarque au niveau des transferts de fond.21 La politique
migratoire américaine contribue également à ce que les remesas s’affaiblissent.
L’augmentation des déportations de Mexicains à partir de 2007 en témoigne : cette
année-là, plus de 285 000 d’entre eux furent retournés au Mexique. Ce chiffre devrait
dépasser les 300 000 en 2008.22
Par ailleurs, la diminution potentielle des remesas aurait un double impact négatif sur le
Mexique, à la fois sur les familles mexicaines et les finances publiques de l’État. Moins
de transferts pour un ménage signifie moins de consommation et de soins de santé
entre autres. Cela peut également entraîner l’impossibilité pour un ménage d’épargner.
En ce qui concerne l’État, moins de devises fortes conduit à accroître les coûts de la
dette extérieure.
•
Impact régional différencié
Bien que tous les états de la fédération mexicaine reçoivent des remesas, ceux-ci se
concentrent dans certaines régions du pays, notamment le centre-ouest et la vallée de
Mexico. Les états du centre-ouest constituent généralement les plus importants
receveurs de remesas : bon an mal an, les états de Michoacan, Jalisco et Guanajuato
se retrouvent parmi les cinq états recevant les plus importantes sommes transférées.
Les états de San Luis Potosí et Zacatecas, également situés dans le centre du pays,
reçoivent eux-aussi de larges sommes.
18
Banco de México, Las Remesas Familiares en 2008, 27 janvier 2009.
Idem.
20
Orozco, op. cit.
21
Silvia Garduño, Destacan aumento de transferencias de tarjeta a tarjeta, que no son
registradas, Reforma, 3 septembre 2008.
22
Alarcon et al.,op. cit.
19
8
La diminution des remesas devrait donc affecter les diverses régions du pays
différemment. Ces transferts de fond représentent une part non-négligeable du PIB de
plusieurs états : plus de 16% du PIB du Michoacan, 15% de Guanajuato, 10% de l’état
de Guerrero, et 9% pour les états de Zacatecas et Oaxaca.23 Compte-tenu de l’utilisation
faite des remesas, soulignée précédemment, il est à prévoir que la diminution anticipée
des remesas aura un impact sur l’ensemble de l’économie de ces états.
•
Lien remesas - immigration
L’évolution des remesas est liée aux flots migratoires des Mexicains vers les États-Unis.
Comme nous l’avons remarqué au début de cette section, l’augmentation des remesas
coïncide avec l’augmentation de l’immigration mexicaine en direction des États-Unis.
Cependant, avec le ralentissement des flots migratoires vers le nord en 2007-2008 et la
déportation d’un nombre croissant de Mexicains durant la même période, la stagnation
ou diminution des remesas devrait s’ensuivre pour 2009.
On note également que le ralentissement de certains secteurs clés de l’économie
américaine pousse de nombreux Mexicains à rester au Mexique. Ceux-ci, réalisant qu’ils
ne trouveront pas d’emploi dans la construction ou le secteur des services aux ÉtatsUnis, préfèrent rester au Mexique. En outre, alors que certains avancent qu’il y aurait un
début de retour de Mexicains vers leur terre natale, les statistiques ne semblent pas
corroborer cette hypothèse.24
Secteur pétrolier : un défi productif et budgétaire
La crise économique actuelle ne constitue pas le détonateur de la crise du secteur
pétrolier; plutôt, elle révèle l’étendue de celle-ci et contribue à l’accélérer. Les
problèmes du secteur et de la société d’état Pemex, vont plus loin que les défis
financiers. La fragmentation politique du Mexique signifie que la compagnie souffre
d’un double déficit, à la fois de gouvernance et stratégique. Ce déficit se combine à
l’obligation qui lui est imposée de maximiser ses rendements à court terme.25
Compte tenu de l’importance de Pemex sur le budget du gouvernement fédéral et
des états, une baisse de ses revenus à moyen et à long terme aura de graves
conséquences sur la capacité des pouvoirs publics à faire face aux questions de
pauvreté et de développement social.
• La tendance à la baisse de la production se poursuit
Après quelques années de stabilisation, la baisse de la production pétrolière, amorcée
en 2006, se poursuit. Comme le montre le tableau 1 et le graphique 2, la baisse est
rapide et s’accélère. Entre 2005 et 2006, la production a diminué de 2%, la tendance
s’accélère par la suite : chute de 5.5% en 2007 et de 9.2% en 2008. Bien qu’elle
ralentisse en 2009, la baisse se poursuit. On observe un phénomène similaire de baisse
23
Cañas et al., op. cit.
Alarcon et al., op. cit.
25
Ognen Stojanovski, The Void of Governance: An Assessment of Pemex’s Performance and
Strategy, PESD Working Paper #73, Stanford University, Avril 2008.
24
9
des exportations de pétrole du Mexique : entre 2004 et avril 2009, les exportations
diminuent du tiers!
Tableau 1 : Production pétrolière, exportations et revenus d’exportation de
Pemex, 2000-2008
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009*
Production
(Mb/j)
3012
3127
3177
3371
3383
3333
3256
3076
2792
2661
Exportations
(Mb/j)
1604
1756
1705
1844
1870
1817
1793
1686
1403
1254
Revenus
d'exportation
(millions $US)
14 553
11 928
13 392
16 676
21 258
28 329
34 707
37 938
43 324
6142
Prix de vente par
baril ($US)
N/A
N/A
N/A
N/A
31.05
42.71
53.04
61.64
84.35
40.82
* : Données jusqu’à avril 2009
Pemex, Statistical Yearbook 2008 et www.pemex.com
Malgré la chute vertigineuse des exportations, les revenus d’exportations eux suivent la
tendance inverse et augmentent année après année. Entre 2004 et 2008, ils croissent
de plus de 100%, passant de 21 à 43 milliards $US. Cependant, ces chiffres cachent
une réalité extrêmement préoccupante pour les autorités mexicaines. En effet, à partir
de juillet 2008, c’est la débandade. Le prix du baril dégringole : d’un sommet de
120.25$US en juillet, le prix du baril passe à 106.64 $US en aout, puis à 85.57$US en
septembre pour clore l’année à 33.27 $US. Du coup, les revenus chutent également :
5.1 milliards $US en juillet, 4.7 milliards $US en août, 2.7 milliards $US en septembre et
1.4 milliards $US en décembre 2008!
10
Graphique 2: Production pétrolière mensuelle de
Pemex, 2007-2009 (en Mb/j)
3300
(Mb/j)
3100
2900
2700
m
ai
ju
il.
se
pt
.
ja no
nv v.
.2
00
9
m
ar
s
m
ai
ju
il.
se
pt
.
ja no
nv v.
.2
00
8
m
ar
s
ja
nv
.
20
07
m
ar
s
2500
Source : Pemex, Indicadores petroleos, www.pemex.com
• Défis stratégiques et productifs
En termes productifs, la crise économique actuelle risque d’accélérer deux grands
problèmes majeurs chez Pemex : l’épuisement de Cantarell et l’incapacité technique à
explorer les grands fonds marin. Ces défis sont d’autant plus problématiques dans la
mesure où la stratégie de la firme est de maximiser les revenus à court terme, ce qui
implique de continuer à exploiter le gisement de Cantarell, malgré son rapide déclin. Ce
déclin s’accélère de plus en plus : alors que le gisement produisait environ 2 Mb/j en
2004, la production ne s’établit plus qu’à 713 000 b/j en avril 2009, une baisse de 35%
comparativement à la même période en 2008.26
Étant donné l’absolue nécessité de remplacer Cantarell rapidement, Pemex doit
accélérer l’exploitation d’autres gisements, notamment Chicontepec. Cette exigence est
encore plus cruciale lorsque l’on réalise que la compagnie ne parvient pas à remplacer
la moitié de la production annuelle, ce qui a pour effet de réduire encore plus rapidement
les réserves prouvées.27 Dans cette optique, Pemex a décidé de prioriser 5 projets et
d’allouer des budgets en conséquence pour la période 2007-2009:
Chicontepec
Ku-Maloob-Zaap (KMZ)
Cantarell
Le bassin de Burgos
5,872 millions $US
4,293 millions $US
3,386 millions $US
2,583 millions $US
26
http://www.jornada.unam.mx/ultimas/2009/05/24/recuperacion-petrolera-hasta-en-dos-anoskessel . En mars 2007, l’agence prévoyait un déclin annuel de 14% jusqu’en 2015. Voir
http://www.eia.doe.gov/oiaf/archive/ieo07/special_topics.html
27
Entrevues menées auprès de plusieurs spécialistes du secteur à Mexico en octobre 2007.
Cette situation n’a pas changé depuis lors.
11
Pétrole marin léger
1,396 millions $US28
Pemex mise énormément sur Chicontepec, un gisement terrestre situé au nord-est de
Mexico. Sa production actuelle est de 30 000 b/j, mais la pétrolière espère la faire
passer à 700 000 b/j en 2017.29 Si un nouveau méga gisement n’est pas trouvé sous
peu et si les prévisions de production de Chicontepec s’avèrent trop optimistes, Pemex
devra se résoudre à exploiter les nombreux gisements mineurs actuellement en activité.
Il faudra toutefois que l’entreprise introduise de nouvelles technologies de récupération
afin d’augmenter leur rendement.
• Financement et remboursement des emprunts.
Un autre défi auquel est confrontée la société d’état est le financement de ses activités
et là, les effets de la crise pourraient se faire sentir lourdement. Le budget de la société
d’état est déterminé par le Ministère des finances et autorisé par la Chambre des
députés. Jusqu’en 1997 cela ne posait pas de problème.30 À partir de cette date, les
négociations autour du budget de Pemex deviennent un véritable enjeu politique. Le
problème lié à la supervision du budget de Pemex par la Chambre est que les députés
n’ont qu’une vision très générale de l’entreprise. Ils ne sont pas réellement en mesure
d’évaluer les projets individuels ni les investissements qu’effectue l’entreprise. 31
Si l’on jette un regard sur les projets d’investissement de Pemex, on remarque que
depuis 1996, l’allocation des ressources financières de Pemex accorde une
importance croissante aux activités d’exploration et de production (E/P) au détriment
du raffinage et de la pétrochimie. En 1996, 71% des dépenses de capital sont
consacrées aux activités d’E/P contre 21% pour la raffinerie et 6% pour le gaz et la
pétrochimie. Graduellement, la part accordée aux activités d’E/P croît et dépasse les
90%. En 2007, dernière année pour laquelle les données sont disponibles, les
activités d’E/P représentent 91% des dépenses de capital.32
Alors que le taux de remplacement de Pemex se situe en deçà de 50%, l’entreprise doit
augmenter ses investissements simplement pour maintenir la production actuelle.33
Étant donné le régime fiscal auquel est soumise l’entreprise34, Pemex doit se tourner
vers les marchés de capitaux et les Pidiregas (Proyectos de impacto diferido en el
Registro del Gas)35 afin de combler ses besoins en liquidités. Cependant, le tarissement
28
Idem.
Energy Information Administration, Mexico Country Analysis Brief, mars 2009.
http://www.eia.doe.gov/cabs/Mexico/pdf.pdf
30
Le Parti de la Révolution Institutionnel (PRI) a dominé la vie politique mexicaine de 1929 à
2000. En 1997, il perd la majorité absolue au Congrès, ce qui introduit un véritable élément
d’opposition dans le système politique mexicain.
31
Ognen Stojanovski, The Void of Governance, op. cit.
32
Pemex, Anuario estadistico 2008, Mexico, 2009
33
En règle générale, les pétrolière internationale tentent de maintenir un taux de remplacement
avoisinant 100%.
34
Pemex a payé des impôts de 50 milliards $US en 2008 alors que ses revenus d’établissent à
43 milliards $US. Voir Energy Information Administration, Mexico Country Analysis Brief, mars
2009. http://www.eia.doe.gov/cabs/Mexico/pdf.pdf
35
Pidiregas est un mécanisme de financement de projets gaziers et d’exploration/production en
partenariat avec des entreprises privées. Les projets sont financés individuellement, mais
29
12
du crédit international risque d’accentuer les difficultés de Pemex. Comme le souligne
une étude de la firme Raymond James & Associates : “L’effondrement des marchés des
capitaux devrait entraîner une chute de la demande d’énergie, une baisse des
productions énergétiques, une réduction des fusions/acquisitions, conduire au report des
travaux d’infrastructure en énergie et réduire les activités de forage de pétrole et de
gaz (notre traduction)36.
• Quelles options budgétaires ?
Le défi pour le gouvernement mexicain, au-delà d’une augmentation de la production
pétrolière, est de réduire la dépendance du pays et de l’État vis-à-vis du pétrole.37 Pour
Pemex par contre, l’un des grands défis est d’avoir accès aux ressources financières lui
permettant de surmonter la crise actuelle. L’une des solutions serait une réforme
constitutionnelle qui accorderait davantage d’autonomie à Pemex, ce qui pourrait lui
permettre d’effectuer les investissements nécessaires afin de retrouver un niveau de
production supérieur à 3 Mb/j. Cependant, cela apparaît politiquement impossible, d’où
la décision de l’administration Calderón de se rabattre sur des réformes législatives.38
Une autre option possible serait l’augmentation du budget d’exploration/production (E/P)
de Pemex. Cependant, cela semble peu envisageable compte tenu de la détérioration
des finances de l’État et de la diminution anticipée des revenus de Pemex, ce qui
affectera encore davantage la marge de manœuvre de Calderón et de la société
d’État…la quadrature du cercle!
Les banques : les bienfaits de la crise antérieure
Le secteur bancaire et financier mexicain est quelque peu épargné par la crise actuelle.
L’une des principales causes tient au fait que celui-ci a vécu une crise similaire en 199495 et que les autorités mexicaines en ont tiré les bonnes leçons. En effet, la crise
frappant le secteur financier américain possède plusieurs similitudes avec la crise du
peso qu’a connue le Mexique en 1994-95 : de considérables flux de capitaux étrangers
entrant grâce à de bas taux d’intérêt; la disponibilité d’importantes ressources
financières facilitant l’octroi du crédit; de grandes faiblesses en termes de supervision et
de régulation bancaire; l’opacité de l’information; des problèmes de liquidités et de
solvabilité des banques; une intervention directe des autorités publiques afin de limiter
les effets de la crise ; finalement, un environnement politique compliquant l’implantation
de mesures nécessaires à la supervision du système financier.39
l’ensemble des Pidiregas est autorisé par le Congrès lors du vote du budget de Pemex. Le
remboursement de ces prêts déguisés est étalé sur plusieurs années, généralement 25 ans.
36
Jerry Greenberg, Tight credit market could have ripple effect, but most offshore E&P regions
look strong for 2009, Drilling Contractor, Nov./Dec. 2008, p.20.
37
http://www.jornada.unam.mx/ultimas/2009/05/24/recuperacion-petrolera-hasta-en-dos-anoskessel
38
Patricia Martin, Felipe de Alba et Luzma Fabiola Nava, La reforme énergétique au Mexique,
Université de Montréal, Chaire d’études sur le Mexique contemporain et Centre d´études des
relations internationales de l´Université de Montréal (CERIUM), avril 2008, non publié.
39
http://www.elperiodicodemexico.com/nota.php?sec=Exclusivas-Reportajes&id=222790
13
La crise financière internationale actuelle constitue moins un risque pour le secteur
bancaire mexicain que la récession qui frappe le pays. Le système bancaire mexicain
devrait donc pouvoir surmonter la crise sans trop souffrir. Toutefois, la récession
économique entraîne tout de même des coûts.
•
Un secteur sous contrôle étranger
Contrairement au secteur bancaire canadien, le secteur bancaire mexicain est
largement sous le contrôle de banques étrangères. Cela résulte d’un processus qui
trouve ses racines dans la nationalisation des banques en 1982. À partir de 1989-90, le
nouveau gouvernement Salinas entreprend de privatiser les banques et autres
institutions financières mexicaines, ce qui sera complété en 1992. Durant cette phase,
les banques sont vendues à des particuliers mexicains. Mais très rapidement, ceux-ci
cèdent leurs parts à des banques internationales. Graduellement cinq des six plus
grandes banques mexicaines, BBVA Bancomer, Banamex, HSBC Bital, Scotiabank
Inverlat et Santader sont acquises par des intérêts étrangers, ne laissant que Banorte
aux mains de Mexicains.
L’une des conséquences du contrôle étranger des banques mexicaines, et plus
généralement des banques des pays émergents, est la nécessité de profits élevés afin
de justifier l’investissement initial. Dans cette optique, le coût du crédit qu’octroient les
filiales est plus élevé que la moyenne, ce qui se traduit par des marges bénéficiaires
plus élevées. Les marges bénéficiaires des banques mexicaines s’établissent à 4.6% en
2007, comparativement à 1.6% pour les banques canadiennes et 1.9% pour les
banques espagnoles.40
Dans le contexte de la crise actuelle, l’apport des filiales mexicaines constitue une
importante source de profit pour les maisons-mères. Scotiabank Inverlat a réalisé des
profits de plus de 230 millions $US en 2008, plus du tiers des 842 millions $US de profit
de la Scotiabank canadienne. Le cas de Banamex est encore plus frappant : la filiale
mexicaine de la banque américaine Citigroup a réalisé plus de 1.35 milliards $US de
profit en 2008 alors que le groupe dans son ensemble perdait presque 19 milliards
$US.41 Contrairement à certaines des banques de contrôle, notamment Citigroup et
HSBC, les banques mexicaines n’ont pas eu recours ni eu besoin d’une aide directe des
pouvoirs publics.
• Détérioration du crédit
Compte-tenu de la crise financière globale et de la récession qui frappe le Mexique, la
disponibilité du crédit et son remboursement se présentent comme les aspects les plus
incertains de l’industrie à l’heure actuelle.
La détérioration du crédit au Mexique ne date pas de la crise financière de 2008, mais la
précède d’environ un an. Dès 2007, les banques mexicaines notent une augmentation
40
Pablo Pineda Ortega, “La globalización en el sector bancario mexicano”, Economía Informa, número
349, noviembre-diciembre de 2007, pp. 76-77. La comparaison avec les banques canadiennes et espagnoles
est importante car trois des banques mexicaines sont contrôlées par des intérêts canadiens (Scotiabank) et
espagnols (BBVA Bancomer et Santander).
http://132.248.45.5/publicaciones/econinforma/pdfs/349/349_06pablopinedaok.pdf
41
http://www.eluniversal.com.mx/finanzas/69703.html
14
des taux de délinquance, i.e. le taux de remboursement des prêts personnels et
hypothécaires. Si le crédit aux entreprises connaît quelques difficultés, c’est surtout le
crédit destiné aux particuliers qui mine les résultats des banques. Et parmi cette
catégorie, c’est le crédit à la consommation, notamment les dettes liées aux cartes de
crédit, qui préoccupent davantage les banquiers. À titre indicatif, le taux de délinquance
du crédit à la consommation est passé de 5.7% à 8.1% entre 2007 et 2008; durant la
même période, le taux de délinquance des détenteurs de cartes de crédit est passé de
6.9% à 9.7%. Le crédit hypothécaire montre une meilleure performance, alors que le
taux de délinquance est passé de 2.6% à 3.5%.42
Jusqu’à maintenant, plus de 1.5 millions de Mexicains ont du restructurer leurs
emprunts.43 La réponse des banques est d’augmenter les provisions pour pertes, afin de
faire face à un accroissement des défauts de paiement. Il est important de souligner ici
comment les leçons tirées de la crise antérieure ont permis d’éviter que les banques
sombrent dans une crise similaire à celle qui prévaut aux États-Unis. Suite à la crise de
1995, le gouvernement mexicain a émis une série de règles prudentielles et a mis sur
pied des organismes, dont l’Instituto para la Protección al Ahorro Bancário (IPAB), afin
de s’assurer que les banques n’adopteraient plus les comportements qui les avaient
conduits au bord du gouffre.44
• Malgré tout, la situation des banques demeure saine
Alors que la crise financière entre dans une phase de détérioration au début de 2008, on
estime que les banques des économies émergentes surmonteront l’instabilité
relativement bien. Étant donné que les banques mexicaines sont moins exposées aux
actifs attachés aux papiers commerciaux et d’autres produits dérivés, elles ne montrent
pas de signes de faiblesse.45 Mais à partir de septembre 2008, alors que la banque
d’investissement Lehman Brothers fait faillite, la situation se renverse et le Mexique est
frappé de plein fouet par la crise.
Toutefois, cette détérioration ne se reflète pas totalement dans les états financiers et le
rendement général des banques. Malgré des difficultés au niveau des remboursements
par les particuliers, difficultés qui se sont accentuées lors du premier trimestre de 2009,
la capitalisation et les profits des banques demeurent solides. Les autorités rapportent
qu’à la fin janvier 2009, aucune des grandes banques mexicaines ne souffrait d’un
manque de capitalisation. Par ailleurs les profits des banques demeurent élevés, même
si on assiste à une baisse de ceux-ci. En 2008, les profits s’élèvent à 53 milliards de
pesos, une diminution de 32.15% comparativement à 2007. Au cours du premier
trimestre de 2009, les profits poursuivent leur chute, avec une baisse de 20% comparée
à la même période en 2008.46
Un gouvernement étranger peut-il contrôler une banque mexicaine ?
•
42
http://www.cnnexpansion.com/economia/2009/03/18/la-crisis-pega-a-clientes-de-la-banca
Idem.
44
Bonturi, Marcos, Challenges in the Mexican Financial Sector, OECD, Economics Department
Working Papers No. 339, Eco/Wkp(2002)25, aout 2002, p.44.
45
http://www.elperiodicodemexico.com/nota.php?sec=Exclusivas-Reportajes&id=222790
43
46
http://www.eluniversal.com.mx/finanzas/69703.html et http://www.eluniversal.com.mx/finanzas/71236.html
15
La faillite de plusieurs banques américaines et l’intervention subséquente du
gouvernement américain afin de soutenir ce secteur ont un impact direct sur le système
bancaire mexicain. En mars 2009, le gouvernement américain injecte 25 milliards $US
dans Citigroup. La banque éprouve d’énormes problèmes de liquidités. Cette prise de
participation fait passer la part du gouvernement américain de 7% à 36% des actions de
Citigroup.47
Or, Citigroup est propriétaire de Banamex au Mexique. Le fait que le gouvernement
américain possède dorénavant 36% des actions de la compagnie remet en question la
propriété de la banque mexicaine par la firme américaine. En effet, la loi mexicaine
interdit le contrôle d’une institution financière nationale par un gouvernement étranger.
Tant l’article 13 de la Loi des institutions de crédit que l’article 18 de la Loi sur la
réglementation des regroupements financiers stipulent qu’une personne morale exerçant
une position d’autorité, i.e. un gouvernement étranger, ne peut participer au capital
social des banques mexicaines.
Le Ministère des finances est donc saisi du dossier et doit déterminer si Citigroup devra
se départir de sa filiale mexicaine. Trois groupes distincts se montrent intéressés à
acquérir la deuxième banque mexicaine si celle-ci doit être mise en vente.48 Même la
Chambre des députés s’immisce dans la discussion. Les partis de l’opposition, plus
particulièrement le Parti de la Révolution Démocratique (PRD), montent au créneau ;
pour ce dernier, s’il devait y avoir une vente de Banamex, c’est la Chambre qui devrait
en surveiller le bon déroulement.49 Toutefois, l’incertitude est levée après plusieurs
semaines alors que le Ministère des finances annonce que Citigroup n’aura pas à se
départir de Banamex.50
•
Mesures actuelles prises par le gouvernement mexicain
Afin de pallier au possible tarissement du crédit et à un manque de liquidités du système
bancaire, les autorités mexicaines adoptent une série de mesures financières et non
financières. En octobre 2008, la Commission des Changes, un organe de la Banque
centrale du Mexique vend aux enchères jusqu’à 400 millions $US quotidiennement à un
taux de 2% supérieur au taux en vigueur le jour précédent. De plus, des enchères
extraordinaires de 11 milliards $US sont organisées afin de répondre aux besoins des
marchés de change et des opérations sur les produits dérivés.
Par ailleurs, la Banque centrale, en coordination avec diverses banques centrales à
travers le monde, négocie l’accès à une facilité de crédit de 30 milliards $US de la
Réserve fédérale américaine. En outre, la Banque centrale adopte des mesures visant
spécifiquement les banques commerciales telle que l’ouverture d’une fenêtre de
liquidités additionnelles, ce qui permet aux banques d’avoir accès automatiquement à du
financement.51 Le gouvernement fédéral, de son côté, décide de réduire l’émission des
bons et autres instruments de long terme, là aussi afin d’assurer davantage de liquidités
dans le marché.
47
http://www.eluniversal.com.mx/finanzas/69703.html
http://www.eluniversal.com.mx/nacion/166245.html
49
http://www.eluniversal.com.mx/finanzas/69604.html
50
http://www.eluniversal.com.mx/primera/32668.html
51
http://www.elperiodicodemexico.com/nota.php?sec=Exclusivas-Reportajes&id=222790
48
16
Étant donné la propriété des principales banques par des firmes étrangères, le système
financier mexicain est davantage exposé aux chocs internationaux.52 Dans le cas de la
crise actuelle, on retrouve l’illustration de ce problème avec le tandem BanamexCitigroup. Cependant, dans l’ensemble les banques mexicaines, de par leur faible
exposition au marché hypothécaire américain de piètre qualité (subprime), sont peu
menacées par la crise financière globale.
Le secteur manufacturier ou la zone de grandes turbulences
Le secteur manufacturier est sans contredit le secteur le plus touché par la crise
économique. Dans le cadre ce cette étude, nous nous concentrerons sur deux soussecteurs, l’industrie maquiladora et l’industrie automobile. Les deux sont intimement
liés, mais certaines spécificités nous conduisent à les présenter séparément. Par
exemple, l’industrie maquiladora est avant tout tournée vers l’exportation, alors que
l’impact de l’industrie automobile se fait à la fois sentir à l’international et au niveau
national. Par ailleurs, ces deux industries sont concentrées dans un nombre restreint
d’états. L’hécatombe qu’elles vivent touche donc plus particulièrement ces états. En
outre, l’augmentation du chômage résultant de la fermeture d’usine ou du chômage
technique accroît l’incapacité des individus à effectuer leurs paiements, ce qui se
répercute dans la détérioration du crédit au pays.53
• Secteur maquiladora : l’hécatombe
Pour le secteur maquiladora mexicain, la crise économique et financière est synonyme
d’hécatombe. Après l’entrée en vigueur de l’Aléna, l’industrie maquiladora croît
rapidement : entre 1990 et 2000, le nombre de maquiladoras passe de 1920 à 3590; les
chiffres chutent par la suite pour se stabiliser autour de 2800 entreprises en 2007.54
Malgré cette baisse relative, l’industrie maquiladora continue d’être le moteur du secteur
manufacturier, recevant 45% de l’ensemble de l’investissement direct étranger destiné à
ce secteur.55 Le secteur emploi plus de 2.5 millions d’individus et exporte pour environ
300 milliards $US par année. La majorité des usines est située le long de la frontière
américano-mexicaine.
La crise frappe très fortement le secteur. En 2008, les emplois baissent de 4.7%, soit
117 500 postes, la plus forte baisse depuis 2001.56 Les pertes d’emploi ont
principalement lieu entre octobre 2008 et janvier 2009, alors que 61 400 personnes sont
remerciées.57 Si les chiffres font frémir, ils ne témoignent pas de la sévérité de la
débandade actuelle : en février, la presse mexicaine rapporte que 128 000 emplois ont
été perdus au cours des trois mois précédents.58
52
http://www.jornada.unam.mx/2007/04/11/index.php?section=economia&article=025n1eco
http://www.eluniversal.com.mx/finanzas/69337.html
54
M. Angeles Villareal, US-Mexico Economic Relations: Trends, Issues, and Implications,
Congressional Research Service, CRS Report for Congress RL32934, avril 2009.
55
http://www.jornada.unam.mx/2007/02/25/index.php?section=economia&article=021n2eco
56
http://www.milenio.com/node/175506
57
http://www.milenio.com/node/157498
58
http://www.milenio.com/node/175506
53
17
Compte tenu de la structure et de la localisation des maquiladoras, ce sont les zones
frontalières qui subissent de plein fouet les contrecoups de la crise. Tijuana, dans l’état
de Basse Californie du sud et Ciudad Juarez dans le Chihuahua sont les deux zones
métropolitaines concentrant le plus grand nombre de maquiladoras et d’employés. À
elles deux, elles accueillaient plus de 830 entreprises et environ 400 000 employés en
2006.59 Au cours des dernières années, les deux villes ont perdu 48 000 emplois.
Cependant, ces villes ne sont pas les seules qui subiront les conséquences de la crise;
dix villes, réparties sur tout le territoire national, devraient éprouver des difficultés cette
année. Ces villes ont la particularité d’être dépendantes de l’industrie maquiladora, de
l’industrie automobile et du tourisme.60 Bien que les effets de la crise se soient
davantage fait sentir dans les zones frontalières, c’est à Mexico et dans l’état de Mexico
que les pertes d’emplois devraient être les plus élevées au cours de 2009.61
La dégradation de l’industrie met de nombreuses compagnies devant un choix difficile :
des mises à pied permanentes ou le chômage technique, une solution de court terme. À
l’origine, certaines entreprises adoptent cette dernière solution, mais cela ne freine pas
la glissade. Les maquiladoras ne sont pas en mesure d’assurer les coûts liés aux mises
à pied temporaires. Afin de faire face à la situation, les entreprises maquiladoras
sollicitent l’aide du gouvernement fédéral. Ce dernier, à travers le Ministère de
l’Économie, met en place un programme destiné à appuyer les entreprises confrontées
au chômage technique en février 2009. L’objectif central du programme est le maintien
de l’emploi. À cette fin, 2 milliards de pesos sont mis à la disposition des entreprises qui
souhaitent mettre des employés au chômage technique.62 En mars, le gouvernement
relâche quelques peu les critères d’application du programme.
Les prévisions pour le secteur maquiladora restent moroses. Tant que la récession se
poursuivra aux États-Unis, les difficultés persisteront. C’est un peu la même situation
que vit le secteur automobile.
• Secteur automobile : l’incertitude
Tout comme les autres composantes du secteur manufacturier, l’industrie automobile
est durement frappée par la crise. Cette industrie, encore plus que le secteur bancaire,
est dominée par des firmes étrangères. Aucun constructeur automobile n’est d’origine
mexicaine. Les décisions stratégiques sont donc prises à Détroit, en Allemagne ou au
Japon. Cela signifie également que l’industrie dépend en grande partie de ce qui se
passe dans les pays d’origine des constructeurs automobiles et des marchés
internationaux. À ce niveau, on constate une certaine différence entre la situation des
compagnies d’origine américaine et les autres.
=> Compagnies américaines
La situation des constructeurs américains est marquée par l’incertitude. Cette incertitude
est liée à la fois au maintien des opérations des usines qu’aux niveaux de production à
maintenir et à la faillite de deux des trois constructeurs, GM et Chrysler. Les trois
constructeurs américains possèdent des usines au Mexique. Tout comme certaines
59
Angeles Villareal, op. cit.
Ces villes sont Ciudad Juárez, Tijuana, Aguascalientes, Puebla, Hermosillo, Culiacán, Morelia,
Monterrey, Mexico et Acapulco. Voir http://www.eluniversal.com.mx/finanzas/69353.html
61
http://www.eluniversal.com.mx/finanzas/69353.html
62
http://www.eluniversal.com.mx/finanzas/69340.html
60
18
entreprises maquiladoras, les constructeurs ont recours au chômage technique,
Chrysler allant jusqu’à suspendre toutes ses opérations durant un mois de la midécembre à la mi-janvier 2009.63 De son côté, GM suspend également les opérations de
l’usine de Silao dans le Guanajuato durant deux semaines lors de la période des fêtes
de 2008. Ford n’est pas en reste alors que des arrêts de travail temporaires se
produisent dans certaines de ses usines en novembre 2008.
Bien qu’ils connaissent des difficultés opérationnelles, les constructeurs américains
maintiennent leurs plans quant à la construction ou l’amélioration d’usines. Dans le cas
de Chrysler, la firme avait amorcé la construction d’une usine de moteurs, adjacente à
l’usine qu’elle possède à Saltillo, dans le nord du pays, au coût de 570 millions $US. Ce
projet est maintenu et l’usine devrait être inaugurée d’ici la fin de l’année 2009.64 En ce
qui concerne GM et Ford, les deux compagnies maintiennent le cap quant à leurs divers
projets d’investissement au Mexique. Tant GM que Chrysler soulignent que leur situation
aux États-Unis ne devrait pas avoir d’impact sur les opérations au Mexique.65 Étant
donné que les décisions stratégiques sont prises aux USA et que ce secteur connaît de
très graves difficultés là-bas, il faudra attendre la restructuration de celle-ci avant d’avoir
une idée précise de ce qui pourrait se passer au Mexique. Cependant, la majeure partie
des exportations des voitures que produit GM au Mexique est destinée au marché
américain. Il est donc plus que probable que la faillite de GM affectera directement les
opérations de la filiale mexicaine.66
En termes de production, de ventes et d’exportations, là aussi les données ne sont pas
très encourageantes. En mars 2009, l’Association mexicaine de l’industrie automobile
annonce que la production a chuté de 38.2% durant les deux premiers mois de l’année
comparativement à la même période en 2008, que les ventes ont baissé de 30% et que
les exportations se sont contractées de 45%.67
=> Autres constructeurs automobiles
Tout comme leurs concurrents américains, les constructeurs automobiles établis au
Mexique adoptent également la stratégie du chômage technique afin de maintenir les
niveaux d’emploi. Tant Nissan, Toyota que Volkswagen ont annoncé de tels plans au
cours des derniers mois. Toutefois, contrairement aux compagnies américaines,
l’incertitude apparaît moins grande pour les compagnies automobiles internationales.
Contrairement aux gouvernements américain et canadien qui injectent des fonds
directement dans les compagnies automobiles américaines, le gouvernement ne s’est
pas engagé directement vis-à-vis des compagnies en difficulté. Par ailleurs, les
constructeurs automobiles, tant américains qu’étrangers, ne se sont pas prévalus du
programme d’aide au chômage technique mis en place par le gouvernement.
63
http://www.milenio.com/node/134098
http://www.eluniversal.com.mx/finanzas/70606.html
65
er
Lors du point de presse du PDG de GM suite à l’annonce de la faillite de cette dernière le 1
juin 2009, il a été question du sort des usines et des travailleurs mexicains. Le PDG, Fritz
Henderson, a souligné que les opérations aux Mexique ne sont pas touchées par la décision de
l’entreprise de se placer sous la loi de la protection des faillites. Voir
http://www.msnbc.msn.com/id/21134540/vp/31047300#31047300
66
Quintin, Erwan et Edward Skelton, How Much Will the Global Financial Storm Hurt Mexico?
Federal Reserve Bank of Dallas, November/December 2008, pp.10-13.
67
http://www.jornada.unam.mx/ultimas/2009/03/10/cae-38-2-la-produccion-de-automovilesdurante-febrero-amia
64
19
Implications pour le développement socio-économique du Mexique
Impact social de la crise – accroissement de la pauvreté
Il est ardu de déterminer l’ampleur de l’impact de la crise financière sur le Mexique car, à
bien des égards, il est encore trop pour le savoir. Néanmoins, il est déjà évident que la
pauvreté est à la hausse. Des données récemment publiées par le Ministère du
Développement social (SEDESOL) indiquent que la pauvreté a augmenté en 2008.
Selon ces chiffres, “14.3% des ménages (18.2% de la population) souffre de pauvreté
nutritionnelle; 20.1% (25.1% de la population) souffre de pauvreté de « capacités »…et
40.2% (47.4% de la population) souffre de « pauvreté patrimoniale » 68. Bien que le
communiqué de la SEDESOL ne spécifie pas les chiffres, il poursuit en soulignant que
“ces chiffres indiquent une augmentation du nombre de Mexicains qui ne peuvent
compter sur un revenu suffisant pour satisfaire leurs besoins de base (notre
traduction). (Selon Bolvtinik (2009b), le taux de pauvreté officiel en 2006 se situait à
42.6%)69. Comme le soulignent McCulloch et Sumner, cela est une tendance similaire à
d’autres crises financières récentes : “Les leçons tirées des crises précédentes à propos
de l’impact sur la pauvreté font réfléchir (notre traduction)70. Cette conclusion est
basée sur une étude ayant examiné les changements des taux de pauvreté dans neuf
pays ayant souffert d’une crise économique depuis 1990 (eg. Mexique 1994, Thaïlande
1997, Russie 1998, Argentine 2001).
L’expert en pauvreté mexicaine Julio Boltvinik, en comparant la situation actuelle à celle
de la crise de 1994, a effectué les observations suivantes. Durant la période 1994-1996,
la forte hausse de la pauvreté était due en grande partie à l’augmentation de l’inflation et
l’écrasement du peso en 2009. Bien que la valeur du peso ait baissé (de 29% selon ses
chiffres), l’inflation ne représente pas un problème aussi dramatique. Un autre facteur
ayant un impact sur les niveaux de pauvreté, selon son estimation, est l’augmentation
générale des prix des aliments. En 2009, cette augmentation serait de 9.9% selon lui.
En prenant ces éléments en considération et en assumant que l’économie continuera
d’être en récession ou connaîtra une faible croissance, il prédit une augmentation de la
pauvreté de l’ordre de 10% à 12%.71
Finalement, il est important de souligner que les données sur la pauvreté au Mexique
sont extrêmement politisées. Dans d’autres écrits, Boltvinik a soutenu par exemple, que
les changements apportés à la façon de mesurer la pauvreté au Mexique en 2002
remettent en question la capacité à effectuer des comparaisons historiques à long
68
SEDESOL, Communiqué: “La crisis económica y el alza en los alimentos afecta a los que
menos tienen.” Número 66, 18 Julio 2009.
69
Julio Boltvinik, « Economía Moral, Evolución de la pobreza integrada (MMIP) 2000-2008;
Comparación con la evolución anunciada por Coneval » , accès le 28 août 2009
http://www.jornada.unam.mx/2009/08/28/index.php?section=economia&article=026o1eco
70
McCulloch et Sumner, op. cit., p. 8.
71
Julio Boltvinik, “Economia Moral: Lo peor del aumento de la pobreza esta por medirse”,
http://www.jornada.unam.mx/2009/08/07/index.php?section=opinion&article=028o1eco, accès le
24 août 2009.
20
terme72. Contrairement aux méthodes officielles de mesure de la pauvreté, basées
exclusivement sur les niveaux de revenu, Boltvinik avance une méthode alternative
prenant en compte les “besoins de base non-satisfaits et “l’absence de temps libres .
Selon cette méthode, la pauvreté au Mexique est bien plus élevée que les statistiques
ne le laissent croire : elle se situerait à 74.2%. Il soutient, de plus, que les baisses du
niveau de pauvreté depuis l’entrée en vigueur de l’Aléna sont tout au plus modestes,
une perspective qui contredit la “version officielle 73.
La pauvreté est évidemment un problème dans toutes les sociétés. Cependant, il faut
souligner jusqu’à quel point la pauvreté et les inégalités économiques représentent
certaines des réalités les plus complexes auxquelles est confronté le Mexique. Dans un
récent éditorial dans le San Diego Union Tribune, Alberto Diaz-Cayeros l’actuel directeur
du US – Mexico Research Center (Université de la Californie à San Diego), l’un des plus
importants centres de recherche sur le Mexique aux États-Unis, soutient que la pauvreté
et la politique sociale, sont les plus importants défis auquel doit faire face le Mexique
contemporain. Il poursuit en notant que:
The global financial crisis and the downturn of the U.S. economy have deepened
the vulnerability of the poorest Mexican families. Crime and political instability are
symptoms of underlying deep-seated malaise brought about by poverty and
inequality. Within the pressing policy conundrums Mexico faces, it is easy to forget
that one in every six Mexican families lives below what the government calls the
nutritional poverty line. These households do not have enough earnings to obtain
the nutritional intake necessary to survive. The extreme poor are forgotten and
neglected, never invisible, but usually out of the reach of state programs and the
74
opportunities offered by modern economic activity.
Les réponses du gouvernement mexicain
Le gouvernement mexicain a mis en place une série de mesures afin de répondre à la
crise économique. Premièrement, en vue de maintenir la valeur du peso, les autorités
mexicaines procèdent à de nombreuses ventes de devises. Deuxièmement, en mars et
octobre 2008, le gouvernement annonce deux plans de relance afin de “promouvoir
l’investissement et accroître l’accès au crédit 75. Ces mesures incluent des rabais sur
les tarifs d’électricité, des réductions d’impôt pour certaines entreprises de même que
des réductions sur certains avantages accordés aux employés76. Il y a également
certains investissements en infrastructure, telle que la construction d’une nouvelle
raffinerie. En parallèle aux décisions d’autres banques centrales à travers le monde, la
72
Julio Boltvinik, “Unreliable Data: A serious Obstacle for Evaluating NAFTA”, CanadaWatch:
Practical and Authoritative Analysis of Key National Issues, été 2008, pp. 16-17.
73
Boltvinik, “Economia Moral”, op. cit.
74
Alberto Diaz-Cayeros, “An opportunity for Mexico’s poor.” San Diego Union Tribune.
15 janvier 2009, http://www3.signonsandiego.com/stories/2009/jan/15/lz1e15diazcay20555opportunity-mexicos-poor/?zIndex=37385 , accès le 15 septembre 2009.
75
EFE, Mexico announces economic stimulus package. NoticiasOklahoma. 16 October 2008.
http://www.noticiasok.com/noticias/index.php/english/720, Accès le 12 septembre 2009
76
Economy Watch, Mexico Economic Stimulus Package, 2009
http://www.economywatch.com/economic-stimulus-package/mexico.html , accès le 12 septembre
2009.
21
Banque du Mexique annonce une série de baisses des taux d’intérêt, ceux-ci passant de
8.25% en décembre 2008 à 4.5% en septembre 200977.
En mai 2009, le gouvernement annonce une série de mesures destinées à aider
l’industrie du tourisme (la troisième source de devises étrangères) et les PME, durement
touchées par la forte contraction économique due à la crise de la grippe AH1N1 en
mars78. Outre ces mesures internes, le gouvernement mexicain obtient également une
ligne de crédit de 47 milliards de dollars auprès du FMI. Selon Zacharie (2009:3), il s’agit
du ‘plus important crédit octroyé par le FMI de son histoire’79.
Finalement, selon la SEDESOL, le gouvernement élargit certains programmes sociaux.
Par exemple, il augmente le nombre de transferts financiers aux familles couvertes par
Oportunidades, le programme central contre la pauvreté du gouvernement mexicain.
Oportunidades fournit une aide aux familles mexicaines les plus pauvres afin de parer à
certains coûts d’éducation, d’alimentation, de santé et d’énergie80. De plus, le
programme ‘70 et plus’, qui offre une aide financière aux personnes âgées, est élargi,
tout comme certains programmes d’emplois temporaires.
Dans les propositions du budget 2010, lequel fut présenté tout récemment par le
Ministère des Finances à la Chambre des députés, le gouvernement suggère une série
de hausses de taxes et de coupes budgétaires afin de contrer l’escalade du déficit
budgétaire81. Parmi ces nouvelles taxes, notons une taxe de 2% sur tous les biens et
services, incluant les aliments et les médicaments (ils sont présentement exempts de
toute taxe); une augmentation de l’impôt sur le revenu et une hausse des taxes sur les
dépôts bancaires de plus de 15 000 pesos. Ces mesures sont proposées non pas
comme une réponse à la crise financière et économique, mais plutôt suite à
l’augmentation rapide de la dette gouvernementale, dette qui a presque doublé depuis
200082. Même si la majorité de ces mesures peuvent être considérées comme
régressives, dans le sens où elles accroissent davantage le fardeau fiscal des pauvres,
le Ministre des Finances Augustin Carstens soutient qu’elles sont justifiées par ‘la
nécessité de combattre la pauvreté’83.
77
Banco de Mexico, http://www.banxico.org.mx/PortalesEspecializados/tiposCambio/indicadores.html,
accès le 11 septembre 2009.
78
http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/05/05/AR2009050502052.html,
accès le 12 septembre 2009.
79
A. Zacharie, “La troisième vie du FMI , Le Monde Diplomatique, Vol. 56 (662), mai 2009, p. 3.
80
SEDESOL, op. cit.
81
La dette publique totale s’établit à 4.5 milliards de pesos en 2009, le double de l’an 2000. Voir
http://www.jornada.unam.mx/2009/09/04/index.php?section=economia&article=028n1eco, accès
le 12 septembre 2009.
82
Selon les dernières analyses de l’OCDE, il ne reste plus de marge de manœuvre au niveau
fiscal pour de nouveaux plans de relance. OECD, Economic Outlook, op. cit.
83
http://www.jornada.unam.mx/2009/09/04/index.php?section=economia&article=028n1eco,
accès le 12 septembre 2009.
22
Conclusion
Au terme de cette analyse, il ressort assez clairement que la crise financière et
économique globale affecte assez durement le Mexique. Étant donné sa proximité
géographique à l’épicentre de la tourmente, les États-Unis, et le nombre limité d’options
dont dispose le gouvernement, le Mexique se trouve dans une situation assez délicate.
Tant que la situation ne s’améliorera pas aux États-Unis, il faut s’attendre à ce que
l’économie et la société mexicaines continuent de ressentir les effets de la contraction. Il
faudra un certain temps aux différents secteurs industriels mexicains avant de se sortir
de l’impasse. Les quatre secteurs abordés dans le cadre de cette étude sont tous
touchés par la crise, mais à des degrés divers.
La baisse des transferts de fonds est une cause extérieure au Mexique, mais affecte
néanmoins considérablement le pays. Combinée au resserrement des contrôles des
services d’immigration américains et au renversement des flux migratoires, il appert que
des milliers de familles mexicaines subiront une baisse des montants qu’elles reçoivent
de l’étranger. Un tel développement aurait pour effet d’augmenter la pauvreté,
notamment dans les régions hautement dépendantes des transferts.
En ce qui concerne le secteur pétrolier, nonobstant la remontée des cours pétroliers
depuis quelques mois, la situation de ce secteur, de même que ses perspectives
d’avenir, demeurent incertaines. La crise actuelle ne fait qu’accentuer un problème
structurel et politique. Dans la mesure où de profondes réformes ne sont pas
entreprises, le secteur pétrolier mexicain, à terme, est condamné à péricliter.
Cependant, dans le climat politique actuel, il est difficile d’envisager de tels
changements. Ce qui force l’administration Calderón à adopter des mesures d’appoint
tel que le remplacement de Jesus Heroles à la tête de Pemex au profit d’un ancien
directeur financier de la pétrolière.
Malgré les difficultés que connaissent les banques depuis le début de la crise, on note
que celles-ci se tirent raisonnablement bien d’affaire. La combinaison des réformes
apportées à la fin des années 1990, de même que l’appartenance à de grands groupes
internationaux en expansion, à l’exception de Citibank, renforce la position des banques
mexicaines. Ce secteur constitue l’un des rares se portant relativement bien malgré la
crise. Toutefois, si les tendances que l’on observe en matière de taux de délinquance
(augmentation) et d’octroi de crédit (diminution) se poursuivent, les profits du secteur
bancaire risquent de fondre en 2009.
L’industrie manufacturière est le secteur le plus touché par la crise économique. Due à
la concurrence asiatique, le secteur manufacturier mexicain se trouvait déjà en proie à
des changements importants. La crise ne fait qu’accentuer les difficultés que connaît ce
secteur. L’industrie automobile connaît un ralentissement qui reflète la situation aux
États-Unis, bien que les constructeurs non-américains se trouvent dans une position un
peu plus enviable que leurs concurrents américains. Les maquiladoras, quant à elles,
subissent une détérioration de leur situation. Les pertes d’emplois dans le secteur
s’accélèrent et menacent plusieurs régions du pays, notamment les zones frontalières.
L’une des conséquences des difficultés des maquiladoras est la chute possible des
investissements étrangers vers le Mexique. Bien que nous ne disposions de statistiques
que pour les deux premiers trimestres de 2009, il appert que l’IDE vers le Mexique soit
en chute libre. Ces données sont renforcées par les observations de certains
23
représentants d’institutions canadiennes chargées d’appuyer le commerce et les
investissements canadiens vers le Mexique, pour qui 2009 semble être une année
nettement plus difficile. Selon ceux-ci, les investisseurs et exportateurs québécois et
canadiens montrent un intérêt réduit vis-à-vis le Mexique.
Ce tableau de la situation économique du Mexique pointe vers une conclusion peu
prometteuse pour la population mexicaine en générale, à savoir une augmentation de la
pauvreté et des inégalités sociales. En effet, il apparaît plus que probable que la
détérioration de la situation économique du Mexique conduise davantage d’individus
vers la pauvreté et l’incertitude. Ce qui rend la crise actuelle plus périlleuse pour les
Mexicains est quelle affecte l’ensemble de la population et non seulement les classes
les plus pauvres. Ainsi, les classes moyennes mexicaines éprouvent de plus en plus de
difficultés à maintenir les gains accumulés depuis la crise du peso de 1994-1995.
Dans cette optique, une intervention gouvernementale plus poussée pourrait pallier à la
détérioration de la situation économique des individus. Cependant, comme il a été
souligné dans les pages précédentes, la dette du gouvernement mexicain a doublé en
huit ans, ce qui limite sa capacité d’action. Il sera donc difficile pour l’administration
Calderón de mettre en place un filet de sécurité pour l’ensemble de la population; il doit
de plus en plus se concentrer sur les couches les plus pauvres
Conséquences pour le Québec
Étant donné l’intégration de plus en plus poussée des partenaires nord-américains, la
crise que vit le Mexique aura certainement des répercussions sur le Québec. Nous en
retiendrons ici deux : une augmentation de la demande d’immigration vers le Québec et
une réduction des échanges commerciaux avec le Mexique.
En ce qui concerne l’immigration, les données du Ministère de l’Immigration et des
communautés culturelles du Québec montrent une certaine stabilité de l’immigration
mexicaine au cours des trois dernières années, celle-ci tournant autour de 1200
personnes. Cependant, les chiffres n’indiquent pas le “niveau d’intérêt” pour le Québec,
à savoir le nombre de demandes d’immigration effectuée par des Mexicains. Dans le
contexte actuel, il nous apparaît probable que la délégation du Québec à Mexico et le
Ministère de l’Immigration reçoivent davantage de demandes d’immigration de
Mexicains. La décision du gouvernement canadien d’imposer un visa aux mexicains,
résultat de la hausse fulgurante des demandes d’asile, constitue un important indice en
ce sens.
Une deuxième conséquence pour le Québec devrait être une réduction du commerce
avec le Mexique. Selon les données de l’Institut de la Statistique du Québec, les
exportations du Québec vers le Mexique ont cru de près de 30% entre 2006 et 2008
pour avoisiner un milliard de dollars. La contraction de l’activité économique au Mexique
devrait conduire à une diminution généralisée des importations, ce qui devrait affecter le
Québec. En ce qui concerne les importations du Québec en provenance du Mexique,
après une forte baisse entre 2006 et 2007, elles sont restées stables en 2007 et 2008.
Toutefois, avec l’annonce que les exportations mexicaines ont diminué d’environ 30%
au cours du premier semestre de 2009, il faut s’attendre à une forte diminution des
exportations mexicaines vers le Québec cette année.
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