Communication

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Communication
RÔLE DES RÉCITS COURTS DANS LA MOTIVATION DES APPRENANTS À LA
LECTURE LITTÉRAIRE
ISEFC du Bardo Université virtuelle de Tunis, Tunisie
Sonia SALHI,
Lire ne va plus de soi chez nos jeunes élèves contemporains pour lesquels l’accès au livre et à la
littérature est une expérience difficile, souvent effectuée sous la contrainte. Lire les contes et les
nouvelles peut constituer un moyen pour sensibiliser à la lecture littéraire même si on est obligé de
faire face à des représentations que de nombreux élèves se font de la littérature et du genre bref. Les
recherches que nous avons entreprises depuis voilà dix ans dans des écoles, collèges et lycées du
pays ont prouvé que l’élève tunisien affiche un désintérêt total pour le livre. Rares sont ceux qui
accordent du temps à la lecture et surtout à la lecture littéraire.
Notre objectif durant toutes ces années a consisté à faire du récit court un objet d’apprentissage qui
sert surtout à motiver les apprenants à la lecture littéraire. Nous avons été très sensible à l’intérêt
porté par l’élève du primaire au conte. En effet, nos enquêtes entreprises dans des établissements du
premier cycle de l’enseignement de base ont montré que les élèves du primaire sont fascinés par les
contes. Ils ne cachent pas leur penchant pour la lecture des contes surtout les plus merveilleux
d’entre eux. Leur caractère magique et leur dimension féérique les marquent à jamais. L’heure du
conte est un moment exceptionnel qui les fascine à l’école primaire. Arrivés au collège, ils
deviennent plus réticents et moins attirés par ce genre jugé trop invraisemblable et irréel. Pourtant,
dés qu’on a décidé de partir des représentations que nos jeunes se faisaient du genre bref, de
combattre celles qui freinent l’apprentissage, on a ressenti une volonté de la part d’une majorité
écrasante de renouer avec le genre bref en particulier le conte et la nouvelle. C’est aussi par le biais
d’un ensemble de stratégies, de démarches, de moyens susceptibles de faciliter la lecture du genre
bref que nous continuons à encourager nos apprenants à la lecture littéraire. Il s’avère aussi que le
choix des ouvrages et surtout ceux programmés pour la lecture suivie en tant qu’œuvre intégrale a
une influence remarquable sur la motivation. Plus les titres des ouvrages proposés à la lecture suivie
sont motivants, plus l’espoir de tomber sur des élèves prêts à lire dans le genre bref est grand. Pour
arriver à leur faire aimer la lecture littéraire, on a tenté d’agir sur leurs représentations de les faire
participer au choix des œuvres et de travailler sur des incipit et des épilogues des nouvelles mais
aussi de certains contes philosophiques Voltairiens jugés inaccessibles par nos élèves. L’étude du
paratexte, la lecture des images et des illustrations, l’expérience de l’écriture dans le genre dont
nous ferons part dans ce qui suit peuvent aider l’élève à dépasser la difficulté qui l’empêche
d’aborder la lecture en français langue étrangère et à développer chez lui le comportement d’un
lecteur autonome.
Une première proposition que nous jugeons capable de motiver à la lecture consiste à faire
participer les élèves au choix de l’œuvre.
Un choix collectif de l’œuvre
Généralement dictée par les Programmes officiels ou dépendant d’un certain nombre de contraintes
institutionnelles ou imposées par le professeur, l’œuvre proposée pour la lecture suivie ne plaît pas à
nos jeunes élèves. Pour qu’il soit motivant, le support de la lecture suivie doit répondre aux besoins
de l’élève, tenir compte de son âge, de son niveau en français et de son orientation. A partir de
douze ans, l’élève commence à avoir un penchant pour un genre bien précis d’ouvrages qui lui
proposent les thèmes qu’il préfère. Comme il aime les actions complexes et n’apprécie pas les récits
qui se limitent à un seul personnage, l’élève doit de préférence lire des contes et des nouvelles qui
le retiennent et ne le laissent pas insensibles. Tout en respectant les programmes officiels de
français et le statut accordé au genre littéraire et en particulier les récits courts, nous proposons de
prendre en considération le profil, le besoin, et l’âge de ces élèves. Il est tout à fait possible
d’impliquer les élèves dans le choix de l’œuvre littéraire au programme. Le choix collectif se faisait
sur la base de deux critères uniquement à savoir l’aspect thématique et linguistique. En effet, ce
sont les seuls critères de choix que les élèves possèdent car ils ne sont pas nombreux à lire des
textes littéraires. Les seuls qu’ils connaissent sont ceux qu’on leur propose en classe de français. Ils
ne savent pas tellement faire un choix à propos du genre ou le classifier. A partir de douze ans, le
merveilleux des contes de fées ne les inspire plus, le fantastique ne peut être à leur goûts que s’il
vise à dévoiler des réalités qui ont trait à la société ou à l’homme à ses sentiments, valeurs ou
caractère. Bref même si les critères sur lesquels on se base ne sont pas nombreux nous arrivons à
avoir une idée globale des sujets capables de susciter l’intérêt d’un élève et nous pensons que le
choix des nouvelles revient au professeur et à ses élèves. En outre, il n’est pas très difficile de
s’entendre sur un choix collectif retenu suite à des recherches sur internet ou ailleurs, choix que
nous résumons dans la séquence suivante.
1- Le professeur fait circuler au début de l’année une liste avec des titres de nouvelles
2- Cette liste reste une semaine chez l’élève le temps qu’il coche l’ouvrage qu’il désire lire. Il peut
même faire des recherches sur internet, ou tout simplement interroger ses Camarades, sur leurs
impressions, ou interroger ses parents …
3-L’élève peut proposer une nouvelle s’il a vraiment un titre en tête.
4-Le professeur ramasse les fiches, son choix va se porter sur la nouvelle la plus demandée.
5-Vers la fin du trimestre, il doit mettre à la disposition de ses élèves la nouvelle en question
6-Avant la lecture, il y a une séance de sensibilisation à la lecture de la nouvelle, l’élève
découvre l’œuvre en question. A partir du paratexte, il va être conduit à émettre des hypothèses
concernant le contenu.
7-La lecture se fait pendant les vacances.
8-L’étude se fait après les vacances.
Cette méthode a prouvé que la participation de l’élève au choix de l’œuvre est très importante. C’est
à la fois motivant et enrichissant car les recherches rapides et efficaces entreprises sur internet ont
permis aux élèves de se construire un savoir sur la nouvelle en tant que genre.
Ils ont vu des nouvelles, ont constaté leur aspect bref qui va de trois à trente pages et ont appris que
certains écrivains sont romanciers, poètes et nouvellistes. Ils ont même trouvé des définitions du
genre, mais avant même de prendre connaissance de ces définitions, ils ont saisi le caractère
littéraire et bref de la nouvelle. La nouvelle est donc un genre littéraire ce qu’ils n’ont pas retenu
des définitions trop hâtives et souvent implicites que leurs enseignants s’efforçaient de leur faire
passer. Avec cette recherche, les élèves retiendront pour toujours que la nouvelle est un genre
littéraire au même titre que le roman, la poésie et le théâtre. La nouvelle n’est pas seulement un
genre fantastique, ils découvrent qu’il existe des sous-genres qu’ils apprécieront certainement : Des
nouvelles sentimentales, humoristiques, policières, vouées à l’évènement réel ou imaginaire,
réaliste ou fantaisiste, des nouvelles de science-fiction…Ils retiendront également plusieurs titres de
nouvelles et de nouvellistes ce qui est un début dans la sensibilisation. Nous avons d’un côté, fait
participer ces jeunes au choix de l’œuvre de sorte qu’ils se sentent impliqués et responsables de la
réussite de cet apprentissage, d’un autre côté, nous avons sensibilisé un grand nombre d’entre eux à
la lecture des nouvelles qui sont disponibles sur internet. Ils n’ont pas besoin d’aller à la
bibliothèque ou dans une librairie spécialisée, il leur suffit de se connecter pour lire une ou même
deux nouvelles sans même les imprimer. Bref, ces jeunes ont besoin d’être orientés, et encadrés.
L’enseignant est le seul qui puisse les aider, il doit essayer d’être compréhensif, sensible à leurs
difficultés, à leurs besoins tout en faisant appel à son savoir faire en la matière.
Nous enchaînons dans ce qui suit sur un autre moyen de sensibilisation à la lecture qui prend appui
sur le genre bref car c’est en partant des représentations que se font les élèves du récit court qu’on
va les aider à mieux saisir ses caractéristiques pour en faire leur genre littéraire préférée.
Partir des représentations pour identifier un genre littéraire : la nouvelle
Il est possible de partir des représentations pour identifier un genre littéraire : la nouvelle
On peut faire de la séance de lancement de la lecture une occasion pour faire émerger les
représentations que se font les élèves d’un genre littéraire. Notre choix va se porter sur la nouvelle
et plus précisément la nouvelle de J-M.G. Le Clézio, Orlamonde extraite de La Ronde et autres
faits divers (Folio). Avant toute lecture de la nouvelle, toute mention même d’une éventuelle
lecture, sont écrits au tableau le titre et une des phrases du texte :
Titre : Orlamonde
Citation :
« Alors elle lui a fait jurer de ne jamais révéler sa cachette à personne, même si on le battait, même
si on le battait, même si on lui brûlait la plante des pieds avec une bougie. »
Consigne :
A partir des deux éléments proposés quel est selon vous, le genre littéraire auquel peut appartenir
cet extrait ?
Comme il arrive qu’un grand nombre d’élèves ignore la notion de genre littéraire ou croit l’ignorer,
nous devons faire un bref rappel d’exemples de genres littéraires et veiller à ce que ces exemples
soient précis et diversifiés pour ne pas orienter d’avance les réponses. Après un court temps de
réflexion chacun des élèves propose une indication de genre en la justifiant rapidement, elles sont
notées au tableau sans que le professeur porte le moindre jugement. Les réponses sont surprenantes
parfois et le professeur ne doit pas influencer les élèves ou intervenir, il ne peut intervenir que si les
propositions ne respectent pas la consigne. Une fois les propositions notées, le professeur distribue à
ses élèves le dernier paragraphe de la nouvelle que les élèves lisent silencieusement. Une nouvelle
discussion collective est lancée, elle permet d’éliminer certaines des propositions antérieures qui ne
peuvent convenir. A partir de celles qui ont été conservées, les élèves doivent imaginer les grandes
lignes d’un scénario qui conduirait de la phrase qu’ils ont examinée antérieurement au dénouement.
Les scénarios sont ensuite confrontés collectivement. Le choix va se porter sur un seul scénario qui
sera comparé avec la nouvelle. Cette séance met les élèves en position de recherche active par
rapport au texte qui va être étudié en classe et suscite une vive curiosité, même chez les élèves qui
lisent très peu. En plus, elle explicite la démarche de toute découverte d’un texte à partir
d’hypothèses que la lecture va confirmer ou infirmer.
Combattre les représentations sur la nouvelle en variant les sous-genres
Si un grand nombre d’élèves continue à croire que tous les contes sont merveilleux et toutes les
nouvelles sont fantastiques, s’ils sont nombreux à refuser de les lire en sous estimant le genre, c’est
parce qu’ils n’ont pas une connaissance parfaite du genre et de ses sous-genres. Les élèves doivent
savoir que la nouvelle est un genre littéraire aussi riche que le roman. Beaucoup d’enseignants vont
affirmer avoir fait allusion à d’autres sous- genres dans leur présentation de la nouvelle. Nous
pensons que le problème dépasse le professeur et sa conception du cours sur la nouvelle. La
responsabilité revient à notre avis aux concepteurs des manuels qui doivent varier les sous-genres et
proposer la nouvelle sentimentale, la nouvelle policière, la nouvelle de science fiction, la nouvelle
réaliste et bien sûr la nouvelle fantastique. Se limiter à un seul sous-genre rendrait la séance
monotone aussi bien pour le professeur que pour l’élève. Nous pensons qu’il sera plus juste de
varier les sous- genres et de donner à l’élève la chance de les rencontrer à plusieurs niveaux de
l’apprentissage. La nouvelle dans les programmes ne doit pas se limiter à la lecture suivie, elle doit
figurer un peu partout comme morceaux choisis de lecture expliquée, comme support à des activités
grammaticales et lexicales et comme support pour lancer un projet d’écriture de la nouvelle.
Si on parvenait à varier les nouvelles et à les introduire au niveau de plusieurs activités de
l’apprentissage, on aurait plus de chance d’agir même partiellement sur les conceptions de nos
élèves et leurs représentations.
Des stratégies de lectures pour favoriser la lecture des nouvelles
Avec des supports attrayants, nous avons de fortes chances que nos élèves lisent le conte ou la
nouvelle programmée mais avec des stratégies de lecture claires et motivantes, nous pouvons
garantir que l’élève s’engagera dans une relecture et une étude plus approfondie du texte.
Pour adapter les démarches, nous distinguerons deux types d’approches du texte en nous référant à
la différence établie par divers théoriciens de la lecture :
-La lecture- participation au cours de laquelle, le lecteur, soumis à la fiction se laisse prendre par
l’illusion référentielle, adhère simplement à l’histoire et réagit avant tout sur le mode affectif.
-La lecture- distanciation qui refuse de céder à l’illusion référentielle et de considérer le texte
comme un simple reflet de la réalité; cette lecture plus distancée et plus conforme à une réception
littéraire s’intéresse alors au texte comme objet construit, comme combinaison de procédés formels
comme jeu avec les stéréotypes et avec d’autres textes.
Comme la nouvelle affectionne plus que d’autres textes narratifs les effets de surprise obtenus grâce
à la technique de la chute, comme elle est courte allant de trois à une trentaine de pages souvent
étoffée d’implicite, de non dit, d’ellipses, elle constitue un support idéal pour apprendre la lecture
littéraire à travers des démarches différentes qui adoptent des stratégies variées et qui ne prennent
pas plus qu’une ou deux séances.
- Première stratégie : On donne aux élèves un texte à lire en entier. Les lectures menées par les
élèves avec une grande efficacité doivent être confrontées. Chacun expose ses propositions
interprétatives et chaque fois qu’il y a une variation ou des divergences, un retour sur le texte
s’impose pour des clarifications interprétatives et ce, à travers la recherche d’indices pertinents afin
de confirmer ou d’infirmer les propositions.
-Une deuxième stratégie : On fractionne le texte de la nouvelle en fonction des moments forts dans
l’intrigue ou des signaux de suspense de sorte que l’élève ait à imaginer les suites du récit à l’oral
ou à l’écrit. Il devra se baser sur des indices 1prélevés dans le fragment connu pour émettre des
1
Lector in fabula u eco p145
hypothèses sur la possible fiction à venir. A ce moment là, l’élève doit faire appel à sa compétence
encyclopédique qui jouera un rôle essentiel. La référence à divers types de scénarios aidera l’élève à
élaborer des hypothèses de lecture plus acceptables.
-Une troisième stratégie : On ampute la chute du texte et on demande aux élèves après avoir lu
toute la nouvelle d’écrire un dénouement. Après confrontation des dénouements anticipés par les
élèves, on passe à la lecture du dénouement imaginé par l’auteur avec une relecture plus
attentionnée de l’ensemble de la nouvelle à travers le repérage d’indices, de détails, de
manipulations pour comprendre comment l’auteur a abouti à la chute.
La nouvelle aide ainsi le professeur à faire aimer aux élèves le genre bref et à les sensibiliser à sa
dimension littéraire. Elle lui donne l’occasion grâce à la brièveté du genre et sa richesse d’adopter
des stratégies de lecture différentes en fonction des objectifs qu’il s’est fixés et du niveau général
des élèves.
Nous passons à la sensibilisation de la lecture d’un conte philosophique jugé trop difficile par des
élèves de 3ème lettres d un grand nombre de lycée de la ville de Tunis.
Stimuler la lecture à l’aide d’extraits de conte
Etudier une œuvre intégrale et en particulier un conte philosophique en se fondant sur un certain
nombre d’extraits, généralement choisis par l’enseignant est une pratique scolaire courante. Nous
avons dans la liste indicative des œuvres susceptibles de faire l’objet d’un module de lecture fournie
par le ministère de l’éducation en Tunisie, des contes de voltaire que le professeur peut exploiter en
lecture suivie en fonction du niveau général de la classe. Nombreux sont les professeurs qui
proposent Candide ou l’Ingénue de Voltaire.
Nous allons proposer dans cette tentative de sensibilisation à la lecture du conte philosophique des
extraits du conte Jeannot et Colin de Voltaire. Le choix des extraits sera fait en fonction de la
perspective de la lecture et du caractère significatif du passage. Aucune information ne sera fournie
à l’exception du nom de l’auteur et du titre du conte. La lecture des extraits vise essentiellement à
aider l’élève à élaborer des hypothèses de lecture, un questionnement concernant l’œuvre dans son
ensemble qui peuvent constituer des pistes pour faciliter la lecture autonome de l’œuvre. L’élève
peut être conduit à la fin de sa lecture intégrale du conte à revenir sur l’ensemble de ces hypothèses
pour faire apparaitre ce que la lecture intégrale a modifié par rapport aux impressions premières.
L’écriture de Voltaire est souvent perçue comme difficile d’accès en raison de sa tonalité ironique.
Avant d’étudier le conte Jeannot et Colin, la comparaison du début et de la fin du conte va
permettre de trouver des hypothèses qui mettent en évidence la cohérence du conte. Pendant deux
séances d’une heure chacune, le professeur va aider ses élèves à faire une lecture analytique, ensuite
à faire une écriture individuelle qui permet à l’élève d’imaginer l’intrigue sur la base d’informations
recueillies dans le texte1.
Les textes proposés aux élèves :
Début du conte de Voltaire, Jeannot et Colin, Classiques Larousse.
Texte1
Plusieurs personnes dignes de foi ont vu Jeannot et Colin à l’école dans la ville d’Issoire, en
Auvergne, ville fameuse dans tout l’univers par son collège et par ses chaudrons. Jeannot était le fils
d’un marchand de mulets très renommé, et Colin devait le jour à un brave laboureur des environs
qui cultivait la terre avec ses quatre mulets, et qui après avoir payé la taille, le taillon, les aides et
gabelles, le sou pour le livre, la capitation et les vingtièmes ne se trouvait pas puissamment riche au
bout de l’année. Jeannot et Colin étaient forts jolis pour des Auvergnats ; ils s’aimaient beaucoup, et
ils avaient ensemble des petites privautés, des petites familiarités dont on se ressouvient toujours
avec agrément quand on se rencontre ensuite dans le monde. Le temps de leurs études était sur le
point de finir, quand un tailleur apporta à Jeannot un habit de velours à trois couleurs, avec une
veste de Lyon de fort bon gout : le tout était accompagné d’une lettre à Monsieur de la Jeannotière.
Colin admira l’habit et ne fut point jaloux ; mais Jeannot prit un air de supériorité qui affligea Colin.
Dés ce moment, Jeannot n’étudia plus, se regarda au miroir et méprisa tout le monde. Quelque
temps après, un valet de chambre arrive en poste, et apporte à une seconde lettre à monsieur le
marquis de la jeannotière : c’était un ordre de monsieur son père de faire venir monsieur son fils à
Paris. Jeannot monta en chaise en tendant la main à Colin avec un sourire de protection assez
noble. Colin sentit son néant; et pleura. Jeannot partit dans toute la pompe de sa gloire
VOLTAIRE, Jeannot et Colin, Classiques Larousse.
Lors de la première séance, nous proposons de travailler sur l’incipit et de faire une lecture
analytique.
-Phase 1 : Une lecture analytique
On procède d’abord à un examen précis du début du conte afin de relever tous les éléments qui
introduisent l’intrigue et de faire percevoir les enjeux de l’incipit. On peut s’appuyer pour cela sur
la notion de schéma narratif. Cette séance peut prendre la forme d’un travail par petits groupes ou
d’une réflexion collective. La consigne va porter sur l’état initial (étude des deux premiers
paragraphes). Elle vise l’action, le repérage du cadre spatial, des personnages, de leurs rôles et
origine, du temps et de sa valeur.
La consigne
1-Quels sont les personnages principaux ?
2-Qu’apprend-on à leur sujet ?
3-Quelles sont les connotations suggérées par leurs prénoms ?
4-Quel est leur âge ?
5-A quelle époque vivent-ils ?
6-De quel lieu et de quel milieu social sont-ils originaires ? Ce lieu est-il très connu ?
7-Quel est le temps dominant dans ce passage ? Quelle est sa valeur ?
8- Identifiez le temps dominant dans le deuxième paragraphe ? Justifiez le changement de temps.
Tout de suite après, les élèves sont conduits à retrouver l’élément perturbateur
L’évènement perturbateur
1-De quoi s’agit-il ?
2-Quel thème introduisent les mots : « un habit de velours », « miroir » ?
3-Etudiez les premières conséquences de cette perturbation, évoquées par le narrateur.
Les élèves trouvent facilement les réponses mais ne perçoivent généralement pas
l’antiphrase : « Issoire, en Auvergne, ville fameuse dans tout l’univers ». L’apport par l’enseignant
d’informations précises sur les procédés lexicaux et syntaxiques de l’ironie est alors tout à fait
indispensable. A partir de là, les élèves vont pouvoir formuler des hypothèses de lecture visant à
repérer la tonalité choisie par le narrateur et les figures de style lui correspondant. Au terme de cette
lecture, il est possible d’inviter l’élève à imaginer une fin pour le conte.
Phase 2 : écrire l’intrigue à partir des données recueillies.
On invite les élèves à écrire l’intrigue telle qu’ils l’imaginent à partir de données observées
concernant le lieu, l’époque, les personnages, leurs relations et les modalités de leur séparation.
Consigne :
« Imaginez dans quelles circonstances Jeannot et Colin se retrouvent à la fin du conte ».
Si la séance s’avère trop courte, l’élève peut terminer son travail à la maison.
Une deuxième séance est envisagée pour présenter les écrits des élèves et les confronter à la fin du
conte.
La séance 2 : la fin du conte
La phase 1 : Les élèves vont lire au début de la séance leurs écrits
Dans un premier temps, l’enseignant les écoute sans commenter leurs écrits. Ensuite, il va décider
des critères de choix qui vont permettre d’accepter certaines propositions et d’éliminer les autres.
Le rôle de l’enseignant est d’aider les élèves à passer des critères subjectifs aux critères objectifs; il
ne doit retenir que les textes qui ont respecté toutes les informations mises en place par le narrateur
dans l’incipit. Nous avons des réponses variées et très originales mais le problème, c’est qu’il est
très rare de trouver des élèves qui respectent la tonalité et l’époque.
-La phase 2 : Lecture de la fin du conte.
Fin du conte : texte 2
Comme il était plongé dans l’accablement du désespoir, il vit avancer une chaise roulante à
l’antique, espèce de tombereau couvert, accompagné de rideaux de cuir, suivi de quatre charrettes
énormes toutes chargées. Il y avait dans la chaise un jeune homme grossièrement vêtu, c’était un
visage rond et frais qui respirait la douceur et la gaieté. Sa petite femme brune, et assez
grossièrement agréable, était cahotée à côté de lui .La voiture n’allait pas comme le char d’un petitmaître. Le voyageur eut tout le temps de contempler le marquis immobile, abîmé dans sa douleur.
« Eh ! mon Dieu ! s’écria-t-il, je crois que c’est là Jeannot. »
A ce nom, le marquis lève les yeux, la voiture s’arrête : « C’est Jeannot lui même c’est Jeannot. »
Le petit homme rebondi ne fait qu’un saut, et court embrasser son ancien camarade. Jeannot
reconnut Colin ; la honte et les pleurs couvrirent son visage. «Tu m’a abandonné, dit Colin mais tu
as beau être un grand seigneur, je t’aimerai toujours. » Jeannot, confus et attendri, lui conta en
sanglotant, une partie de son histoire. « Viens dans l’hôtellerie où je loge me conter le reste, lui dit
Colin ; embrasse ma petite femme, et allons dîner ensemble. » Ils vont tous trois à pieds, suivis du
bagage. « Qu’est-ce donc que tout cet attirail ? vous appartient-il ? Oui tout est à moi et à ma
femme. Nous arrivons du pays ; je suis à la tête d’une bonne manufacture de fer étamé et de
cuivre .J’ai épousé la fille d’un riche négociant en ustensiles nécessaires aux grands et aux petits :
nous travaillons beaucoup ; Dieu nous bénit ; nous n’avons point changé d’état ; nous sommes
heureux ; nous aiderons notre ami Jeannot. Ne sois plus marquis ; toutes les grandeurs de ce monde
ne valent pas un bon ami. Tu viendras avec moi au pays, je t’apprendrai le métier, il n’est pas
difficile, je te mettrai de part, et nous vivrons gaiement dans le coin de terre où nous sommes nés. »
Jeannot, éperdu, se sentait partagé entre la douleur et la joie, la tendresse et la honte ; il se disait tout
bas : « tous mes amis du bel air m’ont trahi, et Colin que j’ai méprisé, vient seul à mon secours.
Quelles instructions ! » La bonté d’âme de Colin développa dans le cœur de Jeannot le germe du
bon naturel que le monde n’avait pas encore étouffé. Il sentit qu’il ne pouvait abandonner son père
et sa mère. « Nous aurons soin de ta mère, dit Colin, et quant à ton bonhomme de père, qui est en
prison, j’entends un peu les affaires, ses créanciers, voyant qu’il n’a plus rien, s’accommoderont de
peu de chose ; je me charge de tout. » Colin fit tant qu’il tira le père de prison. Jeannot retourna
dans sa patrie avec ses parents, qui reprirent leur première profession. Il épousa une sœur de Colin,
laquelle étant de même humeur que le frère, le rendit très heureux. Et Jeannot le père, et Jeannotte
la mère et Jeannot le fils virent que le bonheur n’est pas dans la vanité.
VOLTAIRE, Jeannot et Colin, Classiques Larousse.
Les élèves lisent avec curiosité la fin du conte. Ils sont surpris par l’opposition entre les deux
situations, les deux états psychologiques des personnages, mais on sent qu’ils font des efforts et
qu’ils apprécient tout à fait l’approche. Ils seront conduits à relever les expressions qui prouvent
que l’état psychologique des deux personnages a subi une évolution ou plutôt un renversement. Ils
n’hésitent pas à signaler l’opposition entre le début et la fin.
1-Jeannot qui, au début du conte, « partit en toute la pompe de sa gloire » texte 1, se trouve à la fin
du conte « plongé dans l’accablement du désespoir » texte 2.
2-Colin était malheureux au moment du départ de Jeannot, il « sentit son néant et pleura » alors que
dans le texte 2, il semblait tout content avec « un visage rond et frais qui respirait la douceur et la
gaieté ».
Le professeur peut aider les élèves à reformuler d’autres hypothèses sur le contenu, en poursuivant
l’examen du texte 2. Des questions sur l’évènement central du texte, sur les actions et les projets de
Colin, sur les rapports entre les deux personnages pourraient servir à affiner les hypothèses de
lecture et à commenter l’évolution des personnages. Plusieurs morales tirées de l’épilogue sont
possibles, on peut demander aux élèves de les écrire eux mêmes ou de relever du texte des phrases
du genre « le bonheur n’est pas dans la vanité » qui pourraient être utilisées comme des moralités,
ce qui permet d’envisager plusieurs axes de lectures possibles. Certains élèves vont privilégier l’axe
de la satire sociale, d’autres la conception du bonheur ou le sens de l’amitié et pourraient même être
chargés de préparer des exposés oraux sur ces thèmes. Grâce à cette approche, nous aidons les
élèves à mieux saisir la tonalité du conte de Voltaire pour ne pas rencontrer des difficultés les
empêchant de lire le conte dans son intégralité. Nous continuons à exposer une autre démarche
didactique capable d’aboutir à une sensibilisation à la lecture du texte littéraire. Il s’agit cette fois
d’utiliser l’iconographie à partir des données fournies par l’objet livre lui-même.
Utiliser l’iconographie
L’image paraissant souvent aux jeunes lecteurs plus accessible que le texte, l’utilisation de
l’iconographie est souvent pertinente pour la construction ou la simple esquisse d’hypothèses de
lecture qu’un travail ultérieur sur l’œuvre permettra de vérifier ou d’infirmer.
On peut utiliser dans cette perspective la ou les pages de couverture, les illustrations de l’ouvrage
présentées généralement dans les éditions scolaires et les manuels, des reproductions de tableaux ou
des gravures, éventuellement des extraits de films.
Comme les jeunes sont très fascinés par l’image, il importe de leur faire aimer la lecture d’un conte
en commençant par la lecture de l’illustration de la couverture. Cette démarche, qui peut paraître
classique pour la plupart est très appréciée par l’élève. Elle occupe environ une heure du module de
lecture suivie. Nous essayerons de l’appliquer sur le conte de Voltaire, Micromégas avec des élèves
de 3ème secondaire. Certaines éditions sont intéressantes de point de vue iconographique surtout les
plus anciennes :
Micromégas, L’Ingénu, nouveaux classiques Larousse (gravure de Vidal d’après Monet, photo.
Larousse).
On peut utiliser également les différentes éditions que possèdent les élèves .Il faut éviter d’en
déconseiller une préalablement. Dans ce cas, un bref sondage sur les raisons de leur choix de l’achat
du livre aide à faire apparaitre le rôle de la couverture et ses limites en même temps qu’il contribue
à créer dans ce domaine des attentes et à éduquer le regard. Quelques minutes de libre de circulation
des ouvrages entre les élèves leur permettent de rapides comparaisons.
Un examen général des composantes de la couverture est ensuite mené oralement sous la direction
de l’enseignant par le groupe de modules dans son ensemble ; l’attention des élèves est attirée sur la
nature des différentes composantes (titre, nom de l’auteur, texte, illustration, autres), leur taille et
leur place respectives. Des mini-groupes de 3 ou 4 élèves sont constitués en fonction des
illustrations disponibles. Ils seront appelés à analyser chacun de manière plus approfondie une des
couvertures en fonction d’un questionnaire précis
Consignes :
-Qu’est-ce qui est écrit sur la page de couverture ?
-A quoi cela fait-il appel chez le lecteur ?
-A quoi cela sert-il ? En déduire une hypothèse de lecture (elle peut être ou non la même que
-Celle qui a été dégagée lors de l’étude de l’image).
Le questionnaire proposé :
Edition utilisée :
Nom des élèves (souligner le nom du rapporteur du groupe) :
1- Que représente l’illustration de la couverture ? Vous répondrez avec le plus de précision possibles
(sujet, auteur et titre, époque…)
2- Analyser l’illustration : taille, couleurs, composition, place…
3- Explicitez les choix esthétiques de l’éditeur ou du maquettiste.
4-Quelles sont, selon vous, les connotations de cette illustration ?
5- Etablissez et rédigez une ou plusieurs hypothèses sur l’œuvre à partir de ce que vous avez pu
observer.
6- si vous aviez eu seulement cette illustration à votre disposition, auriez-vous décidé d’acheter le
livre ? Pourquoi ?
Une ou plusieurs hypothèses de lecture sont alors choisies collectivement à partir des propositions
des différents groupes et notées sur le tableau. Si on arrive à recueillir qu’une seule, elle sera l’axe
choisi pour la lecture personnelle de l’œuvre pour chacun. S’il y en a plusieurs, il est important de
les prendre toutes en compte, par exemple en les répartissant sur plusieurs groupes d’élèves qui en
privilégieront une durant leur lecture. Ce travail basé sur l’illustration de la couverture est
intéressant mais il serait insuffisant si on va s’en tenir à la seule étude de la couverture. On devra
veiller à la qualité de la formulation des hypothèses de lecture, à leur choix et à leur utilisation
ultérieure. L’expérience est vraiment enrichissante, elle permet à l’élève d’adopter une attitude
ouverte et curieuse par rapport au livre sous tous ses aspects.
Utiliser le théâtre pour la lecture du genre bref
L’expérience en question consiste à sensibiliser les élèves à la lecture du conte ou de la nouvelle en
classe de français suscitant l’intérêt pour la lecture du texte à travers une mise en scène de l’histoire
ou des moments forts de l’action choisis au préalable au début du module de lecture suivie. Il s’agit
de procéder par un découpage du texte du conte comme Le Papa de Simon de Guy de Maupassant
en séquences. Chaque séquence sera mise en scène par des élèves qui sont désignés à l’avance par
le professeur pour jouer au début de chaque séance de lecture la scène racontée dans le conte devant
l’ensemble de la classe. La lecture expressive de l’incipit et de l’épilogue sera remplacée par une
mise en de scène de l’extrait dans un décor crée par les élèves en fonction des références spatiotemporelles avec des personnages habillés en écoliers, forgerons et paysans de l’époque du 19 ème
siècle. Cette mise en scène va prendre un peu plus de temps, elle nous garantit par contre la lecture
effective de l’œuvre par un grand nombre des élèves de la classe et par surtout ceux qui ont pris la
peine d’apprendre l’incipit et les répliques qu’ils introduisent. En plus, nous sommes sûrs avec cette
mise en scène de la compréhension des faits, de la prise en compte du système énonciatif et de la
mémorisation du cadre spatio-temporel. L’expérience de la mise en scène va attirer sans aucun
doute l’attention de l’élève pour la lecture du conte, elle lui fournira des indices favorisant sa
compréhension au moment de l’analyse-interprétation. La structure du récit sera repérée facilement
par les élèves de la classe qui sauront reconnaître plus rapidement les péripéties et les
rebondissements de l’action. Quant aux paroles échangées par les élèves –acteurs, elles vont
marquer les élèves-spectateurs qui seront dans cette situation de communication orale plus attentifs
à la qualité de l’expression et au niveau de langue utilisé que devant un texte écrit. Avec cet
exercice, les élèves-acteurs vont développer leur compétence communicative à l’oral tout en
adoptant l’intonation, la prononciation, l’articulation et la tonalité qui conviennent pour la situation
de communication en question.
La théâtralisation du récit contribue ainsi à la maîtrise de la langue et de la lecture littéraire.
Conclusion
Nous avons tenté à travers les différentes démarches proposées de sensibiliser l’élève à la lecture
des contes et des nouvelles, de susciter sa curiosité et de développer chez lui l’attitude d’un lecteur
apte à dépasser les difficultés qu’il pourrait bien rencontrer dans les textes.
Ces approches cherchent à développer chez l’élève le comportement d’un lecteur autonome, qui
acquiert un esprit critique, un esprit de chercheur capable d’exploiter les nouvelles technologies de
l’information pour redécouvrir le plaisir de lire. L’ensemble des démarches mentionnées cherchent
également à conduire l’élève à faire le choix d’un genre et d’un sous-genre tout en étant conscient
de ses particularités. Il finira par se familiariser davantage avec la nouvelle et aura conscience de
ses qualités en tant que genre littéraire surtout si les approches et les démarches entreprises font
ressortir les avantages du genre bref.
Ces démarches ont prouvé que la pratique de la lecture de l’image ainsi que la théâtralisation sont
source de motivation. Elles montrent à quel point l’incipit et l’épilogue qui représentent des
moments forts dans l’intrigue agissent sur la motivation.