Un résumé en français (PDF - 312 Ko)

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Un résumé en français (PDF - 312 Ko)
Les accords d’entreprise transnationaux :
tremplin vers une réelle internationalisation des relations
professionnelles ?
EUROATCA (European Action on Transnational Company Agreements)
Rapport final
Résumé français
Les partenaires d’EUROATCA
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IRES Italie
CGIL (Italie)
Association “Bruno Trentin” (Italie)
ASTREES France
Confédération Européenne des syndicats (CES)
Fondation 1° de Mayo (Espagne)
IRES France
IRES Emilia-Romagna (Italie)
ISTUR-CITUB Bulgarie
Solidarność (Pologne)
Université de Hambourg (Allemagne)
Université de Cassino (Italie)
TCO (Suède)
Les auteurs :
Salvo Leonardi (coordinateur), Sławomir Adamczyk, Anna Alaimo, Edoardo Ales, Pere Beneyto,
Marco Cilento, Isabel da Costa, Plamenka Markova, Marina Monaco, Udo Rehfeldt, Ekatarina
Ribarova, Fernando Rocha, Barbara Surdykowska, Volker Telljohann, Christophe Teissier, Giorgio
Verrecchia, Reingard Zimmer
Le rapport final en anglais et ce résumé français sont téléchargeables à partir des sites de
l’association ASTREES (Association Travail, Emploi, Europe, Société – www.astrees.org) et de
l’Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES - www.ires.fr).
Les auteurs sont seuls responsables de ce document et la Commission européenne n’est pas
responsable de l’usage qui est fait de l’information qu’il contient, quel que soit cet usage.
Table des Matières
Introduction
1.
L’européanisation des relations professionnelles : une évaluation générale
2.
Une définition provisoire de la dimension transnationale des relations professionnelles
3.
Un cadre juridique pour les accords collectifs transnationaux en Europe
4.
La question de « l’efficacité »
5.
Les difficultés inhérentes à l’établissement d’un cadre juridique
6.
Le rôle des CEE et FSE
7.
Les AET pour répondre aux transitions à court et long terme
8.
Entre le droit souple et le droit dur : les AET comme outils de « gouvernance
expérimentaliste »
2
Introduction
Ce rapport est le résultat final du projet EUROATCA coordonné par l’IRES (Italie). Le projet
avait pour but d’étudier la diffusion, les pratiques et les problématiques juridiques associées aux
accords d’entreprise transnationaux (AET) ainsi que le rôle des syndicats en regard de leurs
expériences en la matière. L’objectif était de soumettre ces dernières à de multiples analyses :
vérifier la réelle efficacité des solutions adoptées au fur et à mesure qu’elles se font jour ; examiner
les solutions retenues pour s’assurer qu’elles sont conformes aux contraintes juridiques imposées
par les lois et pratiques internationales, européennes et nationales ; approfondir le niveau de
coordination entre les acteurs impliqués dans les négociations syndicales à tous les niveaux ;
déterminer le type de réglementation qui serait le plus apte à répondre au besoin de donner aux AET
le degré souhaité de sécurité juridique.
Lors de deux ateliers européens (organisés successivement à Paris et à Gdansk) et une conférence
finale (à Rome), nous avons pu stimuler un échange transnational d’expériences et de pratiques
dans les pays partenaires et au-delà. Une centaine de participants – principalement des responsables
et représentants de syndicats ainsi que des employeurs, praticiens et experts – ont pris part à ces
événements. L’objectif était de promouvoir les expériences analysées auprès des partenaires sociaux
et de questionner leurs impacts sur la culture et les pratiques du dialogue social et des relations
professionnelles.
Le groupe d’experts partenaires du projet comptait dans ses rangs des auteurs d’études parmi les
plus connues et appréciées sur les relations professionnelles internationales et les AET. Dans le
cadre du projet, il s’est penché sur les questions les plus pertinentes pour approfondir les travaux
préexistants. Deux études de cas d’entreprise ont été par ailleurs réalisées au moyen d’analyses
documentaires et d’investigations empiriques (interviews) sur les AET chez Volkswagen et
ArcelorMittal et avec, comme point focal, leur impact dans les pays des partenaires.
Ce rapport est l’aboutissement de l’ensemble de ces actions. Il résume les principaux résultats de
l’étude collective. Une version complète est disponible en anglais. L’on pourra y trouver les
développements détaillés de toutes les rubriques incluses au présent document.
1. L’européanisation des relations professionnelles : une évaluation générale
Il est universellement reconnu que la mondialisation des marchés a stimulé la dimension
transnationale des relations professionnelles. Les AET sont désormais presque unanimement perçus
comme une des composantes les plus prometteuses et intéressantes du processus dit
d’internationalisation (ou d’européanisation) des relations professionnelles1. On se réfère ici à
l’identification des différents mécanismes de gouvernance ainsi que des procédures supranationales
dont le développement – de l’intersectoriel à celui de l’entreprise – vise trois objectifs principaux :
négocier des accords ; informer et consulter ; peser sur les politiques publiques2.
Ce processus a ses origines dans plusieurs facteurs qui peuvent, de manière générale, être
regroupés en deux catégories principales.
Il s’agit, en premier lieu, des défis que rencontrent les syndicats depuis quelques décennies du
fait de l’adoption généralisée du modèle néolibéral de la mondialisation. Ce dernier s’est
accompagné d’importantes retombées sur l’emploi, les conditions de travail ainsi que les relations
professionnelles. Il est aussi à noter que, loin d’être un développement « naturel » ou « spontané »,
ce modèle de mondialisation a été promu et contrôlé par un certain nombre d’acteurs nationaux et
1
R. Hoffman, Proactive Europeanisation of industrial relations and trade unions, dans W. Kowalsky et P. Scherrer,
(Eds.) Trade unions for a change of course in Europe, ETUI, Bruxelles, 2011; S. Sciarra, Transnational and European
Ways Forward for Collective Bargaining, WP C.S.D.L.E. “D’Antona”, n. 73/2009.
2
V. Glassner et P. Pochet, Why trade unions seek to coordinate wages and collective bargaining in the Eurozone: past
developments and futures prospects, Document de travail, ETUI, 3/2011, pp. 9-13.
3
internationaux3. Ce sont notamment les grandes multinationales qui ont joué à cet égard un rôle
critique revêtant une double dimension : (a) par l’adoption des stratégies de restructurations
productives comme l’externalisation, la délocalisation en off-shore et la production parallèle,
donnant lieu à une chaîne de valeur de plus en plus fragmentée et transfrontalière et (b) par
l’établissement de la financiarisation comme logique principale sous-tendant la politique
administrative en entreprise4. L’importance de l’investissement direct à l’étranger et les stratégies
de délocalisation en off-shore ont provoqué un vide de gouvernance entre l’économie mondiale et
les souverainetés nationales, la délocalisation pouvant ainsi mener au dumping social5. Un tel
scénario conduit à voir dans les AET des instruments de progrès particulièrement intéressants.
En second lieu, on a pu noter qu’à travers le renforcement de l’intégration économique et
monétaire, les syndicats ont réussi à promouvoir une meilleure harmonisation des conditions
sociales et du travail dans l’espace économique intégré. Une étape majeure a été atteinte à Helsinki
en 1999 lorsque la CES a adopté une résolution qui en appelait à soutenir activement la création
d’un système européen de relations professionnelles6. Il y a besoin d’établir des interactions
organisées collectivement au niveau supranational et ce sont les AET qui peuvent empêcher le
dumping social et la concurrence salariale par le bas pour aboutir à un rapprochement progressif des
conditions de travail au sein d’une même entreprise.
Cet intérêt croissant pour les AET s’explique par l’étendue et la rapidité de leur expansion en
corrélation directe avec les contextes politiques et économiques. Les AET sont un phénomène
proprement européen, découlant de la configuration des relations professionnelles en Europe bien
qu’il y ait entre-temps plusieurs accords impliquant des groupes dont le siège se situe en dehors de
l’Union Européenne. Ces accords peuvent représenter une façon de combler le manque de
gouvernance, mentionné plus haut, entre la nature de plus en plus mondiale (ou supranationale) des
stratégies du capital d’un côté et l’ancrage essentiellement territorial des syndicats et acteurs de la
représentation des travailleurs de l’autre. Dans la littérature7, les AET sont définis comme « des
outils qualitativement neufs » 8, une nouvelle « pratique sociale » 9, de nouveaux « espaces de
négociations » 10, « une nouvelle étoile » dans la galaxie des sources professionnelles du droit
3
D. Harvey, A brief history of neoliberalism, Oxford University Press, 2005.
Keune, M. et V. Schmidt, Global capital strategies and trade union responses: towards transnational collective
bargaining?, dans “International journal of labour research”, Vol. 1, Issue 2, 2009; W. Rhode,.Global production
chains, relocation and financialization: the changed context of trade union distribution policy, dans “International
journal of labour research”, Vol. 1, Issue 2, 2009.
5
A. Perulli, Globalizzazione e dumping sociale, “Lavoro e diritto”, n. 1/2011.
6
ETUC: Towards a European System of Industrial Relations (Statutory Congress of Helsinki, 29/6-2/7 1999).
7
K. Papadakis. (ed.), Shaping Global Industrial Relations: The Impact of International Framework Agreements,
ILO/Palgrave Macmillan; Eurofound, Multinational companies and collective bargaining, Dublin, 2009; van Hoek et
A. Hendrickx, International private law aspects and dispute settlement related to transnational company agreements,
Étude entreprise au nom de la Commission Européenne: European Commission, The Role of Transnational Company
Agreements in the Context of Increasing International Integration, Commission Staff Working Document, Bruxelles;
V. Telljohann, I. da Costa , T. Müller, U. Rehfeldt, R. Zimmer, European and international framework agreements:
new tools of transnational agreements and industrial relations, Transfer 15 (3-4), 2009; I. Schomann, A. Sobzack E.
Voss, et P. Wilke, International framework agreements: new paths to workers’ participation in multinational
governance? “Transfer”, 14 (1), 2008; K. Papadakis (eds.), Cross-Border Social Dialogue and Agreements: an
Emerging Global Industrial Relations Framework?, Institut international d’études sociales/Bureau de l’Organisation
internationale du travail, Genève, 2008.
8
V. Telljohann, I.da Costa, T. Müller, U. Rehfeldt., R. Zimmer, European and International Framework Agreements.
Practical Experiences and Strategic Approaches, Luxembourg, L'Office des publications officielles des Communautés
européennes.
9
I. Schomann, A. Sobzack, E. Voss, et P. Wilke, International framework agreements: new paths to workers’
participation in multinational governance? “Transfer”, 14 (1), 2008.
10
A. Lo Faro, Bargaining in the shadow of “Optional Frameworks? The rising of transnational collective agreements
and EU law, “EJIR”, 2011.
4
4
social11. En somme, les AET sont à envisager comme l’une des « nouvelles idées pour une stratégie
de sortie de la crise du droit et des pratiques des organisations syndicales transnationales »12.
L’Agenda social européen 2005-2010 a recommandé le renforcement des AET. A la suite, en
2008, afin d’améliorer les connaissances de ce phénomène nouveau dans le domaine des relations
professionnelles, la DG Emploi de la Commission Européenne a établi un groupe d’experts sur les
AET dont la mission était d’évaluer leur développement et échanger des informations pour soutenir
le processus en cours. La DG a invité les partenaires sociaux, les experts gouvernementaux ainsi
que ceux d’autres institutions à y prendre part13. La Commission européenne a mis un certain
temps à réfléchir sur création d’un cadre juridique optionnel pour les accords transnationaux
d’entreprise en Europe et, en 2011, elle a nommé un nouveau groupe d’experts qui a élaboré une
proposition concrète en ce sens. La Commission européenne considère dorénavant ces accords
comme étant « cohérents avec les principes et objectifs qui sous-tendent l’agenda européen sur la
flexicurité et la Stratégie UE 2020 ».
Ce rapport résume les conclusions découlant des activités du projet EUROATCA, consacré au
thème des accords d’entreprise transnationaux. Avec le soutien de la Commission européenne par le
biais de la ligne budgétaire consacrée aux relations professionnelles et au dialogue social, ce projet
a été initié et coordonné par l’IRES italien en partenariat avec la plus importante confédération
syndicale italienne, la CGIL, l’Association "Bruno Trentin", l’IRES Emilia-Romagna et
l’Université de Cassino pour l’Italie, ASTREES et l’IRES pour la France, la Fondation 1° de Mayo
pour l’Espagne, Solidarność pour la Pologne, ISTUR-CITUB pour la Bulgarie, l’Université de
Hambourg pour l’Allemagne. La CES et le syndicat des cols blancs suédois TCO, ont pour leur part
apporté un soutien externe au projet. Grâce à ce vaste réseau d’organisations reconnues, nous avons
pu bénéficier de l’apport d’experts14 qui sont à l’origine d’ouvrages figurant parmi les œuvres les
plus reconnues dans notre domaine d’étude15.
L’action d’EUROATCA avait pour but d’explorer la diffusion, les pratiques et les aspects
juridiques liés à l’expérience des AET. L’objectif visé était de soumettre ces expériences à une
double analyse : a) de vérifier l’efficacité des accords conclus, et b) de vérifier – par une recherche
documentaire et des études de cas – si les solutions retenues jusqu’ici sont en accord avec les
opportunités et contraintes découlant des lois et coutumes actuelles au niveau international,
européen et national.
Pendant une année nous avons organisé deux ateliers, un à Paris, l’autre à Gdansk ainsi qu’une
conférence finale à Rome où nous avons approfondi l’étude dei certaines de ces questions. Avec
des experts, praticiens et représentants de partenaires sociaux nous avons tenté d’aborder la
conceptualisation des expériences, typologies, profils juridiques et la nature même de certains cas
concrets d’accords transnationaux (Axa, Areva, GDF Suez, Schneider, Electrolux, Ford, GM
Europe). En même temps, nous avons mené deux études de cas sur les AET chez ArcelorMittal et
11
S. Sciarra, Uno sguardo oltre la Fiat. Aspetti nazionali e transnazionali nella contrattazione collettiva oltre la crisi,
“Riv. Ital. Dir. Lav.”, III, 2011
12
S. Sciarra, Collective Exit Strategy: New Ideas in Transnational Labour Law, WP Jean Monnet n. 4/2010
13
Ce groupe est composé de syndicalistes européens du plus haut niveau, ayant de l’expérience au niveau national ainsi
qu’européen. La CES et certains affiliés nationaux étaient directement impliqué en tant que membre à part entière ou
adjoint. Ces organismes, l’un relié à la Commission européenne et l’autre au syndicalisme européen, ont chacun élaboré
leur perspective sur le sujet.
14
Des universitaires comme, parmi d’autres, Edoardo Ales, Udo Rehfeldt, Volker Telljohann, Reingard Zimmer étaient
directement impliqués dans le partenariat du projet tandis que André Sobszack, Isabel da Costa, Claude Emmanuel
Triomphe, Marco Cilento, Jakub Stelina, Barbara Surdykowska, Tiziano Treu, Silvana Sciarra, Anna Alaimo, Mimmo
Carrieri, Ricardo Rodriguez et d’autres encore – experts et praticiens – sont intervenus et ont participé activement à nos
ateliers.
15
I. da Costa et U. Rehfeldt, Transnational Restructuring Agreements : General Overview and Specific Evidence from
the European Automobile Sector, in Papadakis (ed.), 2011, cit.; V. Telljohann, I da Costa., T. Müller, U. Rehfeldt, R.
Zimmer, European and International Framework Agreements. Practical Experiences and Strategic Approaches,
Eurofound, Dublin, 2009; E. Ales, S Engblom., S. Sciarra, Valdes Del-Re, Transnational collective bargaining: past,
present and future, European Commission, 2006.
5
Volkswagen, pour mieux cerner leurs impacts dans les pays des partenaires où ces deux grands
groupes disposent de filiales.
2. Une définition provisoire de la dimension transnationale des relations professionnelles
Le premier constat à tirer de nos activités confirme l’existence d’un large éventail d’AET et la
diversité des expériences. Même le mot « accord », pour ne prendre qu’un exemple, n’apparaît
explicitement que dans certains textes (beaucoup d’autres lui préférant des expressions comme
déclarations communes, perspectives communes, prise de position commune etc.). Les accords ont
cela en commun qu’ils sont tous composés d’engagements réciproques ayant vocation à s’appliquer
dans plusieurs États membres et qu’ils sont conclus entre un ou plusieurs représentants d’une
entreprise ou d’un groupe d’entreprises d’une part, et un ou plusieurs représentants des travailleurs
de l’autre. Ils portent sur des conditions de travail et d’emploi et/ou les relations entre les
employeurs et les travailleurs ou leurs représentants.
L’essentiel de ces textes se trouve dans leur bilatéralité et le fait qu’ils sont négociés, marquant
ainsi leur différence par rapport aux codes de conduite et autres documents de nature unilatérale à
travers lesquels l’entreprise décide d’assumer le concept de responsabilité sociale (RSE). Ils
peuvent en quelque sorte servir d’alternative à une approche unilatérale de la RSE.
Un accord collectif est défini comme étant transnational lorsqu’il est conclu entre les
représentants de travailleurs et une entreprise transnationale et lorsqu’il couvre plusieurs pays. Cette
dimension transnationale doit être distinguée d’autres types d’accords. Nous suggérons une
première définition obtenue à partir de déductions « positives » et « négatives » des dimensions
classiquement utilisées pour rendre compte de la fonction régulatrice des relations professionnelles :
dimensions nationale, supranationale et internationale.
a) La dimension nationale des relations collectives (pouvant être institutionnalisée et tripartite) se
définit comme celle qui est créée (souvent au sein d’un cadre juridique existant ou dans un contexte
de règlements légaux) par des partenaires sociaux agissant à n’importe quel niveau et dont les règles
(qu’elles soient unilatérales ou négociées) sont (ou du moins pourraient être) applicables aux
travailleurs et employeurs qui sont basés où qui opèrent à l’intérieur des frontières d’un état
souverain.
b) La dimension supranationale (et institutionnalisée) des relations collectives se définit comme
celle qui est créée par les partenaires sociaux européens dans le contexte d’un dialogue social
communautaire avec comme objectif de modifier les systèmes juridiques nationaux au niveau
sectoriel ou intersectoriel, y compris en organisant un lobbying auprès des institutions de l’Union
européennes.
c) La dimension internationale des relations collectives (véritablement institutionnalisée et
tripartite) se définit comme celle qui s’est développée dans le contexte de l’Organisation
internationale du travail (OIT) et qui revêt un caractère formel au travers des déclarations,
conventions et recommandations de cette organisation.
d) La dimension transnationale se définit ainsi comme celle qui est multinationale et créée par les
représentants de travailleurs et les entreprises (ou par une seule entreprise) lorsqu’ils conviennent de
règles (ou les acceptent) allant au-delà du contexte national (une différentiation « positive » de la
dimension nationale), sans pour autant ressortir des dimensions supranationale ou internationale
précédemment définies (une différentiation « négative » de la dimension supranationale ou
internationale).
Les AET sont européens (accord cadre européen – ACE) lorsqu‘ils sont signés par une des
organisations européennes et internationaux (accord cadre international – ACI) lorsque les
signataires sont des syndicats internationaux. Les entreprises sont en général représentées par leur
direction du groupe. Les cosignataires du côté des travailleurs sont souvent les comités d’entreprise
européens (CEE), parfois seuls (51 AET), parfois avec les fédérations syndicales européennes
(FSE) (23) et/ou des fédérations syndicales internationales (FSI), des organisations nationales ou
6
des représentants du personnel (17), ce qui suscite dans certains cas des problèmes de légitimité et
de liens entre différents niveaux de représentation.
Un inventaire de ces accords16 nous montre que le premier, conclu au sein du groupe Danone,
date de 1988. Le dernier décompte en date nous donne actuellement un total de 225 accords pour
150 entreprises (dont 86 européennes), surtout en France (55), en Allemagne (23), aux Etats-Unis
(18) et, loin derrière, en Suède (13), Belgique (13) et Italie (12). Tous les secteurs sont impliqués
bien que ces accords soient plus fréquents dans les secteurs de la métallurgie, de l’alimentation et
des finances. Au moins 10 millions d’employés sont ainsi couverts par un accord de ce type.
Les pratiques donnant lieu au déclenchement ou à la gestion de ces négociations transfrontalières
sont assez variées. Un grand nombre d’ACE ont été signé par des CEE (51), des syndicats
nationaux ou des représentants du personnel (17) et des FSE (23). Ces organisations négocient
parfois seules ou peuvent coopérer ensemble mais à partir de différentes structures et procédures.
Comme nous avons pu l’observer, les textes ont tendances à être le reflet des modèles et
pratiques du pays où se trouve le siège social de l’entreprise mère (ce à quoi réfère l’expression
«effet pays d’origine »). Nous le savons, l’internationalisation ne s’arrête pas aux frontières
nationales. Souvent des décisions majeures sont prises, non pas dans le pays concerné, mais au
niveau du siège social du groupe qui peut être situé sur un autre continent. Les facteurs significatifs
qui entrent alors en jeu sont, parmi d’autres : les différents degrés d’institutionnalisation des
relations professionnelles ; les différents systèmes de négociation collective ; les niveaux et
procédures d’extension, la nature et les droits des représentants syndicaux sur le lieu de travail, le
taux de syndicalisation, les différents styles et pratiques de relations professionnelles dans le pays
du siège de l’entreprise ou du groupe, et les modalités d’organisation des structures syndicales. Pour
arriver à négocier et conclure des AET un des moteurs essentiels est la confiance réciproque entre
les parties. Qui plus est, il est évident que la cohésion de syndicats venant de pays différents est
toujours un enjeu important lorsque l’on envisage de négocier des AET.
Ces textes traitent une grande diversité de questions : restructurations et anticipation du
changement ; droits fondamentaux au travail de l’OIT ( non-discrimination, liberté d’association,
négociation collective, , travail des enfants, travail forcé) ; mesures d’accompagnement des
changements affectant les organisations productives (formation, mobilité professionnelle externe et
interne, etc.) ; politiques de gestion des ressources humaines ; santé et sécurité des salariés ; droits
syndicaux ; dialogue social ; participation financière des salariés.
Les AET peuvent aussi être différenciés et classés comme étant de nature soit « procédurale »,
soit « substantielle »17. Dans le premier cas, qui est de loin le plus fréquent18, les AET mettent en
place des principes généraux pour gérer, par exemple, une éventuelle restructuration au sein du
groupe. Dans le deuxième, par contre, nous sommes face à des règles substantielles, ainsi
notamment de la gestion de cas particuliers de restructuration au sein d’un groupe par le biais de
clauses concrètes et contraignantes. Ces derniers sont nommés Accords de restructuration
transnationaux (ART). C’est probablement dans le secteur de l’automobile (DaimlerChrysler, Ford
Europe, General Motors Europe) que l’on trouve le plus grand nombre d’accords de ce type. Une
étude comparative des AET actuels nous montre que le contenu des ACE est plus varié et riche que
celui des ACI, les thèmes principaux étant la restructuration, le dialogue social ainsi que la santé et
la sécurité des salariés. Les droits sociaux fondamentaux ne jouent qu’un petit rôle dans les ACE
tandis qu’ils jouent un rôle prépondérant dans les ACI. Comme les ACI, certains ACE ne sont que
des déclarations de compréhension mutuelle, tandis que d’autres sont assez détaillés et servent à
codifier des mesures concrètes à mettre en œuvre. Aujourd’hui, un nombre croissant d’accords ne
se limitent pas au traitement de thématiques que l’on peut qualifier de consensuelles mais abordent
au contraire des questions classiques pour la négociation collective, ainsi par exemple des accords
16
A. Sobczack, Chiffres présentés à l’atelier EUROATCA à Paris en 2011 ; Commission européenne, Database on
transnational company agreements, April 2012. http://ec.europe.eu/social/main.jsp?catId=978&langId=en
17
I. da Costa et U. Rehfeldt, Transnational Restructuring Agreements, dans K. Papadakis. (ed.), op. cit..
18
Il y a deux fois plus d’AET d’ordre procédural (35) que substantiel (17), même si l’on exclut les ACI : 27 et 17
7
relatifs aux restructurations qui incluent généralement des dispositions visant à organiser la
réduction des effectifs dans différents sites de production.
La « seconde génération » des AET témoigne ainsi d’un élargissement du contenu substantiel
des accords bien que les chiffres restent encore très limités. La très récente Charte mondiale sur les
relations de travail chez Volkswagen est sans doute un des meilleurs exemples de cette nouvelle
génération de textes en ce qu’elle comprend une Déclaration des droits conduisant notamment à la
reconnaissance de droits à la codétermination (sur le modèle allemand) sur un nombre important de
questions. Nous avons approfondi ces éléments dans une de nos deux études de cas et avons noté
l’effet innovant d’un tel accord, fondé sur la valorisation de certaines caractéristiques propres à un
système national particulier – ici la codétermination allemande – dans un pays comme l’Italie (sur
les sites Lamborghini et Ducati du groupe). Ce type d’innovation offre en effet une alternative à
l’approche controversée de la gestion des restructurations et des relations professionnelles par le
groupe Fiat. Les AET au sein de GDF, AXA, Areva et ArcelorMittal, ce dernier faisant l’objet
d’une analyse particulière au sein de notre projet, démontrent pour leur part qu’il est possible de
conclure des accords afférents à des restructurations lourdes dans une perspective d’anticipation du
changement. Mais, ainsi que nos analyses le soulignent, certains de ces exemples attestent aussi du
fait que la crise pèse lourdement sur les bases consensuelles qui ont inspiré la négociation des
accords. La coordination syndicale en Europe pourrait ainsi se voir gravement menacée par des
suppressions d’emplois principalement décidées et mises en œuvre au niveau national. Bien que
nous n’ayons pas pu obtenir des données exactes à ce sujet dans le cadre de notre étude, la
concurrence interne entre les différents sites de production d’un groupe tel qu’ArcelorMittal semble
être assez vigoureuse, parfois même au sein d’un seul Etat. De tels facteurs peuvent sérieusement
entraver la cohésion syndicale à travers l’Europe.
3. Un cadre juridique pour les accords collectifs transnationaux en Europe
Ces premières réflexions nous conduisent logiquement à examiner la question centrale de la
nature juridique de ces accords. Toutes les études menées par des experts juristes, représentés y
compris dans notre partenariat, ont montré à quel point il est difficile de déterminer la portée
juridique transfrontalière réelle des AET. Comme nous le savons, ces derniers ne s’appuient sur
aucun cadre juridique particulier en droit communautaire ni, a fortiori, en droit international. Ce
sont des accords « sui generis » qui sont initiés et mis en œuvre de façon autonome. Ils trouvent le
plus souvent leur raison d’être dans plusieurs éléments comme, par exemple, lorsqu’une société
tend à conforter la réputation de sa marque au moyen de sa politique de responsabilité sociale. Ils
peuvent aussi résulter de la pression exercée par des syndicats nationaux et internationaux dans des
cas de restructurations importantes pour limiter la concurrence entre différents systèmes nationaux
et éviter ainsi le dumping social. Ceci dévoile alors un certain dynamisme des syndicats
internationaux pour construire de nouveaux outils adaptés aux relations professionnelles
transnationales.
En l’absence de normes internationales spécifiques, il est possible de voir les accords
transnationaux comme des tentatives simplifiées de reproduire les principes complexes du droit
international privé19, sans pour autant en faire des dispositions contraignantes pour les directions
locales. Ils sont habituellement sujets au droit commun et à des principes de base : la lex posterior,
la lex specialis, le principe de faveur et la faculté de déroger à une norme supérieure si cette
dernière le permet. Généralement, il existe une présomption d’influence déterminante de la société
mère sur ses filiales locales. Ces accords retirent communément leur force du fait que les groupes
de signataires peuvent faire pression les uns sur les autres pour que les engagements signés soient
respectés. Plus ces engagements sont clairs, plus il est facile de les faire appliquer. L’effet
contraignant des AET varie donc en fonction de la volonté des parties signataires. Le cadre établi
19
van Hoek et A. Hendrickx, op. cit:
8
par les AET est mis en œuvre au niveau national, ce qui permet aux stipulations des accords de
revêtir, le cas échéant, une force contraignante. Cependant, les différences entre les systèmes
juridiques nationaux autorisent une application très diversifiée de ces accords d’un pays à l’autre,
d’un lieu à l’autre. Tout ceci mène invariablement à des résultats assez divers, rendant l’effectivité
des AET problématique, pour ne pas dire aléatoire. La « nationalisation » des impacts de ces
accords peut aussi affecter la nature proprement transnationale de ces derniers. Qui plus est, les
textes sont souvent génériques ce qui rend leur mise en œuvre difficile pour les acteurs nationaux, et
surtout pour les syndicats lorsqu’ils revendiquent la transposition et l’effectivité des engagements
adoptés.
En revanche, l’absence de statut légal reconnu n’a pas entravé le développement des AET. Dans
le contexte de l’UE, le rôle et les fonctions reconnus par le droit européen à l’autonomie collective
des partenaires sociaux sont considérables20.Cela concerne l’information, la consultation, la
participation et l’association à la définition des politiques européennes. Les droits de participation
des CEE, et aujourd’hui les AET, constituent des outils essentiels pour faciliter le processus de
socialisation entre les responsables syndicaux et les représentants des salariés à travers l’Europe (et
éventuellement à travers le monde entier)21. Il est estimé qu’il y a actuellement environ 15,000
représentants des travailleurs dans les CEE qui pourraient certainement servir d’épine dorsale pour
le développement de nouvelles relations professionnelles transnationales, si toutefois ils étaient
mieux exploités.
Les AET peuvent être perçus comme faisant partie intégrante du dialogue social et des relations
professionnelles en Europe. Selon la Commission européenne, l’émergence des AET dans le
dialogue social européen devrait être promue en accord avec les compétences définies par le Traité
(art. 152 et 153) et la Charte des Droits fondamentaux (art. 28). Ce dernier article établit « le droit
de négocier et de conclure des conventions collectives aux niveaux appropriés ». Par ailleurs,
l’article 4 de la Convention 98 de l’OIT, l’Article 6 de la Charte sociale européenne et l’Article 11
de la Charte des Droits fondamentaux attribuent aux syndicats le droit de négocier collectivement,
ce dernier texte incluant ce droit depuis la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme
Demir & Baykara22.
L’ex. article 139 du Traité d’Amsterdam (TCE) (l’actuel article 155 du Traité de Lisbonne
TFUE) dispose que le dialogue social européen peut aboutir à la conclusion d’accords volontaires
ou autonomes – intersectoriels ou sectoriels – dont l’application repose sur « les procédures et
pratiques propres aux partenaires sociaux et aux États membres ». Nous pouvons ainsi considérer
les AET comme appartenant à la catégorie des accords autonomes, en regard du droit européen,
comme alternative à la réglementation tripartite d’inspiration néo-corporatiste qui, jusqu’à présent,
a permis au dialogue social européen d’atteindre ses meilleurs résultats. Il est clair néanmoins que la
question de « l’efficacité » des AET reste entière par rapport à d’autres formes de dialogue social
européen. Les accords d’entreprise transnationaux conservent ainsi un statut juridique incertain et
sujet à contentieux 23.
Les AET, et surtout les ACE, ne sont pas (entièrement) déconnectés des autres niveaux du
dialogue social. Certains ACE s’inspirent d’autres accords interprofessionnels ou sectoriels issus du
dialogue social européen. D’autres offrent une extension transfrontalière à des accords nationaux.
On peut aussi supposer que la consolidation d’expériences de négociation au niveau d’un groupe
dans un secteur donné peut avoir des retombées positives sur le dialogue social de l’ensemble de ce
secteur.
20
B. Caruso e A. Alaimo, Il contratto collettivo nell’ordinamento dell’UE, WP “CSDLE”, n. 87/2011.
R. Jagoddzinski, EWC after 15 years – success or failure? “Transfer”, 17 (2), 2011; J. Waddington, EWC: the
challenge for labour, Industrial relations journal, vol. 42, Issue 6, 2011
22 ECHR, 12.11.2008 (no. 34503/97), AuR 2009, p. 269 ff.
23
A. Lo Faro, Bargaining in the Shadow of “Optional Frameworks”? The Rising of Transnational Collective
Agreements and EU Law, “EJIR”, 2011
21
9
4. La question de « l’efficacité »
Pour les salariés et leurs syndicats, la question de l’efficacité des accords reste centrale. Comme
le dit un spécialiste : « La question de l’efficacité des AET demeure relativement irrésolue pour les
autres types de produits du dialogue social européen, que ce soient les accords autonomes –
intersectoriels ou sectoriels - dont la mise en application dépend des « procédures et pratiques
propres aux partenaires sociaux et aux États membres, ou les accords d’entreprise transnationaux
dont le statut légal est sans aucun doute le plus incertain et problématique » 24.
Le rapport Ales25 ainsi que, plus récemment, celui du Groupe d’experts de la Commission
européenne26 sont favorables à une approche « flexible », tout en réclamant une intervention
réglementaire qui fournirait un cadre juridique aux accords. On réussirait ainsi à « négocier dans
l’ombre de la loi » 27 selon la formule de Brian Bercusson. Nous ne serions dès lors pas très éloignés
de ce que l’on a pu qualifier de « législation auxiliaire »28. L’objectif serait de passer de textes
purement déclaratifs à des textes dotés d’un effet véritablement contraignant. Parmi nos experts en
droit, une majorité prône une approche « dure» fondée sur l’adoption d’un règlement ou d’une
directive communautaires en la matière.
Selon le principe d’attribution des compétences (Article 5.2 du TCE, 7 du TFUE) l’UE ne peut
agir que dans le cadre défini par les traités. Dans le contexte des compétences partagées, dans les
domaines du marché intérieur, de la politique sociale et de la cohésion économique (Article 4.2 du
TFUE), l'Union peut prendre des initiatives pour assurer la coordination des politiques sociales des
États membres. (Article 5.3 du TFUE) et elle soutient et complète l'action de ces derniers (Article
153.1 TFUE). Cette compétence s’applique aussi à la représentation et la défense collective des
intérêts des travailleurs et des employeurs, y compris la codétermination, car selon l’Article 153.5
du TFUE, l’Union n’a aucune compétence juridique sur les rémunérations, le droit d'association, le
droit de grève, ni le droit de lock-out.
On peut donc se demander si l’Union européenne dispose d’une compétence pour établir un
cadre juridique européen pour les AET. L’idée d’un cadre européen optionnel pour la négociation
collective transnationale est apparue pour la première fois en 2005 dans l’Agenda social
(COM(2005) 33 final). À cette époque, la proposition de la Commission européenne de définir un
cadre optionnel pour des négociations d’entreprise transnationales a été rejetée par les partenaires
sociaux. La Commission a donc retardé toute action à ce sujet et a établi un Groupe d’experts sur
les AET, composé d’experts nommés par les syndicats, les associations d’employeurs, les
gouvernements et d’autres institutions internationales. Le Groupe devait évaluer les
développements en la matière et échanger des informations pour soutenir le processus en cours. Le
Groupe d’experts a terminé son étude en octobre 2011et son rapport final a le mérite d’aborder les
aspects les plus discutés et d’évoquer certaines options politiques que les partenaires sociaux
peuvent choisir d’adopter, de rejeter ou d’examiner de plus près. De premiers éléments conclusifs
ont été avancés par la DG Emploi, Affaires sociales et Egalité des Chances.
Son texte souligne quatre domaines clés sur lesquels les partenaires sociaux peuvent travailler et
agir : 1) La reconnaissance du rôle des AET et la contribution à leur développement ; 2) Le soutien
aux acteurs des AET et la définition précise de leurs rôles respectifs ; 3) La promotion de la
transparence des AET ; 4) L’amélioration de la mise en œuvre des AET et des liens avec d’autres
niveau du dialogue social.
24
Idem
Ales E, Engblom S., Sciarra S., Valdes Del-Re, Transnational collective bargaining: past, present and future, Final
Report, European Commission, 2006.
26
Expert Group, Transnational Company Agreements. Draft elements for conclusions of DG Employment, Working
Document, Expert Group, Transnational Company Agreements. Draft elements for conclusions of DG Employment,
Working Document, 5 October 2011.
27
B. Bercusson, Maastricht: a fundamental change in European Labour law, “Industrial Relations Journal”, 23 (3),
1992
28
S. Sciarra, Collective Exit Strategy, op. cit.
25
10
D’autres études29, auxquels le Groupe s’est référé, distinguent trois options pour la construction
d’un cadre juridique européen des AET :
1) Uniformiser les effets juridiques des AET dans tous les Etats membres. L’option la plus
ambitieuse serait certainement de définir un cadre juridique uniforme emportant les mêmes effets
légaux des AET sur les accords collectifs européens dans tous les états membres. C’est une option
qui garantirait de la façon la plus efficace un effet équivalent des AET dans les différents Etats
membres. Les défis inhérents à cette solution sont cependant clairs, compte tenu des différences
importantes entre les nombreux systèmes en Europe.
2) Faire varier l’effet juridique des AET selon la volonté des parties. Une autre option voit
l’effet juridique des AET varier selon la volonté des parties. La Directive européenne ne ferait
qu’établir un cadre juridique disposant de règles de procédure à insérer dans les droits nationaux.
L’effet juridique, la portée etc. dépendraient des différentes régulations nationales. L’avantage
d’une telle solution serait une meilleure flexibilité au bénéfice des parties à l’AET. Elle aurait
cependant pour inconvénient majeur de favoriser une flexibilité porteuse d’’incertitude juridique.
Qui plus est, une formulation flexible qui toucherait la portée, l’effet juridique ainsi que le contenu
des accords collectifs européens risquerait de mettre les accords collectifs actuels en vigueur dans
les différents systèmes sous pression. On peut plus généralement questionner la nécessité même
d’une telle flexibilité des accords collectifs européens. Au bout du compte, les parties sont seules à
décider de l’accord collectif qu’elles veulent. C’est à elles de choisir différentes actions comme, par
exemple, l’usage d’une déclaration conjointe si elles souhaitent éviter certains effets juridiques.
3) Maintenir le même effet juridique que les accords d’entreprise établis au niveau national. Une
troisième option serait que les AET établis au niveau européen aient automatiquement les mêmes
effets juridiques dans les états membres que les accords d’entreprise conclus au niveau national. Les
accords collectifs européens ne seraient donc différents des accords collectifs internes (nationaux)
qu’en regard de leurs négociateurs et, le cas échéant, de leur contenu. La technique juridique à
considérer ici est partiellement celle de « l’adhésion », selon laquelle les parties doivent en fait
appliquer un accord au niveau national qu’elles n’ont pas négocié ni signé elles-mêmes. Il faudrait
donc que les organisations nationales affiliées donnent un mandat aux fédérations syndicales
européennes de branche pour que ces dernières négocient en leur nom. Cette solution aurait
l’avantage de tenir compte de la diversité des relations professionnelles et des systèmes juridiques
d’un état membre à un autre. Elle pourrait par contre se heurter à des obstacles affectant la portée
contraignante des AET si, par exemple, les acteurs nationaux étaient contre le contenu d’un accord
collectif européen et décidaient donc de boycotter sa mise en application au niveau national.
Le Groupe d’experts EUROATCA a discuté en profondeur de certains défis découlant de la
situation actuelle, caractérisée par l’absence de règles formelles et légales régissant les AET. Est-ce
une invitation à la négociation, ou un obstacle à leur efficacité ? L’abstentionnisme et le
volontarisme suffisent-ils ou un cadre juridique pour l’Union européenne est-il nécessaire ? Y a-t-il
des alternatives ? Comment protéger l’autonomie des partenaires sociaux ? Les mesures de contrôle
et de suivi sont-elles suffisantes pour garantir l’efficacité des accords ? Comment passer de
l’expérimentation à des dispositifs plus stables ou pérennes ?
Au sein du Groupe d’experts EUROATCA, nous considérons que la portée des AET est
durablement affectée par l’absence d’un niveau adéquat de sécurité juridique. Actuellement, la mise
en application entièrement volontaire des accords est sans doute nécessaire afin de préparer le
terrain pour des relations professionnelles véritablement internationales, mais elle ne suffit pas pour
a) encourager une large diffusion de ces accords, ni pour b) assurer une transnationalité réellement
efficace et une application homogène des accords conclus au niveau local.
Les parties devraient spécifier explicitement le caractère contraignant ou non-contraignant des
engagements pris. Au-delà, il faudrait également dégager de nouvelles solutions qui engloberaient
la gestion des conflits et la résolution des litiges afférents aux accords.
29
Rodríguez, Ahlberg, Davulis, Fulton, Gyulavári, Humblet, Jaspers, Miranda, Marhold, Valdés, Zimmer, Study on the
characteristics and legal effects of agreements between companies and workers' representatives, 2012.
11
Nous pensons qu’il est également indispensable que tous les textes mettent en place des
procédures internes » pour identifier et traiter les éventuels manquements aux stipulations des
accords, par le biais de formes d’arbitrage et de médiation. Il faudrait aussi, par exemple, inclure
des dispositions autonomes relatives à la mise en œuvre et l’application des accords, sur le modèle
de la Directive de 2006 sur le silicium30. Actuellement, seuls certains AET intègrent des clauses de
choix de la loi ou des clauses attributives de juridiction, alors que ceux disposant de mécanismes
pour la résolution des litiges sont encore rares. Aujourd’hui, les tribunaux seront plus sensibles aux
arguments doctrinaux relatifs à la loi et à la procédure applicables qu’aux véritables intérêts en
cause. Le fait qu’il n’existe pas de section « travail » au sein de la Cour de justice de l’Union
Européenne, ni de juridiction ordinaire compétente pour statuer sur les litiges afférents à
l’application des AET nous conduit à dire qu’il serait utile de créer un organisme de
conciliation/arbitrage tripartite au niveau européen. Ce dernier pourrait être accessible sur une base
volontaire et ses décisions n’empêcheraient pas les parties en litige de saisir un tribunal « officiel ».
La meilleure solution serait peut-être ainsi de permettre l’émergence d’une « jurisprudence
transfrontalière » (qui pourrait même être privée) pour faciliter l’appréhension juridique de telles
pratiques en regard des intérêts européens des acteurs concernés.
5. Les difficultés inhérentes à l’établissement d’un cadre juridique
Le souhait de promouvoir une forme d’interventionnisme juridique se heurte cependant à une
série d’obstacles. Les associations d’employeurs à tous les niveaux refusent toute solution allant audelà du volontarisme intégral actuellement en vigueur31. Et c’est là sans doute le plus grand obstacle
au développement et à l’évolution juridique des AET. Il faut néanmoins ajouter que nous avons pu
relever une forte résistance de la part de certains syndicats nationaux qui voient dans les AET des
sources de régression possible par rapport aux normes et procédures locales. Les syndicats
scandinaves sont ainsi ouvertement réticents vis-à-vis de l’adoption d’une telle approche et d’autres
aspects porteurs d’un déplacement de la souveraineté de la négociation collective vers un niveau
supranational. Dans certains cas, les différences stratégiques entre syndicats se manifestent de façon
assez dramatique, comme dans le cas du plan de restructuration mondiale chez Electrolux32, mais
elles peuvent aussi se traduire de façon plus indirecte, même quand le syndicat concerné est
beaucoup plus pro-européen, comme dans le cas de Siemens.
En raison des différences dans la configuration des relations professionnelles dans les 27 Etats
membres de l’Union européenne, la négociation collective transnationale ne peut réussir que si elle
accompagne la négociation collective de chaque Etat membre. Plus précisément, la négociation
collective transnationale ne peut pas interférer avec les différents systèmes.33 C’est un énorme défi
que de créer un cadre juridique dans ces conditions. Le point le plus difficile à régler tient à ce que
les accords collectifs ne disposent pas de la même valeur juridique dans les différents états
membres. Ces accords n’ont pas en eux-mêmes une portée contraignante dans tous les pays, portée
qui leur donnerait un effet direct au bénéfice des employés. Dans certains cas, l’effet juridique
contraignant n’est obtenu que lorsque le contenu de l’accord collectif est intégré dans le contrat de
travail du salarié. En Grande Bretagne ils sont tout simplement perçus comme des engagements sur
l’honneur. Qui plus est, certains Etats membres possèdent plus d’un type d’accord d’entreprise34.
Au niveau de l’entreprise, on distingue en Europe des accords collectifs directement applicables,
des accords volontaires ou des accords issus de procédures de codétermination négociés par les
30
B. Caruso e A. Alaimo, Il contratto collettivo nell’ordinamento dell’UE, WP “CSDLE”, n. 87/2011
R. Janssen, Transnational employer strategies and collective bargaining: the case of Europe, “International Journal
of Labour Research”, Vol. 1, Issue 2, 2009.
32
V. Telljohann, Processi di delocalizzazione nel settore europeo degli elettrodomestici e forme di regolazione sociale,
in “Sociologia del lavoro”, n. 123/2011
33
Voir le Rapport Ales.
34
C’est le cas dans les pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France,
Grèce, Lituanie, Luxemburg, Pologne, Portugal et Romanie.
31
12
syndicats ou conseils d’entreprise, comme par exemple, dans ce dernier cas, dans les systèmes
duaux en Allemagne et en Autriche35.
En regard de la diversité des pratiques actuelles de négociation collective, il faudrait donc faire
preuve de pragmatisme pour dégager la meilleure façon de garantir l’efficacité des AET, en
adoptant par exemple des codes de conduite pour les négociations, des lignes directrices communes
partagées par les syndicats avant la signature de tels accords.
La Commission européenne, mais aussi la CES, sont d’avis que l’établissement d’un cadre
réglementaire optionnel est une option politique. Le mouvement syndical européen, de son côté,
cherche à mieux identifier le phénomène pour définir une position commune sur la façon dont la
négociation transfrontalière devrait se dérouler. De manière générale, ce à quoi il faut urgemment
aboutir, c’est à une coopération et une coordination plus forte de la négociation au sein des
entreprises transnationales. Le comité exécutif de la CES avait déjà abordé cette question de la
négociation transfrontalière avec les multinationales en 2006. Le groupe d’experts de la CES avait
alors évoqué certaines options politiques telles que a) la reconnaissance du rôle des AET et la
contribution à leur développement ; b) le soutien aux acteurs des AET et la définition précise de
leur rôle ; c) la promotion de la transparence des négociations ; d) l’amélioration des liens avec
d’autres niveaux du dialogue social ; e) la prise en compte des dimensions juridiques, y compris la
résolution des litiges et la gestion des conflits. En juin 2012, un document d’orientation a été adopté
par le comité exécutif de la CES, relatif à un cadre réglementaire optionnel. Celui-ci s’appuie sur la
capacité autonome des syndicats « à encourager le développement efficace de la négociation
collective transnationale ». Il est recommandé de toujours prendre des précautions comme, par
exemple :
 Il existe un intérêt à approfondir des éléments aptes à renforcer la solidité intrinsèque des
ACE en ce qui concerne leur force exécutoire et leur validité juridique ;
 Tous les accords signés doivent préciser clairement leurs lieu et date de signature. La date
d’expiration des accords doit aussi apparaître ;
 Les deux parties signataires (les représentants des salariés et représentants des employeurs)
doivent être mandatés afin de prouver leur capacité d’engagement et de garantir la
légitimité des négociations ;
 Les parties doivent clairement exprimer leurs intentions, surtout en ce qui concerne les effets
juridiques qu’ils souhaitent obtenir en signant un ACE. Les engagements « contraignants »
doivent être facilement repérables et clairement définis ;
 Une clause de “non régression” doit toujours être incluse pour prévenir de potentiels conflits
entre les accords collectifs nationaux/locaux d’un côté, et l’ACE de l’autre. Les parties
devraient aussi tenir compte des conflits possibles avec les lois ou les accords collectifs des
pays où l’ACE doit entrer en vigueur ;
 Les objectifs et les bénéficiaires de l’accord doivent être clairement explicités. Notamment,
les parties doivent distinguer les clauses qui comportent des obligations mutuelles (partie
obligatoire) et celles qui produisent des effets pour les salariés (partie normative) ;
 Les procédures de mise en œuvre doivent être détaillées. En particulier, les parties doivent
définir les conditions nécessaires à l’activation des effets juridiques d’un ACE (en
considérant notamment une mise en œuvre par le biais d’accords collectifs nationaux) et
déterminer quelles procédures peuvent garantir sa bonne application ;
 Des procédures pour gérer les conflits éventuels doivent aussi être prévues.
Le document de la CES fait suite à une forte demande de la part des organisations affiliées
afin de pouvoir renforcer la coopération et la coordination des négociations au sein des
multinationales. Le travail des fédérations syndicales européennes pourraient être mieux diffusé, y
compris pour ce qui concerne les procédures de négociation que ces dernières mettent en place. Le
35
Voir R. Rodríguez et al, op. cit.
13
rôle des syndicats dans la signature des accords transnationaux devrait être renforcé et la portée de
tels accords étendue afin de couvrir le cœur des conditions de travail. Il faut rationaliser la
coexistence d’une multitude d’acteurs à la négociation afin que les Fédérations syndicales
européennes soit les acteurs principaux de la négociation, seules habilitées à signer les ACE. La
transparence est indispensable et devrait probablement être apportée par les procédures et
mécanismes établies par les Fédérations syndicales européennes. Si le mandat est clair et facilement
« traçable », le processus tout entier sera rendu plus transparent et responsable.
Dans tous les cas, il serait utile de promouvoir les bonnes pratiques – et leur diffusion – en
suivant certains principes, normes et lignes directrices.
6. Le rôle des CEE et FSE
Malgré la diversité des opinions, les AET ont gagné en importance sur l’agenda syndical, surtout
dans le contexte européen. Récemment, il y a eu une augmentation rapide du nombre d’accords
conclus revêtant une portée européenne (les ACE). Les CEE ont été très actifs dans leurs
négociations avec les multinationales. Il a été dit que la flexibilité de la Directive sur les CEE
conduit à ce que les CEE puissent revêtir des structures différentes et pourraient donc accomplir
différentes fonctions. Il est notamment vrai que certains CEE regroupent uniquement des membres
syndiqués et peuvent ainsi répondre à tous les critères nécessaires pour devenir un organe de
négociation. Des CEE ont récemment conclu des ACE avec succès, et continueront de le faire à
l’avenir. Cependant, si l’objectif est d’encadrer les négociations transnationales engagées avec les
multinationales selon des procédures préétablies (même sur la base d’un ensemble de règles
optionnelles), l’expérience actuelle illustre clairement que les CEE ne peuvent guère servir de
structures syndicales fiables pour la négociation collective au niveau transnational.
Dans certains cas, les négociations ont été menées par des comités ad hoc (un ensemble de
syndicats nationaux ou de plusieurs types de représentants des salariés). Cette solution est
habituellement dirigée par un acteur dominant, comme le(s) syndicat(s) de l’entreprise mère ou
(pire encore) par l’entreprise elle-même. Cette solution ne peut apporter aucune garantie de résultat
proprement démocratique car elle n’est que la somme d’intérêts nationaux et ne découle pas d’une
représentation authentique d’intérêts paneuropéens.
L’option la plus convaincante de la dernière décennie est celle où des procédures et règlements
établis par les FSE font de ces fédérations les acteurs principaux et légitimes pour négocier et
conclure des accords ayant une portée transfrontalière. Plusieurs FSE ont déjà élaboré des
procédures internes pour mener des négociations avec des entreprises transnationales, afin de
marquer leur légitimité de négociateur et de partie signataire agissant pour les salariés.
Les éléments les plus récurrents des procédures mises en place par les FSE sont :
 La reconnaissance du rôle des CEE dans la création d’un environnement propice à la
négociation transnationale. Les membres syndiqués des CEE peuvent faire partie d’une
délégation européenne qui négocie un ACE, en tant que négociateurs mandatés par les
syndicats.
 Les FSE doivent être averties de la possibilité de lancer une négociation pour un ACE. Les
FSE assument un rôle directeur et signent les accords.
 Les syndicats nationaux doivent faire partie des négociations mais ils doivent insérer leurs
intérêts nationaux particuliers dans des procédures adoptées au niveau européen.
 Arriver à un consensus est le principe de base. Afin d’y incorporer des éléments
démocratiques dans le contexte d’intérêts divergents, la règle de la majorité des deux tiers
s’applique dans chaque pays. La minorité de blocage doit atteindre le seuil de 5% de la
main-d’œuvre.
 Les procédures et la formation du mandat renforceront la légitimité des accords et
faciliteront leur mise en œuvre au niveau national.
14

L’information sur les négociations en cours et leurs résultats sont en principe transmis aux
comités exécutifs des FSE et d’autres organismes de coordination. La communication au
niveau national ainsi que la mise en œuvre d’accords collectifs au niveau national relève des
organisations nationales.
7. Les AET pour répondre aux transitions à court et long terme
L’évaluation des AET ne peut aujourd’hui contourner la question de leur représentativité, y
compris numérique, par rapport au nombre total (estimé ?) des multinationales. Comme nous
l’avons indiqué, il y a actuellement 225 accords relatifs à 150 entreprises transnationales. Nous
savons qu’il y a à peu près 1 000 CEE établis – alors qu’au moins 2 400 entreprises ou groupes sont
soumis aux prescriptions de la Directive de 2009. Si nous élargissons ce scénario au niveau
mondial – de nombreux AET ont en fait une telle portée – la CNUCED situe à 65 000 le nombre de
multinationales dans le monde36. Sur ces bases, nous ne pouvons que conclure à l’impact encore
très limité des AET aujourd’hui. Nous savons néanmoins que dans les relations de pouvoir actuelles
à travers le monde, où le déséquilibre entre les salariés et les dirigeants ne fait qu’augmenter, il
semble presque miraculeux que relativement si peu d’accords aient été signés. Ces derniers attestent
certainement d’un « dynamisme social » particulièrement précieux si l’on considère la lenteur ou
même l’absence de politiques à de nombreux niveaux.
Pour ceux qui sont déjà en vigueur, la difficulté majeure des AET se trouve dans leur mise en
application et leur efficacité, surtout par temps de crise et/ou lorsque les syndicats sont faibles
comme en Pologne, mais aussi dans des pays comme la Grande Bretagne où les dirigeants locaux
refusent souvent d’appliquer convenablement les AET. Au-delà de cette incertitude juridique, il faut
aussi tenir compte du réel affaiblissement de la force syndicale dans de nombreux Etats membres.
La négociation collective est de plus en plus une négociation de concession, décentralisée et
individualisée, tandis que dans beaucoup de pays nous observons une décroissance du taux de
syndicalisation et de la couverture conventionnelle37. Il est donc juste et nécessaire de parler de la
négociation d’entreprise transnationale, mais seulement si l’on comprend intégralement tous les
processus qui menacent la négociation collective sectorielle et multi-employeurs dans un nombre
croissant de pays.
En regard de ces constats, nous devrions avoir pour ambition de passer de textes purement
déclaratifs à des textes au contenu véritablement contraignant. Parmi nos experts en droit,
l’approche dominante cherche à promouvoir une solution centrée sur les « outils durs ». E. Ales
manifeste une faveur pour le Règlement tandis que R. Zimmer et d’autres penchent davantage pour
la Directive. L’objectif devrait être de créer des règles à partir de la pratique, avec en même temps
l’élaboration d’une sorte de jurisprudence supranationale, même de nature privée.
Les AET ont des conséquences profondes sur les relations professionnelles. Leur champ
d’application est en fait double : mondial, périmètre au niveau duquel le groupe opère ; local, dans
chaque site du groupe. Ils représentent donc l’archétype de la loi « glocalisée », pour citer
Robertson38. Le centre de gravité de la négociation se déplace et s’échappe (étant centrifuge) vers le
haut, au niveau des entreprises internationales, et vers le bas, au niveau de chaque entreprise. Selon
le modèle appelé « continental » des relations professionnelles – avec ses sous-espèces nordique
mais aussi méditerranéenne – le défi est qu’ils risquent de contourner la primauté traditionnelle du
milieu national typique : le niveau multi-employeurs de la négociation collective. Ceci pourrait
mener à un « corporatisme d’entreprise » – plus typique du modèle anglo-saxon et des nouveaux
36
M. Fichter, M. Helfen, K. Schiederig, Si può organizzare la solidarietà internazionale a livello aziendale? La
prospettiva degli International Framework Agreements (Ifa), in “Lavoro e partecipazione - Sociologia del lavoro”, n.
123/2011
37
M. Keune et V. Schmidt, op. cit.; e L. Baccaro et C. Howell, A common Neoliberal Trajectory. The transformation of
industrial relations in advanced capitalism, in “Politics & Society”, 2011.
38
R. Robertson, Globalization: Social Theory and Global Culture, 1992.
15
Etats membres – qui réduit l’espace de solidarité en aiguisant la concurrence entre les marques et
les entreprises dans un même secteur, un même pays, un même territoire. C’est pourquoi le contenu
et les effets des accords conclus à un niveau transnational n’ont pas affecté les accords collectifs
conclus sous l’empire des législations nationales. Des clauses de non-régression devraient être
intégrées à tous les textes.
Une autre question très délicate touche la légitimité des agents de la négociation : les acteurs
mandatés (qui négocie ?), la forme (comment ?), la mise en application et le suivi au niveau
national. Le risque pourrait être que rien ne garantit un processus démocratique adéquat puisque ce
qui domine c’est la somme des intérêts nationaux, privée de toute capacité authentique de
représentation des intérêts paneuropéens. Les syndicats internationaux, comme nous l’avons appris
lors de la conférence finale EUROATCA39, jouent trop souvent un rôle marginal pendant un
processus de négociation qui est dominé – selon cette perspective – par une approche « eurocentrique ». Ce qu’il faut éviter, c’est une approche qui procède strictement du sommet à la base,
ce qui risque d’être perçu par les partenaires sociaux comme une interférence ou une menace visant
le niveau local ou national où les décisions produisent en réalité leurs effets. Pour le Groupe
d’experts d’EUROATCA il est essentiel d’impliquer d’emblée tous les acteurs de la négociation, y
compris les FSE et les organisations nationales, par le biais d’un mandat précis, pendant les
négociations et au moment de la conclusion des accords.
L’aspect le plus critique est celui des CEE qui ne détiennent pas de mandat de négociation mais
qui ont très certainement joué un rôle majeur dans de nombreux accords que nous connaissons.
D’un autre côté, on pourrait dire que la flexibilité de la Directive sur les CEE, leur confère
différentes structures et leur permet ainsi d’exercer différentes fonctions. Cependant, ni la nouvelle
Directive 2009/38/EC, ni les lois nationales de transposition ne donnent une base juridique
permettant au CEE de conclure des AET, même si rien ne l’empêche si l’entreprise l’accepte. Pour
les ACE, la CES indique que l’ensemble des acteurs, les CEE, les syndicats nationaux et les
Fédérations syndicales européennes, doivent entretenir des activités complémentaires. Nous
pouvons en conclure que même si récemment ils ont légitimement conclu des ACE, les CEE ne
constituent pas à eux seuls un outil syndical adapté à la négociation collective au niveau
transnational. Les expériences les plus réussies au sortir de la dernière décennie attestent de
l’existence de procédures et de règlements de négociation établis par des FSE. Ceci fait des FSE des
acteurs majeurs pour la négociation et la signature d’accords d’une portée transnationale avec des
multinationales.
Ces éléments devraient être intégrés à une politique syndicale européenne visant une meilleure
coordination des stratégies de négociation collective. La CES a effectivement élaboré une nouvelle
résolution sur la coordination et les lignes directrices de la négociation collective et l’a adressée à
toutes ses organisations membres40. Les syndicats affiliés, d’Europe de l’Est surtout, demandent une
meilleure coopération et coordination des négociations au sein des entreprises transnationales. C’est
un objectif visé depuis la Conférence d’Helsinki mais qui ne semble pas encore avoir produit des
résultats adaptés aux défis auxquels les syndicats sont confrontés41.
39
C. Coletti, pendant des années membre de la Fédération internationale des organisations de travailleurs de la
Métallurgie, à Genève.
40
Voir la FEM - Procédure interne de la FEM pour les négociations au niveau des entreprises multinationales ;
Luxembourg, 13-14 juin 2006; la Déclaration sur une stratégie d’UNI-Europa Finance en matière de négociation
collective transnationale, adoptée à la Conférence d’UNI-Europa Finance, à Vienne, en Autriche, le 7 novembre 2008 ;
Procédure pour les négociations à l’échelon de l’entreprise multinationale, adopté au Comité Exécutif de la FSESP du 9
au 10 novembre 2009, à Bruxelles.
41
P. Scherrer, Unions still a long way from a truly European position, in W. Kowalsky et P. Scherrer, Trade unions for
a change of course in Europe, ETUI, Bruxelles, 2011
16
8. Entre le droit souple et le droit dur : les AET comme outils d’une « gouvernance
expérimentaliste »
Actuellement, les organisations internationales jouent un rôle sans précédent dans la
transformation des systèmes socio-juridiques de tous les Etats membres de l’Union européenne. Un
tel rôle peut être direct, par la transposition nationale de la loi européenne, et/ou indirect, par le rôle
– grandissant – exercé par le droit souple issu de la Méthode Ouverte de Coordination, par le biais
du benchmarking des meilleures pratiques et la comparaison statistique.
De ce point de vue, les AET sont un excellent exemple du processus de dépositivisation ou de
déjuridification qui marque de plus en plus l’évolution du droit mondial. Les dispositions qu’ils
établissent sont de plus en plus de nature procédurale. Ces textes représentent sans doute un
exemple typique de droit transnational, appelé « à basse définition » par Maria Rosaria Ferrarese
pour marquer la différence avec la « haute définition » de la tradition juridique du droit civil
moderne42. Nous serions alors confrontés à un droit « disloqué » et « périphérique »43, exprimé à
travers une diversité de sources et de procédures, où des acteurs privés contribuent à des formes de
gouvernance qui diffèrent de l’attitude typique du « droit normatif » qui définit clairement des
principes substantiels.
Nous avons pu entendre que « le droit souple » n’équivaut à « aucune loi », ou au mieux à un
droit « hésitant », une sorte de « gouvernance expérimentaliste » qui se trouve à mi-chemin entre
avoir et ne pas avoir un droit. Des tentatives d’harmonisation vers le haut qui ont échoué risquent de
ne laisser derrière elles qu’un chemin sans issue menant au « droit souple » (souple en regard des
devoirs des entreprises et des droits des travailleurs, et le contraire, dur, en regard des sacrifices des
travailleurs et des intérêts de l’entreprise), ce qui peut créer des « connexions faibles » (loose
connections)44, plus souvent purement symboliques ou rhétoriques. Les politiques véritablement
« dures », telles que celles qui résultent du Pacte Euro Plus, laissent apparaître de façon dramatique
la faiblesse des instruments plus « souples ». Le processus délibératif au niveau européen est
devenu si long et si compliqué – plus même entre les partenaires sociaux et au sein de chacun
d’entre eux, comme nous l’avons observé directement avec la CES, qu’entre institutions – qu’il
nécessite une chaîne de médiations dans laquelle chaque velléité d’augmenter et de consolider les
droits des travailleurs est systématiquement mis en échec. Le risque ici serait que le droit souple,
bien que solution de second choix, devienne le pilier des politiques sociales de demain, faisant ainsi,
au mieux, figure de dernière idéologie syndicale selon l’expression de l’historien du droit Giovanni
Tarello, ou, au pire, d’idéologie tout court, cachant ainsi une incapacité importante et dramatique à
faire davantage et mieux.
C’est pourquoi il faut à tout prix améliorer nos connaissances comparatives des différents
systèmes nationaux des relations professionnelles. Pour arriver à briser ce qu’Ulrich Beck appelle le
« nationalisme méthodologique ». Dans le scénario actuel et futur de la mondialisation, l’action
syndicale au niveau supranational deviendra de plus en plus centrale. L’étude des relations
professionnelles a la comparaison dans son ADN. Les questions comme celles sur la primauté des
tendances vers la divergence ou la convergence des systèmes demeurent d’actualité. Malgré des
différences persistantes entre les modèles institutionnels formels et les cadres nationaux
réglementaires, particulièrement soulignées dans des études comparatives de politique économique
(la théorie des « variétés du capitalisme »45), on trouve partout des tendances communes vers une
convergence46 des politiques néolibérales47. Ce scénario est largement mondial et trouve sa
42
M. R. Ferrarese, Prima lezione di diritto globale, Laterza, 2011
G. Teubner, Societal Constitutionalism. Alternative in State-Central Constitutional Theory, in C. Jorges et al.
Transnational Government and Constitutionalism, Hart Publishing, 2004.
44
B. Cattero, Tra diritto e identità. La partecipazione dei lavoratori nel modello europeo, in “Lavoro e partecipazione Sociologia del lavoro”, n. 123/2011
45
P.A. Hall e D. Soskice (a cura di), Varieties of Capitalism, Oxford University, 2001.
46
H.C. Katz e O Derbishire, Converging Divergences, Crnel Univ. Press, 2002
43
17
traduction dans les défis posés par une concurrence sans limites, le post-fordisme et la
financiarisation de l’économie, y compris la crise la plus importante des sept dernières décennies.
Une conjoncture qui soulève des difficultés majeures pour le mouvement ouvrier partout dans le
monde, comme en attestent symptomatiquement la baisse générale du nombre de syndiqués, la
réduction de la couverture conventionnelle et la diminution des conflits collectifs. Comme Otto
Kahn-Freund ainsi que Giovanni Tarello ont pu le démontrer, la valeur des études comparatives en
droit et en relations professionnelles se trouve dans la corrélation entre l’analyse descriptive des
différents systèmes nationaux et le profil normatif qu’ils devraient acquérir de par leur potentiel de
transfert d’un pays à un autre. Cependant, une telle approche – qui depuis toujours est difficile dans
le domaine des relations professionnelles – demande un meilleur équilibre. A défaut, elle risque de
devenir un instrument politique, conférant une légitimité douteuse à des réformes nationales qui
visent la déréglementation. Le benchmarking « à sens unique » a mené beaucoup de pays à réduire
leur niveau de protection sociale et à construire une sorte de monstre de Frankenstein, par emprunt
partiel aux pays où les règles sont moins strictes concernant notamment les licenciements ou le
recours à une main d’œuvre flexible sans qu’il soit tenu compte des droits collectifs et individuels
reconnus dans ces mêmes pays (normes protectrices, politiques d’activation et/ou mécanismes de
codétermination dans l’entreprise).
Les systèmes de relations professionnelles des nouveaux Etats membres vont jouer un rôle de
plus en plus important. Comme nous voyons dans les contributions d’Adamczyk et de
Surdykowska, la question de base est « de savoir si l’on pourra se servir des tendances observées
depuis 20 ans pour négocier les AET dans les multinationales et renforcer les relations
professionnelles dans les nouveaux états membres ». En réponse à cette question, ils avancent que
« tout dépend de la reconnaissance de l’importance des AET par les syndicats, surtout dans leur
déclinaison européenne des accords cadre européens (ACE), qui ont le contenu le plus substantiel. Il
est donc essentiel de savoir s’il existe une véritable volonté politique de la part des syndicats
européens de soutenir les ACE (y compris les cadres juridiques élaborés pour leur adoption et leur
application) et si les stipulations des ACE pourraient encore davantage influencer les conditions du
travail. Dans ce contexte, une question d’ordre plus général est de savoir quel est le rapport entre
l’adoption d’un ACE et la dynamique du modèle social européen, étant donnée la décentralisation
spontanée et continuelle des négociations collectives dans les anciens Etats membres de l’Union
européennes ».
Il semble évident que les AET fournissent des espaces et des moyens aux représentants
syndicaux en Europe, par le biais et avec le soutien des FSE, pour partager des perspectives et des
objectifs. Les AET sont des mesures véritablement innovantes qui visent le développement d’un
dialogue social permanent comme condition préalable d’une gestion anticipatrice du changement.
De façon générale, ces accords montrent une volonté commune d’organiser le dialogue social dans
des entreprises transnationales de façon efficace et concrète, en allant au-delà de ce que les
règlementations européennes et nationales ont déjà prévu. L’accent est mis sur les différentes façons
de garantir un dialogue social efficace et mieux structuré, c.à.d. un dialogue social qui puisse
vraiment contribuer à la performance sociale et économique des groupes à différents niveaux (voir
par exemple le cas ARCELOR MITTAL et les difficultés rencontrées à cet égard).
Pour conclure, la création d’un cadre juridique pour les accords collectif transnationaux (au
niveau de l’entreprise) dans les 27 états membres est une tâche particulièrement complexe du fait
des différences affectant les traditions du droit et des relations professionnelles. Il faudra
certainement attendre quelque temps avant que la Commission européennes n’agisse et cela pas
simplement en raison du fait que les partenaires sociaux s’opposent actuellement à l’adoption des
solutions juridiquement contraignantes concernant les accords collectifs européens. Par ailleurs, de
47
L. Baccaro e C. Howell, Il cambiamento delle relazioni industriali nel capitalismo avanzato: una traiettoria comune,
in “QRS”, n. 1/2012.
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plus en plus d’entreprises signent des accords transnationaux sur divers sujets, soit avec les
fédérations syndicales européennes, soit avec les acteurs collectifs comme les CEE.
La pratique aboutit donc à des résultats tangibles tandis que la jurisprudence se développe assez
lentement. L’internationalisation de l’économie mais aussi l’approfondissement du marché unique
européen peuvent urgemment nécessiter la conclusion d’accords collectifs transnationaux. Pour les
syndicats, cela implique à tout le moins de prendre conscience de leurs racines historiques et de
donner une place plus importante à la solidarité européenne ou internationale.
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