Janvier 1943 La Wehrmacht a encore des dents

Transcription

Janvier 1943 La Wehrmacht a encore des dents
Janvier 1943
1 – La guerre en Méditerranée
La Wehrmacht a encore des dents
1er janvier
Requiescat in pace pour un guerrier
Alger, 03h45 – Une nouvelle crise cardiaque emporte le général Delestraint. Sa mort est
largement due à l’accumulation de l’épuisement et de la tension après les deux années et
demie d’un travail acharné à reconstituer l’Arme Blindée de la France, dont il a pu
personnellement voir les premiers fruits lors de la campagne de Sicile. Il sera nommé à titre
posthume Compagnon de la Libération.
La campagne d’Italie
Front italien – La 14e DI Française laisse ses positions à la 46e DI britannique et vient
renforcer le flanc est de la 3e DB. Le corps d’armée franco-américain commandé par le
général Jean de Lattre comprend donc la 1ère Brigade Blindée belge (sur la côte), le groupe de
combat réuni autour de la 102e Division motorisée italienne Trento, la 34e DI-US, la 3e DB
française et la 14e DI française, appuyés par les 17e et 36e Régiments d’Artillerie US et la 12e
Brigade d’Artillerie de Corps d’Armée française. Ce corps d’armée doit lancer une offensive
le long de la côte, et la journée se passe en préparations destinées à débusquer et détruire les
88 mm allemands. À cet effet, des attaques localisées menées par des éléments blindés sont
lancées sur toute la largeur du front, sous le couvert de l’artillerie qui cherche à engager les
canons allemands dès que ces derniers se démasquent. L’artillerie de campagne allemande
subit de lourdes pertes, elle est assez rapidement muselée.
L’aviation tactique intervient également pour préparer le terrain, ce qui provoque des combats
violents avec des éléments du Xe FK, qui, à peine reconstitué, a dû supporter tout le poids des
combats aériens depuis huit jours et où les I/JG77 et II/JG77 ont dû être amalgamés. On ne
note qu’une attaque de Jabos, menée par des appareils de la II/JG2 et qui se solde par trois
appareils abattus par la DCA alliée.
Le Xe CA britannique (Ritchie), qui occupe maintenant la position centrale, passe la journée à
se réorganiser avant d’affronter la Das Reich et la brigade motorisée GrossDeutschland,
renforcées par les hommes de la 162. ID. Quant au Ve CA (Allfrey), ses unités d’avant-garde
engagent les 52. et 112. ID allemandes, renforcées dans la journée par deux bataillons
indépendants de Panzers, détachés des écoles qui se trouvent dans le sud de l’Autriche.
Reggio de Calabre (résidence du Roi et du gouvernement Badoglio) – Les informations
transmises par le duc d’Acquarone sont reçues plutôt fraîchement par l’entourage du Roi. Il
faut plus de trois heures au maréchal Badoglio et au général Ambrosio, accouru de Rome,
pour expliquer à Sa Majesté que ces nouvelles ne sont pas aussi désastreuses qu’il semblerait
et que les Alliés laissent une porte ouverte à l’Italie pour s’intégrer progressivement dans leur
coalition. Le général Ambrosio en profite pour réclamer que le plus possible de forces
italiennes puissent reprendre le combat au plus vite, puisque de leur comportement au combat
dépendra le statut de l’Italie.
Le point le plus critiqué par l’entourage du souverain est la clause de dé-fascisation des
administrations, qui est vue comme une attaque masquée contre la monarchie. Quant aux
militaires, ce sont plutôt les conditions du rééquipement italien qui les font grincer des dents.
Il est cependant convenu que le général Ambrosio et un collaborateur du ministre des
Finances se rendront à Alger dès le lendemain pour négocier le rachat du matériel italien
capturé (ils ignorent que le matériel saisi en Afrique a en grande partie été expédié aux
Chinois) et l’achat des chars que les Français semblent disposés à céder, car le rééquipement
des troupes italiennes est une nécessité urgente.
Le Roi et ses ministres font alors le point sur la situation des troupes italiennes dans les
Balkans. Le sort le plus tragique semble avoir été réservé au XVIIe Corps d’Armée : les
officiers de la 131e Division cuirassée Centauro et de la 14e DI Isonzo ont été massacrés. Une
tentative de résistance du 7e Régiment de Cavalerie Lanciere di Milano a abouti au massacre
de la totalité des officiers et de la plupart des hommes. Les hommes de la 1ère Division Rapide
Eugenio di Savoia ont eux aussi tenté de résister et beaucoup d’entre eux ont été exécutés ; en
revanche, une partie de l’encadrement s’est ralliée aux Allemands. Les nouvelles sont
meilleures à l’ouest du Péloponnèse : la 4e DI Alpine Cuneense et la 53e DI de Montagne
Arezzo ont réussi à faire leur jonction avec les troupes alliées et peuvent être considérées en
sécurité, même si les pertes en équipement ont été importantes. En revanche, la moitié
seulement de la 18e DI Messina (qui se trouvait en retrait du front) a pu se sauver, le reste a
été capturé. Le repli des troupes allemandes du Péloponnèse est, semble-t-il, en cours.
Certaines des divisions d’occupation de la Yougoslavie et la plupart des troupes stationnées
en Albanie semblent être en mesure de résister aux Allemands. D’autres se sont ralliées au
nouveau gouvernement national-fasciste. Les autres ont été désarmées sans trop de mal par
leurs anciens alliés. La plus grande confusion règne encore en bien des points.
Le Conseil des ministres envisage alors quel soutien aérien peut être accordé, avec l’accord
des Alliés, aux troupes qui résistent aux Allemands. Dans ce but, les éléments de la Regia
Aeronautica qui ont pu échapper à la destruction ou à la capture sont en voie de concentration
sur les aéroports de Cosenza, Monserrato et Tarente. L’ordre est donné d’effacer toutes les
marques fascistes des appareils, qui devront désormais adopter les couleurs nationales et la
Croix de Savoie.
Enfin, pour soutenir les troupes d’Albanie, le Conseil décide de demander aux Alliés
d’autoriser certains des navires de la Regia Marina à reprendre les opérations en Adriatique.
La libération de la Corse
Corse – Des avions de transports français font la navette entre Alger et Ajaccio pour conduire
en Corse des hommes et du matériel (dont un radar). On comptera ainsi 67 rotations de DC-3,
5 de C-60 (Lodestar), 4 de DC-2 et 14 de LeO-451.
Pendant que ces renforts arrivent, les Mustang II du groupe II/7 se desserrent sur Calvi-Sainte
Catherine, et les avions du I/7 montent des vols de reconnaissance armée sur la côte toscane.
Les B-25 de la 31e EB montent des missions de surveillance sur l’île d’Elbe. Dans l’aprèsmidi enfin, ce sont 5 Hudson III de l’escadrille E5 qui se posent à leur tour à Ajaccio pour
organiser des vols de patrouille anti-sous-marine sur le trajet Alger-Ajaccio.
La campagne des Balkans
Dalmatie – La plupart des trois mille déportés juifs de l’île de Rab, libérés quelques jours
plus tôt par les Partisans titistes, ont pu être évacués vers le continent à bord de barques de
pêche et de petits caboteurs réquisitionnés, ébauche d’une marine des Partisans. Trop
affaiblis, 204 déportés resteront sur place. Aucun ne survivra.
Parmi ceux qui ont pu rejoindre le continent, trois cents, les moins épuisés, ont rejoint les
rangs des Partisans, mais que faire des autres ? L’officier de liaison français, le capitaine
Malec (dans le civil, le Père Natlacen) envoie à Alger un message demandant des moyens
exceptionnels pour les mettre hors de portée des Allemands et de leurs auxiliaires oustachis,
tout aussi partisans de la « solution finale du problème juif ».
Paramythia (Epire) – Le général Umberto Ricagno, chef de la 3e Division Alpine Julia, est
furieux. Il a quitté précipitamment sa garnison d’Igoumenitsa pour se porter au secours des
Chams (Albanais d’Epire) prétendument menacés de massacre par les Grecs, et il se rend
compte que cette menace a été inventée de toutes pièces par deux chefs de milice locale, les
frères Nuri et Mazar Dino, désireux d’obtenir des armes et du ravitaillement. « Je devrais
vous faire fusiller, mais les Grecs s’en chargeront ! » lance-t-il aux deux frères. Pour ne rien
arranger, la neige se met à tomber et son unique poste de radio est en panne : il n’arrive à
joindre ni Igoumenitsa, ni l’état-major du XXVIe Corps d’Armée à Ioaninna.
Salonique – Le général d’aviation Löhr, commandant en chef du secteur Sud-est, prépare sa
reconquête des Balkans. Sur sa carte s’étalent de vastes territoires insoumis : en Bosnie, au
Monténégro, en Grèce centrale… Le plus gênant est l’Albanie avec Tirana : après la perte de
Rome, il n’est pas acceptable qu’une autre capitale européenne, même d’un petit pays obscur,
échappe à la domination du Reich. La 173. Jäger-Division du lieutenant-général Heinrich von
Behr est à Graz (Autriche), prête à partir pour l’Albanie dès que possible. Le 329e Rgt
d’Infanterie, formé de transfuges musulmans de l’armée soviétique, la rejoindra dès qu’il aura
enlevé le château de Trujak, en Slovénie 1. Pour transporter ces deux unités, Behr hésite
encore entre la voie terrestre, pleine de dangers, et la voie maritime, qui ne vaut pas mieux.
La campagne de Grèce
Opération Tent
Samothrace – L’aimable major-général Frederick Browning, qui avait commandé les troupes
aéroportées britanniques en Sicile, a été victime de son succès : le général Clark l’a appelé
auprès de lui comme chef d’état-major des forces aéroportées alliées. C’est donc le petit et sec
brigadier George “Hoppy” Hopkinson qui est chargé de commander le saut sur Samothrace.
“Hoppy” passe, à tort ou à raison, pour un des officiers les plus impatients et les plus
désagréables de l’armée de Sa Majesté. Il est secondé par le jeune brigadier à titre temporaire
Ernest Edward Down, chef de la 2e Parachute Brigade, que sa calvitie précoce et sa mine
funèbre ont fait surnommer “Dracula”. Leur médiocre sociabilité complique sérieusement
leurs rapports avec leurs homologues français et grecs. Cependant, Down est très populaire
auprès de ses hommes, ce qui n’est pas vraiment le cas de Hopkinson.
Sous leurs ordres, tout d’abord, la 2e Parachute Brigade. Sa composition est très britannique :
un bataillon anglais du Wessex, un écossais et un gallois. Hopkinson, tirant les leçons des
expériences de Sicile et de Tarente, estime que des parachutistes ne peuvent tenir le terrain
que peu de temps sans un renfort d’artillerie et de logistique : ce sera le 1st Airlanding Rgt,
Royal Artillery. Les “Diables Rouges” au béret amarante vont devoir se coordonner avec
deux autres unités : d’une part, le 2e Bataillon des Royal Irish Fusiliers, qui jouera le rôle de
deuxième vague, d’autre part les commandos du Special Boat Service, au particularisme très
développé et qui font semblant d’ignorer qu’ils sont désormais rattachés au Special Air
Service (SAS). Cerise sur le gâteau, les Grecs du Bataillon Sacré, aussi fameux pour leur
indiscipline que pour leur bravoure, seront de la partie.
………
Concernant les unités de l’Axe présentes dans l’île, “Hoppy” ne dispose que d’informations
incomplètes. Il sait que la garnison de l’île est normalement assurée par un bataillon italien, le
II/4e RI de la 29e Division d’Infanterie Piemonte 2. Ce bataillon semble s’être rallié à la cause
1
Le 329e RI dépendait à l’origine de la 162. Infanterie-Division, reconstituée après Smolensk, mais les deux
régiments d’infanterie “allemands” de cette division, plus avancés dans leur entraînement, ont été envoyés en
urgence contrôler le secteur de Pescara, en Italie centrale.
2
La 29e Division d’Infanterie Piemonte (général Adolfo Naldi) est stationnée de Katerini à Salonique, où se
trouve son Q.G. Elle comprend les 3e, 4e et 303e RI Piemonte, la 166e Légion CCNN d’assaut Peloro (à deux
bataillons) et le 24e RAD Peloritani (groupe I avec 12 obusiers de 100/17, II avec 12 canons de 75/27 et III avec
12 obusiers de 75/13). Le 4e RI assure la garnison des îles de Thasos (I et III/4e RI) et de Samothrace (II/4e RI).
de la monarchie italienne. La citadelle de Kamariotissa, l’agglomération principale, est tenue
par les Allemands du XII. Festungs-Infanterie-Bataillon 999 : un bataillon d’infanterie de
forteresse que le numéro 999 signale comme une unité disciplinaire formée de repris de
justice. Rien d’insurmontable en apparence. Cependant, Hopkinson n’a pas assez tenu compte
des avertissements du SBS, signalant l’arrivée, depuis très peu de temps, de nouveaux
éléments allemands.
Certes, après le changement de camp des Italiens, le XII. Festungs aurait pu s’accommoder
d’un statu quo avec le II/4e RI, voire être replié sur le continent, Samothrace, trop éloignée et
difficile à ravitailler, apparaissant comme une position sacrifiée. Mais le Führer ne l’a pas
entendu ainsi : depuis Limnos, il est très sensible à la défense des îles grecques et croit que
leur possession est nécessaire au maintien de la neutralité turque. Le général Löhr a donc dû
prélever sur les maigres réserves du Groupe d’Armées Sud-Est une force chargée d’en assurer
le contrôle contre vents et marées : la SturmBrigade NordÄgäis, commandée par le général
Wilhelm-Friedrich Müller et composée d’un bataillon de la 22. ID Luftland [aéroportée] et
quelques pièces de DCA. Elle a débarqué sur l’île dans la nuit du 30 au 31 décembre.
Dès le 31 décembre à l’aube, les Allemands ont occupé le port, désarmé une partie des
Italiens et fusillé pour l’exemple les officiers sur lesquels ils ont pu mettre la main. Les repris
de justice du XII. Bataillon 999 ont aussitôt entrepris de rançonner les habitants. Le reste des
troupes italiennes s’est replié vers Chora, le chef-lieu, dans l’intérieur, et vers la confortable
station thermale de Loutra. L’ouest de l’île sert de refuge précaire aux civils de Kamariotissa,
tandis que l’est, montagneux et difficile d’accès, semble vivre hors du temps sous la cime du
mont Fengari.
Müller a décidé de lancer dès le 1er janvier un coup de main sur Chora. Il n’a pas encore reçu
les renforts qui lui ont été promis – quelques éléments de la 113. ID. doivent arriver dans les
premières nuits de janvier – mais il sait qu’il n’a que peu de temps avant la grande tempête
qui vient d’Europe du Nord et que les services météo de la Wehrmacht ont signalée. Mais
cette tempête devrait décourager toute tentative franco-britannique dans son secteur.
………
L’attaque britannique, à l’aube du 1er janvier, commence par une catastrophe : le croiseur
mouilleur de mine HMS Latona, qui devait déposer près de Kamariotissa le 6e Bataillon
gallois de la 2e Parachute Brigade, saute à quelques secondes d’écart sur deux mines posées
vingt-quatre heures plus tôt par les petits bâtiments qui avaient amené la Sturmbrigade. Le
Latona sombre en trois minutes. Le bataillon perd 58 morts et 150 blessés (plus 48 morts dans
l’équipage), sans parler d’une grande partie de son matériel. Il est totalement désorganisé.
Les forces parachutées, dispersées par un vent violent et un terrain accidenté et morcelé, ne
peuvent apporter qu’une faible contribution à l’attaque principale. Seul le Bataillon Sacré
atteint son objectif, la station thermale de Loutra, où il désarme un petit détachement italien.
Le bain chaud de Loutra restera un des rares bons souvenirs d’une campagne plutôt ingrate !
Autre succès : au sud de l’île, les SBS débarquent sans aucune résistance dans le petit port de
Lakkoma. Enfin, dans l’après-midi, le capitaine Lord Jellicoe négocie sans grande difficulté le
ralliement de la garnison italienne de Chora.
Mal commencée, la journée finit mal : le général Hopkinson, alors qu’il supervise l’attaque de
Kamariotissa abrité derrière un muret, est touché à la tête par un tireur d’élite de la
22. Luftland. “Dracula” Down prend le commandement d’une opération mal engagée.
A l’assaut !
Sparte – Au QG allié, l’opération Tent a des conséquences presque aussi violentes que la
tempête qui se prépare. Giraud ne décolère pas : « Si Rommel devait lancer une offensive
contre nous, je pense que je serais mis au courant plus vite que je ne l’ai été de cette
opération des Anglais ! La seule excuse de Cunningham est que la décision a été prise
directement à Londres et, à coup sûr, pour dissimuler l’importance du succès de Ciseaux ! »
Avant qu’il n’invoque les mânes du capitaine Marchand et de Fachoda, Dentz lui fait
remarquer que, dans le fond, il faut se réjouir que les Britanniques sortent de l’immobilisme
qu’ils observent dans le Péloponnèse depuis Noël. Mais Giraud prend le mors aux dents :
« Eh bien nous allons voir ! Dès demain, j’ordonne à toutes les forces sous mon
commandement, c’est à dire à l’Armée d’Orient et aussi à la 8e Armée, de passer à l’offensive
sur tout le front ! »
Malgré les réticences de Dentz, voire les appels discrets à Londres et à Alger, où l’on ne
souhaite pas paraître s’opposer à une offensive de libération d’un pays allié, les ordres partent,
non seulement pour les QG d’armée, mais pour toutes les unités jusqu’au niveau de la
brigade ! Bien entendu, ces ordres manquent de précision, mais ils sont clairs : profiter du
retournement italien pour avancer sur tout le front.
Dans les airs, la RAF s’est réveillée depuis le lancement de Tent et les forces aériennes alliées
se heurtent à la chasse allemande, qui couvre les bâtiments de toutes tailles qui transfèrent
prisonniers italiens, matériel, ravitaillement et personnels des unités allemandes du
Péloponnèse vers la Grèce centrale, à l’est comme à l’ouest de Corinthe.
2 janvier
La campagne d’Italie
Front italien – Le corps d’armée franco-américain (et italien) lance l’offensive prévue la
veille. La 34th DI-US avance jusqu’à l’entrée sud de Civitavecchia, mais les Allemands
tiennent toujours la ville ; les Américains s’emparent cependant des collines qui entourent la
petite ville d’Allumiere, au nord-est. La Trento s’avance autour du lac de Vico sans réussir
cependant à déboucher sur Viterbo et Vetralla. Les Français progressent dans la plaine jusqu’à
la coupure au sud d’Orte et dans les collines au sud de Narni jusqu’à Strocone, mais la 14e DI
n’arrive pas à déboucher au-delà de la ligne Contigliano, Rieti, Cantalice.
Pendant ce temps, la réorganisation continue. La 1st Armored Division américaine et la
brigade Tancrémont se retirent du front pour se réorganiser. Les Américains passent en
position arrière vers Anguillara Sabazia pour recompléter leur matériel et leurs effectifs après
les combats de fin décembre, où ils ont subi de lourdes pertes et pris quelques dures
leçons. Les Belges vont occuper un secteur entre l’aile gauche de la 3e DB française et les
formations italiennes vers Soriano Nel Cimino et Vasanello.
La campagne de Grèce et des Balkans
Opération Tent
Samothrace – Les forces britanniques se regroupent et se réorganisent. Kamariotissa est
toujours aux mains des Allemands, mais une attaque est prévue pour le lendemain, en
collaboration avec les Italiens, qui se montrent très désireux de venger leurs morts du 31
décembre.
Pendant ce temps, la 127e Parachute Field Ambulance du Lt-col. Parkinson est débordée par
les jambes cassées de la veille et les blessures par balles. Heureusement, une infirmerie de
renfort commence à fonctionner à Loutra dès ce jour ; le personnel militaire britannique et
italien et les civils grecs y travailleront durant toute la campagne dans une harmonie
exceptionnelle.
A l’assaut !
Péloponnèse – Sur tout le front français, c’est-à-dire dans l’ouest de la presqu’île, les unités
se sont mises à avancer, prudemment mais de bon gré. A l’est du front, la majeure partie des
forces de la 8e Armée sont encore en train de « s’organiser pour préparer la progression »,
mais en Argolide, les Grecs se sont lancés à l’attaque avec ardeur ! Hélas, c’est sans doute là
que la résistance allemande est la plus ferme.
Cependant, en général, la défense ennemie est sporadique et les mines font plus de victimes
que les tirs. Côté français notamment, les soldats qui avancent voient beaucoup plus d’Italiens
que d’Allemands, mais ce sont des centaines d’hommes qui avancent à découvert, brandissant
des drapeaux blancs et des pavillons vert-blanc-rouge aux armes de la maison de Savoie.
Mettre un peu d’ordre dans cette foule, désarmer ces hommes en douceur, leur trouver à
manger, les envoyer rejoindre les unités qui se sont rendues depuis le 25 décembre et
organiser le transfert de tout ce monde vers l’Italie est pour les services alliés une épreuve
d’autant plus difficile qu’elle est inattendue !
L’activité aérienne est toujours soutenue au-dessus des golfes de Patras, de Corinthe et de
Saronique, dont les eaux sont sillonnées dans la journée par de nombreux petits bateaux – les
unités de plus grande taille sont tenues à l’abri et ne sortent que la nuit.
Trahisons et contre-trahisons
Igoumenitsa – Le 98e Régiment de la 1. Gebirgs-Division atteint la Mer Ionienne. En six
jours de marche forcée par la route côtière depuis qu’il a traversé le golfe de Patras, il a connu
plusieurs accrochages avec les maquisards grecs pro-Anglais (du moins sont-ils armés et
financés par Sa Majesté) de l’EDES. Mais dans la région, le général Mario Gamaleri, fasciste
fidèle et chef du XXVIe CA italien, chargé de contrôler le secteur, a décidé de se rallier à la
République Sociale proclamée par Mussolini en Italie du Nord, avec le général Mario
Guassardo et sa 37e DI de Montagne Modena. A Igoumenitsa, les choses auraient pu mal
tourner pour les Allemands, car le général Ricagno, chef de la 3e Division Alpine Julia,
n’avait aucune intention de se rallier au Reich. Mais en son absence, le lieutenant-colonel
Molinari n’a pas voulu courir le risque d’une bataille. Il a permis aux hommes qui le
souhaitaient de rejoindre Ricagno dans les hautes terres, et il s’est rendu aux Allemands avec
le reste de son unité. Satisfait, le Generalleutnant Walter Stettner von Grabenhofen, qui
commande la 1. GD, a décidé d’accorder à ses hommes quelques jours de repos avant le
prochain mouvement : la reconquête du sud de l’Albanie.
Dans l’après-midi, Stettner reçoit la visite d’un groupe d’officiers italiens, fascistes
convaincus, de la 36e Légion de Chemises Noires d’Assaut Cristoforo Colombo (de la 37e
DIM), qui le persuadent de modifier ses plans. Selon leurs renseignements (incertains), la
garnison italienne de Corfou, grossie par des troupes venues d’Albanie, serait prête à se rallier
à la RSI. En gage de bonne foi, ces lointains épigones de Christophe Colomb présentent
plusieurs petites embarcations, caboteurs ou barques de pêche plus ou moins aménagés, avec
lesquelles ils se disent prêts à franchir le détroit. Une fois sur l’île, avec un minimum de
soutien armé, ils se font forts de rallier la garnison à leur cause.
Stettner écoute favorablement leur offre. Contrairement à la plupart des généraux allemands,
il est loin de mépriser les Italiens : il a gardé en mémoire leurs combats communs dans le
Péloponnèse. La météo annonce du gros temps pour le lendemain, mais, dès que possible, il
enverra sur l’île un détachement de Chemises Noires renforcé par un nombre égal de
Chasseurs de montagne allemands.
Forteresse assiégée
Durazzo/Durrës (Albanie) – Le général Gotthard Frantz est officiellement nommé
commandant de la Festung Durazzo, la forteresse de Durrës, fonction qu’il occupe en fait
depuis le 25 décembre. Frantz, grâce au butin récolté à Tirana, arrive à échanger du
ravitaillement en relative abondance. Cependant, dans son QG, Hitler, informé de ce qui
ressemble à un encerclement, ordonne au Reichsmarschall Göring d’organiser un pont aérien
vers Durrës, ou plutôt vers le petit secteur au sud de la ville tenu par les Allemands et
quelques unités italiennes fidèles à l’Axe.
Comme Frantz appartient à la Luftwaffe et que Göring ne veut pas porter seul le chapeau en
cas de défaite, il obtient que l’attaché naval allemand à Tirana, le capitaine de frégate Asmus,
soit nommé chef de la Défense maritime de l’Albanie. Sa flotte se réduit à trois barques !
Renouvellement
Limnos – La Flottille 8F doit quitter la Mer Egée. Elle va rejoindre Mers-el-Kébir, où elle
cédera ses hydravions Northrop N3M en échange de vieux SBD-3 Dauntless. Elle pourra ainsi
se réhabituer aux avions “à roulettes” avant de recevoir sa nouvelle monture, le TBF Avenger,
en mai.
Quant à ses appareils, dûment révisés, ils partiront pour l’Océan Indien, aux Andaman. Là, ils
seront bien utiles à la Flottille 10F, dont les hydravions torpilleurs souffrent des rigueurs du
climat équatorial.
3 janvier
La campagne d’Italie
Front italien – Les Alliés poursuivent leur réorganisation, interrompant leurs actions
offensives. La 34th DI-US et la 102e Division Motorisée Trento, renforcée par le 34e Rgt
Blindé Centauro II et par les unités de corps d’armée du XXIe CA, vont décaler et étirer leur
dispositif au sud de Civitavecchia jusqu’au mont Cimino, immédiatement à gauche de la
Brigade Tancrémont. Les derniers éléments en ligne de la 132e Division Blindée Ariete et de
la 2e Division Rapide Emanuele Filiberto Testa di Ferro sont retirés du front pour permettre
de recompléter ces divisions avec une partie des unités de la 10e DI semi-motorisée Piave.
Sur le front anglais, les premiers éléments de la 1st Canadian Infantry Division montent en
ligne, mais la situation s’est également stabilisée.
Les Allemands en profitent pour réorganiser eux aussi leurs forces en un vaste jeu de chaises
musicales. Dans la plaine au nord de Pescara, l’arrivée des premiers éléments de la 10.
Panzerdivision permet de retirer la 112. ID, qui va remplacer la 162. ID sur le front central, à
droite de la Grossdeutschland. La 162. ID, elle, va se positionner face aux Italiens, au sud de
Viterbe. La SS Hohenstaufen reste pour le moment à proximité de la ligne de front, mais elle
doit aller se redéployer dans quelques jours en réserve d’armée près de Pérouse.
La campagne de Grèce
Opération Tent
Samothrace – Alors que toutes les églises de l’île sonnent les cloches du dimanche et de la
libération, la tempête prévue noie sous la neige l’île des Cabires. Les Italiens, à qui personne
n’avait songé à communiquer les prévisions météo et qui s’étaient mis en marche de Chora
vers Kamariotissa, font précipitamment demi-tour.
La tempête va durer trois jours. Sans empêcher des combats sporadiques, elle va retarder
l’arrivée des renforts et laisser aux deux camps le temps de se retrancher.
A l’assaut !
Péloponnèse – Comme dans toute la Grèce, le temps se gâte. Il ne neige pas, mais il pleut à
torrents. L’aviation des deux camps est clouée au sol et les bateaux allemands en profitent
pour accélérer le transfert des troupes et du matériel des 15. et 21. Panzer Divisions, des 1., 3.
et 4. Gebirgs-Divisions et de ce qui reste de la 22. Luftland-Division.
Sur le front, ou ce qui en tient lieu, la pluie ne fait que ralentir encore les mouvements et ce ne
sont pas les combats qui marquent la journée. Dans l’après-midi, des habitants guident
l’avant-garde française vers une trouvaille macabre : un charnier de plus de deux mille corps –
soldats italiens et civils grecs, hommes, femmes et enfants. Les malheureux ont été massacrés
à Kalavryta le 26 décembre par les hommes de la 4. Gebirgs-Division, sur l’ordre du général
Karl von Le Suire.
4 janvier
La campagne d’Italie
L’honneur des Borghese
La Spezia – Au siège du commandement de la Xa Mas, le drapeau tricolore flotte toujours,
mais en son centre, à la place de l’écusson royal de Savoie, il n’y a plus qu’un trou béant. Le
CC Borghese a reçu la visite d’un officier de la Kriegsmarine ; ensemble, ils rédigent,
paraphent et publient le texte suivant :
« La Spezia, le 4 janvier 1943
1. La Decima Flottiglia MAS est une unité appartenant à la marine militaire italienne,
avec une autonomie complète dans la logistique, l’organisation, la justice, la
discipline et l’administration.
2. Elle est alliée aux forces armées allemandes avec parité de droits et de devoirs.
3. Elle bat pavillon de guerre italien.
4. Le droit d’utiliser toutes les sortes d’armes est reconnu à tous ceux qui en font partie.
5. La Xa MAS est autorisée à récupérer et à armer, avec équipages et pavillon italiens,
les unités italiennes qui se trouvent dans les ports italiens. Leur emploi opérationnel
dépend du commandement de la marine allemande.
6. Le commandant Borghese en est le chef reconnu, avec les droits et les devoirs
inhérents à sa charge.
(signé)
Capitaine de corvette Junio Valerio Borghese, lieutenant de vaisseau Max Berninghaus »
Entre la fidélité à ses supérieurs et la fidélité à ce que lui dictait sa conception de l’honneur,
Borghese a choisi. Aujourd’hui, il franchit le Rubicon… Alea jacta est !
La campagne de Grèce
A l’assaut !
Péloponnèse – La pluie persiste sur toute la presqu’île. Néanmoins, les Alliés continuent
d’avancer. A l’est, les Grecs, ayant nettoyé l’Argolide (d’où tous les défenseurs allemands ont
été évacués vers Le Pirée), tentent de déboucher vers Corinthe. A l’ouest, les Français de la 3e
BMLE, poussés par leur chef, le général Le Couteulx de Caumont, percent vers Patras sur la
route côtière.
Kriegsmarine en Mer Egée
Ekali (Attique) – Les carrières de marbre du mont Pentélique, au nord-est d’Athènes, ont
fourni les pierres du Parthénon et de bien d’autres monuments. La relative fraîcheur de ces
hauteurs boisées en a fait une résidence appréciée de la bourgeoisie athénienne. Aujourd’hui,
elles servent d’abri à l’état-major des forces occupantes. Le vice-amiral Erich Förste, qui
exerce la fonction délicate d’Admiral Ägäis, amiral de la mer Egée, fait le compte des
quelques moyens dont il dispose.
Avant la défection italienne, il lui fallait se contenter de quelques petites unités prises aux
Yougoslaves et aux Grecs, dont l’entretien mécanique demande des trésors d’habileté, d’une
série de petits transports tels que des ferries Siebel, plus ou moins bien adaptés à leurs
missions, et de caïques locaux armés en mouilleurs de mines et transports de troupes. Depuis
la fin de l’année 1942, il peut fièrement y ajouter une douzaine de navires italiens saisis au
Pirée.
Son navire amiral sera bientôt le destroyer Freccia – un bâtiment moderne qui est devenu le
ZI-5 Pfeil. S’y ajoutent les dragueurs de mines RD-35 et 38, les vedettes rapides MAS-530,
533, 571 et 574 et les vedettes ASM/dragage Lombardi, Manca, Marcomeni, Nioi et Satta.
Tous ces navires seront remis en service par la Kriegsmarine, mais dragueurs et vedettes
(rapides ou ASM) se contenteront d’un matricule.
Ah, il y a aussi les mini-sous-marins CB-1, 6, 10 et 12, saisis à Salonique. Förste songe que
les Italiens ont parfois des idées bizarres, on croirait des engins japonais ! Bien sûr, ses
hommes tenteront de remettre en service ces bizarres submersibles, mais il est pessimiste – il
n’a aucune envie de perdre du monde, pour un bénéfice douteux, en s’escrimant à utiliser ces
engins. Tout au plus envisage-t-il d’autoriser des Italiens ralliés à Mussolini à se faire tuer
avec, le cas échéant !
Quoi qu’il en soit, depuis la trahison italienne et sans aucune aide, ses minuscules forces ont
réussi à permettre la prise de contrôle de Salamine et de l’Eubée et le débarquement d’un
corps de troupes à Samothrace. Surtout, l’évacuation du Péloponnèse de la presque totalité du
Panzer Gruppe Griechenland 3 sera chose faite dans quelques jours – un réel exploit, compte
tenu de l’écrasante supériorité navale des Franco-Britanniques.
Mais il sera difficile de lancer de nouvelles opérations.
A l’ouest, les puissantes batteries d’Antirion empêchent les flottes ennemies d’entrer dans le
golfe de Corinthe, mais les quelques bateaux qui y restent sont pratiquement bloqués : depuis
la prise de Zanthe par les Français, toute sortie en mer est extrêmement périlleuse. Tant pis –
ce sera aux navires basées en Adriatique de venir gêner l’ennemi, notamment en allant, par
exemple, semer des mines vers les îles Ioniennes.
Au sud, la prise d’Andros par les Français – encore eux ! – a rendu encore plus compliquée la
défense de l’Attique. Seules les batteries du mont Laurion empêchent les flottes ennemies
d’entrer dans la rade du Pirée. La reconquête de l’Eubée fait heureusement obstacle à un
débarquement ennemi en Grèce centrale, mais Volos, le meilleur port de Thessalie, est
toujours tenu par des Italiens à la loyauté plus que douteuse.
En attendant que la Heer prenne le contrôle du port par voie de terre, le vice-amiral a l’ordre
d’empêcher ces traîtres de s’enfuir par mer pour rejoindre le félon Badoglio. Avec quels
moyens ? Förste a été capitaine de sous-marin pendant l’Autre Guerre et il sait qu’un petit
navire résolu peut infliger de sérieux dégâts à une puissance navale trop sûre d’elle. C’est
dans le labyrinthe d’îles et de détroits qui s’étend devant Volos qu’il va faire patrouiller les
vedettes rapides prises aux Italiens, sitôt qu’il les aura réarmées (cela ne devrait plus
demander que quelques jours, les équipages venus d’Allemagne s’entraînent déjà). Ces MAS
sont du très bon matériel, aussi étonnant que cela puisse paraître ! Si les Franco-Britanniques
envoient des transports à Volos, ils ne reviendront pas tous à bon port.
Enfin, au nord-est, la SturmBrigade NordÄgäis a réussi son débarquement à Samothrace, mais
elle y est pratiquement prise au piège. Comme à Limnos, un an plus tôt. Le mauvais temps
donne un prétexte honorable pour ne plus lui envoyer de renforts, mais Förste sait que, de
toute façon, ils seraient coulés avant d’atteindre l’île. Mieux vaut préserver la 11e Flottille de
Défense côtière du capitaine Von Richthofen 4 pour la défense de la côte nord, de
Thessalonique à la frontière turque.
3
Composé du Panzer Korps Leonidas [Lt-général Ludwig Crüwell – 15. et 21. Panzer-Divisions] et du
Skandenberg Korps [Lt-général Dietl – 1., 3. et 4. Gebirgs-Divisions].
4
Un parent des aviateurs fameux.
5 janvier
La campagne d’Italie
Front italien – Les Anglais remanient eux aussi leur dispositif. Pendant que la 1st Army
Tank Brigade reprend sa place en réserve au sud-est de l’Aquila, la 1st South African
Division, qui est en train de se déployer, et la 5th Indian Division échangent leurs places et
leurs rattachements. En effet, l’état-major du général Alexander a jugé que les appuis
divisionnaires de la 5th Indian, mais surtout les rustiques Gurkhas seraient beaucoup plus
adaptés aux compartiments montagneux du centre du pays, confiés au Xe Corps. Les Indiens
vont faire face à la 6. Gebirgs-Division, une unité de type montagne, qui tient les cols du Gran
Sasso, de Malecoste et de Campo Imperatore.
La campagne des Balkans
Massacres en Yougoslavie
Slavonie (est de la Croatie) – Le basculement italien a obligé les Allemands à annuler le plan
Weiss (Blanc) qui prévoyait l’anéantissement des Partisans yougoslaves pendant l’hiver. En
liaison avec les Croates d’Ante Pavelic, ils se contentent d’une série d’opérations limitées
contre plusieurs petits maquis, dangereux par leur proximité de Belgrade et des voies de
communication allemandes.
La première de ces opérations, dite Ferdinand, commence aujourd’hui et durera trois jours (du
5 au 7 janvier). Elle sera suivie par Winter I (du 6 au 8 janvier) et Arnim (du 20 janvier au 3
février). Sous les coups, les maquisards se dispersent, tandis que la population serbe de la
région subit les exactions des Oustachis croates.
La campagne de Grèce
A l’assaut !
Péloponnèse – Les Français pénètrent dans Patras sans trop de mal. En effet, la garnison se
réduit à un bataillon de forteresse, le III. Festungs-Infanterie-Bataillon 999. Comme tous les
“999”, celui-ci est en grande partie composé de repris de justice. Les Français ramasseront un
certain nombre de ses hommes dans les sous-sols des tavernes – n’ayant pas mesuré la force
de l’ouzo local, ils sont complètement ivres et la plupart réagiront à peine quand on leur
reprendra le butin de leurs pillages.
Iles Ioniennes – Le temps s’étant quelque peu amélioré sur la mer Ionienne, les Français
débarquent sans opposition à Céphalonie un corps expéditionnaire improvisé composé des
éléments de la 13e DBLE conservés en réserve sur l’ordre de Dentz lors de l’opération
Ciseaux et de quelques fusiliers marins. C’est le colonel-prince Amilakhvari, revenu
d’Andros, qui commande l’opération.
Dès son arrivée à Argostoli, principal port et capitale de l’île, Amilakhvari reçoit un appel à
l’aide du général Luigi Mazzini, chef de la 33e DI de Montagne Acqui. A son QG, Mazzini
s’avoue débordé par l’afflux de militaires italiens et de civils grecs qui franchissent le détroit
sur toutes les embarcations possibles. Il lui faut de toute urgence du ravitaillement et des
moyens de transport pour conduire tout ce monde en Italie – et pour y rapatrier ses hommes
dès que possible. De plus, Mazzini demande à avoir un bref entretien en particulier avec
Amilakhvari. Il lui explique alors qu’il faudrait envoyer des hommes pour désarmer le 19e
Bataillon de Chemises Noires, dont l’allégeance politique reste incertaine. Le commandant
Robert Détroyat, des Fusiliers marins, est envoyé remplir cette mission délicate ; les
Chemises Noires se rendront sans trop de difficultés.
Tandis que Détroyat part remplir sa mission, Mazzini continue à s’entretenir avec
Amilakhvari et s’efforce de présenter sous un jour favorable l’occupation par ses troupes des
îles Ioniennes. Comptant sur les sentiments philosémites supposés des Français, l’Italien met
ainsi en valeur la façon dont il a protégé la communauté juive de l’archipel : « de vrais
Italiens, d’ailleurs, qui parlent le meilleur dialecte vénitien ! ».
Au grand désarroi de Mazzini, Amilakhvari répond avec violence à ce plaidoyer pro domo, le
traitant de menteur et d’hypocrite (parmi d’autres qualificatifs plus énergiques). Puis, sortant
de sa poche une feuille de papier, le colonel s’exclame : « Voici comment vos compatriotes
ont traité les Juifs de la région ! Les Rouges n’ont pas fait pire en Géorgie ! ». Il s’agit d’une
note du Deuxième Bureau qu’il vient de recevoir et qui reprend le récit du capitaine Malec sur
la situation tragique des Juifs de Rab : « Il y a à présent par votre faute sur la côte dalmate
2 500 malheureux, hommes, femmes et enfants, tous hors d’état de fuir ceux qui veulent les
anéantir ! ».
Mazzini est atterré. Vieux militaire à la veille de la retraite, formé bien avant le déferlement
de propagande antisémite orchestré par le Parti fasciste, il a réellement de bons rapports avec
la communauté juive locale et, dit-on, n’est pas totalement insensible au charme d’une
certaine veuve juive de Corfou. Devant la réaction d’Amilakhvari, il réalise que le traitement
criminel de la question juive par le régime fasciste, même en grande partie à la remorque des
Nazis, pourrait coûter cher à son pays dans les négociations avec les Alliés. « Colonel, dit-il,
nous avons ici des bateaux qui étaient destinés à évacuer nos soldats coincés en Albanie.
Mais je vois que les malheureux dont vous m’apprenez le sort, seuls et désarmés face aux
représailles des Allemands et des Croates, en ont encore plus besoin que nos hommes. Si vous
pouvez nous fournir du carburant, je mets ces embarcations, pour insuffisantes qu’elles
soient, à votre disposition. »
Amilakhvari se calme et réfléchit. Ce ne sont pas les quelques petits bateaux de Céphalonie
qui vont pouvoir faire traverser l’Adriatique à 2 500 personnes. Mais leur aide pourrait être
précieuse. Il décide alors de court-circuiter sa hiérarchie (de toute façon, il a bien compris que
les jours de Giraud à la tête de l’Armée d’Orient étaient comptés) pour informer directement
Alger et réclamer d’urgence assez de bateaux pour évacuer les 2 500 « Juifs de Rab ».
Son message arrive dans une capitale de la France Combattante en pleine ébullition. Le
gouvernement, ébranlé par l’attentat des Douanes contre Paul Reynaud, a bien d’autres sujets
de préoccupation. Cependant, il se trouve que les co-présidents du Conseil par intérim, Léon
Blum et Georges Mandel, sont, à titre personnel, très touchés par ce problème… Mais
justement parce qu’ils sont d’origine juive, ils ont scrupule à mobiliser des bâtiments français
pour sauver « les Juifs de Rab » – quels jeux de mots nauséabonds se permettraient certains
Elus de la République… Par bonheur, il y a une solution.
………
Dans l’après-midi, un nouveau saut de puce permet aux Français de prendre possession
d’Ithaque. L’île d’Ulysse, toute proche de Céphalonie, est contrôlée par des éléments de la
division Acqui qui, sur l’ordre de Mazzini, se rallient sans protester aux Alliés.
………
En fin de journée, quatre vedettes rapides italiennes se présentent devant le port. Ce sont les
MAS-431, 432, 433 et 437, dont les commandants demandent… « si les Américains sont enfin
arrivés ». Apprenant qu’il va leur falloir se contenter de Français, ils sont visiblement déçus,
mais rejoignent cependant la petite flottille de Céphalonie, constituée jusqu’alors des MAS564 et 566, du patrouilleur Rovigno et de la vedette ASM/dragage Spanedda.
Renseignements pris, les quatre vedettes viennent de Cattaro (Kotor), qu’elles ont décidé de
quitter deux jours plus tôt parce que la situation dans le grand port semblait « incontrôlable ».
Elles ont tenté de relâcher à Corfou, mais l’accès du port était interdit sur l’ordre du colonel
Lusignani, chef de la garnison de l’île.
Le général Mazzini apprendra dans la nuit le fin mot de l’histoire. Ce même jour à l’aube, un
détachement de Gebirgs-Jägers allemands et de Chemises Noires du XXVIe CA a tenté de
prendre pied sur l’île pour la ramener dans le camp de l’Axe… Le commando aurait pu
réussir si le port de Kerkyra n’avait été confié à la garde, non d’éléments du 18e RI, mais
d’une compagnie de Carabiniers royaux, très chatouilleux sur le plan du respect dû au Roi
d’Italie et peu désireux d’obéir à des Allemands, et moins encore à des envoyés de la
République Sociale Italienne ! Après un combat bref mais sanglant, les survivants du
commando ont été faits prisonniers. Le colonel Lusignani, alerté, a fait interdire l’entrée du
port à quiconque, en attendant les ordres (et les secours) que le général Mazzini n’allait pas
manquer de lui envoyer sous peu.
6 janvier
La campagne d’Italie
Activités aériennes
Front italien – Les états-majors des deux camps savent pertinemment depuis quelques jours,
grâce aux reconnaissances aériennes, que l’adversaire est en train de se réorganiser. Les
photos sans équivoque montrent des routes encombrées de véhicules de toutes sortes.
Jusqu’alors, le mauvais temps qui s’est installé peu après le Jour de l’An, s’il a permis les
reconnaissances, a gêné les réactions des forces aériennes, mais aujourd’hui, le ciel se dégage
un peu et la Luftwaffe comme les Alliés lancent de nombreux raids sur les arrières de
l’ennemi, visant surtout des objectifs d’opportunité.
Les résultats sont mitigés pour les deux camps, mais les états-majors n’en tirent pas moins des
enseignements importants. Les Allemands notent ainsi que la densité du feu de la DCA alliée
a considérablement augmenté depuis les derniers combats importants en Grèce. Entre
chasseurs, les Mustang II/P-51B font à peu prés jeu égal avec les Bf 109G, encore peu
nombreux, mais prennent le meilleur sur les Fw 190A et les Bf 109F, qui dominent cependant
les Spifire V, dont les pilotes réclament à cor et à cris des Spit du dernier modèle. Quant aux
P-38, tout dépend des conditions de leur engagement. L’exploit du jour est d’ailleurs à mettre
au crédit du F/O Frank Hurlbut, du 96th FS, sur P-38, qui devient un as en abattant deux
Fw 190. Concernant les avions d’appui au sol, le Mustang FGA se montre supérieur au P-39.
La campagne de Grèce
A l’assaut !
Péloponnèse – Les Français percent enfin les dernières défenses allemandes et parviennent à
Corinthe. Les armateurs grecs, toujours influents, ont négocié le départ des Allemands : les
installations du port, méthodiquement sabotées, seront longtemps inutilisables, mais le reste
de la ville a peu souffert. Cependant, si la quasi totalité du Péloponnèse est à présent entre les
mains des Alliés, très peu de soldats allemands se sont laissé prendre au piège.
Iles Ioniennes – Harcelé par des appels répétés d’Amilakhvari, Dentz libère tout de qui lui
reste de réserves pour une opération de prise de contrôle éclair de l’archipel. Accueillis avec
soulagement par les hommes de la 33e DI de Montagne Acqui, des éléments de la 13e DBLE
et d’autres unités françaises se déploient en toute hâte sur Corfou, puis sur Paxos et Leucade.
Partout, les Italiens, sitôt qu’ils constatent qu’ils ne seront pas laissés seuls face à la vindicte
tudesque, s’appliquent avec ardeur à mettre les îles en état de défense contre leurs alliés
d’avant la Noël de Sang, dont les échos sont parvenus jusqu’en Mer Ionienne. C’est
notamment le cas du colonel Luigi Lusignani et de ses hommes du 18e RI, à Corfou, où
Amilakhvari a envoyé l’inévitable commandant Détroyat.
En pratique, la Division Acqui, avec quelques contingents de la 13e DBLE, continuera à
assurer la garde des îles de Céphalonie à Corfou jusqu’à ce que des troupes grecques soient
disponibles pour prendre sa place.
Soldats italiens perdus dans les Balkans
Reggio de Calabre – Il se confirme que les unités fidèles au Roi en Albanie, en Dalmatie et
dans les îles Ioniennes sont isolées et menacées : il faut rapidement les évacuer pour les
sauver, c’est autant une affaire d’honneur et de solidarité nationale (ni Victor-Emmanuel ni le
gouvernement ne peuvent abandonner leurs compatriotes à la capture ou à la mort) que de
haute politique : comment rebâtir l’armée italienne cobelligérante aux côtés des Alliés sans
ces milliers de soldats et officiers expérimentés ?
Mais les Alliés ne semblent pas pressés d’engager leurs troupes et navires dans les opérations
d’évacuation, et ont refusé jusqu’ici d’autoriser les Italiens à lancer eux-mêmes les actions
nécessaires. Après plusieurs jours d’intenses tractations, ils viennent seulement de consentir à
des clauses dérogatoires à la convention d’armistice, à caractère exceptionnel et limité dans le
temps, pour autoriser les marins italiens à tenter de sauver leurs camarades. Aussitôt, l’amiral
De Courten, ministre de la Marine, donne des ordres pour que les destroyers anciens Palestro
et San Martino et tous les navires civils disponibles dans le sud-est de l’Italie, escortés par les
corvettes Artemide, Cicogna et Gabbiano, entament les opérations d’évacuation. Les cinq
navires militaires en question sont mouillés à Naples – De Courten espérait obtenir le
concours des destroyers anciens Antonio Mosto, Audace, Enrico Cosenz, Francesco Stocco,
Fratelli Cairoli et Giuseppe Sirtori, mais ceux-ci sont “assignés à résidence” à Bizerte, et les
Français se font tirer l’oreille pour les libérer. Il en est de même des DE de classe Ciclone
Ardente, Fortunale, Impavido, Impetuoso et Uragano (et du Ciclone, endommagé) ainsi que
des corvettes Antilope et Gazzella. Cependant, De Courten espère bien que l’activité des six
premiers navires convaincra Alger de “libérer” les autres. Quoi qu’il en soit, il décide de
placer le groupe d’escorteurs modernes (destroyers d’escorte et corvettes) sous le
commandement du CF Carlo Fecia di Cossato, un brillant officier venu des sous-marins.
Par ailleurs, les nageurs de combats de la Decima MAS qui ont décidé de suivre le Roi seront
à la pointe des actions organisées en Mer Ionienne et en Adriatique. En effet, avec les
vedettes rapides basées à Tarente et les MAS-431, 432, 433, 437, 564 et 566, disponibles à
Céphalonie (donc officiellement ralliées depuis la veille), ils assureront les reconnaissances et
liaisons nécessaires.
7 janvier
La campagne d’Italie
Une rancune à apaiser
Rome – C’est dans les locaux de l’ambassade de France (débarrassés à la hâte de toute trace
des envoyés de Laval qui l’occupaient une quinzaine de jours plus tôt…) qu’une délégation
italienne est venue plaider la cause du Regio Esercito. Les Italiens ont en effet bien compris
que les Français étaient les plus réticents des Alliés à leur fournir l’occasion de racheter par la
cobelligérance leur engagement au côté de l’Allemagne nazie de juin 1940 à décembre 1942.
C’est donc la sœur latine qu’il faut convaincre !
Aussi les délégués commencent-ils par rappeler que la 132e Division Blindée Ariete et la 2e
Division Rapide Emanuele Filiberto Testa di Ferro ont déjà payé le prix du sang, qu’elles
sont d’ailleurs très éprouvées et qu’elles ont dû être retirées du front pour être reconstituées au
dépens de la 10e DI semi-motorisée Piave. Puis, ils soulignent qu’elles ont été remplacées sur
le front par la 102e Division Motorisée Trento et le Raggrupamento Zingales 5. Mais ces
unités devront elles aussi être réorganisées après avoir démontré leur fiabilité et leur
combativité.
5
34e Rgt Blindé Centauro II (ex-Littorio II), 9e Rgt de Bersaglieri, 16e Groupe d’Artillerie, 10e Bn du Génie,
31e Bn du Génie d’Assaut.
Les difficultés apparaissent quand il est question de faire monter au front, lors du repli de la
Trento et du Groupement Zingales, la 20e DI Friuli et la 44e DI Cremona (VIIe Corps, général
Giovanni Magli). En effet, si ces unités sont bien entraînées et fidèles au Roi, elles sont à
l’heure qu’il est en Corse. Les moyens navals italiens manquent : beaucoup sont restés à
Gênes ou dans d’autres ports capturés par les Allemands, d’autres s’efforcent de rapatrier à
travers l’Adriatique les troupes se trouvant en Yougoslavie, en Albanie ou en Grèce, d’autres
enfin doivent être consacrés, à la demande des Américains, au transfert sur le continent des
troupes de Sardaigne. En bref, la flotte française pourrait-elle donner un coup de main pour
rapatrier le VIIe Corps ?
« Et puis quoi encore, s’écrie un officier français, vous voulez peut-être qu’on vous rembourse
vos notes d’hôtel sur la Côte d’Azur et vos pertes au Casino de Monte-Carlo ! »
Après quelques échanges de paroles acrimonieuses, les officiers américains présents comme
modérateurs parviennent à tempérer les débats. La Friuli et la Cremona seront en partie
transportées par des navires français. En échange, une des deux divisions du XIIIe Corps du
général Antonio Basso (basé en Sardaigne), soit la 47e DI Bari, soit la 1ère DI de Montagne
Superga, sera mise à la disposition du commandement français pour « une opération
spéciale » (il s’agit de la prise de contrôle de l’île d’Elbe). Si les Allemands se montrent par
trop virulents à cette occasion, ce sont les hommes de cette division qui en subiront les
conséquences ! En attendant, une seule des deux divisions du XIIIe Corps sera donc transférée
sur le continent, ce qui allège la charge qui pèse sur les transports navals italiens. Les Italiens
regrettent que le XIIIe Corps soit ainsi désorganisé et proposent l’utilisation pour cette
« opération spéciale » de la division parachutiste Folgore, qui n’a ni avions, ni parachutes, ni
entraînement au saut, mais reste une troupe d’élite. Cependant, les Français refusent,
craignant que cette formation ne soit politiquement trop marquée par le fascisme.
Les Italiens s’enhardissent alors jusqu’à exposer un plan de création prochaine de nouveaux
corps d’armée, mais cette fois ce sont les Américains qui interviennent pour calmer leur
ardeur. La 53e DI de Montagne Arezzo et la 4e DI Alpine Cuneense ne pourront être d’emblée
considérées comme opérationnelles, même lorsqu’elles auront été ramenées du Péloponnèse.
Elles ont notamment perdu leurs armes lourdes. « Il y a pire, s’exclament les Français. Ces
unités ont combattu les Alliés durant près de deux ans [avec compétence, mais les Français ne
le mentionnent pas] et leur fidélité au gouvernement Badoglio ne paraît pas assurée ! »
« Nous y avons pensé, rétorquent les Italiens. Les éléments de la 18e DI Messina qui ont
échappé à la capture (à l’inverse, hélas, du gros de leur unité) vont être transférés dans ces
deux divisions. Après leur retour en Italie, nous enverrons les hommes d’unités massacrées
par les Allemands que nous aurons pu récupérer pour raconter l’histoire de cette trahison.
Nous ne doutons pas de l’effet salutaire de ces actions d’information. »
Tout en faisant la moue, les Français acceptent de voir ce que cela donne…
Pour l’instant, la division Folgore est laissée de côté (les Italiens traduisent « est mise en
réserve d’armée »). Enfin, le général désigné d’armée Carlo Vecchiarelli (Commandement de
défense territoriale de Rome) a l’autorisation de poursuivre le recrutement d’engagés
volontaires pour former à terme, autour des troupes de son commandement, une ou deux
divisions dites “Giustizia e Libertà”.
La campagne de Grèce
Opération Tent
Samothrace – Depuis la veille, la neige a fait place à un redoux temporaire sur le nord de
l’Egée – mais du coup, les Britanniques doivent abandonner leurs positions avancées, que la
fonte de la neige transforme en bourbier. De plus, après les jambes cassées du premier jour,
les médecins doivent faire face à une épidémie de pied de tranchée.
Dans l’après-midi, un petit convoi britannique vient relever la 2e Parachute Brigade et les
SAS et SBS. A leur place se déploient des éléments de la 6e Division d’Infanterie
australienne.
A son départ, le convoi évacue aussi les Italiens ralliés : pendant la tempête, ils ont eu plus de
blessés dans des bagarres avec les Grecs et les Britanniques que face aux Allemands.
Il n’est pas permis à tout le monde de… dépasser Corinthe
Péloponnèse – Les Alliés ont à présent reconquis tout le Péloponnèse, mais ils manquent à la
fois d’hommes et de moyens pour tenter de passer en Grèce centrale. De leur côté, les
Allemands se retranchent à toute vitesse sur les rives nord des golfes de Patras, de Corinthe et
Saronique. Les personnels des deux divisions blindées du Panzer Korps Leonidas ayant été
repliés pour réarmement et réorganisation, les unités concernées sont essentiellement celles du
Skandenberg Korps (les 1., 3. et 4. Gebirgs-Divisions). Elles sont éperonnées par un Dietl très
actif, qui veut montrer qu’il pourrait remplacer Rommel, si ce dernier était appelé ailleurs…
Quelques reconnaissances ayant montré la vanité d’une tentative de traversée, les Alliés
préfèrent assurer leur contrôle des îles Ioniennes et de la plupart des îles de la Mer Egée. Et
puis, les rives de l’Adriatique semblent pouvoir réserver de bonnes surprises !
Les Quarante Jours de Trikala
Trikala – L’ouest de la Thessalie semble provisoirement oublié par les Allemands, qui ont
d’autres soucis plus urgents. A Trikala, Henri Van Effenterre, conseiller français de l’AAA
(“Combat-Renouveau-Indépendance”), principal mouvement de résistance de la région, peut
confier d’épais rapports et de nombreux documents destinés au professeur Picard au Lysander
qui va discrètement rallier Kalamata 6.
« Notre accord de co-belligérance avec le général Soldarelli et la 6e Division d’Infanterie
Cuneo tient toujours, malgré d’inévitables frictions. Le 8e Régiment d’Infanterie Cuneo a un
bon moral. Le 7e Régiment d’Infanterie Cuneo est en voie de reconstitution. Fin décembre, il
nous est arrivé de Karditsa, où il tenait garnison, dans un état désastreux et avec un moral très
bas. Les maquisards grecs de l’ELAS, qui tiennent cette partie de la Thessalie, l’avaient
désarmé et dépouillé de son matériel de façon expéditive et beaucoup de ses hommes avaient
dû marcher jusqu’à Trikala en chaussures de gymnastique, les Elassis les ayant dépouillés de
leurs chaussures de marche. Seuls les Italiens acceptant de joindre les rangs de l’ELAS ont
échappé à cette humiliation, de sorte que le régiment nous est arrivé dépouillé de ses éléments
les plus combatifs.
Aujourd’hui, nos avant-postes nous ont annoncé que le général Licurgo Zannini s’était décidé
à nous rejoindre avec ce qui restait de la division Brennero, c’est-à-dire le 232e RI Avellino et
une partie de son artillerie. A vrai dire, ses unités ont déjà perdu une bonne moitié de
déserteurs, qui sont partis pour Volos.
La première rencontre entre nos chefs militaires a été plutôt orageuse. Zannini est convaincu
qu’il pourra rallier ses régiments perdus et jouer un rôle de premier plan dès que les Alliés
auront débarqué à Volos. Du fait de son ancienneté et de son grade supérieur 7, il prétend
donner des ordres à Soldarelli, lequel refuse d’y obéir en mettant en avant sa qualité de
« commandant des forces cobelligérantes dans cette partie de la Thessalie ». Le colonel
Sarafis, en tant que chef de l’AAA, a tranché la dispute en rappelant qu’ils étaient sur le sol
6
L’éminent archéologue Charles Picard, chef de la cellule Grèce du 2e Bureau, a lui-même recruté Henri Van
Effenterre, également archéologue. Le général Giraud, peu porté sur les intellectuels, ne semble pas avoir porté
beaucoup d’attention aux rapports de Picard ; les relations avec le successeur de Giraud, Dentz, ne seront guère
meilleures.
7
Zannini est tenente generale (général de corps d’armée), alors que son cadet Soldarelli est maggior generale
(dans l’usage italien, général de division).
grec et que son accord de commandement avait été conclu avec le seul Soldarelli ; il ne se
sentait point obligé de le partager avec un autre général italien. Sans vouloir me mêler
d’affaires très au-dessus de mon grade et de ma compétence, le Regio Esercito nous rendrait
un signalé service en rappelant en Italie le plus gradé des deux généraux.
Du reste, c’est bien Sarafis qui s’est imposé comme le patron du secteur, bien qu’il soit d’un
grade inférieur aux deux autres. Ses “Trialphates” (triple A) ont obtenu le partage des
entrepôts italiens qui, dans ce pays pauvre, font figure de caverne d’Ali Baba. La discipline
est assez relâchée et les uniformes très hétéroclites, les hommes portant des effets grecs,
italiens ou civils selon l’humeur et l’occasion. Les Trialphates se reconnaissent à leur brassard
bleu marqué d’un A rouge 8 et les soldats de la Cuneo à leur brassard violet 9, tandis que ceux
de la Brennero n’ont pas choisi leurs couleurs. Les communistes de l’ELAS, qui viennent en
visiteurs, arborent bien entendu des brassards rouges.
Les échanges avec Karditsa sont devenus plus réguliers, mais la situation est singulièrement
complexe. La partie de la division Brennero qui n’a pas voulu suivre le général Zannini tient
toujours un quartier au sud de la ville, dans le secteur de la gare. D’après nos informations,
ces hommes détestent à peu près également les Rouges de l’ELAS et le général Zannini : ils
sont prêts à se donner aux Allemands ou au diable pour ne pas tomber aux mains des uns ou
de l’autre. Les combattants l’ELAS entrent le moins possible dans Karditsa pour ne pas
donner de prétexte aux représailles allemandes, mais leur appareil politique y règne sans
partage. En effet, cette ville ouvrière, centre de l’industrie du tabac, était déjà avant la guerre
un bastion du Parti communiste. Le secrétaire général du Parti, Georgios Siantos, est natif de
Karditsa et le caractère communiste du secteur est beaucoup plus marqué que dans les autres
régions tenues par des maquis “elassis” que nous avons pu découvrir. Les femmes y
participent aux réunions et une grande inscription sur la mairie, surmontée de la faucille et du
marteau, proclame que « la femme doit être l’égale de l’homme ». Par ailleurs, les stocks de
tabac de Karditsa constituent une précieuse monnaie d’échange en cette époque de pénurie.
L’autre jour, les “andartes” (maquisards) ont arrêté un sergent italien qui se rendait à Karditsa
avec une valise pleine de journaux fascistes. Après enquête, il ne s’agissait pas de propagande
mais simplement de commerce : l’ELAS est à court de papier à cigarette 10.
Notre priorité est l’établissement de lignes de défense contre la probable offensive allemande.
A Trikala, le colonel Sarafis a renoncé à fortifier la ville elle-même et à y déployer des unités
en armes, là aussi pour éviter des représailles sur la population civile. La route de Kalambaka,
au nord-ouest, conduit vers la Macédoine et l’Epire ; elle est montagneuse et relativement
facile à défendre : les Trialphates ont déjà repoussé une tentative d’incursion allemande le 27
décembre. La route de Larissa, à l’est, paraît beaucoup plus vulnérable. Elle traverse une
région relativement plate (dans la mesure où une région de Grèce peut être plate) et
permettrait le passage des blindés, comme cela a été constaté en 1941. Cependant, il nous
semble peu probable que les Allemands utilisent leurs précieux panzers contre un objectif
périphérique comme Trikala. Nous avons échelonné plusieurs lignes de défense le long de la
rivière Neochôritis, affluent de rive gauche du Pinios (voir carte en annexe). Les unités
italiennes les plus sûres, notamment le 27e Régiment d’artillerie Legnano, et quelques unités
grecques y sont affectées par roulement. La rive droite du Pinios devrait être défendue en
commun par nos forces et celles de l’ELAS ; la direction elassi y est favorable dans le
principe, mais réclame en échange des livraisons de matériel, ce qui me paraît raisonnable.
8
Ces couleurs seront reprises en 1963 par l’équipe de football de Trikala.
Couleur des pattes de collet de la division.
10
Sur l’administration locale à Trikala et Karditsa pendant cette période, voir Bruno de Wever (dir.), Local
Government in Occupied Europe (1939-1944), Academia Press, 2006, p. 216-217.
9
En cas d’attaque allemande limitée, nous serions en mesure de tenir pendant au moins une
semaine et sans doute plusieurs. Un ravitaillement par avion, surtout en munitions et en
matériel médical, serait hautement souhaitable. En cas d’attaque massive, le colonel Sarafis
prévoit une dispersion dans les montagnes ; des réserves de vivres et de matériel sont en cours
de constitution.
Selon nos renseignements, les Allemands sont en train de constituer des réserves à Larissa et
de remettre en état la base aérienne endommagée par les bombardements de décembre. Nous
ignorons si leur objectif à court terme est Trikala, Karditsa ou Volos. »
(Rapport du commandant Henri Van Effenterre au 2e Bureau français, service Grèce, 7 janvier
1943)
Volos (Thessalie) – Principal port de la région malgré les destructions causées par les
combats du printemps 1941, Volos fait figure de porte de sortie pour les Italiens, tous
désireux d’évacuer au plus vite le pays… mais beaucoup le voient aussi comme une possible
porte d’entrée pour les Alliés : l’Armée d’Orient ? La 8e Armée ? Les paris sont ouverts entre
ceux qui écoutent (en se cachant de moins en moins) les émissions en italien de la BBC ou de
Radio-Alger.
Le colonel Cesare Corvino, qui commande la garnison par intérim n’exerce qu’une autorité de
façade. Les soldats italiens entassés dans la ville n’ont pas grand-chose à faire, à part trafiquer
au marché noir, fumer leurs dernières cigarettes Milit 11 ou boire un ersatz de café à base
d’astragale (une plante courante dans la région), en gémissant : « Le Duce nous a envoyé
conquérir l’Ethiopie et nous n’avons même plus un café convenable ! 12 » Les disputes sont
fréquentes et les injures volent bas entre Italiens du Nord et du Sud : les premiers traitent les
seconds de « culs-terreux, pouilleux, Abyssins » et les seconds répliquent par des « cornards,
culs jaunes ». Le retour du beau temps, après plusieurs jours de tempête, fait espérer la venue
de navires alliés – les plus optimistes parlent même de bâtiments de la Regia Marina.
Dans la matinée, un petit avion survole la ville. Mais c’est un Fieseler Storch allemand.
Soldats italiens perdus à Split
Split (Spalato), Dalmatie – Depuis dix jours, la tension est à son comble dans la capitale
dalmate. Les partisans ont pris le contrôle de la ville et du port dès le 26 décembre, en
concluant un accord avec les soldats italiens de la 15e DI Bergamo, qui ont regagné leurs
quartiers, imités dès le 30 décembre par ceux de la 12e DI Sassari. Le commandement italien
a multiplié les appels à Rome réclamant une évacuation navale, tandis que les rumeurs
inquiétantes se succédaient. D’une part, les Partisans envisageraient de rompre leurs
engagements, car des officiers italiens et des civils yougoslaves compromis dans des
« opérations de maintien de l’ordre et de lutte contre la guérilla » – opérations de répression
sauvage, disent les Partisans – se sont réfugiés dans les casernes italiennes. D’autre part, les
forces allemandes et croates seraient en train d’organiser une offensive contre Split et la côte
dalmate. Dans ce climat, beaucoup redoutent (et d’autres espèrent) qu’un incident mette le feu
aux poudres. Aussi les demandes d’évacuation du général Alfonso Cigala Fulgosi,
commandant la place de Spalato, deviennent-elles de plus en plus angoissées et insistantes…
En pleine nuit, Cigala Fulgosi est réveillé par son ordonnance : enfin des nouvelles de Rome !
Un nageur de combat vient d’arriver pour renouer en toute discrétion le contact avec la
garnison italienne : il annonce que, dès le lendemain, une flottille d’évacuation entrera dans le
port si le général pense qu’elle peut le faire sans danger.
11
12
Marque courante en Italie à l’époque.
La 36e DI Forli avait participé à la conquête de l’Ethiopie en 1935-1936.
Une fois les informations les plus urgentes échangées et les mots de code transmis par radio
pour signaler que la voie est libre et que les navires sont espérés avec impatience, le nageur de
combat peut raconter son parcours.
Réfugié à Tarente avec les membres de la Decima Mas restés fidèles au Roi, il piaffait
d’impatience depuis dix jours, désireux d’agir pour aider ses compatriotes. Le 6 janvier à
midi, l’autorisation d’intervenir est tombée. Sans plus attendre, ses coéquipiers et lui ont mis
en œuvre les actions étudiées et préparées les jours précédents. A bord de la vedette MAS-563,
lui et un autre nageur ont d’abord gagné Bari, où ils se sont arrêtés pour refaire le plein de
carburant – un exploit en soi dans ce port contrôlé par les Britanniques : l’officier de liaison
de la Royal Navy, d’abord vu par l’équipage comme un intrus voire un espion, y a gagné le
titre de membre d’honneur de la Regia Marina ! Puis, ils ont traversé l’Adriatique jusqu’au
large de Split. Les deux nageurs se sont mis à l’eau en pleine mer et ont pénétré à la nage dans
le port dont ils ont pu reconnaître l’état et les défenses ; tandis que l’un d’eux repartait vers la
MAS-563 communiquer ces informations, l’autre abordait pour tenter de gagner les casernes
italiennes…
Sauvetage
Naples – Un officier français (l’attaché naval de Léon Blum) vient discrètement expliquer à
l’amiral De Courten que son gouvernement, jusque-là plutôt réticent à autoriser le
réarmement de bâtiments de guerre italiens, se montre disposé à assouplir sa position si la
Regia Marina accepte de convoyer les « Juifs de Rab » de la côte dalmate jusqu’à la rive ouest
de l’Adriatique. En pratique, les destroyers anciens Antonio Mosto, Audace, Enrico Cosenz,
Francesco Stocco, Fratelli Cairoli et Giuseppe Sirtori, ainsi que les DE Ardente, Fortunale,
Impavido, Impetuoso et Uragano et les corvettes Antilope et Gazzella seront libres de quitter
Bizerte à condition que ce convoyage soit leur première mission. Le vieux destroyer Giuseppe
Missori et le DE Ciclone, tous deux endommagés, pourront même, si la mission en question
se passe bien, quitter Bizerte pour aller à Naples se faire remettre en état. De Courten accepte
sans hésiter un instant !
8 janvier
La campagne d’Italie
Redéploiements
Front italien – Cela fait maintenant une semaine que le grand chassé-croisé a commencé côté
allié et les QG de corps d’armée commencent à y retrouver leurs petits. Suffisamment en tout
cas pour permettre d’entamer le retrait d’unités qui ont été engagées au feu dès la Noël et
méritent bien un peu de repos. La 82nd Airborne et la 1ère Brigade Parachutiste française
commencent à quitter le front pour Rome, avant de rejoindre l’Afrique du Nord. Dans le
même temps, le 4e RSM se redéploie en arrière de la 3e DB vers Passo Corese pour
recompléter son matériel et ses effectifs.
Ces remaniements s’accompagnent d’un changement de l’organisation du commandement
franco-américain. Les grandes unités sont réparties en deux corps : le IIe Corps US (majorgénéral Ernest J. Dawley), qui inclut les troupes italiennes, et le IVe Corps français (général
de CA Louis Kœltz), qui comprend la Brigade belge Tancrémont. L’ensemble est coiffé par la
5e Armée américaine (lieutenant-général Jacob L. Devers). Le général Jean de Lattre de
Tassigny, dont la quatrième étoile est confirmée, est rappelé à Alger – d’autres
commandements l’attendent.
La campagne de Grèce et des Balkans
Un peu d’ordre
Péloponnèse – Sans se presser, les Anglais arrivent à Corinthe, d’où les Français se retirent
de bonne grâce. En effet, la ville est dans la zone de la 8e Armée britannique (et grecque et
australo-néozélandaise…). La 2e Armée française (et polonaise et yougoslave…) s’est vu
confier la moitié ouest de la presqu’île.
Soldats italiens perdus à Split
Split (Spalato), Dalmatie – Très tôt dans la matinée, le général Cigala Fulgosi a repris
contact avec Ivo Lola Ribar, le chef des Partisans, pour le prévenir que ses troupes évacuaient
enfin. Les discussions ont été longues et difficiles, mais les deux hommes sont arrivés à un
accord : les Italiens laisseront dans leurs casernements tout leur armement collectif intact,
avant de gagner le port en fin de matinée ; ils bénéficieront en échange d’un sauf-conduit pour
eux et « les personnes qui souhaiteront les accompagner ». En tout, près de dix mille hommes
(et quelques femmes), mélange désordonné de soldats encore dotés de leur armement
individuel, de soldats sans armes et de civils, attendent avec angoisse dans le froid et sous la
pluie, tandis que passent les heures.
Vers 15h00, enfin, trois gros cargos et le vieux destroyer San Martino entrent dans le port,
accostent et commencent à embarquer les Italiens. A 18h00, tout est terminé et les navires
quittent le port abrité de Split pour rejoindre le large, où patrouillent les corvettes Cicogna et
Procelaria. Bien vite, la houle forcit et la plupart des passagers commencent à souffrir d’un
abominable mal de mer, mais ce n’est rien à côté de la crainte d’une attaque aérienne ou
navale allemande. Par bonheur, la nuit se passe sans mauvaise rencontre et les navires
atteignent Bari le lendemain sans encombre.
Tir ami
Vlorë (Albanie) – Après l’affaire de Céphalonie et de Corfou, le commandant Détroyat a été
chargé d’examiner la situation dans le port de Vlorë, vers lequel de nombreuses troupes
italiennes convergent en désordre dans l’espoir d’embarquer vers l’Italie. Il s’agit
principalement des hommes de la 49e DI Parma (général de brigade Luigi Podio) et de la 151e
DI Aéroportée Perugia (général de brigade Antonio Luridiana). Cette dernière a abandonné
son cantonnement de Tepelenë pour rejoindre Vlorë, mais l’épaisseur de la neige a rendu le
trajet si difficile qu’une bonne partie du matériel lourd a dû être abandonné en route.
La situation dans toute l’Albanie est des plus confuses : Italiens pro- et antifascistes, milices
albanaises et gangs d’allégeances diverses. Pour y voir clair, la MAS-564 a donc déposé sur
ces rivages incertains Détroyat et un petit groupe d’hommes « débrouillards » (selon sa
propre expression), bien armés et bien pourvus en moyens de liaison radio.
Dans la soirée, alors qu’il tente de s’interposer dans une altercation entre Italiens et Albanais,
Détroyat est tué d’une rafale de mitraillette. Les Italiens n’ont pas de mitraillettes et les Sten
employées par les Français sont connues pour partir un peu trop facilement. L’enquête menée
après la guerre établira que Détroyat, selon toute vraisemblance, a été tué accidentellement
par un de ses propres hommes – triste fin pour un officier qui, avant les campagnes de Grèce,
s’était illustré dans les combats de Sardaigne.
9 janvier
La campagne d’Italie
Un nouveau défi pour Alexander
Chieti – A la sortie sud de cette petite ville des Abruzzes, une villa isolée abrite le nouveau
quartier-général de la 1ère Armée britannique. Dans une grande pièce du rez-de-chaussée, le
général Sir Harold Alexander, nouveau commandant en chef de la 1ère Armée, est plongé dans
la lecture de nombreux rapports.
Nommé officiellement deux jours plus tôt, arrivé la veille à son poste, il est déjà confronté à
plusieurs choix difficiles. Son armée n’est pas encore complètement déployée : si les unités
les plus en pointe sont au contact des Allemands, à moins de 30 km au nord, avec des réserves
de munitions et de carburant bien entamées par les premiers heurts, de nombreuses unités et
les services sont encore éparpillés entre le front et la base arrière de Sicile (sur les routes de
Calabre ou via le port de Tarente). Pourtant, certains de ses subordonnés, et en premier lieu le
major-général Ritchie, commandant le Xe corps, le pressent de passer à l’attaque sans
attendre : les rapports de reconnaissance montrent que les Allemands profitent de chaque jour
et même de chaque heure pour fortifier leur ligne de défense, qui deviendra bientôt
inexpugnable… mais comment donner un ordre d’attaque aussi risqué dans une situation
logistique si fragile, alors qu’il vient d’arriver et ne maîtrise pas complètement la situation ?
Bien sûr, Alexander sait qu’il n’aura pas à supporter longtemps les insistants conseils de son
subordonné : il a reçu le matin même l’information que Ritchie, appelé à d’autres fonctions en
Grande-Bretagne, serait remplacé dans les prochaines semaines par le lieutenant-général
Miles Dempsey. Il y gagnera en sérénité, mais il devra alors se passer du commandant de
corps d’armée le plus expérimenté de l’armée britannique…
Dans le même temps, Alexander doit étudier l’évolution des zones de responsabilité de son
armée par rapport à l’armée franco-américaine à sa gauche. Avec l’arrivée progressive du Ve
Corps, la 1ère Armée dispose d’un nombre plus important de grandes unités que sa voisine et
peut prendre à son compte plus de kilomètres de front… mais Alexander préfèrerait
évidemment conserver des divisions en réserve pour permettre la rotation des unités sur le
front et disposer, le jour venu, de davantage de troupes sur ses axes d’attaque.
Enfin, Alexander sait qu’il devra marcher sur des œufs dans la mise en œuvre de sa stratégie,
pris entre, d’une part, les attentes de ses troupes, qui rejoignent les ordres de Londres : saisir
toutes les opportunités pouvant se présenter, et, d’autre part, les ordres du commandement
interallié en Italie, qui voit ce front comme « non stratégique », c’est-à-dire secondaire,
destiné seulement à fixer des divisions ennemies.
Bref, ce nouveau commandement ne sera pas une sinécure !
Avec un petit sourire, Alexander s’extrait un instant de ses dossiers et repense à
l’enchaînement d’événements qui l’ont conduit dans ce bureau.
Trois mois plus tôt, adjoint du général Frère, commandant le groupe d’armées interallié lors
de l’opération Torche et vainqueur en Sicile, il pouvait espérer prendre un commandement de
premier plan. Les décisions prises à la fin de l’année lors de la conférence gouvernementale
interalliée d’Alger réservaient à un général britannique un poste prestigieux, celui de
commandant des forces alliées en Grèce et dans les Balkans : Alexander espérait l’obtenir,
mais sa fierté l’avait conduit à attendre que ses mérites soient reconnus et qu’on lui propose le
poste, au lieu de faire acte de candidature. Très vite, il avait constaté que d’autres n’avaient
pas la même pudeur – enfin, un autre : ses amis à Londres l’avaient alerté sur la très active
campagne d’autopromotion lancée par Montgomery auprès de l’état-major impérial comme
du Cabinet de Guerre. Il fallait s’y attendre : Monty avait obtenu ce qu’il voulait.
Alexander aurait pu ressentir de l’amertume ou de la jalousie, mais son sens du devoir et du
service – for King and Country – l’avait emporté. Fort heureusement, la proposition de
prendre la suite de Montgomery à la tête de la 1ère Armée était arrivée peu de temps plus tard
(tous ces événements s’étaient déroulés en moins d’une semaine) et la perspective d’un
commandement opérationnel de premier plan l’avait consolé. Après avoir été un adjoint
chargé de faciliter la communication et d’arrondir les angles, bref, de faire de la diplomatie et
de la politique, le voici enfin commandant en chef – General Officer Commanding – d’une
des plus formidables armées britanniques !
Au moins, se dit-il, il fera là un travail de soldat et non de diplomate. Finalement, il laisse
volontiers à Monty les joies du commandement d’une coalition. Son chemin vers la gloire
passera par l’Italie ! Celui de Wellington était bien passé par l’Espagne. A lui désormais de
s’inventer un destin : Field-Marshal Alexander, vicomte de… de Florence, oui, ça sonnerait
bien… Mais assez rêvé, il reste beaucoup de travail avant d’y être.
La campagne de Grèce et des Balkans
Soldats italiens perdus à Kotor (Cattaro)
Mer Adriatique, au large du Monténégro – Un petit groupe de transports italiens se prépare
à entrer dans le golfe de Kotor. La nuit précédente, les MAS-431 et 432, qui connaissent bien
les lieux pour y avoir été basées, sont entrées dans la baie pour y déposer quatre nageurs de
combats : un binôme a discrètement abordé avant d’escalader les hauteurs qui surplombent le
passage le plus étroit de la baie, l’autre a nagé jusqu’au petit port de Kotor, dans le fond de la
baie. La première équipe, après une journée d’observation, a indiqué que la zone semblait
vide de tout élément hostile ; la seconde a établi le contact avec les forces italiennes sur place,
et confirmé que plusieurs milliers de soldats du XIVe CA, commandé par le général d’armée
Pirzio Biroli, s’étaient regroupés là, dans l’attente anxieuse d’une évacuation rapide. Il s’agit
d’éléments de la 6e Division Alpine Alpi Graie (général Mario Girotti), de la 155e DI
Territoriale Emilia (général Giuseppe Romano) et de l’échelon arrière de la 154e DI
Territoriale Murge (général de division Paride Negri).
En fin de journée, profitant des dernières heures de visibilité diurne, cargos et chalutiers
italiens entrent dans la baie, dans le sillage de la MAS-437 et du vieux destroyer Palestro. Les
MAS-431 et 432 servent de serre-file, tandis que les corvettes Artemide et Gabbiano restent en
pleine mer, pour couvrir la sortie de la flottille. Les navires italiens doivent parcourir environ
20 nautiques d’une route dangereuse, avec plusieurs passages très étroits, pour parvenir au
fond d’une baie fermée : la tension est extrême, mais le trajet jusqu’à Kotor se déroule sans
incidents et l’embarquement commence en début de soirée. Il y a trop de soldats pour les
capacités de la petite escadre, mais les marins sont prêts à prendre tous les risques pour les
sauver et refusent d’abandonner certains de leurs compatriotes dans l’attente d’un
hypothétique second voyage de secours. Quand les navires repartent, des soldats s’entassent
sur chaque centimètre carré de cabine, de pont et même à fond de cale. Pourtant, le 120e Rgt
Emilia a dû être laissé en arrière-garde… Les marins se promettent de revenir le chercher dans
trois ou quatre jours.
La nuit est encore bien noire quand les navires appareillent : à bord du Palestro, le CF Carlo
Fecia di Cossato préfère prendre le risque d’une navigation nocturne dans des eaux resserrées
et inconnues plutôt que d’attendre le jour et le risque d’être repéré et attaqué par des avions
allemands. Tout se passe bien lorsqu’à la sortie de la baie, le cargo Elsi est secoué par une
explosion sous-marine. S’ensuit un quart d’heure de combats confus et violents.
Les coupables sont deux vedettes rapides qui ont échappé à la surveillance des corvettes pour
poser les mines dont vient d’être victime le cargo. Ces vedettes sont les MS-42 et 43, saisies
moins de quinze jours plus tôt à Trieste et aussitôt remises en service par des équipages
allemands, aidés de quelques marins fidèles à Mussolini. Tapies le long de la côte, elles
profitent de la confusion pour tenter de torpiller les navires italiens, mais les marins allemands
maîtrisent mal leurs nouvelles montures et les torpilles se perdent en mer ou sur les rochers.
Les deux vedettes s’enfuient, poursuivies par les tirs de toute la flottille. Malheureusement, si
l’attaque n’a pas fait d’autres dégâts directs, les tirs de défense des Italiens ont atteint un
chalutier, tuant sur le pont une dizaine de soldats.
Pendant ce temps, le cargo Elsi a très vite pris de la bande. La voie d’eau est importante et
incontrôlable. D’autres bâtiments viennent à ses côtés pour embarquer le maximum
d’hommes, mais ils sont déjà pleins et tous les passagers ne peuvent être transférés. Par
bonheur, le cargo finit par couler en eau peu profonde, ce qui limite le nombre de noyés : la
plupart des naufragés peuvent atteindre le rivage, ils rejoindront le 120e RI ou prendront le
maquis.
Les autres navires italiens réussissent à regagner Bari et Brindisi sans incident.
Rester ou partir ?
Vlorë (Albanie) – Le capitaine de corvette Jean des Moutis hérite de la mission de Détroyat.
Il penche pour demander l’évacuation rapide des Italiens, mais à cause de la confusion et des
rumeurs de trahison nées de la mort de Détroyat, puis du retour du mauvais temps, celle-ci ne
pourra être organisée avant l’arrivée de la flottille italienne mobilisée par De Courten. De
plus, les états-majors alliés hésitent encore : ne vaudrait-il pas mieux conserver la tête de pont
de Vlorë en vue des prochaines opérations dans les Balkans ?
10 janvier
La campagne d’Italie
Les Canadiens sont là
Front italien – La 1ère DI canadienne est maintenant à peu près en place, à gauche de la 6e DI
britannique. Son chef, à la demande du général Ritchie, décide de tenter un coup de sonde
dans le dispositif allemand. La manœuvre est simple : le 48e Highlander (1ère Brigade)
attaquera avec le soutien des chars du 11e Ontario de part et d’autre de San Pellegrino.
L’attaque se fera en tenaille par Mirabello et Passo Cordone. Des reconnaissances ont permis
d’avoir une carte assez détaillée du dispositif antichar de l’ennemi.
Certes, les premiers ordres du nouveau GOC (Alexander) demandent de s’abstenir
d’opérations offensives importantes. Mais si Ritchie a compris qu’il ne pouvait pas lancer une
attaque générale de son corps d’armée, il veut garder l’initiative en autorisant une attaque
locale, dans les limites de ce que lui permet la logistique à ce moment.
La campagne des Balkans
Massacres en Yougoslavie
Sandjak – Dans cette région aux confins de la Serbie et du Monténégro, Pavle Djuri!ic, chef
local des Tchetniks, a entrepris d’élargir son domaine. Hier allié circonstanciel des Italiens, il
a tenté, avec leur aide, de détruire les Partisans de Tito au passage de la Neretva en novembre.
Fin décembre, il a profité de la dislocation des forces italiennes pour prélever son butin en
armement et en provisions.
A présent, il veut élargir son fief montagnard en éliminant son autre adversaire local : la
milice musulmane du Sandjak. Cette unité créée en 1941 par le prédicateur Osman Rastoder,
d’abord sous la tutelle de l’État Indépendant de Croatie, puis de l’Italie fasciste, cherche
maintenant la protection du Reich allemand. Les Tchetniks, dans une campagne brève et
sanglante, vont tuer 400 miliciens musulmans et un millier de femmes et d’enfants. Et ce n’est
qu’un début.
Opération Mer Rouge
Côte dalmate – Alors que le soleil se couche sur l’Adriatique, c’est toute une flotte, ou
presque, qui se présente devant le petit port de Senj, mouillage en eau (relativement) profonde
où les déportés juifs de Rab ont été rassemblés quelques jours plus tôt.
D’abord, ce sont les Rovigno et Spanedda, venus de Céphalonie, qui ont été chargés de baliser
un chenal sûr à travers des champs de mines qu’ils connaissent bien. Ils sont suivis par six
vieux destroyers et sept escorteurs modernes, tous italiens ! Même s’ils arborent aussi le
pavillon de la Croix-Rouge, à la stupéfaction des malheureux qui redoutent une nouvelle
persécution.
Quand enfin les déportés ont compris que leurs tourmenteurs de la veille viennent à leur
secours, tous se précipitent dans le plus grand désordre dans toutes les chaloupes disponibles
pour embarquer sur les navires de la flottille. Après plusieurs heures d’activité frénétique que
le capitaine Malec s’efforce désespérément d’organiser un peu, les quinze bâtiments et leurs
2 500 passagers mettent le cap sur Bari, où ils parviendront sans incident. Ils seront ensuite
libres de participer à d’autres missions, en Adriatique surtout (voir appendice 1).
Les marins italiens, émus par l’état des malheureux qu’ils ont sauvés, baptiseront cette
mission « opération Mer Rouge ».
En dehors de quelques-uns qui émigreront vers Israël, presque tous les « Juifs de Rab »
demanderont après la guerre la naturalisation italienne. Ils l’obtiendront, leurs représentants
ayant fait valoir que l’Italie ne pouvait espérer de meilleurs citoyens que des hommes et des
femmes qui lui seraient à jamais reconnaissants de les avoir sauvés. Il est vrai que le fait que
l’opération “Mer Rouge” ait été le résultat d’un marchandage politico-militaire ne devait être
connu du public que bien des années plus tard…
La campagne de Grèce
Victoires d’aujourd’hui et lendemains qui déchantent
Sparte – En fin de journée, le général d’armée Antoine Besson, chef d’état-major de l’Armée
française, revient au QG de l’Armée d’Orient après une journée passée à rendre visite aux
troupes en train de libérer le Péloponnèse. Arrivé le matin même à Kalamata en avion, il s’est
tout d’abord rendu à Patras puis sur la route de Corinthe, félicitant les chefs et les troupes,
distribuant Croix de Guerre et Légions d’Honneur aux vainqueurs de cette courte campagne
(la plupart méritaient ces décorations depuis longtemps – la presqu’île n’a pas vu de grande
bataille depuis le changement de camp de l’Italie). Tout au long de son périple, il a été escorté
par un Giraud ravi de cette marque d’attention et inconscient d’agacer de plus en plus son
supérieur.
Besson a reçu il y a quelques jours la confirmation de son passage en seconde section à la fin
du mois et de son remplacement par le général Olry. Il s’attendait à cette nouvelle, mais cette
dernière corvée grecque n’était pas prévue et il peste in petto contre les Politiques qui la lui
ont imposée… Et la partie difficile de son voyage va maintenant commencer, alors que la
porte se referme sur la salle où sont réunis les principaux officiers de l’état-major de l’Armée
d’Orient.
« Messieurs, bravo encore une fois pour cette rapide reconquête du Péloponnèse, commence
Besson. Malgré la surprise, malgré des conditions météorologiques et un terrain très
difficiles, vous et vos hommes avez su réagir efficacement pour libérer une grande partie du
territoire grec, berceau de notre civilisation. Une fois de plus, le drapeau français s’est
couvert de gloire et le gouvernement m’a demandé de vous faire part de sa satisfaction. De
son lit d’hôpital, le président du Conseil lui-même me l’a exprimée.
Il reste certes encore beaucoup à faire pour libérer toute la Grèce, aider la Yougoslavie à
connaitre la même joie, et porter la guerre dans les pays des Balkans qui ont choisi le camp
de nos ennemis… Mais ces opérations devront attendre le printemps. D’ici là, nous devrons
nous y préparer.
Bien entendu, cette future offensive se fera en lien étroit avec les autres opérations prévues en
Méditerranée. Afin de les coordonner, la conférence gouvernementale interalliée tenue le 31
décembre à Alger a pris plusieurs décisions capitales.
D’abord, un commandement suprême interallié pour la Méditerranée a été créé, afin de
cordonner tous nos efforts en Grèce, en Italie… et, hum, ailleurs ! En reconnaissance de la
qualité de nos forces et de leurs nombreux succès, c’est un général français qui a été appelé à
cette haute fonction : Aubert Frère. Sous ses ordres, le commandant des forces terrestres
alliées en Italie sera un général américain. Le 15e Groupe d’Armées allié, constitué d’unités
françaises et américaines, se prépare en Afrique du Nord, sous commandement français, en
vue d’une grande offensive l’été prochain, quelque part au nord de la Méditerranée. Dans ce
contexte, le commandement des forces terrestres alliées en Méditerranée Orientale, laissé
vacant depuis le départ du général Frère pour préparer l’opération Torche, n’a plus
d’intérêt ; il est supprimé et remplacé par le 18e Groupe d’Armées, qui regroupera la
8e Armée britannique et la 2e Armée française, puisque c’est ainsi que sera désormais appelée
officiellement l’Armée d’Orient. »
Les visages de ses auditeurs se sont crispés. Ils savent ce qu’un changement de dénomination
peut recouvrir. Surtout, Giraud commence à rougir ; il n’a jamais caché qu’il espérait
succéder à Frère au poste de commandant allié en Méditerranée Orientale. « Ne leur laissons
pas le temps de réagir, se dit Besson, autant lâcher toutes les mauvaises nouvelles d’un
coup ! »
Il toussote et reprend : « Le commandement de ce 18e Groupe d’Armées sera britannique, ce
qui s’imposait pour maintenir un équilibre raisonnable des responsabilités entre grands
alliés, et pour tenir compte de l’importance des forces mises en ligne dans la région par les
différents pays. »
– Mais enfin, vous n’allez pas nous mettre sous les ordres de Cunningham ! explose Giraud.
– N’ayez crainte Giraud, répond Besson, personne n’a imaginé une telle inconvenance. Le
chef du 18e GA sera Montgomery.
Dentz sursaute : Giraud sous les ordres d’un général qui n’était que divisionnaire en 1939,
quand le premier commandait déjà une armée ! Besson pense-t-il vraiment que c’est moins
inconvenant ou veut-il provoquer Giraud ?
– Mon général, c’est une infamie ! clame Giraud. On a retiré tous ses moyens à l’Armée
d’Orient, division après division ! Pendant des mois, on nous a empêchés d’agir, et
maintenant on nous subordonne aux Anglais ! Quelle honte pour nos couleurs, quelle perte de
prestige pour la France ! Comment voulez-vous que nous jouions le moindre rôle dans la
suite des opérations sur ce théâtre ?
– Le gouvernement compte sur la 2e Armée pour prendre toute sa part lors des prochains
combats en Grèce et dans les Balkans. Vous recevrez prochainement de nombreux renforts :
d’abord, dès cet hiver, la 2e Division d’Infanterie yougoslave et un régiment d’artillerie de
réserve générale. Au printemps, les recrues polonaises venues d’URSS, qui sont très motivées,
nous permettront de mettre sur pied une nouvelle division de montagne, ce qui donnera ainsi
un corps d’armée polonais…
– Un corps polonais et un corps yougoslave ! s’étrangle Giraud. En somme, une armée
française sans division française !
– Dès le printemps, les grands froids passés, une division africaine vous sera envoyée si les
plans d’opération le nécessitent, aussi vite que les moyens de transport disponibles le
permettront, poursuit Besson sans se démonter. La 2e Armée française [il insiste sur ce mot]
comptera ainsi six divisions : deux polonaises, deux yougoslaves et deux françaises, trois
brigades blindées et l’équivalent de deux brigades de montagne. Bref, assez d’unités pour
mener à bien le plan le plus ambitieux. Au reste, Messieurs, c’est désormais votre mission :
établir et proposer au général Frère puis à l’état-major interallié un plan d’opération pour
l’été 1943.
– Mais ce sera le plan de Montgomery, un plan anglais, quel rôle pourrons-nous y jouer ?
gémit Giraud.
– Giraud, mon vieux, ressaisissez-vous ! lance Besson, glacial. Il se radoucit et reprend :
« Nous comptons sur vous tous pour travailler en bonne intelligence avec nos alliés, mais
aussi pour faire preuve d’imagination en proposant un plan audacieux permettant le succès
rapide des forces alliées tout en donnant un rôle important à nos couleurs. Gardez tous en
tête que vous combattez ici aujourd’hui mais que vous pourrez combattre ailleurs demain. »
« Giraud, poursuit-il en regardant ce dernier dans les yeux, vos talents sont reconnus et
appréciés ; vous serez sans doute encore utile demain, peut-être ailleurs, justement… Ne
gâchez pas tout… »
Besson marque un temps, puis : « Allons, puisqu’il n’y a pas d’autres questions, il est temps
d’aller dîner, je pense… » Giraud se lève d’un coup, immense, et sort sans un mot, la mine
sombre.
« Ils sont sonnés, mais ils ont compris et ils joueront le jeu » pense Besson tandis que les
officiers quittent un à un la pièce.
– Mon général ?
Dentz, qui fermait la marche, se retourne pour s’adresser à Besson : « Si j’ai bien compris, le
général Giraud sera prochainement appelé à d’autres fonctions… Sait-on déjà qui le
remplacera ?
« Nous y voilà, se dit Besson, une offre de service en bonne et due forme… Après tout, il n’y a
rien là d’étonnant. »
– Rien n’est décidé, Dentz. Il nous faudra quelqu’un d’expérimenté, connaissant bien le
terrain et apte à travailler en bonne intelligence avec les Anglais – et surtout avec
Montgomery. J’ai proposé des noms, j’attends la validation du ministère.
Cavalcades au pays des Centaures
Thessalie – A quelques jours de quitter son poste, le général allemand Hans Juppe, à la tête
de la 104. Infanterie Division, a repris pratiquement sans coup férir la ville de Larissa. La plus
grande partie de la garnison italienne est partie pour Volos, d’où elle espère bien rembarquer
pour l’Italie. Seul le 6e Régiment de cavalerie Lancieri di Aosta (colonel Giuseppe Berti) est
décidé à continuer la lutte sur le sol grec. Ayant combattu les Allemands à Larissa le 25
décembre, cette unité sait qu’elle n’a pas de quartier à attendre en cas de capture. Le colonel
Berti est parti vers Karditsa, où des éléments de la 11e DI Brennero font toujours face aux
maquisards communistes de l’ELAS. Berti espère convaincre les hommes de la Brennero,
pour partie des Italiens germanophones du Haut-Adige, de rejoindre le camp allié.
Les kapetanos Vassilis Samariniotis 13, chef de l’ELAS pour le sud-ouest de la Thessalie, et
Aris Velouchiotis, qui commande en Eurytanie, un peu plus au sud, ouvrent des pourparlers
avec Berti et acceptent un cessez-le-feu.
………
Ce même jour, l’ELAS diffuse dans toute la Grèce une proclamation ordonnant de traiter les
soldats italiens désarmés à égalité avec les combattants grecs, notamment pour ce qui est du
ravitaillement.
13
De son vrai nom Andreas Tzimas.

Documents pareils