La question du bouddhisme de Nichiren et de celui de la

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La question du bouddhisme de Nichiren et de celui de la
La question du bouddhisme de Nichiren et de celui de la Terre Pure a soulevé pas mal de
vagues au cours des siècles.
On retient évidemment la personnalité controversée de Nichiren. Il est en effet bien connu
pour avoir condamné toutes les écoles autres que la sienne. Dans ses Œuvres complètes
(Gosho) se trouve son fameux quadruple slogan (shika kakugen 四箇格言) :
« Nenbutsu, acte infernal ! (Nenbutsu muken 念佛無間)
Zen, œuvre du Démon ! (Zen temma 禪天魔)
Shingon (tantrisme), mort de la Nation ! (Shingon bôkoku 眞言亡國)
Ritsu (école de la Discipline), trahison nationale ! (Ritsu kokuzoku 律國賊) »
Le nenbutsu est dit ici « acte infernal », littéralement « sans intervalle » (muken) : il est donc
identifié par Nichiren aux cinq perversions (parricide, matricide, arhaticide, blesser un buddha
et créer le schisme de la communauté), qui font tomber aussitôt au moment de la mort - sans
intervalle et quel que soit le reste de notre karma - dans le plus bas des enfers – l’Avici - où la
souffrance se produit sans interruption.
L’une des principales victimes de ses attaques fut Hônen et son Senjakushû , comme on le
voit déjà dans le Traité sur la pacification de l’Etat par l’établissement de l’orthodoxie
(Risshô-ankokuron).
- Néanmoins, la doctrine de Nichiren contient certains développements profonds, avec des
perspectives mystiques non moins impressionnantes. La plus grande partie de sa doctrine
repose sur celle de l’école Tendai, fondée en Chine par Zhiyi, qui s’appuye principalement sur
le Sûtra du Lotus, et que Nichiren voulait rétablir dans sa pureté.
Mais Nichiren étudia aussi le tantrisme et la Terre pure. Ce dernier point nous concerne,
puisque c’est évidemment à partir du nenbutsu « Namo Amida Butsu » figurant dans le Sûtra
des Contemplations que Nichiren inventa l’invocation du titre (daimoku) du Sûtra du Lotus :
« Nam’ Myôhô renge kyô ».
- Quant à l’école Tendai, elle divise les prédications du Buddha Shâkyamuni en cinq périodes.
Pour elle, la période la plus importante est la 5e période, soit les huit dernières années du
Buddha, pendant lesquelles il prêche le Sûtra du Lotus et le Sûtra du Nirvâna. C’est la période
du Véhicule Unique du Buddha, qui transcende toutes les différences entre Petit et Grand
Véhicule. Selon cette classification, nos Sûtra de la Trilogie de la Terre pure appartiendraient
à la 4e période et leur seraient inférieurs.
Mais Hônen montra que les Sûtra de la Trilogie de la Terre pure appartiennent bel bien à la
5e période (v. Le gué vers la Terre pure, p. 168-169). En effet, pendant que le Buddha
exposait le Sûtra du Lotus sur le Pic-Vautours, il s’éclipsa pour prêcher le Sûtra des
Contemplations à la reine Vaidehî qui - comme son mari le roi Bimbisara -
avait été
emprisonnée par leur fils dans le palais de Râjagriha. L’on sait historiquement que
l’emprisonnement de Bimbisara eut lieu dans la 8e année précédant le nirvâna final de
Shâkyamuni.
Cependant, ni Hônen ni Shinran ne retiendront la classification des enseignements selon le
Tendai. Car du point de vue de l’herméneutique bouddhique, ce n’est pas la chronologie ou la
lettre des Ecritures qui fait foi, mais bien le sens que recouvre la lettre (v. mon « Shinran », p.
137).
- Shinran – pourtant formé dans le Tendai - ne dit rien Sûtra du Lotus, mais il affirme que le
Jôdo-Shinshû relève du Véhicule unique du Buddha (Kyôgyôshinshô, ch. II-6, etc.).
Shinran est aussi connu pour avoir déclaré :
« Le nenbutsu est-il vraiment le germe de ma naissance dans la Terre pure ou serait-il un
acte qui me ferait tomber dans les enfers ? De manière générale, je n'en sais rien du tout ! »
etc. (Tannishô, ch. 2)
Shinran pensait-il au quadruple slogan de Nichiren ? Les deux étaient contemporains, mais on
n’en sait pas plus. Cependant, il arrive à Shinran de paraphraser le Sûtra du Lotus, comme
dans cette strophe importante des Jôdo-Wasan :
Réellement accompli depuis un lointain passé (kuon), le Buddha Amida,
Par compassion pour les êtres ordinaires imbéciles aux cinq corruptions,
Se révéla comme le Buddha Śākyamuni
En se manifestant par adaptation près de la ville de Gayā.
(cf. Sûtra du Lotus, ch. XVI, traduction Jean-Noël Robert, p. 281-282)
- Bref, ce sont surtout les successeurs de Shinran qui s’occupèrent plus à fond de cette
question.
Ainsi, Kakunyo (1270-1351), le 3e patriarche du Honganji, reprend l’explication de Hônen et
explique dans ses Notes sur la tradition orale (Kudenshô, ch. 15) que le Sûtra du Lotus et les
Ecritures de la Terre pure sont de « la même saveur » (dômi 同味).
Le 8e patriarche Rennyo (1415-1499) en parle aussi, notamment dans l’une de ses lettres
(Gobunshô, IV-3) où il conclut que le Sûtra du Lotus et le nenbutsu sont des enseignements
« de la même période » (dôji 同時). (traduction française : Chôjun Ôtani, Les problèmes de la
foi et de la pratique chez Rennyo, p. 115).
Mais la plus grande contribution est celle de Zonkaku (1290-1373), qui était le fils de
Kakunyo. En 1338, Zonkaku gagna contre des adeptes de Nichiren dans un débat officiel.
Il en reste deux textes de sa composition : les Notes discernant les diverses voies issues du
Véhicule Unique de la sagesse du Buddha » (Ketchishô) et le « Dialogue sur le Sûtra du
Lotus » (Hokke mondô). (voir ma Vie de Zonkaku, p. 86-88, 344, 181-183, 343-344,
Zonkaku démontre facilement que qualifier le nenbutsu d’« acte infernal » n’est rien d’autre
que calomnier le Dharma, ce qui est la plus grave de toutes les fautes, la seule qui soit pire
que les cinq perversions. Puisque le nenbutsu est bel et bien prêché par le Buddha.
Il montre aussi que « Lotus de la Loi » et « Amida » sont deux noms différents pour une
même réalité (ittai imyô 一體異名), la réalité ultime de l’enseignement du Buddha.
Enfin, il montre que la longévité infinie du Buddha Shâkyamuni selon la doctrine originelle
(honmon) du Sûtra du Lotus correspond à celle du Buddha Amida, aussi nommé « VieInfinie » (Amitâyus).
Et Zonkaku conclut que la doctrine la plus profonde du Sûtra du Lotus n’est accessible qu’aux
saints, tandis que celle de la Terre pure s’adresse aux êtres ordinaires. C’est la célèbre
division des enseignements du Buddha par Daochuo : méthode de la voie des saints
(shôdômon) et méthode de la Terre pure (jôdomon).
- Le Sûtra du Lotus mentionne le Buddha Amida à diverses reprises.
Le passage le plus significatif est celui du ch. 23 de la version chinoise, «La conduite
originelle du Bodhisattva Roi-de-Médecine » (Yakuô) :
« Si dans les cinq siècles suivant l’extinction du Tathâgata, il se trouve une femme pour
entendre ce Sûtra [du Lotus] et qu’elle cultive la pratique telle que je l’ai exposée, lorsque sa
vie finira ici, elle ira aussitôt dans l’univers Bonheur-Paisible (Sukhâvatî) (即往安樂), où
demeure le Buddha Amida (阿彌陀佛) entouré d’une foule de grands bodhisattva, pour y
naître sur un trône précieux au milieu d’une fleur de lotus. »
Donc, réciter le nom du Buddha Amida peut bien équivaloir à réciter le Sûtra du Lotus.
Ce qu’il faut retenir, c’est que tous les deux font partie des enseignements abrupts du Grand
Véhicule, et que tous les deux visent la réalisation de l’état de buddha.
> En conclusion : lorsque l’on est confronté avec des adeptes de Nichiren …
Il y a pratiquants de Nichiren et pratiquants de Nichiren. Certains d’entre nous en connaissent
qui pratiquent sereinement le Sûtra du Lotus et qui n’insistent pas sur les attaques polémiques
de Nichiren, en les replaçant dans le contexte politico-historique de son temps.
De fait, les écoles bouddhiques descendant de Nichiren sont multiples : Nichirenshû,
Hokkeshû, Nichiren-shôshû, Fuju-fuseha, etc. A cela s’ajoutent plusieurs mouvements néobouddhiques, qu’on appelle au Japon « les nouvelles religions » (shinkô-shûkyô).
Parmi ces dernières, la plus célèbre est le Sôka-gakkai. Comme son nom l’indique, elle se
présente non pas comme une école bouddhique traditionnelle, mais comme une « société
d’étude » (gakkai). Sa particularité est qu’elle est la seule des nouvelles religions à avoir
réussi à rattacher son wagon à une école traditionnelle (le Nichiren-shôshû), dont elle devint
le mouvement laïc; jusqu’à ce que le Sôka-gakkai soit excommunié par le Nichiren-shôshû,
en 1990 déjà. Ses adeptes sont connus – mais pas tous – pour leur fondamenalisme et leur
intransigeance.
- Mais Rennyo répète souvent que - d’une manière générale - le pratiquant du Shinshû ne doit
pas se mêler de controverses avec d’autres écoles et qu’il convient de toutes les respecter ainsi
que leurs Buddha de référence.
Tout cela est bien enseigné déjà dans le Tannishô (ch. 12) :
« Même si toutes les écoles se liguent pour nous dire : “Le nenbutsu, c'est pour les bons à
rien ! Sa doctrine est superficielle et minable ! ”, discutons d'autant moins et répondons :
Nous y avons foi pour avoir appris que les êtres ordinaires sous-doués et illettrés
comme nous sont secourus s'ils y ont foi; donc - même si cela est d'autant plus minable
pour vous qui êtes surdoués - pour nous, c'est la Loi suprême. Même si les autres
enseignements sont supérieurs au nôtre, ils sont difficiles à pratiquer pour nous qui n'en
avons pas les capacités. Mais puisque l'Intention originelle de tous les Buddha est que nous
soyons - nous comme vous - libérés du cycle des naissances et des morts, daignez ne pas
nous en empêcher !
Si nous disons cela sans animosité, qui pourrait nous attaquer ? Bien plus, il y a un
témoignage écrit qui dit (Sûtra du grand amas de joyaux) : “Là où il y a dispute, toutes
sortes de passions surgissent. Le sage s'en éloignera ! ” »
JD / 29 juillet 2012