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Les accords d’entreprise transnationaux : tremplin vers une réelle internationalisation des relations professionnelles ? EUROATCA (European Action on Transnational Company Agreements) Rapport final Résumé français Les partenaires d’EUROATCA IRES Italie CGIL (Italie) Association “Bruno Trentin” (Italie) ASTREES France Confédération Européenne des syndicats (CES) Fondation 1° de Mayo (Espagne) IRES France IRES Emilia-Romagna (Italie) ISTUR-CITUB Bulgarie Solidarność (Pologne) Université de Hambourg (Allemagne) Université de Cassino (Italie) TCO (Suède) Les auteurs : Salvo Leonardi (coordinateur), Sławomir Adamczyk, Anna Alaimo, Edoardo Ales, Pere Beneyto, Marco Cilento, Isabel da Costa, Plamenka Markova, Marina Monaco, Udo Rehfeldt, Ekatarina Ribarova, Fernando Rocha, Barbara Surdykowska, Volker Telljohann, Christophe Teissier, Giorgio Verrecchia, Reingard Zimmer Le rapport final en anglais et ce résumé français sont téléchargeables à partir des sites de l’association ASTREES (Association Travail, Emploi, Europe, Société – www.astrees.org) et de l’Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES - www.ires.fr). Les auteurs sont seuls responsables de ce document et la Commission européenne n’est pas responsable de l’usage qui est fait de l’information qu’il contient, quel que soit cet usage. Table des Matières Introduction 1. L’européanisation des relations professionnelles : une évaluation générale 2. Une définition provisoire de la dimension transnationale des relations professionnelles 3. Un cadre juridique pour les accords collectifs transnationaux en Europe 4. La question de « l’efficacité » 5. Les difficultés inhérentes à l’établissement d’un cadre juridique 6. Le rôle des CEE et FSE 7. Les AET pour répondre aux transitions à court et long terme 8. Entre le droit souple et le droit dur : les AET comme outils de « gouvernance expérimentaliste » 2 Introduction Ce rapport est le résultat final du projet EUROATCA coordonné par l’IRES (Italie). Le projet avait pour but d’étudier la diffusion, les pratiques et les problématiques juridiques associées aux accords d’entreprise transnationaux (AET) ainsi que le rôle des syndicats en regard de leurs expériences en la matière. L’objectif était de soumettre ces dernières à de multiples analyses : vérifier la réelle efficacité des solutions adoptées au fur et à mesure qu’elles se font jour ; examiner les solutions retenues pour s’assurer qu’elles sont conformes aux contraintes juridiques imposées par les lois et pratiques internationales, européennes et nationales ; approfondir le niveau de coordination entre les acteurs impliqués dans les négociations syndicales à tous les niveaux ; déterminer le type de réglementation qui serait le plus apte à répondre au besoin de donner aux AET le degré souhaité de sécurité juridique. Lors de deux ateliers européens (organisés successivement à Paris et à Gdansk) et une conférence finale (à Rome), nous avons pu stimuler un échange transnational d’expériences et de pratiques dans les pays partenaires et au-delà. Une centaine de participants – principalement des responsables et représentants de syndicats ainsi que des employeurs, praticiens et experts – ont pris part à ces événements. L’objectif était de promouvoir les expériences analysées auprès des partenaires sociaux et de questionner leurs impacts sur la culture et les pratiques du dialogue social et des relations professionnelles. Le groupe d’experts partenaires du projet comptait dans ses rangs des auteurs d’études parmi les plus connues et appréciées sur les relations professionnelles internationales et les AET. Dans le cadre du projet, il s’est penché sur les questions les plus pertinentes pour approfondir les travaux préexistants. Deux études de cas d’entreprise ont été par ailleurs réalisées au moyen d’analyses documentaires et d’investigations empiriques (interviews) sur les AET chez Volkswagen et ArcelorMittal et avec, comme point focal, leur impact dans les pays des partenaires. Ce rapport est l’aboutissement de l’ensemble de ces actions. Il résume les principaux résultats de l’étude collective. Une version complète est disponible en anglais. L’on pourra y trouver les développements détaillés de toutes les rubriques incluses au présent document. 1. L’européanisation des relations professionnelles : une évaluation générale Il est universellement reconnu que la mondialisation des marchés a stimulé la dimension transnationale des relations professionnelles. Les AET sont désormais presque unanimement perçus comme une des composantes les plus prometteuses et intéressantes du processus dit d’internationalisation (ou d’européanisation) des relations professionnelles1. On se réfère ici à l’identification des différents mécanismes de gouvernance ainsi que des procédures supranationales dont le développement – de l’intersectoriel à celui de l’entreprise – vise trois objectifs principaux : négocier des accords ; informer et consulter ; peser sur les politiques publiques2. Ce processus a ses origines dans plusieurs facteurs qui peuvent, de manière générale, être regroupés en deux catégories principales. Il s’agit, en premier lieu, des défis que rencontrent les syndicats depuis quelques décennies du fait de l’adoption généralisée du modèle néolibéral de la mondialisation. Ce dernier s’est accompagné d’importantes retombées sur l’emploi, les conditions de travail ainsi que les relations professionnelles. Il est aussi à noter que, loin d’être un développement « naturel » ou « spontané », ce modèle de mondialisation a été promu et contrôlé par un certain nombre d’acteurs nationaux et 1 R. Hoffman, Proactive Europeanisation of industrial relations and trade unions, dans W. Kowalsky et P. Scherrer, (Eds.) Trade unions for a change of course in Europe, ETUI, Bruxelles, 2011; S. Sciarra, Transnational and European Ways Forward for Collective Bargaining, WP C.S.D.L.E. “D’Antona”, n. 73/2009. 2 V. Glassner et P. Pochet, Why trade unions seek to coordinate wages and collective bargaining in the Eurozone: past developments and futures prospects, Document de travail, ETUI, 3/2011, pp. 9-13. 3 internationaux3. Ce sont notamment les grandes multinationales qui ont joué à cet égard un rôle critique revêtant une double dimension : (a) par l’adoption des stratégies de restructurations productives comme l’externalisation, la délocalisation en off-shore et la production parallèle, donnant lieu à une chaîne de valeur de plus en plus fragmentée et transfrontalière et (b) par l’établissement de la financiarisation comme logique principale sous-tendant la politique administrative en entreprise4. L’importance de l’investissement direct à l’étranger et les stratégies de délocalisation en off-shore ont provoqué un vide de gouvernance entre l’économie mondiale et les souverainetés nationales, la délocalisation pouvant ainsi mener au dumping social5. Un tel scénario conduit à voir dans les AET des instruments de progrès particulièrement intéressants. En second lieu, on a pu noter qu’à travers le renforcement de l’intégration économique et monétaire, les syndicats ont réussi à promouvoir une meilleure harmonisation des conditions sociales et du travail dans l’espace économique intégré. Une étape majeure a été atteinte à Helsinki en 1999 lorsque la CES a adopté une résolution qui en appelait à soutenir activement la création d’un système européen de relations professionnelles6. Il y a besoin d’établir des interactions organisées collectivement au niveau supranational et ce sont les AET qui peuvent empêcher le dumping social et la concurrence salariale par le bas pour aboutir à un rapprochement progressif des conditions de travail au sein d’une même entreprise. Cet intérêt croissant pour les AET s’explique par l’étendue et la rapidité de leur expansion en corrélation directe avec les contextes politiques et économiques. Les AET sont un phénomène proprement européen, découlant de la configuration des relations professionnelles en Europe bien qu’il y ait entre-temps plusieurs accords impliquant des groupes dont le siège se situe en dehors de l’Union Européenne. Ces accords peuvent représenter une façon de combler le manque de gouvernance, mentionné plus haut, entre la nature de plus en plus mondiale (ou supranationale) des stratégies du capital d’un côté et l’ancrage essentiellement territorial des syndicats et acteurs de la représentation des travailleurs de l’autre. Dans la littérature7, les AET sont définis comme « des outils qualitativement neufs » 8, une nouvelle « pratique sociale » 9, de nouveaux « espaces de négociations » 10, « une nouvelle étoile » dans la galaxie des sources professionnelles du droit 3 D. Harvey, A brief history of neoliberalism, Oxford University Press, 2005. Keune, M. et V. Schmidt, Global capital strategies and trade union responses: towards transnational collective bargaining?, dans “International journal of labour research”, Vol. 1, Issue 2, 2009; W. Rhode,.Global production chains, relocation and financialization: the changed context of trade union distribution policy, dans “International journal of labour research”, Vol. 1, Issue 2, 2009. 5 A. Perulli, Globalizzazione e dumping sociale, “Lavoro e diritto”, n. 1/2011. 6 ETUC: Towards a European System of Industrial Relations (Statutory Congress of Helsinki, 29/6-2/7 1999). 7 K. Papadakis. (ed.), Shaping Global Industrial Relations: The Impact of International Framework Agreements, ILO/Palgrave Macmillan; Eurofound, Multinational companies and collective bargaining, Dublin, 2009; van Hoek et A. Hendrickx, International private law aspects and dispute settlement related to transnational company agreements, Étude entreprise au nom de la Commission Européenne: European Commission, The Role of Transnational Company Agreements in the Context of Increasing International Integration, Commission Staff Working Document, Bruxelles; V. Telljohann, I. da Costa , T. Müller, U. Rehfeldt, R. Zimmer, European and international framework agreements: new tools of transnational agreements and industrial relations, Transfer 15 (3-4), 2009; I. Schomann, A. Sobzack E. Voss, et P. Wilke, International framework agreements: new paths to workers’ participation in multinational governance? “Transfer”, 14 (1), 2008; K. Papadakis (eds.), Cross-Border Social Dialogue and Agreements: an Emerging Global Industrial Relations Framework?, Institut international d’études sociales/Bureau de l’Organisation internationale du travail, Genève, 2008. 8 V. Telljohann, I.da Costa, T. Müller, U. Rehfeldt., R. Zimmer, European and International Framework Agreements. Practical Experiences and Strategic Approaches, Luxembourg, L'Office des publications officielles des Communautés européennes. 9 I. Schomann, A. Sobzack, E. Voss, et P. Wilke, International framework agreements: new paths to workers’ participation in multinational governance? “Transfer”, 14 (1), 2008. 10 A. Lo Faro, Bargaining in the shadow of “Optional Frameworks? The rising of transnational collective agreements and EU law, “EJIR”, 2011. 4 4 social11. En somme, les AET sont à envisager comme l’une des « nouvelles idées pour une stratégie de sortie de la crise du droit et des pratiques des organisations syndicales transnationales »12. L’Agenda social européen 2005-2010 a recommandé le renforcement des AET. A la suite, en 2008, afin d’améliorer les connaissances de ce phénomène nouveau dans le domaine des relations professionnelles, la DG Emploi de la Commission Européenne a établi un groupe d’experts sur les AET dont la mission était d’évaluer leur développement et échanger des informations pour soutenir le processus en cours. La DG a invité les partenaires sociaux, les experts gouvernementaux ainsi que ceux d’autres institutions à y prendre part13. La Commission européenne a mis un certain temps à réfléchir sur création d’un cadre juridique optionnel pour les accords transnationaux d’entreprise en Europe et, en 2011, elle a nommé un nouveau groupe d’experts qui a élaboré une proposition concrète en ce sens. La Commission européenne considère dorénavant ces accords comme étant « cohérents avec les principes et objectifs qui sous-tendent l’agenda européen sur la flexicurité et la Stratégie UE 2020 ». Ce rapport résume les conclusions découlant des activités du projet EUROATCA, consacré au thème des accords d’entreprise transnationaux. Avec le soutien de la Commission européenne par le biais de la ligne budgétaire consacrée aux relations professionnelles et au dialogue social, ce projet a été initié et coordonné par l’IRES italien en partenariat avec la plus importante confédération syndicale italienne, la CGIL, l’Association "Bruno Trentin", l’IRES Emilia-Romagna et l’Université de Cassino pour l’Italie, ASTREES et l’IRES pour la France, la Fondation 1° de Mayo pour l’Espagne, Solidarność pour la Pologne, ISTUR-CITUB pour la Bulgarie, l’Université de Hambourg pour l’Allemagne. La CES et le syndicat des cols blancs suédois TCO, ont pour leur part apporté un soutien externe au projet. Grâce à ce vaste réseau d’organisations reconnues, nous avons pu bénéficier de l’apport d’experts14 qui sont à l’origine d’ouvrages figurant parmi les œuvres les plus reconnues dans notre domaine d’étude15. L’action d’EUROATCA avait pour but d’explorer la diffusion, les pratiques et les aspects juridiques liés à l’expérience des AET. L’objectif visé était de soumettre ces expériences à une double analyse : a) de vérifier l’efficacité des accords conclus, et b) de vérifier – par une recherche documentaire et des études de cas – si les solutions retenues jusqu’ici sont en accord avec les opportunités et contraintes découlant des lois et coutumes actuelles au niveau international, européen et national. Pendant une année nous avons organisé deux ateliers, un à Paris, l’autre à Gdansk ainsi qu’une conférence finale à Rome où nous avons approfondi l’étude dei certaines de ces questions. Avec des experts, praticiens et représentants de partenaires sociaux nous avons tenté d’aborder la conceptualisation des expériences, typologies, profils juridiques et la nature même de certains cas concrets d’accords transnationaux (Axa, Areva, GDF Suez, Schneider, Electrolux, Ford, GM Europe). En même temps, nous avons mené deux études de cas sur les AET chez ArcelorMittal et 11 S. Sciarra, Uno sguardo oltre la Fiat. Aspetti nazionali e transnazionali nella contrattazione collettiva oltre la crisi, “Riv. Ital. Dir. Lav.”, III, 2011 12 S. Sciarra, Collective Exit Strategy: New Ideas in Transnational Labour Law, WP Jean Monnet n. 4/2010 13 Ce groupe est composé de syndicalistes européens du plus haut niveau, ayant de l’expérience au niveau national ainsi qu’européen. La CES et certains affiliés nationaux étaient directement impliqué en tant que membre à part entière ou adjoint. Ces organismes, l’un relié à la Commission européenne et l’autre au syndicalisme européen, ont chacun élaboré leur perspective sur le sujet. 14 Des universitaires comme, parmi d’autres, Edoardo Ales, Udo Rehfeldt, Volker Telljohann, Reingard Zimmer étaient directement impliqués dans le partenariat du projet tandis que André Sobszack, Isabel da Costa, Claude Emmanuel Triomphe, Marco Cilento, Jakub Stelina, Barbara Surdykowska, Tiziano Treu, Silvana Sciarra, Anna Alaimo, Mimmo Carrieri, Ricardo Rodriguez et d’autres encore – experts et praticiens – sont intervenus et ont participé activement à nos ateliers. 15 I. da Costa et U. Rehfeldt, Transnational Restructuring Agreements : General Overview and Specific Evidence from the European Automobile Sector, in Papadakis (ed.), 2011, cit.; V. Telljohann, I da Costa., T. Müller, U. Rehfeldt, R. Zimmer, European and International Framework Agreements. Practical Experiences and Strategic Approaches, Eurofound, Dublin, 2009; E. Ales, S Engblom., S. Sciarra, Valdes Del-Re, Transnational collective bargaining: past, present and future, European Commission, 2006. 5 Volkswagen, pour mieux cerner leurs impacts dans les pays des partenaires où ces deux grands groupes disposent de filiales. 2. Une définition provisoire de la dimension transnationale des relations professionnelles Le premier constat à tirer de nos activités confirme l’existence d’un large éventail d’AET et la diversité des expériences. Même le mot « accord », pour ne prendre qu’un exemple, n’apparaît explicitement que dans certains textes (beaucoup d’autres lui préférant des expressions comme déclarations communes, perspectives communes, prise de position commune etc.). Les accords ont cela en commun qu’ils sont tous composés d’engagements réciproques ayant vocation à s’appliquer dans plusieurs États membres et qu’ils sont conclus entre un ou plusieurs représentants d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises d’une part, et un ou plusieurs représentants des travailleurs de l’autre. Ils portent sur des conditions de travail et d’emploi et/ou les relations entre les employeurs et les travailleurs ou leurs représentants. L’essentiel de ces textes se trouve dans leur bilatéralité et le fait qu’ils sont négociés, marquant ainsi leur différence par rapport aux codes de conduite et autres documents de nature unilatérale à travers lesquels l’entreprise décide d’assumer le concept de responsabilité sociale (RSE). Ils peuvent en quelque sorte servir d’alternative à une approche unilatérale de la RSE. Un accord collectif est défini comme étant transnational lorsqu’il est conclu entre les représentants de travailleurs et une entreprise transnationale et lorsqu’il couvre plusieurs pays. Cette dimension transnationale doit être distinguée d’autres types d’accords. Nous suggérons une première définition obtenue à partir de déductions « positives » et « négatives » des dimensions classiquement utilisées pour rendre compte de la fonction régulatrice des relations professionnelles : dimensions nationale, supranationale et internationale. a) La dimension nationale des relations collectives (pouvant être institutionnalisée et tripartite) se définit comme celle qui est créée (souvent au sein d’un cadre juridique existant ou dans un contexte de règlements légaux) par des partenaires sociaux agissant à n’importe quel niveau et dont les règles (qu’elles soient unilatérales ou négociées) sont (ou du moins pourraient être) applicables aux travailleurs et employeurs qui sont basés où qui opèrent à l’intérieur des frontières d’un état souverain. b) La dimension supranationale (et institutionnalisée) des relations collectives se définit comme celle qui est créée par les partenaires sociaux européens dans le contexte d’un dialogue social communautaire avec comme objectif de modifier les systèmes juridiques nationaux au niveau sectoriel ou intersectoriel, y compris en organisant un lobbying auprès des institutions de l’Union européennes. c) La dimension internationale des relations collectives (véritablement institutionnalisée et tripartite) se définit comme celle qui s’est développée dans le contexte de l’Organisation internationale du travail (OIT) et qui revêt un caractère formel au travers des déclarations, conventions et recommandations de cette organisation. d) La dimension transnationale se définit ainsi comme celle qui est multinationale et créée par les représentants de travailleurs et les entreprises (ou par une seule entreprise) lorsqu’ils conviennent de règles (ou les acceptent) allant au-delà du contexte national (une différentiation « positive » de la dimension nationale), sans pour autant ressortir des dimensions supranationale ou internationale précédemment définies (une différentiation « négative » de la dimension supranationale ou internationale). Les AET sont européens (accord cadre européen – ACE) lorsqu‘ils sont signés par une des organisations européennes et internationaux (accord cadre international – ACI) lorsque les signataires sont des syndicats internationaux. Les entreprises sont en général représentées par leur direction du groupe. Les cosignataires du côté des travailleurs sont souvent les comités d’entreprise européens (CEE), parfois seuls (51 AET), parfois avec les fédérations syndicales européennes (FSE) (23) et/ou des fédérations syndicales internationales (FSI), des organisations nationales ou 6 des représentants du personnel (17), ce qui suscite dans certains cas des problèmes de légitimité et de liens entre différents niveaux de représentation. Un inventaire de ces accords16 nous montre que le premier, conclu au sein du groupe Danone, date de 1988. Le dernier décompte en date nous donne actuellement un total de 225 accords pour 150 entreprises (dont 86 européennes), surtout en France (55), en Allemagne (23), aux Etats-Unis (18) et, loin derrière, en Suède (13), Belgique (13) et Italie (12). Tous les secteurs sont impliqués bien que ces accords soient plus fréquents dans les secteurs de la métallurgie, de l’alimentation et des finances. Au moins 10 millions d’employés sont ainsi couverts par un accord de ce type. Les pratiques donnant lieu au déclenchement ou à la gestion de ces négociations transfrontalières sont assez variées. Un grand nombre d’ACE ont été signé par des CEE (51), des syndicats nationaux ou des représentants du personnel (17) et des FSE (23). Ces organisations négocient parfois seules ou peuvent coopérer ensemble mais à partir de différentes structures et procédures. Comme nous avons pu l’observer, les textes ont tendances à être le reflet des modèles et pratiques du pays où se trouve le siège social de l’entreprise mère (ce à quoi réfère l’expression «effet pays d’origine »). Nous le savons, l’internationalisation ne s’arrête pas aux frontières nationales. Souvent des décisions majeures sont prises, non pas dans le pays concerné, mais au niveau du siège social du groupe qui peut être situé sur un autre continent. Les facteurs significatifs qui entrent alors en jeu sont, parmi d’autres : les différents degrés d’institutionnalisation des relations professionnelles ; les différents systèmes de négociation collective ; les niveaux et procédures d’extension, la nature et les droits des représentants syndicaux sur le lieu de travail, le taux de syndicalisation, les différents styles et pratiques de relations professionnelles dans le pays du siège de l’entreprise ou du groupe, et les modalités d’organisation des structures syndicales. Pour arriver à négocier et conclure des AET un des moteurs essentiels est la confiance réciproque entre les parties. Qui plus est, il est évident que la cohésion de syndicats venant de pays différents est toujours un enjeu important lorsque l’on envisage de négocier des AET. Ces textes traitent une grande diversité de questions : restructurations et anticipation du changement ; droits fondamentaux au travail de l’OIT ( non-discrimination, liberté d’association, négociation collective, , travail des enfants, travail forcé) ; mesures d’accompagnement des changements affectant les organisations productives (formation, mobilité professionnelle externe et interne, etc.) ; politiques de gestion des ressources humaines ; santé et sécurité des salariés ; droits syndicaux ; dialogue social ; participation financière des salariés. Les AET peuvent aussi être différenciés et classés comme étant de nature soit « procédurale », soit « substantielle »17. Dans le premier cas, qui est de loin le plus fréquent18, les AET mettent en place des principes généraux pour gérer, par exemple, une éventuelle restructuration au sein du groupe. Dans le deuxième, par contre, nous sommes face à des règles substantielles, ainsi notamment de la gestion de cas particuliers de restructuration au sein d’un groupe par le biais de clauses concrètes et contraignantes. Ces derniers sont nommés Accords de restructuration transnationaux (ART). C’est probablement dans le secteur de l’automobile (DaimlerChrysler, Ford Europe, General Motors Europe) que l’on trouve le plus grand nombre d’accords de ce type. Une étude comparative des AET actuels nous montre que le contenu des ACE est plus varié et riche que celui des ACI, les thèmes principaux étant la restructuration, le dialogue social ainsi que la santé et la sécurité des salariés. Les droits sociaux fondamentaux ne jouent qu’un petit rôle dans les ACE tandis qu’ils jouent un rôle prépondérant dans les ACI. Comme les ACI, certains ACE ne sont que des déclarations de compréhension mutuelle, tandis que d’autres sont assez détaillés et servent à codifier des mesures concrètes à mettre en œuvre. Aujourd’hui, un nombre croissant d’accords ne se limitent pas au traitement de thématiques que l’on peut qualifier de consensuelles mais abordent au contraire des questions classiques pour la négociation collective, ainsi par exemple des accords 16 A. Sobczack, Chiffres présentés à l’atelier EUROATCA à Paris en 2011 ; Commission européenne, Database on transnational company agreements, April 2012. http://ec.europe.eu/social/main.jsp?catId=978&langId=en 17 I. da Costa et U. Rehfeldt, Transnational Restructuring Agreements, dans K. Papadakis. (ed.), op. cit.. 18 Il y a deux fois plus d’AET d’ordre procédural (35) que substantiel (17), même si l’on exclut les ACI : 27 et 17 7 relatifs aux restructurations qui incluent généralement des dispositions visant à organiser la réduction des effectifs dans différents sites de production. La « seconde génération » des AET témoigne ainsi d’un élargissement du contenu substantiel des accords bien que les chiffres restent encore très limités. La très récente Charte mondiale sur les relations de travail chez Volkswagen est sans doute un des meilleurs exemples de cette nouvelle génération de textes en ce qu’elle comprend une Déclaration des droits conduisant notamment à la reconnaissance de droits à la codétermination (sur le modèle allemand) sur un nombre important de questions. Nous avons approfondi ces éléments dans une de nos deux études de cas et avons noté l’effet innovant d’un tel accord, fondé sur la valorisation de certaines caractéristiques propres à un système national particulier – ici la codétermination allemande – dans un pays comme l’Italie (sur les sites Lamborghini et Ducati du groupe). Ce type d’innovation offre en effet une alternative à l’approche controversée de la gestion des restructurations et des relations professionnelles par le groupe Fiat. Les AET au sein de GDF, AXA, Areva et ArcelorMittal, ce dernier faisant l’objet d’une analyse particulière au sein de notre projet, démontrent pour leur part qu’il est possible de conclure des accords afférents à des restructurations lourdes dans une perspective d’anticipation du changement. Mais, ainsi que nos analyses le soulignent, certains de ces exemples attestent aussi du fait que la crise pèse lourdement sur les bases consensuelles qui ont inspiré la négociation des accords. La coordination syndicale en Europe pourrait ainsi se voir gravement menacée par des suppressions d’emplois principalement décidées et mises en œuvre au niveau national. Bien que nous n’ayons pas pu obtenir des données exactes à ce sujet dans le cadre de notre étude, la concurrence interne entre les différents sites de production d’un groupe tel qu’ArcelorMittal semble être assez vigoureuse, parfois même au sein d’un seul Etat. De tels facteurs peuvent sérieusement entraver la cohésion syndicale à travers l’Europe. 3. Un cadre juridique pour les accords collectifs transnationaux en Europe Ces premières réflexions nous conduisent logiquement à examiner la question centrale de la nature juridique de ces accords. Toutes les études menées par des experts juristes, représentés y compris dans notre partenariat, ont montré à quel point il est difficile de déterminer la portée juridique transfrontalière réelle des AET. Comme nous le savons, ces derniers ne s’appuient sur aucun cadre juridique particulier en droit communautaire ni, a fortiori, en droit international. Ce sont des accords « sui generis » qui sont initiés et mis en œuvre de façon autonome. Ils trouvent le plus souvent leur raison d’être dans plusieurs éléments comme, par exemple, lorsqu’une société tend à conforter la réputation de sa marque au moyen de sa politique de responsabilité sociale. Ils peuvent aussi résulter de la pression exercée par des syndicats nationaux et internationaux dans des cas de restructurations importantes pour limiter la concurrence entre différents systèmes nationaux et éviter ainsi le dumping social. Ceci dévoile alors un certain dynamisme des syndicats internationaux pour construire de nouveaux outils adaptés aux relations professionnelles transnationales. En l’absence de normes internationales spécifiques, il est possible de voir les accords transnationaux comme des tentatives simplifiées de reproduire les principes complexes du droit international privé19, sans pour autant en faire des dispositions contraignantes pour les directions locales. Ils sont habituellement sujets au droit commun et à des principes de base : la lex posterior, la lex specialis, le principe de faveur et la faculté de déroger à une norme supérieure si cette dernière le permet. Généralement, il existe une présomption d’influence déterminante de la société mère sur ses filiales locales. Ces accords retirent communément leur force du fait que les groupes de signataires peuvent faire pression les uns sur les autres pour que les engagements signés soient respectés. Plus ces engagements sont clairs, plus il est facile de les faire appliquer. L’effet contraignant des AET varie donc en fonction de la volonté des parties signataires. Le cadre établi 19 van Hoek et A. Hendrickx, op. cit: 8 par les AET est mis en œuvre au niveau national, ce qui permet aux stipulations des accords de revêtir, le cas échéant, une force contraignante. Cependant, les différences entre les systèmes juridiques nationaux autorisent une application très diversifiée de ces accords d’un pays à l’autre, d’un lieu à l’autre. Tout ceci mène invariablement à des résultats assez divers, rendant l’effectivité des AET problématique, pour ne pas dire aléatoire. La « nationalisation » des impacts de ces accords peut aussi affecter la nature proprement transnationale de ces derniers. Qui plus est, les textes sont souvent génériques ce qui rend leur mise en œuvre difficile pour les acteurs nationaux, et surtout pour les syndicats lorsqu’ils revendiquent la transposition et l’effectivité des engagements adoptés. En revanche, l’absence de statut légal reconnu n’a pas entravé le développement des AET. Dans le contexte de l’UE, le rôle et les fonctions reconnus par le droit européen à l’autonomie collective des partenaires sociaux sont considérables20.Cela concerne l’information, la consultation, la participation et l’association à la définition des politiques européennes. Les droits de participation des CEE, et aujourd’hui les AET, constituent des outils essentiels pour faciliter le processus de socialisation entre les responsables syndicaux et les représentants des salariés à travers l’Europe (et éventuellement à travers le monde entier)21. Il est estimé qu’il y a actuellement environ 15,000 représentants des travailleurs dans les CEE qui pourraient certainement servir d’épine dorsale pour le développement de nouvelles relations professionnelles transnationales, si toutefois ils étaient mieux exploités. Les AET peuvent être perçus comme faisant partie intégrante du dialogue social et des relations professionnelles en Europe. Selon la Commission européenne, l’émergence des AET dans le dialogue social européen devrait être promue en accord avec les compétences définies par le Traité (art. 152 et 153) et la Charte des Droits fondamentaux (art. 28). Ce dernier article établit « le droit de négocier et de conclure des conventions collectives aux niveaux appropriés ». Par ailleurs, l’article 4 de la Convention 98 de l’OIT, l’Article 6 de la Charte sociale européenne et l’Article 11 de la Charte des Droits fondamentaux attribuent aux syndicats le droit de négocier collectivement, ce dernier texte incluant ce droit depuis la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme Demir & Baykara22. L’ex. article 139 du Traité d’Amsterdam (TCE) (l’actuel article 155 du Traité de Lisbonne TFUE) dispose que le dialogue social européen peut aboutir à la conclusion d’accords volontaires ou autonomes – intersectoriels ou sectoriels – dont l’application repose sur « les procédures et pratiques propres aux partenaires sociaux et aux États membres ». Nous pouvons ainsi considérer les AET comme appartenant à la catégorie des accords autonomes, en regard du droit européen, comme alternative à la réglementation tripartite d’inspiration néo-corporatiste qui, jusqu’à présent, a permis au dialogue social européen d’atteindre ses meilleurs résultats. Il est clair néanmoins que la question de « l’efficacité » des AET reste entière par rapport à d’autres formes de dialogue social européen. Les accords d’entreprise transnationaux conservent ainsi un statut juridique incertain et sujet à contentieux 23. Les AET, et surtout les ACE, ne sont pas (entièrement) déconnectés des autres niveaux du dialogue social. Certains ACE s’inspirent d’autres accords interprofessionnels ou sectoriels issus du dialogue social européen. D’autres offrent une extension transfrontalière à des accords nationaux. On peut aussi supposer que la consolidation d’expériences de négociation au niveau d’un groupe dans un secteur donné peut avoir des retombées positives sur le dialogue social de l’ensemble de ce secteur. 20 B. Caruso e A. Alaimo, Il contratto collettivo nell’ordinamento dell’UE, WP “CSDLE”, n. 87/2011. R. Jagoddzinski, EWC after 15 years – success or failure? “Transfer”, 17 (2), 2011; J. Waddington, EWC: the challenge for labour, Industrial relations journal, vol. 42, Issue 6, 2011 22 ECHR, 12.11.2008 (no. 34503/97), AuR 2009, p. 269 ff. 23 A. Lo Faro, Bargaining in the Shadow of “Optional Frameworks”? The Rising of Transnational Collective Agreements and EU Law, “EJIR”, 2011 21 9 4. La question de « l’efficacité » Pour les salariés et leurs syndicats, la question de l’efficacité des accords reste centrale. Comme le dit un spécialiste : « La question de l’efficacité des AET demeure relativement irrésolue pour les autres types de produits du dialogue social européen, que ce soient les accords autonomes – intersectoriels ou sectoriels - dont la mise en application dépend des « procédures et pratiques propres aux partenaires sociaux et aux États membres, ou les accords d’entreprise transnationaux dont le statut légal est sans aucun doute le plus incertain et problématique » 24. Le rapport Ales25 ainsi que, plus récemment, celui du Groupe d’experts de la Commission européenne26 sont favorables à une approche « flexible », tout en réclamant une intervention réglementaire qui fournirait un cadre juridique aux accords. On réussirait ainsi à « négocier dans l’ombre de la loi » 27 selon la formule de Brian Bercusson. Nous ne serions dès lors pas très éloignés de ce que l’on a pu qualifier de « législation auxiliaire »28. L’objectif serait de passer de textes purement déclaratifs à des textes dotés d’un effet véritablement contraignant. Parmi nos experts en droit, une majorité prône une approche « dure» fondée sur l’adoption d’un règlement ou d’une directive communautaires en la matière. Selon le principe d’attribution des compétences (Article 5.2 du TCE, 7 du TFUE) l’UE ne peut agir que dans le cadre défini par les traités. Dans le contexte des compétences partagées, dans les domaines du marché intérieur, de la politique sociale et de la cohésion économique (Article 4.2 du TFUE), l'Union peut prendre des initiatives pour assurer la coordination des politiques sociales des États membres. (Article 5.3 du TFUE) et elle soutient et complète l'action de ces derniers (Article 153.1 TFUE). Cette compétence s’applique aussi à la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, y compris la codétermination, car selon l’Article 153.5 du TFUE, l’Union n’a aucune compétence juridique sur les rémunérations, le droit d'association, le droit de grève, ni le droit de lock-out. On peut donc se demander si l’Union européenne dispose d’une compétence pour établir un cadre juridique européen pour les AET. L’idée d’un cadre européen optionnel pour la négociation collective transnationale est apparue pour la première fois en 2005 dans l’Agenda social (COM(2005) 33 final). À cette époque, la proposition de la Commission européenne de définir un cadre optionnel pour des négociations d’entreprise transnationales a été rejetée par les partenaires sociaux. La Commission a donc retardé toute action à ce sujet et a établi un Groupe d’experts sur les AET, composé d’experts nommés par les syndicats, les associations d’employeurs, les gouvernements et d’autres institutions internationales. Le Groupe devait évaluer les développements en la matière et échanger des informations pour soutenir le processus en cours. Le Groupe d’experts a terminé son étude en octobre 2011et son rapport final a le mérite d’aborder les aspects les plus discutés et d’évoquer certaines options politiques que les partenaires sociaux peuvent choisir d’adopter, de rejeter ou d’examiner de plus près. De premiers éléments conclusifs ont été avancés par la DG Emploi, Affaires sociales et Egalité des Chances. Son texte souligne quatre domaines clés sur lesquels les partenaires sociaux peuvent travailler et agir : 1) La reconnaissance du rôle des AET et la contribution à leur développement ; 2) Le soutien aux acteurs des AET et la définition précise de leurs rôles respectifs ; 3) La promotion de la transparence des AET ; 4) L’amélioration de la mise en œuvre des AET et des liens avec d’autres niveau du dialogue social. 24 Idem Ales E, Engblom S., Sciarra S., Valdes Del-Re, Transnational collective bargaining: past, present and future, Final Report, European Commission, 2006. 26 Expert Group, Transnational Company Agreements. Draft elements for conclusions of DG Employment, Working Document, Expert Group, Transnational Company Agreements. Draft elements for conclusions of DG Employment, Working Document, 5 October 2011. 27 B. Bercusson, Maastricht: a fundamental change in European Labour law, “Industrial Relations Journal”, 23 (3), 1992 28 S. Sciarra, Collective Exit Strategy, op. cit. 25 10 D’autres études29, auxquels le Groupe s’est référé, distinguent trois options pour la construction d’un cadre juridique européen des AET : 1) Uniformiser les effets juridiques des AET dans tous les Etats membres. L’option la plus ambitieuse serait certainement de définir un cadre juridique uniforme emportant les mêmes effets légaux des AET sur les accords collectifs européens dans tous les états membres. C’est une option qui garantirait de la façon la plus efficace un effet équivalent des AET dans les différents Etats membres. Les défis inhérents à cette solution sont cependant clairs, compte tenu des différences importantes entre les nombreux systèmes en Europe. 2) Faire varier l’effet juridique des AET selon la volonté des parties. Une autre option voit l’effet juridique des AET varier selon la volonté des parties. La Directive européenne ne ferait qu’établir un cadre juridique disposant de règles de procédure à insérer dans les droits nationaux. L’effet juridique, la portée etc. dépendraient des différentes régulations nationales. L’avantage d’une telle solution serait une meilleure flexibilité au bénéfice des parties à l’AET. Elle aurait cependant pour inconvénient majeur de favoriser une flexibilité porteuse d’’incertitude juridique. Qui plus est, une formulation flexible qui toucherait la portée, l’effet juridique ainsi que le contenu des accords collectifs européens risquerait de mettre les accords collectifs actuels en vigueur dans les différents systèmes sous pression. On peut plus généralement questionner la nécessité même d’une telle flexibilité des accords collectifs européens. Au bout du compte, les parties sont seules à décider de l’accord collectif qu’elles veulent. C’est à elles de choisir différentes actions comme, par exemple, l’usage d’une déclaration conjointe si elles souhaitent éviter certains effets juridiques. 3) Maintenir le même effet juridique que les accords d’entreprise établis au niveau national. Une troisième option serait que les AET établis au niveau européen aient automatiquement les mêmes effets juridiques dans les états membres que les accords d’entreprise conclus au niveau national. Les accords collectifs européens ne seraient donc différents des accords collectifs internes (nationaux) qu’en regard de leurs négociateurs et, le cas échéant, de leur contenu. La technique juridique à considérer ici est partiellement celle de « l’adhésion », selon laquelle les parties doivent en fait appliquer un accord au niveau national qu’elles n’ont pas négocié ni signé elles-mêmes. Il faudrait donc que les organisations nationales affiliées donnent un mandat aux fédérations syndicales européennes de branche pour que ces dernières négocient en leur nom. Cette solution aurait l’avantage de tenir compte de la diversité des relations professionnelles et des systèmes juridiques d’un état membre à un autre. Elle pourrait par contre se heurter à des obstacles affectant la portée contraignante des AET si, par exemple, les acteurs nationaux étaient contre le contenu d’un accord collectif européen et décidaient donc de boycotter sa mise en application au niveau national. Le Groupe d’experts EUROATCA a discuté en profondeur de certains défis découlant de la situation actuelle, caractérisée par l’absence de règles formelles et légales régissant les AET. Est-ce une invitation à la négociation, ou un obstacle à leur efficacité ? L’abstentionnisme et le volontarisme suffisent-ils ou un cadre juridique pour l’Union européenne est-il nécessaire ? Y a-t-il des alternatives ? Comment protéger l’autonomie des partenaires sociaux ? Les mesures de contrôle et de suivi sont-elles suffisantes pour garantir l’efficacité des accords ? Comment passer de l’expérimentation à des dispositifs plus stables ou pérennes ? Au sein du Groupe d’experts EUROATCA, nous considérons que la portée des AET est durablement affectée par l’absence d’un niveau adéquat de sécurité juridique. Actuellement, la mise en application entièrement volontaire des accords est sans doute nécessaire afin de préparer le terrain pour des relations professionnelles véritablement internationales, mais elle ne suffit pas pour a) encourager une large diffusion de ces accords, ni pour b) assurer une transnationalité réellement efficace et une application homogène des accords conclus au niveau local. Les parties devraient spécifier explicitement le caractère contraignant ou non-contraignant des engagements pris. Au-delà, il faudrait également dégager de nouvelles solutions qui engloberaient la gestion des conflits et la résolution des litiges afférents aux accords. 29 Rodríguez, Ahlberg, Davulis, Fulton, Gyulavári, Humblet, Jaspers, Miranda, Marhold, Valdés, Zimmer, Study on the characteristics and legal effects of agreements between companies and workers' representatives, 2012. 11 Nous pensons qu’il est également indispensable que tous les textes mettent en place des procédures internes » pour identifier et traiter les éventuels manquements aux stipulations des accords, par le biais de formes d’arbitrage et de médiation. Il faudrait aussi, par exemple, inclure des dispositions autonomes relatives à la mise en œuvre et l’application des accords, sur le modèle de la Directive de 2006 sur le silicium30. Actuellement, seuls certains AET intègrent des clauses de choix de la loi ou des clauses attributives de juridiction, alors que ceux disposant de mécanismes pour la résolution des litiges sont encore rares. Aujourd’hui, les tribunaux seront plus sensibles aux arguments doctrinaux relatifs à la loi et à la procédure applicables qu’aux véritables intérêts en cause. Le fait qu’il n’existe pas de section « travail » au sein de la Cour de justice de l’Union Européenne, ni de juridiction ordinaire compétente pour statuer sur les litiges afférents à l’application des AET nous conduit à dire qu’il serait utile de créer un organisme de conciliation/arbitrage tripartite au niveau européen. Ce dernier pourrait être accessible sur une base volontaire et ses décisions n’empêcheraient pas les parties en litige de saisir un tribunal « officiel ». La meilleure solution serait peut-être ainsi de permettre l’émergence d’une « jurisprudence transfrontalière » (qui pourrait même être privée) pour faciliter l’appréhension juridique de telles pratiques en regard des intérêts européens des acteurs concernés. 5. Les difficultés inhérentes à l’établissement d’un cadre juridique Le souhait de promouvoir une forme d’interventionnisme juridique se heurte cependant à une série d’obstacles. Les associations d’employeurs à tous les niveaux refusent toute solution allant audelà du volontarisme intégral actuellement en vigueur31. Et c’est là sans doute le plus grand obstacle au développement et à l’évolution juridique des AET. Il faut néanmoins ajouter que nous avons pu relever une forte résistance de la part de certains syndicats nationaux qui voient dans les AET des sources de régression possible par rapport aux normes et procédures locales. Les syndicats scandinaves sont ainsi ouvertement réticents vis-à-vis de l’adoption d’une telle approche et d’autres aspects porteurs d’un déplacement de la souveraineté de la négociation collective vers un niveau supranational. Dans certains cas, les différences stratégiques entre syndicats se manifestent de façon assez dramatique, comme dans le cas du plan de restructuration mondiale chez Electrolux32, mais elles peuvent aussi se traduire de façon plus indirecte, même quand le syndicat concerné est beaucoup plus pro-européen, comme dans le cas de Siemens. En raison des différences dans la configuration des relations professionnelles dans les 27 Etats membres de l’Union européenne, la négociation collective transnationale ne peut réussir que si elle accompagne la négociation collective de chaque Etat membre. Plus précisément, la négociation collective transnationale ne peut pas interférer avec les différents systèmes.33 C’est un énorme défi que de créer un cadre juridique dans ces conditions. Le point le plus difficile à régler tient à ce que les accords collectifs ne disposent pas de la même valeur juridique dans les différents états membres. Ces accords n’ont pas en eux-mêmes une portée contraignante dans tous les pays, portée qui leur donnerait un effet direct au bénéfice des employés. Dans certains cas, l’effet juridique contraignant n’est obtenu que lorsque le contenu de l’accord collectif est intégré dans le contrat de travail du salarié. En Grande Bretagne ils sont tout simplement perçus comme des engagements sur l’honneur. Qui plus est, certains Etats membres possèdent plus d’un type d’accord d’entreprise34. Au niveau de l’entreprise, on distingue en Europe des accords collectifs directement applicables, des accords volontaires ou des accords issus de procédures de codétermination négociés par les 30 B. Caruso e A. Alaimo, Il contratto collettivo nell’ordinamento dell’UE, WP “CSDLE”, n. 87/2011 R. Janssen, Transnational employer strategies and collective bargaining: the case of Europe, “International Journal of Labour Research”, Vol. 1, Issue 2, 2009. 32 V. Telljohann, Processi di delocalizzazione nel settore europeo degli elettrodomestici e forme di regolazione sociale, in “Sociologia del lavoro”, n. 123/2011 33 Voir le Rapport Ales. 34 C’est le cas dans les pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Lituanie, Luxemburg, Pologne, Portugal et Romanie. 31 12 syndicats ou conseils d’entreprise, comme par exemple, dans ce dernier cas, dans les systèmes duaux en Allemagne et en Autriche35. En regard de la diversité des pratiques actuelles de négociation collective, il faudrait donc faire preuve de pragmatisme pour dégager la meilleure façon de garantir l’efficacité des AET, en adoptant par exemple des codes de conduite pour les négociations, des lignes directrices communes partagées par les syndicats avant la signature de tels accords. La Commission européenne, mais aussi la CES, sont d’avis que l’établissement d’un cadre réglementaire optionnel est une option politique. Le mouvement syndical européen, de son côté, cherche à mieux identifier le phénomène pour définir une position commune sur la façon dont la négociation transfrontalière devrait se dérouler. De manière générale, ce à quoi il faut urgemment aboutir, c’est à une coopération et une coordination plus forte de la négociation au sein des entreprises transnationales. Le comité exécutif de la CES avait déjà abordé cette question de la négociation transfrontalière avec les multinationales en 2006. Le groupe d’experts de la CES avait alors évoqué certaines options politiques telles que a) la reconnaissance du rôle des AET et la contribution à leur développement ; b) le soutien aux acteurs des AET et la définition précise de leur rôle ; c) la promotion de la transparence des négociations ; d) l’amélioration des liens avec d’autres niveaux du dialogue social ; e) la prise en compte des dimensions juridiques, y compris la résolution des litiges et la gestion des conflits. En juin 2012, un document d’orientation a été adopté par le comité exécutif de la CES, relatif à un cadre réglementaire optionnel. Celui-ci s’appuie sur la capacité autonome des syndicats « à encourager le développement efficace de la négociation collective transnationale ». Il est recommandé de toujours prendre des précautions comme, par exemple : Il existe un intérêt à approfondir des éléments aptes à renforcer la solidité intrinsèque des ACE en ce qui concerne leur force exécutoire et leur validité juridique ; Tous les accords signés doivent préciser clairement leurs lieu et date de signature. La date d’expiration des accords doit aussi apparaître ; Les deux parties signataires (les représentants des salariés et représentants des employeurs) doivent être mandatés afin de prouver leur capacité d’engagement et de garantir la légitimité des négociations ; Les parties doivent clairement exprimer leurs intentions, surtout en ce qui concerne les effets juridiques qu’ils souhaitent obtenir en signant un ACE. Les engagements « contraignants » doivent être facilement repérables et clairement définis ; Une clause de “non régression” doit toujours être incluse pour prévenir de potentiels conflits entre les accords collectifs nationaux/locaux d’un côté, et l’ACE de l’autre. Les parties devraient aussi tenir compte des conflits possibles avec les lois ou les accords collectifs des pays où l’ACE doit entrer en vigueur ; Les objectifs et les bénéficiaires de l’accord doivent être clairement explicités. Notamment, les parties doivent distinguer les clauses qui comportent des obligations mutuelles (partie obligatoire) et celles qui produisent des effets pour les salariés (partie normative) ; Les procédures de mise en œuvre doivent être détaillées. En particulier, les parties doivent définir les conditions nécessaires à l’activation des effets juridiques d’un ACE (en considérant notamment une mise en œuvre par le biais d’accords collectifs nationaux) et déterminer quelles procédures peuvent garantir sa bonne application ; Des procédures pour gérer les conflits éventuels doivent aussi être prévues. Le document de la CES fait suite à une forte demande de la part des organisations affiliées afin de pouvoir renforcer la coopération et la coordination des négociations au sein des multinationales. Le travail des fédérations syndicales européennes pourraient être mieux diffusé, y compris pour ce qui concerne les procédures de négociation que ces dernières mettent en place. Le 35 Voir R. Rodríguez et al, op. cit. 13 rôle des syndicats dans la signature des accords transnationaux devrait être renforcé et la portée de tels accords étendue afin de couvrir le cœur des conditions de travail. Il faut rationaliser la coexistence d’une multitude d’acteurs à la négociation afin que les Fédérations syndicales européennes soit les acteurs principaux de la négociation, seules habilitées à signer les ACE. La transparence est indispensable et devrait probablement être apportée par les procédures et mécanismes établies par les Fédérations syndicales européennes. Si le mandat est clair et facilement « traçable », le processus tout entier sera rendu plus transparent et responsable. Dans tous les cas, il serait utile de promouvoir les bonnes pratiques – et leur diffusion – en suivant certains principes, normes et lignes directrices. 6. Le rôle des CEE et FSE Malgré la diversité des opinions, les AET ont gagné en importance sur l’agenda syndical, surtout dans le contexte européen. Récemment, il y a eu une augmentation rapide du nombre d’accords conclus revêtant une portée européenne (les ACE). Les CEE ont été très actifs dans leurs négociations avec les multinationales. Il a été dit que la flexibilité de la Directive sur les CEE conduit à ce que les CEE puissent revêtir des structures différentes et pourraient donc accomplir différentes fonctions. Il est notamment vrai que certains CEE regroupent uniquement des membres syndiqués et peuvent ainsi répondre à tous les critères nécessaires pour devenir un organe de négociation. Des CEE ont récemment conclu des ACE avec succès, et continueront de le faire à l’avenir. Cependant, si l’objectif est d’encadrer les négociations transnationales engagées avec les multinationales selon des procédures préétablies (même sur la base d’un ensemble de règles optionnelles), l’expérience actuelle illustre clairement que les CEE ne peuvent guère servir de structures syndicales fiables pour la négociation collective au niveau transnational. Dans certains cas, les négociations ont été menées par des comités ad hoc (un ensemble de syndicats nationaux ou de plusieurs types de représentants des salariés). Cette solution est habituellement dirigée par un acteur dominant, comme le(s) syndicat(s) de l’entreprise mère ou (pire encore) par l’entreprise elle-même. Cette solution ne peut apporter aucune garantie de résultat proprement démocratique car elle n’est que la somme d’intérêts nationaux et ne découle pas d’une représentation authentique d’intérêts paneuropéens. L’option la plus convaincante de la dernière décennie est celle où des procédures et règlements établis par les FSE font de ces fédérations les acteurs principaux et légitimes pour négocier et conclure des accords ayant une portée transfrontalière. Plusieurs FSE ont déjà élaboré des procédures internes pour mener des négociations avec des entreprises transnationales, afin de marquer leur légitimité de négociateur et de partie signataire agissant pour les salariés. Les éléments les plus récurrents des procédures mises en place par les FSE sont : La reconnaissance du rôle des CEE dans la création d’un environnement propice à la négociation transnationale. Les membres syndiqués des CEE peuvent faire partie d’une délégation européenne qui négocie un ACE, en tant que négociateurs mandatés par les syndicats. Les FSE doivent être averties de la possibilité de lancer une négociation pour un ACE. Les FSE assument un rôle directeur et signent les accords. Les syndicats nationaux doivent faire partie des négociations mais ils doivent insérer leurs intérêts nationaux particuliers dans des procédures adoptées au niveau européen. Arriver à un consensus est le principe de base. Afin d’y incorporer des éléments démocratiques dans le contexte d’intérêts divergents, la règle de la majorité des deux tiers s’applique dans chaque pays. La minorité de blocage doit atteindre le seuil de 5% de la main-d’œuvre. Les procédures et la formation du mandat renforceront la légitimité des accords et faciliteront leur mise en œuvre au niveau national. 14 L’information sur les négociations en cours et leurs résultats sont en principe transmis aux comités exécutifs des FSE et d’autres organismes de coordination. La communication au niveau national ainsi que la mise en œuvre d’accords collectifs au niveau national relève des organisations nationales. 7. Les AET pour répondre aux transitions à court et long terme L’évaluation des AET ne peut aujourd’hui contourner la question de leur représentativité, y compris numérique, par rapport au nombre total (estimé ?) des multinationales. Comme nous l’avons indiqué, il y a actuellement 225 accords relatifs à 150 entreprises transnationales. Nous savons qu’il y a à peu près 1 000 CEE établis – alors qu’au moins 2 400 entreprises ou groupes sont soumis aux prescriptions de la Directive de 2009. Si nous élargissons ce scénario au niveau mondial – de nombreux AET ont en fait une telle portée – la CNUCED situe à 65 000 le nombre de multinationales dans le monde36. Sur ces bases, nous ne pouvons que conclure à l’impact encore très limité des AET aujourd’hui. Nous savons néanmoins que dans les relations de pouvoir actuelles à travers le monde, où le déséquilibre entre les salariés et les dirigeants ne fait qu’augmenter, il semble presque miraculeux que relativement si peu d’accords aient été signés. Ces derniers attestent certainement d’un « dynamisme social » particulièrement précieux si l’on considère la lenteur ou même l’absence de politiques à de nombreux niveaux. Pour ceux qui sont déjà en vigueur, la difficulté majeure des AET se trouve dans leur mise en application et leur efficacité, surtout par temps de crise et/ou lorsque les syndicats sont faibles comme en Pologne, mais aussi dans des pays comme la Grande Bretagne où les dirigeants locaux refusent souvent d’appliquer convenablement les AET. Au-delà de cette incertitude juridique, il faut aussi tenir compte du réel affaiblissement de la force syndicale dans de nombreux Etats membres. La négociation collective est de plus en plus une négociation de concession, décentralisée et individualisée, tandis que dans beaucoup de pays nous observons une décroissance du taux de syndicalisation et de la couverture conventionnelle37. Il est donc juste et nécessaire de parler de la négociation d’entreprise transnationale, mais seulement si l’on comprend intégralement tous les processus qui menacent la négociation collective sectorielle et multi-employeurs dans un nombre croissant de pays. En regard de ces constats, nous devrions avoir pour ambition de passer de textes purement déclaratifs à des textes au contenu véritablement contraignant. Parmi nos experts en droit, l’approche dominante cherche à promouvoir une solution centrée sur les « outils durs ». E. Ales manifeste une faveur pour le Règlement tandis que R. Zimmer et d’autres penchent davantage pour la Directive. L’objectif devrait être de créer des règles à partir de la pratique, avec en même temps l’élaboration d’une sorte de jurisprudence supranationale, même de nature privée. Les AET ont des conséquences profondes sur les relations professionnelles. Leur champ d’application est en fait double : mondial, périmètre au niveau duquel le groupe opère ; local, dans chaque site du groupe. Ils représentent donc l’archétype de la loi « glocalisée », pour citer Robertson38. Le centre de gravité de la négociation se déplace et s’échappe (étant centrifuge) vers le haut, au niveau des entreprises internationales, et vers le bas, au niveau de chaque entreprise. Selon le modèle appelé « continental » des relations professionnelles – avec ses sous-espèces nordique mais aussi méditerranéenne – le défi est qu’ils risquent de contourner la primauté traditionnelle du milieu national typique : le niveau multi-employeurs de la négociation collective. Ceci pourrait mener à un « corporatisme d’entreprise » – plus typique du modèle anglo-saxon et des nouveaux 36 M. Fichter, M. Helfen, K. Schiederig, Si può organizzare la solidarietà internazionale a livello aziendale? La prospettiva degli International Framework Agreements (Ifa), in “Lavoro e partecipazione - Sociologia del lavoro”, n. 123/2011 37 M. Keune et V. Schmidt, op. cit.; e L. Baccaro et C. Howell, A common Neoliberal Trajectory. The transformation of industrial relations in advanced capitalism, in “Politics & Society”, 2011. 38 R. Robertson, Globalization: Social Theory and Global Culture, 1992. 15 Etats membres – qui réduit l’espace de solidarité en aiguisant la concurrence entre les marques et les entreprises dans un même secteur, un même pays, un même territoire. C’est pourquoi le contenu et les effets des accords conclus à un niveau transnational n’ont pas affecté les accords collectifs conclus sous l’empire des législations nationales. Des clauses de non-régression devraient être intégrées à tous les textes. Une autre question très délicate touche la légitimité des agents de la négociation : les acteurs mandatés (qui négocie ?), la forme (comment ?), la mise en application et le suivi au niveau national. Le risque pourrait être que rien ne garantit un processus démocratique adéquat puisque ce qui domine c’est la somme des intérêts nationaux, privée de toute capacité authentique de représentation des intérêts paneuropéens. Les syndicats internationaux, comme nous l’avons appris lors de la conférence finale EUROATCA39, jouent trop souvent un rôle marginal pendant un processus de négociation qui est dominé – selon cette perspective – par une approche « eurocentrique ». Ce qu’il faut éviter, c’est une approche qui procède strictement du sommet à la base, ce qui risque d’être perçu par les partenaires sociaux comme une interférence ou une menace visant le niveau local ou national où les décisions produisent en réalité leurs effets. Pour le Groupe d’experts d’EUROATCA il est essentiel d’impliquer d’emblée tous les acteurs de la négociation, y compris les FSE et les organisations nationales, par le biais d’un mandat précis, pendant les négociations et au moment de la conclusion des accords. L’aspect le plus critique est celui des CEE qui ne détiennent pas de mandat de négociation mais qui ont très certainement joué un rôle majeur dans de nombreux accords que nous connaissons. D’un autre côté, on pourrait dire que la flexibilité de la Directive sur les CEE, leur confère différentes structures et leur permet ainsi d’exercer différentes fonctions. Cependant, ni la nouvelle Directive 2009/38/EC, ni les lois nationales de transposition ne donnent une base juridique permettant au CEE de conclure des AET, même si rien ne l’empêche si l’entreprise l’accepte. Pour les ACE, la CES indique que l’ensemble des acteurs, les CEE, les syndicats nationaux et les Fédérations syndicales européennes, doivent entretenir des activités complémentaires. Nous pouvons en conclure que même si récemment ils ont légitimement conclu des ACE, les CEE ne constituent pas à eux seuls un outil syndical adapté à la négociation collective au niveau transnational. Les expériences les plus réussies au sortir de la dernière décennie attestent de l’existence de procédures et de règlements de négociation établis par des FSE. Ceci fait des FSE des acteurs majeurs pour la négociation et la signature d’accords d’une portée transnationale avec des multinationales. Ces éléments devraient être intégrés à une politique syndicale européenne visant une meilleure coordination des stratégies de négociation collective. La CES a effectivement élaboré une nouvelle résolution sur la coordination et les lignes directrices de la négociation collective et l’a adressée à toutes ses organisations membres40. Les syndicats affiliés, d’Europe de l’Est surtout, demandent une meilleure coopération et coordination des négociations au sein des entreprises transnationales. C’est un objectif visé depuis la Conférence d’Helsinki mais qui ne semble pas encore avoir produit des résultats adaptés aux défis auxquels les syndicats sont confrontés41. 39 C. Coletti, pendant des années membre de la Fédération internationale des organisations de travailleurs de la Métallurgie, à Genève. 40 Voir la FEM - Procédure interne de la FEM pour les négociations au niveau des entreprises multinationales ; Luxembourg, 13-14 juin 2006; la Déclaration sur une stratégie d’UNI-Europa Finance en matière de négociation collective transnationale, adoptée à la Conférence d’UNI-Europa Finance, à Vienne, en Autriche, le 7 novembre 2008 ; Procédure pour les négociations à l’échelon de l’entreprise multinationale, adopté au Comité Exécutif de la FSESP du 9 au 10 novembre 2009, à Bruxelles. 41 P. Scherrer, Unions still a long way from a truly European position, in W. Kowalsky et P. Scherrer, Trade unions for a change of course in Europe, ETUI, Bruxelles, 2011 16 8. Entre le droit souple et le droit dur : les AET comme outils d’une « gouvernance expérimentaliste » Actuellement, les organisations internationales jouent un rôle sans précédent dans la transformation des systèmes socio-juridiques de tous les Etats membres de l’Union européenne. Un tel rôle peut être direct, par la transposition nationale de la loi européenne, et/ou indirect, par le rôle – grandissant – exercé par le droit souple issu de la Méthode Ouverte de Coordination, par le biais du benchmarking des meilleures pratiques et la comparaison statistique. De ce point de vue, les AET sont un excellent exemple du processus de dépositivisation ou de déjuridification qui marque de plus en plus l’évolution du droit mondial. Les dispositions qu’ils établissent sont de plus en plus de nature procédurale. Ces textes représentent sans doute un exemple typique de droit transnational, appelé « à basse définition » par Maria Rosaria Ferrarese pour marquer la différence avec la « haute définition » de la tradition juridique du droit civil moderne42. Nous serions alors confrontés à un droit « disloqué » et « périphérique »43, exprimé à travers une diversité de sources et de procédures, où des acteurs privés contribuent à des formes de gouvernance qui diffèrent de l’attitude typique du « droit normatif » qui définit clairement des principes substantiels. Nous avons pu entendre que « le droit souple » n’équivaut à « aucune loi », ou au mieux à un droit « hésitant », une sorte de « gouvernance expérimentaliste » qui se trouve à mi-chemin entre avoir et ne pas avoir un droit. Des tentatives d’harmonisation vers le haut qui ont échoué risquent de ne laisser derrière elles qu’un chemin sans issue menant au « droit souple » (souple en regard des devoirs des entreprises et des droits des travailleurs, et le contraire, dur, en regard des sacrifices des travailleurs et des intérêts de l’entreprise), ce qui peut créer des « connexions faibles » (loose connections)44, plus souvent purement symboliques ou rhétoriques. Les politiques véritablement « dures », telles que celles qui résultent du Pacte Euro Plus, laissent apparaître de façon dramatique la faiblesse des instruments plus « souples ». Le processus délibératif au niveau européen est devenu si long et si compliqué – plus même entre les partenaires sociaux et au sein de chacun d’entre eux, comme nous l’avons observé directement avec la CES, qu’entre institutions – qu’il nécessite une chaîne de médiations dans laquelle chaque velléité d’augmenter et de consolider les droits des travailleurs est systématiquement mis en échec. Le risque ici serait que le droit souple, bien que solution de second choix, devienne le pilier des politiques sociales de demain, faisant ainsi, au mieux, figure de dernière idéologie syndicale selon l’expression de l’historien du droit Giovanni Tarello, ou, au pire, d’idéologie tout court, cachant ainsi une incapacité importante et dramatique à faire davantage et mieux. C’est pourquoi il faut à tout prix améliorer nos connaissances comparatives des différents systèmes nationaux des relations professionnelles. Pour arriver à briser ce qu’Ulrich Beck appelle le « nationalisme méthodologique ». Dans le scénario actuel et futur de la mondialisation, l’action syndicale au niveau supranational deviendra de plus en plus centrale. L’étude des relations professionnelles a la comparaison dans son ADN. Les questions comme celles sur la primauté des tendances vers la divergence ou la convergence des systèmes demeurent d’actualité. Malgré des différences persistantes entre les modèles institutionnels formels et les cadres nationaux réglementaires, particulièrement soulignées dans des études comparatives de politique économique (la théorie des « variétés du capitalisme »45), on trouve partout des tendances communes vers une convergence46 des politiques néolibérales47. Ce scénario est largement mondial et trouve sa 42 M. R. Ferrarese, Prima lezione di diritto globale, Laterza, 2011 G. Teubner, Societal Constitutionalism. Alternative in State-Central Constitutional Theory, in C. Jorges et al. Transnational Government and Constitutionalism, Hart Publishing, 2004. 44 B. Cattero, Tra diritto e identità. La partecipazione dei lavoratori nel modello europeo, in “Lavoro e partecipazione Sociologia del lavoro”, n. 123/2011 45 P.A. Hall e D. Soskice (a cura di), Varieties of Capitalism, Oxford University, 2001. 46 H.C. Katz e O Derbishire, Converging Divergences, Crnel Univ. Press, 2002 43 17 traduction dans les défis posés par une concurrence sans limites, le post-fordisme et la financiarisation de l’économie, y compris la crise la plus importante des sept dernières décennies. Une conjoncture qui soulève des difficultés majeures pour le mouvement ouvrier partout dans le monde, comme en attestent symptomatiquement la baisse générale du nombre de syndiqués, la réduction de la couverture conventionnelle et la diminution des conflits collectifs. Comme Otto Kahn-Freund ainsi que Giovanni Tarello ont pu le démontrer, la valeur des études comparatives en droit et en relations professionnelles se trouve dans la corrélation entre l’analyse descriptive des différents systèmes nationaux et le profil normatif qu’ils devraient acquérir de par leur potentiel de transfert d’un pays à un autre. Cependant, une telle approche – qui depuis toujours est difficile dans le domaine des relations professionnelles – demande un meilleur équilibre. A défaut, elle risque de devenir un instrument politique, conférant une légitimité douteuse à des réformes nationales qui visent la déréglementation. Le benchmarking « à sens unique » a mené beaucoup de pays à réduire leur niveau de protection sociale et à construire une sorte de monstre de Frankenstein, par emprunt partiel aux pays où les règles sont moins strictes concernant notamment les licenciements ou le recours à une main d’œuvre flexible sans qu’il soit tenu compte des droits collectifs et individuels reconnus dans ces mêmes pays (normes protectrices, politiques d’activation et/ou mécanismes de codétermination dans l’entreprise). Les systèmes de relations professionnelles des nouveaux Etats membres vont jouer un rôle de plus en plus important. Comme nous voyons dans les contributions d’Adamczyk et de Surdykowska, la question de base est « de savoir si l’on pourra se servir des tendances observées depuis 20 ans pour négocier les AET dans les multinationales et renforcer les relations professionnelles dans les nouveaux états membres ». En réponse à cette question, ils avancent que « tout dépend de la reconnaissance de l’importance des AET par les syndicats, surtout dans leur déclinaison européenne des accords cadre européens (ACE), qui ont le contenu le plus substantiel. Il est donc essentiel de savoir s’il existe une véritable volonté politique de la part des syndicats européens de soutenir les ACE (y compris les cadres juridiques élaborés pour leur adoption et leur application) et si les stipulations des ACE pourraient encore davantage influencer les conditions du travail. Dans ce contexte, une question d’ordre plus général est de savoir quel est le rapport entre l’adoption d’un ACE et la dynamique du modèle social européen, étant donnée la décentralisation spontanée et continuelle des négociations collectives dans les anciens Etats membres de l’Union européennes ». Il semble évident que les AET fournissent des espaces et des moyens aux représentants syndicaux en Europe, par le biais et avec le soutien des FSE, pour partager des perspectives et des objectifs. Les AET sont des mesures véritablement innovantes qui visent le développement d’un dialogue social permanent comme condition préalable d’une gestion anticipatrice du changement. De façon générale, ces accords montrent une volonté commune d’organiser le dialogue social dans des entreprises transnationales de façon efficace et concrète, en allant au-delà de ce que les règlementations européennes et nationales ont déjà prévu. L’accent est mis sur les différentes façons de garantir un dialogue social efficace et mieux structuré, c.à.d. un dialogue social qui puisse vraiment contribuer à la performance sociale et économique des groupes à différents niveaux (voir par exemple le cas ARCELOR MITTAL et les difficultés rencontrées à cet égard). Pour conclure, la création d’un cadre juridique pour les accords collectif transnationaux (au niveau de l’entreprise) dans les 27 états membres est une tâche particulièrement complexe du fait des différences affectant les traditions du droit et des relations professionnelles. Il faudra certainement attendre quelque temps avant que la Commission européennes n’agisse et cela pas simplement en raison du fait que les partenaires sociaux s’opposent actuellement à l’adoption des solutions juridiquement contraignantes concernant les accords collectifs européens. Par ailleurs, de 47 L. Baccaro e C. Howell, Il cambiamento delle relazioni industriali nel capitalismo avanzato: una traiettoria comune, in “QRS”, n. 1/2012. 18 plus en plus d’entreprises signent des accords transnationaux sur divers sujets, soit avec les fédérations syndicales européennes, soit avec les acteurs collectifs comme les CEE. La pratique aboutit donc à des résultats tangibles tandis que la jurisprudence se développe assez lentement. L’internationalisation de l’économie mais aussi l’approfondissement du marché unique européen peuvent urgemment nécessiter la conclusion d’accords collectifs transnationaux. Pour les syndicats, cela implique à tout le moins de prendre conscience de leurs racines historiques et de donner une place plus importante à la solidarité européenne ou internationale. 19